Traité de la Divinité de Jésus-Christ - Jacques Abbadie - E-Book

Traité de la Divinité de Jésus-Christ E-Book

Jacques Abbadie

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Beschreibung

Jacques Abbadie considérait le Traité de la Divinité de Jésus-Christ comme le troisième tome de son Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne, qui avait eu un retentissement considérable dans toute l'Europe. Avec une liberté de ton dont notre époque médiatique a aujourd'hui perdu le courage, il prétend y démontrer par l'absurde, que si Jésus-Christ n'est pas d'une même essence divine avec son Père, il vaut mieux : 1) se faire musulman ; 2) approuver le sanhédrin dans sa condamnation à mort de Jésus ; 3) tenir les apôtres et leur maître pour des menteurs ; 4) jeter aux orties l'Ancien et le Nouveau Testament ; 5) considérer la religion comme une mauvaise farce. Les critiques protestants du dix-neuvième siècle ont couramment reproché à Abbadie ce type d'approche, en la qualifiant d'intellectualiste ; cependant une simple étiquette n'a pas valeur de réponse à un argument de bon sens. L'apôtre Paul lui-même, a utilisé la méthode de démonstration par l'absurde : « Si Christ n'est pas ressuscité, votre foi est vaine», écrit-il aux Corinthiens. Pareillement, si Jésus-Christ n'est pas le Fils unique Dieu, et Dieu donc dans son essence, il est inconséquent ou hypocrite de se dire chrétien. Abbadie, c'est un peu le Descartes réformé ; et puisque les philosophes n'ont pas cessé d'étudier l'auteur du Discours de la Méthode, sous le prétexte qu'il serait trop ancien, on comprendrait mal que les chrétiens évangéliques ne lisent plus le grand apologiste du dix-septième siècle. Cette numérisation ThéoTeX reproduit le texte de 1689.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322474554

Auteur Jacques Abbadie. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.

ThéoTEX

site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]
Traité de la Divinité
de
Jésus-Christ
Jacques Abbadie
1689
♦ ♦ ♦Thé[email protected] – 2018 –
Table des matières
Un clic sur ◊ ramène à cette page.
Note ThéoTEX
Préface
1. Jésus-Christ et Mahomet
1.1 Si Jésus-Christ n'est pas Dieu notre christianisme est corrompu
1.2 Si Jésus-Christ n'est pas Dieu, Mahomet est un homme divin
1.3 Si Jésus-Christ n'est pas Dieu, Mahomet est le plus grand des prophètes
1.4 Si Jésus-Christ n'est pas Dieu, Mahomet lui a été supérieur en tout
2. Jésus-Christ et le sanhédrin
2.1 Première preuve : Jésus-Christ a pris le nom de Dieu
2.2 Suite de la même preuve
2.3 Seconde preuve : les écrits des prophètes lui donnent tous les titres de Dieu
2.4 Troisième preuve : on fait Jésus-Christ égal à Dieu
2.5 Quatrième preuve : Jésus-Christ s'est fait adorer
2.6 Cinquième preuve : les prophéties de l'A. T. glorifient Jésus-Christ comme Dieu
3. Si Jésus-Christ n'est pas Dieu, lui et ses apôtres nous ont trompés
3.1 Cette supposition est incompatible avec l'amour de Dieu
3.2 Elle est incompatible avec l'Écriture et la nature de la foi
3.3 Elle est incompatible avec la dignité de Jésus-Christ
3.4 Si Jésus-Christ n'est pas Dieu, sa mort a été inutile
3.5 Si Jésus-Christ n'est pas Dieu, le langage de l'Écriture est mensonger
3.6 Preuve tirée de la préexistence de Jésus-Christ
3.7 Suite de l'argument au sujet de la préexistence de Jésus-Christ
3.8 Suite et fin de l'argument sur la préexistence de Jésus-Christ
3.9 Malignité de la glose socinienne
3.10 Suite de la même preuve
3.11 L'arianisme également défait par ces preuves
3.12 La pureté du langage du Saint-Esprit exclut tout socinianisme
4. La divinité de Jésus-Christ prouvée par l'unité de L'Ancien et du Nouveau Testament
4.1 Si Jésus-Christ n'est pas Dieu, les prophéties sont illusoires
4.2 Si Jésus-Christ n'est pas Dieu, les apôtres ont compris faussement les prophètes
4.3 Suite de la même preuve
4.4 Suite de la même preuve
4.5 Les apôtres ont réellement appliqué à Jésus-Christ les prophéties de l'A. T.
5. Sans la divinité de Jésus-Christ, la religion ne peut être que de la superstition, de la comédie ou de la magie.
5.1 Preuve à l'égard de la religion mosaïque
5.2 Suite de la même preuve
5.3 Même preuve appliquée à la religion chrétienne
5.4 Suite de la même preuve
5.5 Jésus-Christ s'est revêtu des caractères de la gloire de Dieu
5.6 Sans la divinité de Jésus-Christ, la religion chrétienne n'est que superstition, fiction ou magie
6. Réponses aux principales objections
6.1 Règle fondamentale dans cette matière : la Parole de Dieu
6.2 Objection tirée du silence de l'Écriture
6.3 Objection tirée de Jean.17.3 : c'est ici la vie éternelle
6.4 Où l'on continue de répondre à la même objection
6.5 Où l'on continue de répondre aux objections de nos adversaires
6.6 Où l'on continue de répondre aux objections
6.7 Où l'on continue de répondre aux objections
6.8 Où l'on tâche de se satisfaire sur les difficultés de ce grand mystère
◊  Note ThéoTEX

A la lecture des œuvres d'Abbadie, il apparaît qu'il s'est nourri abondamment de la substance des écrivains de son siècle, dans la recherche de la vérité : Descartes pour la métaphysique, La Rochefoucauld pour la psychologie. Et pourquoi le lui reprocher ? L'apologétique chrétienne a parfaitement le droit d'utiliser tout ce qui dans le développement de la pensée humaine, lui semble propre à défendre et à confirmer sa vision du monde. Certes un syllogisme n'a jamais converti personne, l'essence de la foi consistant dans une relation vivante entre l'homme et Dieu, non dans une conclusion intellectuelle ; mais les Traités du plus grand apologiste du dix-septième siècle n'ont jamais ambitionné de se placer au-delà du simple bon-sens cartésien, éclairé par le texte biblique. Le troisième tome du Traité sur la Vérité de la Religion Chrétienne n'est pas davantage une thèse de christologie : l'auteur veut seulement constater la réalité du mystère de l'incarnation du Fils de Dieu, mais il s'interdit d'y discuter la manière du mystère, son comment, qui reste complètement inaccessible à notre compréhension.

Le mépris dans lequel le protestantisme du dix-neuvième siècle a ensuite tenu Abbadie, semble d'autant plus injustifié qu'une démonstration de la divinité de Jésus-Christ ne s'adresse pas à ceux qui en sont déjà convaincus, mais à ceux qui en doutent : un tel effort exerce son effet préparatoire sur les cœurs honnêtes et bons, dans lesquels germera un jour la Parole.

Pour sa part, le vingt-et-unième siècle évangélique ne se prononce pas sur notre écrivain, qui, quoiqu'ayant vécu une grande partie de sa vie en exil en Angleterre, n'a rien écrit en anglais que l'on aurait pu traduire en français : par conséquent aucun de ses ouvrages ne mérite de se trouver dans une libraire évangélique… Ne serait-ce que pour lui apprendre à s'exprimer dans une langue claire, précise et nette, dépourvue de galimatias philosophique, la lecture du Traité sur la Divinité de Jésus-Christ sera bénéfique à l'amateur d'apologétique.

Phoenix, le 11 avril 2018
◊Préface

Les vérités essentielles de la religion sont tellement enchaînées, qu'elles ressemblent, à cet égard, aux principes de la géométrie, dont les uns servent comme de degré pour descendre à la connaissance des autres.

