Sur la route de la prière - Didier Rance - E-Book

Sur la route de la prière E-Book

Didier Rance

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Beschreibung

Isaac le Syrien (v.630 v. 700) est avec Éphrem le plus profond et le plus influent des Pères syriaques. Originaire du Golfe arabo-persique, moine puis évêque de Ninive, Isaac retourne rapidement et jusqu’à sa mort à la solitude du désert pour chercher Dieu avec rigueur, et en même temps une étonnante liberté. Ses Enseignements, qui ont été traduits en de nombreuses langues et ont nourri, au fil des siècles, toutes les Églises, révèlent un des plus grands auteurs spirituels chrétiens. Dans les passages traduits du syriaque et commentés dans ce livre, il conduit le lecteur Sur la route de la prière, du plus concret des attitudes extérieures jusqu’au plus secret de l’intériorité : ascèse, attitudes corporelles, règle de l’office, méditation de la Parole de Dieu, vagabondages de l’esprit, dispositions intérieures, larmes, silence. Cette démarche orante qui s’intériorise mène jusqu’à la prière pure et même au-delà, quand l’Esprit Saint seul mène finalement la route, et engloutit dans le ravissement en Dieu celui qui y parvient.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Didier Rance, diacre, historien et écrivain, a longtemps été responsable d’un organisme caritatif catholique. Il a publié "La Harpe de l’Esprit, Saint Éphrem, numéro 25" dans la collection « Manne des Pères » (2021).

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Sur la route de la prière

Textes d’Isaac le Syrien

Introduction, traduction du syriaque, Lexique et Jalons du diacre Didier Rance

Conventions

Titres

Les titres, sous-titres et intertitres présents dans la traduction n’appartiennent pas au texte patristique. Ils sont proposés pour faciliter la lecture.

Présentations

Chaque texte du florilège proposé ici est introduit par un ou plusieurs paragraphes en italique. S’ils ne se trouvent pas dans l’un des manuscrits originaux, mais sont rédigés par le traducteur, ils sont mis entre crochets.

Citations

Les citations bibliques sont imprimées en italique, les autres citations « entre guillemets ». Le texte biblique qu’utilisent les Pères est parfois différent du nôtre, d’où des divergences possibles de traduction.

Références bibliques

Les abréviations des livres bibliques sont celles que reprend la Traduction Officielle Liturgique (2013), et qu’on retrouve dans la plupart des Bibles françaises actuelles.Les numéros des chapitres et des versets correspondent à cette traduction. La numérotation des Psaumes, en particulier, reprend celle de la Bible grecque des Septante. Elle est la plupart du temps décalée d’une unité par rapport à la numérotation de la Bible hébraïque, que reprennent d’autres traductions. Par exemple : une citation du Ps 50, 1 selon la numérotation des Septante se trouvera au Ps 51, 1 dans la Bible de Jérusalem.

Références aux textes d’Isaac

Les numéros des textes traduits ici sont indiqués sous la forme T1, T2, etc., suivi du numéro de section imprimé en gras dans le texte : T1, 5 renvoie ainsi au premier texte traduit, au numéro 5. Pour les autres textes, I, II ou III indiquent la Partie des œuvres d’Isaac, et sont suivis du numéro de l’Enseignement : I, 3 renvoie à la Partie I, Enseignement 3. Pour l’important Enseignement II, 3, nous précisons aussi le numéro de la Centurie et le numéro de section : II, 3, 10, 25 renvoie à la Partie II, Enseignement 3, Centurie 10, numéro 25.

Lexique

À leur première apparition dans la traduction, les termes expliqués dans le Lexique sont suivis d’un astérisque (*).

Carte Le monde d’Isaac

Le monde d’Isaac

Citation

Prier, c’est aimer Dieu. Mais s’il est très facile de dire à son frère : « Aime Dieu », ce qui compte, c’est de savoir comment l’aimer.

Isaac le Syrien, Enseignements II, 3, 1, 36

Introduction

Isaac, dit « le Syrien » ou « de Ninive », a vécu au viie siècle, et fut un simple moine de l’Église syrienne orientale, à part quelques mois d’un épiscopat malheureux à Ninive. Ses œuvres ont été traduites dans la plupart des langues parlées au fil des siècles par les chrétiens. Elles ont assuré sa renommée et son influence sur la spiritualité chrétienne, relancée depuis trois décennies par la redécouverte d’une partie importante de son œuvre.

