Tout commence au berceau - Béatrice Carles - E-Book

Tout commence au berceau E-Book

Béatrice Carles

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Beschreibung

Tout commence au berceau retrace le parcours d’une journaliste spécialisée dans le tourisme de luxe. Enfant non désirée et abandonnée par son père à six mois, elle a dû subir le désamour de sa mère jusqu’à sa majorité. Mariée à un homme violent, sa vie est une succession d’épreuves aussi douloureuses les unes que les autres. Volontaire et remplie d’énergie, son combat contre les difficultés existentielles fut permanent. Au bord de son âme de femme, d’épouse et de mère coule une ferme résolution baignée de la douceur d’un émouvant courage.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Sensible aux violences faites aux femmes, Béatrice Carles écrit cet ouvrage pour manifester son soutien aux victimes. Par son histoire, elle entend décrier un fléau qui ne cesse de détruire des vies.

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Seitenzahl: 245

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Béatrice Carles

Tout commence au berceau

© Lys Bleu Éditions – Béatrice Carles

ISBN :979-10-377-7817-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes deux fils

À l’origine

Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants.

Marcel Pagnol

(1895 - 1974)

Préface

Il y a vingt-cinq ans, j’étais la gynécologue de Béatrice Carles. Et j’ai eu le bonheur de mettre au monde son deuxième enfant. Au fur et à mesure des années, nous sommes devenues amies. Sa grande sensibilité et son sens de l’humain nous ont rapprochées.

En lisant le récit de sa vie, je découvre, aujourd’hui, son parcours riche et atypique dont elle avait si peu parlé.

Béatrice Carles relate avec beaucoup de pudeur son enfance de désamour, ses rêves et ses espoirs.

Comme elle, je crois profondément en Dieu ; comme elle, je crois en cette étoile qui lui a permis d’accomplir de grands rêves.

Spinoza a dit : « L’espoir fait naître des raisons d’espérer et le bon présage fait arriver les choses ».

Patricia Cohen-Faure

Docteur en Médecine, Gynécologue

Lauréat de la Faculté de Médecine de Montpellier

Prélude

Tous les soirs, sous le ciel étoilé de mon quartier, j’ai un rendez-vous particulier. Attirée par la voûte céleste et toute sa signification spirituelle, je m’agenouille presque devant les forces invisibles du monde. Chaque soir, je confie ainsi mon âme d’enfant, de petite fille. Je fais ma prière aux étoiles.

Debout, au bord du balcon gris du logement maternel (à l’époque, le balcon, dont la photographie est insérée en page 8, comportait un garde-corps à barreaux verticaux et des volets classiques), en levant ma tête, le sourire aux lèvres, avec une ardeur tout enfantine, je prie, prie, joyeuse ! À cet instant, je crois en ma bonne étoile, à toute la force qu’elle me donnera pour, un jour, partir.

De ce quartier, de cette zone où les ombres vous jouent de drôles de tours, où les boîtes aux lettres aussi sont régulièrement détruites avec cette sorte de stupide impatience, les enfants mâles en quête d’aventures éphémères, se mettent en chasse. Ils prospectent, cherchent une fille facile, une fille de mauvaise réputation, la fille d’un soir. Je suis, au contraire, celle que l’on ne peut approcher. Méfiante de tout et de tous, je me sens dans la peau, jusqu’à la pointe de mes cheveux, d’un animal effarouché, sauvage, indomptable !

Lourdement abîmée par la solitude et l’absence de l’amour parental, je n’ai pas souvenir d’avoir fêté mes jeunes anniversaires. D’une jolie robe et d’une longue chevelure je rêve. Songe simple et bien naturel pour une petite fille ! Ce rêve me renvoie à une anecdote. Ma mère, familière des hippodromes ou des guichets du PMU (Pari mutuel urbain), turfiste donc, me dit un jour : « Si je gagne une grosse somme, tu auras cette robe en vitrine (robe d’un certain coût) » Ma mère touche les gains mais je n’ai pas cette robe dont je rêve et qui me fait rêver !

Après avoir insisté dans mes sollicitations, je comprends rapidement que je me heurte au manque de parole. Dégoûtée par ce manque de confiance et cette parole jamais respectée, je vais me recroqueviller en moi-même, dans mon logis intérieur, pour me protéger. C’était hier et aujourd’hui, je m’en souviens avec cette force immuable !

