SWISS G.I. - Gilles Spencer Roserens - E-Book

SWISS G.I. E-Book

Gilles Spencer Roserens

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Beschreibung

Gilles Spencer Roserens l’a compris dès son plus jeune âge : il est voué à un destin hors du commun. En proie à de rudes conflits familiaux, le jeune suisse est appelé très tôt à voler de ses propres ailes. En pleine guerre froide, désireux de rejoindre les Etats-Unis pour s’engager dans l’armée, il quitte ainsi ses montagnes suisses pour le pays de l’Oncle Sam et débarque à New-York. Se forge alors son rêve américain, fort, puissant, inébranlable. Sa trajectoire de vie, il l’a doit bien sûr à son talent, mais aussi à sa profonde persévérance. Petit à petit, ses ambitions et son travail portent leurs fruits et sa carrière est à l’image de son tempérament : étonnante. Après avoir servi durant vingt-six ans au sein de l’US Air Force (R) dont treize à la Defense Intelligence Agency (DIA), célèbre agence de renseignements américaine, il intègre le Pentagon dans le département des affaires militaires européennes avant d’être nommé assistant exécutif du commandant en chef militaire de l’OTAN. Une autobiographie riche de références historiques et politiques essentielles, qui traverse les décennies et laisse découvrir en filigrane le cœur d’un homme hors du commun. Véritablement passionnant.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"J’ai toujours été fasciné par les personnalités et destins hors normes. Et comment ne pas admirer l’extraordinaire parcours de vie effectué par Gilles Spencer Roserens. Son récit, passionnant de bout en bout, prouve une fois de plus que pour atteindre ses objectifs, il n’existe pas de moteur plus puissant que celui de la passion. Ils sont tellement rares ceux qui réalisent leurs rêves… eh bien de par sa volonté et ses dons multiples, Gilles a réalisé cet exploit qui ferait un excellent biopic cinématographique. Il en a fait du chemin notre « petit suisse » devenu américain. En nous entraînant dans les coulisses de ses engagements militaires, en nous dévoilant certains aspects des services les plus secrets, il nous plonge dans les rouages d’un univers plus que captivant: hypnotisant ! Que de découvertes insoupçonnables révélées par sa plume précise et habile. On ne peut qu’admirer une aventure humaine aussi surprenante et vivifiante. Son récit est à la fois une leçon d’Histoire et un exemple frappant d’intelligence au service d’un idéal." - Olivier Lejeune (comédien, humoriste, auteur, présentateur, chroniqueur et metteur en scène Françai


À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en Suisse en 1961, il devient Américain en 1989. Il possède un post-Master en études sur la Seconde Guerre Mondiale, un Master en Relation Internationale de la North Georgia University et une licence en Sécurité Nationale de l’American Military Univeristy. Entre autres, il est diplômé avec honneur de l’US Air Force Intelligence Academy et de celle de l’US Air force Security Forces Academy. Il possède également plusieurs certificats d’études de l’Ecole militaire de l’OTAN. Il a servi 26 ans au sein de l’US Air Force (Forces de Sécurité/Renseignements) donc 13 au sein de la Defense Intelligence Agency (Renseignement Humain -HUMINT). Il occupa des mandats aux Ambassades Américaines de Paris, Bruxelles, Luxembourg, Sarajevo ainsi qu’aux quartiers-généraux militaires OTAN et Américains en Allemagne et en Belgique ainsi qu’au Pentagon et au Pacific Command. Il travaille présentement au bureau de coopération de défense auprès l’ambassade des Etats-Unis à Paris.

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Gilles Spencer Roserens

SwissG.I.

Du rêve à la réalité

JE VOUS DEDIE CE LIVRE.

Je dédie ce livre a tous ceux qui ont construit et façonné l’être que je suis aujourd’hui, par leurs exemples de vie et leurs conseils. Mon épouse Arcadia bien sur qui, au-delà d’une femme remarquable, m’a soutenu dans toutes mes démarches parfois contre ses propres intérêts et représente une âme protectrice quasi maternelle. À mon frère Stéphane dont la sagesse et pureté de cœur sont une voie angélique sur mon épaule interpellant ma bonne conscience lorsque je risque de m’égarer. Je le dédie aussi à tous mes amis qui représentaient, surtout à mon jeune âge formateur une famille sentimentale nécessaire. Je le dédie aussi à cette âme sœur, cette flamme jumelle dont le nom restera dans les étoiles.

Mais je dédie ce livre également à mes détracteurs, à tous ceux qui n’y ont pas cru, à tous ceux qui ont essayé de me mettre des bâtons dans les roues, tous n’étaient pas malveillants d’ailleurs, certains même emplis de bonnes intentions même si erronées ; comme ma mère par exemple, dont je suis très critique dans ce livre, qui croyait me protéger contre ma propre ambition et une vision de vie qu’elle jugeait à tort trop excessive. Je le dédie aussi à eux, car ils m’ont donné la hargne de réussir, je ne pouvais pas leurs donner raison et pour m’en assurer, je me suis promis de ne jamais abandonner…car tant qu’on n’a pas abandonné on n’a pas perdu.

Alors je dédie ce livre à tous ceux qui m’ont soutenu comme à tous ceux qui n’y ont pas cru…Merci grâce à vous tous j’ai fait mon chemin choisi et je suis arrivé à MA destination. Vous avez tous contribué à l’être que je suis aujourd’hui!

GR

PROLOGUE

Je tiens à rappeler que malgré le fait que j’ai passé près de treize ans à la Defense Intelligence Agency (DIA) et vingt-six ans au sein de l’US Air Force (R) ce livre n’est ni un livre de guerre ni un livre d’espionnage, c’est une œuvre autobiographique !

Mon roman raconte la vie d’un jeune Suisse anticommuniste, antisoviétique, à l’enfance bouleversée par des conflits familiaux ; il décrit mes émotions, mes amours, mon éducation sexuelle imprégnée par la libération des mœurs des années 1970 ; sans oublier mes succès et mes échecs dans tous les domaines : la liste est loin d’être exhaustive.

Mon rêve a toujours été de quitter les montagnes suisses pour rejoindre l’armée la plus puissante du monde, afin de prévenir ou de contrer une hypothétique attaque soviétique qui, en pleine guerre froide, était redoutée.

Un beau jour, comme par enchantement, j’ai voulu prendre mon destin en main en décidant de me rendre au pays de l’OncleSam.

« Il est parfois bien d’avoir un grain de folie. » C’est la possibilité de vivre cette aventure qui m’a permis de me battre avec acharnement au point de transformer mon rêve en réalité.

Il est vrai que la liberté donne le pouvoir de faire passionnément et paisiblement ce à quoi l’on aspire. Aujourd’hui, je ressens de la gratitude en me souvenant de mon ascension professionnelle fulgurante aussi bien au sein de l’US Air Force que de la DIA. N’est-ce pas merveilleux ?

Dans la première partie de ce livre, je parle des conflits qui m’opposaient à mes parents, et surtout des conflits avec ma mère, d’une violence verbale inouïe.

Toutes ces disputes naissaient de son opposition à me voir réaliser mon rêve. Je crois que certains parents n’ont pas conscience du fait que plus ils s’opposent aux idées de leurs enfants, plus ce manque de soutien renforce l’envie de ceux-ci d’aller au bout de leur désir.

Rassurez-vous, avec le temps, de l’eau a passé sous les ponts. Mon seul souci est de vouloir être authentique en revenant sur ces périodes de grandes disputes entre ma mère et moi, au lieu de maquiller l’histoire. Aujourd’hui, notre entente est plus cordiale et sans animosité.

Je vous prie cependant de vous montrer indulgents lorsque vous lirez cette partie conflictuelle qui illustre l’état d’esprit dans lequel j’étais durant cette période frustrante. Le lecteur jugera peut-être certains passages trop violents, à l’image d’un adolescent de quatorze ans, à l’âge où les hormones sont en ébullition au point de décider de couper tout lien avec ses parents.

Comme le disait si bien Gandhi : « La force ne résulte pas des capacités physiques, mais d’une volonté infaillible. » Il vaut mieux laisser le rêve dévorer notre vie sans laisser les obstacles anéantir ses rêves. Cette histoire est la mienne, celle d’un objectif atteint par l’acharnement et la persévérance.

