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Totoche de Levallois relate de drôles et émouvants souvenirs d’enfance et d’adolescence d’une petite fille qui a grandi à Levallois-Perret dans les années 1950. S’adressant à ses enfants et petits-enfants afin qu’ils apprennent de ses jeunes années, elle témoigne d’une époque sans téléphone ni télévision, avec ses joies et ses peines, au sein d’une famille picarde venue chercher le Graal à l’ouest de la capitale.
À PROPOS DE L'AUTEURE
À la suite d’un reproche à peine déguisé de l’un de ses enfants qui s’avisait de mieux connaître l’enfance de ses amis que celle de sa propre mère,
Chantal Bernardon prend conscience qu’elle a reproduit le même schéma que ses parents. Elle décide alors d’écrire
Totoche de Levallois afin de combler cette lacune.
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Seitenzahl: 159
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Chantal Bernardon
Totoche de Levallois
Roman
© Lys Bleu Éditions – Chantal Bernardon
ISBN : 979-10-377-6858-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Mia, Paul, Clément et Shirell
qui ensoleillent l’automne de ma vie
Mon père était ce qu’on appelle un taiseux, ma mère n’aimait pas évoquer son passé et le ton qu’ils employaient pour en parler décourageait notre curiosité. Mon frère et moi savions que la seule évocation de leurs familles respectives était toujours un sujet de discorde, aussi évitions-nous prudemment d’aborder le sujet. À l’aide de vieilles photos et documents jaunis, découverts au fond d’une valise après leur disparition, j’ai tenté de reconstituer leurs vies quelques années avant ma naissance. Je me suis approchée au plus près de la vérité mais je regretterai toujours les questions que je n’ai jamais osé poser sur l’enfance qui fut la leur.
Lorsqu’à mon tour je fondais une famille, je ne parlais pas davantage de mon passé mais pour des raisons différentes. Uniquement préoccupée de lui donner la meilleure éducation au sein d’une famille unie et aimante, je n’avais tout simplement pas pris le temps de parler de mon enfance à ma progéniture.
J’ai réalisé que j’avais reproduit le même schéma que mes parents le jour où l’un de mes enfants m’en fit le reproche à peine déguisé. Il s’étonnait, non sans regret, de mieux connaître l’enfance de certains amis que celle de sa propre mère. Il était grand temps pour moi de combler cette lacune.
Ce recueil de souvenirs s’adresse également à celles et ceux dont les parents, les grands-parents ont oublié, ou ne sont plus là pour raconter ce qu’était le quotidien d’une enfant de la ville au début des années 1950.
Témoin d’une époque où les échanges n’avaient rien de virtuel, où le numérique relevait de la science-fiction et n’avait pas encore vaincu le temps et l’espace, ce livre vous plongera dans l’environnement qui fut le mien, sans téléphone ni télévision. Née dans un milieu très modeste, j’étais de ces enfants qui ne reçoivent des jouets que deux fois l’an, à Noël et pour leur anniversaire. Pourtant j’étais riche de l’immense privilège de connaître le plaisir de l’attente. Quand l’incertitude et l’espoir me tenaient en haleine, la surprise était toujours au rendez-vous.
« Celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va », disait Otto Von Bismarck. Aussi, pour mieux vous faire comprendre mon univers où, j’en suis sûre, plusieurs d’entre vous se reconnaîtront, il m’a paru nécessaire de consacrer le premier chapitre à celui d’Albert et Gabrielle avant qu’ils ne deviennent mes parents.
Tout au long de ce récit, je me suis efforcée de ne pas interrompre la petite fille que j’étais par des considérations d’un autre âge que mon regard d’adulte aurait été tenté d’y apporter. Les seules incursions que je me suis autorisées sont les passerelles jetées par-dessus les années, pour partager avec vous les clins d’œil facétieux du destin, qui me replaça bien plus tard sur les chemins de mon enfance.
