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Rebelle en toute demeure est un récit palpitant en deux tableaux à fort contraste. Dés l’entrée, le lecteur passe par la porte de l’enfance et il est transporté dans un univers gavrochien fait de paysages féeriques, d’amitiés fugaces, de regards fascinés et il rencontre, aux détours des jardins fleuris, la générosité des gens de la terre et apprend ses langages vrais. Mais la découverte des terres ancestrales par cette petite fille qui réapprend les gestes et le langage des siens va s’enliser dans une autre mémoire, va s’échapper par une autre porte qui s’ouvre sur des suppliciés, des femmes meurtries, des enfants choqués. Mais entre les deux portes, de l’une à l’autre, il y a cette autre voyage, celui de l’écriture, d’une écriture ancrée dans l’actualité algérienne faite de douleurs et de sang, qui tente par cette remontée dans le temps des enfances, de chercher l’humain dans l’inhumain, le nommable dans l’innommable, le poétique dans une syntaxe ensanglantée. L’auteur nous livre ici, un livre témoignage tendre et violent à la fois.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Nassira Belloula est l’auteure d’une quainzaine de romans, essais, récits et recueils de poésies. Après avoir travaillé dans plusieurs quotidiens d’information algériens, elle s’installe à Montréal et collabore à Radio-Canada. Actuellement, elle poursuit des études supérieures en Histoire à l’université de Montréal.
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Dépôt légal : 1735/2002
Préambule
I. Aux portes des Chaouias
Villa Saint-Clair
Leurs petits visages pourtant si familiers s’effaçaient déjà de ma mémoire, et bientôt je n’arrivais plus à distinguer leurs traits juvéniles. Comme si le destin voulait me préserver d’un nouveau déchirement, car à cet instant-là, je ne savais pas encore, que jamais plus, je ne reverrais mes amis. Amine avait succombé à une méningite, Thierry et Isabelle étaient repartis dans le pays de leurs parents ; quant à Sajîa, nul ne sait ce qu’elle était devenue après le divorce de ses parents. Engourdie par l’immobilité de ma position, car me voilà assise sur mon derrière ramolli par des heures de route. J’essayais de fixer à tout jamais dans ma mémoire les contours déjà flous de mon quartier. Je cherchais à comprendre pourquoi ma mémoire me trahissait. Car, sans le vouloir, je perdais dans le néant mes propres souvenirs. Je ne connaissais pas ceux qui m’attendaient dans cette petite vallée, séparée par une rivière où vivaient deux tribus, celle de mon père et celle de ma mère de part et d’autre de ses rives. Après avoir perdu son commerce, père voulait recommencer une nouvelle vie dans un village enfoncé au creux d’une vallée verdoyante disait-il où tout le monde connaît tout le monde et où rien ne se cachait. Séduisante perspective pour des citadins comme nous, pensais-je : et moi donc dans toute cette affaire que vais-je devenir ? L’avenir allait me confier une destinée hors du commun, du moins pour moi, elle était exceptionnelle. Une effervescence démesurée avait animé toute la maisonnée une semaine avant le départ.
Il y avait aussi M. Claude, surnommé “ l’homme aux multiples chats ”, car il nourrissait tous les chats de gouttière du quartier. Tous les matins, au lever du jour, l’homme allait faire son marché et achetait une grande quantité d’abats et de viscères qu’il obtenait, parfois gratuitement. Il prenait son temps pour tout découper en morceaux, faisant piaffer d’impatience une multitude féline qui miaulait sous son balcon. Un charivari que nous connaissions bien et qui nous procurait quelques heures d’un amusement garanti. Comme tous les gamins, nous étions turbulents et nous aimions les provocations. Ainsi, nous prenions un malin plaisir à chasser ces gros matous, dés qu’ils se regroupaient sous le balcon de leur bienfaiteur.
Cachés derrière les arbustes, nous attendions le moment propice pour passer à l’action. Dès que ce dernier faisait basculer le contenu de sa lourde bassine par-dessus son balcon, nous chassions à coups de pierres ou de bâtons les gros matous pas heureux du tout d’être privés de leurs festins ! Inutile de vous dire dans quel état cela mettait le gros monsieur tout chauve qui nous promettait les feux de l’enfer s’il arrivait à mettre la main sur nous. Il était trop lourd pour pouvoir nous attraper. Cela ne l’empêchait pas de nous courir après et, pour l’importuner davantage, nous grimpions sur des chemins escarpés où il ne pouvait pas nous poursuivre longtemps. Il s’arrêtait de courir après nous pour s’éponger le front avec les pans de sa chemise en gesticulant nerveusement, vaincu par son poids et son souffle. Tout cela était déjà loin. Tout cela faisait déjà partie de mon passé. Et j’avais l’étrange sensation d’être partie depuis très longtemps, trop longtemps même. Mes souvenirs avaient l’air usés et rouillés. Ainsi, j’oubliais ma trottinette dans un placard et bien d’autres souvenirs aussi.
Le jour s’était à peine levé et déjà nous étions déjà partis. J’ai jeté une dernière fois un regard sur les ruelles de mon quartier encore endormies, le boulevard et ses grandes vitrines où j’aimais errer au gré des fantaisies de mes sœurs aînées. J’aimais aussi m’asseoir sur le comptoir tout haut de la blanchisserie de mon père qui s’affairait à ses occupations quotidiennes dans ce qui était la rue Vercingétorix à Hussein Dey. À une vive allure, la voiture quittait déjà les zones urbaines, les quartiers de béton et de ferraille.