UN SIÈCLE DE VÉNERIE DANS LE NORD DE LA FRANCE
CYPRIEN PERROT, Marquis de FERCOURT, et son vol
DÉDICACE
De tous les portraits d’ancêtres accrochés aux murs de Frohen et voyant passer les générations, c’est vous Cyprien Perlot de Fercourt que j’ai regardé avec le plus d’affection et d’envie quand j’étais enfant.
Costumé en Apollon, entouré de vos oiseaux et de vos chiens, vous semblez toujours prendre tel plaisir à faire goûter le leurre à votre faucon niais qu’il ne vous déplaira point qu’un de vos arrière-neveux place cet ouvrage sous votre égide et qu’il n’y narre le joyeux passe-temps de nombre de générations qui vous ont suivi.
AU LECTEUR
J’étais en seconde, chez les Dominicains, à Arcueil, m’ennuyant terriblement. La vie d’internat ne me plaisait guère et j’eusse eu grand’peine à l’accepter si je n’avais possédé un camarade.
Cet ami n’était autre que les Gentilshommes Chasseurs, de Fondras. Je l’avais lu et relu vingt fois ; j’étais aussi amoureux que Lord Henry de la comtesse de Senozan, débuchant sur la Légère, et j’aurais tout donné pour que le Curé de Chapaize fut notre surveillant d’études.
Mon bouquin n’étant pas de la bibliothèque de l’Établissement, je l’avais habilement maquillé. Découpant les pages de mon dictionnaire, j’y avais introduit mon livre de prédilection. Quand j’avais l’air de faire des recherches minutieuses sur tel ou tel sens d’une phrase latine, je chassais le loup Baptiste à travers les trois royaumes.
Je me mis à illustrer l’ouvrage avec toute mon imagination de gamin, et, aux vacances de Pâques, j’apportais triomphalement à mon Oncle le fruit de mon travail de seconde ; celui-ci, qui me poussait fort dans la voie des Arts, en fut ravi. Il fit relier le dictionnaire de Belin et son contenu dans la paroi d’un grand vieux sanglier, et j’ai toujours plaisir à refeuilleter ce résultat de mes études.
C’est à cette époque que germa, dans ma pensée, l’idée de ce volume. S’il a mis plus de vingt ans à voir le jour, c’est que, passionné de chasse et de peinture, j’ai passé cette partie de mon existence à courir derrière des chiens et à reproduire, du moins mal que j’ai pu, les scènes pittoresques que j’avais vues.
Quand, il y a trois ans, j’ai commencé à rassembler les éléments de ce travail, je croyais n’avoir qu’à questionner mon père et quelques amis pour arriver à mes fins. J’étais loin de compte !
J’ai eu trois genres de collaborateurs : les mécontents, les indifférents, les complaisants.
Les mécontents. Peu le disaient ouvertement, mais certains laissaient entendre leur rancune : « Mon grand-père ou mon grand-oncle a beaucoup chassé à courre, mais il a beaucoup dépensé ; il s’est ruiné, et alors notre héritage s’en est ressenti. » Voilà le premier cliché.
Les indifférents : « Mon cher Ami, excusez-moi, je rentre d’une battue où on a tué... (suit le tableau), je repars demain chez un tel pour telle battue. Mon père chassait à courre, paraît-il ; je ne retrouve même plus ses boutons. Qui s’intéressait à ce sport d’un autre âge a disparu. Je regrette beaucoup de ne pouvoir vous être agréable. » C’est le second genre.
Aux complaisants. Ils ne furent que quelques-uns, mais ceux-là ont su remplacer les autres, en m’aidant de tous leurs souvenirs. Je les remercie grandement de leur savante collaboration. Mais tous, je n’hésite pas à le dire, vibrent encore au moindre son de trompe, et la rage du fusil ne les a pas encore conquis à tel point qu’ils soient obligés, à la fin de chaque traque, de faire un calcul algébrique pour arriver à trouver le total de leurs victimes.
Certes, l’esprit moderne, la culture plus perfectionnée de nos contrées, le morcellement des propriétés, sont autant d’écueils qui ont rendu la chasse à courre très difficile dans notre région, mais la mode des battues n’est pas étrangère à cette difficulté.
