Surcouf - Charles Cunat - E-Book

Surcouf E-Book

Charles Cunat

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Beschreibung

Charles Cunat nous présente le parcours d’un célèbre corsaire

Robert Surcouf (1773-1827) est né à Saint-Malo, la ville des « Hardis Corsaires ». Embarqué volontaire à quinze ans, il apprend la rude vie de marin. Il devient capitaine de corsaire et navigue sur toutes les mers du globe au service de la France.

Charles Cunat, à l'aide de documents authentiques, dresse un portrait complet de ce marin aux faits d'armes héroïques.
Cet ouvrage publié en 1842 est complété par un glossaire de termes marins.

En plus de présenter la biographie d’un personnage qu’il a admiré, Charles Cunat revient sur l’importance du rôle joué par les marins dans l’Histoire.

EXTRAIT

La vie de Robert Surcouf est du nombre de celles, qui doivent passer à la postérité, entourées de glorieux souvenirs, comme récompense d’un brillant courage, et cependant les noms du Triton et du Kent qui l’immortalisèrent, dorment silencieux dans la tombe du célèbre corsaire ; de même que les armures de bataille que les anciens Gaulois, nos ancêtres, enterraient près d’eux, sous leurs Dolmens.
Comment se fait-il que, par une fatalité étrange, ces courses audacieuses, ces engagements héroïques soient ignorés ou mal connus du pays qu’ils ont illustré ? Jusques à quand l’indifférence et l’oubli pèseront-ils donc sur les annales de notre marine ? L’homme de mer, toujours sacrifié au militaire, reste proscrit des monuments élevés à la gloire de notre nation. La sculpture a incrusté nos soldats dans le marbre, dans le bronze, sur nos colonnes et aux faces de nos arcs de triomphe ; la peinture les a représentés avec profusion sur la toile ; tandis que nos matelots, ces hommes admirables et incompris, se trouvent non seulement privés du ciseau et de la palette des artistes, mais encore du burin de l’histoire.

À PROPOS DE L’AUTEUR

Charles-Marie Cunat (Saint-Malo, 20 Mai 1789 – Saint-Malo, 21 février 1862.) était un officier de la marine français, un corsaire et un historien spécialisé dans le naval.

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CHARLES CUNAT

SURCOUF

Capitaine de Corsaire

CLAAE2006

En couverture :

L’abordage du Kent, par la Confiance.

Collection du Musée de La Roche-sur-Yon© Jacques Boulissière.

Cet ouvrage a été publié avec l’aimable collaboration de laBibliothèque Municipale de Rennes

CLAAEFrance

ean e-book 9782379110160

AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR.

Cet ouvrage respecte scrupuleusement le texte original. Cependant les coquilles typographiques et quelques fautes d’orthographe ont été corrigées. L’éditeur attire l’attention du lecteur sur le fait que cet ouvrage comporte de très nombreux extraits de textes, parfois anciens. Leur orthographe a donc été respectée bien qu’elle heurte souvent l’usage actuel.

AVANT-PROPOS.—

LE temps fuit, et sous sa faux impitoyable disparaît chaque jour le témoignage des hommes, un des moyens les plus sûrs de transmettre l’histoire d’une époque dans une localité où l’on a peu écrit ; les faits s’y trouvent confiés à la mémoire d’une population subissant les conséquences forcées du mouvement qui s’opère dans les provinces voisines.

Notre pays lui-même est soumis aux exigences de l’industrie et du commerce ; bientôt on oubliera la physionomie belliqueuse de l’antique cité d’Aaron 1, avec sa ceinture de murailles, liée à la terre ferme par son étroite chaussée, comme un vaisseau à l’ancre.

Mais qui conservera le souvenir de ces vieux Malouins, enfants de leur rocher, si redoutés à la guerre que les Hollandais ne levaient jamais devant eux le balai insultant qu’ils arboraient sous Ruyter en guise de pavillon, à la vue des autres navires étrangers, comme grands balayeurs de la mer ? Aussi nos ancêtres s’écriaient-ils en disposant leurs grappins d’abordage : « S’ils sont anglais, nous les battrons ; s’ils sont hollandais, nous nous battrons. »

Durant le règne d’Henri IV, ce bon prince ne se lassait d’admirer leurs audacieuses entreprises, et en les comblant de faveurs dans ses sages édits et ordonnances, il basait ainsi ses considérants :

« Eux entremetteurs de la plus légitime, franche et loyale navigation qui pust estre désirée. » il intervint directement pour eux auprès d’Elisabeth, reine d’Angleterre, contre les pirateries de quelques-uns des sujets de cette princesse.

A la missive du roi, qui est datée du 22 octotobre 1598, Charles de Montmorency, grand amiral de France, avait joint la suivante, pour le comte Hawart, amiral de la Grande-Bretagne :

« Monsieur, les Malouins estant ceux de tous ses subjectz que le roy mon souverain maistre désire voir mieux traictez et receuz par les princes ses amis et confédérez, et leurs officiers ; tant par recommandation expresse que j’en ay de Sa Majesté, que pour le mérite des dits sieurs habitants de ladite ville, et pour la particulière affection que j’ay à leur repos et contentement par une héréditaire inclination de nostre maison, je vous supplie et onjure moyenner de vostre part vers vostre royne, qu’il lui plaise donner et establir quelque bon ordre et reiglement à ce que telles déprédations ne soient plus à l’advenir continuées sur lesdits sieurs habitants et autres Français ; et que quelques bien expresses défenses en soient publiées par les ports et havres de l’Angleterre, etc.; afin que l’on ne soit contrainct faire en France retention sur ce que les Anglais, bons marchands, y auroient, jusqu’à la restitution de ce que les pyrates auroient prins, etc. »

Onze ans après cette lettre (1609), et comme pour répondre à la haute estime qu’avait excitée leur valeur, plusieurs bâtiments de Saint-Malo commandés par le brave Beaulieu, soutenus de quelques vaisseaux espagnols auxquels ils avaient communiqué leur projet, entrèrent en plein midi dans le port de Tunis, où malgré le feu de ses formidables batteries et celui d’une nombreuse artillerie navale, les Malouins incendièrent trente-quatre navires armés en guerre et une galère.

Plus tard, le 18 mars de l’année 1755, Louis XIV décida qu’à l’avenir (selon la coutume), l’équipage du vaisseau amiral de ses flottes, serait exclusivement composé de leurs matelots, officiers-mariniers et canonniers : aussi voyons-nous le duc de Beaufort (4 et 5 mars 1667) et Colbert (14 janvier et 10 mars 1668) maintenir les Malouins dans leur plus beau privilège.