Ne croyant plus qu’en moi-même, je fais mienne, la fameuse devise : « Aide-toi et le cielt’aidera ! » Ma force déterminée devient alors mon indispensable bouée de survie ! En dépit de mon chemin, très tôt jalonné d’embûches ou d’ornières, je crois en moi. C’est là, un point essentiel, cardinal. Mon énergie, mon courage, ma détermination me sauveraient. Lors de mes visites chez des copines de classe avec lesquelles nous échangeons à propos de nos devoirs, je peux mesurer, avec effroi, l’écart énorme du climat familial. Invitée au repas, la tablée familiale se réunit dans la bonne humeur ; la mère de famille, emplie des meilleures attentions pour les siens, avait préparé un délicieux et bon repas dont tous les convives sont fiers. Fiers de rompre simplement et dans la joie, le pain à cette table, dessinée au tableau d’une douce humanité, au cœur de cette famille unie. La magie opère avec grand plaisir et bonheur !

Quel immense contraste avec mon lieu de vie ! Là, dans la cuisine, la saleté et le désordre règnent en maîtres, en despotes. Le fouillis général de la pièce le dispute à toutes ces choses ou tous ces objets qui, en permanence, traînent, abandonnés, sur la table, ou bien encore dans l’évier ou sur son bord. Très souvent, le repas se compose de restes, mis sur la table ; de bric et de broc, je me débrouille parfois à faire un repas.

La vaisselle prend presque racine dans l’évier, toute négligée qu’elle est. Excepté chez celui de ma grand-mère maternelle ; de toute mon enfance, je n’ai aucun souvenir d’un évier propre à la maison ! Au milieu de ce fatras, de ce bric-à-brac, culinaire et cuisinier, j’entends souvent une petite voix intérieure qui me dit : « Tu vas y arriver, tu vas t’en sortir ! La fin du tunnel est proche. Après l’orage, la tempête, l’accalmie, les beaux jours. À cœur vaillant, rien n’est impossible. »

En moi, je dispose de forces. Croyant en moi, je désire – malgré tout ce qui m’arrive, dans un optimisme fervent, dynamique – vivre pleinement ! Croire encore, encore, croire toujours que rien n’est impossible !

Le petit balcon gris de mon enfance,

dans le quartier de La Paillade à Montpellier,

d’où, le soir, je lève mes yeux au ciel, en oraison,

à la recherche de ma bonne étoile…

ZUP HLM, 2e étage – rue de Bari,

La Paillade à Montpellier-la-Mosson

Ma mère, Monique CHAPON (1936-2012), à l’âge de neuf ans

Mes grands-parents paternels : Henri et Lydia

Son histoire m’imprègne

Tout commence au berceau avec ma mère. Son histoire m’imprègne, m’imbibe et, bien sûr, constitue mon héritage… Je ne suis pas attendue, ni voulue, ni désirée. Cependant, je suis née avec une bonne constitution génétique, une énergie folle. Celle-ci va me servir pour ma vie d’adulte. Une volonté sans faille. Toute petite déjà, je vais apprendre à surmonter les obstacles de ma vie. Les injures, les mots blessants, vont border toutes mes premières années.

Outre ma naissance inattendue par mes parents, la nature, en venant au monde, m’octroie un petit poids : 2,400 kg. Il s’ensuit également, selon ce qui m’a été rapporté plus tard, que je n’aime pas le lait de ma mère, et je n’en suis pas étonnée ! N’étant pas du tout désirée le jour où je suis née, ma mère doit détester sans doute de me donner le sein. Entre mon petit corps frêle d’enfant et le dégoût du lait maternel, les surprises de ma venue au monde ne s’arrêtent pas là.

En effet, mon père avait espéré la naissance d’un garçon, après celle de ses deux filles d’un premier lit. Mon père, mécanicien de métier, eût été heureux cependant d’avoir un enfant mâle, pour le remplacer plus tard, durant ses congés, sur l’exploitation agricole de mon grand-père paternel, paysan cultivant la terre et s’occupant d’un verger.

Tout au long de ma petite enfance, tel un refrain sombre, le rejet s’installe. Des mots durs me mettent en exil, des langes d’une douceur naturelle, comme ceux-ci : « Maudit soit lejour où je t’ai mise au monde ! » Ces échos maternels vont m’accompagner toutes mes premières années juvéniles durant. Ma pauvre mère, de nature dépressive, va m’infliger sa maladie, et les couplets de sa bipolarité.

