Sophie - Pascal Montaut - E-Book

Sophie E-Book

Pascal Montaut

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Beschreibung

Sophie résume le vécu de Pascal Montaut, de sa naissance à ses vingt-trois ans. C’est le récit et la mémoire de viols subis, de rencontres, de filles, d’amours, de famille et de luttes. Ne contenant ni date ni lieu, juste quelques indices, ce texte émouvant donne peu de place au descriptif inutile et éveillera votre imagination. Laissez-vous donc envahir par cette onde de sensibilité qui saura faire tressauter votre âme.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Pascal Montaut s’intéresse particulièrement aux notions floues, aux dogmes et aux concepts difficiles à comprendre tels que le dadaïsme, le surréalisme et la beat generation. Sophie est son premier ouvrage publié.

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Seitenzahl: 121

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Pascal Montaut

Sophie

© Le Lys Bleu Éditions – Pascal Montaut

ISBN : 979-10-377-8875-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Bonjour,

Je devais m’appeler Sophie. Ma mère voulait une fille, mais un chromosome Y passait par là et s’est invité à la fête.

Février de cette année-là a été mordant, cruel et froid. La rivière charriait des blocs de glace, des banquises qui, paraît-il, avaient transporté un pingouin. Tout a gelé, la vigne, les arbres, les oiseaux, le paysage, les cœurs, mais pas les ventres. J’étais bien au chaud dans celui de ma mère. J’ai vu le jour en juillet dans la lumière crue et la chaleur moite des rives marines. On m’a embarqué dans une petite maison dans un hameau près de la petite ville. Elle faisait partie d’un ensemble de bâtisses appartenant toutes à la famille. Parents, grands-parents et arrière-grand-mère s’y côtoyaient. Notre « chez nous » était une minuscule cuisine mangée par un escalier qui menait au grenier, une chambre et une pièce centrale qui ne servait à rien. Avait-on un jour cherché à lui trouver une utilité ? Papi et mamie jouissaient de la plus grande des maisons, mais y dormaient seulement. La salle à manger se trouvait de l’autre côté de la cour. Il fallait passer sous le tilleul, longer la charmille et son if entouré de buis pour y accéder. La chambre de mon arrière-grand-mère était séparée de la nôtre par une porte toujours fermée à clé, mais son lieu de vie était la souillarde et la cour des poules juste derrière.

C’est dans ce micmac que j’ai ouvert les yeux, grandi, appris. Quand mon frère est arrivé, la décision fut prise de déménager trente mètres plus loin et d’investir le « dortoir » des grands-parents. Une cuisine rudimentaire fut construite ; la salle de bain attendrait. Les femmes tenaient leur rôle de femmes que ma mère refusait. Elle rêvait, dans les revues, d’une belle maison avec une vraie cuisine, d’une salle de bain spacieuse et lumineuse, d’un beau jardin comme elle en voyait en photo. Seul le potager était entretenu et on bichonnait deux ou trois géraniums que l’on rentrait l’hiver. Le puits servait de réfrigérateur pendant l’été ; on y descendait, à l’aide d’un panier à salade au bout d’une corde, beurre et fromage. Dans le chai en terre battue, la plupart du temps, pendait un morceau de morue. Mon grand-père était vigneron-maçon et comme beaucoup d’autres (le facteur, le cordonnier et le retraité cultivaient leur vigne), il faisait son vin. Il en vendait une partie au négociant local et la famille buvait le reste. Sinon, il poussait sa brouette : dedans, un demi-sac de ciment, du sable, sa pelle, sa truelle. Il faisait des petits travaux aux alentours, allait souvent au cimetière sceller les portes des caveaux après un enterrement. Mon père venait de trouver un emploi de représentant de commerce et avait gravi, d’un coup, deux crans dans le statut social. Il avait pris la place du tenant du poste à la suite de son décès brutal. Un soir de novembre gris et pluvieux, il rentra plus tôt que d’habitude. En courant, il a ouvert la porte et, trempé, il a dit : « Il tombe des trombes d’eau. » Les éléphants sont gris, ont une trompe avec laquelle ils s’arrosent fréquemment, je l’avais vu sur une image. Dehors, il y avait des éléphants qui s’aspergeaient d’eau. J’étais troublé, un peu anxieux aussi. Les mots m’intriguaient avant de les comprendre, avant les confusions. Cette famille avait aussi la curieuse manie de féminiser le masculin : on disait « une orage », « une éclair », et même « une homme »…

