Souvenirs de la vie de plaisir sous le second Empire - Gaston Jollivet - E-Book

Souvenirs de la vie de plaisir sous le second Empire E-Book

Gaston Jollivet

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Beschreibung


Souvenirs de la vie de plaisir sous le second Empire de Gaston Jollivet est un livre captivant qui plonge le lecteur dans l'effervescence et les extravagances de la période du Second Empire en France.À travers ses souvenirs, l'auteur nous transporte dans un monde de luxe, de fêtes somptueuses et de plaisirs décadents. Il nous dévoile les coulisses de la haute société parisienne, où se côtoient les personnalités les plus influentes de l'époque, des aristocrates aux artistes en passant par les courtisans.Jollivet nous livre des anecdotes croustillantes et des récits intimes, nous dévoilant les secrets les mieux gardés de cette époque fastueuse. Il nous fait découvrir les salons mondains, les bals masqués, les opéras grandioses et les maisons closes les plus réputées de Paris.Mais au-delà des plaisirs superficiels, l'auteur nous offre également une réflexion sur la société de l'époque, ses inégalités et ses contradictions. Il nous fait prendre conscience des réalités cachées derrière les apparences, des destins brisés et des vies sacrifiées au nom du plaisir et du divertissement.Souvenirs de la vie de plaisir sous le second Empire est un livre à la fois divertissant et instructif, qui nous plonge au cœur d'une époque fascinante et controversée. À travers les yeux de Jollivet, nous découvrons un monde à la fois séduisant et corrompu, où les excès rivalisent avec les intrigues et les scandales.Ce livre est un véritable voyage dans le temps, une plongée dans une époque révolue mais dont les traces perdurent encore aujourd'hui. Une lecture incontournable pour tous les passionnés d'histoire, de littérature et de la vie parisienne du XIXe siècle.

Extrait : "Le comte d'Haussonville reconnaît loyalement dans ses Souvenirs que Napoléon III, dont il fut loin d'être un fidèle, était un homme très bien élevé. C'est l'exacte vérité : donc il est naturel que le souverain se soit entouré d'hommes également "comme il faut" aux yeux des plus difficiles."

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Veröffentlichungsjahr: 2015

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Aux Lecteurs.

J’aurais déjà, jeunes Français,

Mis au feu tout ce qui va suivre

Si je ne rêvais le succès

Que voici pour cet humble livre :

C’est qu’après l’avoir lu, l’envie

S’impose à vous comme une loi

Dans la conduite de la vie,

D’être un peu moins bêtas que moi.

Avignon, 13 janvier 1927.

 

 Mon cher ami,

 

La lecture de vos épreuves a charmé ma route de Paris ici, où j’ai retrouvé le mistral dont un marseillais me disait jadis : « Ce n’est pas du vent. C’est le mistral, qui rend le Provençal alerte. » Ce mot d’alerte est celui qui convient à ce récit de vos souvenirs. Ils sont contés si gaiement et si virilement, sans aucune de ces prétentions qui gâtent trop souvent les mémoires : désir de briller, coup de pouce donné à la vérité pour se rehausser soi-même et diminuer les autres, dramatisation des menus incidents, portraits complaisamment surchargés. Vous les parlez, vous, vos souvenirs, comme on cause entre camarades qui se connaissent de longue date, ne cherchant pas à produire de l’effet les uns sur les autres, et c’est la première qualité de ces pages que vous avez simplement intitulées : « Folle jeunesse ». Elles sonnent vrai. Pas une note qui ne soit juste dans l’évocation des hommes que vous avez montrés. Je peux l’attester pour ceux d’entre eux que j’ai moi-même approchés : cet admirable et charmant d’Aurevilly dont vous citez cette réplique où j’ai cru entendre sa voix : « Moi, Madame,je ne me teinspas, je me peins… » ; – ce spirituel et mordant Chapron avec qui je stendhalisais entre deux actes, quand nous étions tous deux courriéristes dramatiques, lui au Gil Blas, je crois, moi au Parlement. Nous essayions, enfantinement, de nous prendre en faute sur quelque citation du Rouge et du Noir  ; – cet élégant Charles Haas à qui ce même Barbey en appelait un jour dans le salon de Mme de Poilly, au sujet de Mlle Mars. « Non, je ne l’ai jamais vu jouer », répondait Haas, et comme il avait une remarquable mémoire il ajouta : « Elle est morte en… » et il donna le chiffre de l’année 1847. Sur quoi, Barbey : « Laissons les dates. Elles importent peu… ». Mais voici que vous allez m’inciter moi-même à me remémorer des anecdotes à joindre aux vôtres. Ne vous en prenez qu’à l’alacrité contagieuse de votre plume.