À présent, je me tais et je laisse la parole à Totoche.
Lorsqu’en 1938 la famille de Gabrielle vint s’installer dans le petit village de Picardie, celle d’Albert y était implantée depuis plusieurs générations.
Gabrielle, âgée de quatorze ans, était l’aînée de la fratrie qui comprenait deux autres enfants. Sa mère et son compagnon trouvèrent rapidement du travail dans les exploitations du voisinage mais les maigres gains récoltés suffisaient à peine à nourrir la maisonnée et Gabrielle quitta l’école pour être embauchée à son tour. Déracinée de son village natal, loin de ses amies, la jeune fille s’en alla travailler aux champs dix heures par jour et par tous les temps.
Deux ans plus tard, la guerre éclata. Gabrielle et sa famille, comme tant d’autres y compris celle d’Albert, connurent l’exode et son tragique cortège sous les bombes ennemies. La fuite en avant les poussa sous la ligne de démarcation. Ils y restèrent plusieurs mois jusqu’à ce que les Allemands envahissent également la zone libre où ils s’étaient réfugiés.
De retour au village en 1942, Adèle et son compagnon trouvèrent leur maison réquisitionnée par l’armée allemande. Ne sachant où aller, ils ne furent autorisés à revenir chez eux qu’à condition de cuisiner et tenir la maison propre pour les officiers allemands qui l’occupaient.
Sur ce sujet sensible, ma mère m’a souvent dit que ces derniers avaient toujours été d’une correction exemplaire vis-à-vis de tous les membres de la famille.
Les bois environnants abritaient des résistants qui rendaient l’occupant particulièrement nerveux, et la peur autant que la suspicion régnaient en permanence dans le village occupé. Pour avoir ri innocemment alors qu’elles croisaient une patrouille, Gabrielle et son amie Madeleine avaient été mises en joue, dos au mur du cimetière, par un soldat allemand qui les soupçonnait de s’être moquées de lui. Un officier intervint rapidement et elles ne durent leur salut qu’au seul fait que la patrouille avait sûrement mieux à faire ce jour-là. Ajouté au danger permanent et aux privations de toutes sortes, Gabrielle devait également supporter la rudesse de caractère de son beau-père qui, disait-elle, ne l’avait jamais aimée.
Nous étions en janvier 1944, les Allemands avaient libéré la maison, les lendemains laissaient espérer un prochain débarquement des alliés et aujourd’hui elle fêtait ses vingt ans. Mais ce qui aurait dû être un jour de fête fut gâché par un souvenir qui marqua douloureusement sa mémoire.
Madeleine était venue la chercher en début d’après-midi pour aller danser et patientait dans la cuisine-salle à manger. Adèle et son compagnon finissaient de déjeuner. Alors que Gabrielle revenait avec son manteau et s’apprêtait à sortir, son beau-père se leva de table et lui asséna une gifle magistrale : il n’avait pas terminé son repas et n’aimait pas qu’on le regarde manger. Charmant personnage que je n’ai heureusement pas connu et qui eut la bonne idée de mourir avant ma naissance.
La jeune fille ignorait tout de son père biologique qu’elle n’avait jamais connu. La famille de sa mère était originaire d’Alsace, elle supposait que son père aussi. Les versions fantaisistes qu’Adèle livrait sur son passé différaient selon à qui elles étaient destinées et personne n’a jamais pu savoir la vérité sur son mari.
Je me dois à présent d’être tout à fait honnête (où serait l’intérêt de ce livre si je ne l’étais pas) et vous avouer que ma grand-mère maternelle ne jouissait pas d’une bonne réputation au village.