Ainsi, dans l'examen que nous avons fait des principales preuves qui établissent les fondements de notre foi, la vérité de l'existence de Dieu nous avait conduits à celle de la religion naturelle, la vérité de la religion naturelle à la connaissance de la religion judaïque, et la religion judaïque à la vérité de la religion chrétienne ; et tout cela par une suite de conséquences si justes, qu'il ne semble pas qu'on puisse les contester sans renoncer à ce qu'il y a de plus pur dans la lumière naturelle.

Ce rapport, que les grandes vérités ont entre elles, nous a conduit encore plus loin. Nous n'avons pu examiner avec quelque soin les fondements qui établissent la vérité de la religion chrétienne, sans nous convaincre que ces mêmes principes établissent la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ, d'une telle sorte que celui qui doute que Jésus-Christ soit Dieu, le Dieu Très-haut, doit douter de la vérité des oracles qui établissent le christianisme, et que celui qui s'assure que ces oracles sont véritables, ne doute plus de la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ. Et c'est ici le dessein général de ce traité.

Mais pour le mieux comprendre, il faut faire une distinction très nécessaire dans ces matières. On peut considérer la divinité de Jésus-Christ comme un mystère qui nous est caché, ou comme une vérité qui nous a été révélée. Au premier égard, c'est un dogme incompréhensible, et nous ne devons point tâcher de l'expliquer ; mais nous devons faire voir qu'il est inexplicable.

Toute la différence qu'il y a à cet égard entre le peuple et les docteurs, c'est que leur ignorance étant égale, l'ignorance du peuple est une ignorance modeste et de bonne foi, qui ne rougit point de ne pas voir ce qu'il a plu à Dieu de lui cacher ; au lieu que l'ignorance des docteurs est une ignorance superbe et artificieuse, qui a recours aux distinctions de l'école et aux spéculations abstraites, pour n'être pas obligée de se confondre avec celle du peuple.

On n'entreprend point ici d'expliquer le mystère, mais d'en prouver la vérité. On n'aura point recours à des spéculations humaines pour montrer comment la chose est, mais on montrera qu'elle est effectivement, par des preuves prises de la révélation. En tant que c'est une vérité révélée, elle est clairement et distinctement contenue dans l'Écriture.

Au reste, comme mon dessein est de faire voir la dépendance essentielle qui est entre la divinité de Jésus-Christ et la vérité de la religion chrétienne en général, je m'attacherai principalement à faire voir qu'il faut ou les sauver toutes deux, ou les faire périr toutes deux par un commun naufrage ; et dans cette vue, je me servirai d'une méthode qui pourra sembler avoir quelque chose de nouveau et d'extraordinaire, mais qui, peut-être, convaincra l'esprit.

Car, premièrement, je montrerai que si Jésus-Christ n'était pas vrai Dieu d'une même essence avec son Père, la religion mahométane serait préférable à la religion chrétienne, et Jésus-Christ moindre que Mahomet. En second lieu, je ferai voir que, si Jésus-Christ n'était pas le vrai Dieu dans ce sens, le sanhédrin aurait fait un acte de justice en le faisant mourir, ou du moins que les Juifs auraient bien fait de s'en tenir à cette sentence, et de rejeter la prédication des apôtres, lorsque ceux-ci leur ont proposé de croire en ce crucifié. On montrera pour un troisième, que si Jésus-Christ n'est point le vrai Dieu, Jésus-Christ et les apôtres nous ont engagés dans l'erreur, et que c'est eux, et non pas nous, qui sont coupables de cette séduction. On fera voir en quatrième lieu, que si Jésus-Christ n'est point d'une même essence avec son Père, il n'y a aucun accord entre le Vieux et le Nouveau Testament, et que les prophètes et les apôtres ont été inspirés par un esprit de contradiction et de mensonge. Enfin, on montrera que si Jésus-Christ n'est pas le Dieu Très-haut, on ne peut discerner la religion de la superstition et de l'idolâtrie ; qu'on la doit prendre pour une farce destinée à tromper les hommes, et même (si l'on peut le dire sans blasphème) qu'il n'y a point après cela assez de caractères dans la religion pour la discerner de la magie : c'est à quoi nous destinons cinq sections différentes, qui partageront cet ouvrage avec la sixième et dernière, qui est destinée à répondre aux objections qu'on fait contre la foi orthodoxe, et à chercher quelques voies de se satisfaire sur les difficultés et sur les obscurités de ce grand mystère.

Cependant il est bon de donner ici au lecteur quelques avis qui nous paraissent assez importants. Le premier est que la divinité de Jésus-Christ, l'incarnation et la trinité étant trois objets que l'on peut traiter avec quelque distinction, on ne se propose ici que d'établir la première, que l'on regarde comme étant plus connue, et en quelque sorte fondamentale à l'égard des autres.

Le second est que l'on ne fera point de difficulté d'employer le terme de Dieu souverain en parlant de Jésus-Christ, quoique ce terme soit une expression païenne, à le prendre à la rigueur, et qu'il semble marquer quelque opposition entre le Dieu suprême et des divinités subalternes. Il suffit que nous ôtions l'équivoque en déclarant que nous entendons par là celui qui est participant de cette essence et de cette divinité glorieuse et souveraine à laquelle toutes choses obéissent.

Le troisième est que la brièveté qu'on recherche dans cet écrit, n'ayant point permis de ranger les adversaires de la doctrine orthodoxe en plusieurs classes différentes, et de combattre distinctement les ariens, les demi-ariens, et les sociniens, on s'est tellement réglé dans la conduite de cet ouvrage, qu'ils se trouvent presque partout combattus par les mêmes preuves.

Après cela je souhaite qu'on distingue ici ce que je dis de la personne de nos adversaires, d'avec ce que je dois dire de leur cause. J'ai pour la première tous les sentiments d'amour et de compassion que je dois à mes frères égarés. J'admire les grands et admirables talents que Dieu a départis à quelques-uns d'entre eux ; et quoiqu'ils fassent une violence manifeste à l'Écriture, je ne voudrais pas les accuser de parler contre leur sentiment, ni les juger indignes du charitable support qu'on a pour leurs personnes dans quelques États protestants.

A l'égard de leur cause, on ne trouvera pas mauvais que je tâche de la faire paraître dans toute la difformité qui peut donner le plus d'horreur pour des sentiments que nous croyons incompatibles avec l'esprit de la véritable religion. C'est mon devoir et la fin de mon ministère ; je ne dois rien oublier de tout ce que je peux croire capable de faire revenir ceux qui sont dans l'égarement, et d'en défendre les autres.

On ne prétend point, au reste, employer des hyperboles et des déclamations pour faire un portrait affreux d'une doctrine déguisée. On n'emploiera que des preuves proposées d'une manière simple, et on n'aura recours qu'à la sévérité de la droite raison, soit pour se convaincre, soit pour convaincre les autres. Dieu veuille nous éclairer et nous diriger par son Esprit, afin que cet ouvrage serve à sa gloire et au salut éternel des âmes. Ainsi soit-il.

◊Première section
Où l'on fait voir que si Jésus-Christ n'est pas vrai Dieu d'une même essence avec son père, la religion mahométane est préférable à la religion chrétienne, et Jésus-Christ moindre que Mahomet.
◊Chapitre I
Que si Jésus-Christ n'est pas d'une même essence que son Père, le christianisme que nous professons est la corruption de la religion chrétienne, et que le mahométisme en est le rétablissement.