Alors, je ne m’expose pas. Dans mon coin, je reste et me fais toute petite. Avec mes cheveux arrachés par ma mère, dans ses accès de colères, je me trouve laide. Me sentant inexistante, je suis maladroite, et une cohorte de complexes vient m’envahir. Toutefois, je grandis auprès d’une grand-mère aimante et bienveillante, Mamie Marcelle.

Ma douce grand-mère me prépare des repas équilibrés en fin de semaine, pendant les vacances scolaires et à Noël, Mamie Marcelle m’offre des poupées qui parlent et marchent seules. Vers l’âge de mes deux ans, je crois, il m’arrive une bien drôle de scène. Ce jour-là, j’accompagne ma mère en poussette, une poussette avec de grandes roues. Toutes deux, nous partons au marché de Figuerolles à Montpellier. Arrivés sur place, ma mère me demande de descendre de la poussette. Je lui donne la main et ma mère range la poussette sur le côté, contre un arbre, non loin de la place du marché donc.

À notre retour, la poussette n’est plus là, et qu’elle n’est pas la surprise de ma mère qui, soudain, se met dans une violente colère ! Et cette dernière de me dire : « Eh bien maintenant, tu vas marcher, c’est fini, je ne te porte plus ! C’est terminé, tu es grande désormais. » À cet instant d’ire maternelle, mon tout très jeune esprit d’enfant me laisse un sentiment de culpabilité. Vu son caractère et ses souffrances personnelles, ma mère, ce jour-là, a dû ressentir l’impérieux besoin de faire une victime, vexée et fâchée qu’un indélicat de passage ait pu s’emparer de la poussette ! Après cet événement, je ne me souviens plus d’avoir été portée par ma mère.

Les bonbons Haribo, et mes livres les Martine, font partie du meilleur de ma vie. Ce sont, à vrai dire, mes seules consolations, outre les soins et attentions de ma bien-aimée grand-mère. Comment s’extraire finalement de son milieu social dès lors que ce dernier avoisine dans son quartier de la Paillade, dans sa cité en zone urbaine périphérique (ZUP), les passages, venelles ou autres lieux d’une délinquance enracinée ?

Pourtant, il existe bien une Maison pour Tous, située en face de mon domicile, au 134 rue de Bari à Montpellier. Âgée de huit ans, je rêve d’y aller. Pour apprendre le piano. Face à ce rêve de fillette, ma mère semble indifférente et ne veut pas m’accompagner. Vas-y toute seule me dit-elle ! Mais vu mon tout jeune âge, je n’ose pas y aller. Il faut sûrement l’autorisation parentale, s’inscrire moyennant une adhésion, me dis-je. Alors, je n’y vais pas.

Vers l’âge de sept ou huit ans, je ne me souviens plus très bien l’année et le jour. En revanche, ce dont je me rappelle, avec une précision bouleversante, provient de ce que ma chère et bien-aimée, Mamie Marcelle me conte ce jour-là, un après-midi d’automne, de retour de l’école. Son souvenir, encore aujourd’hui, m’en donne de noirs frissons, dans tout mon corps de femme apaisée.

Voilà, en quelques mots, ce que ma grand-mère décide de me dévoiler, étant un peu plus grande, étant une enfant plus développée, vu mon âge.

« Ma chère Béatrice, viens, assieds-toi là, près de moi. Je vais te raconter un événement très douloureux qui s’est produit, ma chérie, avant que tu ne viennes au monde. Avant le jour de ton berceau, il est arrivé un malheur à ta pauvre mère, Béatrice. Tout en me parlant, bien que je ne sois qu’une enfant, je vois les yeux de ma Mamie qui s’embrument d’une triste rosée, celle de larmes d’une grand-mère, son corps secoué par la tristesse. Ta Maman, ne désirant pas l’enfant qu’elle porte, décide d’avorter. La faiseuse d’ange refuse de pratiquer une seconde interruption de grossesse, en raison de l’extrême danger qu’encoure alors ta mère. »

Sans difficulté, j’imagine, à présent, la rage maternelle, sa grande déception de ne pouvoir bénéficier à nouveau, des services (clandestins à l’époque !) de cette femme, non-médecin. Tel un éclair soudain dans le ciel, tout me revient ! Comment cette femme a-t-elle pu vivre dans un tel remords ? Ma mère considéra ainsi toute sa vie, comme un enfer. Malheureusement, il ressort que cette sensation infernale s’est, tous les jours, vérifiée ! Ne broyant que du noir, à longueur de journée, ma pauvre mère se plaint de tout. Rien ne va. Fort insatisfaite de son sort, dès que Maman, en société, voit un couple accompagné de ses enfants, cette dernière jalouse cette famille qui passe non loin d’elle…

Béatrice Carles, sur la plage de Palavas-les-Flots, en 1967.