Ses manières grivoises, son vocabulaire imagé et ses fréquents états d’ébriété faisaient les gorges chaudes des commères. Elle n’était pas la seule dans ce cas mais les autres, on leur pardonnait volontiers car elles étaient nées au village. Si elles n’avaient plus toute leur tête et passaient leurs après-midi au café, c’était pour oublier que la Grande Guerre de 14-18 leur avait ravi un mari ou un fils (parfois les deux) dont on pouvait lire les noms gravés sur le monument aux morts. Adèle ne bénéficiait pas de ces circonstances atténuantes. Elle n’était pas veuve de guerre, elle vivait avec un homme qui n’était pas le père de tous ses enfants et les voiles qu’elle jetait sur sa vie avant son arrivée au village ne plaidaient pas en sa faveur.
Mais ce qui, aux yeux des villageois, était le plus impardonnable, c’étaient les dettes qu’elle accumulait un peu partout. Il n’y avait aucune honte à être pauvre mais quand on n’avait pas de sous pour payer le boulanger, on n’allait pas gaspiller son argent au bistrot ! Impuissante, Gabrielle subissait cette situation dont elle avait honte et qu’elle n’oublia jamais.
Quand il évoquait sa belle-mère, mon père disait avec une pointe de mépris dans la voix qu’elle dépensait la paie de sa fille avant même que celle-ci ne l’ait durement gagnée dans les champs à biner les betteraves.
Ces écarts de conduite n’empêchaient pas notre grand-mère d’être une femme simple et gaie, qui n’aurait fait de mal à personne. Michel et moi pouffions de rire en entendant ses gros mots. Papa, gêné pour nous de ces plaisanteries égrillardes, hochait la tête d’un air navré et maman levait les yeux au ciel en prenant un air outré. Entendre proférer des énormités par notre grand-mère et voir les mines choquées de nos parents ajoutaient à notre joie d’enfants espiègles.
Un matin, Michel et moi étions allés faire les commissions au café-tabac-épicerie du village, notre grand-mère Adèle s’y trouvait, attablée devant un verre de vin blanc sec avec d’autres paysans. Parmi les habitués était assis un nouveau venu âgé d’une trentaine d’années, sobrement vêtu d’un sous-pull noir sous un costume gris. Une petite croix brillait au revers de sa veste et nous sûmes qu’il s’agissait du nouveau curé du village. Nous nous approchâmes pour parler un moment avec notre grand-mère. Après avoir échangé des banalités, voyant que la conversation s’éteignait autour de la table, Adèle, oubliant à qui elle s’adressait, tapa amicalement sur le genou du prêtre :
« Bon, c’est pas l’tout ! Quand est-ce qu’on s’marie tous les deux ? »
Voilà ! c’était ça, grand-mère Adèle !
Les parents d’Albert étaient également pauvres mais point endettés. Ernest était cantonnier, Angéline manouvrière. Après avoir économisé scrupuleusement les sous gagnés à la sueur de leur front, ils avaient pu devenir propriétaires d’une petite maison où leurs trois enfants avaient grandi.
Nous étions en 1942, Albert âgé de vingt-deux ans et Gabrielle qui venait d’en avoir dix-huit commençaient à se fréquenter. Angéline, déjà veuve depuis quatre ans, ne voyait pas d’un très bon œil le rapprochement de son fils avec la belle Gabrielle. La mère n’était pas sérieuse, il n’y avait pas de raison pour que la fille le soit. Elle espérait mieux pour son fils aîné qui avait été un élève prometteur et qui, d’après elle, méritait d’épouser une fille du village dont elle aurait apprécié les parents. Appliqué et sérieux, doté d’une écriture qu’on citait en exemple, Albert avait passé brillamment son certificat d’études à douze ans. Jusqu’à l’âge de quatorze ans, il avait aidé l’instituteur dans l’unique classe de la mairie qui accueillait tous les enfants du village. Il faisait la dictée aux petits pendant que le maître s’occupait des grands.