Elle a fait mieux que de narrer avec tant de naturel d’amusantes réminiscences. J’imagine qu’un Taine de l’avenir veuille jamais tracer une peinture exacte des mœurs du Second Empire. Nulle part il ne recueillera une plus abondante moisson de ces petits faits significatifs, dont l’historien des Origines était si friand, que dans votre livre. L’atmosphère de cette époque si voisine de nous, et déjà si lointaine, se respire à travers toutes vos phrases, et la bonne humeur dont elles sont empreintes rend plus saisissant encore l’enseignement qui s’en dégage. Car elles en imposent un, et bien utile, à l’heure même où vous publiez ce volume. Vous nous ramenez aux années 1860 et suivantes. Quoiqu’en ait dit notre d’Aurevilly, les dates importent beaucoup. La résurrection de l’Italie vient d’affirmer le renouveau en Europe du principe des nationalités, tout de suite Sadowa et la campagne de 1866 vont montrer que la Prusse est toujours la force organisatrice qui peut, qui doit, comme Stein l’avait pressenti au temps de Napoléon Ier, coordonner le chaos des Allemagnes et les ramasser en une redoutable unité. Que cette unité germanique doive, elle aussi, recommencer cette entreprise d’impérialisme qui fut celle des Ottonides, des Hohenstaufen et des Habsbourg et, pour cela, briser d’abord la France, toute l’histoire l’annonce, et les Prussiens ne s’en cachent point. Tel ce lieutenant Von X. qui vous confiait avec bonhomie à Spa : « Si nous nous cognons jamais avec vous, je regrette pour vous de vous dire que vous recevrez bientôt une pile… » Les rapports du colonel Stoffel, les lettres patriotiques de Mme de Pourtalès, retrouvées dans les papiers des Tuileries, attestent combien étaient visibles les menaces d’une guerre si dangereuse pour notre pays. Personne en dehors de quelques perspicaces observateurs, ne voulait le voir. Vos souvenirs nous montrent toute une génération spirituelle, courageuse, allante, qui, demain sur les champs de bataille d’Alsace et de Lorraine chargera en disant comme le Galliffet de Sedan : « Tant que vous voudrez. » Mais penser au péril commun, par avance, s’y préparer sérieusement, vivre en conséquence et travailler comme les gens de l’autre côté du Rhin avec cette acceptation du réel, cette vertu vitale des peuples qui veulent durer, ne demandez pas cela aux Français du Second Empire. Hélas ! Après l’effroyable aventure de 1914, ceux de la TroisièmeRépublique n’ont-ils pas oublié la leçon reçue alors ? Du moins les Parisiens de votre Folle jeunesse avaient-ils pour excuse que l’équilibre assuré par les Traités de 1815 nous avait, un demi-siècle durant, préservés des conflagrations mondiales, que la politique intérieure de la Restauration, de Louis-Philippe, enfin de Napoléon III venait de nous procurer, sinon la paix sociale, du moins un répit entre les secousses révolutionnaires d’après 89 et la sanglante explosion de la Commune. C’est de quoi expliquer un aveuglement dont vous avez vous-même condamné dans le très bel épilogue de votre livre la « frivolité insouciante ». Vous dites, avec une sincérité émue, que votre génération a encore aujourd’hui une dette à payer, et que vous la payez, cette dette, pour votre part, en montrant aux nouveaux venus ce qu’ils ne devraient pas être. Puissent-ils, s’ils s’engagent aussi sur le chemin fatal de la frivolité insouciante, et trop de signes le font craindre, y conserver du moins les vertus qui ennoblissent les égarements dont vous vous êtes fait le chroniqueur : la loyauté dans l’amitié, le sentiment de l’honneur, le goût des choses de l’esprit, et le respect, même dans la faute, de ces deux grandes choses humaines : la Famille et la Patrie.

 

Paul BOURGET,

de l’Académie française.

CHAPITRE PREMIERLa cour impériale

L’empereur vu au théâtre et sur la glace du bois de Boulogne. – L’impératrice passant aux Champs-Élysées. – Les souverains dans le privé. – La famille impériale.

La Cour

Le comte d’Haussonville reconnaît loyalement dans ses souvenirs que Napoléon III, dont il fut loin d’être un fidèle, était un homme très bien élevé. C’est l’exacte vérité : donc il est naturel que le souverain se soit entouré d’hommes également « comme il faut » aux yeux des plus difficiles. Morny, Walewski et Fleury ont eu l’aisance et l’allure des grands seigneurs d’autrefois. L’impératrice tint également à n’avoir auprès d’elle que des femmes distinguées par leur naissance et dans leurs façons, à commencer par ses dames d’honneur. Mmes de Lourmel, de La Bédoyère, Aguado, les premiers noms qui viennent sous ma plume, auraient pu aller de pair avec leurs « collègues » des autres grandes cours de l’Europe. Aussi les étrangers de choix tenaient-ils à grand honneur de figurer parmi les invités soit des lundis de l’impératrice, soit de ces fameuses séries de Compiègne, où ils pouvaient, par la même occasion, faire la connaissance de nos littérateurs et de nos artistes les plus en vue, soit enfin aux chasses à courre de Fontainebleau, de Rambouillet ou de Compiègne qui ont revêtu un caractère de magnificence apprécié et jalousé même par les Anglais les plus difficiles en matière de vénerie fastueuse.

La famille impériale. Napoléon III

J’étais dans la foule, devant le théâtre de l’Odéon, lors d’une représentation où quelques étudiants républicains, qui s’étaient tenus à peu près tranquilles pendant la représentation, crurent devoir, lors de la sortie où le service de police fonctionnait moins strictement que dans l’intérieur du théâtre, entonner ou simplement fredonner une chanson populaire alors à la mode : Le Sire de Framboisy, qui débutait par :

Corbleu, Madame, que faites-vous ici ?

L’intention désobligeante était manifeste, mais aucun ordre ne fut donné aux agents de mettre la main aux collets des jeunes gens. César eut peut-être raison après tout : menés devant un juge complaisant au pouvoir, les prévenus pouvaient « la faire » à l’innocence et les avocats plaider que la chanson n’était pas séditieuse. En tout cas l’empereur n’accusa pas le coup, comme on dit familièrement. Il ne se pressa même pas de remonter en voiture. À cette occasion, – jusque-là je ne l’avais jamais vu debout, – je constatai qu’il avait les jambes un peu courtes pour le reste du corps.

Je n’ai approché de très près de l’empereur que sur la glace du bois de Boulogne par une matinée d’hiver. Un maladroit coup de patin avait failli me jeter sur lui. Comme j’avais pu me retenir à temps, le monarque qui échangeait quelques mots avec le général Fleury n’eut pas à y prendre garde. Moins heureux que le petit soldat à qui Napoléon Ier avait dit : « Retire-toi de là, imbécile », et qui raconta depuis, fièrement : « L’Empereur m’a parlé ! » Je n’ai pas eu la chance que le neveu ait remarqué ma présence. Il continua sa conversation. À peine s’il se sera aperçu d’un vague salut esquissé par mes doigts gelés. Ce n’est pas le patin qui me rendit bonapartiste.