C'est un principe de la religion naturelle, plus ancienne que toutes les autres religions, qu'il y a un éloignement infini entre le Créateur et la créature ; cela fait qu'on ne peut, sans impiété, abaisser Dieu jusqu'à la créature, et qu'on ne peut, sans idolâtrie, élever la créature jusqu'à Dieu. Si donc Jésus-Christ est le Créateur, le Dieu souverain, on ne peut dire, sans impiété, qu'il soit une simple créature ; et si Jésus-Christ n'est qu'une simple créature, on ne peut, sans idolâtrie, le reconnaître pour le Dieu souverain : de sorte que si nous nous trompons dans le sentiment que nous avons que Jésus-Christ est d'une même essence que son Père, et qu'il est par conséquent le Dieu souverain, on ne voit pas que nous puissions nous défendre d'être de véritables idolâtres, puisque nous l'adorons dans cette qualité.

Il ne servira de rien de dire ici, pour nous décharger de ce crime, que nous croyons de bonne foi que Jésus-Christ est le Dieu souverain ; qu'il y a véritablement de l'erreur dans notre esprit, mais non pas de l'infidélité dans notre cœur, puisqu'au fond ce n'est qu'au Dieu souverain que va notre adoration. On pourrait excuser, par la même raison, toutes les idolâtries passées, présentes et possibles. Les païens, qui adoraient leur Jupiter, croyaient de bonne foi qu'il était le Dieu souverain ; et dans leur intention, leur culte se rapportait à l'Être suprême : cependant ils n'en étaient pas moins idolâtres pour cela.

Il ne faut pas non plus s'imaginer qu'une créature, pour être très excellente, puisse devenir l'objet de l'adoration, qui ne peut être rendue qu'au Dieu souverain. Ceux qui adorent les astres ne sont pas moins idolâtres que ceux qui adorent le bois et la pierre ; et ceux qui adoreraient les anges ne le seraient pas moins que ceux qui adorent les astres : leur idolâtrie serait moins grossière, mais elle ne serait pas moins véritable, parce que l'idolâtrie ne consiste pas à rendre les honneurs divins à une créature basse, mais simplement à les rendre à une créature.

On nous dira qu'il peut être quelquefois permis de rendre l'adoration à une créature qu'il plaît à Dieu de revêtir de sa gloire, comme il est permis de faire des honneurs extraordinaires à un homme à qui le roi ordonne qu'on les rende. A la bonne heure, que cela soit, pourvu qu'on nous accorde qu'il n'est jamais permis d'adorer une créature comme le Dieu souverain, de même qu'il n'est point permis d'honorer un sujet en le reconnaissant pour être le véritable roi. Dieu, en effet, n'a pu ni voulu se décharger en faveur d'un autre de ce caractère incommunicable de sa gloire. Il ne l'a pu, car il est impossible que Dieu seul soit le Dieu souverain, et qu'un autre qui n'a pas son essence le soit avec lui. Il ne l'a point voulu ; car comment pourrait-il vouloir une chose qui, étant contre la vérité, est aussi contre sa nature ?

Supposez donc, tant qu'il vous plaira, que Jésus-Christ tient la place de Dieu, qu'il est son ambassadeur, et que ce n'est qu'en tant qu'il tient la place de Dieu qu'il est un juste objet de notre adoration, cela ne fait rien contre notre maxime, qui est que Jésus-Christ n'étant point le Dieu souverain, ne peut être adoré comme Dieu souverain, sans manifester une idolâtrie ; ce sera notre premier principe.

Le second est que l'idolâtrie est un crime qui viole la loi de Dieu, et qui anéantit l'esprit de la piété. En effet, ce crime est opposé aux deux grandes fins de la religion. Il a une opposition évidente à la gloire de Dieu, puisqu'il dépouille Dieu de sa gloire pour en revêtir une créature ; il est opposé à notre salut, puisque le Saint-Esprit déclare que les idolâtres n'hériteront point le royaume des cieux.

Il s'ensuit de ces deux principes, que le christianisme que nous professons est la corruption de la religion chrétienne, et que le mahométisme en est le rétablissement. Car si la religion chrétienne, dans sa pureté, ne reconnaît Jésus-Christ que pour une simple créature, nous renversons la religion chrétienne lorsque nous adorons Jésus-Christ comme étant essentiellement le Dieu souverain ; et si la religion de ceux qui adorent Jésus-Christ comme l'Être souverain, est la corruption du christianisme, il s'ensuit que la religion mahométane, qui met le Dieu souverain infiniment au-dessus de Jésus-Christ, en est à cet égard le rétablissement.

On dira ici, peut-être, que la religion chrétienne essentiellement n'est pas une science de simple contemplation, mais une science pratique, et qu'elle consiste plutôt dans l'obéissance que dans des spéculations abstraites sur la divinité. Je conviens du principe, mais je soutiens qu'on n'en peut faire d'application raisonnable au sujet dont il s'agit ici ; car peut-on traiter de simples spéculations des principes si importants, que nous sommes idolâtres, ou ne le sommes pas, selon qu'ils sont faux ou véritables ? Si Jésus-Christ est d'une même essence avec son Père, ou, ce qui revient à la même chose, si Jésus-Christ est le Dieu souverain, il doit être adoré en cette qualité ; et nos adversaires ne pourront alors, sans impiété, refuser de le reconnaître pour tel, et de l'honorer sous ce nom ; et s'il ne l'est point, nous ne pouvons, sans idolâtrie, le confondre avec le Dieu souverain. Il s'agit ici d'éviter l'impiété ou l'idolâtrie ; il s'agit par conséquent de questions pratiques, qui sont même d'une souveraine importance.

C'est donc en vain qu'Episcopiusa fait ses efforts pour nous montrer que ce n'est point une chose essentielle au salut de savoir si Jésus-Christ est Dieu par une génération éternelle, ou si, n'étant qu'une simple créature, il est appelé Dieu à cause de son ministère ; car lorsqu'il entreprend de faire voir que ces questions ne sont point fondamentales, en montrant que ceux qui croient Jésus-Christ une simple créature, ou même un simple homme, peuvent l'adorer sans être coupables d'idolâtrie, parce qu'ils l'adorent, non en tant qu'il est homme, mais en tant qu'il tient la place de Dieu, il ne s'est pas aperçu que sa preuve demeurait imparfaite, parce que, pour montrer que ces questions ne sont pas essentielles, il ne suffit pas de faire voir que les sociniens, sans être idolâtres, peuvent adorer celui qu'ils croient être un simple homme par sa nature ; mais qu'il faut montrer encore que nous pouvons, sans idolâtrie, adorer Jésus-Christ comme le Dieu souverain, encore qu'il ne soit pas le Dieu souverain.

Certainement, si ce que nous croyons de la consubstantialité et de la génération éternelle du Fils de Dieu nous engage dans l'idolâtrie, rien ne peut être plus essentiel ni plus fondamental que ces questions qui regardent cette génération et cette consubstantialité. Or, il est certain que notre doctrine sur ce sujet nous engage dans l'idolâtrie, s'il est vrai que, nous soyons dans l'erreur ; car si Jésus-Christ n'est pas d'une même essence avec son Père, il n'est pas le Dieu et le créateur de toutes choses ; et si cela est encore, nous ne pouvons le mettre sur le trône de l'Être souverain sans une manifeste idolâtrie ; et même il ne nous reste plus d'excuse pour diminuer l'horreur de cette superstition.

Car si nous disons pour notre justification, que nous l'adorons comme l'Être souverain parce que nous le croyons de bonne foi l'Être souverain, les païens, comme nous l'avons déjà remarqué, justifieront le culte qu'ils rendent à leur Jupiter, en disant qu'ils ne l'adorent comme le vrai Dieu que parce qu'ils croient de bonne foi qu'il est le vrai Dieu.

Si nous disons que nous ne sommes point coupables d'adorer Jésus-Christ comme le Dieu souverain, parce qu'encore qu'il ne soit point en effet le Dieu souverain, il mérite pourtant notre adoration, nous ne faisons que changer l'état de la question ; car il ne s'agit point de savoir si Jésus-Christ mérite notre adoration ; mais il s'agit de savoir si nous pouvons l'adorer comme le Dieu souverain, lorsqu'il n'est pas le Dieu souverain en effet.