Je pense qu’il aurait fait un bon maître d’école, et l’instituteur devait le penser aussi quand il avait rendu visite à ses parents pour leur demander de le laisser poursuivre sa scolarité. Ceux-ci répondirent qu’ils n’étaient pas assez riches pour offrir de longues études à leurs enfants, si doués soient-ils, et Albert quitta lui aussi l’école à quatorze ans. L’instituteur vanta l’écriture de son meilleur élève auprès du notaire qui consentit à embaucher Albert en qualité de petit clerc de notaire, il y resta quatre années.
À la suite d’une sombre histoire qui a été rapportée à Michel bien des années plus tard, et dont nous ignorions tout, grand-père Ernest fut injustement accusé de vol de matériel communal. Il ne put supporter ce déshonneur et se pendit dans la grange, nous étions en 1938.
Albert qui n’avait que dix-huit ans devenait « chargé de famille ». Contraint de subvenir aux besoins de sa mère et de ses frères et sœurs, il quitta à regret l’étude du notaire pour trouver un travail plus rémunérateur à la ville voisine. Cette tragédie et les années de guerre qui suivirent modifièrent définitivement le cours de son destin.
Les rares fois où il parlait de cette période, papa déplorait les privations, la faim, le froid et la peur omniprésente. Il avait toujours une pointe de colère dans la voix en évoquant ses camarades d’école tués aux combats alors qu’il n’avait pas vingt ans, mais jamais il ne parla du rôle qu’il avait tenu pour servir son pays.
Après le décès de notre mère nous revint la dure tâche, à Michel et moi, de vider l’appartement de nos parents. En triant leurs affaires, nous découvrîmes avec stupeur que papa avait fait partie des F.F.I. et participé activement à des opérations. Je me demande même si maman avait été au courant. Elle n’était pas toujours tendre avec son mari mais j’eus l’occasion, à maintes reprises, de constater qu’elle tirait une certaine fierté d’avoir épousé un homme cultivé qui savait soutenir une conversation en société, elle qui n’avait pas beaucoup fréquenté les bancs de l’école et souffrait de son manque d’instruction.
« Votre père est intelligent, ça se voit, il a le front dégagé ! » nous disait-elle avec sérieux. Pour elle, un front haut était le signe indéniable d’une grande intelligence. Nul doute que, si elle avait connu le rôle de son mari pendant l’occupation, elle en aurait vanté les mérites bien au-delà du cercle familial.
À la libération, Albert passa le concours de gardien de la paix. Il ne voulait pas être paysan et Gabrielle n’avait qu’une envie, quitter le village, « ce pays de perdition où il n’y a que des poivrots ! », et commencer une nouvelle vie avec le jeune homme qu’elle avait choisi. L’excellence de ses résultats permit à papa de briguer un poste à Neuilly-sur-Seine. Pour maman, cette nomination inespérée représentait le Saint-Graal.
Un matin du printemps 1945, Albert quitta le village pour aller faire le policier dans la capitale et revint trois mois plus tard dans son village pour épouser la belle Gabrielle. Le lendemain, au grand désespoir d’Angeline, les jeunes mariés montèrent dans le premier car pour Paris et quittèrent définitivement la Picardie.
Gabrielle trouva une place de bonne à tout faire chez des particuliers non loin du boulevard Saint-Germain. Du bout des lèvres, les patrons acceptèrent que leur bonne s’installât avec son époux dans la petite chambre au cinquième étage, mais à une condition :
« Un couple… à la rigueur, mais surtout pas d’enfant ! »
Trop contents de pouvoir quitter leur hôtel pour se loger à moindre coût, les jeunes époux acceptèrent volontiers le compromis. Mais c’était sans compter l’amour débordant qui unissait les jeunes tourtereaux. Quelques mois plus tard, quand elle vit le ventre de son employée s’arrondir de façon significative, l’intraitable patronne brandit sévèrement son index pour rappeler leur convention. Quand le bébé pointa le bout de son nez, Albert et Gabrielle n’avaient toujours pas les moyens de s’offrir un logement plus grand. Ils n’eurent d’autre alternative que de confier leur bébé à une nourrice du village qu’ils connaissaient bien.
