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Extrait : "C'était en 1849, époque pleine d'orages et de corvées pour la Garde Nationale, de triste mémoire. Comme tant d'autres, j'en faisais partie, non sans maugréer ; comme eux je cherchais, et parfois je trouvais le moyen d'éluder le billet de garde. Pourtant j'avais encouru plusieurs fois vingt-quatre heures de haricots, si bien qu'un jour je me voyais bel et bien "sur la paille humide d'un cachot.""
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Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :
• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
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Seitenzahl: 134
Veröffentlichungsjahr: 2016
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Il est constant que le plus souvent le Post-Scriptum d’une lettre contient le passage le plusimportant, appelé à frapper l’attention du destinataire, et qu’il y réussit.
Pourquoi n’en est-il pas de même en ce qui concerne l’Avis au Lecteur qu’unedéplorable routine oblige l’auteur de mettre en tête de son livre ? Mystère et fatalité insondables, dont il ne m’appartient pas de déchirer le voile !
Les nécessités de la mise en pages, plus encore que le besoin de m’expliquer, exigent cependant une Préface.
J’avais songé un instant à prier une de nos gloires littéraires actuelles de présenter mon livre et j’aurais été ainsi, moi
Pauvre ver de terre, préfacé d’une étoile.
Mais je suis si foncièrement bon, que j’ai renoncé à cette prétention.
Réduit ainsi à mes propres forces, la préface perdra en valeur, mais elle gagnera ensincérité. Tout en passant sous silence les défauts de mon œuvre, qu’un public indulgent découvrira toujours assez tôt, je lui épargne au moins des louanges anticipées et généralement peu ratifiées
Quelques initiés pourront facilement remplir les noms laissés en blanc, car tous les évènements racontés ont été vécus. On trouvera peut-être qu’ils sont déjà bien anciens, mais ne sait-on pas que le Temps est une abstraction, une conception purement humaine qui ne signifie pas grand-chose ! En ce qui concerne le manuscrit de Monos, je n’insiste pas et je laisse au Lecteur le soin de démêler la vérité d’avec la fiction !
Quel que soit l’accueil réservé à ces pages, je l’accepte d’avance comme mérité. J’ai voulu, en tout cas, être l’auteur d’un livre auquel puisse s’adapter, toute modestie gardée, ce précepte de l’immortel Juvénal (Sat. VII) :
Louis LERICHE.
Mes amis, faisons des contes ; pendant que nous en faisons, nous oublions, et le conte de la vie s’achève sans qu’on s’en doute.
DIDEROT.
C’était en 1849, époque pleine d’orages et de corvées pour la Garde Nationale, de triste mémoire.
Comme tant d’autres, j’en faisais partie, non sans maugréer ; comme eux je cherchais, et parfois je trouvais le moyen d’éluder le billet de garde.
Pourtant, j’avais encouru plusieurs fois vingt-quatre heures de haricots, si bien qu’un jour je me voyais bel et bien « sur la paille humide d’un cachot. »
La cellule à laquelle il fut réservé d’écouter mes premières doléances portait le numéro 13, et j’eus la consolation d’apprendre, par l’inspection de ma prison, que d’illustres prédécesseurs avaient été ses hôtes involontaires.
En effet, je constatai sur ses murs des traces de plusieurs célébrités : Peintres, graveurs, hommes de lettres même quelques profonds politiques, chacun avait cru devoir marquer à sa manière son passage éphémère en ce lieu.
Méry, alors fort en vogue, bon poète mais médiocre défenseur de l’ordre, y avait couché le 13 novembre 1848, Grassot, le célèbre comique du Palais-Royal, y avait laissé, tracé de sa main, l’Hymne à la Garde Nationale, qui se chantait alors sur l’air de la Parisienne, et dont voici, si je me souviens bien, le premier couplet :
Bertron, l’inoffensif et sempiternel « candidat de l’humanité », avait également encouru les rigueurs disciplinaires de l’impitoyable État-Major ; sa vaste tête y avait reposé la veille même de mon entrée. C’est à lui que l’on doit attribuer le quatrain suivant dont la profondeur n’échappera à personne :
CONFESSION HUMANITAIRE
MORALITÉ
À ces consolations rétrospectives vint se joindre une autre plus directe et agrémentée du charme de l’imprévu. À l’heure du repas, qui se fit en commun, je me trouvai réuni avec plusieurs amis, confrères en librairie, tous plus réfractaires les uns que les autres.