Tout propriétaire de bois se doit, à l’heure actuelle, de donner une battue et veut un tableau. Toute son année, il fera garder son gibier, paiera des dommages, passera des journées chez le Juge de paix, s’abstiendra même de tirer un coup de fusil chez lui pour distraire, non pas lui-même, mais les autres, un jour par an.
Avec quarante lièvres qui, en deux traques, en moins d’une demi-heure se sont laissé assommer en faisant le chandelier à dix pas, on aurait eu de quoi amuser, six mois durant, ses amis et soi-même, en les forçant de bonne guerre ; mais ce n’est plus le goût du jour, et, aux nombreux vautraits ou équipages qui se sont succédé en Picardie depuis un siècle, il ne survit que deux modestes meutes de lièvre.
Cet ouvrage, je le confesse, ne répond pas à l’idéal que je m’étais fait ; je l’eusse voulu plus anecdotique, plus divers dans son ensemble. N’osant me laisser emporter par mon imagination, j’ai transcrit simplement les notes que j’ai pu rassembler et les souvenirs que j’ai recueillis. De Fondras, d’Osmond, Levêque, eussent su faire revivre toutes les figures que j’évoque tour à tour, mais je n’ai pas su ramasser la plume qu’ils ont laissé tomber, et j’en demande pardon au lecteur.
Nos buissons de Picardie et d’Artois, les vieilles futaies d’Eu et de Crécy ont leur histoire, et, avant que la hache ait fini d’en anéantir le souvenir, j’ai voulu narrer les exploits de ceux qui ont passé, sous leur couvert, les meilleurs moments de leur existence.
Je m’étais tracé comme cadre l’Artois et la Picardie, Si parfois, tel un ragot cherchant aventure, j’ai percé fort avant à travers pays, ce sont les chiens qui m’ont entraîné à leur suite dans des déplacements éloignés.
Quant aux veneurs qui poursuivaient le cerf de Saint-Gobain à Villers-Cotterets, si leurs prouesses se passaient en plein Valois, ils n’en avaient pas moins leur place ici, leur devise étant ce recri dont la suite de ces pages justifiera l’exactitude :
PICQUARD-PIQU’HARDI
Drucat, 8 janvier 1910.
ÉQUIPAGES DE LOUP
La BARONNE DE DRAËCK
La Baronne de Draëck
DÈS son jeune âge, Mademoiselle de Lamétan donna des signes indubitables de passion cynégétique, passant son temps chez les Ursulines, où elle faisait son éducation, à courir sus aux rats par-dessus les tables, bureaux ou armoires du couvent.
Dès sa sortie de pension, elle adopte les habits masculins, et c’est bien à contre-cœur qu’elle se laissa marier au Baron de Draëck, seigneur d’Oudezeele, près Cassel.
Présenté à la jeune personne, le Baron de Draëck commença par lui persuader qu’il la laisserait libre de s’habiller à sa fantaisie et de suivre ses goûts, qu’étant lui-même très amateur de chasse, il monterait à cheval avec elle.
Le jour du mariage surgit une difficulté. Le curé déclara qu’il ne pouvait marier deux personnes en costume d’homme. Force fut donc à la fiancée de passer une robe de femme par-dessus les habillements d’homme qu’elle ne voulut pas quitter.
Le mari tint parole ; il laissa sa femme libre de faire ses volontés et, comme il était fort riche, elle put satisfaire tous ses goûts. Bien que les deux époux vécussent en bonne harmonie, le mari regrettant de n’avoir pas eu d’enfants vivants, il s’en suivit des querelles qui finirent par une séparation à l’amiable ; le Baron s’en retourna à son château d’Oudezeele, où il ne tarda pas à mourir, en 1788, laissant à sa femme la jouissance de toute sa fortune.
L’équipage de chasse de la Baronne de Draëck comprenait un piqueux, un valet de chiens et plusieurs valets de limier. La meute pour le loup comprenait quarante chiens courants ; elle entretenait de plus six chiens pour le lièvre, deux chiens d’arrêt et plusieurs terriers anglais pour les renards et les blaireaux.
