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Jusqu’où peut-on aller pour assouvir sa passion d’enfance au sujet des stars du cinéma et du show-business ? À l’âge adulte, même si leur rencontre met des étoiles plein les yeux, la vie, dans sa brutalité et à la fois sa douceur, ne nous oblige-t-elle pas constamment à nous remettre en question ? Après une carrière d’organisateur d’évènements culturels très médiatiques, décider à cinquante ans de devenir soi-même artiste est sans doute la meilleure réponse que Jacques Ktorza apporte à ces interrogations.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jacques Ktorza arbore plusieurs casquettes – journaliste, directeur de la Communication – au cours de sa vie professionnelle. Après de nombreuses années au Lido puis à L’Olympia, il organise des remises de Légions d’honneur au Palais de l’Élysée ainsi qu’au Ministère de la Culture. Aujourd’hui, auteur-compositeur-interprète en chanson française, il célèbre « quinze ans de scène ».
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Seitenzahl: 336
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Jacques Ktorza
Sur un chemin d’étoiles
« Souvenirs professionnels et personnels
d’un fan de stars »
Autobiographie
© Lys Bleu Éditions – Jacques Ktorza
ISBN : 979-10-377-8075-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
À ma Maman,
À ma douce Amélia,
À tous les fans de stars,
À tous les artistes en devenir,
Et à tous ceux qui ne me connaissent que superficiellement.
Pendant quelques années, la fidèle présence et le regard émerveillé d’un jeune garçon à la sortie des artistes de l’émission « Télé Dimanche » que je co-présentais avec Raymond Marcillac, attirèrent mon attention. De plus, chaque dimanche après-midi, il arrivait avec un petit cadeau pour moi, des miniatures en porcelaine, que je glissais dans ma poche comme un porte-bonheur pour que l’émission se passe bien.
L’intérêt marqué de ce jeune garçon venu de Tunisie pour le show-biz, il l’a organisé astucieusement en faisant des studios et plateaux télé, carrefours incontournables des vedettes du spectacle, ses lieux d’observations et de rencontres pour approcher les stars qui le faisaient rêver.
La stratégie se révéla payante et peu de vedettes françaises, ou étrangères, échappèrent à son ingénieuse approche.
La suite, il ne la doit qu’à son talent, son intelligence, son abnégation, qui lui ont permis d’appréhender tous les métiers du spectacle.
Mais pour que l’histoire soit encore plus belle, il fallait qu’après avoir rêvé des plus grandes stars, son parcours exceptionnel devienne un exemple pour certains jeunes d’aujourd’hui, afin qu’ils s’engagent à leur tour Sur un chemin d’étoiles.
Denise Fabre
Ce récit autobiographique, très modestement philosophique, met l’accent sur la passion d’un homme, depuis l’enfance, pour les stars de cinéma et du spectacle d’où, pour elles, sa vocation d’organisateur d’événements de prestige.
Au début des années 2000, il lui faut affronter la difficulté de passer du statut de cadre supérieur salarié à celui de demandeur d’emploi, puis de RMIste.
Ce livre traite aussi de l’analyse que l’on vient à se faire sur la disparition d’êtres chers, sur l’éloignement d’amis engendré par le changement de niveau de vie, sur l’indifférence des relations professionnelles à l’égard de votre détresse, sur la grande complexité de retrouver du travail ainsi que d’être toujours dans le désir de l’autre passé quarante-cinq ans et, bien entendu, sur le besoin de parler de tout ça avec quelqu’un.
Toutes ces bascules successives qui peuvent se produire dans une vie, dont la plus difficile à assumer est celle du changement radical d’environnement social, notamment en passant du milieu privilégié des stars du show-business à celui des laissés pour compte de la société, permettent de réfléchir sur la condition d’être humain, attiré dès l’enfance par tout ce qui brille. Un peu à l’image de cette bonne étoile qui guide pendant des années avant de disparaître pour longtemps, laissant derrière elle, un ciel vide et infini.
Les autres étoiles, celles du cinéma et du spectacle, peuvent bien continuer à éclairer les nuits blanches, cela n’atténue que temporairement le mal-être d’avoir perdu tout ce que l’on a reçu en abondance avant la chute.
Paradoxalement, il en découle une envie de vivre plus forte que jamais, un regard neuf sur le monde qui nous entoure, un nouvel état d’esprit empreint de tolérance, d’ouverture sur les autres et d’envie de partage. Une application quotidienne à relativiser chaque événement troublant pour n’en tirer que le positif et, surtout, une incroyable confiance en des jours meilleurs.
Tout comme l’idée de tout reprendre à zéro, à cinquante ans, avec une nouvelle vocation professionnelle, laissée en veilleuse depuis l’enfance. Cela suffit à insuffler l’énergie nécessaire à rester debout et à avancer, coûte que coûte.
Jacques Ktorza
Sur le fil de ma vie, faire une pause.
Demi-tour sur soi et observer le chemin parcouru sans perdre l’équilibre, mais plutôt pour le retrouver. Ce sont toujours les événements les plus marquants qui rejaillissent en premier. Et, parmi eux, ce curieux début des années 2000, qui préfigurait un tsunami dans ma vie sociale.
C’est décidé, chère page blanche, c’est à toi que je vais désormais confier tous ces multiples émois qui m’ont construit, déconstruit puis reconstruit.