Voici les lignes mémorables que traçait le duc de Beaufort, généralissime des armées navales, à leur syndic en lui demandant des marins :

« Désirant voir l’amiral du royaume manoeuvrer de la manière qu’on doit attendre du vaisseau qui porte le premier pavillon de la chrétienté et dans la passion que j’ai de le conduire ban à ban de celui de l’Angleterre, je chéris particulièrement une ville qui me fournira les moyens d’acquérir de la réputation, espérant qu’avec le secours de ses braves gens que vous m’avez choisis, je ne peux que sortir glorieux d’une action meurtrière. Je n’aurai l’esprit en repos que quand je verrai 600 hommes assurés de venir : n’oubliez pas surtout les canonniers. Les matelots qui seront engagés ne doivent rien appréhender de fâcheux, ils n’auront point affaire à des capitaines particuliers comme ceux des autres vaisseaux de l’armée, et ils auront cela de différent qu’ils seront dépendants de moi immédiatement. Je les ferai nourrir et payer, et je vous réponds qu’ils ne seront pas sans récompense. »

Avant de terminer cette prompte esquisse de notre pays, nous rappellerons la mort héroïque du capitaine Jocet, qui périt avec tout son équipage victime de l’honneur national. Contraint de relâcher dans la baie de Cadix à la suite d’une tempête, il y refusa la visite des douanes espagnoles. Ses protestations énergiques que, lui vivant, il ne souffrirait jamais un contrôle aussi humiliant pour son souverain 1 et une atteinte aussi sanglante aux droits de sa nation, ne purent convaincre le gouverneur qui donna l’ordre barbare de l’envelopper et de le réduire par la mitraille. La défense riposta en désespérée, mais elle allait, succomber sous des forces si disparates, quand Jocet mit le feu à la Sainte-Barbe et sauta avec ses agresseurs. De nos jours l’enseigne Bisson a reproduit cette action sublime, mais contre des pirates.

Frappé des titres glorieux que la ville de Saint-Malo avait acquis dans tous les temps par les hommes supérieurs qu’elle avait donnés à l’histoire, j’ai voulu, enfant de cette cité guerrière, conserver la mémoire d’un de ses marins les plus remarquables de notre époque. Sans expérience littéraire, puisque dès mon bas âge je fus voué à la marine, je n’ai en ma faveur, pour oser entreprendre ce récit, que la connaissance d’un métier où les expressions techniques me sont familières, et que je pourrai toujours traduire fidèlement aux lecteurs.

Tels sont les motifs sous la sauvegarde desquels j’offre mon livre au bienveillant accueil de nos concitoyens.

CH. CUNAT.Saint-Malo, 30 avril 1842.

1. Nom du pieux cénobite qui vers l’an 507 y avait fixé sa demeure à la tête d’autres religieux, et qui y accueillit Saint-Malo en 538 dont le rocher prit plus tard le nom.

1. Louis XIV, dont le pavillon avait été respecté sur toutes les mers.

I.

Course et Corsaires

LA vie de Robert Surcouf est du nombre de celles, qui doivent passer à la postérité, entourées de glorieux souvenirs, comme récompense d’un brillant courage, et cependant les noms du Triton et du Kent qui l’immortalisèrent, dorment silencieux dans la tombe du célèbre corsaire ; de même que les armures de bataille que les anciens Gaulois, nos ancêtres, enterraient près d’eux, sous leurs Dolmens 1.

Comment se fait-il que, par une fatalité étrange, ces courses audacieuses, ces engagements héroïques soient ignorés ou mal connus du pays qu’ils ont illustré ? Jusques à quand l’indifferenceet l’oubli pèseront-ils donc sur les annales de notre marine ? L’homme de mer, toujours sacrifié au militaire, reste proscrit des monuments élevés à la gloire de notre nation. La sculpture a incrusté nos soldats dans le marbre, dans le bronze, sur nos colonnes et aux faces de nos arcs de triomphe ; la peinture les a représentés avec profusion sur la toile ; tandis que nos matelots, ces hommes admirables et incompris, se trouvent non seulement privés du ciseau et de la palette des artistes, mais encore du burin de l’histoire. Les biographies elles-mêmes, ne donnent pas exactement nos illustrations maritimes : quelles belles actions néanmoins pourraient en ressortir et qui demeurent inédites ? L’éclatante immolation de l’équipage du Vengeur, gît dans les cartons poudreux de Versailles 2 et sur quelques mauvaises estampes, sans avoir obtenu, de la patrie qu’elle glorifiait, un édifice durable et national 1. Nos ports peuplés d’une jeunesse vouée dès le berceau à l’Océan, n’offrent à ses regards qu’un petit nombrede statues sans bas-reliefs ou quelques tableaux, tandis que la défense de Mazagran aura son obélisque au milieu de la capitale !

Dans la tâche ardue, peut-être au-dessus de mes forces, que j’entreprends, voici une observation qui m’a soutenu. De tous les grands hommes de la marine, et ils sont nombreux, le renom d’un seul est devenu populaire en personnifiant en lui le courage audacieux : je parle de Jean Bart, l’intrépide capitaine de corsaire ; les autres, à quelques rares exceptions, sont inconnus. Ainsi puissent mes concitoyens, en lisant ce travail qui répare une anomalie historique, voir l’expression du sentiment de patriotisme sincère qui m’a inspiré, et ou le zèle seul n’a pas failli. Jaloux de tout ce qui donne du relief à ma contrée natale, j’ai groupé autant que possible les périodes qui s’y enchaînaient sans secousses.

La France toute sanglante, toute froissée, mais forte et vigoureuse, luttait contre elle-même et l’Europe entière, lorsque la guerre de la révolution vomit ses laves brûlantes sur nos colonies abandonnées. Surcouf, à peine devenu homme, sentit s’éveiller en lui l’enthousiasme sacré de la gloire ; s’élançant alors sur les mers de l’Inde, il promène loin de la France sa destinée aventureuse. Bientôt, par une action étonnante qui rehausse la dignité de notre jeune drapeau, il porte l’effroi parmi les possessions asiatiques de la Grande-Bretagne 2et prouve que les braves ne manquent jamais dans la cité des Duguay-Trouin et des La Bourdonnais.

Une opinion injuste repousse, chez les Français principalement, le nom de corsaire et sa destination. Une espèce de défaveur accompagne elle-même ces marins, lorsqu’ils sont rentrés jeunes hommes dans les douceurs de la vie civile, ou vieillards dans le repos de la retraite, quoiqu’ils aient eu pour compagnons d’armes et d’intimité quelques-uns de nos premiers amiraux 2. Ils sont encore plus mal appréciés par les badauds de l’intérieur, habitués à voir grimer les farouches forbans de nos petits théâtres. La profession de corsaire stigmatisée, telle qu’on la dépeint, est donc loin d’être honorée autant qu’elle devrait l’être, parce que sur elle plane cette pensée fausse, que l’appât du gain est le seul mobile qui dirige ses entreprises : sentiment sordide incompatible avec l’honneur français 1 ; tandis que la capture des bâtiments marchands est une conséquence inévitable de la guerre, comme elle, un fléau nécessaire, qui affaiblit notre adversaire, diminue ses ressources, et le trouble dans son commerce. Dès les croisades, les escadrilles des corsaires malouins étaient proclamées les troupes légères de la mer, incommodant l’ennemi, divisant ses forces, balayant ses croiseurs et butinant de riches cargaisons.

