Terre des femmes - Nassira Belloula - E-Book

Terre des femmes E-Book

Nassira Belloula

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Beschreibung

Dans l’Aurès ébranlé par les insurrections et les répressions, des femmes résolues et tenaces, partagent la même fougue, la même détermination, le même art de la séduction et cette poigne d’autorité qui attise peur et crainte. Elles sont belles, rebelles, avides de liberté, dotées d’un pouvoir et d’une force extraordinaires, et sont à même de prendre leur destin en main, en tissant leurs propres légendes, et alimenter ainsi la trame de leur récit. C’est cette saga où alternent tragédie et vie sentimentale que nous conte Nassira Belloula, à travers les voix de cinq générations : Zwina, Tafsut, Yélli, Tadla, Aldjia et Nara. L’auteure nous restitue ainsi toute la splendeur et l’authenticité de l’Aurès, en nous entraînant dans la ronde des personnages et du temps.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Nassira Belloula est l’auteure d’une quinzaine de romans, essais, récits et recueils de poésies. Après avoir travaillé dans plusieurs quotidiens d’information algériens, elle s’installe à Montréal et collabore à Radio-Canada. Actuellement, elle poursuit des études supérieures en Histoire à l’université de Montréal. 

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terre Des femmes

NASSIRA BELLOULA

terre des femmes

roman

CHIHAB EDITIONS

© Éditions Chihab, 2014.

ISBN : 978-9947-39-062-7

Dépôt légal : 20/2014

A ma mère Rabïya

Zwina

Village de Nara, dans ce vaste pays des Chaouis, un soir de printemps de l’an 1847.

L’aube se mit à courir sur la forêt, faisant exploser les contours sombres en poussières cendrées. Acculée derrière la montagne, l’obscurité s’absorbait timidement. Bientôt, la clarté oblique d’un immanent soleil traversera les branches à demi nues, débusquant ce qui restait de la nuit dans les sous-bois de cèdres, débusquant une autre ombre tout aussi dissolue que frémissante qui fuyait à travers les arbres alignés, serrés les uns aux autres comme des obstacles murés dans une adversité redoutable. Les brindilles, les buissons épineux déchiraient ce qui restait de la robe fleurie de la petite fille. Sur les cuisses, des taches écarlates s’assombrissaient au contact de l’air et formaient des coulées concentrées. Soudain, survint une douleur atroce d’entre les jambes, ce qui freina sa foulée, réduisait ses chances d’échapper aux chacals ameutés par l’odeur du sang qui s’égouttait sur le sentier. Leur odorat affûté détectait tout autant son odeur qu’elle la leur. Elle les sentait juste derrière, et tout ce bois qui craquait sous ses pas. Une terreur plus intense encore l’immobilisa un moment. Le cou droit, dans le prolongement du corps, à l’affût, elle écoutait le vent frémir au-dessus d’elle.

Dans l’espoir d’avoir échappé à son prédateur, la fillette s’engagea dans un petit chemin de terre qui ondulait sous l’épaisse couche d’air brumeuse, il serpentait dans une forêt qui n’en finissait plus. Elle savait que les champs fauchés s’étendaient devant elle. « La délivrance hors de ces troncs menaçants », songea-t-elle, mais un terrain découvert signalerait à coup sûr à ses poursuivants la chair déjà consommée.

Sa main toucha son sexe. « Mon Dieu, comme cela fait mal ! », la déchirure sanguinolente émit une onde électrique, lui arracha des gémissements. Elle trébucha une fois de plus sur ce sentier caillouteux, suffoquée par la douleur, elle s’effondra sur l’herbe mouillée. Le souvenir de cette maudite nuit s’imposait avec une telle violence qu’elle ne put retenir ses larmes.

Au loin, une détonation et un cri surprirent la fillette ; une balle transperça un animal qui hurla sa mort. Instinctivement, elle se cacha le visage avec ses mains griffées par les brindilles des sous-bois, lorsqu’elle fut happée puissamment du sol froid par deux bras qui la secouèrent vigoureusement, voulant s’assurer qu’elle était bien en vie. Le hurlement qu’elle poussa retentit dans les bois, effraya des dizaines d’oiseaux, qui, d’un commun accord, prirent un envol précipité dans une cohue indescriptible de battements d’ailes et de sifflements. Quand la fillette posa ses yeux sur l’homme qui la tenait contre lui, son cri se fit écrasement, un cri de gorge brisée, elle venait de reconnaître son frère. Il la tint un moment serrée contre lui, entourée des hommes de la famille, partis à sa recherche au milieu de la nuit.

Le frère déposa doucement sa petite sœur par terre, retira la longue dague de sa ceinture et s’enfonça dans les bois. Il ne tarda pas à tomber sur l’odieux Meddough, qui lui aussi pistait la fillette qui venait de lui échapper. Trainé de force, l’homme fut jeté aux pieds de Zwina, qui détourna la tête en mettant instinctivement la main devant sa bouche, le dégoût au bord des lèvres. Les doigts d’Ali se refermèrent violemment sur le petit visage de sa sœur, il l’obligea à regarder Meddough alors qu’il lui tranchait la gorge d’un geste si rapide que l’homme – maintenu immobile au sol par les deux genoux enfoncés dans sa poitrine – n’eut pas le temps de réagir. Le sang gicla chaud et visqueux sur les pieds de la fillette qui n’osait ni bouger ni pleurer. Les yeux figés sur la plaie béante.

