Un Navire français explose à Cuba - Hernando Calvo Ospina - E-Book

Un Navire français explose à Cuba E-Book

Hernando Calvo Ospina

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Beschreibung

Ce vendredi 4 mars 1960, le cargo français La Coubre accoste à La Havane. À son bord, des marchandises pour plusieurs pays, ainsi que des armes belges, chargées à Anvers et destinées à la révolution cubaine. Soudain, en plein déchargement, une terrible explosion ravage le bateau. Horreur totale, fragments de métal et de corps projetés en tous sens. Les secours arrivent. Fidel Castro et d’autres dirigeants se précipitent sur les lieux. Presque en même temps qu’une deuxième explosion, pire que la première. Plus de 70 morts, dont 6 marins français. Le lendemain, Fidel Castro, aux côtés de Che Guevara, affirme que c’est une bombe qui n’a pas été placée à Cuba.

Hernando Calvo Ospina a obtenu les dossiers interdits au public depuis 60 ans. Il a recueilli des témoignages inédits des survivants. Son enquête, digne d’un polar, permet au lecteur d’élucider une grande énigme.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Hernando Calvo Ospina, auteur de nombreux livres dont Rhum Bacardi (CIA, Cuba et mondialisation), et de nombreux articles (principalement au Monde Diplomatique). Fiché dans la No Fly List du gouvernement US. Colombien réfugié à Paris, la France lui a refusé la nationalité, le jugeant « trop proche » de la révolution cubaine.

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Un navire français explose à Cuba

Ouvrages déjà parus chez Investig’Action :

Matthew Alford et Tom Secker, L’Empire vous divertit. Comment la CIA et le Pentagone utilisent Hollywood, 2020

Michel Collon, Planète malade. 7 leçons du Coronavirus, Entretien et Enquête, 2020

Élisabeth Martens, La méditation de pleine conscience. L’envers du décor, 2020

Staf Henderickx, Je n’avale plus ça. Comment résister au virus de l’industrie agroalimentaire, 2020

Jude Woodward, USA-Chine. Les dessous et les dangers du conflit, 2020

Johan Hoebeke et Dirk Van Duppen, L’Homme, un loup pour l’Homme ?, 2020

Michel Collon et Saïd Bouamama, La Gauche et la guerre, 2019

William Blum, L’État voyou, 2019

Ludo De Witte, Quand le dernier arbre aura été abattu, nous mangerons notre argent, 2019

Jacques Pauwels, Les Mythes de l’Histoire moderne, 2019

Robert Charvin, La Peur, arme politique, 2019

Thomas Suárez, Comment le terrorisme a créé Israël, 2019

Michel Collon, USA. Les 100 pires citations, 2018

Edward Herman et Noam Chomsky, Fabriquer un consentement, 2018

Saïd Bouamama, Manuel stratégique de l’Afrique (2 Tomes), 2018

Ludo De Witte, L’Ascension de Mobutu, 2017

Michel Collon, Pourquoi Soral séduit, 2017

Michel Collon et Grégoire Lalieu, Le Monde selon Trump, 2016

Ilan Pappé, La Propagande d’Israël, 2016

Robert Charvin, Faut-il détester la Russie ?, 2016

Ahmed Bensaada, Arabesque$, 2015

Grégoire Lalieu, Jihad made in USA, 2014

Michel Collon et Grégoire Lalieu, La Stratégie du chaos, 2011

Michel Collon,Libye, Otan et médiamensonges, 2011

Michel Collon, Israël, parlons-en !, 2010

Michel Collon, Les 7 péchés d’Hugo Chavez, 2009

Hernando Calvo Ospina

Un bateau français explose à Cuba

Enquête inédite sur un attentat oublié

Traduit de l’espagnol (Colombie) par Hélène Vaucelle et Martine Chauvel Latapie

Investig’Action

© Investig’Action et Hernando Calvo Ospina pour la version française

Chargé d’édition : David Delannay

Mise en page : Simon Leroux

Couverture : Joël Lepers

Traduction : Hélène Vaucelle et Martine Chauvel Latapie

Correction : Patrick Noireaut, Delphine Claire

et David Delannay

Merci à tous.