Je grandissais et redoutais les dimanches midi rythmés par l’interminable repas familial, lourd et pesant. Mon frère et moi n’attendions que l’autorisation de quitter la table pour aller galoper et grimper aux arbres. Je ne ressentais pas l’originalité de la situation, mais plutôt la crispation de la promiscuité. Aussi, je me réfugiais dès que je le pouvais chez les voisins. Jean-Claude, de six ans mon aîné, m’apprenait les choses de la vie. Construire des cabanes, des carrioles, fabriquer des arcs et des cerfs-volants. Et Nadine, sa grande sœur, les choses de l’esprit : le dessin, l’alphabet, les mots. À cinq ans, j’étais plus enclin à griffonner du papier qu’à planter un clou ou scier une branche. Nadine n’écrivait pas, elle dessinait les lettres, peignait les mots, et cela me fascinait. Très tôt, je savais le « a », le « b », jusqu’au « z », et écrire des mots : papa ou maman, mais aussi des plus compliqués, difficiles à comprendre comme longtemps ou beaucoup. « Longtemps », c’était assez facile, un temps long, « Beaucoup », plus ardu : l’abondance et la quantité étaient-elles le résultat d’un beau coup ? Le temps passait trop vite. Ma mère venait me chercher et, à regret, je me laissais traîner chez nous, juste à dix pas. Je devais comprendre que, sans vraiment être là, les parents étaient l’autorité, surtout ma mère que je sentais isolée, esseulée d’un mari absent. Elle était belle, coquette et désirable, mais comment pouvais-je le penser, incapable de capter les rares moments où d’autres s’appropriaient cette évidence ?

Le jour tant redouté, le premier d’une longue série, était là. On m’a poussé, tiré, traîné vers l’école ; je pleurais, je criais, révolté, mais résigné comme quand ma mère me coupait les ongles ou m’asseyait de force dans le fauteuil du coiffeur pour la mutilation. Sensible, je l’étais sans doute et sa réponse, une colère froide, subite et agacée, parfois ponctuée d’un rire, comme un soubresaut forcé. Des moments de tendresse, des câlins, il y en a eu, de l’amour aussi, je crois. Ce devait être compliqué d’assumer deux enfants mâles, elle qui voulait une fille. Peut-être était-ce trop tôt ? Elle était trop jeune, ils n’étaient pas désirés, peut-être était-ce la faute à l’époque, mais pas la sienne. Et moi, je me retrouvais sur les bancs. J’ai sauté le cours enfantin pour débuter ma carrière d’élève au cours préparatoire. J’étais le petit qui savait écrire et réciter l’alphabet. J’avais un an d’avance et un an de moins. En face trônait la maîtresse devant le tableau noir. La salle était vaste, haute de plafond avec d’immenses fenêtres surmontées d’étagères où d’étranges animaux empaillés semblaient surveiller la classe. Il y avait là un renard, un écureuil, un poisson-lune mystérieux et aussi le pingouin. Sur l’autre mur étaient affichés les dessins d’anciens élèves représentant des perruches, des perroquets et d’autres oiseaux de toutes les couleurs et de toute beauté. Je les regardais en rêvant, admirant les artistes qui les avaient sublimés. Saurais-je un jour les égaler ?