Quand il parle de la prière, Isaac prend son lecteur par la main. Il part des réalités les plus concrètes : les attitudes corporelles, les temps et lieux, les paroles, le silence, les larmes, mais aussi les distractions (qu’il appelle « vagabondages »), les tentations et toutes sortes de difficultés, ainsi que leurs antidotes. Il conduit ensuite son lecteur jusqu’aux sommets de la prière et même au-delà, dans le saisissement par l’Esprit Saint et l’union avec le Dieu d’amour. Marcher avec lui sur la route de la prière, c’est découvrir comment ont prié et continuent de prier les moines de son Église et des Églises orientales en général. C’est aussi être invité à approfondir notre propre prière comme route d’amour à la rencontre de Dieu qui nous aime, que l’on soit ermite comme il le fut, moine ou moniale, religieux ou religieuse, évêque, prêtre, diacre ou fidèle laïc.

Le contexte

Le siècle d’Isaac voit, à ses débuts, la fin du pontificat de Grégoire le Grand à Rome, tandis que Dagobert Ier (le « bon roi Dagobert ») unifie le royaume des Francs, bientôt aux mains des maires du palais. En Afrique, le Maghreb va être conquis par les arabo-musulmans à partir de 670, et des exilés iront fonder sur le fleuve Niger le premier royaume Songhaï. En Chine, ce sont les débuts de la grande dynastie Tang qui va régner trois siècles, alors que les Amériques voient l’apogée de la civilisation Maya.

Au Moyen-Orient, ce siècle connaît une succession rapide d’empires, le Byzantin qui se redresse avec Héraclius puis décline à nouveau, le Perse sassanide dont l’apogée précède de peu la ruine complète, puis l’Arabo-musulman qui va s’étendre en quelques générations de l’Espagne et des Pyrénées à la Chine. Dès 636, les Byzantins sont écrasés par l’armée musulmane ; la Syrie et la Palestine tombent. L’armée des Perses est anéantie la même année et Ctésiphon, la capitale de leur empire, est prise quelques mois plus tard ; en 651, la conquête de l’empire Perse sassanide est achevée. Les populations sont sidérées par cette conquête éclair et on peut lire dans une chronique du Bêt Huzayé (l’actuel Khouzistan), où Isaac vivra ses dernières décennies : « Dieu suscita alors une invasion des fils d’Ismaël, innombrables comme les grains de sable sur le rivage… Ni rempart, ni porte, ni arme, ni bouclier ne pouvaient leur résister. » Mais bientôt les conquérants se déchirent entre eux, pendant des décennies.

Isaac a donc vécu à une époque d’effondrements d’empires, de guerres incessantes et de malheurs des peuples. Cependant, on cherchera en vain dans toute son œuvre des réflexions ou des allusions précises aux troubles de cette époque et à ses changements politiques et sociaux. Il offre mieux : « Il a su discerner dans les plis de cette histoire si précaire et incertaine (comme la nôtre) le reflet d’une espérance certaine » (Sabino Chialà), fondée sur Dieu seul.

On reconnaît facilement sous le vocable de « Bêt Qatrayé », nom de la région où Isaac est né vers 630, l’actuel Qatar1 ; mais le terme désigne alors toute la côte occidentale du Golfe Persique. La région est très mélangée : tribus arabes, Araméens chrétiens de langue syriaque2, Persans. Jusqu’à la naissance d’Isaac, elle fait partie de l’empire Perse, mais Mahomet y envoie un de ses généraux qui conquiert la région et convertit les tribus arabes à l’Islam. Isaac passera sa vie dans des territoires sous domination arabo-musulmane.

Les chrétiens du Bêt Qatrayé sont membres de l’« Église de l’Orient » (appelée aussi syrienne orientale)3 qui rayonne alors au sud jusqu’aux actuels Émirats arabes unis, Oman et Yémen, et qui s’implante depuis la Mésopotamie jusqu’en Asie centrale, Inde et Chine. Dans le nord de l’Irak actuel, les Syriens orientaux doivent cohabiter avec les Syriens occidentaux qui sont à cheval sur les deux empires Byzantin et Sassanide, là où Isaac sera l’éphémère évêque de Ninive.

La conquête arabo-musulmane a été plutôt bien accueillie par les chrétiens du Moyen-Orient, qui y voient leur libération des pouvoirs liés, soit à l’orthodoxie chalcédonienne byzantine (en Égypte, Syrie, Palestine), soit au zoroastrisme perse (en Irak, Iran et dans le Golfe) ; en outre, l’islam apparaît d’abord comme une hérésie chrétienne de plus (ainsi pour Jean Damascène, peu après l’époque d’Isaac). Un des prédécesseurs d’Isaac comme évêque de Ninive, Mar Emmeh, aurait même ravitaillé les conquérants et gagné ainsi leur soutien, quelques années plus tard, pour devenir catholicos (patriarche) de son Église.