C’est même le moyen le plus efficace d’arrêter les différends entre les princes. Leur crédit se fonde sur les contributions individuelles ; que deviendront-ils si cette base est ruinée ? La populace de Londres le savait fort bien, quand elle fît retentir en plein parlement la rage et les lamentations séditieuses de ses émeutes, ce qui attira contre Saint-Malo 2 d’effroyables agressions par terre et par mer : le blocus de sa rade très-périlleux parmi les cailloux, ne permettant pas d’intercepter les sorties de ses croiseurs qui se renouvelaient comme l’hydre aux sept têtes 3.

Au reste, l’opinion des hommes d’Etat et des diplomates est fixée. Désormais, ils adopteront la coutume de la course ; peu de grandes armées navales, mais des divisions de vaisseaux ou frégates qui captureront, couleront les navires du commerce, depuis l’ouverture de la Manche jusqu’au fond des Indes, d’où l’arrogante Angleterre retire sa splendide opulence.

Cette marine auxiliaire armée, qu’on pourrait comparer à juste titre à ces compagnies franches, que les gouvernements du continent européen autorisent pour flanquer les grands corps de bataille, et opérer simultanément avec eux, rendit d’immenses services aux dernières années désastreuses de Louis XIV, et pendant la durée du siècle de Louis XV, où elle balança, par ses succès inouïs, les triomphes des flottes britanniques.

Sous Louis XIV (en 1709), les Malouins, riches de leurs croisières, donnèrent au Trésor royal appauvri, 50 millions. Sous Louis XV (en 1718, 11 février) ils prêtèrent encore 22 millions d’argent en barres au remboursement de 33 livres le marc, pour retirer les anciennes pièces de la circulation. Eh bien ! cette heureuse coopération des corsaires à toutes les époques, soit de l’antique monarchie, soit de la république ou de l’empire, n’est point enseignée à nos compatriotes, la plupart étrangers aux guerres maritimes.

D’une autre part, si on réfléchissait aux qualités qui doivent être l’apanage des capitaines corsaires, on leur accorderait certainement plus de considération. Car aux connaissances du marin il faut qu’ils joignent l’activité, la bravoure et l’audace ; de plus, qu’ils soient doués de cette perspicacité qui devine les ruses de guerre et en invente au besoin : certes de tels hommes ont droit à la considération publique. Le grand roi que nous venons de citer (Louis XIV), ne fut pas la première tête couronnée qui éleva aux rangs les plus éminents, ceux qui avaient commandé des bâtiments particuliers armés en guerre. Le 2 novembre 1580, la reine Elisabeth admit le capitaine Drake, avec une distinction recherchée, le nomma chevalier, et alla dîner à bord du vaisseau aventurier le Dragon qu’il avait monté pendant sa course triennale autour du monde.

Pour se convaincre que la course ne doit pas être traitée avec les termes d’abjection où le mépris d’une ignorance étourdie l’a reléguée, et qu’elle mérite les égards, l’estime et le respect de tout individu, qu’on ouvre l’ordonnance de la marine du mois d’août 1681, chef-d’oeuvre de sagesse. Elle a régularisé la législationet la procédure antérieures relatives aux prises. Depuis, la jurisprudencenécessitée par les changements de civilisation, a adopté la course et l’a sanctionnée ; mais toujours elle a été l’objet de faveurs encourageantes.

Le roi accordait ses propres vaisseaux à des particuliers, quelquefois même radoubés, carennés et gréés, avec des munitions et autres choses nécessaires à leur armement 1 ; les princes s’y associaient, et les premiers dignitaires de la couronne y prenaient de gros intérêts. C’est ainsi qu’armait, avec une grande dépense, Luc Trouin de la Barbinais, pour en donner le commandement à son frère l’illustre René Duguay-Trouin.

L’escadre la plus considérable qu’ils équipèrent fit l’expédition de Rio-Janeiro : elle était composée de sept vaisseaux ; le Lys et le Magnanime de 74, le Brillant, l’Achille et le Glorieux de 66, le Fidèle de 60 et le Mars de 56 ; de six frégates : l’Argonaute de 46, l’Aigle de 40, l’Amazone et la Bellone de 36, l’Astrée de 22, la Concorde de 28 et deux galiotes à bombes. Cet armement exécuté à Brest, Rochefort et Dunkerque, s’éleva, malgré les secours puisés dans les arsenaux, à la somme de 1 200 000 livres partagée entre neuf associés, dont six Malouins, les deux Trouin, Beauvais, la Saudre, le Fer, Belle-Isle, Pépin, Delespine, Danycan et Chapdelaine ayant à la tête de leur société Louis Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse, duc de Penthièvre, fils légitimé de Louis XIV, grand amiral de France 2, et monsieur de Coulanges, contrôleur général de la maison de sa Majesté.

En prêtant ses vaisseaux, le roi autorisait les officiers de la marine à les monter sous la même discipline que celle du service. Les équipages (officiers mariniers et matelots) étaient levés par les commissaires de marine, et les déserteurs condamnés aux galères perpétuelles. (Ordonnance de Fontainebleau, 15 novembre1745.)

À la place de grand-maître, chef et surintendant général de la navigation et du commerce, supprimée en novembre 1669, avait succédé la charge de grand-amiral 1 qui prélevait le dixième 2 d’abord sur le produit brut, plus tard sur le bénéfice net des prises. Longtemps il fut le seul émolument pour soutenir cette dignité élevée, dont les appointements n’excédaient pas anciennement la modique somme de 15 000 livres. Nonobstant, le droit fut d’abord tempéré, ensuite relâché et même supprimé à perpétuité (édit de septembre 1738). En vue d’encourager et favoriser la course, à la prière de Louis-Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre, alors grand-amiral de France, et fils du comte de Toulouse, gouverneur de Bretagne, qui reçut à titre d’indemnité une rente annuelle de 150 000 livres, assignée sur les fermes générales unies.

Le gouvernement de Saint-Malo, l’un des plus éminents de la province, qui n’avait jamais été commis par les rois de France et les ducs de Bretagne qu’à des seigneurs de haute lignée, comptait aussi en première ligne de ses revenus et prérogatives, le prélèvement du dixième sur les prises, ce qui élevait son traitement à un chiffre considérable 1.