Après les joyeux épanchements causés par cette réunion dans la captivité, aussi inattendue qu’inespérée, nous nous mîmes immédiatement à délibérer sur les moyens de passer ensemble cette longue nuit de carcere duro.
En fait, il ne nous fut point difficile de corrompre le peu féroce geôlier de céans, et la cellule n° 13, ayant été reconnue de beaucoup la plus vaste, fut choisie comme caquetoir.
C’est donc moi qui fis les honneurs, et du lieu et de la soirée.
Lorsque plusieurs éditeurs se trouvent ensemble, ils aiment à causer des auteurs ; traduisez « en dire du mal », et réciproquement. C’est ce qui arriva effectivement en cette mémorable nuit. Après le souper, on alluma des cigares, puis on tira à la courte paille pour savoir quel serait le premier narrateur ; le sort tomba sur M. P…, aujourd’hui éditeur célèbre, qui commença en ces termes :
Dans les commencements de ma carrière, je tenais une petite boutique au coin de la rue du Vieux-Colombier et de la rue Cassette. Bien qu’éditant fort peu, mon arrière-boutique était le rendez-vous habituel de beaucoup d’auteurs jeunes et vieux.
Un surtout, le docteur Magnus, y avait fait élection de domicile. C’était un fort singulier personnage. Il pratiquait fort peu, étudiait encore moins.
Appartenant à l’ancienne école, il s’était laissé distancer par les jeunes, et n’eut plus de sa clientèle qu’un souvenir fort éloigné. Ce que voyant, il ramassa un jour le peu qu’il possédait, fit acquisition d’une certaine quantité de fioles de formes plus ou moins bizarres, s’enferma pendant quelque temps, et revint chez moi, l’air radieux, ayant sous le bras un volumineux manuscrit sur lequel on lisait en lettres flamboyantes : Eureka.
– Voici, me dit-il, ma fortune et la vôtre ; prenez ce manuscrit, lisez-le, et après nous causerons.
Ceci se passait vers les derniers jours de juillet 1830, et, ainsi qu’aujourd’hui, les temps n’étaient guère favorables à la lecture de manuscrits et encore moins à leur publication. Pourtant le docteur Magnus ne me cacha point sa pénible surprise, lorsqu’il revint au bout de quelque temps et s’aperçut de ce qu’il appelait ma négligence.
Il était accompagné d’un gros monsieur à la face rubiconde, tout de noir habillé, lequel, horribile dictu ! était également porteur d’un volumineux dossier dans lequel mon œil exercé reconnut de la copie d’auteur.
Le docteur Magnus me présenta ce personnage en ces termes :
– Mon ami, le révérend Major, futur bienfaiteur de l’humanité, ainsi que moi, nous avons résolu de faire votre bonheur malgré vous. Les temps sont venus de délivrer l’humanité de tous les fléaux qui l’obsèdent. Nos recherches et nos veilles auront amené ce résultat, lequel est consigné dans ces deux livres. Dépêchez-vous de les publier, et votre nom partagera, avec les nôtres, l’honneur d’une immense découverte.
– Oui, ajouta le révérend Major, avec un accent britannique, l’œuvre du docteur Magnus est sublime. Je me plais à le reconnaître.
– La vôtre, riposta Magnus en s’inclinant, est immense. Vous êtes la clef des sciences futures !
– Et vous, le père de tous les bonheurs !
– Quelle gloire pour vous, me dit Magnus, d’être appelé à propager notre œuvre !
– Que de reconnaissance vous nous aurez ? m’insinua l’autre.
– Mais enfin, de quoi s’agit-il ? me hasardai-je, un peu abasourdi.
Je n’eus pas de réponse immédiate à ma question, par cette simple raison que ces deux messieurs, continuant à se donner des coups d’encensoir, n’avaient pu l’entendre. Toutefois, j’allais avoir le mot de l’énigme, en écoutant leur conversation. Je n’ai pas la prétention de répéter ici textuellement leurs paroles, car, selon la coutume, elles étaient émaillées d’un jargon mystico-scientifique, difficile à traduire sans le secours d’un dictionnaire ad hoc, non encore publié.