La conduite de nombre d’évêques de l’Église de l’Orient apparaît souvent peu reluisante, entre complaisance vis-à-vis des puissants, corruption des mœurs, amour du pouvoir et séduction de l’argent. Les bouleversements politiques jouent aussi un rôle important dans le schisme qui divise cette Église juste après la conquête musulmane et pour quatre décennies, entre un Irak fidèle au patriarche et le sud, dont le Bêt Qatrayé, qui récuse son autorité. Les passages à l’islam ne tardent pas dans les rangs des chrétiens assommés par ce schisme. Celui-ci ne sera résorbé qu’en 676 par le patriarche Gewargis (Georges) Ier. Mais pas plus que les événements politiques, les troubles religieux de son époque n’ont laissé de traces directes dans l’œuvre d’Isaac.

Isaac fut moine de sa jeunesse à sa mort. Le monachisme syrien auquel il appartient était bien vivant, comme en témoigne, dès le ive siècle, un développement original, surtout dans les villes : les « Fils et Filles du Pacte » d’Aphraate et d’Éphrem4. Il tombe ensuite en déclin dans l’Église d’Orient, et on voit même au ve siècle le mariage imposé aux moines comme aux prêtres et aux évêques, à l’instigation de Barsauma ! Mais un siècle plus tard, Abraham de Kashkar refonde la vie monastique : surnommé le « Père des moines », il est pour son Église l’équivalent de Pacôme, Basile ou Benoît ailleurs. Il laisse une règle et une cinquantaine de monastères surgis de terre. Ceux-ci sont bâtis loin des villes et comprennent un bâtiment central (église, réfectoire et noviciat) ainsi que des cellules isolées, souvent dans la montagne. Les candidats à la vie monastique séjournent d’abord trois ans dans le noviciat où ils apprennent les fondements de la prière et de la conduite fraternelle, le sens de leur habit et l’humilité comme mode de vie. Ceux qui persévèrent acquièrent ainsi un sens communautaire dont ils auront d’autant plus besoin qu’ils seront ensuite des solitaires, et ne se retrouveront en général que pour l’office, la Liturgie dominicale et les repas.

Une vie peu connue

Nous ne savons quasiment rien de la vie d’Isaac, sinon grâce à deux courts récits de chroniques, l’une qui lui est postérieure d’environ deux siècles, l’autre non datée. Né dans le Bêt Qatrayé, il devient moine jeune et sera chargé d’enseignement. Puis il part dans le Bêt Huzayé. Nous le retrouvons à nouveau dans le Bêt Qatrayé un quart de siècle plus tard en compagnie du patriarche Gewargis Ier. Ils remontent ensemble au nord, et le patriarche consacre Isaac comme évêque de Ninive. C’est un siège prestigieux : l’ancienne capitale de l’empire Assyrien était certes entrée depuis longtemps en décadence, et même en ruine aux premiers siècles de notre ère, mais c’est la ville du prophète Jonas, et le renom du livre qui porte son nom rejaillit sur elle. Elle connaît à l’époque sassanide un nouvel essor et abrite de nombreux chrétiens. Mais les conquérants arabes qui la prennent en 641 fondent et développent sa voisine Mossoul, qui va peu à peu reléguer Ninive au rang de simple banlieue.

Évêque de Ninive, Isaac y gagne un de ses surnoms (Isaac de Ninive), mais il ne reste que cinq mois sur son siège. Pourquoi ? « Dieu seul le sait » soupire un des chroniqueurs. Un autre précise qu’il « ne réussit pas à porter le soin de sa communauté, à cause de son intellect subtil et de sa ferveur », ce qui semble indiquer qu’Isaac n’était pas fait pour administrer un diocèse, surtout divisé. Il faut peut-être aussi y voir les soubresauts du schisme tout juste résorbé : le Bêt Qatrayé n’a pas bonne réputation dans le nord de la Mésopotamie.