Les motifs qui amenèrent l’abolition de l’impôt du grand-amiral sont remarquables. « Dans les différents objets qui occupent les soins et l’attention que nous donnons continuellement à tout ce qui peut contribuer aux progrès du commerce et de la navigation de nos sujets, statuait et signait de sa main le souverain législateur, de science certaine, pleine puissance et autorité, nous avons remarqué que les armements particuliers qu’ils font en temps de guerre méritent une protection toute spéciale. Il nous a paru convenable de prendre, dès à présent, des mesures pour les exciter à les multiplier, simplifier leurs procédures, diminuer les frais et mettre ceux qui font de pareils armements en état de profiter, le plus promptement que faire se pourra, du fruit des dépenses qu’ils feront, et des risques auxquels ils s’exposent. Nous sommes déterminés à renouveler les principales dispositions d’émulation, en ajouter de nouvelles, et faire connaître plus particulièrement la résolution où nous sommes de protéger la course et la favoriser par toute sorte de moyens. » (Ordonnances de Versailles des 5 mars 1748 et 15 mai 1756.)

Outre ces avantages, pour engager les constructions d’une force respectable, le roi promit de prendre pour son compte et de payer des deniers du trésor royal sur le pied d’estimation ou de facture, à l’option des négociants, les prises de 24 canons et au-dessus, ainsi que les corsaires de cet échantillon qui, ayant été armés neufs, se trouveront en bon état de service lors de la cessation des hostilités ; laissant néanmoins aux armateurs la liberté de les garder ou de les vendre.

De nouvelles dispositions vinrent encore aider plus efficacement ce genre de conquêtes. On régla les récompenses des chefs et des subordonnés afin de provoquer le zèle ; des gratifications excessives leur furent attribuées : d’abord 500 livres et puis 100 par chaque canon de quatre livres de balles et au-dessus, jusqu’à douze ; trente quatre livres pour ceux de douze livres et au-dessus ; ceci pour les navires marchands pris. Cent cinquante livres et deux cent vingt-cinq livres pour ces deux catégories de calibres sur les corsaires capturés : deux et trois cents livres pour ceux des bâtiments de guerre amarinés. Trente livres pour chaque prisonnier provenant des bâtiments du commerce, quarante livres pour ceux des corsaires et cinquante pour les bâtiments de guerre. Lorsqu’il y a combat, les gratifications sont accordées d’après le nombre d’hommes effectifs présents au commencement de l’action et sont augmentées d’un quart en sus, si les bâtiments de guerre et les corsaires ont été enlevés à l’abordage. Pour preuve honorable de la conduite du capitaine, il lui est délivré par le trésor une ampliation de la quittance au bas de la copie de l’ordonnance royale, réservant au surplus de donner au dit capitaine et à l’équipage d’autres marques publiques de satisfaction, même des emplois dans la marine militaire. On promettait aussi des témoignages d’intérêt aux négociants qui s’étaient distingués, par des entreprises étendues, leur octroyant encore pour les dédommager des désastres que souffriraient leurs vaisseaux-corsaires en se rendant maîtres des bâtiments de guerre, cent livres pour chaque canon de quatre, jusqu’à douze livres, et deux cents livres de ce calibre et au-dessus. De plus, vingt livres pour chaque tête de combattants ennemis.

Pour inviter les corsaires à se joindre aux vaisseaux du roi, il fut établi qu’ils auraient part dans les prises faites durant leur jonction, proportionnellement à leur nombre de canons.

Par l’article 11, les corsaires sont assimilés aux bâtiments de guerre, en ce que leurs officiers et volontaires, suivant leur belle conduite sont dispensés, d’une ou deux campagnes d’obligation sur les vaisseaux du Roi pour être reçus capitaines au long cours ou au cabotage.

L’article 12 ajoute, que les officiers et matelots de corsaires invalides par suite de blessures, seront compris dans les états de demi-solde des gens de mer ; des pensions et des gratifications 1 sont accordées aux veuves et aux enfants mineurs orphelins, de ceux qui auront été tués. N’omettons pas de mentionner le numéraire que la vente des prises procure à la caisse des invalides par les retenues faites à son crédit.

Louis XIV, rénumérateur trop magnifique pour oublier ses marins, lorsqu’il assurait un royal asile à ses troupes de terre, forma le projet de pouvoir de la même manière au soulagement des gens de mer en établissant à cette fin deux hôpitaux, l’un à Rochefort, pour le Ponant, l’autre à Toulon pour le Levant.

Il y admettait les officiers, volontaires et matelots estropiés sur les bâtiments particuliers armés en course ; ces braves ne méritant pas moins de faveurs, observait-il, que ceux qui servaient sur ses propres vaisseaux.

Il ne s’en tint pas là ; ayant renoncé à la construction de ces deux édifices qui eussent rappelé la fondation du somptueux Greenwich, il résolut d’y suppléer en procurant aux marins des pensions et une demi-solde, afin qu’ils puissent jouir du fruit de leurs travaux et passer le reste de leurs jours en tranquilité, et comme, répétait-il, les gens des navires particuliers armés en guerre servent également l’État, il voulut qu’ils fussent classés dans cette catégorie et admis à la distribution des récompenses, pensions et demi-soldes : de là le berceau de la caisse des Invalides.

Pour assurer un fonds suffisant à cet effet, après maintes variations 1, il y eut un édit qui éleva ce prélèvement jusqu’à six deniers pour livre sur le montant total des prises ; mais la loi régnante (arrêté des consuls de la République sur le rapport du ministre de la marine, 7 fructidor an VIII), le fixa avec plus de munificence à un décime pour franc (10 p. 0/0).

Enfin l’article 9 porte que les navires armés en course, jouiront de l’exemption de tous droits généralement quelconques, sur les vivres, artilleries, munitions et ustensiles de toute espèce, servant à leur construction, avitaillement et armement. (Déclaration signée à Versailles le 15 mai 1756.)

La loi intervient aussi au pacte qui lie l’équipage et les armateurs ; elle préside au partage de leurs bénéfices. Quant à la propriété des prises, elle est reconnue si légitime qu’on peut la faire assurer comme un bien patrimonial.

La déclaration de Versailles du 24 juin 1778 dit encore, que les canons des corsaires seront fournis des arsenaux de la marine, ou, s’ils ne pouvaient être livrés, le gouvernement avançait la somme de 800 l. pour acheter chaque canon.

Nous le répétons, nous avons extrait cette longue énumération du savant commentateur René-Josué Valin, avocat et procureur du Roi au siège de l’amirauté de la Rochelle sur les us et coutumesnautiques, pour prouver que la course a été hautement considérée et qu’on lui a offert les plus larges concessions.