Ce livre a été écrit sans aucune prétention littéraire, mais avec le désir de partager une belle leçon de vie. Je regrette si la lecture de certains passages provoque de la peine à quelques-uns, et je les prie d’excuser ma maladresse. Cependant, si c’était à recommencer, je ne changerais rien à ma vie, car ce sont ces péripéties qui ont fait de moi l’homme que je suis aujourd’hui.

« Une rivière perce un rocher non par sa force, mais par sa persévérance. »

Avec mes remerciements.

Bonne lecture !

PREFACE

C’est a l’aurore du nouveau millénaire que j’ai rencontré pour la première fois ce jeune homme, costaud, qui est entré dans mon bureau au deuxième étage de la prestigieuse ambassade des États-Unis à Paris. Son intensité et sa détermination étaient tout à fait visibles et palpables. Sa réputation était forte de compliments et mon prédécesseur ne parlait de lui qu’avec éloges. Il le connaissait d’ailleurs très bien, Gilles ayant travaillé pour lui pendant plus de six mois en tant qu’analyste bilingue du renseignement de la Defence Intelligence Agency (DIA). Gilles s’est alors déguisé en un solutionneur de problèmes tenaces et persistants qui obtenait constamment les résultats qu’il s’étaitfixé.

Lorsque, en tant qu’attaché de Défense des Etats Unis en France, je décidai de nommer Gilles comme mon assistant exécutif, je sus que je faisais le bon choix. Il ne cessait de m’impressionner, non seulement par ses performances professionnelles exemplaires, mais aussi par ce que je devais apprendre sur sa vie et sa détermination quant à l’atteinte de ses objectifs. Dès l’adolescence, il s’était fixé une trajectoire de vie que rien ni personne ne pouvait altérer. Rien n’allait le dévier de ses objectifs de vie. Sa vie est une histoire fascinante où il a dû détruire tous les obstacles qui se dressaient sur son chemin visant à devenir Américain, servir vaillamment dans nos forces armées et finalement, faire partie de la communauté des services de renseignement américain.

Ces traits résolus se sont constamment manifestés dans la façon dont il a abordé sa vie professionnelle et ses fonctions diplomatiques au cours des trois années durant lesquelles nous avons travaillé ensemble, ainsi que dans la façon dont il a géré sa vie personnelle avec ses amis et sa famille.

Son livre est une vraie histoire de vie, une vraie autobiographie allant bien au-delà du domaine militaire. L’histoire de son enfance et de son environnement familial toxique et obstructive aide le lecteur à comprendre pourquoi et comment Gilles a développé une indépendance précoce vis-à-vis de ses parents et de la vie en général. Ses conflits constants avec les objections de sa mère à son rêve américain ont été des éléments constitutifs profonds de l’histoire de la vie de Gilles.

Après avoir vu et lu cette histoire fascinante, la puissance de son caractère, la profondeur de sa persévérance inébranlable, on comprend mieux comment la vie a façonné l’homme solide que Gilles est aujourd’hui. C’est une belle et intrigante histoire du passage à l’âge adulte jusqu’à la sagesse qui pourrait servir d’exemple et influencer ceux poursuivant des objectifs hors normes dont les chances de succès sont faibles. Gilles a su démontrer que si l’on y croit, si on persévère, nos rêves nous appartiennent et le succès sera au rendez-vous. Un livre illustrant une vie remarquable de persévérance et d’obstination. À lire absolument!

Vice-Amiral Larry LafayettePOE

Ancien Attaché de Defense US en

France et Sous-Directeur Inspecteur Général pour l’Intelligence(J-2)

PARTIEI

CHAPITREIENFANCE ET FAMILLE

Je tiens d’abord à rappeler que mon frère et moi étions des enfants très désirés. En effet, ma mère avait fait deux fausses-couches successives avant notre conception. Son désir le plus cher était donc de devenir maman.

Lorsqu’elle est retombée enceinte, c’était donc une grande bénédiction. Toutefois, sa grossesse n’est pas arrivée à terme, puisque je suis né à sept mois, plus précisément le 6 janvier 1961 à Martigny dans le canton du Valais en Suisse.

Après ma naissance, ma mère refit une fausse-couche. Miraculeusement, au bout de cinq ans, elle retomba enceinte de mon petit frère. Hélas, mon frangin vint au monde avec un handicap moteur cérébral. Heureusement, avec les progrès de la médecine, il retrouva rapidement toutes ses facultés.

Mon père Guy et ma mère Monique avaient des caractères opposés, chacun avec sa personnalité plus ou moins trempée. Ce qui eut pour conséquence d’engendrer des mésententes, puis plus tard une rupture inévitable. Je crois d’ailleurs que ce sont ces conflits qui ont influencé mes choix futurs.

Mon père est né à Riddes, un village valaisan situé entre Martigny et Sion. C’était un enfant illégitime : il était le fruit d’une liaison entre ma grand-mère Agnès et un certain Roserens que ma grand-mère quitta plus tard pour épouser Paul Claivaz, un homme rustre et brutal surtout envers mon père à qui il réservait de mauvais traitements. Il l’élevait à coups de poing, alors qu’un traitement de faveur était réservé à ses deux demi-frères Luc et Pierre-André Claivaz.

Ma mère Monique, orpheline de père, est née dans le petit village de Saxon à quelques kilomètres à l’ouest de Riddes. Elle grandit dans un contexte familial exclusivement féminin avec sa sœur aînée Janette et son autre sœur Gisèle.

Je ne saurai vous dire comment mes parents se sont rencontrés, ils ne m’en ont jamais parlé. J’ai néanmoins ouï dire que ma mère avait quitté son cocon familial afin de fonder sa propre famille, c’est-à-dire d’avoir son propre foyer équilibré.

Mes plus vieux souvenirs remontent à l’âge de quatre ans lorsque je vivais à Collombey près de Monthey, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Riddes et Saxon. Mon père exerçait la profession de cheminot au sein des Chemins de fer fédéraux (CFF), tandis que ma mère était femme au foyer.

Avec le temps, mon père était devenu garde barrière, mais avec l’automatisation des barrières, et le nombre de postes restant de plus en plus limités, nous dûmes déménager pour quelques mois d’abord à Estavayer-le-Lac, une petite ville tranquille près du lac de Neuchâtel, puis à Twann, un petit village suisse-allemand situé à la frontière suisse-alémanique proche de la ville bilingue de Bienne.

Ces souvenirs sont ceux d’une enfance heureuse, voire insouciante, lorsque j’allais marauder des choux de Bruxelles que je dévorais crus, ou encore quand je reçus ma première locomotive électrique. Mes parents semblaient heureux, d’autant plus que mon petit frère venait de naître le 18 août1965.

C’est également à Estavayer-le-Lac que j’eus mes premiers contacts avec des soldats suisses : ils avaient la gentillesse de me lancer des biscuits lorsqu’ils passaient en camion devant le poste de garde-barrière de mon père.

1. TWANN

La mobilité était la principale caractéristique du travail de mon père. Ses affectations nous obligeaient donc à souvent déménager. Il venait d’être affecté d’Estavayer-le-Lac à Twann. Notre déménagement se fit dans la 2 CV d’un ami. Il faut savoir qu’à l’époque, rouler en automobile était un privilège réservé aux personnes relativement riches.

C’est à Twann qu’un nouveau chapitre de ma vie s’ouvrit. Le mode de vie y était totalement différent tant sur le plan social que culturel.

Nous dûmes d’abord nous installer dans un hôtel au centre du village avant d’emménager dans une maison des CFF rattachée au poste de garde-barrière à quelques pas du lac, à moins d’un kilomètre à l’extérieur du village sur la route de Bienne. Notre nouveau logement était immense. C’était un labyrinthe dont la superficie et le sous-sol m’effrayaient, tout comme la cave d’Estavayer-le-Lac. À l’extérieur, il y avait suffisamment d’espace pour des lapins et des poules. Malgré son immensité, c’était une maison modeste.