J’avais commencé à le faire avec des amis. Mais les amis, bien souvent, n’écoutent que ce qu’ils veulent bien écouter, trouvent toujours des similitudes avec ce qu’ils ont vécu eux-mêmes et, de ce fait, tirent parfois des conclusions quelque peu hâtives et radicales qui n’impliquent que leur propre sensibilité.
Alors, entre la compassion passive et la réactivité trop personnelle, les amis se montrent quelques fois peu concernés par la détresse psychologique de l’autre, qu’ils jugent en partie responsable de son état et dont la complexité les rassure par rapport à leurs propres problèmes existentiels.
Fort heureusement, il en est certains qui ne confirment pas cette règle mais pour lesquels, avec le temps, par peur de les lasser puis de les perdre, on éprouve des scrupules à être toujours celui qui se lamente.
Alors il faut que tout aille mieux, c’est une question de survie ! Et l’on voit revenir à soi, petit à petit, les uns et les autres, simplement parce que l’on change de discours.
Mais garder pour soi sa détresse n’est pas encore la solution. D’autant que si des preuves évidentes, donc palpables, de ce mieux-être ne sont pas réellement visibles par ces mêmes amis, ils hésitent encore à réintégrer au sein de leur groupe quelqu’un de fragile moralement et financièrement. Ou alors cela se fait par compassion excessive, ce qui est bien pire que de se sentir mis à l’écart.
Il faut donc apprendre à gérer ses ambiguïtés et celles des autres. Il faut surtout donner priorité à un projet, qu’il soit professionnel ou personnel. L’attitude des uns et des autres devient alors secondaire, tout comme leurs propositions de sorties deviennent un plus dans un quotidien assez monotone, sur le plan amical.
Le projet de vie que l’on s’est fixé doit être le centre de tout, même s’il suscite scepticisme, moquerie ou incompréhension de la part de ces mêmes amis, voire de ses relations professionnelles. Le courage de tout remettre en question, la volonté et la détermination d’y arriver coûte que coûte font glisser sarcasmes et pessimisme.
Bien sûr, il y a la famille, les proches comme on dit. Et si l’on n’a ni femme, ni enfant, ni même compagnon de route, il reste un père, une mère, des frères et des sœurs mais, là encore, sans aucune garantie de neutralité dans le propos ou dans la plus simple des compréhensions, car la rivalité au sein d’une fratrie est légendaire. L’aîné se pose toujours en modèle de référence et les autres, qui ne veulent pas être en reste, en persifleurs de service régulièrement prompts à envoyer une joute verbale qui blesse autant qu’une flèche en plein cœur.
Restent le père et la mère. Le premier peut se montrer fataliste ou bien, au contraire, intransigeant au point de faire fi de la détresse de sa progéniture. Quant à la seconde, elle peut être plus maternelle que jamais tout en restant étrangère au fond du problème qui la dépasse, tout simplement parce que ne faisant pas partie de ses expériences de vie. Elle n’en devient pas moins la meilleure alliée de son enfant meurtri.
Mais comme toute maman sensible, elle est fragile et l’on se garde bien de trop surcharger son cœur déjà bien lourd. Alors, on en parle de moins en moins, on en fait de plus en plus pour la rassurer et on décide de se tourner vers quelqu’un de neutre et d’étranger à sa vie dont la profession est de nous faire parler avec, en retour, une grande qualité d’écoute et peut-être aussi la clé de tous ses maux.
C’est le psychothérapeute.
J’en ai essayé trois. Avec le premier j’étais incapable de me concentrer, partant immédiatement dans un fou-rire incontrôlable dès que, face à lui, je découvrais la mine déconfite qui lui semblait bon d’adopter pour recueillir le mal-être d’autrui. Son physique disgracieux bien que sympathique me faisait penser à la caricature d’un psy binoclard imaginée par Woody Allen. De plus, il était victime d’un tic récurant, sorte de raclement de gorge qui ponctuait presque systématiquement chacune des révélations que je faisais. C’en était trop pour garder mon sérieux car j’avais vraiment l’impression de vivre une scène de film comique à la Mel Brooks. Je n’ai jamais osé lui avouer la véritable raison de ce fou-rire systématique que nous finissions par partager, lui riant de me voir rire, moi riant de le voir tout court.
La boîte de mouchoirs en papier posée sur son bureau servait à éponger nos pleurs… de rire ! La scène se reproduisit quatre ou cinq fois bien que, pour contrôler au maximum mes émotions, je m’efforçais avant chaque séance de crisper mon visage et de mordre mes lèvres. Mais dès qu’il apparaissait, c’était foutu. Sans doute a-t-il fini par soupçonner que son physique et son allure provoquaient en moi un tel déchaînement de zygomatiques et, pour éviter de le blesser davantage, je mis un terme à notre rendez-vous hebdomadaire prétextant n’être pas encore tout à fait prêt pour une thérapie.