Édition : Investig’Action – www.investigaction.net

Distribution : [email protected]

Commandes : boutique.investigaction.net

Interviews, débats : [email protected]

ISBN : 978-2-930827-79-7

Dépôt légal : D/2021/13.542/1

Table des matières

Introduction 9

I àXXXII 13

ÉPILOGUE 155

Annexes 159

Remerciements à :

Mes parents : Nabor et Elvia ;

Mes enfants : Paula Andrea, Yohan et Anaïs ;

Ma sœur Amparo ;

Hélène Vaucelle et Karine Alvarez ;

Graciela Ramírez, Beatriz Santamaría, Herminio Camacho, Martha d’Alvaré, Alberto González Casals, Eugenio Suárez, Ivano Iogna, Didier Lalande, Marleen Bosmans, Sami et Magdalena, Teresa et Pupo, Anne-Sophie, Valerie et Arthur, Anneke, Juancho et Teresa, Julian, Niurys Porras, Annemie Verbruggen ;

Comité Internacional Paz, Justicia y Dignidad con los Pueblos, La Habana ; Dirección Provincial de Combatientes, La Habana ; Oficina de Asuntos Históricos del Consejo de Estado, La Habana ; Instituto de Historia de Cuba ; Periódico Juventud Rebelde, Cuba ; Centro de Prensa Internacional ; Association Cuba Linda, France ; Association Suisse-Cuba.

Aussi à Natacha Potéreau, archiviste à la French Lines & Compagnies, pour son professionnalisme, sa collaboration et sa patience.

Introduction

J’ai eu la chance d’avoir pu consulter les archives de la French Lines & Compagnies dans la ville française du Havre. C’est là qu’est conservé le patrimoine historique de la Marine marchande française, de ses compagnies maritimes et de ses ports, parmi lequel se trouvent les archives de la Compagnie générale transatlantique, plus connue sous le nom de la Transat.

Cette compagnie était la propriétaire du bateau La Coubre, qui transportait de l’armement acheté en Belgique et destiné au gouvernement cubain. Ce navire a explosé le 4 mars 1960 près d’un quai du port de La Havane, causant près de 200 blessés et environ cent morts, dont six marins français.

Depuis le départ, le gouvernement cubain a tenu Washington pour responsable, et le dirigeant Fidel Castro en a expliqué en détail les raisons. Jusqu’à aujourd’hui, les États-Unis rejettent l’accusation, mais malgré les décennies qui ont passé, ils refusent de déclassifier tout document lié à cette explosion.

Les principaux médias français ont donné très peu d’importance à un événement aussi horrible. De façon incompréhensible, le gouvernement français y a à peine prêté attention.

En France, on n’a pas l’habitude de déclassifier des informations qui puissent être liées à des institutions de sécurité de l’État. Toutefois, il était étonnant que l’entreprise maritime refuse de montrer les documents en sa possession. On en est même venu à dire, dans certains articles de presse, qu’ils ne seraient rendus publics qu’en 2110.

Ce qui est sûr, c’est qu’une bonne partie des documents ont été classés pendant vingt-cinq ans à partir de 1960, les derniers jusqu’en 2010. Après cette date, leur accès a été limité pendant le transfert des archives du lieu où elles étaient conservées jusqu’au lieu actuel, toujours au Havre, à cause du nouveau type de classement.

Je remercie l’archiviste de la French Lines & Compagnies pour sa patience ; elle m’a donné le privilège d’être le premier à copier les plus de 1 500 pages que la Transat avait conservées comme un trésor sur La Coubre et son explosion.

Je tiens à préciser que j’ai voulu être certain d’obtenir la totalité des archives. Face à mon inquiétude, j’ai reçu un courrier dans lequel elle m’a assuré : « Je vous confirme la transmission complète des éléments concernant La Coubre. »

Pourquoi avait-on interdit ces archives au public pendant tant d’années ? La réponse orale que j’ai obtenue a été que malgré le temps passé, il y avait des documents grâce auxquels des assurances ou des personnes auraient pu entamer des actions contre la compagnie maritime qui était une entreprise d’État à l’époque.