Des années durant, lui sembla-t-il, le sang de l’homme responsable de sa honte et de sa souffrance était resté incrusté dans les ongles de ses orteils, l’obligeant à le masquer avec du henné, mais c’était la marque de la damnation, diront les villageois. Le frère finit par avoir pitié de sa sœur, accroupie au-dessus de la gorge tranchée, les yeux exorbités, le corps pétrifié, les doigts plantés dans la terre humide. Il la prit sur son dos, elle s’accrocha instinctivement à ses épaules et rentrèrent tranquillement au village, laissant le corps de Meddough aux crocs des chacals.

Le lendemain, au tout début de l’après-midi, des gendarmes, alertés par la famille de Meddough, étaient déjà au village, tentant de regrouper les hommes à la hâte sur la minuscule placette jouxtant la mosquée. Le corps à la tête tranchée, aux membres déjà dévorés, caché sous une couverture dans une charrette, ramené par les parents du mort, dégageait une odeur nauséabonde qui incommodait les présents, des mouches noirâtres y voltigeaient frénétiquement.

Devant un silence pesant, l’un des gendarmes, à la corpulence imposante, pointa un doigt soupçonneux vers Ali.

— C’est toi Ali ?

Le jeune homme demeura immobile, les bras ballants le long du corps et le visage fermé. Le mouvement se fit aussitôt autour de lui, les paysans s’étaient rassemblés rapidement, s’interposant entre Ali et les gendarmes, ils plantèrent devant eux pioches et fourches comme une haie hostile. La main sur son arme, l’officier regarda d’un air de défi la masse compacte devant lui. D’autres hommes arrivaient de partout, surgissant des maisons, des jardins, de derrière les palissades, suivis de femmes et d’enfants dans une étrange procession. Se sentant menacés, les gendarmes se mirent en position de tir, mais l’officier leur ordonna de baisser leurs armes. Il ne voulait pas d’incidents, ni d’émeutes dans le coin, ils avaient trop affaire avec toutes les insurrections qui éclataient dans les montagnes. Après tout, ce Meddough, se disait-il, n’a eu que ce qu’il méritait d’après sa réputation. Arrêter Ali sans témoins ni preuves provoquerait visiblement un affrontement. L’officier tenta de raisonner la famille de Meddough, qui descendit dans la vallée enterrer ce qui restait du corps du violeur des petites bergères.

Les jours suivants, personne ne revit plus la fillette. Son père la conduisit chez sa tante Zana ; elle venait d’avoir douze ans. La jeune Zwina ne revint chez elle que quatre ans plus tard, par une fraîche matinée de printemps, assise, droite sur le dos de son mulet blanc. Cette apparition inattendue réveilla blessures pour certains et appréhensions pour d’autres ; blessures chez les fils de Meddough, qui étaient hostiles au retour de la fille, et appréhensions chez les vieilles du village, qui affirmaient que la fille allait apporter avec elle des pleurs et des deuils. Les couleurs pourpres qui avaient entaché dès l’aube les terres et les montagnes étaient assez révélatrices, se disaient-elles. Or, dès que la silhouette de celle qui reçut le sang de l’égorgé et de sa virginité sur ses pieds nus se profila à l’horizon, les vieilles se hâtèrent vite de réciter quelques versets coraniques ou des incantations sensées éloigner le diable du village. Elle savait que son retour n’était pas souhaité. Il lui semblait que tout le village s’était ligué contre elle, et sentait même dans l’air quelque chose d’affreux qui allait s’accomplir avec ce retour. Parfois, l’envie de retourner chez sa tante lui traversait l’esprit, mais c’était écrit dans les livres qu’elle devait revenir exactement à ce moment-là, crucial et douloureux. Le drame qui allait suivre réconforta les tenaces présages des vieilles. Elle-même crut à l’infortuné destin qui fut le sien.

Pour l’heure, dès qu’elle traversait le village, elle sentait tous les regards hostiles sur elle, mais elle marchait le corps droit, le cou allongé, la tête dans les nuages, le menton hautain. Elle attisait envie et désir, peur et crainte, faisait naître chez les hommes du village d’étranges désirs, en premier lieu, chez les fils de Meddough, devenus des hommes, ils étaient fascinés par la jeune fille si belle, elle les consumait d’un feu étrange, entre désir et vengeance. Les villageois, qui craignaient d’autres malheurs, firent une requête inhabituelle aux parents de Zwina. Ils demandèrent à ce qu’elle soit mariée au fils aîné de Meddough afin d’apaiser les mauvais esprits qui menaçaient l’équilibre du village. Ali arma son fusil de chasse et se planta face à la djemaâ venue le consulter, il jura de tuer quiconque se mettrait sur le chemin de sa jeune sœur. Quelques jours plus tard, le frère protecteur et aimé fut retrouvé dans un fossé, le crâne fracassé. Les vieilles disaient que ce n’était que le début de leur malheur. Profondément touchée par la mort subite d’Ali, la jeune fille s’enferma chez ses parents, décidée à ne plus mettre le nez dehors.