Si nous disons qu'il ne faut reconnaître pour essentiel et pour véritablement nécessaire au salut, que les choses qui d'un côté sont très clairement contenues dans l'Écriture, et qui de l'autre nous sont commandées ou défendues sous peine de la perte du salut éternel, cela même sert à nous condamner ; car qu'y a-t-il de plus formellement contenu dans l'Écriture, que le précepte de ne pas attribuer à un autre la gloire du Dieu souverain ? Et qu'y a-t-il qui soit défendu sous des peines plus rigoureuses que l'idolâtrie, qui met la créature en la place du Créateur ?

S'il nous vient dans la pensée que le Dieu souverain ne condamnera point notre culte, parce qu'il s'attribue tous les honneurs qu'on rend à son Fils, on nous redressera en nous disant que si Jésus-Christ est une créature, il ne peut être appelé le Fils de Dieu que dans un sens impropre et éloigné, et que quoi qu'il en soit, s'il est une simple créature, la différence qui est entre lui et le Dieu souverain, est plus grande que celle qui peut se trouver entre une créature et une créature, quelle que soit la disproportion qui est entre elles ; et qu'ainsi, si une créature excellente trouve mauvais, avec raison, qu'on transporte à une créature basse les hommages qui lui sont dus, Dieu trouvera plus mauvais encore qu'on rende à Jésus-Christ le culte qui n'est dû qu'à lui seul.

On dit que Jésus-Christ représente le Dieu souverain : oui ; mais pour représenter le Dieu souverain, il n'est pas le Dieu souverain. Il est le Fils de Dieu : oui ; mais il ne porte ce titre que dans une sens impropre et figuré, qui n'empêche pas qu'il n'y ait un plus grand éloignement entre lui et le Dieu souverain, qu'entre le plus sale des insectes et le plus glorieux des anges : de sorte que quand il serait permis de revêtir la plus basse des créatures des titres et de la gloire qui appartiennent à la plus noble, il ne serait jamais permis de rendre à Jésus-Christ les hommages qui ne sont dus qu'au Dieu souverain.

a – Simon Bischop (1583-1643), théologien hollandais, qui a développé et systématisé les principes d'Arminius.
◊Chapitre II
Où l'on montre que si Jésus-Christ n'est pas d'une même essence avec son Père, on ne peut se dispenser de regarder Mahomet comme un homme divin.

Ainsi il nous paraît que la religion mahométane est, du moins à quelque égard, le rétablissement de la religion chrétienne, s'il est vrai que Jésus-Christ ne soit pas d'une même essence avec le Dieu souverain. Mais parce qu'on pourrait dire que cette religion est d'ailleurs pleine de fictions et d'impostures, nous demanderions volontiers comment on conçoit que la vérité et l'erreur aient fait ici une si étroite alliance. Mahomet est un imposteur ; tout le monde le reconnaît parmi nous. Mahomet a aboli l'idolâtrie ; c'est ce qu'il faudra supposer. Voilà l'assortiment de deux caractères bien opposés. Si Mahomet a désabusé le monde sur le sujet de l'idolâtrie chrétienne (car c'est ainsi que j'appelle le culte que les chrétiens rendent à Jésus-Christ, si celui-ci n'est pas l'Être suprême), par quel esprit a-t-il fait un si grand ouvrage ? Par l'Esprit de Dieu, ou par l'esprit du démon ? Si c'est par l'esprit du démon, comment a-t-il aboli l'idolâtrie ? Si c'est par l'Esprit de Dieu, comment est-il un imposteur ?

On dira peut-être que Mahomet a condamné le culte des idoles païennes, et qu'ainsi on pourrait faire la même question sur ce dernier article. Mais il y a de la différence entre des principes que Mahomet suppose, et des principes que Mahomet a établis. Mahomet suppose la connaissance du vrai Dieu, et la ruine de l'idolâtrie païenne : ce n'est point lui, mais Jésus-Christ, qui a produit ces deux effets dans le monde. On connaissait partout le vrai Dieu plusieurs siècles avant lui, et l'idolâtrie païenne était entièrement abolie : c'est là un effet de la prédication des apôtres. Et Mahomet, de quelque esprit d'imposture qu'on le conçoive animé, n'aura osé ni pu établir une religion directement opposée à ces deux principes.

Mais il n'en est pas de même de la véritable connaissance de Jésus-Christ, et de la ruine de l'idolâtrie chrétienne. C'est Mahomet qui a enseigné aux hommes que les chrétiens étaient des idolâtres en adorant Jésus-Christ comme le Dieu souverain : il ne s'est rien proposé de plus essentiel que de ramener de leur égarement des hommes qui, sous le nom de la Trinité, servaient en effet plusieurs dieux ; car c'est ainsi qu'il parle dans son Alcoran. Jésus-Christ et les apôtres auront donc été les réformateurs du monde païen, en détruisant par leur prédication l'idolâtrie païenne. Mais Mahomet doit être considéré comme le réformateur du monde chrétien, s'il est vrai qu'il ait détruit cette idolâtrie chrétienne.

Comme donc on serait infiniment surpris si les apôtres avaient détruit l'idolâtrie païenne en prêchant des fables, nous aurions lieu d'être surpris que Mahomet eût aboli l'idolâtrie chrétienne par des impostures.

En effet, Jésus-Christ déclare dans son Évangile, qu'on reconnaît les docteurs à leurs fruits, et cette maxime ne peut manquer d'être véritable, puisque c'est la vérité même qui nous l'enseigne. A juger des choses par ce principe, nous ne pouvons qu'avoir une très haute opinion de Mahomet, et le reconnaître même pour un grand prophète, s'il est vrai qu'il ait enseigné aux hommes à ne pas confondre le Dieu souverain avec une créature. Il a éclairé plusieurs nations et plusieurs siècles ; il a mis Dieu sur le trône de Dieu, et la créature dans le rang de la créature. Qu'y a-t-il de plus légitime et de plus saint qu'un tel dessein ? Qu'y a-t-il de plus noble et de plus grand qu'un tel ouvrage ?

Certainement si Mahomet a éclairé l'univers en dissipant les ténèbres de cette profonde superstition, on aurait tort de lui contester tous les titres que les musulmans lui donnent ; et l'on peut dire hardiment qu'il doit être considéré comme un docteur de vérité, comme un prophète, comme plus grand que les prophètes de la loi, comme plus grand prophète que Jésus-Christ lui-même. Ce sont là des paradoxes étranges et choquants : ce seront néanmoins des vérités certaines et évidentes, si Jésus-Christ n'est point le Dieu souverain.

Je dis que c'est un docteur de vérité. On n'en peut douter, puisqu'il enseigne aux hommes des vérités si essentielles. Ce premier élément de la religion, celui qui est une simple créature par sa nature ne doit pas être adoré comme le Dieu souverain, est le fondement de la religion naturelle distinguée de la superstition, le fondement de la religion judaïque distinguée de l'idolâtrie païenne, et le fondement de la religion chrétienne considérée dans sa pureté. Mahomet, qui a établi sa religion sur ce grand principe, n'est donc pas seulement un docteur de vérité, mais encore un docteur qui semble rétablir toutes les vérités, du moins toutes les vérités les plus essentielles et les plus importantes à la religion.