C’est plausible. Mais après avoir lu et analysé chaque page copiée, j’ai la certitude qu’on a voulu aussi cacher des informations qui auraient pu permettre d’éclaircir ce terrible événement. Le lecteur en jugera et se fera son opinion dans les pages qui suivent.

D’autre part, j’ai été surpris par la réaction si positive des enfants et petits-enfants des victimes face à mon projet. Ils étaient, disons, déconcertés, car cela leur semblait étrange que quelqu’un s’intéresse à « l’affaire » au bout de presque soixante ans. En effet, après le 4 mars de cette année-là, l’événement a été ignoré au bout de quelques semaines puis il est tombé dans l’oubli total en France. Et combien suis-je reconnaissant de l’accueil que m’ont réservé les deux marins français que j’ai rencontrés et interviewés !

Si en France les personnes qui ont entendu parler de l’explosion de La Coubre sont rares, à Cuba, son histoire reste présente, et pour cela, chaque année, on rend hommage aux victimes cubaines et françaises.

Pour ma part, je remettrai les copies de ces documents aux membres des familles des disparus des deux nations. Ils leur appartiennent.

***

Avant de commencer, une note nécessaire : 

Une partie importante de l’information avec laquelle cette recherche a été menée provient des archives de la Compagnie générale transatlantique, plus connue sous le nom de la Transat, dont le siège était au Havre, en France.

Ces archives font partie de la French Lines & Compagnies, qui conserve le patrimoine historique de la Marine marchande française. Son siège est dans la ville du Havre.

Dans cette optique, et afin de ne pas gêner la lecture régulière, l’auteur ne placera des références à ces fichiers que lorsqu’il peut avoir des doutes sur la source.

I

Son petit-fils l’aida à descendre de la voiture. J’aurais aimé lui tendre la main, mais il était déjà à ses côtés. Elle ne semblait pas pressée. D’ailleurs, pourquoi l’être à son âge ?

Elle prit sa canne, me salua et nous nous mîmes à marcher doucement, elle et moi. La simplicité de Rosario Velasco était élégante. Ses cheveux teints en larges bandes claires et foncées lui allaient très bien. Elle portait une longue robe à fleurs blanches, café et noires assortie à son sac à main qu’elle serrait contre elle.

Elle s’accrocha spontanément à mon bras tandis que nous parlions de la terrible chaleur qu’il faisait à La Havane. Et effectivement, je sentais la sueur imprégner ma chemise tandis que des gouttes glissaient le long de mon visage.

La femme qui gardait cette partie du port exprima de la tendresse et de l’admiration pour elle. Ce ne fut pas la seule.

Nous parcourûmes environ vingt mètres pour arriver dans un petit local que l’on était en train d’aménager en musée. À l’intérieur le soleil ne tapait pas, pourtant la chaleur diminua à peine. Nous étions les seuls visiteurs. Elle lâcha mon bras et se mit à regarder les photos qui étaient là, disposées dans des cadres sur le mur ainsi que quelques coupures de presse.

Elle posa les yeux sur l’une d’elles. Elle la regarda comme si elle la découvrait pour la première fois. Pendant quelques instants, je n’osai pas prononcer un mot en la voyant prise d’une sorte d’enchantement. Puis elle leva le bras, tendit son index et dit : « Voilà mon mari. »

Ensuite elle me raconta qu’ils s’étaient connus en parcourant de long en large le Paseo del Prado : il la regardait, elle le regardait. Ils étaient très jeunes. Elle n’avait pas encore terminé le lycée ; lui, un peu plus âgé, travaillait déjà comme docker sur le port.

« Il était beau, vraiment canon. Je suis tombée follement amoureuse de lui », me dit-elle en souriant, les yeux brillants.