L’impératrice

C’était une fête des yeux que son passage aux Champs-Élysées dans sa daumont, saluant à droite et à gauche avec une inclinaison de tête qui n’était qu’à elle, ou encore plus à notre aise, de la contempler dans une avant-scène à l’Opéra, aux Français, quand elle se penchait pour suivre commodément sur la scène le jeu des artistes en vedette : ce que je voyais d’elle n’était qu’un buste, mais admirable.

D’être belle, surtout pour une souveraine, ne dispense pas d’autres mérites. L’impératrice eut le cœur généreux. Les adversaires les plus convaincus de l’Empire rendirent hommage à l’empressement avec lequel elle alla spontanément à l’hôpital d’Amiens visiter les cholériques. Son budget de charité, tenu à jour avec un soin scrupuleux, allégea des infortunes respectables car elle s’ingéniait, après consultation près des œuvres de bienfaisance chargées d’enquêtes spéciales, à secourir les pauvres honteux. En outre je sais de bonne source que le jour où, exilée, elle n’eut plus à sa disposition les ressources d’une liste civile, elle ne cessa pas de faire verser chaque année une souscription importante à l’Office central des institutions charitables.

D’autre part, en ce qui touche sa valeur intellectuelle, et aussi son instruction, j’ai un témoignage curieux. Un homme très clairvoyant, Jean-Jacques Weiss, dont j’ai été, comme je le dirai plus tard, chef de cabinet au ministère des Beaux-Arts, ayant été très opposé à l’Empire avant son évolution libérale, me parla d’elle deux fois, après deux occasions où il avait pu la juger. La première fois, c’était au Salon de peinture de mai 1870 que la souveraine inaugurait. Weiss lui en avait fait les honneurs, remplaçant son ministre, Maurice Richard, empêché.

« Il est difficile, me confia-t-il le soir, de parler avec plus d’incompétence que l’impératrice de tableaux ou de statues ! Heureusement, le public et les artistes se sont tenus à une distance assez respectueuse d’elle pour ne pas l’entendre. »

En revanche, deux mois après, il me disait très ému :

« Je sors du conseil des ministres, l’impératrice régente présidait. Elle a été à la hauteur des circonstances tragiques que nous traversons. Impossible de s’exprimer avec plus de fermeté et de noblesse. C’est une grande patriote ! »

L’adversité la grandit encore. Je le prouverai un jour.

Napoléon III et l’impératrice dans le privé

Sans avoir eu, je vous l’ai dit, mes grandes et encore moins mes petites entrées aux Tuileries, j’ai pu recueillir quelques « précisions », grâce à quoi je ne me suis pas mis trop profondément, pardonnez-moi le mot, le doigt dans l’œil de bœuf impérial. Cette chronique galante m’a été faite par bribes, par des familiers du palais à qui je dois des anecdotes parfois suggestives et qui étaient sûrs de ma discrétion tant que les héros et héroïnes vivraient et eux aussi. Aujourd’hui que je peux parler, je n’en abuserai point. Mais si j’ai raconté mon souper avec Marguerite Bellanger et un camarade, c’est que ceux-ci se cachaient bien peu. Je ne dirai pas d’autres noms de professionnelles qui, du reste, se vantaient peut-être en mettant des heures à raconter les demi ou quarts d’heure d’attention césarienne, dont elles auraient été gratifiées, et encore moins citerai-je des femmes mariées. Dans l’ensemble Napoléon III ne rencontra pas la tendresse désintéressée d’une La Vallière. Il a eu cela de commun avec beaucoup de grands financiers et de directeurs de théâtre de n’être pas aimé pour lui-même, et comme ceux-ci il eut le bon sens de se contenter du simulacre. En tout cas aucune fille d’Ève ne le subjugua au point d’influencer sérieusement sa politique, soit en France soit à l’extérieur.

Si l’impératrice fut très malheureuse de ces fredaines, ses contemporains et ses contemporaines survivants sont d’accord pour déclarer, après Filon, qu’elle demeura « à l’austère devoir pieusement fidèle », comme il est dit dans le sonnet d’Arvers. Dieu sait pourtant qu’elle a été circonvenue par ces adorations qui la faisaient quelquefois sourire, car elle n’ignorait pas, par exemple, que tel ou tel représentant de la Prusse recevait de Berlin, entre autres instructions, celle de tomber amoureux de la souveraine dès le lendemain de sa lettre de crédit. L’un d’eux, le comte de Goltz, fut épris pour de bon. En tout cas, il joua naturellement ce rôle d’amoureux transi avec toute la grâce d’un exécutant du pas de l’oie et fit rire de lui toute la galerie.

Laissez-moi vous parler d’un hommage plus délicat et peut-être aussi plus flatteur pour la souveraine. Hortensius de Saint-Albin, bibliothécaire des Tuileries, a dit un soir devant moi, chez des amis communs :

« Je ne sais pas ce qui a passé hier dans la tête de l’impératrice. Elle qui n’a jamais demandé de livres sur les voyages dans les pays lointains, m’a prié de faire mettre sur sa table tout ce qui a été écrit sur les Antilles. »

J’avais appris le matin que le lieutenant de vaisseau des Varannes s’était embarqué pour l’Amérique du Sud la semaine précédente.

Or des Varannes était l’homme charmant, l’Hippolyte de Phèdre, « traînant tous les cœurs après soi », mais loin d’être leur bourreau comme le don Juan de Baudelaire jusque dans la barque à Caron, il était souvent leur martyr. Cette hypertrophie de sentiment pouvant nuire à sa carrière, « c’est pour son bien » – je ne plaisante pas – qu’une fameuse comédienne le détacha d’elle par un moyen ultra-prosaïque qu’il raconta, fondant en larmes, le jour même, à son ami le duc de Rivoli.