Savoir écrire des mots m’avait séparé des copains du village, des jumeaux de mon âge, mais me rapprochait de la classe de leur grande sœur, Fabienne. Nous nous retrouvions à la récréation à faire des rondes, des jeux, des « Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés… », « La belle que voilà ira les ramasser ». Je n’avais d’yeux que pour Fabienne. Assis en rond sur le sable de la cour, une fille tournait autour du cercle, jetait un mouchoir dans le dos de l’élu. S’il s’en apercevait, il le prenait et courait à son tour après celle qui l’avait désigné. S’il la rattrapait avant qu’elle ne s’asseye à sa place, il l’embrassait « par la tête ou par les pieds… ». Et on tournait, tournait ; un garçon prenait le relais et courait, courait à s’en faire tourner la tête à deux. Des éclats de rire, des yeux éblouis et le sourire émerveillé de Madame. Deux claps sonores, le Monsieur des classes élémentaires venait de taper dans ses mains et sonnait la fin de la récré : tout le monde en rang. Il revenait du service militaire et adressait à Madame des sourires et des hochements de tête appliqués qui dénotaient de sa sévérité envers les gamins.

Après avoir écrit des mots qui forment des phrases, il faudrait, au retour de l’été, aller dans sa classe apprendre l’ordre et la morale, se mettre en rang et se taire.

J’ai lu des textes, récité des poèmes, écrit des histoires, appris la géographie, dessiné des oiseaux, peint des chats, colorié les frises le soir vers cinq heures sur le cahier du jour. Nous jouions aux billes à la récréation, un triangle tracé au doigt dans le sable et nous mettions à l’intérieur une ou deux billes de terre puis nous lancions une agate vers un trait quatre pas plus loin. Celle de celui qui s’en approchait le plus près tirait le premier. Quand Monsieur le maître tapait dans ses mains, nous devions nous mettre en rang devant la porte de la classe. Celui qui n’accourait pas au dernier clap était attrapé par l’oreille et giflé. Pire, les billes étaient confisquées. S’il y avait « rébellion », il distribuait alors sa « marguerite à cinq pétales ». De sa grosse main, il soulevait le menton et collait une baffe à décoller la tête, ses doigts décalquaient sur la joue la marguerite rouge. Quand ça tombait sur moi, et ça tombait souvent, je n’en disais bien évidemment rien à ma mère. Être giflé par le maître signifiait avoir fait une bêtise et risquait de s’en prendre une autre. Je ne comprenais pas, ces interrogations m’ont longtemps hanté. Pourtant son enseignement était clair, riche, il savait être attentionné, mais pouvait se montrer dur et brutal. Il était double, il sera triple.

Cet après-midi-là, une marguerite fraîchement fleurie ornait ma joue gauche. À cinq heures, la cloche a sonné, nous avons rangé crayons et porte-plume dans la trousse, livres et cahiers dans le cartable. Tous ont quitté la salle en ordre et silence ; tous, sauf moi : « Reste là, j’ai à te parler. » Il m’a soulevé et assis sur le bureau. Ébahi, je cherchais à comprendre, tentant de juguler la panique qui m’envahissait. J’avais en tête l’image de ce camarade timide et taiseux que Monsieur, agacé, avait juché sur son bureau. Il lui hurlait je ne sais quoi qui le terrorisait. Les joues en feu, il s’était pissé dessus. Le filet de pisse s’écoulait sous son short et ruisselait sur sa jambe nue. Résigné, tête basse, il pleurait. Qu’allait-il m’arriver ? Je tremblais en regardant mes pieds. Il a posé en douceur sur mon genou la grosse main qui avait frappé.

Il a approché son visage du mien : « Tu m’en veux ? » m’a-t-il dit tout bas à l’oreille. Terreur, angoisse, je connaissais mal ces « états », incapable que j’étais de les évaluer, de les quantifier.