Quoi qu’il en soit, Isaac quitte la région et repart comme simple moine vers le Bêt Huzayé, d’abord dans la montagne de Matout puis, à une date inconnue et peut-être tardive, dans le monastère fondé par Rabban Shapur (un disciple d’Abraham de Kashkar de la seconde génération), et situé sur la montagne au-dessus de Shushtar5. Ce monastère qui prend le nom de son fondateur se distingue par sa rigueur, son austérité, l’humilité promue comme vertu essentielle des moines. Ceux-ci ont un minimum de contact entre eux, et le silence est de règle, mais ils accueillent tous les hôtes de passage. Ils ne gardent pour eux ni argent ni biens fonciers, vivent de leur travail et distribuent les aumônes qu’ils reçoivent aux veuves, aux orphelins, aux indigents. Rabban-Shapur est aussi l’épicentre de l’âge d’or de la mystique syrienne orientale, et deux autres de ses grandes figures y sont moines à la même époque qu’Isaac : Dadisho, auteur d’un important Discours sur la solitude dont l’enseignement converge avec celui d’Isaac, et Shem’on di Taibouteh, dont l’ouvrage sur la grâce divine a longtemps été attribué à ce dernier.

Isaac s’intègre avec peine à Rabban-Shapur, sans qu’on connaisse les raisons exactes de ses difficultés, peut-être liées, à cause de sa rigueur, aux problèmes qui conduisent le supérieur à limiter les temps communautaires et liturgiques : seuls la vigile de la nuit du samedi au dimanche, le repas et la Liturgie dominicale sont communs.

Une chronique signale qu’Isaac est critiqué par Daniel, évêque de Bêt Garmai (actuelle région de Kirkouk), et en butte à la jalousie d’évêques de Perse. Mais l’essentiel des dernières décennies de sa vie est ailleurs, dans sa rigueur ascétique et ses jeûnes (trois pains par semaine avec quelques légumes crus pour seule nourriture), la pratique persévérante de l’Écriture Sainte (il perd la vue à force de la scruter6) et, surtout, dans sa vie de prière et ses enseignements que notent sans doute des disciples. Sa réputation franchit les limites du monastère avant même sa mort. Devenu très âgé, il meurt sans doute vers 700, ou peu après. Il est enterré à Rabban-Shapur, mais comme le monastère sera plus tard détruit, on ignore aujourd’hui l’emplacement de sa tombe.

Les écrits

Les œuvres d’Isaac (memre en syriaque) ont été diversement baptisées par leurs traducteurs : Discours, Discours ascétiques, Discours spirituels, Œuvres spirituelles, Traités mystiques,Chapitres ; le terme Enseignements semble le mieux correspondre à leur contenu7.

Elles ont été réunies en cinq Parties ou Collections. La Première Partie comprend 82 sections, et a été rapidement traduite en grec et partout diffusée. Les autres Parties n’ont pas eu le même destin, et ont été peu à peu perdues, sauf dans des manuscrits de quelques monastères. Mais en 1983 le professeur Sebastian Brock découvre un manuscrit de la Seconde Partie dans la bibliothèque Bodléienne d’Oxford, et bientôt le publie et le traduit. Cette Partie comprend 41 Enseignements (tous originaux sauf deux) qui précisent souvent les thèmes de la PremièrePartie. Cette découverte est rapidement suivie de celle d’un manuscrit de la Troisième Partie – 17 Enseignements dont 14 originaux, publiés et traduits par Sabino Chialà – et de deux manuscrits de la Cinquième Partie. On peut espérer d’autres découvertes.

Le caractère personnel des écrits d’Isaac est grand (cf. p. 113-114), mais pour mettre en mots son expérience, il recourt à sa vaste culture monastique, textes ascétiques et mystiques écrits en syriaque ou traduits dans cette langue. Parmi ses sources syriaques, il faut citer Aphraate, Éphrem et Narsaï ; parmi ses sources grecques, les Apophtegmes des Pères, Abba Isaïe, Marc l’Ermite, Macaire, Moïse l’Éthiopien, Basile et le Pseudo-Denys. Il est surtout influencé par trois auteurs : le Syrien Jean d’Apamée et les Grecs Évagre et Théodore de Mopsueste, les deux premiers comme auteurs spirituels, le troisième comme exégète. Il prend au premier le schéma tripartite de la vie spirituelle qui irrigue toute son œuvre, et la conviction que le but de notre vie est de réaliser le plus possible, dès ici-bas, celle de Jésus ressuscité. Il appuie sa conception de la vie monastique et spirituelle sur le second, comme Jean Cassien l’a fait en Occident. Il cite le troisième comme maître officiel de l’exégèse dans son Église.

La postérité

Les écrits d’Isaac circulent rapidement parmi les moines de son Église. Joseph Hazzaya, né à l’époque de sa mort, évoque déjà sa renommée « parmi les saints », et un moine anonyme le proclame « maître et enseignant de tous les moines et port du salut pour le monde entier ». De fait, ses écrits franchissent les frontières de sa région, par l’intermédiaire de moines de langue syriaque du plus célèbre monastère de Palestine : Mar Saba. Quelques générations après sa mort, Abraham et Patrikios traduisent en grec la Première Partie 8. Isaac doit son rayonnement séculaire, en dehors de son Église, à leur traduction.