Le second se prenait très au sérieux, semblait n’écouter que d’une oreille, consultait régulièrement son bracelet-montre posé sur le bureau et avait quelques fois des avis bien tranchés sur la manière du commun des mortels à gérer et à analyser ses émotions. Tout en m’écoutant, il parcourait son agenda, y inscrivait des notes personnelles, classait ses dossiers et devant mon agacement à peine dissimulé, balançait froidement que sur vingt ou vingt-cinq minutes de séance, il n’y en avait que deux ou trois d’intéressantes pour faire un vrai travail d’introspection. Cela me conforta dans l’idée que j’étais en train de parler dans le vide. À raison d’une séance tous les quinze jours pour cause d’agenda surchargé de sa part, de plus fréquemment annulée par lui, je me suis vite lassé d’être à sa disposition plutôt que l’inverse. M’étant fait expliquer explicitement que personne ne peut changer personne et que ma lucidité sur les choses était à la fois ma meilleure garantie de survie et ma pire ennemie, je décidai avec son approbation de suspendre quelque temps nos séances pour ne les reprendre que ponctuellement en cas de gros coup dur à gérer. Mais, même en pareille situation, il ne se montrait que très peu concerné par ma démarche. Les grandes vacances m’ont aidé à tirer un trait définitif sur cette relation qui n’aboutissait à rien.
Déçu par les amis, échaudé par la famille et désormais méfiant vis-à-vis des psychothérapeutes, je pris le parti d’analyser seul les déconvenues de ma vie et de n’offrir que le meilleur de moi-même à mon entourage.
Mais c’était sans compter la bascule.
Celle-ci arriva sournoisement. Il y avait déjà eu un licenciement abusif sous couvert de restructuration interne dans l’établissement pourtant prestigieux où je travaillais, le célèbre music-hall parisien l’Olympia, une salle dite « mythique ». J’obtins gain de cause auprès des prud’hommes mais une période de chômage s’en suivit pendant laquelle je n’eus de cesse de faire valoir mes compétences et mon expérience professionnelle dans le domaine de la communication événementielle. Mon curriculum vitae, que d’aucuns jugeaient riche et intéressant, ainsi qu’une certaine confiance en ma détermination à rebondir professionnellement m’ont fait occulter un point essentiel dans la recherche d’un emploi : l’âge.
Ayant dépassé la quarantaine de quelques années, je me suis vu confronté au phénomène du jeunisme âprement défendu par des chefs d’entreprise qui, bien que sensibles à mon parcours professionnel, m’avouaient sans détour être décidés à embaucher un Directeur Artistique chargé de Communication événementielle âgé tout au plus de vingt-cinq ans ! C’est-à-dire fraîchement sorti des écoles de communication, ne possédant aucun carnet d’adresses ni aucune pratique sur le terrain mais acceptant pour l’équivalent d’un salaire au SMIC de faire le travail d’un chargé de communication, d’un concepteur d’événements, d’un coordinateur de prestataires de services et d’un démarcheur de sponsors. Tout ceci sans assistante ni secrétaire puisque aujourd’hui chacun se doit de maîtriser l’informatique, donc le traitement de texte et le réseau Internet.
Au passage, je leur précisais qu’il m’avait fallu attendre l’âge de trente et un ans pour obtenir le titre de Directeur de Communication du plus célèbre cabaret au monde, « le Lido », après plus de six ans de pratique aux côtés de grands communicants. Et ce n’est qu’à l’âge de trente-huit ans que je fus reconnu en tant que Directeur Artistique grâce à la conception et la réalisation d’un événementiel de grande envergure pour le compte de « la Foire de Paris ».
Ce n’était donc plus le professionnalisme que l’on recherchait mais plutôt l’insolence de la jeunesse, nourrie à l’ambition démesurée, qui ne doute de rien.
Comment la société française a-t-elle pu en arriver là ?
Près de trois années d’une recherche d’emploi infructueuse, parfois décourageante, souvent exaspérante au terme desquelles, justement, le destin choisit de mettre fin aux allocations de chômage. Elles furent alors remplacées par l’Allocation de Solidarité Spécifique, l’équivalent du RMI à cette époque, à vingt euros près.
La bascule peut s’effectuer.
Comment pouvoir, avec si peu de revenus mensuels, assurer un loyer, même peu élevé, sa nourriture quotidienne, l’entretien de ses vêtements et le règlement des factures incontournables ?
Se priver de sorties au restaurant ou au cinéma, oublier les escapades en province ou à l’étranger, ne plus renouveler périodiquement sa garde-robe et uniquement imaginer quelque embellissement dans sa maison, ce n’est pas le plus dur à concilier lorsqu’on ne gagne plus que 10 % du salaire dont on jouissait dix ans plus tôt. Tout cela ne devient que superflu.
L’essentiel c’est la survie au quotidien face aux paiements de toutes sortes et au ventre qui réclame son dû trois fois par jour sans tenir compte de la situation.
Alors commence la ronde incessante des assistantes sociales, de leurs demandes d’aides en tous genres et des interminables démarches administratives pour les obtenir. Tout un monde inconnu de soi jusque-là et qui nous confronte sans ménagement à la misère humaine, sa spirale infernale, ses aberrations et ses compromis mais aussi à sa formidable chaîne de solidarité.
Comment ne pas être, alors, interpellé par la disponibilité, la qualité d’écoute et la douceur verbale de tous ces gens que je découvre à quarante-trois ans seulement, qu’ils soient travailleurs sociaux, hommes et femmes de foi ou simples humains à la générosité débordante ?