Certains de l’assentiment de nos compatriotes des côtes de la Manche, nous répudions les griefs et les pitoyables jérémiades d’indélicatesse que nous lancent gratuitement les habitants de l’intérieur qui jugent des coups à l’arrière garde. S’ils désirent connaître notre manifeste ayant pour préambule la devise de notre altière duchesse Anne, inscrite sur une des tours de notre château : quic en groingne1, nous le publierons, la tête haute, en sécurité de conscience. Nous Malouins, guérillas de la mer, nous ferons la course, bannière déployée, narguant les rigoureux hivers, bravant les boulets et la mitraille et ce qui est cent fois pire, les hideux pontons, opprobres de la Grande-Bretagne. Citoyens français, nous subissons les hostilités déclarées par notre souverain ; en compensation de nos pertes et de nos dangers, il nous octroie les croisières, nous en profitons. Enfants de l’Océan, nos fortunes sont à la merci et à la discrétion des armateurs ennemis qui n’en chôment ; abandonnées à l’élément le plus inconstant, elles ne présentent aucune sûreté des propriétés du paisible rentier 2. Recourons donc aux représailles ; vengeons la mort de nos parents, nos expéditions violées, nos établissements anéantis, nos bâtiments et nos marchandises capturés, nos maisons écrasées sous les bombes, nos campagnes ravagées, nos chantiers brûlés, nos usines détruites, et parmi la peinture exacte de la désolation que nous avons soufferte, corsaires de Saint-Malo, que notre courage se tienne debout comme celui de nos pères : Dieu et notre droit3, telle est notre profession de foi, n’en déplaise aux protocoles et aux conférences de cabinet.

Le nom de corsaire tire son étymologie de course. Les marines militaires dans leur origine ne furent qu’une réunion de corsaires, alors que les rois et les seigneurs suzerains étaient obligés, pour faire la guerre en mer, de noliser des barques aux villes commerçantes, comme ils levaient des compagnies d’hommes d’armes sur leurs vassaux.

Venise la superbe, reconnut dans son sénat, pour patricienne, sa marine de corsaires, car elle avait appris que ses services n’étaient pas plébéiens quand il s’était agi de protéger son commerce contre les attaques de ses ennemis, envieux de sa naissante splendeur. De nos jours, l’Amérique du nord, après la déclaration de son indépendance, établit aussi son immense commerce sous le patronage de ses corsaires qui formaient sa seule marine nationale, à la tête de laquelle se distinguait l’aventureux Paul Jones.

Pour abréger cette fastidieuse dissertation, nous n’examinerons pas les utopies des philosophes à la tête desquels se pose le vénérable Benjamin Franklin. Nous discuterons encore moins les vociférations de certains énergumènes qui se prétendent les apôtres de l’humanité ; à chacun son idole : sans vouloir imposer notre opinion, nous la résumerons. Non, aucun état n’osera prendre l’initiative de la suppression de la course ; non, le gouvernement français ne la proscrira pas 1. Quelle que soit la philanthropie qui le dirige, il sera contraint de suivre les usages de la guerre sous peine de se trouver trop inférieur à son ennemi en ne se servant pas de mesures dont la négligence lui causerait un grand préjudice, et en abandonnant de précieux avantages. Pour satisfaire des rêveurs et céder à leurs exigences puériles, faudrait-il qu’avec une marine plus faible que celle de ses adversaires, décimée sous des revers continuels, la France, minée dans son commerce, dépouillée de ses colonies, et privée de leurs productions devenues un besoin, renonçât au droit de se venger et de se défendre, pendant que les navires marchands anglais, libres d’entraves, traverseraient les mers depuis les rives de la Tamise jusqu’aux bouches du Gange, approvisionnant les marchés des nations coalisées contre nous, ravitaillant leurs places de guerre, transportant et jetant des troupes nombreuses dans les provinces occupées par nos armées ? en vérité, ce serait une niaise duperie. D’ailleurs les vaisseaux de guerre beaucoup plus redoutables que les corsaires n’ont-ils pas toujours couru sus aux bâtiments marchands 2.

On tient généralement à savoir les détails de l’enfance des hommes remarquables, espérant y découvrir les secrètes inspirations qui ont déterminé chez eux la vocation dans laquelle ils se sont distingués. Je vais raconter ce que j’ai appris des premières années de Robert Surcouf avant de retracer ses rencontres.

Pour décrire les croisières d’un marin, il faut connaître soi-même le mouvement, le tumulte de sa vie pleine de dangers ; il faut être initié aux impressions de tous ses moments ; il faut avoir lutté avec lui contre le vent impétueux des tempêtes et le tonnerre retentissant des combats. Contemporain du célèbre Malouin dont j’écris la carrière, j’ai l’avantage, comme narrateur, d’avoir parcouru avec plusieurs de ses compagnons ces mers qu’il avait sillonnées si audacieusement avec ses corsaires. Les parages témoins de ses succès me sont familiers ; le Triton et le Kent, nobles trophées de ses exploits, je les ai aperçus sous voiles et encore menaçants 1. J’ai vu Surcouf à l’Ile-de-France, je l’ai rencontré dans le golfe du Bengale, promenant avec orgueil à bord du Revenant, le pavillon tricolore, et jetant par sa présence, l’épouvante dans les comptoirs britanniques, d’où les bâtiments n’osaient plus sortir qu’escortés de vaisseaux de guerre. Marseille, cette colonie de Phocéens, n’inspira pas une plus grande terreur aux temps du capitaine Laigle, fougueux corsaire contemporain de Duguay-Trouin, dont la réputation de bravoure était si divulguée, que les Anglais assuraient à Londres leurs bâtiments avec cette clause spéciale : franc de Laigle2.

1. Roche isolée qui marquait le tombeau d’un guerrier.

2. Aujourd’hui à la marine.

1. La Convention nationale (21 messidor an II), après avoir entendu le rapport de son comité de salut public, avait décrété qu’une forme du vaisseau le Vengeur serait suspendue à la voûte du Panthéon, et que les noms des braves républicains composant son équipage seraient inscrits sur la colonne de ce temple.

Elle convoquait, en leur promettant des récompenses décernées dans une fête nationale, les artistes peintres, sculpteurs et poètes pour célébrer le plus dignement la gloire et les traits sublimes de ce dévouement.

2. La presse anglaise le suivait à la piste dans ses colonnes, et sonnait le tocsinà coups pressés et redoublés pour que les vaisseaux de guerre le chassassent et que les Indiamians * et Extra-Ships ** pussent l’éviter.

On lit dans le Courier de Madras, du 9 février 1796 : « Nous apprenons, par le schonner l’Espion, que le Modeste (ancien nom de l’Emilie) croise à la hauteur de la pointe des Palmiers.

« Un vaisseau danois arrivé dernièrement a été chassé, dit-on, à la hauteur de Palliacat, par un vaisseau qui a l’apparence d’un Pilot-schonner, et qui probablement est un de ceux qui ont été caplurés récemment par le Modeste.

Le Glascow arrivant de Calcutta a rencontré, par le travers de la pointe des Palmiers, naviguant alors en compagnie d’un autre vaisseau, un navire qui l’observait. Le corps et le grément de ce bâtiment correspondent exactement au signalement donné du Modeste.

Des lettres du Bengale, en date du 27 du mois dernier, mentionnent que le Wood-Cote, vaisseau de l’honorabis compagnie, ayant reçu un renfort de quinze matelots de chaque bâtiment avec un détachement de cinquante soldats commandé par un capitaine et des sous-officiers choisis dans le troisième bataillon d’européen, allait partir de suite ainsi que la corvette le Sea-Horse, en croisière sur les brasses à la recherche du Modeste.