Au lendemain de cette rupture, son camarade d’école, Ch. Duperré, officier d’ordonnance de l’empereur, l’amena aux Tuileries. Le souverain l’intéressa à sa personne. Son service lui permettait d’approcher l’impératrice. Il l’aima discrètement. « Un chien regarde bien un évêque », a dit Edmond About, qui ajoutait : « L’évêque n’est pas toujours fâché d’être regardé du chien. » L’impératrice ne put pas ne pas être très touchée de ce culte muet. Mais il y eut des commérages à la suite desquels fut décidé l’embarquement dont je viens de parler et qui eut une issue fatale. Pour avoir quitté son bord et couru spontanément à Haïti où régnait la fièvre jaune afin de se tenir aux côtés du résident français, des Varannes gagna la contagion et mourut victime de son dévouement. L’impératrice envoya des fleurs aux obsèques. Un monument fut élevé à ses frais dans l’église de la commune d’Hunon, en Anjou, d’où le défunt était originaire. Sa mère, appelée aux Tuileries, fut l’objet des plus délicates attentions. Et la souveraine put parler à cœur ouvert de ce fils qui avait eu avec elle un petit roman sans paroles.

Outre le bibliothécaire Saint-Albin, j’ai connu un autre guide de l’impératrice pour les choses de l’esprit, Brachet, son lecteur. C’était un bénédictin laïque, en même temps qu’un étonnant visionnaire en politique. Il devait être le prophétique auteur de L’Italie qu’on voit et l’Italie qu’on ne voit pas, chapitre détaché d’une œuvre qui aurait pu occuper, vu son seul titre, dix existences d’écrivain : La psychologie comparée des peuples. Brachet avait été indiqué à l’impératrice par Duruy, qui se connaissait en jeunes hommes de mérite, quelques mois seulement avant la chute de l’Empire. Dans ce peu de semaines, il eut le temps d’exercer autour de lui son esprit d’observation et même de prendre des notes malheureusement perdues ou volées. Je me rappelle ce qu’il m’a dit de vive voix des lectures préférées de celle qu’il appelait, entre amis, la patronne : Dès la première séance, elle le prévint avec beaucoup de bonne grâce qu’elle n’avait pas lu Madame Bovary et ne tenait à connaître aucune œuvre licencieuse. Il n’alla donc pas avec elle, en fait de livres d’amour, beaucoup plus loin qu’Olympe de Clèves, et encore parce que c’était de l’histoire.

Brachet, comme psychologue, trouva aux Tuileries un magnifique sujet d’observation dans la personne de cet étrange Monsignor Bauer, juif converti (on appela son apostasie une nouvelle conversion du trois pour cent), très intelligent, très intrigant, dont l’impératrice fit dans les dernières années du règne un peu étourdiment son chapelain. Brachet ayant eu la curiosité compréhensible de chercher la raison pourquoi Mgr Bauer était entré dans les Ordres, la démêla dans toute une série de jugements portés devant lui par le chapelain sur les femmes en général. Se flattant lui-même d’être psychologue, Bauer s’était fait prêtre pour confesser. Et il confessait à la Balzac afin de pénétrer les secrets de l’éternel féminin. Les absolutions octroyées par ce dilettante ont dû être révisées par un tribunal de la pénitence plus sérieux que le sien.

C’est après la guerre seulement que j’ai eu l’honneur, et je puis dire le bonheur, d’être reçu célibataire, puis marié, chez la princesse Mathilde, dont j’espère parler un jour. Quant à son frère, le prince Napoléon, vous n’ignorez pas le mot de Napoléon III : « Je suis le seul bonapartiste de la famille ; l’impératrice est légitimiste et le prince Napoléon républicain. » Ce dernier qualificatif ne m’attira pas vers l’hôtel de l’avenue Montaigne, où celui qu’Edmond About appela « le César déclassé » frondait les actes de son impérial cousin en compagnie de députés et de journalistes démocrates. Du reste l’empereur était le plus indulgent des hommes, même pour sa famille de la main gauche, si bien que je crois imaginée cette réponse à la demande de son fils : « Papa, quelle est la différence entre un malheur et un accident ? – Ton oncle, le prince Napoléon, tombe à l’eau : c’est un accident ; on le retire : c’est un malheur. »

Les Murat

Tous trois, le général, Achille et Louis, ainsi que la duchesse de Mouchy, leur sœur, étaient absolument exempts de morgue et par là très populaires. On leur sut gré aussi de ce qu’étant très beaux tous les quatre, ils n’eurent jamais l’ombre, les uns de fatuité, l’autre de coquetterie.

J’ai soupé plus d’une fois avec Achille et Louis, surtout avec le dernier, mon cadet de quelques années. Son extrême jeunesse explique l’éblouissement ingénu que lui causa, lors de son premier souper, l’entrée dans un cabinet du Café Anglais de Cora Pearl et la facilité avec laquelle il lui attribua sinon toutes les vertus, du moins toutes les séductions. Cet enthousiasme lui passa aux Antilles où sa famille l’avait envoyé s’assagir, et au retour il a été le premier à en rire avec Cora elle-même quand le métier lui en laissait le temps.

Pierre Bonaparte

Juin 1870. – Paul de Cassagnac que je venais voir au Pays me dit un matin :

– Je t’emmène déjeuner.

– Où ?

– À Auteuil. Je t’ai annoncé. On te fera bon accueil.

– Une femme ?

– Ne t’échauffe pas… Le brave homme qui s’appelle le prince Pierre Bonaparte.

Je tombe de mon haut, sachant de notoriété publique que Pierre Bonaparte, ancien député de la Montagne jusqu’au 2 décembre, boudait depuis ce temps-là le régime dont Paul de Cassagnac était l’impétueux champion. Mais je savais aussi qu’amené par lui je ne regretterais pas d’avoir pris mon chapeau et de le suivre.