Arrive la Révolution. On se contente de la mettre en arrestation chez elle avec un gardien à ses frais. Le commissaire de police, un arriviste, perquisitionne et enlève toutes les armes de chasse de la Baronne. Comme ce fonctionnaire tenait à la main son écharpe tricolore, elle lui dit : « Citoyen, vous pouvez mettre cela dans votre poche en toute sécurité, je n’ai pas envie de me révolter. »
La municipalité de Zutkerque intervient alors et voici un curieux document lui ayant trait :
« Un rapport du district de Saint-Omer établit en sa faveur que ladite Dame entretient à ses frais une meute de chiens courants et bœufliers pour la destruction des loups. (Le pied était alors payé cinq cents francs de prime lorsque sa grosseur dépassait la taille d’une patte de renard.) Qu’il est revenu au district que ladite Dame veut se défaire de sa meute, que cependant personne mieux qu’elle ne dirige les chasses, respectant les avétis et les dirigeant avec la plus grande autorité. Conséquemment, la municipalité de Zutkerque, sur la représentation des notables habitants de ladite paroisse et d’autres voisines, s’est transportée chez ladite Dame, pour la supplier à différer de se défaire des chiens qui lui restaient encore et à continuer de détruire lesdits loups. Fléchissant aux instances de la municipalité, le district demande à l’Assemblée Nationale de ne pas inquiéter la Dame de Draëck pour ses chasses, et si on ne la croit pas suffisamment autorisée à ces fins, bien vouloir obtenir un droit explicatif et augmentatif de celui rendu pour le fait de chasse en toute justice pour détruire les loups et les claquer si faire se peut. »
(Suivent les signatures des municipalités d’Eperlecques, Bayenghem, Zutkerque, etc.. )
Passionnée pour le courre du loup, elle en détruisit six cent quatre-vingts dans le Nord et l’Artois, surtout dans la forêt d’Eperlecques, où elle s’adonnait aussi au courre du cerf.
Lorsque l’époque était venue de commencer ses chasses, elle disait à son valet de limier :
« Allez à mon château d’Ablain-Saint-Nazaire, faites des reconnaissances partout, préparez les voies, et dans trois jours j’arriverai. » La veille de son départ, elle disait : « Vous partirez à onze heures de la nuit avec mes quarante chiens pour le loup, couplés deux par deux comme de coutume. Ne les laissez pas s’écarter. N’entrez nulle part pour prendre ce dont vous avez besoin plus loin que la porte. » A son palefrenier et à ses domestiques : « Vous partirez à trois heures du matin avec chacun vos chevaux et vous conduirez en main mes trois chevaux, sans vous arrêter nulle part. » Le cuisinier recevait l’ordre de rassembler quelques pièces de sa batterie de cuisine et de partir à six heures du matin dans le fourgon de bagages pour Saint-Omer, où il devra prendre la poste, afin de suivre la voiture de la Baronne. Le lendemain, Madame de Draëck rejoignait Saint-Omer avec sa voiture et ses chevaux, prenait des chevaux de poste et arrivait à son château d’Ablain-Saint-Nazaire presque en même temps que ses chiens, ses chevaux et tout son monde. Ce manoir a été le théâtre de ses exploits cynégétiques les plus remarquables ; tous les jours étaient employés à prendre ou à tuer des loups, des renards et même des blaireaux.
L’auteur de cette notice nous apprend que plusieurs louveteaux, furent pris pendant un déplacement, dans les bois de Saint-Eloi, près d’Arras ; le poil de ces animaux était argenté. les chiens ne les chassèrent pas avec autant d’ardeur que les autres loups ; avec leur fourrure, elle fit faire un manchon qu’elle montrait comme une rareté. Ce fut la seule fois de sa vie qu’elle trouva des loups de cette espèce. Elle détruisit complètement les carnassiers dans le pays qui s’étend entre Arras et Douai, et ce fut à cette occasion que les bergers de la contrée lui présentèrent la chanson suivante, composée par l’un d’eux :
Paissez en paix, mes chers moutons. Bêlez, bondissez sur l’herbette. Le loup cruel dans ces cantons Ne peut plus avoir de retraite. Pour vous garder, il me suffit De mes deux chiens, de ma houlette, Nous jouirons pendant la nuit D’une tranquillité parfaite.
Ecoutez-moi, gentil troupeau, Pour prouver ma reconnaissance, Je chante sur le chalumeau L’auteur de notre délivrance. Je veux vous apprendre son nom, De Draëck est notre bienfaitrice, Il faut que dans tous ces vallons L’écho toujours en retentisse.