Le souvenir le plus douloureux de cette époque est la perte de notre chien Bobbi qui se trouvait sur les rails au moment où un train passa. J’étais très attaché à Bobbi. Afin d’atténuer mon chagrin, mes parents nous ont offert un nouveau chien que nous avons baptisé Nicky.

Twann évoque pour moi les souvenirs d’une petite enfance, dont mon entrée à l’école, les plaisirs de la détente sur la plage située à proximité de la maison. C’est aussi là que j’eus ma première trottinette, une première télévision en noir et blanc recevant les trois chaînes nationales : suisse romande, allemande et italienne.

2. MES PREMIERS PAS À L’ÉCOLE…

C’est la première fois que j’allais à l’école. J’étais inquiet de l’immersion dans un environnement nouveau, loin de mon foyer familial protecteur. C’est pourquoi j’étais en pleurs le premier jour d’école. Je ne voulais pas y aller, comme de nombreux autres enfants. Il fallut me traîner de force dans ce lieu d’apprentissage.

À ma grande surprise, ce n’était pas du tout un environnement hostile comme je le craignais. J’étais plutôt content d’y être, d’autant plus que je m’étais attaché à ma première institutrice, Mme Pfeller, une femme blonde d’une cinquantaine d’années, douce et bienveillante. C’est durant mes deux premières années d’école que j’appris l’allemand. Par chance, mon ancienne institutrice, Mme Perrot, habitait en face de chez nous et m’aidait à faire mes devoirs plusieurs soirs par semaine.

3. LES ANNÉES MAGRI

Personne ne mérite davantage ma gratitude que mes premières institutrices. C’est grâce à la douceur de Mme Pfeller que je me suis senti en confiance dès mon premier jour d’école. Ce qui prouve que la femme incarne vraiment la douceur.

J’en pris conscience entre la troisième et la quatrième année de ma scolarité avec mon instituteur M. Magri. Il était mon pire cauchemar ! Vous allez comprendre pourquoi.

C’était un barbu, à l’image de ces « hussards de l’enseignement », particulièrement dur et brutal. Il aimait se mettre derrière les élèves, leur caresser la tête tout en leur posant des questions. Chaque mauvaise réponse s’accompagnait d’une gifle retentissante ou d’un violent crêpage de cheveux. Il était d’un sadisme hallucinant. Je le craignais comme la peste.

De nature craintive, je ne voulais plus aller à l’école, ni au camp de ski à la Lenk pendant l’hiver 1972. Afin de me soustraire à sa brutalité, j’inventais toutes sortes de stratagèmes.

D’ailleurs et jusqu’à présent, plusieurs mauvais souvenirs des séjours au camp de ski de Lenk m’ont traumatisé au point de nuire à ma vie en collectivité. Un jour, il m’obligea à danser alors que je suis un grand timide. J’étais indigné ! Cette expérience humiliante me poursuit jusqu’à aujourd’hui, de sorte que je n’ose pas esquisser un pas de danse en public. Depuis cette époque, je reste paralysé à l’idée de devoir danser.

Dès mon arrivée dans la nouvelle école, mes camarades suisses-allemands me donnèrent le surnom de « Shucou ». Je n’ai jamais compris ce que cela signifiait. Deux clans s’étaient formés dans ma classe : un groupe constitué des élèves des montagnes et l’autre de ceux du village. Je faisais partie du clan du village.

Une fois la journée d’école terminée, nous empruntions le chemin des élèves de la montagne afin de les frapper à coups de sacs à dos. Certes, j’étais petit et peureux, mais néanmoins courageux. Je ne m’étais fait qu’un seul ami durant ma scolarité à Twann. C’était un Italien du nom de Gabriel Forti.

Comme le dit si bien l’adage : qui se ressemble s’assemble. Gabriel Forti était aussi timide que moi ! Mais malgré sa petite taille, il m’impressionnait par sa force. J’étais son Poulidor dans la plupart des activités sportives. En effet, il était le seul de la classe à me battre en gymnastique et quasiment dans toutes les autres disciplines, à l’exception d’une seule : grimper à la perche de 5 mètres, où j’étais invincible. Nous étions inséparables à l’école tout comme en dehors, y compris durant les week-ends.

4. LES MAYENS : DÉBUT DE LA DÉGRADATION ENTRE MES PARENTS

J’ai déjà mentionné que mes parents avaient des caractères opposés. Néanmoins, jusqu’ici, mon frère et moi n’avions jamais été témoins de leurs disputes ! Je ne saurais dire si leur mésentente a commencé bien avant notre arrivée à Twann, ou alors Twann a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase en raison d’une vie sociale limitée !

Certes, la barrière linguistique avec les Suisses-Allemands était un véritable obstacle qui ne permettait pas de nouer de nouvelles relations et les empêchait d’être socialement épanouis. Mais pour autant, ça n’explique pas le pourquoi de la dégradation du lien conjugal !

En effet, les relations de mes parents se limitaient au cercle familial, ainsi qu’à quelques collègues de travail de mon père. En particulier, un de ses collègues était la cause de scènes de jalousie incroyables entre mes parents.

Ces disputes étaient de plus en plus violentes et effroyables au point de nous provoquer une boule à l’estomac. Lorsque j’y repense aujourd’hui, je crois qu’il y eut des conflits similaires à la suite des visites d’amis de la famille lorsque nous étions encore à Twann. Ces scènes se reproduisaient en permanence lors de nos vacances aux Mayens-de-Riddes dans notre Valais natal, dans « Le Pampinel », un petit chalet de deux étages rustique et modeste appartenant à mon oncle Pierre-André que nous appelions affectueusement « Pampi ».

Ce chalet était dépourvu d’eau courante, comme d’électricité et de commodités. Pourtant, cette absence de confort n’affectait ni mon petit frère ni moi.

Au contraire, chaque année nous attendions impatiemment de nous rendre aux Mayens. Nous avions mis au point un petit jeu sur le principe du calendrier de l’Avent. Nous jetions autant de petits cailloux dans un sceau que de jours restant avant le grand départ. Chaque jour, nous en retirions un, exactement comme avec le calendrier de l’Avent qui permet aux enfants de faire un compte à rebours à l’approche de Noël.

Avant que mes parents ne s’offrent leur première voiture, une Simca bleue à l’intérieur blanc, nous nous rendions à Riddes par le train ; nous empruntions ensuite le petit téléphérique orange jusqu’à Isérables, un petit village accroché à la paroi de la montagne. De là, nous montions dans l’une des navettes de Range Rover orange qui desservaient les Mayens-de-Riddes. Nous arrivions généralement très tard à destination. Il fallait ensuite gravir un petit chemin sinueux avant d’atteindre le chalet dans le calme et la profondeur de la nuit.

Le matin, nous étions réveillés par le tintement des cloches des vaches. Dès que les volets étaient ouverts, les odeurs propres à cet endroit pénétraient nos narines : un véritable enchantement !

Les Mayens ont profondément marqué mon enfance. C’est là qu’est né mon amour de la nature. C’est aussi aux Mayens que se sont manifestées mes premières aspirations militaires, notamment en jouant aux petits soldats avec mon ami Pierre. Pierre incarnait le rôle d’un soldat américain et moi celui d’un soldat anglais. Chaque jour, nous gravissions la montagne en jouant que nous étions des commandos infiltrés en territoire ennemi. Nous supposions que chaque avion qui passait au-dessus de nos têtes examinait la montagne à la loupe en tentant de nous repérer.

C’était exaltant d’imaginer des voitures blindées, des troupes ennemies à nos trousses… Les pommes de pin étaient nos grenades. Lors de nos escapades en montagne, Pierre apportait aussi souvent des pistolets et des fusils factices… Dans notre scénario imaginaire, nous avions établi une sorte de quartier général près d’une mare située derrière l’hôtel des Beaux Sites, un endroit calme, sous un grand arbre voûté qui nous protégeait aussi bien de la pluie que de la vue des passants. La petite chapelle en forêt, sise en dessous du dernier virage avant l’entrée des Mayens-de-Riddes et entourée d’immenses blocs de pierre, était une sorte de citadelle représentant le monde libre assiégé chaque dimanche par les Soviétiques.