À table, nous n’étions que quatre avec le prince, Cassagnac et moi et un troisième convive nommé Ducoux, ancien collègue de Pierre Bonaparte à la Législative, où il siégeait près de lui, gros homme très moustachu, encore plus barbu, le type connu de ces gaillards de l’extrême gauche qui faisaient dire au président Dupin, invité par la droite à rappeler à l’ordre leur turbulence : « Comment les reconnaître ? Ils se cachent tous dans leurs barbes ! »

Pendant le repas, Ducoux nous donna des détails techniques et fastidieux sur le service des petites voitures dont il était le directeur. Pierre Bonaparte, en revanche, anima la conversation avec une rondeur bon enfant et désarma mes préventions réactionnaires, en ne prononçant pas un seul mot de politique. Au café, dans le salon, on causa duel à propos d’une récente rencontre de Cassagnac avec Ranc, à l’épée. Le prince déclara préférer le pistolet et, tout à coup se levant, il ouvrit toute grande la fenêtre sur son jardin qui s’étendait assez vaste et à l’extrémité duquel s’arrondissait une vaste plaque de tir en tôle, et nous proposa de « faire » quelques balles sans quitter notre place dans le salon, à vingt-cinq pas de la cible, distance de duel. Je tirai le premier : ma balle ne toucha que l’extrémité du bord de la plaque avant de s’enfouir dans le sable. Le prince et Cassagnac firent mouche.

C’est dans ce même salon, avec ce même pistolet, que le prince, à quelques jours de là, tua Victor Noir venu le provoquer au nom du citoyen de Fonvielle. Le mouvement de colère qui lui fit décharger son arme a-t-il été justifié par une voie de fait ou simplement par de grossières apostrophes ? Encore un de ces mystères que, même après un demi-siècle l’esprit de parti laisse intact. En ce qui me touche, je crois à la légitime défense. Ce qui est certain, en tout cas, c’est que la balle qui mit à mort Victor Noir ricocha terriblement sur l’Empire. « Il vaut mieux, a dit le président lui-même, ami du pouvoir, au procès jugé à Tours, n’avoir pas chez soi d’armes chargées, quand on est cousin de l’Empereur. »

CHAPITRE IILa femme du monde

Le cadre. – La toilette. – Grandeur et décadence de la crinoline. – Bals et soirées où j’allais. – Les redoutes d’Arsène Houssaye et de d’Osmond. – Chez Mme Rattazzi, née Bonaparte. – Les dîners en ville. – La surveillance maternelle. – Deux mots des belles-mères.

Le cadre

La curieuse exposition du Musée des Arts Décoratifs, au printemps de 1922, nous l’a exhibé en détail. La jeune génération a ri ou souri de ce qu’y est apparu de vieillot à son idée. En quoi elle a peut-être été un peu sévère. N’est-elle pas restée éternellement jolie, et aujourd’hui d’ailleurs introuvable, cette perse semée de fleurs gaies dont se couvraient les meubles, par exemple. Si d’autre part je vous accorde qu’on voyait bien des capitons, bien de la peluche, bien du velours, bien des tables et des coffrets incrustés de nacre, en bloc, beaucoup de Tahan et de Giroux, était-ce vraiment si vilain que cela tout cela ?

Y compris aussi la toilette féminine. Oui, je le sais, il faut tout d’abord régler le compte de la crinoline ! ce dôme dont déjà les caricatures du temps donnèrent suffisamment les plans, coupe et élévation de la hanche aux chevilles, les ressorts d’acier qui en faisaient un poids lourd, dont la porteuse ne savait pas toujours comment s’alléger quand elle était assise. Dans La Vie parisienne de Meilhac et Halévy, une cocotte personnifiée par la sémillante Elmire Paurelle mollement étendue sur un canapé, à côté du baron de Gondremark, gentilhomme suédois venu à Paris pour « s’en fourrer jusque-là », minaudait, le faisait à l’incomprise par la faute d’une société mal faite « qui ne donne pas à la femme une place suffisante ». Et, vlan ! d’un geste brusque de la main, elle envoyait sa crinoline sur le baron, le couvrait, l’engloutissait, lui en fourrait jusque-là. On n’entendait plus que son « J’étouffe » lamentable. J’ai rarement tant ri au théâtre que ce soir-là.

La crinoline s’effondra sous ces blagues, y compris les chansons de café-concert. Le ridicule tue, quoiqu’on en dise. Sa fin précéda de quelques mois la fin du Second Empire, mais elle fut moins brusque. Il y eut des étapes, des paliers, par exemple, la tournure. Puis, d’amincissements en amincissements, on arriva à cette autre antithèse de la crinoline, la robe fourreau. Vers 1875 une revue du marquis de Massa et de moi, au Cercle de l’Union Artistique, exhiba deux comédiennes campées à côté l’une de l’autre, celle-ci épanouie dans une crinoline, celle-là sanglée dans une sorte de parapluie fermé. Il y eut une stupeur dans la salle : « J’étais donc si laide que ça ! » s’exclama Mme de Pourtalès. Laide ! Ce cri fit rire par son invraisemblance, mais il fut la condamnation définitive même du souvenir de la crinoline. Entre nous et aussi entre parenthèses peu de jeunes gens du Second Empire l’apprécièrent. La nécessité de tourner autour d’elle imposait des distances bien involontairement respectueuses.