Elle garda cette expression quelques secondes puis se tut à nouveau, l’air sérieux, le regard rivé sur le portrait.

II

Un train spécial avait récupéré les munitions au siège central de la Fabrique Nationale d’Armes de Guerre, la FNAG, à Herstal dans la banlieue de la ville de Liège, en Belgique. Ensuite, il s’était dirigé vers la base de l’entreprise à Zutendaal, dans la région de Limbourg, non loin de la frontière est de la Hollande. Là, on chargea les grenades.

À Herstal tout comme à Zutendaal, les wagons qui contenaient les explosifs furent scellés par la douane.

Ainsi chargé, le train continua son chemin vers Kapellen, à quelques kilomètres de la frontière hollandaise, près d’Anvers au nord de la Belgique.

Selon les rapports contenus dans les archives de la French Lines & Compagnies, durant tout ce temps, les wagons et leur chargement furent « strictement protégés par la police des douanes, la gendarmerie et l’inspecteur spécial du gouvernement belge1».

À Kapellen, les représentants de l’entreprise Figille, responsable du transport de l’armement, vérifièrent que les plombs des wagons étaient intacts, puis les agents fédéraux de la douane procédèrent à leur ouverture. La cargaison fut transbordée sur deux camions dont les conteneurs furent scellés avec de nouveaux plombs, toujours en présence des responsables de la Figille.

Les munitions partirent vers la ville d’Anvers, principal port de la Belgique, à l’embouchure de l’Escaut. Elles furent entreposées dans les entrepôts du quai n° 16. Les grenades prirent le chemin de Lillo, un minuscule village au bord de l’Escaut, près d’Anvers. Là, après l’ouverture des scellés des camions, elles furent transportées sur une péniche.

On était le 13 février 1960. L’opération eut lieu entre 11h et 16h. Une fois chargée, la péniche navigua jusqu’au milieu du fleuve où elle s’ancra à un embarcadère appartenant à la commune de Liefkenshoek.

Ce même jour, La Coubre, navire appartenant à la Compagnie générale transatlantique, entreprise nationale maritime française, plus connue sous le nom de la Transat, croisa la péniche alors que débutait le chargement.

Ce bateau avait quitté l’Atlantique Nord pour remonter doucement le long du fleuve puissant mais calme les kilomètres nécessaires et atteindre le quai nº 16. Il venait de Hambourg en Allemagne. Là-bas, entre le 10 et le 12 février, on avait commencé à remplir les cales qui étaient arrivées vides du port français du Havre. 441 tonnes de marchandises, dont douze de produits chimiques pour Haïti et 188 de vitres de fenêtres à déposer à Miami, y furent placées. Il y avait aussi 120 cartons avec 2,4 tonnes de fromage Emmental, qui furent déposés dans la cale frigorifique VI à tribord, située tout à l’arrière du bateau.

À Anvers, on chargea sur La Coubre 104 tonnes de vitres pour la Floride (États-Unis) et plusieurs moteurs de véhicules pour Veracruz (Mexique). À destination de Cuba furent embarquées soixante-quatre tonnes de fer et une bonne quantité de tracteurs provenant d’Angleterre.

Vers le milieu de la journée du 15 février, l’ambiance habituelle du chargement changea.

Le second capitaine, Adrien Le Fèvre, donna l’ordre de mettre les panneaux « interdit de fumer », en français et en anglais, de placer plus d’extincteurs, puis que les manches et les collecteurs à incendie soient prêts à être utilisés. Le Fèvre était Second de La Coubre depuis environ dix jours, mais cela faisait onze ans qu’il naviguait pour la Transat.

Des membres de la police, de la gendarmerie et de la douane arrivèrent pour contrôler et empêcher que des étrangers ne s’approchent du bateau. Des personnes en civil montèrent à bord.

Le Fèvre écrivit dans l’un de ses rapports qu’avant de commencer à charger, il avait dû faire « une visite d’inspection dans la cale VI avec un représentant des chargements », pour vérifier qu’elle était « propre et prête pour le chargement2».