16 février 1796 : « Le Modeste, accompagné de ses deux prises, a été vu par plusieurs navires arrivés dernièrement du Bengale. Il parait conserver sa station de la pointe des Palmiers.

* On appelle Indiaman un bâtiment de commerce anglais, naviguant dans l’Inde, d’une côte à l’autre.

** On désigne sous le nom d’Extra-ship un vaisseau marchand frété par l’honorable Compagnie des Indes.

2. A toutes les époques les bâtiments armés par le commerce (soit sous le nom de vaisseau de la Compagnie, soit sous celui de Corsaire), ont fourni bon nombre d’officiers à la marine militaire ; quelquefois on a vu ceux-ci quitter les vaisseaux de haut-bord pour prendre le commandement de navires marchands ou corsaires. Ces mutations furent surtout très-communes pendant les guerres de la République et de l’Empire. De nos jours (1840), après une période de vingt six ans de paix, on trouve encore sur le cadre de l’état-major de la marine, plusieurs de nos premiers officiers ayant servi en course.

1. Ceci rappelle une réponse qui résume bien l’esprit de notre nation. Vous ne vous battez que pour de l’argent, disait avec emphase un officier allemand à un Français prisonnier aux avant-postes ; quant à nous, nous combattons pour l’honneur seul – Chacun se bat pour ce qu’il n’a pas, reprit gaiement notre compatriote.

2. En 1744, à Saint-Malo, on arma quarante-quatre corsaires.

3. Les habitants de Saint-Malo sont gens de guerre, et à la mer des plus redoutés. (Bertrand d’Argentré, Histoire de Bretagne, 1588.)

1. Toussaint-Pierre Guyomar, de Saint-Malo, commandant le corsaire le Serviable qui lui appartenait, enleva à l’abordage un vaisseau anglais armé en guerre et marchandises, de 300 tonneaux, très richement chargé. Le 21 juin 1762, M. de Choiseul, duc de Stainville, lui envoya une épée d’honneur de la part du roi : le ministre ajoutait une lettre flatteuse de sa propre main, et pour surcroit de faveur, ordonnait à l’intendant de Brest de lui fournir gratuitement des arsenaux de la marine, tous les secours dont il pouvait avoir besoin pour réparer son bâtiment et reprendre la mer (1762).

2. Au mois de janvier 1696, il avait fait présent à la ville de Saint-Malo de vingt-quatre pièces de canon en fer coulé, dont douze de trente-six, et douze de quarante huit, toutes montées ; la plupart armaient le bastion appelé la Hollande qui domine la rade. Elles portaient l’écusson de son altesse sérénissime avec l’inscription suivante (en latin) : « En l’an 1696 le gouverneur de Bretagne, grand amiral de France, a donné aux habitants de Saint-Malo, pour l’éternelle défense de leur port et de leur ville, les vingt-quatre canons avec tout leur attirail, qui proviennent des dépouilles des flottes ennemies. »

1. Grand officier de la couronne, commandant à tous les vaisseaux de guerre. Il était appelé chef des armées de mer tant en ponant qu’en levant.

En 1650, la reine Anne d’Autriche, mère de Louis XIV, exerçait alors la charge de grand-maître, chef et sur-intendant général de la navigation et commerce de France.

La charge de grand amiral fut supprimée en 1791, rétablie sous l’empire, et maintenue sous la restauration. Le dernier grand-amiral fut le duc d’Angoulême ; cette charge a disparu avec la révolution de 1830.

2. Abraham fut le premier qui donna le dixième des prises faites sur l’ennemi au grand-prêtre Melchisedec (Gènes, cap. 24), ensuite les Romains firent offrande à leurs faux dieux du dixième des prises et dépouilles qu’ils gagnaient sur leurs ennemis (Tite-Live. liv. V). Les anciens Gaulois donnaient pareillement le dixième des dépouilles au dieu Mars (Commentaires de César). En France le dixième des prises et des rançons appartient à l’amiral, pourvu que les prises soient faites en mer, ou sur les grèves, sous commission, pavillon ou bannière de France, et non autrement ; car nul ne peut équiper un navire en guerre ou marchandises sans commission, pavillon ou bannière de France à peine de confiscation. Cet article, par rapport au droit du dixième de l’amiral, est conforme à l’ordonnance du mois de décembre 1400, à celle de février 1543, et à celle d’août 1582. (Ordonnance de 1681, commentée et conférée sur les anciennes ordonnances.)

1. En février 1443, l’infortuné Gilles de Bretagne en était gouverneur, et fut chargé de l’importante mission de négocier la paix entre l’Angleterre et la France au nom du duc François Ier son père.

1. 40 francs d’indemnité furent ordonnancés au corsaire l’Alliance de Saint-Malo, par chacun des cent quatre-vingt-sept prisonniers de guerre (7 480 fr.) provenant du navire anglais l’Ajax, chargé de troupes, et qui furent admis en échange de pareil nombre de prisonniers français.

1. Dès sa primitive fondation (arrêt du 16 février 1691) la retenue de 3 deniers pour livre, sur le produit des prises amenées dans les ports de Bretagne et Granville, avait une pieuse destination ; elle était employée au rachat des matelots desdits lieux capturés en Barbarie.

1. Ainsy sera, c’est mon plaisir.

2. Le 30 juillet 1763, la station anglaise incendia les bateaux de pêche, graves et échafauds de Terre-Neuve. L’avenir de ce genre de commerce fut grandement compromis.

3. Quelle noblesse de langage dans leur adresse au roi (1758) :

Nous avons vu, sire, brûler nos navires, nos corderies, nos magasins ; nous avons appris la désolation de nos campagnes ; ces désastres et tant d’autres dont on a osé nous menacer, n’ont point ébranlé notre courage et notre fidélité. Aucun de nous n’a songé à quitter le poste qui lui avait été confié sur les remparts, pour la défense de cette faible, mais précieuse partie de votre royaume. Tout intérêt particulier a été oublié… Nous avons abandonné nos navires* aux flammes pour ne penser qu’à nous mettre en état de conserver dans toute sa pureté la foi que nous avons jurée au meilleur des rois. » – Cette requête fut présentée par son altesse sérénissime Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre, prince du sang, gouverneur de la Bretagne, qui ne voulait pas, écrivait-il de son château de Créci, le 15 juillet 1758 que les éloges mérités par les habitans de Saint-Malo, fussent présentés par une autre main que la sienne.

* Plus de quatre-vingts bâtiments, parmi lesquels se trouvaient vingt frégates corsaires, furent brûlés. Les pertes en effets de marine seulement, furent estimées à plus de 12 millions.