Il me semble que l’on est aujourd’hui plus indulgent pour elle, témoin ces charmantes lignes que j’ai découpées je ne sais plus où, inspirées par une visite au Musée des Arts Décoratifs :

« Les écharpes et les châles se balancent comme des ailes. Les dentelles frémissent, les franges ondulent, les volants frissonnent, les petits bustes s’érigent comme des pistils au-dessus de l’énorme corolle de la jupe ; l’étoffe gonflée, au gré vivant des valses et au rythme des polkas, s’enfle en tournant d’un seul côté comme la voilure d’un beau navire. Baudelaire d’ailleurs l’a chantée. Ô crinoline insensée, exemple de ce que l’imagination féminine a de déréglé et d’adorable, corolle à l’envers, coupe immense et renversée parmi l’écume des mousselines et des tulles, décente mais secrètement orgiaque, crinoline qui t’étales à souper à la fois sur les genoux du voisin de droite et le ventre de celui de gauche, tempête d’étoffe, océan de soie où Vénus se cache, tente ronde sous laquelle un sultan pourrait habiter, couvercle du réchaud sur lequel le plat fin mijote, feuilleté de Feuillet, rose aux cent pétales, campanule, gigantesque dôme des villes des Mille et Une Nuits, nuage rond tout prêt à devenir déesse, ô crinoline, on t’a méconnue ! »

Voilà qui est bien parlé. J’ajoute que le simple bon sens interdirait d’envelopper dans une simple jupe l’ensemble de la toilette féminine au temps de l’impératrice Eugénie. Pour ma part, n’ayant jamais pu, à la sortie d’un dîner en ville, d’une soirée, dire à âme qui vive si même la maîtresse de la maison était en blanc, en noir, ou en bleu, ou en vert, je vous demande la permission de passer la plume à une contemporaine avertie qui veut bien la caractériser, pour fixer mes idées concernant la toilette d’alors, par cette brève formule : Elle était avant tout féminine.

« Pourquoi ? Parce que d’abord nous étions encore des apprenties dans les sports masculins, ensuite et surtout parce que nous ne portions pas de jupes courtes attendu que c’est le costume requis pour ce qu’on appelle aujourd’hui le footing et que nous nous promenions bien rarement à pied. Quand nous manifestions le désir d’aller faire un tour de boulevard, nous prenions le bras d’un mari ou d’un frère et déambulions lentement du passage de l’Opéra à la chaussée d’Antin. Il était interdit par la bienséance, si nous nous trouvions seules par hasard ou avec une amie dans une rue à boutiques ou sur le boulevard de s’arrêter devant les devantures, surtout celles des bijoutiers, de crainte que quelque insolent ne prenne ce prétexte pour nous offrir son cœur et un bijou. Donc faute de footing et aussi parce que nous étions encore très peu « sports », la jupe courte et la chemisette aisée ne s’imposaient pas. D’une façon générale d’ailleurs j’ai connu le règne de la dentelle, des flots de rubans, des dessous de mousseline tuyautée et plissée, des cheveux bouclés se déroulant de chaque côté du visage. Nous avions la taille de guêpe, les épaules émergeant du corsage décolleté ; « le suivez-moi jeune homme », qui consistait dans deux bouts de ruban étroit passés autour du cou.

« En résumé, pas plus qu’aujourd’hui, nous ne faisions la mode. C’étaient nos couturiers et nos couturières qui nous déchargeaient de ce soin avec leurs dessinateurs, les marchands d’étoffe, etc., et nous n’y voyions que du feu. Comme aujourd’hui aussi, nous jetions les hauts cris devant une facture, nous demandions une augmentation de pension à nos maris, et terme et délais aux fournisseurs et tout finissait par s’arranger… La différence entre vous et nous est à votre détriment et illogique. Moins vos robes ont d’étoffe avec vos toilettes où l’on ne voit que vos oreilles, plus vous payez cher. »

La journée de la femme du monde

La matinée de la femme du monde se passait à recevoir des fournisseurs, car on entrait rarement chez une modiste ou chez une couturière (notez que les grands magasins n’existaient pas), on faisait travailler chez soi, comme l’impératrice, qui possédait aux Tuileries un véritable atelier de couture. Quelquefois même il lui était apporté des modèles à choisir et les essayages avaient lieu chez elle.

« Nous sortions peu le matin, me rappelle ma contemporaine, en dehors des meilleures d’entre nous qui avaient leurs pauvres. Après le déjeuner, lecture tranquille de romans exempts de piment. On recevait des intimes. Puis c’était la promenade, rarement à pied. »

Ensuite les visites, le tour du lac d’où l’on revenait assez vite, car on dînait à sept heures.

Après le dîner, en dehors du théâtre dont je parlerai aussi plus tard en détail, les bals et soirées à partir de Noël, de décembre à mai, entretenaient la nuit, dans les quartiers chics, une animation ininterrompue. Partout des fenêtres éclairées, va-et-vient incessant de voitures. Toute une vie nocturne, inconnue aujourd’hui à l’hiver parisien mondain.

Évidemment Mme Benoiton ne s’attardait pas tous les jours aux sermons du Père Félix. Maurice Donnay pensait sans doute à ce personnage de Sardou quand beaucoup plus tard, parlant de certains cinq à sept où l’on s’oublie dans les garçonnières, il a observé que c’est pour cela qu’on « dîne si tard dans les familles ». Mais cette épouse invisible dans son ménage était une providence pour les jeunes gens sans fortune. Moins qu’aujourd’hui, je crois, elle se plaignait de la dureté des temps.

La danse

« Un jeune homme doit savoir danser », disait avec raison ma mère avant de m’envoyer chez Laborde, maître de danse alors célèbre, rue de la Victoire. Laborde avait des matinées et des soirées. L’austérité des matinées où ne s’enseignait que de la chorégraphie décente, polka, valse à deux temps, alors à la mode, mazurka et bien entendu quadrille, était corrigée par les soirées du mercredi et surtout du dimanche tout à fait Ohé ! Ohé ! où le cancan échevelé remplaçait tapageusement les « lanciers » de l’après-midi.