Aujourd’hui, sa réflexion remplie d’envie me demeure gravée, en profondeur :

« Regarde, me dit-elle, comme elle est moche, et pourtant ses enfants ont un père ! » Pour un rien, tout devient de ma faute, ma mère étant très aigrie d’avoir été abandonnée par mon père, père que je n’ai jamais connu. Parce que je suis toujours présente dans l’appartement, je suis persuadée que ma mère n’a pas pu faire connaissance d’un autre homme, dans sa vie. Toujours seule, livrée à moi-même, sans jouir de ses simples attentions maternelles, mon apprentissage de la vie se fait presque en solitaire, et très tôt. La vie, que je découvre dans des circonstances bien moroses, m’enseigne, m’instruit beaucoup… Pour tout – comme je me sens mise de côté, ignorée –, je me débrouille. Parce que je me sens en survie, j’apprends vite, très vite ! Finalement, mon quotidien, monotone dans son climat, ne se constitue, que de dénigrements répétitifs, de réflexions blessantes ou de gifles à éviter.

Eu égard à toutes ces années de désamour maternel, je saisis mieux maintenant, avec du recul, comment l’homme qui est devenu mon mari a pu m’apporter quelque bonheur. Ne l’ayant jamais connu auparavant (à l’exception des moments privilégiés partagés avec Mamie Marcelle), j’ignore tout de lui, cet inconnu invisible et muet.

Au cours de mon enfance et de mon adolescence, je ne reçois rien, il ne m’est rien donné, en délicatesses comme en prévenances, de la part de ma famille qui se limite à ma mère…

Lorsque je songe à la confidence de ma grand-mère maternelle, bien que je sois encore jeune à l’époque, je me rends compte alors d’une chose terrible, intime, à l’intérieur du petit être que je suis : ma naissance non désirée par ma pauvre mère, à mon insu, va, peu à peu, inoculer, programmer mes souffrances à venir, comme si ces dernières avaient été inscrites, avant même que je ne vienne au monde, ce 20 mai 1964 ! Y songer maintenant, avec du recul, m’en donne presque la chair de poule, malgré une paix, un équilibre et une liberté que, plus tard, je vais pouvoir recouvrer…

L’époux qui va partager donc quelques années de ma vie de jeune femme n’a guère de mal à m’épanouir au début : il dit oui à tout ce que je désire. Celui-ci me trouve belle et m’admire. Mon mariage avec Rodolph me confère, d’une certaine manière, le statut de princesse. D’enfant mal-aimée, je deviens presque une souveraine au sein de mon jeune couple, un rêve qui, je le crois, est en train de se réaliser… Devant l’attitude de mon mari qui me chérit, je fais tout pour le contenter. Un beau jour, ce dernier me dépose sur la table de la cuisine, deux livres de grands cuisiniers. Tout de suite, je comprends le message qu’il m’adresse.

Avec ces beaux ouvrages culinaires, je m’emploie à préparer, pour toute la famille, de délicieux mets. Je mets un point d’honneur à ce que les convives soient pleinement heureux de se mettre à table. Tout en me dévouant au four et à la cuisine, en ma qualité de maîtresse de maison, la demeure y est tenue, avec ordre, propreté et soin. Désireuse de voir la famille s’épanouir, je mets tout en œuvre, aux fins de créer sans réserve aucune, une ambiance de bien-être. Un climat d’odeurs et de sensations, une cuisine (souvent pièce principale de vie dans une maison) qui sent bon dès qu’on y entre ! Tout ce que, petite fille, j’eusse espéré, voulu et que je n’ai vu avec mes yeux d’enfant. Après toutes ces années, l’existence me donne à penser que cet homme a eu, finalement, beaucoup de chance de me rencontrer. Vraisemblablement, ma naïveté, mon courage et, sans doute, mon physique plutôt charmant y ont contribué…

Sa cadette de quatorze années, mon énergie se met au service, non seulement de la bonne tenue de la maison, mais aussi des voyages, de son entreprise où je l’assiste dans ses devis et factures. Toujours activement présente, je lui apporte une aide précieuse dans ses affaires.