Dans nos bois, nous le graverons ; Partout nous le ferons connaître. Les voyageurs l’apercevront Ecrit sur l’écorce du hêtre. Cet arbre nous sera sacré. Réunis sous son vert feuillage, Au bras qui nous a délivrés, Nous rendrons un juste hommage.
Je voudrais qu’on en fît autant Sur la surface de la France ; Chassons-en les buveurs de sang, Détruisons cette infâme engeance. Bons citoyens, unissons-nous, Rendons leur espoir chimérique, Purgeons, purgeons de tous ces loups Le terrain de la République.
L’auteur de la notice rend ainsi compte d’une année de la vie de Madame de Draëck.
De l’arrondissement de Saint-Omer, Béthune et d’Arras, elle passait dans celui de Saint-Pol, près d’Hesdin, où elle séjournait beaucoup plus longtemps, car c’était le pays qui renfermait le plus grand nombre de ces animaux destructeurs.
Madame de Draëck attribuait la préférence des loups pour cette localité, non seulement à la quantité des bois et de forêts qui couvrent le pays, mais surtout et principalement aux troupeaux d’oies qui couvrent les marais de la Canche, de la Ternoise, de la Créquoise. Ces animaux sont très friands de ces volailles qui ne leur coûtent aucun combat ni danger pour s’en emparer. Je ne pourrais citer tous les bois nominativement où la destruction de ces animaux a été complète : un jour on revenait au logis avec deux loups, un autre jour avec quatre ou cinq ; enfin, il était rare qu’un seul jour se passât sans que la chasse ne fût heureuse ; alors, tout l’équipage, Madame de Draëck en tête, passait à travers la ville ou la commune la plus voisine en sonnant du cor de chasse, et toute la population accourait en foule voir les loups et aussi l’amazone qui était à la tête des chasseurs. C’est dans une circonstance semblable que le poste du corps de garde de Saint-Omer sortit au moment du passage de la nouvelle Diane chasseresse et lui rendit les honneurs militaires, alors qu’elle ramenait devant sa selle ses dépouilles opimes, soit quatre loups. Une autre fois, rentrant de déplacement après six semaines de chasse, Madame de Draëck retraversa Saint-Omer avec vingt et une têtes de loups sur l’impériale de sa voiture. Pendant que la poste était occupée au relais des chevaux, la place était pleine de curieux qui contemplaient les animaux féroces.
Arrivée chez elle, tout rentrait dans l’ordre pour une année, chacun se livrait à ses occupations ordinaires. La Dame de Draëck chassait le lièvre ou le petit gibier, ou travaillait à la menuiserie et à faire le galon au métier, ou encore à tresser le fil de fer pour faire des volières à ses oiseaux.
Le 3 novembre arrivé, jour de la Saint-Hubert, patron des chasseurs, la vie cynégétique reprend.
La veille au soir, tous les domestiques arrivent, rangés en haie, avec un énorme bouquet sur un plat, présenter à Madame de Draëck l’expression de leur respect et de leur attachement. Alors, on sonne les fanfares de vénerie, puis on fait venir un ménétrier et quelques jeunes personnes du voisinage.
Madame de Draëck, qui n’est fière que de ses hauts faits de chasse, ouvre le bal dans sa salle à manger avec le plus aimable de ses voisins ; alors, tout le monde se met en branle, depuis le piqueux jusqu’au dernier valet de chiens. La soirée ne se prolonge guère, et on reçoit les ordres pour le lendemain. Faute de loups, on se contentait de renards ; les garennes, bouchées par avance, forçaient l’animal à donner un joli courre, toujours couronné de succès.
Cette description de la vie, Madame de Draëck l’applique à toute son existence ; elle est décédée au mois de janvier 1823, regrettée de tous ceux qui l’avaient connue et surtout du cultivateur.
Un chroniqueur du temps écrit ceci à propos de la célèbre Baronne :
« Il fallait la voir, la tête nue, l’épieu au poing, parcourir les coteaux, suivie de chasseurs à la mine sauvage et de chiens non moins rébarbatifs ; les paysans, effrayés, faisaient la haie au cortège, et les jeunes filles n’écartaient qu’en tremblant les rideaux des fenêtres pour voir passer la « Diane de Brédenardre » avec ses sanglants trophées, dont au retour on clouait les têtes contre les portes du château. »
Ayant la passion de la destruction des loups, elle disait : « Si je pouvais être nommée louvetière de plusieurs départements, un seul loup ne paraîtrait plus dans les pays que j’aurais sous ma surveillance. ».