Mais, dira-t-on, on ne saurait nier du moins que Mahomet ne tende à flatter les passions humaines, et qu'il ne soit plutôt le docteur de la chair que celui de l'esprit. Si cela est ainsi, on s'étonnera avec raison que tant de vérité se trouve jointe avec tant d'impureté et de vices ; car nous savons qu'il n'y a point de communion entre la lumière et les ténèbres, et qu'ainsi, si Mahomet n'a pas agi par l'Esprit de Dieu, il a agi par l'esprit du monde ; ou que, s'il n'a point agi par l'esprit du monde, il a agi par l'Esprit de Dieu : là-dessus nous cherchons en lui les caractères de l'un ou de l'autre de ces deux esprits. On nous dit que Mahomet est impur dans sa morale et dans ses maximes : ce caractère est celui de l'esprit du monde, mais il est contesté. Il nous paraît que Mahomet a réformé la religion en abolissant l'idolâtrie chrétienne, et faisant adorer partout un seul Dieu : c'est ici un caractère de l'Esprit de Dieu, et le fait est incontestable. Il est donc plus sûr, à notre égard, que Mahomet a le caractère de l'Esprit de Dieu, qu'il ne l'est qu'il a les caractères de l'esprit du monde.

Si Mahomet est un imposteur, dites-nous comment un imposteur fait prospérer le bon plaisir de Dieu, détruit l'idolâtrie, éclaire l'univers. Dieu a-t-il revêtu un imposteur du plus grand caractère de ses prophètes, et du caractère de son propre Fils ? Car les prophètes qui ont annoncé la venue du Messie, ont prédit aussi, comme un caractère de sa venue, qu'il détruirait l'idolâtrie. Dieu a-t-il fait d'un imposteur l'instrument de sa miséricorde et le ministre de sa gloire ? Que croirions-nous de la Providence si elle eût choisi pour ses évangélistes des démons qui eussent paru sous une forme humaine, et qui eussent prêché l'Évangile : on aurait cru, ou que Dieu voulait faire détester l'Évangile, tout divin qu'il est, en le mettant dans la bouche du démon, ou que Dieu voulait consacrer le démon nonobstant sa malice, en le rendant le dépositaire de l'Évangile. Cette comparaison, pour être odieuse, n'en est que plus propre à faire connaître la vérité ; car ce que nous disons du démon, nous pouvons le dire des séducteurs qui sont ses ministres ; nous pouvons le dire sur le sujet de Mahomet. Que si cet homme, étant un imposteur, a été choisi par la Providence pour rétablir la véritable religion, il faut que la Providence ait voulu ou rendre la religion infâme, en la faisant rétablir par un imposteur, ou consacrer l'imposture en la choisissant pour rétablir la religion ; et l'un et l'autre sont également impies et extravagants.

◊Chapitre III
Où l'on fait voir que si Jésus-Christ n'est pas d'une même essence avec son Père, Mahomet est un grand prophète, le plus grand des prophètes, et même préférable en toutes manières à Jésus-Christ.

Mais allons plus loin, et disons que, selon cette supposition, Mahomet peut être regardé non seulement comme un prophète, mais comme plus grand que tous les prophètes de l'Ancien Testament. Les prophètes anciens ne parlaient qu'au seul peuple d'Israël ; mais Mahomet a parlé à la plus belle et plus considérable partie de l'univers. Les prophètes se succédaient les uns aux autres, parce qu'un seul ne vivait pas assez longtemps pour instruire les hommes de différents siècles. Mahomet n'a point besoin de compagnon ni de successeurs pour bannir pour toujours l'idolâtrie des pays où sa doctrine a été reçue. Les anciens prophètes ont été suscités extraordinairement pour détruire la superstition et l'idolâtrie, en faisant divers miracles. Mahomet a ruiné sans miracles une idolâtrie répandue dans tout l'univers. Enfin, si Moïse a été honoré du titre glorieux d'ami de Dieu, parce que Dieu lui révélait sa volonté sans obscurité et sans énigme, il faut estimer encore davantage le privilège de Mahomet, qui n'aura pas seulement connu la volonté de Dieu, mais qui l'aura très distinctement fait connaître. Moïse n'a point connu Dieu tel qu'il était ; Jésus-Christ seul l'a connu, et l'a fait connaître. Mais si les principes de nos adversaires sont vrais, Mahomet l'a encore mieux fait connaître que n'a fait Jésus-Christ. Et ceci nous conduit insensiblement à montrer que dans leurs hypothèses, Mahomet doit être regardé comme un plus grand prophète que Jésus-Christ.

C'est de quoi il faudra demeurer d'accord, soit que vous considériez sa doctrine, soit que vous regardiez le succès de son ministère. Si vous considérez le succès de sa doctrine, la chose parle. Jésus-Christ a fait recevoir son Évangile dans tout l'univers ; mais à peine a-t-il détruit une espèce de superstition, que les hommes retombent dans une autre qui n'est pas moins dangereuse ; et ils ne sont pas plus tôt délivrés de l'idolâtrie païenne, qu'ils tombent dans l'idolâtrie chrétienne. Mahomet a établi sa religion sur des fondements plus fermes, et il a pris des mesures plus justes pour empêcher que l'idolâtrie ne renaquît après avoir été détruite, puisque nous voyons que, depuis que sa religion subsiste, ses disciples n'ont aucun penchant à cette espèce de superstition.

Il ne faut pas s'en étonner. Le désavantage que Jésus-Christ a dans cette comparaison, vient, si le principe de nos adversaires est véritable, de ce que la doctrine de Mahomet a un caractère naturel qui est plus opposé à l'idolâtrie que n'est celle de Jésus-Christ. Que l'on considère bien le langage de Jésus-Christ, soit lorsqu'il parle par lui-même, soit lorsqu'il parle par le ministère de ses disciples, et qu'on le compare avec le langage de Mahomet, et l'on en sera persuadé.

Jésus-Christ, parlant par lui-même, ou par ses serviteurs, vous diraa : Qu'il a été fait avant Jean Baptiste ; qu'il était avant qu'Abraham fût ; qu'il a eu sa gloire par devers son Père avant la naissance du monde ; qu'il est l'Apha et l'Oméga, le commencement et la fin, le premier et le dernier ; qu'il était au commencement ; qu'il était avec Dieu ; qu'il était Dieu ; que toutes choses ont été faites par lui ; que sans lui rien de ce qui a été fait n'a été fait ; que les siècles ont été faits par lui ; que toutes choses ont été créées par lui, tant celles qui sont au ciel que celles qui sont en la terre, les choses visibles et les choses invisibles, soit les trônes, soit les dominations, soit les principautés, soit les puissances ; que toutes choses ont été faites par lui et pour lui ; qu'il est avant toutes choses, et que toutes choses subsistent par lui. Il vous dira qu'il y a un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, par lequel sont toutes choses, et nous par lui ; que c'est lui qui a fondé la terre, et que les cieux sont les œuvres de ses mains.

Il se nomme le Fils de Dieu, le Fils unique de Dieu, le propre Fils de Dieu, l'unique issu du Père, Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous, Dieu manifesté en chair, et justifié en esprit, le Seigneur et le Dieu ; quelquefois, le Sauveur et grand Dieu, le Dieu et le Sauveur de toute la terre, l'Éternel notre justice.