Habitué à l’hypocrisie, aux mensonges en tous genres, aux trahisons permanentes et à la jalousie, bref tout ce que suscitaient mes réussites professionnelles, j’ai, tout d’abord, éprouvé du mal à croire à tant de sincérité et de dévouement spontanés. Il n’est pas évident, non plus, lorsque l’on a décidé de toute sa vie, de devoir dépendre, tout d’un coup, du système mis en place pour venir en aide aux plus nécessiteux de la société. C’est un choc pas facile à encaisser pour qui n’a jamais vécu dans la culture de l’assistanat.
Cependant, là encore, j’ai tenu à ne considérer que le positif de la situation au profit du mal-être qu’elle engendre. Ainsi ai-je finalement accepté les aides financières nécessaires au règlement de certaines factures, la promiscuité avec d’autres laissés pour compte lors de déjeuners pris en commun, notamment dans une communauté de religieuses à la bonté exemplaire, ainsi que le fait de me voir attribuer un logement social de 28 m2 à une porte de Paris du 19e arrondissement, cerné par un voisinage sans éducation ni hygiène.
La bascule est d’autant plus violente que je me retrouve dans un contexte social à l’opposé de celui dans lequel j’ai toujours évolué. Ce n’est pas tant le manque d’argent qui me gêne mais le manque d’élégance, au sens propre comme au sens figuré.
Moi qui ai reçu une éducation raffinée, qui ai côtoyé les palaces et les nantis, et qui ai approché les plus illustres personnages du vingtième siècle, je ne comprends pas ce qui m’arrive, jour après jour, sur une pente toujours plus vertigineuse. Je pense à la tristesse de ma mère, à celle de mes frères, qui m’aident du mieux qu’ils peuvent moralement, et financièrement quelques fois. Je trouve cette situation humiliante, révoltante. Elle ne peut pas, elle ne doit pas durer !
Mais avant de tout mettre en œuvre pour que tout cela change positivement, je dois d’abord envisager un gros travail sur moi, analyser « le pourquoi du comment » pour ne pas recommencer les mêmes erreurs car, malgré tout, il doit bien y avoir erreurs de ma part.
Petite consolation dans tout cela, après quatre années d’enfer dans un quartier que je détestais, on m’attribua finalement, après nombre de demandes insistantes, un autre logement social, cette fois, dans le Ve arrondissement. Enfin, je retrouvais le cœur de la capitale et une population en harmonie avec mes goûts et mon éducation. Mais financièrement, ça reste, néanmoins, très précaire.
Mais comment et à qui parler de tout ça sans ressentir ce profond malaise lancinant qui culpabilise d’en être arrivé là ?
Comment accepter tout d’un coup de dépendre des bienfaits de telle ou telle association alors que l’on a toujours mis un point d’honneur à s’assumer seul sans jamais manquer de gâter ceux qu’on aime ?
C’est là qu’intervient le troisième psychothérapeute.
Signe du destin, son cabinet est installé rue de Paradis, belle adresse pour sortir de l’enfer.
Nous avons sensiblement le même âge. Il est américain, probablement originaire de la Côte Est, possède un charme certain ainsi qu’une forte sensibilité. En effet, j’ai vu ses yeux s’embuer à quelques reprises lorsque, moi-même, je versais une larme en évoquant une situation douloureuse. Son seul défaut, le temps de la séance, c’est d’oublier de fermer son portable, lequel se met immanquablement à sonner alors que nous sommes au cœur d’un problème à dénouer.
Petit à petit, je l’ai amené à n’être pas seulement une oreille mais aussi un interlocuteur réactif pour mettre le doigt à ma place sur tel ou tel dysfonctionnement, puisque trop perturbé intérieurement pour en prendre conscience moi-même. C’est le premier psy auquel je dis tout, absolument tout, si ce n’est ce qui touche à mon jardin secret que je préserve jalousement car il a été, en toutes circonstances, ma meilleure bouée de sauvetage.
Et comme on ne peut pas être à deux dans une bouée…
Avec le temps et grâce à cet échange, certaines valeurs basculent pour mieux appréhender les mains tendues, les sourires compatissants, les réponses à donner aux questions qui sont toujours les mêmes. Rester digne, tel est le mot d’ordre. C’est juste une épreuve, une de plus. Je dois simplement faire en sorte que cela ne dure pas, que cela ne se voit pas, même avec deux euros en poche. Il faut continuer à être présentable, souriant, suffisamment imaginatif pour mettre des touches de couleur à son quotidien. Il faut coûte que coûte masquer sa misère pour ne pas être davantage exclu et donc se marginaliser. Faire comme si…
Drôle de formule !
Et puis, un jour, on craque et le vernis avec. Il suffit d’une confidence lâchée au hasard d’un moment de connivence avec quelque proche et la confidence devient rumeur puis, la rumeur, sujet de conversation alimentant dîners et coups de fil entre amis… à mon insu, bien sûr.
D’abord, on me plaint puis, très vite, on me juge. Pensez ! Être assisté à mon âge et après la carrière que j’ai eue ! Forcément, je devais être responsable de ce qui m’arrivait et du fait de ne pas réussir à rebondir professionnellement !
Et cependant, je n’ai eu de cesse de proposer mes services à des entreprises florissantes qui, pour la plupart, ne daignaient même pas répondre négativement à ma candidature spontanée. Et je ne parle pas des nombreux messages laissés aux secrétaires sensées me tenir au courant de la suite donnée, parfois simplement à une demande de rendez-vous de dix à quinze minutes maximum.