Je dois cependant avouer que nous n’avions à notre âge aucune connaissance géopolitique ni géostratégique du monde. Les informations parlaient juste de l’Union soviétique et d’une possible invasion. Ainsi, même n’étant encore que des enfants, nous étions déterminés à nous battre dans l’éventualité d’une invasion communiste de la Suisse, prêts à récupérer les armes des soldats tombés au combat et à défendre nos montagnes. Croyez-moi, nous étions intimement convaincus et prenions notre mission future très au sérieux !

CHAPITREIIL’ADOLESCENCE ET LA NAISSANCE DE MON AMÉRICANISME

5. BIENNE MA VILLE FORMATRICE

Le poste de « garde barrières » de mon père à Twann fut supprimé au cours de ma quatrième année de scolarité allemande. Il fut muté aux ateliers CFF à Bienne à sept kilomètres du village Suisse Allemand où j’avais vécu la majorité de ma petite enfance. Nous connaissions bien la ville de Bienne, car nous y faisions nos courses hebdomadaires tandis que nos parents, souvent avec notre aide, y distribuaient des prospectus publicitaires dans les boites aux lettres pour arrondir leurs fins de mois. 

Notre nouvel appartement, situé au dernier étage de la rue du Général Dufour 98 me permit d’avoir enfin ma propre chambre, qui devint très vite mon sanctuaire et un refuge salutaire lors des conflits de plus en plus violents entre mes parents.

Une fois installé à Bienne, les autorités scolaires Suisse romande m’obligèrent à refaire ma 4e année scolaire en français alors que je l’avais faite en allemand. Ce redoublement explique la raison pour laquelle l’on me refusa deux ans plus tard aux examens d’entrée d’école secondaire et par la même aux études supérieures nécessaires à réaliser mon rêve de l’époque de devenir pilote militaire dans la chasse helvétique. Acculé mais très nationaliste, je considérai alors une perspective de carrière en qualité d’instructeur militaire afin de servir monpays.

Mon entrée au collège Dufour à Bienne pour y refaire ma 4e en Français, changea radicalement par rapport à mes deux dernières années de scolarité avec Monsieur Magri à Twann. L’instituteur, Monsieur Gyger était une personne bienveillante et ouverte. Aller à l’école devint alors un plaisir. J’y fis la connaissance d’Aurelio qui devint l’un de mes meilleurs amis, tandis que sa famille devint une sorte de famille de substitution où je trouvais paix et réconfort lors des violences conjugales au sein de ma propre famille.

Mes cinquième et sixième années de scolarité se déroulèrent au Collège du Marché Neuf. D’abord avec Monsieur René Rebetez, un homme portant une blouse blanche, à l’allure stricte, encore un de ses « hussards de l’enseignement » vieille école, mais un homme de principes qui m’inspirait le plus profond respect. Robert Jourdain, fit son apparition en qualité de stagiaire avant de devenir mon professeur de 7e et 8e. Ses conseils, son assistance, mais surtout ses encouragements allaient jouer un rôle fondamental dans la mise en œuvre de mon rêve Américain. La 6e fut une année terne avec Monsieur Bourquin, un écrivain, souvent malade, remplacé par son épouse que la plupart des élèves ne supportaientpas.

6. ROBERT JOURDAIN, « UN MAÎTRE UNAMI »

« La vocation de l’élève est de dépasser le maître » écrivait Friedrich Nietzsche. Nul doute que les deux années suivantes, en 7è et 8è, j’ai rencontré un de mes plus remarquable maitre, au sens des Anciens. Il a su aller au-delà de sa mission de transmission de connaissances et de méthode, et m’a édifié sur le plan personnel, comme savent le faire les grands « maîtres ». Ces années furent de loin les plus fascinantes et les plus riches et formatrices de ma scolarité. Mon nationalisme helvétique s’estompa progressivement tandis que je commençais à vouloir servir dans l’armée d’une nation qui correspondait à mes idéaux politiques naissants ; je n’étais plus neutre, comme le sont habituellement et par définition, les Suisses. Je commençais à appréhender la neutralité comme un signe de faiblesse de caractère national.

Robert était un professeur moderne, engagé, ouvert et proche de ses élèves. Il était de ces maîtres, qui édifient les individus. Il m’a marqué à jamais dans ma vie personnelle et professionnelle. Il n’était pas franchement proaméricain bien au contraire préconisant souvent son déclin, mais il joua un rôle important dans la poursuite de mes choix.

Un jour qu’il s’emporta contre nous en classe, il déclara : « Puisque vous ne voulez pas suivre mon programme, vous n’avez qu’à faire le vôtre » !! Paroles en l’air pour tous les autres de la classe peut-être, mais pas pour moi. Le lendemain, je revenais à l’école avec un programme complet, structuré y compris sur le plan de la méthode. Ce programme portait essentiellement sur la revue de l’actualité internationale, l’étude du parti communiste Bulgare, la structure des forces de l’OTAN, le pacte de Varsovie etc. Mon « maître », impressionné par le sérieux et la structure de mon programme, m’autorisa à suivre celui-ci au détriment des autres cours tels que de l’algèbre, des dictées à l’exception de la gymnastique. Chaque matin, j’arrivais en classe armé d’une pile de journaux et de livres afin de lire, de commenter et d’écrire sur la situation internationale du moment ou sur certaines idées géostratégiques. Le dernier jour de ma scolarité, nous prîmes un verre qui allait nous faire passer de maitre a AMI, confirmant ouvertement un sentiment existant déjà depuis longtemps.

« LA TIMIDITE CHEZ UN HOMME EST UNE FAIBLESSE CHARMANTE » écrivait Philippe Besson dans Se résoudre aux adieux.

La timidité a certes marqué mon enfance, mon métier m’a aidé à la combattre. La récitation devant la classe était un vrai calvaire, c’était rédhibitoire avec les filles, où en groupes. Faute de pouvoir m’imposer, je me retranchais plutôt dans la lecture, surtout de l’histoire, ou la fabrication de modèles réduits d’avions, chars et bateaux de guerre qui remplissaient ma chambre. J’aimais les discussions politiques avec les adultes. A 14 ans, je commençais à sortir dîner au restaurant comme le font les adultes. Ma mère m’a toujours dit que j’étais né vieux et trouvait mon retranchement anormal méritant une évaluation psychologique professionnelle.

C’est à Bienne lors de ma première classe française que je me suis vraiment lié d’amitié avec plusieurs camarades : Aurelio Citro, un autre italien, fut aussi mon meilleur ami à cette époque. Il n’habitait pas loin de chez moi et tous les jours, j’allais le chercher chez lui avant que tous deux nous nous rendions à l’école. J’étais proche également de son frère Pietro. Leur famille devint comme je l’expliquais plus haut, une famille-refuge dans laquelle je trouvais un réconfort sur le plan affectif faute de pouvoir le trouver à la maison. Il représentait le couple et la famille idéale, il y avait une harmonie entre eux et une paix, une sérénité qui me servait de refuge dans les moments d’angoisse lors de grandes tensions dans ma propre famille.

Lorsque j’allais chercher Aurelio, je montais dans sa mansarde au 2e étage de sa maison, je le saluais en lui serrant le pied… Nous étions convenus de nous saluer ainsi, cultivant notre différence ; puis nous nous rendions à l’école, Aurelio assis sur son vélo tandis que je le poussais tout en discutant avec lui en traversant le parc public de Bienne pour nous rendre à notre école du Marché-Neuf. Devant l’école, nous jouions au football. Il était plus tacticien et moi davantage une force brute, mais nous étions complices.

7. LA 2nd GUERRE MONDIALE - ÉVEIL DE MON AMÉRICANISME

Le tout premier livre que je me suis offert avec mes deniers personnels portait sur « les armes et uniforme de la Seconde Guerre mondiale ». Je me découvris progressivement une passion pour ce sujet historique ainsi que sur la période de crise des années Trente, dont le conflit mondial fut l’épilogue. Mon deuxième livre s’intitulait « Overlord » celui-ci relatait les grands préparatifs et moment que fut la préparation et l’exécution du débarquement de Normandie le 6 juin 1944. Je me découvris pro-américain. Je rêvais de plus en plus de devenir un Américain, plus encore un GI américain et de servir la bannière étoilée. Ce rêve se révéla être une émulation dans ma vie durant les dix années suivantes (de 14 à 24ans).