Je compris néanmoins que le manuscrit du docteur Magnus devait renfermer les théories et l’enseignement pratique d’une science toute nouvelle et assurément fort agréable pour ses adeptes.
Le peu de succès qu’il avait eu dans la guérison de ses malades lui avait inspiré l’idée lumineuse de supprimer la cause première, c’est-à-dire la maladie elle-même.
Pour nous autres mortels, l’homme est une création de Dieu, organisée selon ses volontés, soumise aux influences multiples qui traversent son existence.
Pour le docteur Magnus, l’homme devenait une simple machine, assemblage chimique dont il n’y avait qu’à trouver la composition pour lui donner ensuite, non seulement la santé, mais encore – ne riez pas, messieurs, – la jeunesse éternelle sans aucune solution de continuité.
En d’autres termes, Magnus avait inventé un Élixir de vie, une panacée universelle. Tout cela se trouvait expliqué – clairement, selon lui, – dans son fameux manuscrit, et j’aurais été fort mal venu d’en douter un instant.
De même qu’un malheur, une théorie étrange ne vient jamais seule ; aussi la rencontre de Magnus avec le révérend Major était, pour ainsi dire, inévitable. La théorie de ce dernier était forcément le corollaire de celle du premier. Ce Révérend avait la bosse des réformes, le feu sacré des innovations. Ministre anglican à vingt-cinq ans, il s’était fait catholique à trente, à la suite d’un voyage à Rome où il fut tonsuré et où il entra dans les ordres. Il aurait pu vivre dans une bienfaisante obscurité, sans le choix, fort malheureux, qu’on fit de lui, comme prédicateur, dans une des églises d’outre-Manche.
C’est là où messire Satan l’attendait. Son orgueil grandit avec ses succès. Bientôt il arriva ce qui s’est vu presque toujours en pareille occurrence : il y eut révolte, scandale, et le reste.
Major quitta sa chaire et son couvent, se fit apôtre humanitaire et prit femme. J’ai toujours remarqué que c’était la fin, l’épilogue banal, laïque et pour ainsi dire obligatoire.
Depuis lors, l’ancien moine parcourait l’Europe, véritable voyageur en nouveautés religieuses, prônant les bienfaits de je ne sais quelle religion universelle, et je dois dire que rien ne surpassait son zèle, si ce n’est son insuccès.
Lorsqu’il fit connaissance avec Magnus, un regain d’espérance s’empara de lui ; évidemment ils étaient nés pour se comprendre ; à eux deux, ils se promettaient bien de vaincre. N’avaient-ils pas, pour remporter la victoire sur Dieu et le monde, une immortalité toute fraîche et des croyances nouvelles, faciles à suivre et brevetées (s. g. d. g.) ?
Ils venaient de se confirmer de nouveau toutes ces vérités, s’exaltant mutuellement la valeur de leurs précieuses découvertes ; objections, argumentations et définitions pleuvaient dru comme grêle, le tout dans le but fort visible de m’entraîner à leur suite.
La chaleur qu’ils mettaient à me convaincre était presque aussi forte que celle qui régnait dans mon arrière-boutique, et la sueur qui perlait sur leurs vastes fronts en était une preuve.
Mais, tandis qu’ils péroraient ainsi, une porte du fond venant à s’ouvrir, il s’établit un léger courant d’air dont Magnus et Major moururent le lendemain, frappés par celui qui s’appelle Maximus, auquel tout est soumis et que vous me dispenserez de nommer.
Après quelques moments de silence, M. R… prit la parole à son tour. L’histoire racontée fut baptisée sur le champ et eut pour titre : Une Bibliothèque choisie.
J’habitais, il y a quelques années, une petite commune aux portes de Paris, dont les habitants furent ma joie pendant fort longtemps. Vivant en solitaire et sans frayer avec eux, il m’était d’autant plus loisible de les étudier. La conclusion de mes études fut que jamais plus on ne verrait un coin de la terre où se trouveraient amoncelés autant de turpitudes, de médisances et de ridicules.
Ce sont ces derniers qui me fourniront l’occasion de vous conter une aventure.
