Rebelle en toute demeure - Nassira Belloula - E-Book

Rebelle en toute demeure E-Book

Nassira Belloula

0,0
3,99 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Rebelle en toute demeure est un récit palpitant en deux tableaux à fort contraste. Dés l’entrée, le lecteur passe par la porte de l’enfance et il est transporté dans un univers gavrochien fait de paysages féeriques, d’amitiés fugaces, de regards fascinés et il rencontre, aux détours des jardins fleuris, la générosité des gens de la terre et apprend ses langages vrais. Mais la découverte des terres ancestrales par cette petite fille qui réapprend les gestes et le langage des siens va s’enliser dans une autre mémoire, va s’échapper par une autre porte qui s’ouvre sur des suppliciés, des femmes meurtries, des enfants choqués. Mais entre les deux portes, de l’une à l’autre, il y a cette autre voyage, celui de l’écriture, d’une écriture ancrée dans l’actualité algérienne faite de douleurs et de sang, qui tente par cette remontée dans le temps des enfances, de chercher l’humain dans l’inhumain, le nommable dans l’innommable, le poétique dans une syntaxe ensanglantée. L’auteur nous livre ici, un livre témoignage tendre et violent à la fois.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Nassira Belloula est l’auteure d’une quainzaine de romans, essais, récits et recueils de poésies. Après avoir travaillé dans plusieurs quotidiens d’information algériens, elle s’installe à Montréal et collabore à Radio-Canada. Actuellement, elle poursuit des études supérieures en Histoire à l’université de Montréal.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Rebelle en toute demeure

DU MÊME AUTEUR

Les portes du Soleil (Enal, 1988)

Algérie, le massacre des innocents (Fayard, 2000)

Nassira Belloula

Rebelle en toute demeure

récit

CHIHAB ÉDITIONS

© Chihab Éditions, 2003

ISBN : 9961-63-492-6

Dépôt légal : 1735/2002

Qui répondrait en ce monde à l’obstination de la vie, si ce n’est l’obstination du témoignage

Albert Camus (1913-1960)

Préambule

Des balbutiements surprennent mes lèvres habi­tuées au silence, à l’écoute plutôt qu’au délire. À croire que je n’arrive plus à contrôler ma subjec­ti­vité. Tant qu’il me fallait écouter, subir, tant qu’il me fallait lutter, me battre contre mes propres incertitudes et angoisses, je ne pensais à rien. Il me semblait que ma mémoire ne pouvait plus sup­porter cette ultime souffrance, ni les images affo­lantes qui surgissaient des bribes des souvenirs. Je n’arrive plus à faire le discernement entre ces femmes souffrantes et moi, cela han­dicape mon raisonnement. Quelle étrange fortune a voulu que je sois leur témoin, leur script, même celle que j’étais à huit ans me prend la main pour me faire glisser dans cette peau infantile, capri­cieuse et me faire piloter à travers ces années d’insou­ciances. Ai-je besoin d’être à ce point sur tous ces lieux, sur toutes ces dates, sur tous ces souvenirs ? Les témoignages m’accablent pourtant par leurs féro­cités. Mais, ce nécessaire besoin d’être s’impose et je ne peux me défaire de mon poids.

L’écriture me redonne souffle et assume mes peines. Jadis, j’aimais errer dans l’imagination de mes écrits parfois romanesques, parfois fantaisistes. Mes personnages avaient des étoffes de chevaliers et des amours de troubadours mystiques. Je me mêlais à eux, il m’arrivait alors de les suivre dans l’extravagance de leurs sentiments confus. Mainte­nant, je ne peux plus me défaire de cette tristesse, de cette nostalgie qui s’enracine entre mes pages. Impossible de faire fi !Évoquer ces années écou­lées, évoquer ce présent déjà révolu, entretenir la mémoire défaillante face au temps, laisser le sou­venir couler et demeurer pour que l’oubli ne s’ache­mine point vers nos cœurs. Parler de paix, dire cette histoire tel un conteur qui sillonne les places des villages, délirer même sur les rêves les plus fous faits de tranquillité, de satiété, de sécu­rité, de pitié et même de tolérance. Mais, qui peut nous ôter cette épine empoisonnée, plantée dans le cœur d’un pays ?

I. Aux portes des Chaouias

Je marche sur les traces de ma culture. Une civilisation de mouvement, de légende, de don aussi. Et je me souviens.

Villa Saint-Clair

Pays mien

C’était le plus long voyage dont je me souviens encore. J’allais, par une nuit noire, vers une desti­na­tion inconnue. Je voyais défiler des paysages tantôt magiques, tantôt désertiques, parfois au détour d’un chemin, des maisonnettes fanto­ma­tiques se profilaient à l’horizon et, parfois, dans l’infinie, des prairies s’engloutissaient par les ombres d’un ciel à peine étoilé.

Mes yeux d’enfant étaient ébaubis par l’im­mensité des paysages infinis. Je découvris soudain que l’univers était si immense et cela m’effrayait. La capitale s’éloig­nait, ses souvenirs s’estompaient déjà dans ma mémoire au fur et à mesure que la voiture filait sur cette route longiligne et inter­minable. Serrée contre mes quatre sœurs et ma mère à l’arrière de la voiture, je me consumais à part, dans le silence qui s’était abattu sur nous. Je fermais les yeux pour me voir revenir comme d’un pèlerinage vers ma placette, courant les bras ouverts vers mes amis.