1. Plusieurs fois les puissances maritimes ont été invitées par le gouvernement français à l’abolition de la course, mais sans succès, ce qui a obligé la France de renoncer à l’initiative généreuse qu’elle avait prise à ce sujet. (Arrêté du 7 janvier 1793.)

2. Le 28 août 1756, avant la déclaration de guerre, à la suite d’un grand conseil tenu à Londres par MM. de la régence, le roi étant alors dans son électorat, leurs vaisseaux de guerre reçurent l’ordre de s’emparer de nos navires du commerce dans quelque parage que ce fût. Trois cents tombèrent avec étonnement dans leurs filets insidieux, résultat qui donna une perte évaluée à 30 millions.

1. Ces bâtiments vendus à l’Ile-de-France, furent rachetés par des spéculateurs étrangers qui les cédèrent aux agents de la Compagnie anglaise. A leur retour à Calcutta, on les réarma et ils reprirent leur destination première,

2. Le 2 juillet 1709 le capitaine Laigle commandant le Phénix attaqua, à la hauteur de Malaga, trois vaisseaux anglais en ligne pour le recevoir et les prit l’un après l’autre. (Histoire du patriotisme français.)

II.

Enfance de Surcouf. – Ses premières campagnes.

ROBERT SURCOUF, fîls de Charles-Joseph-Ange Surcouf, sieur 1de Boigris 2, et de Rose-Julienne Truchot, son épouse, naquit le 12 décembre 1773, à Saint-Malo, la ville des hardis corsaires 3. Baptisé le dit jour, réfère le registre, par le vénérable prêtre Morin 4, chanoine de ce diocèse, son parrain fut Charles Surcouf fils, son frère aîné, et sa marraine, demoiselle Reine Perrée, dame Surcouf. On lui donna le nom de son grand-père paternel, Robert Charles Surcouf, mari de Françoise Pitot. A cette cérémonie assistait Guillaumette de Porcon, sa grand mère maternelle, veuve de Nicolas-Joseph Truchot, sieur de la Chesnais, capitaine des vaisseaux de la Compagnie des Indes ; elle descendait en droite ligne de l’illustre Porcon-de-la-Barbinais 1, qui renouvela à Alger, sous Louis XIV, le sublime dévouement de Régulus 2 : famille héroïque à laquelle devait plus tard appartenir l’immortel Duguay-Trouin.

Dans son enfance, Robert annonçait un caractère ferme et résolu qui présageait les qualités d’une âme puissamment trempée. Les jeux de son âge n’étaient qu’une rixe continuelle qui se terminait toujours par un pugilat. D’une constitution très robuste, de même que Bertrand Duguesclin : « Nourry jeune enfant en la maison de son père : ayant esté dès sa première enfance, le plus mauvais garçon qu’on eust sçeu dire, tousiours battant ou battu de quelqu’un, tousiours déchiré, querelleux et reuesche. Il assemblait les garçons de son âge, par la paroisse, dressait petites batailles, et les faisait combattre les uns contre les autres, tousiours le premier à se bien frotter, dont le pere et la mere auaient tous les iours tant de plaintes qu’ils en estaient en grande peine. » (j’emprunte les expressions de messire Bertrand d’Argentré, historien de notre chère Bretagne). Cependant comme Robert excellait dans ces sortes de luttes, il était rare que les gamins de son parti n’obtinssent l’avantage. Si d’aventure, l’inconstante fortune trahissait sa cause, le petit panier au bras, en faisant l’école buissonnière, il rentrait chez lui morose, mais non découragé, hochant la tête et rêvant à l’occasion de reprendre une revanche qui ne tardait pas à se présenter.

Ces dispositions d’hostilité permanente parmi les enfants, provenaient autant du caractère belliqueux inhérent aux descendants des anciens Curiosolites (A), que de la mauvaise tenue de l’école à laquelle on l’envoyait. La famille Surcouf, chargée de quatre garçons et d’une fille, ayant une fortune bornée, habitait alors, par motifs d’économie 1, sa propriété de la Drouainière en Terlabouet, à un mille de Château-Richeust (B), et à la même distance de Cancale (C). C’était à l’institution élémentaire de cette petite ville que Robert se rendait avec les enfants des quartiers environnants qui y étaient admis. Après la classe, on décidait la bataille, et bientôt la guerre éclatait entre eux.

Ce genre d’existence qui plaisait fort à Surcouf, ne laissait pas d’offrir de grands inconvénients : outre les risques que présentaient pour la vie de l’enfant, de pareilles mutineries, sa toilette portait souvent les marques dispendieuses, des horions qui venaient attester de la chaleur de ces fréquentes collisions.

Un jour de congé, ses parents, qui avaient épuisé tous les moyens de correction, se décidèrent à le vêtir d’habits confectionnés d’une étoffe commune et d’un tissu épais ; outre cela, ces habits étaient de diverses couleurs disposées comme celles des robes de bedeaux. C’était tout à la fois, croyaient-ils, une punition et un moyen de retenir au logis, l’écolier dont l’amour propre se trouverait blessé de ce costume grossier et ridicule. Vain espoir, le jeune Robert, affublé de la sorte, passa la matinée avec une apparente soumission, et se tint à l’écart, affectant un maintien humble et réservé, ce qui fit penser à ses parents que leur fils était repentant, mais dans ce calme simulé, le prisonnier songeait aux moyens de se soustraire à la peine qui lui était infligée. Son plan arrêté, il se rend furtivement au sommet d’une petite colline dont la pente était très rapide, et d’où il se laisse glisser sur le dos, jambe de ci, jambe de là, répétant cette gymnastique, jusqu’à ce que ses hardes en lambeaux devinssent hors d’état d’être portées et rappelassent, au moyen de ces montagnes russes, la toilette pittoresque du lutrin vivant.

Sa famille, qui l’aimait bien tendrement, malgré son caractère turbulent et son humeur querelleuse, redoutant, dans sa sollicitude, les suites de ces combats fréquents, se décida à regret de l’éloigner du toit paternel, dès l’âge de dix ans.

Robert fut donc envoyé dans un collège près de Dinan, dirigé par un prêtre, où l’on avait établi un enseignement sévère. Là, on espérait inspirer à l’élève du goût pour l’état ecclésiastique 1, pour lequel penchait sa mère qui désirait ardemment le lui voir embrasser, ou, par une obéissance passive, parvenir à modérer la volonté de fer qui se développait chez lui. L’étudiant se fatigua bientôt des règles de discipline observées dans un établissement qui contrastait si évidemment avec ses goûts d’indépendance. Le caractère altier de l’élève était sans cesse aux prises avec le pouvoir absolu du maître ; s’il était le dernier de sa classe par son peu d’application dans ses études, il était le premier par sa malice et son espièglerie.