8. UNE FAMILLE RÉFRACTAIRE

Comme je me passionnais pour l’armée et la guerre, ma chambre ressemblait à un magasin de jouets militaires ; remplie de modèles réduits d’avions en plastique, que je construisais et que je peignais. Il y avait des chars, des avions de combat, des canons, je devais bien avoir plusieurs centaines de soldats des pays belligérants de la Deuxième guerre. Lorsque j’arrivai à la fin de la construction d’un porte-avions, ou autre grand navire de guerre, j’invitais mes amis, et notamment Aurelio, son frère Pietro, Eric et François, mes meilleurs camarades de classe… Nous commencions par l’inauguration du navire avec fanfare militaire, sur des 44 et 75 tours sur mon premier tourne-disque rouge et blanc de Lenco. Tous ces soldats et tous ces équipements étaient alignés sur l’étagère avec une précision que je caractériserais « d’helvétique ». Dans mes lectures, je raffolais aussi des aventures de Battler Briton durant le Second conflit mondial, dont les livres entouraient l’entourage de mon lit. Ma chambre était devenue mon sanctuaire, mon refuge, mon domaine imaginaire, mon exutoire ; j’y planifiais mon avenir et je m’y retranchais pour fuir les conflits familiaux entre mes parents qui devenaient de plus en plus fréquents, violents et toxiques. Je vivais également de plus en plus mal leurs remarques acerbes et leur dénigrement, face à mes aspirations et projets de plus en plus évidents de vouloir servir au sein des formes armées Américaines. Je me souviens par exemple de leur réaction déconcertante lorsque je leur montrai la lettre que m’avait adressée le Général belge Robert Close (futur sénateur). J’avais lu son livre intitulé « L’Europe sans Défense », dans lequel il expliquait comment les Soviétiques pouvaient être sur le Rhin en 48 heures. Je lui avais spontanément écrit sans mentionner mon âge pour l’interroger sur les théories avancées. À ma très grande surprise, « Le Général » me répondit en 4 ou 6 pages manuscrites. Flatté, je me précipitai pour montrer la lettre du Général à mes parents. Leur réaction m’ébranla en effet surtout celle de ma mère qui devait une fois de plus évoquer le besoin de voir un psy devant mon caractère, mon attitude et mon comportement non-conformiste. Je sentis grandir la colère en moi et la hargne de réussir et de m’extraire de cet environnement négatif tout en gagnant un jour l’admiration de ma mère. Ni mon père, ni ma mère ne comprirent mon ambition. J’allais devoir attendre qu’elle me rendre visite à l’Ambassade des États-Unis à Paris, environ trente ans plus tard alors que j’officiais au service de la Défense Intelligence Agency (DIA) en qualité d’assistant de l’attaché de défense, pour percevoir enfin un peu de fierté et de reconnaissance mêlé à un mea-culpa de sa part. Ce besoin de reconnaissance de ma mère allait être un moteur permanent dans ma vie et ne s’est pas estompé par sa visite à l’ambassade, il reste encore à ce jour et ne sera jamais satisfait vue que cette fierté, c’est à l’âge de 13/14 ans que j’en avais besoin. La fierté qu’elle me porte aujourd’hui et que j’apprécie, ne remplace pas celle dont j’avais besoin durant mon adolescence. 

9. SUPREME HEADQUARTERS ALLIED POWERS EUROPE (SHAPE)

Je crois que j’ai toujours été un homme d’action ! C’est cette conviction qui m’a vite fait prendre conscience que je ne pouvais atteindre mon objectif en restant au service de l’armée suisse, un pays qui a toujours préféré la neutralité, y compris dans le contexte de la guerre froide qui commença en 1947.

Mon ambition était de me battre contre le communisme ainsi que contre toute velléité d’invasion du monde occidental par l’Union soviétique et les forces du Pacte de Varsovie de 1955. L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) avait été créée en 1949 par le traité de Washington, afin de pouvoir remplir les obligations de sécurité et de défense collectives face aux forces soviétiques. Après la Seconde Guerre mondiale, l’URSS n’avait de cesse de renforcer son hégémonie d’abord sur le plan rhétorique, mais son désir était aussi d’étendre son influence au-delà de ses frontières. Indubitablement, cette réalité m’avait poussé à chercher une armée qui réponde à mes aspirations.

Dans un premier temps, j’eus l’idée de m’enrôler dans l’armée française, mais la politique anti-américaine du Quai d’Orsay fit disparaître mon enthousiasme. En effet, à cette époque, la France avait une attitude beaucoup trop « conciliante » vis-à-vis de l’Union soviétique. Par ailleurs, ses préoccupations étaient essentiellement focalisées sur l’Afrique.

Puis mon second choix se porta vers l’armée canadienne. Je me disais que je pouvais servir dans leurs unités francophones en Europe. Malheureusement, je ne remplissais pas la condition de nationalité. Il fallait être Canadien pour avoir le privilège d’intégrer l’armée canadienne, ou alors résider au Canada pendant cinq ans avant d’obtenir la nationalité. Ne remplissant pas les critères requis pour l’armée canadienne, je me dis qu’il fallait que j’apprenne l’anglais pour aller voir du côté de la Grande-Bretagne. Je ne savais pas alors que, comme au Canada, il fallait d’abord devenir Britannique avant d’être au service de Sa Majesté la reine d’Angleterre.

Ainsi, c’est en cherchant des perspectives de carrière au sein des armées occidentales que l’option pour les États-Unis s’est confirmée. De toute évidence, mon admiration pour ce pays et son armée n’a cessé de croître au fur et à mesure que je poursuivais mes études sur la Seconde Guerre mondiale. Mon choix se consolidait définitivement : c’était décidé, je serai un GI, m’exclamais-je !

Aussitôt dit, je me rendis à l’ambassade des États-Unis à Berne et auprès d’autres entités militaires américaines, afin d’obtenir les renseignements relatifs aux démarches à effectuer. Je poursuivis mon investigation auprès du quartier général des forces de l’OTAN, le Suprême Headquarters Allied Powers Europe (SHAPE), à Casteau près de Mons, dans un petit village de Maizières en Belgique. Ma récolte fut fructueuse, mais les informations étaient parfois contradictoires ; il me revenait donc de faire appel à mon bon sens pour faire le tri entre celles-ci.

En vue de faire la part des choses, je décidais de m’adresser directement à la plus haute autorité militaire occidentale : le SHAPE. Je sollicitais un entretien avec le commandant en chef, le général Alexander Haig. Il avait été chef d’état-major du président Nixon ! Plus tard, il fut nommé secrétaire d’État sous la présidence de Ronald Reagan où il dirigea la diplomatie étant l’équivalent du ministre des Affaires étrangères. J’ajoute, entre parenthèses, que le président Reagan était le président américain que je préférais.

Faisant fi des remarques peu avenantes et décourageantes de ma mère, je me rendis au SHAPE pour y rencontrer le colonel Pomeroy et le capitaine Shemann avec qui j’avais eu des échanges épistolaires. Je décidais de me présenter au SHAPE avec une bouteille de scotch whisky Haig, pensant obtenir un entretien par cette offrande qui portait son nom. En partant pour la Belgique, j’étais fier et excité comme une puce ! Vêtu de ma veste couverte de pins et de décorations militaires américaines factices, je pris le train de Bienne à Bâle, traversant la zone frontalière en gare, passant du secteur suisse au secteur français avant de prendre le Trans-Europe-Express (TEE) pour me rendre à Namur, en Belgique, via le Luxembourg, pour arriver enfin à Mons et embarquer dans un bus jusqu’à Casteau. C’est à bord de ce bus que je vis pour la première fois de mon existence un soldat américain : c’était un sergent afro-américain.

J’arrivais au petit village de Casteau sous une pluie torrentielle et glaciale du mois de janvier. Chaussé de mes nouvelles bottes texanes neuves, j’avais atrocement mal aux pieds. On me recommanda un petit hôtel appelé Les Trois Fontaines, ou Hôtel des Fontaines, je ne m’en souviens plus exactement ! Sur le chemin, je m’arrêtais devant le monument aux morts, un hommage à la mémoire des hommes tombés au combat durant les deux guerres mondiales. Ce monument resta tel un symbole durant tout mon parcours.