Puis, un jour vient le temps des naissances, deux héritiers. Outre ses deux enfants à lui, adoptés, il recommence donc, avec moi, une autre vie. Une autre vie avec la femme que je suis, douce et se contentant de peu, d’un rien, puisqu’elle se souvient d’une enfance si dure, si tourmentée, si pauvre en amour ! Pour Rodolph, je crois que cela a dû être facile. Oui ! Très facile pour lui, j’en suis fermement convaincue !

L’année de mes cinq ans, une scène douloureuse me revient : ma main montrée à ma mère. Pour lui dire que je n’ai que 5 ans. Comme les doigts de ma toute petite main d’enfant. Pourtant, comme d’habitude, elle me crie dessus ! Je ne sais plus pour quelle raison. Mais je me souviens alors d’avoir pris les jambes à mon cou, pour me réfugier dans la salle de bain. Je dois faire vite. Parce que durant ses crises de démence, ma mère s’en prend souvent à mes cheveux.

Et avec sa main, secoue tout mon corps, de gauche à droite. Pour échapper donc à la douleur des cheveux tirés et ces secousses brutales, je fuis. Je m’enferme dans la salle d’eau. Et je me mets entre la baignoire sabot et le lavabo sur lequel sont éparpillés des produits cosmétiques. Pour protéger mes cheveux auxquels je suis tant attachée, je n’ai que cette issue. À l’école, mes camarades se moquent de ma queue de rat et de mes cheveux clairsemés.

À l’aide de son poing, ma mère cogne la vitre opaque de la porte de la salle de bain. Les coups résonnent encore dans mes oreilles. J’ai peur d’ouvrir. Elle crie, m’insulte. Tu vas souffrir davantage si tu ouvres, me dit-elle. Derrière la vitre, je lui montre les doigts de ma main : « Maman, j’ai 5 ans. S’il te plaît, je te demande pardon si j’ai fait quelque chose de mal. Mais je t’en supplie, pas mes cheveux ! Pardon, Maman, pardon Maman, je ne le referai pas ! » Pour ouvrir la porte, je prie mon courage. Mais là, les coups redoublent. Aujourd’hui, j’en pleure encore.

Quelle souffrance pour la petite fille que j’ai été ! Je lui dis de m’abandonner pour une autre famille. En fait, je ne sais plus quoi faire, en vérité, pour faire cesser tout ça ! Un autre événement, intime, me revient. Le jour de mes premières règles, ma mère n’arrête pas de se moquer de moi. Elle me jette à terre, un paquet de serviettes hygiéniques, en me disant que c’est pour la vie ! Elle me dit que je dois m’en accommoder… Elle me présente mon cycle menstruel, comme un mal, une punition. Ma mère me dit encore que si je m’approche des hommes qui, selon elle, sont tous des salauds, je pourrais avoir des enfants. Je me souviens de l’immense honte face à tous les propos de ma mère. Ainsi, elle raconte à tout le monde que c’est arrivé (mes règles).

Une grande tristesse s’abat sur moi, comme un couperet ! Pour ma mère, je ne suis rien. Tout ce qui vient de moi doit être dit au monde entier ! En décembre, généralement il est un lieu spécial réservé par bien des familles. Ce peut être un placard ou une armoire, pouvant contenir les présents d’un jour. En l’honneur donc d’une Douce et Sainte Nuit, des paquets multicolores, enrubannés, attendent cette nuit-là – sous le sapin décoré, posés sur des souliers bien cirés – l’émerveillement des enfants entrant dans une sagesse joyeuse, en chemise de nuit ou pyjama, dans la pièce de la Nativité…

Hélas ! Je puis dire que je ne me souviens pas du tout, de tels instants préparés et partagés en famille, le jour de Noël. À l’exception de douces gâteries de Mamie Marcelle, en cette période de l’année, et plus particulièrement le 25 décembre, ma mère prend un plaisir cruel à me faire du mal. Celle-ci vocifère des méchancetés sur mon père qui ne m’a jamais offert de cadeaux, ceux qu’une fillette de mon âge pouvait être en droit d’espérer. En qualité de mécanicien, mon père travaille dans un garage automobile de la Régie Renault.