Après avoir reçu le feu vert, Le Fèvre fit placer un membre d’équipage dans la cale et un autre sur le pont pour surveiller le déroulement de l’opération. Ensuite, avec les treuils du bateau on fit monter les 967 caisses, en bois et en zinc, qui contenaient plus de 1,5 million de balles. Le Fèvre affirma qu’une fois le travail des dockers terminés, on ferma les cales et on lui remit les clefs.

Le lendemain, le bateau commença à descendre l’Escaut à la recherche de la sortie vers la mer toute proche. Mais quelques kilomètres plus loin, il accosta sur l’embarcadère de Liefkenshoek, près de la péniche avec les explosifs.

À gauche du cargo, on pouvait apercevoir une partie de l’ancien fort Liefkenshoek ; sur l’autre rive, on observait le fort Lillo entouré de quelques maisons. Tous deux avaient été des forteresses militaires chargées de garder cette entrée en Belgique pendant des centaines d’années. Les hameaux des alentours avaient été rasés pour y installer des quais modernes et de grandes entreprises pétrolières et chimiques, principalement.

Il était 9h30, ce matin d’hiver. Le thermomètre indiquait cinq degrés.

Le Fèvre nota que dès l’accostage, quatre à cinq hommes montèrent à bord. Une partie d’entre eux avaient été présents la veille, lors de la supervision du chargement des munitions. Il dut leur montrer la partie bâbord de la cale VI, à l’arrière gauche du bateau, pour vérifier que celle-ci était vide et propre.

Marcel Guérin, qui à cette époque était le chef mécanicien de La Coubre, se souvient encore que Le Fèvre l’avait réveillé et qu’un homme qu’il ne connaissait pas lui avait demandé si les treuils étaient en bon état et si ses hommes savaient les utiliser. Il avait répondu que cela n’était pas de sa responsabilité3.

Un des hommes demanda à Le Fèvre et à Guérin de signer des documents certifiant que les treuils et les gréements de la cale VI étaient en bonnes conditions. Guérin fut étonné, car il n’avait pas eu à le faire lors du chargement des munitions, mais il signa les papiers puisqu’on lui affirma qu’il s’agissait d’une simple formalité.

Marcel Guérin était entré au service de la Transat en 1946 et avait embarqué sur La Coubre le 1er décembre 1959. Il a aujourd’hui plus de nonante [quatre-vingt-dix] ans, mais son admirable mémoire l’empêche d’oublier à quel point il n’avait pas apprécié d’avoir été réveillé.

Le vent glacé continuait à souffler, tandis que le soleil luttait contre la brume.

Les plus strictes mesures de sécurité furent alors prises. Au mât de signaux, on hissa le drapeau rouge, de classe B, qui avertissait de l’existence de marchandises dangereuses.

Le fait que La Coubre ait dû charger les explosifs sur une plateforme au milieu du fleuve et à l’extérieur de la ville faisait partie du règlement du port d’Anvers.

Le grand chaland attendait La Coubre depuis deux nuits et presque trois jours. Deux gardiens sélectionnés par la douane avaient été chargés de sa surveillance. Un délégué de la Compagnie des Transports d’Explosifs, Figille, sise à Anvers, venait régulièrement superviser le travail et apporter de la nourriture et des boissons.

Les deux gardiens durent être remplacés le 15 février, car ils se déclarèrent atteints d’une forte grippe. Un navire de la douane les ramena à terre et amena immédiatement leurs remplaçants. Il est sûr que le froid était glacial et qu’à bord du grand chaland on ne pouvait pas s’en protéger efficacement, mais, malgré tout, cet incident n’en reste pas moins étrange.

Notes :

1. Extrait du Rapport présenté à Paris et New York le 24 mars 1960, par la firme d’avocats Haight, Gardner, Poor & Havens, au Club West of England, principal assureur du navire La Coubre et à la direction de la Compagnie générale transatlantique. Archives de la French Lines & Compagnies.

Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur de Belgique a aussi remis un document à l’ambassade de Cuba à Bruxelles, le 14 juin 1960, où est décrit comment s’est effectué le transport de l’armement jusqu’aux cales de La Coubre.

2. Adrien Le Fèvre, Second rapport aux avocats de la Transat, avec copie à la direction de la compagnie maritime, Paris, 9 septembre 1960. Dans ce rapport il dit confirmer ce qu’il avait écrit le 7 mars à La Havane. Archives de la French Lines & Compagnies.

3. Hernando Calvo Ospina, Entretiens avec Marcel Guérin, Le Havre, septembre et novembre 2018.

III

L’entreprise Figille fut chargée de louer le train, de transporter l’armement depuis les usines et de constater leur entreposage dans les cales du bateau. Pour cela, Charles Figille, son propriétaire et directeur qui était présent pendant toutes les opérations, put exiger que les treuils soient manipulés uniquement par les membres de l’équipage.

Toutes les opérations se firent constamment sous la surveillance de membres de la Gendarmerie, de la Police des douanes et de l’inspecteur spécial du gouvernement belge.

Le 16 février, à 10h du matin, les dockers commencèrent à transborder les 525 caisses qui contenaient 25 000 grenades. Six ouvriers rangèrent les caisses dans la partie bâbord de la cale VI, réfrigérée, isolée et avec la possibilité d’être fermée à clef.

Tout le chargement de grenades ne put tenir à cet endroit. Selon le rapport de chargement fait par Charles Figille, environ septante [soixante-dix] caisses durent être placées dans le frigo situé à tribord de la même cale avec le fromage provenant d’Hambourg4.

Les exportateurs et les responsables du transport ne s’y attendaient pas, mais cela ne posa apparemment pas de problème : pour séparer ces deux cargaisons si différentes, on employa un fardage spécial fait de planches, pour permettre une ventilation convenable du fromage.

Dans les archives de La Coubre, on constate que tout le processus de transfert, d’embarquement et de stockage se fit en présence du délégué du Service des explosifs de la douane, d’un délégué du bord et sous la surveillance permanente du gérant de la Figille. Le délégué du Service des explosifs était Joseph Van Hoomissen qui représentait le ministère des Affaires économiques du Royaume de Belgique.

Il est également affirmé que lors de l’inspection de la cale frigorifique VI, tant du côté bâbord que du côté tribord, les portes étaient fermées par des chaînes et des cadenas. Le second capitaine dit dans ses rapports que, quand le chargement fut complet, le matelot qui était posté comme gardien, ferma les portes des compartiments et leur posa des chaînes. Il lui remit ensuite les clefs des cadenas. Cela se fit en présence des responsables du chargement.

Le marin et magasinier Jean Brun, qui conduisait une des grues utilisées pour charger les munitions et qui aida ensuite à fermer les compartiments, constata dans son rapport fait à La Havane que « la partie bâbord de la cale VI était pleine de caisses de munitions correctement arrimées qui ne risquaient pas de se désarrimer par mauvais temps5».

Ce matériel de guerre était destiné au gouvernement révolutionnaire de Cuba, dirigé par Fidel Castro Ruz, qui avait pris le pouvoir un an et un mois auparavant, le 1er janvier 1959.

Le 8 février 1960, le directeur de la Fabrique nationale d’armes de guerre avait envoyé un télex à Figille, avec copie aux autorités cubaines de La Havane, dans lequel on pouvait lire : «Comme convenu, vous voudrez bien expédier les marchandises suivantes à La Havane (Cuba), par le steamer La Coubre, le 14 courant depuis Anvers, livraison sur le quai à La Havane. L’expédition est faite à l’ordre et à la connaissance du gouvernement de la République de Cuba (à notifier au ministère de la Défense nationale), marqué ‘fret payé[...]. Marchandise à livrer sur quai à La Havane’. »

Leur vente, leur transport et leur exportation avaient été autorisés par Décret royal.

Il est précisé dans le même télex : « Les munitions de sûreté contenues dans vingt-neuf des caisses sont fournies gratuitement. » C’était un cadeau de la FNAG à la jeune Révolution, mais qui, on suppose, devait avoir également reçu l’approbation des plus hautes autorités du royaume.