À la réception de l’hôtel, je fus accueilli par une jeune réceptionniste séduisante qui me proposa de m’apporter mon petit-déjeuner en chambre le lendemain. J’acceptais promptement, mon désir éveillé et me réjouissant par avance. Je grimpais jusqu’à une petite chambre mansardée avec lucarne. À peine dans le lit, je m’endormis rapidement avec en tête l’une des chansons des Beatles (She loves me, yeah), l’un de mes groupes préférés à cette époque.

Le lendemain matin, j’attendais impatiemment d’ouvrir la porte de ma chambre pour recevoir mon petit-déjeuner. Je n’avais qu’un petit linge autour de la taille en attendant la belle réceptionniste. Mais hélas, quelle surprise ! Lorsqu’on frappa contre la porte de ma chambre, à ma grande déception, ce fut une vieille femme voûtée sous le poids de l’âge qui me servit mon petit-déjeuner. Je n’ai plus jamais revu la belle réceptionniste de la veille. Je m’étais laissé abuser par mes phantasmes libertins…

Après la lecture d’un livre sur l’OTAN dans lequel figurait une photographie du SHAPE sous-titrée : « SHAPE, Casteau près de Mons », j’étais persuadé que le quartier général du SHAPE se trouvait à Casteau ! Mais à mon grand étonnement, ce n’était hélas pas le cas.

J’avais passé toute la journée à arpenter les rues et les environs de ce petit village à la recherche du QG, mais en vain. Le comble est que c’était un dimanche, par conséquent aucun magasin ou bar n’était ouvert où j’aurais pu me renseigner. Les habitants ignoraient également comment m’indiquer l’itinéraire menant au quartier général du SHAPE. 

Avec une volonté de fer, je finis par trouver moi-même ce pourquoi je m’étais rendu en Belgique. Ce que j’aperçus était impressionnant, cette vision dépassait mon imagination : le quartier général du SHAPE était immense. À cet instant précis, une petite voix intérieure me murmura que mon ambition était peut-être démesurée. Pour la première fois, je doutais de moi et m’interrogeais si j’étais vraiment à la hauteur de mes prétentions ! Ma mère aurait-elle eu raison ?

Afin de me remonter le moral, je tâchais de m’encourager moi-même en soliloquant, me répétant qu’importe, que je n’avais pas pris la décision de traverser la moitié de l’Europe pour ensuite me dégonfler ! Ce lundi allait marquer ma vie ! Le matin suivant la découverte de ma destination, je m’étais réveillé angoissé, avec une boule au ventre comme avant de se présenter à un examen. Mais je restais déterminé. Je quittais mon hôtel avec dans mon sac la bouteille d’Haig Whiskey, sans grand espoir de rencontrer le général en personne. La vue impressionnante du QG m’avait ramené à la réalité.

Je me préparais mentalement aux questions qu’on allait certainement me poser. Arrivé au SHAPE, un endroit bien plus imposant que la photo ci-contre qui ne montre que le bâtiment principal, un garde me demanda de lui expliquer les raisons de ma venue. Je fus soulagé de pouvoir m’exprimer en français, car je ne maîtrisais pas la langue de Shakespeare.

Avant d’accéder au QG, je dus d’abord me rendre dans un bâtiment de la gendarmerie belge du SHAPE, une bâtisse de briques rouges à l’extérieur du complexe, c’est-à-dire à l’extérieur de l’enceinte du QG, à proximité de la route située entre Mons et Casteau. 

Après quelques appels téléphoniques, les Belges m’autorisèrent à accéder à l’intérieur du SHAPE. J’étais à la fois soulagé et inquiet en pénétrant dans cette enceinte mythique, puisque je ne savais pas comment allaient se dérouler les choses. J’arrivais dans un grand vestibule faisant office d’entrée et de réception. Les portraits des commandants en chef successifs de l’OTAN, à commencer par le général Eisenhower à l’époque où le QG de l’OTAN était encore à Paris (jusqu’en 1969), celui du général actuellement en poste, le général Alexander Haig et tous ceux entre deux tapissaient le mur.

Je m’adressais au réceptionniste, un major de l’armée belge en uniforme bleu. Il m’écouta avec attention et me fit savoir que ni le colonel Pomeroy ni le capitaine Sheman n’étaient hélas disponibles ce jour-là, il fallait que je revienne le lendemain. Puisque je n’avais pas eu l’opportunité de rencontrer le général Haig ce jour-là, je tendis naïvement ma bouteille de whisky au major belge en lui demandant s’il pouvait avoir l’amabilité de la lui remettre ! Quelque peu gêné, le major me fit comprendre ma maladresse en m’informant qu’au SHAPE les officiers américains n’étaient pas autorisés à accepter de l’alcool. Il appela néanmoins la secrétaire du général et me pria d’attendre. Un quart d’heure plus tard, je vis arriver un homme arborant une quantité impressionnante de décorations qui ressemblait étrangement au dernier portrait de la liste des commandants suprêmes de l’OTAN, le Supreme Allied Commander Europe, plus communément le SACEUR. J’étais certain qu’il s’agissait du général Haig. Il se dirigea vers le major belge qui lui donna ma bouteille ainsi que quelques explications en me montrant du doigt. Soudain, le général se dirigea vers moi, me prit la main, posa l’autre sur mon épaule d’un geste paternel et me dit « Merci ! » pour le whisky et « Bonne chance ! » avec un léger accent. Puis il tourna les talons. Je n’en revenais pas ! L’officier occidental le plus important du monde libre venait de me serrer la main. 

Alors que je quittais le bâtiment principal en m’avançant vers le poste de garde pour sortir du SHAPE et encore émerveillé par ma rencontre avec le SACEUR, un soldat me rattrapa et me donna une grande enveloppe en disant : « Cadeau du général Haig ! ». L’enveloppe contenait de grandes illustrations des dix batailles les plus importantes de la Révolution américaine : Saratoga, Yorktown, etc. Je jubilais ! Et dire que ma mère craignait, d’une manière saugrenue, que je sois pris pour un terroriste, par conséquent que l’accès au SHAPE me serait refusé !

Comme convenu, je revins le lendemain pour rencontrer le capitaine Sheman. Il m’expliqua qu’il fallait que je réside aux États-Unis et m’informa sur l’importance de la carte verte (permis de résident permanent). Je retournais à mon hôtel dépité. Comme je n’arrivais pas à dormir, vers minuit je sortis afin de me changer les idées. Je marchais en méditant. Mes pas m’emmenèrent jusqu’au monument aux morts à la sortie de Casteau. Je me mis spontanément à prier, ou plutôt à converser avec Dieu, l’implorant de me donner la force, l’intelligence et la persévérance nécessaires à l’accomplissement de mes ambitions. Cette nuit était non seulement froide, mais il soufflait aussi un vent violent qui faisait craquer les branches des arbres. Je voyais mon ombre se dessiner, au milieu de ce vacarme du vent ; c’est à peine si l’on pouvait m’entendre murmurer et implorer l’aide d’une divinité invisible.

10. PUIS RETOUR VICTORIEUX AUPAYS

Le lendemain, je repris la route pour Namur pour y passer la nuit avant de regagner la Suisse. Arrivé à Namur, j’eus du mal à trouver une chambre d’hôtel. Parce que je n’étais pas encore majeur, tous les hôtels me refusèrent l’hospitalité malgré le fait que j’avais de quoi payer la chambre. Après avoir parcouru la ville de long en large et essuyé des refus à chaque fois, je finis enfin par en trouver un avec un gérant moins exigeant que les précédents.

Le lendemain au petit-déjeuner, j’eus la surprise de me retrouver entouré d’une cinquantaine de militaires belges. Ils avaient bien dû se marrer de voir un adolescent déguisé en soldat américain avec des décorations factices qui n’avaient aucun sens.