Lorsque, par bonheur, il m’arrivait d’en décrocher un, je me retrouvais souvent dans le quartier des Champs-Élysées où j’avais connu mes plus belles années professionnelles.
Avant ou après mon rendez-vous, tiré à quatre épingles et tenant à bout de bras une serviette en cuir noir, je me fondais aisément dans la population active de ce quartier de bureaux et de boutiques de luxe. Certes, je ne faisais que passer devant les terrasses de restaurants chics où, jadis, j’organisais mes repas d’affaires. Les fenêtres d’un appartement sur l’avenue Montaigne me renvoyaient le souvenir de fêtes chez une amie mondaine perdue de vue depuis ces dernières années. Un petit pincement au cœur, j’entrais dans le célèbre palace de cette artère parisienne, reconnu et accueilli par quelques anciens membres du personnel fort aimables et respectueux, me désignant aussitôt une des meilleures tables de la grande galerie où l’on servait apéritifs et en cas.
Je prétextais alors simplement guetter un rendez-vous et, me disant très en avance, je suggérais revenir plus tard. Pieu mensonge qui me permettait, durant quelques minutes (que je faisais durer au maximum), de retrouver l’atmosphère feutrée de ce lieu mythique qui fut ma maison pendant plusieurs années mais dans lequel aujourd’hui je n’aurais même pas pu m’offrir un café.
Qu’importe ! Durant une heure ou deux, j’avais ressenti cette merveilleuse sensation d’exister dans la société actuelle car quiconque me croisait alors pouvait être persuadé que je travaillais dans le quartier et que j’avais mes habitudes au Plaza Athénée, comme chez les commerçants, alentour, qui me saluaient sur le pas de leur porte. Après tout, je ne faisais que me projeter quelques années en arrière.
Tout allait bien en apparence, en apparence seulement.
Mais certains soirs, seul face à cette situation d’abandon et de précarité, je vidais mon corps de toutes ses larmes contenues bien trop longtemps. Des flots et des flots de pleurs que rien n’arrêtait, pas même un mal de crâne épouvantable. Et puis je m’endormais. Demain serait un autre jour.
Si certains amis se sont faits plus rares, d’autres en revanche ont choisi de se rapprocher régulièrement sans rien demander, juste pour le plaisir de se revoir ou de parler. Ils sont deux ou trois, tout au plus. Ils ne jugent pas, ils savent. Ils connaissent ma détermination à m’en sortir, ainsi que les difficultés pour y parvenir. Ils sont confiants. Ils attendent avec la même ferveur que la mienne, l’annonce du renouveau, l’autre bascule.
Avec la douce Amélia, c’est la résultante de plus de trente ans d’amitié. Cette femme-là m’a successivement connu opticien, mon premier métier, agent commercial aux aéroports d’Orly Ouest et de Roissy pour Air Inter puis Alitalia, journaliste people et rédacteur en chef de magazines spécialisés, attaché de presse de célébrités et de festivals de films, organisateur d’événements de prestige pour l’hôtel Plaza Athénée, Directeur de la Communication du Lido, journaliste-réalisateur de sujets culturels pour la télévision et, enfin, Directeur Artistique de projets de spectacles.
Mais elle m’a aussi connu inscrit comme demandeur d’emploi avant et après avoir accepté, par nécessité de survie, un travail temporaire de billettiste dans une célèbre salle de spectacles parisienne où nous avions souvent partagé le plaisir de grands moments musicaux.
Période particulièrement déstabilisante car la direction de l’époque, la famille Coquatrix, avec laquelle j’avais entretenu des rapports privilégiés tout au long de ma carrière dans le show-business, prenait un malin plaisir à m’humilier en permanence par une fin de non-recevoir systématique du désir légitime de passer au service de communication pour lequel, malgré tout, on jugeait mes compétences très utiles. Mais il fallait pour cela attendre une hypothétique restructuration interne, reculée de mois en mois. Ce petit manège dura trois ans au terme desquels la rumeur de changement de direction par Universal Music se fit de plus en plus persistante, devant entraîner avec elle le licenciement d’une partie du personnel. En fait, même si cela se vérifia par la suite, il s’agissait dans l’instant, d’un stratège pour se débarrasser abusivement de trois ou quatre membres du personnel dont moi, ce qui me libéra définitivement de cette dépendance malsaine, liée pourtant à un lieu qui me procura souvent tant de belles émotions fortes : « l’Olympia ».
Conscient des ravages psychologiques d’un travail alimentaire non adapté à ma personnalité et à mes compétences, j’ai recherché à nouveau un poste dans la communication événementielle.
Et c’est alors que le virus de l’écriture s’empara de moi… et pour longtemps.
Le désir d’écrire s’était déjà manifesté quelques années auparavant lorsque, pour la fête de mes quarante ans, je voulus faire la surprise à tous mes proches d’un film-documentaire, que j’avais réalisé dans le plus grand secret, où je leur rendais hommage sous forme de commentaires et d’extraits de chansons choisies dont les paroles collaient parfaitement au propos de l’image.