Laborde et son « alter ego » Perin me confièrent à une jeune éducatrice qui s’appelait Fioretta ou peut-être Fiorina. Ce prénom, ou surnom, m’aguichait déjà. Des yeux d’Andalouse et une nuque d’ivoire où serpentaient des boucles d’un noir magnifique détournèrent encore plus vite mes pensées du but technique que ma mère m’avait assigné chez Laborde. Pendant que Mlle Fioretta ou Fiorina, la tête légèrement baissée observait attentivement la façon dont je plaçais mes pieds avant de s’élancer dans l’espace, mon admiration se fixait obstinément sur la nuque d’ivoire et les boucles de cheveux d’ébène. J’ai toujours ignoré si « ma professeur » fut flattée comme femme, mais, quand elle relevait la tête, je ne lisais guère dans ses yeux une vive satisfaction de m’avoir pour élève. Ce que je sais mieux, c’est que Laborde la donna à un autre que moi, qu’elle se laissa faire et que de dépit j’espaçai et finis par lâcher les matinées pour ne plus me montrer rue de la Victoire qu’aux soirs Ohé ! Ohé !

Par conséquent ne comptez pas sur moi comme reporter de bals et soirées en mon temps de jeunesse. À peine si à de longs intervalles, sur la pointe de mes pieds, et sur ceux de mes voisins faisant la haie comme moi, j’ai pu contempler l’entrée de deux enchanteresses, Mme de Villeneuve et la comtesse de Mercy-Argenteau. Je n’ai pas entendu le son de leur voix, mais qu’elles devaient donc dire de jolies choses s’il est vrai comme a dit Gautier que : « Le premier esprit d’une femme, c’est d’être belle. »

Donc, faute de renseignements à vous fournir de visu, laissez-moi passer la plume à ma contemporaine, pour vous parler du dernier bal des Tuileries dans l’hiver de 1870.

 

« Je n’y étais pas, mais j’ai souvent entendu parler ma sœur aînée du dernier bal des Tuileries donné dans l’hiver de 1870, où elle avait eu la bonne fortune d’être invitée. Elle m’a vanté l’étincelant éclairage, très doux en même temps, de ces lustres à bougies, les belles toilettes des dames qui faisaient la haie pour voir passer l’empereur et l’impératrice et qui saluaient la souveraine d’une révérence savamment étudiée. Ma sœur eut l’honneur de danser le premier quadrille devant Leurs Majestés assises sur des trônes élevés, disant un mot aimable à chaque couple qui passait.

« Comment était habillée ma sœur ? Vous pensez bien que, pour la circonstance, on s’était adressé à Worth, le grand couturier du moment. Robe bouffante en tulle blanc parsemé de guirlandes de boules de neige. Si occupée qu’elle fût de sa toilette, elle a retenu la révérence de la princesse de Metternich, si profonde qu’il sembla qu’un immense pouf s’écroulait sur le parquet. Après le départ des souverains, si accueillants qu’ils eussent été pour tout le monde, la détente de l’étiquette accentua encore la gaîté habituelle aux soupers par petites tables. Enfin, au départ, chacun retrouva facilement ses affaires au vestiaire, ce qui ne devait pas être toujours plus tard le cas de toutes les fêtes officielles. En résumé, charmante nuit, hélas ! qui n’a pas été suivie d’autres ».

Autre son de cloche

(Notes d’un invité, jeune orléaniste rallié à l’Empire libéral.)

« Mars 1870. – Dans mon costume de cour, culotte courte, bas de soie, le tout loué chez le costumier Baron, dont c’était la spécialité, je monte lentement l’escalier entre deux rangées de magnifiques Cent-Gardes, droits comme des statues, à chaque marche, le sabre au clair.

Que de mal pour arriver à la salle de danse au bout de laquelle se dressaient, sur une estrade, les deux fauteuils en forme de trône, destinés aux souverains ! Comme au théâtre, tout le monde se retourne vers une porte à deux battants, dès qu’on entend un huissier annoncer « l’Empereur !  » À ce moment forte bousculade. Peur bleue de me fiche par terre.

Je ne me fiche pas par terre, mais c’est à qui m’écrasera les deux pieds insuffisamment protégés par mes escarpins.

« Fête charmante… Si l’on m’y revoit ! »

Pour être tout à fait franc, je ne me suis vraiment diverti que dans certains bals costumés à la bonne franquette qui pendant tous les carnavals ont fait fureur. Les perruquiers fameux ne savaient plus où donner du peigne et les costumiers en renom, Babin en tête, n’avaient plus assez de « boxes » dans le jour pour dissimuler les uns aux autres, les messieurs et les dames qui venaient essayer leurs déguisements. On s’asseyait sur des monticules de pourpoints, on trébuchait sur les bas garnis.

Quel souvenir inoubliable aussi que les redoutes d’Arsène Houssaye, si « à la coule » ! Les deux immeubles avenue Friedland, se prêtaient à merveille à ces réceptions où courut le Tout-Paris mondain, littéraire, artistique. Grâce à des portes de communication, les deux hôtels n’en faisaient qu’un. L’un d’eux avait un locataire, homme à « la coule » aussi, lui qui acceptait d’être exproprié de sa chambre à coucher toute une nuit et même une partie de la matinée et allait dormir autre part. Car ces fêtes-là n’étaient pas de celles où l’on ne fait qu’entrer et sortir sans pourtant qu’on y ait levé le pied à la hauteur des tableaux du XVIIIe siècle, quelques-uns authentiques, accrochés de droite et de gauche le long des grands salons en enfilade. L’attrait du masque et des bêtises à dire dessous suppléait à celui de la danse, même échevelée.

Une brillante redoute a été donnée également vers 1866 ou 1867 chez le comte d’Osmond, viveur très brillant, à la physionomie ouverte, très fier de sa barbe à la Henri IV. Il avait eu une grande fortune qu’il ébrécha, mais pas au point d’être réduit à compter, pour vivre, sur les recettes de son opéra : Le Partisan, qui ne manquait pas, paraît-il, de mérite. Mais voyez ce que c’est d’être un amateur riche : d’Osmond n’a pas accepté de faire des coupures qui, en allégeant la pièce, l’eussent rendue peut-être rémunératrice.