Chaque année, ladite concession organise un arbre de Noël pour les enfants de l’entreprise. Bien sûr, ma mère est au courant de cet événement. Pour les étrennes de fin d’année, ma mère est informée (par je ne sais quel canal) que mon père prend mon cadeau sur lequel est inscrit mon prénom. Au lieu de me l’offrir spontanément comme il se doit, ce dernier le détourne sans scrupule aucun, de sa destination première. En effet, le cadeau est remis à mes deux demi-sœurs (filles issues de premières noces avant l’union avec ma mère). Chaque année, à cause de cette fraude paternelle affective, une angoisse tourmente mon cœur d’enfant.

Ce mois de décembre me laisse un goût d’amertume et de tristesse. C’est pourquoi je déteste cette période de l’annonce de la Bonne Nouvelle, qui ne me laisse qu’un dur et pénible souvenir ! Face à de telles blessures intérieures, je n’ai pas souvenir d’avoir cru, en vérité, au Père Noël. Avec mes parents divorcés et ma mère me reléguant, depuis mon berceau, dans la cave sombre d’un désamour annoncé, presque programmé, il me paraît alors difficile d’y croire. Mal-aimée par ma mère, abandonnée par mon père, je me sens comme une orpheline, une enfant chassée du pays de ma propre enfance !

Mes grands-parents paternels habitent à une douzaine de kilomètres. Je ne les vois pas. De ma cité La Paillade, par ma mère, je sais que leur domicile se trouve à proximité de la Réserve RIMBAUD. Terriblement jalouse de leur lieu de résidence – parce qu’elle est située sur la commune de Castelnau-le-Lez (Hérault), ville huppée, cossue – ma mère m’éloigne aussi, par cette envie maladive, de mes grands-parents paternels. D’eux, je ne reçois aucun appel téléphonique ni aucune invitation à les visiter. En fait, pour les parents de mon père, je n’existe pas vraiment, voire pas du tout ! Par ailleurs, de leur part je n’ai jamais reçu le moindre courrier ou carte pour l’un de mes anniversaires. Si cela s’était produit, je suis à peu près certaine que je les eusse conservés, avec minutie, sous mon oreiller.

Mon père, Louis Carles (1929-2008)

Vraisemblablement, je les aurai même montrés (courrier ou carte) à ma mère, dans ses excès d’emportement violent, aux fins de la convaincre de me confier à mes grands-parents paternels. Toute petite, pour celle qui m’a mise au monde, je veux mourir ! Cette phrase résonne toujours dans ma tête : « Maudit soit le jour, où je t’ai mise au monde ! » Du sceau de la malédiction ou d’une infamie, ces mots de ma propre mère me marquent, au fer rouge, tel l’acier incandescent sur le cuir animal !

Et la brûlure d’hier, telle une fumerolle encore un peu vive, s’échappe parfois de mes songes nocturnes ou de mes souvenirs, pour me secouer de convulsions et de sanglots. Mourir pour son bonheur eût été, à vrai dire, d’un grand salut pour cette mère indigne. Un vrai embarras pour elle je suis. Sans père ni mère aimante, je connais très tôt cet état invisible et intérieur qu’est l’orphelinat de mon âme en détresse !

Une seule fois, j’ai le souvenir d’avoir vu mon père, en raison de l’obligation du juge faite à ma mère, de me présenter à mon père. Cet instant unique se déroule à l’école maternelle, je dois avoir quatre ou cinq ans. Dans une grande exactitude, je me souviens de l’angoisse m’envahissant lors de la visite organisée : « Tu vas rester avec lui et tu verras comme il est abject ! C’est un salaud, un homme avare. Regarde ! De lui, tu n’as jamais rien reçu ; il ne te donne jamais rien ! » Avant même de le rencontrer, ma mère ne cesse de me monter contre lui. Moi, petite enfant impuissante devant tant de cruauté maternelle, je tremble d’effroi ! Ma mère réussit à merveille à m’éloigner de mon père, en le dénigrant de cette façon aussi ignoble ! Je suis tétanisée à l’idée de le voir.