Cet exercice de style très autobiographique intitulé « Il est temps… et tant », titre soufflé par ma douce Amélia, relatait aussi très objectivement, les événements marquants de mon enfance jusqu’au seuil de mes quarante ans, ainsi que ma passion pour les stars de cinéma et de la chanson. Le soir de sa présentation, il a rencontré un tel succès, ce que je n’imaginais pas du tout, que j’ai alors envisagé d’en remonter une version courte, gommant les passages trop personnels au profit de mes rencontres passionnantes dans le show-business, afin de le montrer dans le cadre du 50e Festival de Cannes.
Après projection, certaines relations professionnelles dans le cinéma m’ont alors suggéré d’en écrire une version fiction en y ajoutant davantage de dramaturgie, une intrigue et un fil conducteur. Ainsi est né mon premier projet de long-métrage : « Un aller-retour pour Tunis ».
Il s’agit du dialogue qui s’instaure, de façon quelque peu paranormale, entre l’enfance et l’âge adulte d’un même homme, lequel revient sur le lieu de sa naissance pour y tourner l’histoire romanesque de ses parents dans la Tunisie des années 50-60.
En faisant revivre le petit garçon que j’étais à l’époque, face à l’adulte que je suis aujourd’hui, je me suis appliqué à dépeindre cette période bénie où la Tunisie offrait un visage cosmopolite, multi culturel et racial avec, toutefois, la difficulté pour ma mère, française et catholique, à être acceptée par la famille juive très traditionaliste de mon père. Malgré cela, la douceur de vivre et la prospérité des affaires firent de ces temps-là, les plus belles années de vie de mes parents.
Dans le scénario, une scène serait prétexte à évoquer un événement particulier de ma petite enfance, jusque-là inconnu de tous, sinon des psychothérapeutes : des attouchements sexuels, à l’âge de 7 ou 8 ans, par un garçon prénommé Daniel qui, me semble-t-il alors, est de dix ans mon aîné. Fils d’une cliente de la brasserie de mes parents, il proposa à plusieurs reprises à ma mère de m’emmener en promenade. Elle s’achevait toujours dans l’appartement où il vivait avec sa mère divorcée, alors à son travail.
Sans pénétration, sans aucune brutalité, il a alors développé en moi le goût des caresses, des baisers et d’un corps brûlant de désir. Il m’a donc initié aux jeux érotiques, ce qui me paraît, encore aujourd’hui, beaucoup plus excitant que la simple fornication.
Dans le film, tout ceci serait traité avec beaucoup de pudeur et de délicatesse.
Cependant, ce qui me tient le plus à cœur dans ce projet de long-métrage, c’est le décor essentiel de mon enfance : « La Brasserie suisse ». En reconstituant, point par point grâce aux photographies existantes, le restaurant cacher de mon père, j’imaginais déjà le trouble provoqué chez ma mère et tous les anciens de cette époque, encore vivants.
Moi-même, je pense que j’aurais ressenti un immense bonheur en déambulant seul au milieu de ce décor, loin de l’agitation du tournage.
Quant au casting, j’avais déjà ma petite idée là-dessus. Patrick Bruel dans le rôle de mon père, Isabelle Carré dans celui de ma mère, Stéphane Freiss dans le mien et, dans les personnages secondaires, néanmoins incontournables, Annie Girardot, Claudia Cardinale, Omar Shariff et Romane Bohringer. Un film choral ponctué d’extraits de chansons liées aux époques relatées.
Mais comme d’habitude, les conseilleurs ne sont pas les payeurs et après cinq versions réécrites, chacune tenant compte des critiques de lecteurs avisés, ce projet, dont l’histoire ne laisse pour autant pas indifférent, reste toujours en quête d’un producteur. Et ce n’est pas faute d’avoir frappé à toutes les portes, des productions les plus en vue aux plus confidentielles. Mais sans faire partie du cénacle, sans avoir « la carte » (comme on dit), le projet relié complète une pile qu’on ne lira probablement jamais. Posée à terre ou sur un bureau, elle sert d’alibi aux membres de comités de lecture qui vous reçoivent enfin, après maintes relances téléphoniques, l’air dépité, se plaignant de manquer de temps pour lire tout ce qui leur est adressé. Lassé par ce manège, je finis par mettre de côté ce projet et me tourner vers autre chose.
L’occasion me fut alors donnée de découvrir un chanteur provincial inconnu à la voix exceptionnelle. Conquis par ses trois octaves, je me suis laissé convaincre par lui de devenir son manager et Directeur Artistique. Dans les premiers mois, tout se passa comme prévu ensemble : enregistrement d’un CD démo de plusieurs titres, relooking, séances de photos, création d’une brochure promotionnelle et travail avec musiciens pour le show case que je prévoyais au « Point-Virgule », alors dirigé par une amie.
À la suite de quoi, je lui ai fait faire ses premières scènes parisiennes, au « Sentier des Halles » puis au « Théâtre 14 », avec un plus large répertoire, dont plusieurs de ses propres compositions. Je lui ai décroché sa première télé chez Pascal Sevran et son premier passage radio sur France Inter, en direct avec ses musiciens, chez Stéphane Bern. Une fois de plus, je n’hésitais pas à réactiver tout mon réseau professionnel, tant je croyais en cet artiste dont le talent ne laissait personne indifférent.