J’avais réussi à vivre à l’écart et en dehors de ce petit peuple, heureux de mon indépendance et enchanté de l’oubli dans lequel on voulait bien me laisser ; justement prévenu, je me tenais sur la défensive, et j’avais repoussé toutes les tentatives de rapprochement. Un jour pourtant, appelé à la mairie pour je ne sais plus quelle affaire, je fus serré de près par un monsieur qui lia conversation avec moi, parla du beau temps et de la pluie, de la guerre, des vendanges et de mille autres choses, et, finalement, sachant ma qualité d’ancien libraire, se fit promettre une visite chez lui pour voir sa bibliothèque, dont il me vanta la richesse.
Que celui qui n’a pas eu son quart d’heure de faiblesse me jette le premier volume à la tête. La curiosité l’emporta sur ma prudence habituelle, et nous voici tous deux en route pour la demeure de mon séducteur. Chemin faisant, je dus subir son histoire détaillée et considérablement allongée, depuis sa naissance jusqu’à ce jour ; je connus ses qualités, ses soucis, ses passions. Hélas ! sa plus grande passion fut celle dont j’étais victime : il aimait les livres, il en achetait toujours et quand même, sans trêve ni répit ; il en aurait fait lui-même, me disait-il, si le temps ne lui avait pas fait défaut !
Cette confidence refroidit singulièrement mon imprudent désir, mais il n’était plus temps de reculer, car déjà nous étions arrivés à sa somptueuse villa ; la présentation d’usage eut lieu dans un salon où l’or et le mauvais goût se faisaient une redoutable concurrence, après quoi nous pénétrâmes dans une très vaste pièce entièrement garnie de vitrines remplies de livres.
Rien à dire sur la quantité qui était vraiment prodigieuse : il y avait là plus de trois mille volumes, depuis l’in-folio jusqu’à l’in-32 diamant, rangés avec la plus méticuleuse symétrie et habillés de reliures multicolores. Quant à la qualité, je n’oublierai de ma vie le plaisant assemblage, et, le brave homme, qui suivait mes investigations d’un regard satisfait et en se frottant les mains, ne se doutait nullement de l’impression tragicomique que me causaient ses pauvres richesses.
Tout ce que les casiers des bouquinistes des quais peuvent recéler d’inepte et de mauvais semblait s’être donné rendez-vous en ce lieu : contes à dormir debout, mensonges historiques, attaques ridicules et blasphématoires contre tout et à propos de tout, se trouvaient là en d’innombrables éditions et, chose triste à dire, serrant de près des ouvrages sérieux, excellents, d’une incontestable valeur.
Quant aux romans, je vous fais grâce de leur énumération. Là, figuraient les livres les plus malsains, depuis les romans de chevalerie jusqu’au dernier produit d’un romancier en rupture d’honnêteté. À certains d’entre eux était réservé le triste honneur de s’y trouver en plusieurs formats, quelques-uns illustrés par les – principaux artistes, – si l’on en croyait les pompeuses indications du titre.
En ce moment même, une très gracieuse et charmante enfant, la fille de mon hôte, rapporta un volume, que j’eus la curiosité de feuilleter ensuite.
C’était la trente et unième édition d’une chose innommable, propre à faire rougir quatre dragons et leurs chevaux. On frémit à la pensée des ravages qu’un pareil livre peut exercer.
Presque à bout de ce triste inventaire, je me trouvais fortement intrigué en apercevant une vitrine hermétiquement fermée par des rideaux ; sur ma demande, le pauvre homme (car je pouvais dès maintenant le considérer comme tel) m’avoua mystérieusement que ces rayons cachaient un véritable trésor, unique en son genre : « J’ai, me dit-il, réuni au prix de beaucoup de peines, la collection entière, sans réserve ni exception, de l’Album du Ménestrel ! »
Or, il faut que vous sachiez que cet album est la plus abominable des parodies, moralement d’abord, et matériellement ensuite. Sur un affreux papier à chandelles, d’obscurs éditeurs impriment, de façon à faire regretter l’admirable invention de Gutenberg, des chansons écloses dans trente ou quarante cerveaux fêlés, pourvoyeurs habituels de cabarets chantants.