Mais afin que nous ne doutions point du sens dans lequel toutes ces expressions conviennent à Jésus-Christ, il est infiniment remarquable que, parlant par lui-même ou par ses serviteurs qu'il a instruits et remplis de son Esprit, il s'applique à lui-même les oracles des prophètes qui font mention du Dieu souverain, et qui contiennent les caractères de sa gloire la plus propre et la plus incommunicable. Il avait été dit au livre des Chroniques, que Dieu seul connaît les cœurs des fils des hommes. Jésus-Christ s'attribue ce titre glorieux comme un titre qui doit lui attirer la crainte et l'admiration des hommes. Et toutes les Églises sauront, dit-il dans l'Apocalypse, que je suis le scrutateur des reins et des cœurs, et je rendrai à chacun selon ses œuvres. Il a été dit dans la loi : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu serviras lui seul, suivant l'expression qu'en donne Jésus-Christ. Et l'auteur de l'épître aux Hébreux nous apprend que Dieu dit en introduisant son Fils premier-né au monde : Que tous les anges l'adorent. Il a été dit du Messie par un prophète : L'esprit du Seigneur est sur moi, car le Seigneur m'a oint ; il m'a envoyé pour porter de bonnes nouvelles aux affligés, pour guérir les désolés de cœur, et pour publier aux prisonniers leur délivrance, l'ouverture de leur prison, etc. Je suis le Seigneur, l'Éternel, aimant jugement, et haïssant l'injustice pour l'holocauste ; j'établirai leur œuvre en vérité, et je traiterai avec eux une alliance éternelle. Jésus-Christ s'applique cet oracle en Luc.4.18, lorsqu'il dit aux Juifs : Aujourd'hui cette Écriture est accomplie, etc. Les prophètes avaient parlé d'une voix qui crierait au désert : Préparez le chemin du Seigneur ; faites droits ses sentiers. Et Esaïe, prévoyant ce temps-là, exhorte Sion à annoncer bonnes nouvelles, à élever sa voix avec force, et à dire aux villes de Juda : Voici ton Dieu ; ajoutant immédiatement après : Voici le Seigneur viendra avec force, et son bras aura domination, etc. Il paîtra son troupeau comme le berger. Il assemblera de ses bras les agneaux, et les portera en son sein, etc. Et puis : Qui est celui qui a mesuré les eaux avec le creux de sa main, et qui a compassé les cieux avec sa paume ; qui a pris la poudre de la terre avec trois doigts ; qui a pesé au crochet les coteaux, et les montagnes à la balance ? Qui est celui qui a adressé l'esprit du Seigneur, ou qui a été son conseiller ? etc. Voici les nations sont comme une goutte d'eau, et sont estimées comme un grain en la balance ; il jette au loin les îles comme de la poudre menue, etc. Ce sont là, sans difficulté, les caractères de l'Être souverain, et cependant l'Évangile en fait l'application à Jésus-Christ, puisque Jean-Baptiste est cette voix qui crie au désert, ou que c'est devant Jésus-Christ que Jean-Baptiste a préparé le chemin, et que peu après on a entendu les messagers de paix dire aux villes de Juda : Voici ton Sauveur qui vient ; voici votre Dieu. Dieu avait dit par la bouche du prophète Esaïe : Dites aux troublés de cœur : Soyez consolés, et ne craignez plus ; voici votre Dieu viendra prenant vengeance ; Dieu viendra donnant rétribution, et il vous sauvera ; alors les yeux des aveugles seront ouverts, et les oreilles des sourds seront débouchées ; alors sautera le boiteux comme le cerf, et la langue des muets chantera, etc. Lisez le chap. 11 de saint Matthieu, et vous verrez que Jésus-Christ se fait visiblement l'application de cet oracle dans la réponse qu'il fait aux disciples de Jean. Il se déclare donc pour le Dieu des Israélites, le Dieu qui doit les consoler, et aussi le Dieu de rétribution et de vengeance, le Dieu de leur salut, qui sont tous des titres que le Dieu souverain a accoutumé de prendre dans les anciens oracles. Il avait été dit à Dieu par la bouche du Psalmiste (Psa. 102) : Tu as au commencement fondé la terre, et les eaux sont l'ouvrage de tes mains ; ils périront, mais tu seras permanent : ils vieilliront tous comme un vêtement ; tu les changeras comme le vêtement, et ils seront changés ; mais toi, tu es toujours le même, et tes ans ne prendront jamais de fin. On ne peut nier que toutes ces choses ne soient dites au Dieu souverain et du Dieu souverain, aussi bien que le commencement du cantique qui commence ainsi : Seigneur, entends mon oraison, et que mon cri parvienne jusqu'à toi. Et ces expressions qui en sont la suite : Tu te lèveras, et auras compassion de Sion, etc. Alors les nations redouteront le nom du Seigneur, et tous les rois de la terre ta gloire, quand le Seigneur aura réédifié Sion, et sera apparu en sa gloire, d'autant qu'il a regardé de son saint lieu qui est là-haut, et que le Seigneur a contemplé du ciel en la terre. Il est très évident qu'il s'agit là du Dieu souverain, et plus évident encore que cet oracle est appliqué à Jésus-Christ au chap. 1 de l'épître aux Hébreux. C'est au Dieu souverain que le Psalmiste s'adresse lorsque après avoir dit : La chevalerie de Dieu est de vingt mille, et de milliers d'anges (Psa.68). Le Seigneur est entre eux au sanctuaire, comme en Sina. Tu es monté en lieu haut ; Tu as pris des dons entre les hommes, etc. Dieu soit béni, lequel tous les jours nous charge de ses biens ; et c'est ici le Dieu de notre salut, Selah. C'est ici le Dieu souverain, le père de Notre-Seigneur Jésus-Christ,-qui a des légions d'anges en sa disposition, comme Jésus-Christ le dit lui-même ; c'est le Dieu béni, le Dieu qui était monté en un lieu élevé dans l'arche qu'il remplissait d'une manière particulière, le Dieu qui distribue ses dons aux hommes ; mais c'est aussi Jésus-Christ, selon l'application que lui en fait l'apôtre en ces termes qui lèvent toute difficulté à cet égard : Mais la grâce est donnée à chacun de nous selon la mesure du nom de Christ ; pour laquelle chose il dit : Etant monté en haut, il a mené captive une grande multitude de captifs, et a donné des dons aux hommes. Or, ce qu'il est monté, qu'est-ce, sinon qu'il était premièrement descendu dans les parties les plus basses de la terre ? Ces dernières paroles montrent que-c'est à Jésus-Christ que cet ancien oracle est appliqué ; et il ne faut que considérer l'oracle même, pour voir qu'il regarde manifestement le Dieu souverain. Il avait été dit par les prophètes (Zach. ch. 10), que Dieu répandrait sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem, l'esprit de grâce et de miséricorde, qu'ils regarderaient vers lui qu'ils auraient percé, qu'ils le plaindront comme l'on plaint un fils unique, et qu'ils mèneraient deuil sur lui, comme l'on mène deuil sur la mort d'un premier-né. On ne peut douter que ce ne soit le Dieu souverain qui parle dans cette prophétie. Il n'y a qu'à écouter le prophète qui nous l'apprend dès l'entrée du chapitre, en ces termes : Le Seigneur qui étend le ciel et qui fonde la terre, et qui forme l'esprit de l'homme en lui, a dit : Voici je mettrai Jérusalem, etc. Et quelque temps après, sans changer de personne : Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem l'esprit de grâce et de miséricorde ; et ils regarderont vers moi qu'ils ont percé, etc. Saint Jean, dans son Apocalypse, fait l'application de cet oracle à Jésus-Christ. Voici, dit-il, il vient avec les nuées, et tout œil le verra, même ceux qui l'ont percé. Mais si l'on se défie de ce témoignage, et qu'on ne le trouve pas assez évident, il faut du moins acquiescer à celui que nous lisons au chap. 19 de l'Évangile de cet apôtre, en ces mots : Et derechef une autre Écriture dit : Ils verront celui qu'ils auront percé. Ainsi l'oracle s'entend très certainement du Dieu souverain, et très certainement encore, c'est en Jésus-Christ que l'évangéliste en cherche l'accomplissement. C'est le Dieu souverain que le prophète Esaïe introduit parlant ainsi : J'ai juré par moi-même, et la parole est sortie en justice hors de ma bouche, et ne retournera point à moi ; c'est que tout genou se ploiera devant moi, et toute langue jurera à moi. Je dis que celui qui parle dans cette prophétie est le Dieu souverain. Le prophète le dit expressément dans les versets qui précèdent : Car voici ce que dit le Seigneur qui a créé les cieux. Je suis l'Éternel qui a formé la terre, etc. Je suis le Seigneur, l'Éternel, et il n'y en a point d'autre, etc. Et peu après : N'est-ce pas moi l'Éternel votre Dieu, sans qu'il y ait autre Dieu que moi ? etc. Vous tous, les limites de la terre, regardez vers moi, et vous serez sauvés ; car il n'y en a point d'autre. J'ai juré par moi-même, etc., c'est que tout genou se ploiera devant moi, et toute langue me donnera gloire. Cependant il est certain que saint Paul en fait l'application à Jésus-Christ ; car après avoir dit, Rom. ch. 10, que nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Christ, il ajoute : Car il est écrit : Je suis vivant, dit le Seigneur, que tout genou se ploiera devant moi, et toute langue donnera louange à Dieu.