Dans le train pour Bale, je pris la décision de partir pour les États-Unis, et de me démener pour obtenir la fameuse carte verte (titre de séjour permanent). Mon ambitieux projet nécessitait à la fois un effort financier pour le voyage, mais aussi un effort intellectuel, car je devais apprendre l’Anglais et m’adapter à la culture d’autant plus que je ne connaissais personne en Amérique. Bien évidemment, j’avais conscience de tous ces obstacles, mais j’étais décidé à les surmonter. Il était hors de question que je donne raison à ma mère! 

De retour à la maison à Bienne, je m’empressais de raconter mon voyage à ma mère en espérant qu’elle allait changer d’avis et cesser de me dissuader. Mais elle ne manifesta toujours aucun enthousiasme après mon récit. Au contraire, elle me traita même de menteur, pensant que j’avais tout inventé ! Elle conserva cette attitude suspicieuse jusqu’au jour où j’embarquai pour les États-Unis.

11. LE MIRACLE MORMON

« Ask and you Shall Receive. »

Il est écrit dans le livre de Matthieu au chapitre 7/7-1 : « Demandez et l’on vous donnera ». Faire des économies pour pouvoir financer mon voyage aux États-Unis ne m’inquiétait pas. Mais je me demandais comment j’allais pouvoir m’y prendre pour trouver un contact local ? Dans le train qui me ramenait de Mons à mon pays natal, j’avais imploré la divinité de m’aider à trouver des contacts aux États-Unis. L’Univers m’avait exaucé, puisque comme par enchantement, quelques semaines après mon retour du SHAPE, deux missionnaires mormons vinrent frapper à ma porte. C’est ainsi que le contact local que je souhaitais pour mon voyage dans le pays de l’Oncle Sam fut établi. 

12. L’OISEAU QUITTE SON NID

À défaut d’avoir pu poursuivre des études secondaires, je fis un apprentissage d’une durée d’un an au sein des PTT (Poste-Téléphone-Télégraphe). Le salaire était motivant ! Cette opportunité me permettait donc d’économiser pour mon futur voyage aux États-Unis. J’étais heureux, d’autant plus qu’une partie de mon stage devait se dérouler à Genève. Cet apprentissage était donc un énorme soulagement, car c’était là une formidable opportunité pour échapper à un contexte familial toxique de plus en plus insupportable. En 1977, j’avais seize ans lorsque je passais avec succès mes examens d’entrée aux PTT comme agent d’exploitation. Oui, à seize ans, j’étais facteur et j’officiais dans le cheminement des colis à la gare de Bienne.

L’apprentissage à Bienne dura un an. Je dois avouer que j’étais un apprenti très effronté, tête en l’air, je n’étais pas très studieux dans mes études académiques. Mes pensées étaient bien sûr ailleurs ; elles étaient focalisées sur l’Amérique, sur l’OTAN, sur le problème soviétique, etc. Cette obsession pour des sujets qui n’avaient aucun lien avec mon apprentissage me fit échouer aux examens intermédiaires. C’est pourquoi le chef du personnel, M. Michel Menoud, un homme pour qui j’avais un grand respect, convoqua mes parents pour me rappeler à l’ordre. 

Le personnel et la hiérarchie connaissaient mes aspirations extra PTT. Ils me sermonnèrent, en m’expliquant que si je ne voulais pas rater mes examens terminaux, je devais me concentrer un peu plus sur mon travail, en m’intéressant moins à l’Amérique ainsi qu’à l’OTAN. J’étais conscient qu’un échec m’empêcherait d’obtenir la somme nécessaire au financement de mon voyage en Amérique. Je pris donc la décision de redoubler d’efforts sans pour autant abandonner mon intérêt ni pour l’Amérique ni pour l’OTAN. Six mois plus tard, je passais mes examens finaux avec succès et je me préparais à partir pour Genève.

13. GENÈVE HERE ICOME

Les mois précédant mon départ, les conflits à la maison entre mes parents atteignirent leur paroxysme, à tel point que ma mère tenta de mettre fin à ses jours. Ce fut une nuit horrible avec l’intervention de la police et l’hospitalisation de ma mère. C’en était trop ! C’était la goutte d’eau qui venait de faire déborder le vase, il fallait impérativement que je m’éloigne, que je me protège de ce traumatisme ; je n’avais plus de temps à perdre avec toutes ces bêtises…

Je finis par trouver un petit studio à Genève au 11 rue Simon-Durand, aux Acacias. Je déménageai pour la ville de Calvin le 5 juillet 1979. Une nouvelle vie commençait. Certes, j’étais très jeune, mais ouf ! j’étais enfin libre. Mes journées se partageaient entre le travail, mes amis et amies, et la politique. Faute de revenus suffisants, j’apprenais seul l’anglais. J’essayais de m’impliquer politiquement à l’échelle internationale ! J’eus plusieurs entretiens avec des ambassades étrangères installées à Berne, notamment avec l’ambassade de Chine et celle de l’Union soviétique. Mon objectif était de leur exprimer mon point de vue sur la situation dans le monde, y compris l’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique.

Sur le plan professionnel, j’étais un facteur consciencieux et j’aimais mon travail. Je m’étais lié d’amitié avec un collègue que je nommerais ici GI, nous aimions discuter de politique. 

J’avais été touché à l’époque par la crise des otages américains et par l’échec de leur libération sous la présidence de Jimmy Carter. Ce fut un épisode de tension internationale majeure entre les États-Unis et l’Iran, du 4 novembre 1979 au 20 janvier 1981. Durant ces 444 jours, 52 diplomates et civils américains furent retenus, enlevés et pris en otage par les étudiants révolutionnaires iraniens à l’ambassade américaine à Téhéran.

À l’époque, une bonne partie des employés des PTT étaient communistes, voire trotskistes ou marxistes révolutionnaires. Nos débats durant le tri du courrier du matin étaient animés. Nos échanges étaient certes vifs mais respectueux, d’autant plus que jusqu’en 1978 l’Union soviétique et le communisme n’étaient pas encore totalement discrédités. Pour certains, l’URSS était un modèle alternatif au capitalisme perçu comme sauvage, en comparaison des avantages sociaux du système helvétique ou occidental.

14. MA RELATION AVEC MONFRÈRE

Aujourd’hui, la relation entre mon frère et moi est basée sur une grande affection ainsi qu’une merveilleuse confiance, mais cela n’avait pas toujours été le cas durant notre adolescence. Je dois bien admettre que je profitais du fait qu’il soit mon petit frère pour le manipuler. Ce n’était pas par méchanceté, je voulais juste tirer les avantages de mon statut de grand frère. Lorsque nous nous amusions aux Mayens-de-Riddes, il jouait toujours le rôle d’un adversaire, l’Indien, tandis que mes amis et moi incarnions le rôle de cow-boys. Nous le pourchassions dans l’accortise, il était notre souffre-douleur. Nous le mettions à l’épreuve en lui demandant n’importe quoi ! Il devait nous prouver qu’il était digne de faire partie de notreclan.

En grandissant, ma domination sur mon petit frère se fit plus subtile, plus subreptice, plus manipulatrice comme en témoigne ma ruse à Bienne le jour où je lui fis signer un pacte pour l’asservir en échange de 10 francs. En l’espèce, le pacte stipulait que nos différends seraient résolus au terme d’une guerre et que le vainqueur avait les pleins pouvoirs sur l’autre pendant une semaine.

À ce propos, je lui proposais de diviser mon armée afin de créer un équilibre de forces, étant donné que lui-même n’était pas suffisamment fort. Naïf comme il l’était, il accepta bien évidemment sans difficulté, 10 Frs, c’était beaucoup à l’époque, surtout pour un gamin. Je trouvais alors n’importe quel prétexte pour provoquer un conflit, sachant en mon âme et conscience qu’il en sortirait perdant. Par cette ruse, je récupérais y compris mon argent et l’asservissais durant toute une semaine. J’étais libéré de toutes les corvées comme la vaisselle, passer l’aspirateur, enlever la poussière, etc. Parfois, je poussais très loin mon sadisme, en exigeant par exemple qu’il reste devant la télévision, lui ordonnant de changer les chaînes. Sachez qu’à cette époque, il n’existait pas de télécommande ! Il fallait donc qu’il se déplace pour changer manuellement les chaînes. J’aimais qu’il obéisse à tous mes ordres.