Par ailleurs très brave, il n’avait que deux peurs : le chemin de fer d’abord. Il ne mit jamais le pied dans un wagon et il allait tous les ans dans sa calèche, visiter ses terres d’Autriche. Ensuite sa femme dont il avait été assez vite séparé. Quelques jours avant sa fête, je lui demandai deux invitations pour deux amies. Il me les accorda de très bonne grâce, mais ajouta : « Vous permettrez qu’au vestiaire je prie vos invitées de se démasquer devant moi, ce que je fais du reste pour toutes les autres. Sinon, qu’est-ce qui me garantit que je n’aurais pas ma femme chez moi avec un couteau. »

Je ne me rappelle plus pour quelle cause avait fait jour entre les deux époux une mésintelligence aboutissant à la rupture. Mais d’Osmond avait, paraît-il, des raisons de redouter au moins une explication orageuse.

À cela près, très philosophe. Il supportait le désagrément d’avoir un bras de moins pour cause de chevrotines reçues dans les muscles du coude en chassant la grosse bête, ce qui permit à son ami intime Galliffet de lui faire ce tour de le présenter comme suit à une altesse impériale, après la guerre de 1870 : « Mon ami, le comte d’Osmond, qui a perdu un bras à la chasse à courre. »

Mme Rattazzi

Par qui ai-je été introduit auprès de l’ex-comtesse de Solms devenue Mme Rattazzi, petite-fille de Lucien Bonaparte, mais persona ingrata aux Tuileries ? Je crois que ce fut par Arsène Houssaye, dont c’était le plaisir de collectionner les personnalités féminines à tort ou à raison un peu en marge. Elle avait été jolie et passa pour avoir de l’esprit. Je l’ai connue déjà mûre, sourde comme une pioche, mais ces deux infirmités ne diminuaient pas d’une once son inaltérable confiance en elle-même attestée par un sourire immuable et figé.

Pour une soirée qu’elle donna dans l’hôtel d’Aquila, avenue du bois de Boulogne, alors de l’Impératrice, elle avait fait envoyer, par qui ? des invitations à tout le monde dont moi et deux camarades dont l’un, le féroce plaisantin P.. Le long du rez-de-chaussée de l’hôtel trois salons se suivaient ; la maîtresse de maison recevait dans le dernier. À côté d’elle un grand valet de chambre italien recueillait les noms des invités pour les transmettre à la princesse. Mes camarades et moi, arrivés de bonne heure, traversons les deux premiers salons vides. L’affreux farceur P. qui nous précédait, arrivé devant la princesse, s’adressa au valet de pied qui répéta après lui : « Il signor de Robespierre et sa souite. »

La princesse nous sourit, bonne, sourde, et nous passâmes le long des autres salons également déserts, tout le monde s’étant rué vers le jardin.

Très animé le jardin. Ses coins et recoins parcimonieusement éclairés par des lanternes de couleur favorisaient plus spécialement ce soir-là les femmes d’âge incertain qui pouvaient avoir du vague à l’âme. De nombreux invités de tempérament moins immatériel s’étaient portés vers un petit pavillon au bout du jardin, l’affreux farceur ayant répandu le bruit qu’un souper allait être servi, assurant qu’il avait vu apporter des tables et entendu le cliquetis des assiettes. Sur quoi il exhortait à la patience et au piétinement sur place. Lui-même se mêla à la queue derrière les femmes les plus jeunes, sans avoir l’air de rien les pressait et s’excusait : « Désolé, Madame, on est si serré. » Mais il était seul à s’amuser. À la fin, l’impatience gagna les plus affamés et ceux du premier rang, donc le plus près de la porte du pavillon, tentèrent de l’ouvrir. Comme elle était fermée à clef, ils la secouèrent d’abord, essayèrent de l’enfoncer. Elle résista. Alors de sourds grognements grondèrent tout le long de la queue qui s’était allongée derrière nous, formidable. Un invité cria : « Je vais voir s’il y a quelque chose à manger à la cuisine », et il partit. L’affreux farceur calma de son mieux les jeunes femmes placées devant lui, en leur parlant à l’oreille, jusqu’au moment où l’invité qui s’était porté dans la direction de la cuisine, revint nous jeter ce bref communiqué : « Rien à bouffer que trois croûtes de pain rassis. » Tempête de clameurs, débandade générale, rapide retour par les salons déserts où la Rattazzi, toujours debout, avec son éternel sourire de sourde inconsciente, nous donna sa main à baiser. L’affreux farceur, souriant lui aussi, lui glissa doucement, sûr de n’être entendu que de nous et des domestiques : « Un joli four, chère Princesse, votre petite fête. Croyez-en Robespierre. »

Les dîners en ville

Je ne mendiais pas les invitations à dîner en ville. C’était le plus souvent pour moi service commandé par les convenances de famille. Non que j’aie le souvenir de menus par quoi j’ai reçu plus qu’un autre ce qu’on appelle aujourd’hui « un coup de fusil », mais que de fois j’ai eu hâte de voir arriver le dessert ! Je vais vous confier pourquoi.

Encadré, vu mon âge, entre deux jeunes filles, je me sentais guetté par un regard que deux mères inquiètes coulaient dans ma direction. Bien à tort. Je ne savais que dire à des voisines qui, après avoir répondu à mes questions scrupuleusement anodines par des « Oui, Monsieur », ou « Non, Monsieur », courbaient la tête sur leur assiette. Était-ce la peur de lâcher les mots pas toujours convenables, usités dans la mauvaise compagnie que nous fréquentions, qui nous retenait ; mais le mauvais sujet était alors plus respectueux dans son langage comme dans son maintien pour la jeune fille que le bon jeune homme. Aussi quelle gêne pour nous tout le temps du repas. Et quelle hâte, une fois la serviette laissée sur la table, d’aller courir vers les boudoirs poudrerizés, pour finir la soirée là où Théodore de Banville nous avait prévenu que

Les demoiselles chez Ozy
Ménées