Le chemin, accompagnée de ma mère, que nous faisons à pied, je le revois très distinctement. Je lui tiens la main très fort. Une large crainte monte en moi. Et de lourdes larmes chaudes coulent le long de mes joues roses d’enfant. Comme j’eusse souhaité être loin de toute cette douleur et de cette anxiété profonde ! Une Renault 16, blanche est garée le long de la route. Ce doit être un jour d’hiver, il fait froid. Du véhicule, un homme emmitouflé dans un manteau marron, en peau de mouton, sort. Pour moi, toute craintive, je ne ressens que l’étreinte douloureuse de la main de mère contre la mienne. Ma mère me présente à lui :

— Voici Béatrice, dis bonjour à ton père !

Baissant la tête, je sens tout le lourd fardeau du monde sur mes frêles épaules. Cet étranger en face de moi est finalement mon père. Mais dans ma tête d’enfant, j’ai plein d’interrogations à son sujet. Perdue je me sens. N’ayant été préparée par ma mère que sous l’angle de la défiance à l’égard de mon père, je ne puis comprendre cet étranger. Je n’ose soutenir son regard. Je me trouve si laide avec mes cheveux arrachés ! J’ai peur et j’ai du mal à respirer. Décrit par ma mère comme un monstre, eh bien ! Il est là devant moi, tout près. Quel sentiment intime d’horreur en pareille circonstance ! Où partir ? Que faire ? Moi, petite fille prise en otage par le monde des adultes, si malveillants envers mon âme ! Tous les trois, nous montons dans sa voiture. Je n’ai pas souvenir d’être demeurée seule avec mon père. Sous les critiques acerbes et les attaques verbales de ma mère, je sens la nervosité d’un homme, du père que je n’ai pas eu, et qui avait voulu simplement fuir le comportement pathologique d’une mégère, inconsciente de tous les maux qu’elle peut jeter à la face d’autrui ! À la suite de cet échange consternant, et des plus médiocre, je ne revois plus jamais, au cours de mon enfance, mon père.

Quelques années après mon mariage, à la naissance de mon fils aîné, Jules, sous l’influence et le conseil de son père, je décide de me mettre en relation avec mon géniteur. Ce père éloigné, m’ayant délaissé à six mois, n’est rien d’autre qu’un inconnu, un étranger !

Je souhaite lui présenter son petit-fils et, par-là, pouvoir observer sa réaction. Voici quelques bribes de notre conversation téléphonique :

— Eh bien, je t’attendais depuis longtemps, tu en as mis du temps à venir me voir !
— Comment ça, du temps ?
— Tu m’attendais à ce point ?

Très vite, je sens un homme tendu. Avec beaucoup de rancœur contre ma mère, pour toutes ses actions en justice, en vue de l’obtention d’une pension alimentaire. Ce jour, à l’aide d’écritures en faux, malgré l’abandon du domicile conjugal, j’apprends que ma mère avait continué à toucher une pension alimentaire de sa part, au-delà de ma majorité. Fou de rage, on eût dit presque qu’il m’en faisait une sévère réprimande… Le comble, me dis-je ! À compter de jour, j’ai préféré mettre de la distance entre mon géniteur et moi-même, vu le maigre intérêt à se voir.

Le bahut en merisier de mon père

Régulièrement, au cours de mes premières années de mariage, chaque trimestre, Rodolph, nos enfants et moi-même, nous allons le voir dans l’Aveyron. Cette escapade champêtre fait prendre le grand air des espaces à nos jeunes enfants. Et cette villégiature aveyronnaise nous comble de bienfaits nombreux. En effet, nous repartons la malle de la voiture, remplie de victuailles : cochonnailles, légumes et fruits locaux. À l’époque, le père de mes enfants aime y aller, la table étant bonne.

Un jour, mon père me fait une réflexion singulière, inédite à propos du père de mes enfants, elle m’a beaucoup marquée et me marque encore de nos jours.

— Béatrice, tu es une Carles ! Tu ne dois pas te laisser parler ainsi par ton mari ! De toute ma vie de fille, de femme, d’épouse et de mère, c’est la seule fois que l’on ait pris ma défense ! Tel un clairon, cette phrase résonne encore, en profondeur, des années après, dans mon esprit, mon cœur, mon âme et mon corps de femme. De mon père Louis, en tout et pour tout, je ne garde qu’un seul meuble. Un bahut en merisier. Toujours avec moi je l’ai. Mon père, avant sa mort, avait voulu que je le conserve à jamais. Je n’ai fait que respecter sa volonté : j’ai tenu parole envers mon père que je n’ai jamais pu appeler Papa.