Leurs petits visages pourtant si familiers s’effa­çaient déjà de ma mémoire, et bientôt je n’arrivais plus à distinguer leurs traits juvéniles. Comme si le destin voulait me préserver d’un nouveau déchire­ment, car à cet instant-là, je ne savais pas encore, que jamais plus, je ne reverrais mes amis. Amine avait succombé à une méningite, Thierry et Isa­belle étaient repartis dans le pays de leurs parents ; quant à Sajîa, nul ne sait ce qu’elle était devenue après le divorce de ses parents. Engourdie par l’immobilité de ma position, car me voilà assise sur mon derrière ramolli par des heures de route. J’essayais de fixer à tout jamais dans ma mémoire les contours déjà flous de mon quartier. Je cherchais à comprendre pourquoi ma mémoire me trahissait. Car, sans le vouloir, je perdais dans le néant mes propres souvenirs. Je ne connaissais pas ceux qui m’atten­daient dans cette petite vallée, séparée par une rivière où vivaient deux tribus, celle de mon père et celle de ma mère de part et d’autre de ses rives. Après avoir perdu son commerce, père voulait recom­mencer une nou­velle vie dans un village enfoncé au creux d’une vallée verdoyante disait-il où tout le monde connaît tout le monde et où rien ne se cachait. Séduisante perspective pour des citadins comme nous, pensais-je : et moi donc dans toute cette affaire que vais-je devenir ? L’avenir allait me confier une destinée hors du commun, du moins pour moi, elle était exceptionnelle. Une effer­vescence déme­surée avait animé toute la mai­sonnée une semaine avant le départ.

Je m’amusais à me faufiler entre les paquets et les valises et cartons qui remplissaient l’entrée. Les meubles étaient déjà vendus et je regrettais déjà cette magnifique salle à manger dont le buffet orné de marbre était surmonté d’une admirable glace.

Les bibelots de cristal, de marbre, de bronze et de cuivre étaient restés au fond de quelques car­tons que père avait offerts à un de ses amis. Les beaux services de table et la ménagère en argent étaient confiés aux bons soins de ma sœur aînée restée à Alger où elle s’était mariée récemment. Ma mère s’était séparée de tous ses beaux objets sans dire un mot. Le fait de retourner chez elle après une ving­taine d’années d’absence la récon­fortait. Elle se réjouissait à l’avance d’embrasser sa maman, son unique frère et sa sœur aînée. Mais, moi, je sentais que c’était toute ma vie que je laissais derrière moi, une vie si jeune certes, à peine huit ans et pourtant…

J’avais de la peine à dire adieu à mes amis. Ceux que j’avais l’habitude de retrouver à chaque sortie d’école dans la petite placette du Télémly ou dans les jardins touffus du parc Montriant.

Nous avions un malin plaisir à grimper sur des chemins escarpés et rocailleux pour accéder à ce parc, au lieu de prendre simplement l’entrée.

Cette escapade me valait à chaque fois, les répri­mandes de ma mère, qui craignait que je ne fasse quelques mauvaises rencontres de ce côté isolé du parc. Mais j’adorais déjà, les défis. Je ne voulais point me séparer d’Amine et de son éternelle bicy­clette rouge, de Sajîa et ses robes chiffonnées, ni des yeux immensément bleus de Thierry et d’Isa­belle qui rêvaient du pays natal de leur parent, cette France inconnue.

Il y avait aussi M. Claude, surnommé “ l’hom­­me aux multiples chats ”, car il nour­rissait tous les chats de gouttière du quartier. Tous les matins, au lever du jour, l’homme allait faire son marché et achetait une grande quantité d’abats et de viscères qu’il obtenait, parfois gratuitement. Il prenait son temps pour tout découper en mor­ceaux, faisant piaffer d’impatience une multi­tude féline qui miaulait sous son balcon. Un charivari que nous connaissions bien et qui nous procurait quelques heures d’un amusement garanti. Comme tous les gamins, nous étions turbulents et nous aimions les provocations. Ainsi, nous prenions un malin plaisir à chasser ces gros matous, dés qu’ils se regroupaient sous le balcon de leur bienfaiteur.

Cachés derrière les arbustes, nous attendions le moment propice pour passer à l’action. Dès que ce dernier faisait basculer le contenu de sa lourde bassine par-dessus son balcon, nous chassions à coups de pierres ou de bâtons les gros matous pas heureux du tout d’être privés de leurs festins ! Inutile de vous dire dans quel état cela mettait le gros monsieur tout chauve qui nous promettait les feux de l’enfer s’il arrivait à mettre la main sur nous. Il était trop lourd pour pouvoir nous attra­per. Cela ne l’empêchait pas de nous courir après et, pour l’importuner davantage, nous grimpions sur des chemins escarpés où il ne pouvait pas nous poursuivre longtemps. Il s’arrêtait de courir après nous pour s’éponger le front avec les pans de sa chemise en gesticulant nerveusement, vaincu par son poids et son souffle. Tout cela était déjà loin. Tout cela faisait déjà partie de mon passé. Et j’avais l’étrange sensation d’être partie depuis très longtemps, trop longtemps même. Mes souvenirs avaient l’air usés et rouillés. Ainsi, j’oubliais ma trottinette dans un placard et bien d’autres souve­nirs aussi.

Le jour s’était à peine levé et déjà nous étions déjà partis. J’ai jeté une dernière fois un regard sur les ruelles de mon quartier encore endormies, le bou­levard et ses grandes vitrines où j’aimais errer au gré des fan­taisies de mes sœurs aînées. J’aimais aussi m’asseoir sur le comptoir tout haut de la blan­­chisserie de mon père qui s’affairait à ses occupations quotidiennes dans ce qui était la rue Vercingétorix à Hussein Dey. À une vive allure, la voiture quittait déjà les zones urbaines, les quar­tiers de béton et de ferraille.