Cet état d’insubordination régnait depuis longtemps entre l’écolier et le régent, lorsqu’un jour celui-ci voulant le châtier de la peine disciplinaire fort en usage en ces temps-là, se saisit de l’enfant pour mettre par la force son projet à exécution. Le jeune Robert opposa une vive résistance à la violence que l’on exerçait à son égard, et, sentant qu’il allait succomber, ayant été terrassé aux pieds de son professeur, il se cramponna à ses jambes, et dans les convulsions d’une haine furieuse, le mordit si fortement, que son adversaire lâcha prise, abandonnant le jeune garçon, afin d’aller chercher aide et assistance. L’âme fière de Robert ne peut supporter l’affront d’une telle correction ; il profite de l’ébahissement qu’il avait causé dans sa classe, s’élance dans le jardin par une fenêtre, en franchit les murs, et s’enfuit à l’aventure à travers les champs qui environnaient le collège, sans chapeau ni souliers ; pour l’instant il lui suffisait d’avoir recouvré sa liberté, et de s’être soustrait à un châtiment injuste et humiliant.

Cependant la terre était couverte de neige, un froid intense régnait dans l’atmosphère, et le jour finissait. Toutes ces fâcheusescirconstances n’ébranlèrent point sa détermination, il continua sa route sans guide, pour rejoindre la maison paternelle dont il était éloigné de plus de sept lieues.

Le chemin était scabreux au milieu des ténèbres d’une nuit de décembre ; la température engourdissant bientôt ses membres, épuisé de fatigue et de besoin, il tomba et perdit tout sentiment. Il était dans cet état, lorsque des marchands poissonniers qui revenaient de la ville vendre leur marée, lui donnèrent des secours et le ramenèrent chez ses parents dans la plus pitoyable situation ; il fallut, les soins les plus empressés, et sa vigoureuse constitution pour qu’il pût résister à une fièvre inflammatoire, qui faillit causer sa mort.

Quoi qu’il en soit, ce dernier trait décida sa famille à lui promettre de s’embarquer, ainsi qu’il le postulait. En attendant une occasion favorable, on l’apercevait, actif et entreprenant, passer des journées entières dans les bateaux de la Houlle 1, luttant avec les pêcheurs contre le vent et les flots, et goûtant d’indicibles récréations, là où des marins plus expérimentés trouvaient des dangers. Une vocation impérieuse l’entraînait vers l’élément sur lequel, plus tard, il se distinguera.

Aussitôt qu’il eut atteint sa treizième année, pour satisfaire son impatience, on lui permit de prendre la mer à bord d’un petit bâtiment 2 du commerce qui ne devait point quitter les mers d’Europe. C’est ainsi qu’il débuta dans l’art difficile du marin.

Cette navigation circonscrite du cabotage de cap en cap, de port en port, parmi les rochers, cessa bientôt de suffire à la nature aventureuse de Surcouf : elle demandait un théâtre plus vaste. L’océan Indien et ses plages éloignées plaisaient à son imagination ardente, il semblait avoir le pressentiment de l’avenir qui allait se dérouler devant lui, et illustrer sa carrière nouvelle.

Le 3 mars 1789, juste un siècle à dater de la première campagne de Duguay-Trouin, Robert Surcouf ayant l’âge de son fameux parent, quinze ans et demi 1, s’embarqua, aussi comme volontaire, sur le navire l’Aurore de sept cents tonneaux, armé à Saint-Malo, destiné pour les Indes, sous le commandement du capitaine Tardivet. Ce bâtiment, après une relâche de quelques jours à Cadix, atteignit l’Ile-de-France vers la fin de juin. Durant sa traversée, l’Aurore avait éprouvé un de ces rudes orages si communs aux parages du Cap de Bonne-Espérance 2. Les vagues monstrueuses du banc des Aiguilles fouettaient contre le bord du vaisseau qu’elles couvraient sans interruption de leurs sommets écumeux, tandis que le vent furieux du O.-N.-O. l’inclinait démesurément et arrachait de leurs vergues les voiles ferlées. Le jeune volontaire déploya une aptitude et une énergie remarquables qui lui méritèrent les éloges de son capitaine et des officiers. Après s’être réespalmée, l’Aurore laissant les corps-morts de la rade du Port-Louis, sous les brises carabinées du mois d’août, s’éleva au N. pour couper l’équateur et trouver au-delà la mousson du S.-O. qui régnait encore. Alors, prenant sa course au N.-E., le capitaine Tardivet mit le cap entre la petite île Malique et l’Attole N. des Maldives sur lequel se perdit en 1602, le Corbin de Saint-Malo, sous les ordres de François Grout du Clos-Neuf. (Voyez la note D).

Dans le lointain d’un horizon brumeux, les terres S. de la presqu’île indienne que couronne et termine le cap Comorin, vinrent s’offrir aux regards de l’équipage attentif aux incidents qui précèdent et accompagnent toujours l’atterrage. Par une nouvelle route donnée, les montagnes asiatiques disparurent bientôt : il devint nécessaire d’accoster l’île de Ceylan pour la contourner et gagner la rade de Pondichéry, but du voyage. Robert s’était lié d’amitié avec M. de Saint-Pol, quatrième officier du bâtiment ; né sur la côte de Coromandel, cet officier, excellent pratique des mers d’Asie, se complaisait pendant leur longue navigation à enseigner à son jeune ami l’importance des contrées qu’on parcourait, les produits des pays que l’on côtoyait, les ressources qu’offrait chacun des ports qu’on dépassait ; les vents qui régnaient à chaque époque régulière de l’année, le départ et l’arrivée des vaisseaux. Surcouf, docile à la voix de l’enseignement, avide de s’instruire, retenait fidèlement avec la perspicacité qui lui était propre, les explications dont il devait profiter plus tard.

L’Aurore arrivée à la hauteur de Providien, l’attention du volontaire se porta bientôt vers le rivage ; ce petit îlot qui borde la côte est moins remarquable à cause de sa ressemblance parfaite à une énorme voile latine, appareillée au moyen d’une gigantesque antenne, que par la victoire remportée dans ses eaux le 12 avril 1782, par le Bailli de Suffren sur l’amiral E. Hugues : « Je profitai de la beauté du paysage pour élever l’ardeur guerrière du marin adolescent en lui racontant ce combat dont je fus acteur et témoin, » me disait, vingt ans après, M. de Saint-Pol. Cet habile homme était alors, par une bizarre vicissitude de fortune de guerre, juge à Pondichéry, qui avait passé sous le joug anglais. Il me répéta lui-même ce glorieux fait d’armes que je transcris aux notes E.

La côte de Ceylan prenant plus à l’O., Tardivet serrait la terre dans la crainte de dépaler et d’être jeté par les courants sous le vent de la rade de Pondichéry, terme de l’expédition. On passa de nuit devant le vaste port de Trinquemalay, où les armes françaises furent deux fois victorieuses : le 30 août 1782 les forts se rendirent et le 3 septembre les vaisseaux anglais cédèrent pour la quatrième fois le champ de bataille à l’escadre que commandait Suffren.

La brise soufflait bon frais du S.-O. et l’Aurore