Aujourd’hui, en rappelant cette époque où je lui en faisais voir de toutes les couleurs, mon frère raconte avec son humour légendaire, lorsque l’occasion se présente, qu’il a été la première télécommande humaine.

Il ne faut cependant pas croire que notre relation était uniquement basée sur ce rapport de domination et d’autorité d’un grand frère sur son cadet. J’étais un grand frère très protecteur, je me sentais aussi responsable de lui. C’est ainsi qu’un jour, alors que nous étions sur un bateau amarré dans un minuscule port privé au bord du lac de Bienne, le petit village de Ligerz où vivait Gabriel, mon meilleur ami de l’époque, mon frère tomba soudain à l’eau. Il devait avoir entre cinq et six ans et ne savait pas nager. Voyant mon frère en danger, instinctivement, je plongeais pour le sauver d’une noyade certaine. Quoi que l’on puisse dire, nous étions proches et solidaires. Il est à souligner que les heurts entre nos parents nous avaient profondément rapprochés. Nous partagions nos angoisses et nos douleurs au ventre lors des crises récurrentes à la maison. Aujourd’hui âgé de cinquante-neuf ans, mon frère, ainsi que mon épouse et quelques très rares personnes, sont les êtres les plus chers à mon cœur.

15. SUR LE PLAN AFFECTIF

J’attire votre attention sur le fait que j’étais d’une timidité maladive ! Cette timidité était un énorme handicap dans mes rapports avec les femmes. Je m’étais donné pour mission de me trouver une petite amie avant mes dix-huit ans, car jusqu’ici, je n’avais jamais embrassé une fille ni jamais eu de rapports sexuels. Pour y remédier, j’avais décidé que le jour de mes dix-huit ans, je ne serais plus puceau ; il était temps que je prenne mon courage à deux mains pour aborder une fille et avoir mon premier rapport sexuel. Je souhaitais idéalement que ce soit dans le cadre d’une relation amoureuse, que je sois éperdument amoureux ou simplement étourdi, ou à défaut dans le cadre d’une relation vénale.

Malheureusement, jusqu’au jour de mes dix-huit ans révolus, c’est-à-dire le jour de mon anniversaire, je n’avais toujours pas de petite amie. C’est ce qui m’incita à me rendre avec mon ami Stilli aux Pâquis, le quartier chaud de Genève. Pour rappel, j’avais fait la connaissance de Stilli lors de mon apprentissage aux PTT. Il m’encourageait dans ma quête d’une relation avec une de ces femmes de petite vertu, considérant que ça allait me permettre de franchir une étape importante de la vie d’un homme.

Mon regard s’arrêta sur une jeune femme vêtue d’une minijupe de cuir noir, chaussée de cuissardes, une prostituée typique de l’époque. Mais le courage me manquait lors de mon premier passage devant elle. Il fallut que mon ami Stilli et moi nous saoulions avec plusieurs verres de vin blanc pour que l’ivresse me pousse à aborder enfin cette fille de joie. Stimulé par l’alcool, je pouvais à présent lui parler. Elle me proposa une prestation pour « cent francs ». J’allais enfin « baiser » ! Mais j’étais engourdi par l’alcool et je ne sentais plus mes membres, encore moins mon sexe qui semblait se dérober sous mon pantalon… Une fois dans la chambre, elle me demanda de l’aider à retirer ses bottes. Avec une certaine sympathie, elle s’adressa à moi en ces termes : « C’est ta première fois, hein ? » Gêné, je lui répondis tel un enfant et avec respect : « Oui, madame. » Je ne conservai aucun souvenir de ce qui s’était passé ensuite ! J’avais dû rester environ vingt minutes avec elle. En la quittant, je lui promis de revenir le lendemain, sobre cette fois. Comme j’avais bu, je n’avais rien senti et ne me souvenais de rien ; je me sentais toujours puceau. Le lendemain fut un autre jour. L’homme sobre que j’étais ce jour-là eut enfin droit au fruit défendu : le dépucelage tellement attendu.

16. COLETTE – MA BELLE COUGAR

Je devins coutumier des lieux de prostitution. Lorsque je ne couchais pas avec une professionnelle, c’est en professionnel des PTT que je trouvais des opportunités pour satisfaire mes besoins sexuels grandissants.

Cette époque était une époque beaucoup plus libertine du fait de la récente libération des mœurs. Il arrivait alors que les facteurs aient des aventures avec des femmes seules ou encore avec celles qui étaient tout simplement des aventurières. Que d’aventures faciles à l’époque !

C’est de cette manière que je fis la connaissance de Colette dans le très chic quartier de Champel, mon quartier préféré. C’était une femme mince et élégante de trente-quatre ans mon aînée. Pour être précis, elle avait cinquante-trois ans avec un côté « Brigitte Bardot », mais plus petite que BB qui faisait alors fantasmer bien des hommes depuis la projection en salle du film de Roger Vadim Et Dieu créa la femme. Colette vivait chez un homme fortuné que je croyais être son mari. Afin de l’aborder, je pris prétexte de lui faire signer un recommandé à la terrasse d’un café. C’est en dégustant notre café que je découvris qu’elle était en réalité gouvernante. Elle s’occupait de l’épouse handicapée de l’homme chez qui elle travaillait. Les Françaises ont la réputation d’être élégantes. Justement, Colette était une Française très élégante, c’était une ancienne danseuse de cabaret. Elle avait gardé toute la grâce dans ses gestes et ses postures. Elle me confia se sentir seule et totalement isolée au service de son employeur. Je saisis l’opportunité dans ce moment de confidence, que je traduisis comme une sorte d’invitation, et l’invitais à dîner sans tergiverser.

Quelques jours plus tard, nous eûmes notre premier dîner dans un restaurant asiatique. Cette fois-ci, j’étais assis en face d’elle, consumé par l’impatience et le désir, je la dévorais des yeux. En la raccompagnant vers Champel, je finis par l’embrasser avec passion. Nous étions dans un parc, assis sur le bord d’une petite fontaine blanche. Nos mains jouaient à des jeux de vilain en caressant toutes les parties de notre corps. Le désir grandissait sous l’effet de nos caresses, je ne pouvais plus me retenir. Bien que le règlement de la Poste prohibât toute visite de conquêtes dans mon hébergement, je l’invitais à venir chez moi le lendemain dans mon petit dortoir des PTT au Grand Lancy où je venais d’aménager. Je me fichais pas mal des conséquences, seule mon envie d’elle comptait.

Colette arriva discrètement dans ma chambre vers vingt et une heures. Elle était vêtue de blanc, coiffée d’un immense chapeau blanc et elle arborait un foulard rouge vif. Sa petite chienne blanche l’accompagnait, elle avait l’allure d’une star de cinéma. Son accoutrement contrastait avec ma modeste chambre meublée d’un petit bureau, d’une armoire et d’un lit. Les toilettes étaient au fond du couloir collectif. Nos corps exultèrent. Je me laissais emporter par cette femmemûre.

Le lendemain, je me targuai auprès de mes collègues de travail de mes prouesses et de mes moments d’extase avec Colette. Ils attendaient avec impatience les détails croustillants de ma nuit de folie. J’étais sur un petit nuage au point d’oublier qu’à mon réveil, je découvris une sorte de petite bouée autour de mon pénis gonflé. C’était sensible et l’inflammation ne tarda pas à devenir lancinante en fin de journée. Je pensais que ça passerait !

Colette et moi devions-nous retrouver le lendemain pour un week-end au bord du lac Léman, dans un petit hôtel charmant près de Nyon. Elle était venue me prendre dans une voiture décapotable américaine. L’histoire de mon pénis la fit pouffer de rire jusqu’aux larmes. Curieusement, la voir s’esclaffer m’excita, toutefois, je n’étais pas en état d’avoir des rapports sexuels. Je finis par me rendre dans une clinique en vue de me faire consulter par un médecin. Le médecin de garde était une femme d’origine espagnole. Son diagnostic fut inquiétant : comme elle s’exprimait mal en français, je crus comprendre qu’elle parlait de gangrène et qu’il fallait que je me rende au plus vite à l’hôpital pour un acte chirurgical. L’idée d’une amputation du pénis m’horrifia. L’examen médical fut douloureux.