Le voyage en car coûtait cher et imposait d’espacer leurs visites, parfois de plusieurs semaines, aussi pour le bambin élevé par sa nounou au milieu de ses frères et sœurs de lait, ses parents n’étaient que des étrangers qui lui apportaient des jouets de temps en temps et dont il s’empressait d’oublier l’existence dès qu’ils avaient franchi le seuil de la porte. Cette situation perdura jusqu’au jour où le petit Michel âgé de deux ans tendit innocemment sa menotte en disant « bonjour, madame » à sa maman. Les parents, profondément choqués et la mort dans l’âme, reprirent l’autocar du soir en se promettant que c’était bien la dernière fois qu’ils repartaient sans leur fils. Albert remuait ciel et terre pour mettre fin à cette douloureuse situation lorsqu’un collègue lui parla d’une place de concierge à Levallois-Perret. Ils se rendirent aussitôt sur place et conclurent l’affaire sur le champ. La profession de papa avait tout de suite rassuré la propriétaire. Celui-ci ne pouvant cumuler deux emplois, ce serait donc Gabrielle qui serait concierge et, à ce titre, bénéficierait d’un logement de fonction gratuit qui allait leur permettre de réunir enfin toute la famille. Peu après, le petit Michel embrassa sa nounou en pleurs, traversa une dernière fois la basse-cour et quitta définitivement la campagne pour suivre ses parents dans une loge obscure à Levallois-Perret.
Quatre ans plus tard, le ventre de Gabrielle s’arrondit pour la seconde fois. Je ne suis pas persuadée qu’elle ait sauté de joie à l’idée d’être à nouveau enceinte, et encore moins quand elle ressentit les premières douleurs avec un mois d’avance et que la sage-femme lui annonça qu’il y avait, non pas un, mais deux bébés. Effrayée devant la perspective de se retrouver à cinq dans une loge déjà trop exiguë pour trois, notre maman inonda nos langes de pleurs abondants.
Elle refusait d’entendre les paroles rassurantes de l’heureux papa qui, avec son optimisme habituel, trouvait la farce plaisante et n’en revenait toujours pas d’avoir fait des jumelles. Minuscules certes, mais jumelles quand même. Son euphorie, hélas, fut de courte durée car l’état de santé de ma sœur devint vite préoccupant. De nous deux, ma jumelle était la plus robuste, pourtant ce fut elle qui attrapa la toxicose des nourrissons, infection gravissime en 1952 et qui l’emporta un mois plus tard. Dès lors, je fus l’objet de toutes les inquiétudes de mes parents qui craignaient pour ma vie et me surveillaient comme le lait sur le feu. Pour tout arranger, je confondais le jour et la nuit et les mois qui suivirent furent très éprouvants pour toute la famille qui dormait (ou plutôt ne dormait plus) dans l’unique chambre. Exténués et meurtris par le drame qu’ils venaient de subir, mes parents consacrèrent moins de temps à leur fils aîné qui manifesta son désarroi comme on peut le faire à six ans, c’est-à-dire qu’il accumula les bêtises et devint bientôt proprement insupportable.
Michel me raconta plus tard que, profitant de ma prétendue fragilité, je me mettais tout de suite à brailler quand nous nous chamaillions. Les parents ne cherchaient pas à comprendre et me donnaient toujours raison car j’étais la plus petite. Mon grand frère fut souvent injustement puni, ce qui le conforta dans l’idée que j’étais la préférée. Cette idée resta longtemps ancrée dans son esprit, jusqu’à ce qu’il se rende compte que maman, qui avait la main leste, distribuait les calottes plus équitablement. Papa, quant à lui ne me donna jamais qu’une seule fessée, qui resta gravée dans ma mémoire, tant elle fut exceptionnelle.