« Tu m’en veux ? » Je me doutais qu’il s’agissait d’une question ; mais que signifiait-elle ? Veux, vouloir : vouloir quoi. En vouloir, ça veut dire quoi ? Il me retenait, répétant ces quatre mots sans aucun sens pour moi. J’étais une statue tremblante, voulait-il me rassurer ? L’envie de faire le chemin à l’envers m’envahissait soudain, à m’étourdir : retourner dans ma mère, rentrer dans son ventre. Sa main a remonté sur ma cuisse puis sous mon short. Le poids de ses gros doigts s’est fait pressant. Je sentais maintenant son haleine, le souffle de son nez, ses baisers au bord de mes lèvres. Si je les avais entr’ouvertes, j’aurais eu le goût de sa bave dans ma bouche.

Il m’a relâché. Sur mon vélo, j’ai pédalé comme un fou. Ma mère a bien remarqué quelque chose de bizarre en moi : « Non, rien, rien du tout, j’ai chaud. »

Il m’a fallu braver le dégoût. La délivrance est venue, je crois, du passage au cours moyen première année, dans la classe de Madame la Directrice, une dame âgée, élégante et douce. Elle était un puits de savoir et une magnifique conteuse, il se dégageait aussi chez elle une certaine autorité que je commençais à contester. Elle ne tolérait pas le chahut et s’il lui devenait insupportable, la sanction pour le fauteur de trouble était immédiate. Il était condamné à aller frapper à la porte de la classe du tortionnaire, qui faisait de l’aveu des méfaits du malheureux, un plaisir sadique. Ce préambule était un avertissement aux élèves de sa classe et aller au coin était ressenti comme une « remise de peine ». Mains dans le dos, sans bouger, était un moindre mal pour se faire oublier. Je songeais à Fabienne, le nez collé au mur, les yeux mi-clos, indifférent au brouhaha ambiant. Nous étions maintenant dans la même salle de cours, elle en CM 2, moi en CM 1. On se plaisait, on se taquinait, on se souriait, on se tirait la langue. Je ne jouais pas à la poupée, elle n’a jamais été Blek le Roc. Nous jouions au docteur, le cœur battant ; j’étais le docteur, Fabienne l’infirmière ; moi infirmier, elle doctoresse. Nous avons tous connu cette innocente découverte, la naïveté d’un érotisme sans tabou, sans fard ni frein. Instants fragiles enfouis dans les souvenirs. Nous échangions des petits cœurs, des trop grands « je t’aime », des images de fleurs, de papillons découpés dans des revues et collées sur du papier. Comme bien d’autres choses, je l’ai toujours caché à ma mère. Je ne savais pas que le mutisme pouvait conduire à la négation du réel. Se taire, ne rien révéler, garder les secrets, nier les problèmes était le credo de cette famille. Un jour, ma mère a trouvé par hasard un trésor bien caché : une pensée affectueuse en trois ou quatre pages à ma dulcinée. Elle s’est mise dans une colère noire, a tout jeté par terre en hurlant : « Non, pas cette fille ! »

J’étais pire que pétrifié. Qu’avais-je fait de mal ? Pourquoi s’était-elle mise dans cet état de rage folle ? Fabienne m’attirait et je me sentais bien avec elle. On se chamaillait de temps en temps ce qui semblait ouvrir des promesses futures, l’avenir était-il interdit ? Ma mère nous en voulait-elle ? Ces questions m’effleuraient seulement, je cherchais plus à les éluder qu’à les élucider. Ces mots magiques « embrasser, sein, fiancée » me transportaient en rêve loin de la famille.

Fabienne devenait distante et m’était encore plus attirante, mais les prémices du désir se sont vite évanouies après son entrée au collège, l’autre monde, les autres rencontres dans l’autre ville. Ma mère et l’institutrice se sont accordées pour que je redouble le CM 2. Je paraissais trop jeune, trop tendre pour affronter la grande école. Un nouvel été débutait.