Des grenades et munitions qui devaient être actionnées par le fusil FAL. Presque quatre mois auparavant, le 13 octobre 1959, le même bateau en avait livré 25 000 à Cuba.

Le FAL, fabriqué également par la FNAG, était à cette époque le fusil d’assaut le plus populaire au monde. Il avait été sélectionné par les pays de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

La Coubre partit dès que les personnes chargées de superviser toute l’opération de chargement furent descendues : il était 13h10. C’est ce qui fut noté dans les rapports de navigation. Il faisait dix degrés et le vent glacé ne cessait de souffler.

Environ trois kilomètres plus bas, il traversa la frontière hollandaise, et navigua jusqu’à ce que le fleuve le ramène à nouveau en Atlantique Nord. Il mit le cap vers Le Havre d’où il était parti le 9 février.

Notes :

4. Selon le rapport des avocats représentant le Club West of England, ce sont quarante caisses supplémentaires qui furent déposées près des fromages. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur de Belgique dit qu’il y en avait cinquante, mais il faut plutôt faire confiance au rapport de la Figille, entreprise responsable de l’envoi de ce chargement et présente sur les lieux.

Rapport de chargement réalisé par Charles Figille, directeur de la compagnie de transport d’explosifs, envoyé à la direction de la Transat, Anvers, Belgique, 7 mars 1960. Archives de la French Lines & Compagnies.

5. Jean Brun, Déclarations manuscrites, La Havane, 7 mars 1960 ; Paris, 18 juin 1960. Archives de la French Lines & Compagnies.

IV

Mais pourquoi la jeune révolution cubaine devait-elle acheter cet armement ?

Au milieu de l’année 1958, le deuxième homme le plus puissant de Cuba et parfois le premier, l’ambassadeur étasunien Earl Smith, rendit visite au dictateur au pouvoir Fulgencio Batista. Il lui apportait un message du président Dwight D. Eisenhower : il devait abandonner le pouvoir pour empêcher que les guérilleros guidés par Fidel Castro ne s’en emparent. Le plan était que Batista s’en aille et qu’une « junte de notables » demande des élections.

Comme il l’écrira plus tard dans ses Mémoires, le président étasunien avait pris très au sérieux ce que son vice-président Richard Nixon lui avait dit : « La menace du communisme en Amérique latine est plus grande que jamais6. »

Évidemment, car Nixon venait de parcourir son « arrière-cour » latino-américaine et il n’avait pas été bien reçu, en particulier à Caracas, où le 13 mai 1958, son véhicule fut attaqué par des jets de pierres et des coups de bâtons par des manifestants enflammés. Il s’en était sorti indemne par miracle.

Dans ses Mémoires, Eisenhower est plus précis que Nixon : « Cette menace – mais nul ne s’en doutait à ce moment-là – allait se préciser, non pas sur le continent sud-américain, mais sur l’île de Cuba... »

Le président poursuit en disant qu’à la fin de l’année 1958, l’agence centrale de renseignement – la CIA, qui avait un immense réseau d’agents et d’informateurs à Cuba – « suggéra pour la première fois qu’une éventuelle victoire de Castro ne servirait pas précisément les intérêts des États-Unis…»

Eisenhower raconte aussi qu’Allen Dulles, directeur de la CIA, lui aurait dit plus directement fin 1958 : « Il semble que les communistes et autres extrémistes aient pénétré le mouvement castriste. Si Castro prend le pouvoir, ils participeront probablement au gouvernement.»Cette information tardive mit le président de mauvaise humeur.

Peu après, la presse « découvrit » que les « communistes » et « extrémistes » auxquels se référait Dulles étaient principalement Raúl Castro Ruz et Che Guevara.

À Washington on savait que ce mouvement révolutionnaire progressait en totale indépendance de l’Union soviétique. L’Amérique latine, territoire si lointain et dominé par les États-Unis, intéressait peu Moscou.