J’avais pour lui de grands desseins, dont celui de le voir chanter au milieu d’un orchestre symphonique. Plutôt tenté par la pop-rock, ce n’était pas vraiment sa tasse de thé mais, en bon apprenti professionnel, il s’y était résigné. Jusqu’au jour où une jeune femme très ordinaire au culot monstre entra dans sa vie sentimentale. Dès lors, il ne fut plus le même, devint arrogant, un brin prétentieux et se laissa convaincre par elle de se tourner vers le hard-rock, sa véritable passion musicale. Alors vendeuse de strings sur les marchés, elle usa de toute sa persuasion pour prendre en main sa carrière à ma place, ce qu’il accepta, totalement aveuglé par l’amour… et la cupidité. Après un an et demi de collaboration fructueuse entre nous, excédé par tant de caprices, je rompis mon contrat avec lui. Comme je pouvais l’imaginer, par la suite, on n’entendit plus jamais parler de ce chanteur.
Et si, au lieu de toujours gérer la carrière des autres, je ne m’occupais enfin que de moi ?
Dans ma tête, l’idée fait son chemin et c’est un stage proposé par l’ANPE Spectacle qui va en être le déclencheur.
Trois mois de prestations orchestrées par un comédien, une scénographe, un chanteur et un professeur de maintien devaient permettre à un petit groupe de chômeurs démotivés, dont je faisais partie, de reprendre confiance en l’avenir en se trouvant soi-même. Pour cela, il fallait dépasser ses limites, faire voler en éclats sa carapace, oser l’impensable pour soi et faire naître de ses entrailles l’être enfoui que l’on a toujours été depuis sa venue au monde. Un travail sur soi qui proposait de nouvelles perspectives de vie et d’ouverture sur les autres.
Ainsi, moi qui avais toujours été persuadé n’avoir pas de voix et chanter faux, je me suis découvert, aux dires du professeur de chant et, grâce au contrôle de mon souffle, une tessiture de baryton-Martin. Dans le travail sur le jeu, je me glissais aisément dans la peau d’un autre, dans celui du langage corporel je mettais à contribution tous mes sens alors en éveil.
Ayant acquis une certaine maîtrise de sa nouvelle personnalité, la véritable en fait, nous devions définir un projet professionnel en adéquation et nous y tenir coûte que coûte. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de créer un spectacle musical reprenant les chansons sentimentales les moins connues du répertoire de Dalida, dont j’ai toujours été fan. Mises bout à bout, dans un certain ordre, elles racontent une histoire, celle de celui qui les interprète. Après mûre réflexion, je pris donc la décision d’envisager un virage professionnel à 180 degrés : passer des coulisses à la scène, porté par ma passion viscérale de la musique.
Tout remettre en question à deux ans de la cinquantaine pour assouvir enfin un désir d’enfance resté enfoui jusque-là ! Apprendre à placer sa voix, utiliser l’espace, transmettre des émotions, maîtriser une justesse d’interprétation, posséder un texte et se découvrir des talents cachés qui entretiennent une certaine jubilation à sortir de soi et, dans le cas présent, à être tout simplement moi.
Une fois le stage fini et le show écrit, je me suis mis à nouveau en quête de producteurs, de spectacles cette fois et, surtout, d’un coach vocal. Mais la dure réalité de ce quotidien-là m’a rattrapé assez vite car, sans argent, comment trouver un coach vocal sinon sous forme de partenariat, chose très rare ? Et comment intéresser un producteur lorsqu’on veut chanter pour la première fois sans aucune maquette à faire écouter, celle-ci coûtant trop cher à réaliser pour mes maigres revenus ?
De plus, je me suis heurté au refus catégorique de monter un tel spectacle, pour part d’Orlando, le frère-producteur de Dalida, qui visiblement voulait être seul à maîtriser tout projet se référant à la carrière de sa sœur. Ce récital intimiste, faisant la part belle à l’émotion et non à la caricature ou au dénigrement comme il semblait l’imaginer, fit lui aussi partie des projets qui rencontrent difficulté sur difficulté. Ce fut le cas, notamment, en raison du renoncement peu crédible, après plusieurs séances de travail ensemble, d’un coach vocal-producteur que j’avais fini par trouver.
Sous ce ciel de plomb, l’éclaircie vint à nouveau de l’ANPE Spectacle. Au cours des nombreuses réunions, j’avais évoqué, une fois ou deux, les quelques vingt chansons que j’avais commencé à écrire à l’adolescence jusqu’à mes récents déboires, toujours source d’inspiration. En fait, n’étant pas musicien, je me contentais de créer une mélodie sur laquelle je couchais des paroles. Cela allait de la chanson à texte à la variété légère mais entraînante. L’idée fut d’en retravailler certaines, les plus abouties de préférence, pour ensuite imaginer mon propre récital : « Le Music-hall d’un Bambino ».
Finalement, j’en sélectionnais une douzaine dont quelques-unes totalement réécrites pour donner une certaine cohérence au futur spectacle. Stand-by pour le projet « Dalida » mais pleins gaz pour celui d’un homme qui n’a, pour toute ambition nouvelle, que de vibrer sur une scène en faisant partager ses émotions à ceux qui voudront bien venir le découvrir. Contrairement à la plupart des candidats au métier de chanteur que l’on voit éclore à la télévision, ce n’est ni la célébrité ni la fortune qui motivent mon nouveau choix de vie. Je sais seulement depuis l’enfance, en observant sur la scène de l’Olympia ou d’autres salles de spectacles toutes les grandes pointures du show-business, qu’elles soient françaises ou américaines, que ce n’est pas uniquement l’artiste lui-même qui me donne la chair de poule, mais aussi cette délicieuse sensation de me glisser soudain dans sa peau au son de l’orchestre et au rythme des applaudissements.
