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Dans l’Aurès ébranlé par les insurrections et les répressions, des femmes résolues et tenaces, partagent la même fougue, la même détermination, le même art de la séduction et cette poigne d’autorité qui attise peur et crainte. Elles sont belles, rebelles, avides de liberté, dotées d’un pouvoir et d’une force extraordinaires, et sont à même de prendre leur destin en main, en tissant leurs propres légendes, et alimenter ainsi la trame de leur récit. C’est cette saga où alternent tragédie et vie sentimentale que nous conte Nassira Belloula, à travers les voix de cinq générations : Zwina, Tafsut, Yélli, Tadla, Aldjia et Nara. L’auteure nous restitue ainsi toute la splendeur et l’authenticité de l’Aurès, en nous entraînant dans la ronde des personnages et du temps.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Nassira Belloula est l’auteure d’une quinzaine de romans, essais, récits et recueils de poésies. Après avoir travaillé dans plusieurs quotidiens d’information algériens, elle s’installe à Montréal et collabore à Radio-Canada. Actuellement, elle poursuit des études supérieures en Histoire à l’université de Montréal.
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ISBN : 978-9947-39-062-7
Dépôt légal : 20/2014
Zwina
— C’est toi Ali ?
Le jeune homme demeura immobile, les bras ballants le long du corps et le visage fermé. Le mouvement se fit aussitôt autour de lui, les paysans s’étaient rassemblés rapidement, s’interposant entre Ali et les gendarmes, ils plantèrent devant eux pioches et fourches comme une haie hostile. La main sur son arme, l’officier regarda d’un air de défi la masse compacte devant lui. D’autres hommes arrivaient de partout, surgissant des maisons, des jardins, de derrière les palissades, suivis de femmes et d’enfants dans une étrange procession. Se sentant menacés, les gendarmes se mirent en position de tir, mais l’officier leur ordonna de baisser leurs armes. Il ne voulait pas d’incidents, ni d’émeutes dans le coin, ils avaient trop affaire avec toutes les insurrections qui éclataient dans les montagnes. Après tout, ce Meddough, se disait-il, n’a eu que ce qu’il méritait d’après sa réputation. Arrêter Ali sans témoins ni preuves provoquerait visiblement un affrontement. L’officier tenta de raisonner la famille de Meddough, qui descendit dans la vallée enterrer ce qui restait du corps du violeur des petites bergères.
Les jours suivants, personne ne revit plus la fillette. Son père la conduisit chez sa tante Zana ; elle venait d’avoir douze ans. La jeune Zwina ne revint chez elle que quatre ans plus tard, par une fraîche matinée de printemps, assise, droite sur le dos de son mulet blanc. Cette apparition inattendue réveilla blessures pour certains et appréhensions pour d’autres ; blessures chez les fils de Meddough, qui étaient hostiles au retour de la fille, et appréhensions chez les vieilles du village, qui affirmaient que la fille allait apporter avec elle des pleurs et des deuils. Les couleurs pourpres qui avaient entaché dès l’aube les terres et les montagnes étaient assez révélatrices, se disaient-elles. Or, dès que la silhouette de celle qui reçut le sang de l’égorgé et de sa virginité sur ses pieds nus se profila à l’horizon, les vieilles se hâtèrent vite de réciter quelques versets coraniques ou des incantations sensées éloigner le diable du village. Elle savait que son retour n’était pas souhaité. Il lui semblait que tout le village s’était ligué contre elle, et sentait même dans l’air quelque chose d’affreux qui allait s’accomplir avec ce retour. Parfois, l’envie de retourner chez sa tante lui traversait l’esprit, mais c’était écrit dans les livres qu’elle devait revenir exactement à ce moment-là, crucial et douloureux. Le drame qui allait suivre réconforta les tenaces présages des vieilles. Elle-même crut à l’infortuné destin qui fut le sien.
Pour l’heure, dès qu’elle traversait le village, elle sentait tous les regards hostiles sur elle, mais elle marchait le corps droit, le cou allongé, la tête dans les nuages, le menton hautain. Elle attisait envie et désir, peur et crainte, faisait naître chez les hommes du village d’étranges désirs, en premier lieu, chez les fils de Meddough, devenus des hommes, ils étaient fascinés par la jeune fille si belle, elle les consumait d’un feu étrange, entre désir et vengeance. Les villageois, qui craignaient d’autres malheurs, firent une requête inhabituelle aux parents de Zwina. Ils demandèrent à ce qu’elle soit mariée au fils aîné de Meddough afin d’apaiser les mauvais esprits qui menaçaient l’équilibre du village. Ali arma son fusil de chasse et se planta face à la djemaâ venue le consulter, il jura de tuer quiconque se mettrait sur le chemin de sa jeune sœur. Quelques jours plus tard, le frère protecteur et aimé fut retrouvé dans un fossé, le crâne fracassé. Les vieilles disaient que ce n’était que le début de leur malheur. Profondément touchée par la mort subite d’Ali, la jeune fille s’enferma chez ses parents, décidée à ne plus mettre le nez dehors.