Au xie siècle, un célèbre recueil de textes monastiques, le Patericon de Paul Evergétinos, en publie des extraits et fait d’Isaac un Père orthodoxe. À travers Syméon le Nouveau Théologien, la théologie et la spiritualité byzantine sont irriguées par sa pensée, jusqu’à l’épanouissement de l’hésychasme9 qui lui doit tant. Bientôt, des traductions en arabe, en géorgien, en slavon, en sogdien10 et en latin, la diffusent bien au-delà du monde grec, en particulier dans le monde russe. Un des compagnons du second voyage de Christophe Colomb, Bernardo Boyel (ou : Boïl), emmène avec lui une traduction en catalan réalisée par ses soins. La fin du xixe siècle et le début du suivant voient de nouvelles traductions en diverses langues européennes et en japonais. Plus récemment, les découvertes de la Seconde et de la Troisième Parties conduisent à une explosion de traductions et d’études.

Le rayonnement d’Isaac dans les milieux monastiques grecs et russes est grand aujourd’hui, à l’Athos ou ailleurs, mais aussi en Occident latin, tandis que le rénovateur de la vie monastique copte, Matta al-Maskine, le rend populaire en Égypte. Isaac est ainsi, directement ou non, un maillon dans une chaîne d’auteurs monastiques maîtres de prière qui traverse les siècles, par exemple Ruusbroec et l’auteur anonyme du Nuage d’Inconnaissance au Moyen Âge, ou encore le chartreux Augustin Guillerand et les cisterciens Jérôme Kiefer et André Louf au xxe siècle.

Mais ses lecteurs dépassent de loin le milieu monastique ou religieux. Vecteur inattendu : Dostoïevski, qui le pratique avec ferveur (on peut même dire qu’il lit la Bible avec ses yeux) et insiste après lui, dans Les frères Karamazov et ailleurs, sur l’amour et la compassion universelle de Dieu, son pardon toujours plus fort, et sa volonté de salut pour tous. Les nombreux lecteurs de Dostoïevski reçoivent ainsi quelque chose d’Isaac.

Aujourd’hui, les écrits monastiques d’Isaac sont de plus en plus lus, médités, ruminés, étudiés, et ils inspirent bien des moines, mais aussi bien des chrétiens de toutes conditions et confessions, illustrant ainsi la vérité paradoxale cachée dans cette déclaration de Jean Chrysostome : « Quand le Christ ordonne de suivre la voie étroite, il s’adresse à tous. Ceux qui vivent dans le monde, bien que mariés, doivent pour tout le reste ressembler aux moines. »11

Textes sur la prière

Comme son titre l’indique – Sur la route de la prière, Textes d’Isaac le Syrien –, cet ouvrage présente une sélection autour du thème de la prière. Ils sont proposés suivant l’ordre des Parties des Enseignements d’Isaac12.Ces œuvres, et donc aussi cette sélection, n’offrent pas un traité systématique et ordonné sur la prière contemplative, mais proposent une marche dans les thématiques liées à la prière. Il n’y a pas d’ordre logique ou progressif, ni entre les différentes Parties, ni à l’intérieur de chaque Partie. Le même thème peut se retrouver d’un Enseignement à l’autre. De plus, ni les variations dans le vocabulaire, ni les écarts, ni ce qui peut sembler des contradictions, ne font peurà Isaac. Un exemple parmi d’autres : il affirme dans un Enseignement que c’est un blasphème de parler de « prière spirituelle » (T3, 10) ; or il le fait lui-même ailleurs : « Il y a la prière pure et la prière spirituelle. » (III, 16.) Mais il y a chez lui bien mieux qu’un traité sur la prière contemplative : un témoignage sur l’expérience d’une vie consacrée à la prière, unifiée par la tradition des Pères et un amour fou de Dieu.

La sélection proposée ici comprend trois Enseignements complets (T3, T6, T7), trois extraits d’autres Enseignements (T1, T2, T4), quelques textes de la 4eCenturie du troisième Enseignement de la Seconde Partie (T5), et une sélection de prières (T8).

Ces textes illustrent les thèmes majeurs de la route de prière contemplative :

– L’itinéraire, ses étapes et ses relais entre deux étapes ;

– L’équipement et le « carburant » nécessaires pour entreprendre et poursuivre ce voyage : humilité, solitude, office, méditation de la Parole, silence, quiétude ;

– Les obstacles et les combats à mener pour avancer sur cette route ;