a – Jean ch. 1 ; Hébreux ch. 1 et 8 ; Apoc. ch. 17 ; 1Cor. ch. 8
◊Chapitre IV
Où l'on compare le langage de Jésus-Christ avec celui de Mahomet, et où l'on montre que si Jésus-Christ n'est pas d'une même essence avec son Père, Mahomet a été plus véritable, plus sage, plus charitable et plus zélé pour la gloire de Dieu, que Jésus-Christ.

Voilà comment Jésus-Christ, parlant par lui-même ou par la bouche de ses disciples, s'égale et se confond avec le Dieu très haut ; tantôt disant de soi-même des choses qui ne peuvent convenir qu'à l'Être suprême, et tantôt s'appliquant des oracles qui ne peuvent convenir qu'à l'Être souverain.

Mahomet n'a pas fait cela ; il déclare, dans presque toutes les pages de son Alcoran, qu'il n'y a que le Père éternel qui soit Dieu : il se dit un prophète, un homme divinement envoyé ; mais il ne veut point passer pour Dieu : il avoue que Jésus-Christ a été envoyé divinement, mais il ne veut point qu'on le nomme ni Dieu, ni Fils de Dieu : ses paroles ne sont ni obscures ni équivoques ; il dit nettement que ceux-là sont incrédules et infidèles, qui disent que le fils de Marie est Dieu. Christ, le fils de Marie, n'est que l'envoyé de Dieu. Il dit que les chrétiens sont des infidèles, faisant trois dieux là où il n'y en a qu'un seul. Il représente même Dieu se plaignant ainsi à Jésus-Christ : O Jésus, fils de Marie ! persuades-tu aux hommes de vous placer en la place de Dieu, et de vous adorer, Marie ta mère et toi, comme si vous étiez des dieux ? A quoi Jésus répond : A Dieu ne plaise que je dise quelque chose contre la vérité ! Tu sais si j'ai enseigné cela ; tu connais les secrets des cœurs, etc. Il veut que les hommes invoquent Dieu, créateur du ciel et de la terre, qui a fait la lumière et les ténèbres ; et il traite d'infidèles ceux qui établissent un autre Christ semblable et égal à Dieu.

De là il semble qu'on ne peut s'empêcher de conclure que Mahomet a été, si l'on suppose le principe de nos adversaires, et plus véritable, et plus sage, et plus charitable, et plus zélé pour la gloire de Dieu, que Jésus-Christ : ce sont là des conséquences que notre cœur abhorre comme pleines de blasphèmes, mais que notre esprit sera contraint de recevoir comme véritables, si Jésus-Christ n'est point d'une même essence avec son Père.

Je dis qu'en ce cas-là Mahomet serait plus véritable que Jésus-Christ, du moins en ce qui fait l'essentiel de la religion, et qui concerne la gloire de l'Être suprême. Il me semble que cela recevra peu de difficulté, si nous rappelons ici toutes ces propositions surprenantes de Jésus-Christ parlant par lui-même ou par ses disciples, par lesquelles il semble se confondre avec l'Être souverain, et que nous les comparions avec les propositions de Mahomet, qui leur sont contradictoires.

Jésus-Christ dit, ou par lui-même ou par son évangéliste, qu'il était au commencement, et qu'il était Dieu. Mahomet vous dira que Jésus-Christ n'a point été Dieu, et qu'il n'a pas été au commencement. La doctrine de Jésus-Christ est, que toutes choses ont été faites par lui ; que sans lui rien de ce qui a été fait n'a été fait ; que toutes choses ont été créées par lui, les choses visibles et les choses invisibles ; que le monde a été fait par lui ; qu'il a fait les siècles ; qu'il a fondé la terre, et que les cieux sont l'ouvrage de ses mains. La doctrine de Mahomet est, que toutes choses n'ont point été faites par Jésus-Christ ; que le monde ni les siècles n'ont point été faits par lui ; qu'il n'a créé ni les choses visibles ni les choses invisibles ; qu'il n'a point fondé la terre, et que les cieux ne sont point l'ouvrage de ses mains. Les évangélistes parlent par Jésus-Christ, et, suivant ses principes, vous diront que Dieu a donné sa gloire à Jésus-Christ, et que celui qui honore le Fils, honore le Père. Mahomet, au contraire, vous soutiendra que Dieu ne donne sa gloire à personne ; que comme il ne se peut qu'un autre que lui soit le Dieu souverain, la gloire de l'Être souverain est une gloire incommunicable ; qu'il n'est pas vrai que celui qui honore le Fils, honore le Père, et qu'au contraire on déshonore le Père lorsqu'on veut trop honorer le Fils. Jésus-Christ s'appliquant les oracles des prophètes qui parlent du Dieu souverain, se qualifie par là même Jéhova, un Dieu aimant jugement, et haïssant l'iniquité ; celui qui a mesuré les eaux de la mer dans le creux de sa main, et qui pèse les montagnes à la balance, et qui sème les îles comme de la poudre menue ; le créateur, et aussi le destructeur de la terre et des cieux ; le premier et le dernier, le commencement et la fin de toutes choses ; le souverain, devant la face duquel devait marcher Jean-Baptiste, le Seigneur qui étend le ciel, et qui fonde la terre, et qui forme l'esprit de l'homme en lui ; lequel devait envoyer sur les habitants de Jérusalem l'esprit de grâce et de miséricorde, etc., celui qui jure par lui-même, celui devant lequel tout genou doit se ployer, celui qui appelle les générations dès le commencement, celui qui est vivant, et auquel toute langue doit donner louange ; le Seigneur, le Rédempteur, le Dieu d'Israël ; celui qui s'écrie : II n'y a point d'autre Dieu que moi. Qui est semblable à moi ? qui se nomme le Dieu des armées, notre crainte et notre épouvantement, le trois fois saint d'Esaïe, dont la gloire remplit toute la terre. Mahomet, au contraire, vous dira que tous ces titres sont justes et véritables, appliqués au Dieu souverain ; mais qu'ils sont impies et sacrilèges appliqués à un autre, parce qu'ils enferment évidemment les caractères de la gloire la plus incommunicable de Dieu. Ces deux langages ne peuvent être tous deux faux, et tous deux véritables, car ils sont contradictoires : il faut que l'un soit véritable, et l'autre faux. Celui de Mahomet, qui dit si fortement que Jésus-Christ est une simple créature, et qu'il ne doit point être confondu avec le Dieu souverain, n'est point faux, si Jésus-Christ n'est qu'une simple créature en effet. Il s'ensuit donc, ce qui est horrible à dire, que c'est celui de Jésus-Christ qui manque de vérité.

On dira que les expressions de Mahomet sont propres et littérales, au lieu que celles de Jésus-Christ sont figurées et hyperboliques, et qu'ainsi ces deux langages, qui sont contraires en apparence, ne le sont point en effet.