Ah, les applaudissements ! Je me suis souvent demandé pourquoi, à chaque concert, ils me faisaient fondre en larmes. Je le comprends aujourd’hui. Bien plus que la récompense, c’est la reconnaissance du public pour le travail implacable qui fait toute la réussite d’un spectacle. C’est aussi un encouragement formidable à persévérer dans la voie que l’on s’est tracée. Cela efface toutes les peines, toutes les trahisons, tous les moments de doute, toute la fatigue physique et psychologique. C’est là, c’est une musique qui vous porte, une émotion qui vous submerge. Une communion, une étreinte sans se toucher. Rien d’autre n’existe à ce moment précis. Et les larmes montent, et les larmes sortent, et les larmes coulent. C’est l’artiste qu’on ovationne et c’est moi, dans le public, qui pleure parce que je ressens ce qu’il ressent, parce que je sais par où il est passé pour en arriver à cette explosion de mains qui frappent à en devenir rouges. Ce sont ces instants-là qui justifient le choix de devenir artiste. Non pour flatter son égo et se croire génial face à une salle debout, mais bien pour recevoir en plein cœur le fait d’avoir été compris, surtout lorsque l’on vient de mettre son âme à nu. Voilà c’est ça ! Au travers de ma créativité, qu’elle soit cinématographique ou discographique, c’est bien ça que j’espère : être compris.
Chacune des choses que j’ai faites ou dites dans ma vie a été dictée par l’affect. Beaucoup en ont profité pour se servir puis me jeter sans états d’âme, sur le plan privé comme professionnel. Qu’importe ! Ces épreuves-là m’ont rendu plus fort parce que jamais dévié pour autant de ma trajectoire aux cordes sensibles. Faire les choses par intérêt ne concerne pas ma raison d’être. Même la précarité ne changerait rien à cet état d’esprit qui est bien davantage un trait de caractère qu’un choix de vie.
Cependant, après le cataclysme de ses derniers mois, bien des choses restaient encore à débroussailler. J’avais beau être combatif et porté par un indéfectible optimisme, je n’en restais pas moins décontenancé devant l’avalanche de difficultés à gérer au quotidien ; le manque d’argent, bien sûr, et donc la subite baisse de pouvoir d’achat surtout en matière de nourriture, mais aussi les déceptions journalières liées à ma recherche d’emploi et à l’avancée de mes projets artistiques. Je mesurais alors toute la complexité de vouloir concilier passion artistique avec revenus confortables réguliers. Et jusqu’où la passion arrive-t-elle à prendre le pas sur la raison ? L’artiste passionné répondrait « jusqu’à ce que mort s’en suive », je resterais plus modéré. Certes, le fait d’approcher de la cinquantaine et de savoir que, mis à part, les petits boulots d’appoint, plus aucun chef d’entreprise ne m’emploiera, je pourrais me dire que la seule issue à mon statut actuel serait de patienter avec mes faibles revenus tout en persévérant dans l’idée de faire aboutir mon nouveau projet de vie professionnelle : la scène.
Un travail régulier s’en suivit avec la complicité d’une amie chanteuse de jazz et pianiste, mais également professeur de chant. J’ai donc appris à contrôler mon souffle, à placer ma voix, à jouer sur les nuances de mon interprétation, à maîtriser mon trac, à gommer mes inhibitions… et à respecter les notes et les mesures. Chanter c’est un vrai métier qui ne s’improvise pas et qu’il faut peaufiner jour après jour. Je prenais alors conscience de toute la difficulté à devenir chanteur professionnel car, au-delà de la passion qui anime l’interprète et du talent qui lui est propre, il lui faut s’adonner à beaucoup, beaucoup de travail.
C’est ce que j’entrepris de faire, dès les premiers jours de janvier 2007, dans le but de créer à nouveau la surprise au sein de ma famille, de mes amis et de quelques relations professionnelles que j’allais convier à la fête de mes 50 ans.
J’envisageais d’y présenter cinq titres de ma composition, extraits des 14 chansons originales que j’avais écrites pour mon projet de spectacle musical : « Le Music-hall d’un bambino ».
Un voyage initiatique au travers de toutes les tendances musicales que j’aime : le jazz, la bossa-nova, la comédie musicale, la variété populaire, la chanson à texte et le cabaret.
Découvrir mes mélodies, retranscrites en notes de musique pour l’accompagnement instrumental de mon chant, fut totalement jubilatoire. Enfin, ces chansons, dont la plupart avaient été créées à mon adolescence, existaient réellement et non plus seulement dans ma tête. Et soudain, au son de ma voix, dont je n’appréciais que moyennement le timbre, les paroles que j’avais écrites se posaient, comme par enchantement, sur la partition musicale.
C’est dans un piano-bar restaurant de Saint-Germain-des-Prés qu’après plusieurs semaines de travail acharné, je pus lever le voile sur cette nouvelle vocation devant mon premier public, celui de mon 50e