Mais quelle preuve a-t-on que ce langage de Jésus Christ soit un langage impropre ? Et puis il n'est point permis de se servir de figures qui font tort à la gloire de Dieu. On ne peut point dire sans profanation, qu'un homme est aussi grand, aussi puissant, aussi sage que Dieu. Il ne servirait de rien de dire que ce sont là des hyperboles, c'est-à dire des figures, et non pas des expressions propres ; car on répondrait fort bien qu'il y a des figures impies, et que les hyperboles qui osent mettre le Créateur en parallèle avec la créature, sont de ce nombre.

Si, dans le style du monde, on dit des beautés mortelles qu'elles sont adorables, si l'on en fait des divinités, si on prétend leur offrir de l'encens, et leur faire des sacrifices, ces expressions figurées, toutes figurées qu'elles sont, ne laissent point de passer pour des expressions impies. La qualité d'expressions figurées ne les en met point à couvert. On ne peut pas même faire leur apologie, en disant qu'elles ne seront jamais prises dans la rigueur de la lettre, et qu'il n'y a personne qui s'avise de prendre une femme qui a de la beauté pour une divinité, trompé par cette sorte d'expressions : car il suffit que ces figures enferment quelque irrévérence, et quelque manque de respect direct ou indirect pour le vrai Dieu, afin qu'elles passent pour impies. Que si dans le langage humain on ne doit point souffrir des figures qui enferment quelque idée désavantageuse à la Divinité, combien moins dans un langage saint et divin, comme celui de l'Écriture ? Et si les hyperboles ne sont pas supportables lorsqu'il s'agit de faire honneur à des beautés mortelles, qu'il est impossible que l'on confonde jamais avec le Dieu souverain, combien seront-elles plus dangereuses lorsqu'il s'agit d'un sujet qui peut facilement être confondu avec l'Être souverain, comme l'événement l'a assez justifié de Jésus-Christ !

Notre seconde proposition est, que si Jésus-Christ n'est pas d'une même essence avec son Père, il s'ensuivra que Mahomet aura été plus sage que Jésus-Christ. En effet, la sagesse consistant essentiellement à choisir les moyens les plus propres pour parvenir à la fin qu'on se propose, il n'y a qu'à examiner quelle est la fin de l'un et de l'autre dans l'établissement de leur religion, et de quelles voies ils se servent pour réussir dans leur dessein. Le dessein de Mahomet, à ce qu'il déclare, est de faire connaître le Dieu souverain pour le seul Dieu, qui est en lui-même élevé au-dessus de tous les autres êtres, et que nous devons, dans les actes de la religion, distinguer de tout autre, même de Jésus-Christ, reconnaissant que celui-ci est bien éloigné de partager avec lui la gloire de la divinité : c'est là ce qu'il veut persuader aux hommes. Pour y réussir, il choisit les expressions du monde les plus claires et les plus propres. Il déclare hautement et fortement que ceux-là sont de vrais idolâtres qui reconnaissent Jésus-Christ pour être Dieu : c'est venir parfaitement bien à son but. Voyons si Jésus-Christ réussira de même dans son dessein. Son but est, comme on le suppose, de glorifier Dieu. Glorifier Dieu, c'est évidemment l'élever au-dessus de tous les autres êtres : c'est là particulièrement le style de l'Écriture. Les anciens prophètes, pour dire que Dieu serait extraordinairement glorifié aux derniers temps, disent : En ce temps-là toutes choses seront abaissées, et Dieu sera seul élevé. Or, dans le même temps que Jésus-Christ dit avoir dessein d'élever Dieu, il l'abaisse, puisqu'il se confond avec lui par ses expressions ; car n'est-ce pas se confondre avec lui que se dire Dieu, s'attribuer l'ouvrage de la création, les attributs de la Divinité, et s'appliquer ou permettre qu'on lui applique les oracles de l'Ancien Testament, qui marquent les caractères les plus essentiels de la gloire de l'Être suprême ? On dira qu'il suffit que Jésus-Christ déclare que son Père est plus grand que lui. Premièrement, ce serait une modestie bien superbe à une simple créature, de dire que le Dieu souverain est plus grand qu'elle. Moïse, Esaïe, les prophètes ne parlent point ainsi. Un sujet n'affecte point de dire que son roi est plus grand que lui ; cela va sans dire. Une créature ne le dira point non plus de son Créateur, parce que c'est se mettre en parallèle avec lui. D'ailleurs, que sert-il que Jésus-Christ déclare que son Père est plus grand que lui ? (Nous verrons dans la suite quel a été son sens en le disant.) Que sert-il que Jésus-Christ le déclare une seule fois, dans une seule occasion, lorsque sa conduite constante, ses manières, son langage, et le langage qu'il a appris à ses disciples, disent très fortement qu'il se confond avec l'Être souverain ? On dira que lorsque nous disons que Jésus-Christ se confond avec l'Être souverain, nous supposons ce qui est en question, et que les expressions qui nous donnent cette idée, doivent être prises dans un autre sens que celui que nous leur donnons. On veut, par exemple, que quand Jésus-Christ est appelé Dieu, cela signifie un homme envoyé de Dieu, et représentant Dieu ; que quand il est dit qu'il a fait les siècles, cela veuille dire qu'il fait tout le bonheur de ce siècle à venir que les Juifs attendaient avec tant d'ardeur ; que lorsque ses disciples nous apprennent qu'il a créé les choses visibles et les choses invisibles, cela veuille dire qu'il a apporté ce changement qui consiste en ce que les créatures visibles, comme les hommes, ont été éclairées de la connaissance de l'Évangile, et que les créatures invisibles, comme les anges, ont commencé d'avoir un chef qu'elles n'avaient pas, à savoir, Jésus-Christ ; que lorsque ses disciples disent qu'il était au commencement, et que toutes choses ont été faites par lui, cela signifie qu'il était dès le temps de Jean-Baptiste, et qu'il est l'auteur de l'Évangile, et de tout ce qui se fait sous cette dispensation ; que lorsque Jésus-Christ est appelé Dieu manifesté en chair, cela veuille dire une créature qui représente Dieu ; que lorsqu'il est dit de lui, par opposition aux anges, qu'il a fondé la terre, et que les deux sont l'ouvrage de ses mains, cela lui est attribué par accommodation, et non pas à la rigueur de la lettre, etc.

Il ne faut qu'un peu de sens commun pour voir combien toutes ces explications sont violentes ; mais supposons qu'elles peuvent avoir lieu, du moins ne peut-on point nier que ces expressions, si elles doivent être prises dans ce sens, ne soient un peu obscures et équivoques. On ne le peut nier, puisqu'on a été tant de siècles sans les entendre, et que constamment la première impression qu'elles forment naturellement dans notre esprit, nous donne un autre sens que celui-là.

Or cette vérité, qui est incontestable, suffit pour nous persuader que Jésus-Christ a été moins sage dans ses expressions et dans son langage, que n'a été Mahomet (si je puis le dire sans blasphème) ; car Mahomet a parlé juste, clairement, expressément et fortement, pour montrer que le Dieu souverain ne devait point être confondu avec la créature : on ne le peut nier, la chose parle. Chacun peut voir de quelle manière il s'exprime dans son Alcoran. Jésus-Christ, au contraire, a employé, ou, ce qui revient à la même chose, il a permis que ses disciples employassent des expressions obscures, équivoques, captieuses même, et qui semblent, par leur impression naturelle, confondre Jésus-Christ avec le Dieu souverain, les hommes étant obligés de prendre les termes dans leur signification ordinaire et naturelle, et non pas dans un sens violent et extraordinaire. Il s'ensuit donc que le langage de Mahomet est plus propre que celui de Jésus-Christ à élever le Dieu souverain, et à le glorifier ; et qu'ainsi, si le dessein de Jésus-Christ est de glorifier Dieu, il a moins réussi dans ce dessein que Mahomet : ce qui est une conclusion également impie et extravagante.