Cette place de louvetière était sa marotte ; elle en parlait souvent : elle en fit la demande au Prince de Neufchâtel, qui lui répondit qu’il ne pouvait pas lui accorder sa demande, qu’il était sans exemple qu’une femme eût eu cette place, mais qu’elle pouvait prendre un prête-nom chez elle, lequel serait nommé de suite.
Elle prit son parent, le Vicomte d’Artois, qui fut nommé louvetier du Pas-de-Calais, mais qui ne sut guère profiter des leçons de vénerie, puisque quatre mois n’étaient pas écoulés depuis la mort de la Baronne que la vente de l’équipage eut lieu.
A la requête de Messieurs d’Artois, demeurant à Ypres et à Cocove, ses héritiers dans la ligne paternelle, et de Monsieur Desmoncheaux, bourgmestre de Furnes, son héritier dans la ligne maternelle, on dispersa, le 1er avril 1823, à Zutkerque, les chevaux, chiens, voitures, faisans et presque tout le mobilier.
Respectant davantage les goûts de sa maîtresse, la fameuse Caroline, femme de chambre, puis premier piqueux, ne quitta jamais son costume d’homme. Une longue blouse bleue lui descendait jusqu’aux chevilles, laissant voir le bas des jambes du pantalon ; elle portait les cheveux coupés court et coiffés d’une casquette. C’est dans cet attirail que jusqu’à sa mort, en 1855, on a pu la voir parcourant le pays, où elle vendait des balais de bouleau. Très bonne trompe, elle avait été envoyée à Boulogne par sa maîtresse pour donner des leçons de trompe, à la demande du Général commandant la place.
Cette figure originale, dont j’ai tenté de retracer l’existence, était-elle l’incarnation moderne de Diane, comme semblait le croire de Foudras en la faisant revivre sous les traits de la belle Diane de Brého ?
Hélas ! la vérité historique m’oblige à rapporter cette pointe sèche :
« Cette femme remarquable n’avait pas le caractère approprié à son sexe ; elle n’en avait pas non plus la structure ; d’une taille moyenne, sa figure, ordinaire pour un homme, était moins que belle pour une femme : avec une barbe d’adolescent, pas de gorge et un ventre proéminent, elle eût été ridicule sous un costume féminin. »
Lecteurs au cœur inflammable, cette présentation finale calmera vos regrets.
Le MARQUIS DE FERCOURT-CRÉQUY et son petit-fils le COMTE A. DU PASSAGE partant à la chasse du loup
Le Marquis de Fercourt-Créquy
FRANÇOIS-Hugues-Jules Perrot, Marquis de Fercourt-Créquy, a une jeunesse dramatique. Il a seize ans en août 1791, et, malgré son jeune âge, gagne l’armée de Condé et prend du service dans le régiment de Galiffet, puis aux hussards de Bercheny, au service de l’Autriche. Il passe ensuite dans les hussards de Choiseul-Praslin, à la solde de l’Angleterre, échappe au désastre de Quiberon et gagne alors sa vie comme cordonnier, après la dissolution de Portsmouth. Il rejoint bientôt l’armée de Condé et reste dans les dragons de Fargues jusqu’au licenciement, en juillet 1800.
Se hasardant alors à rentrer en France, il regagne sa terre de Frohen, mais il est encore suspect et se tient caché pendant près de dix-huit mois dans une ancienne carrière de la Vallée Latier, dans son bois. Son garde, Jean Roux, qui lui était resté fidèle durant toute la tourmente révolutionnaire, vient la nuit lui tenir compagnie. Il commence à se montrer lorsque survient la conspiration de Cadoudal. Arrêté et enfermé à l’Abbaye, il est exilé à Bar. Bonaparte, ayant reconnu son innocence, lui fit offrir le brevet de colonel ; il le refusa et préféra être nommé capitaine de louveterie pour le Pas-de-Calais, tandis que Monsieur d’Artois, neveu de la Baronne de Draëck, était nommé lieutenant de l’arrondissement de Saint-Omer.
Après une jeunesse aussi aventureuse que celle dont on vient de lire le récit, il est aisé de comprendre que le digne gentilhomme n’aimait pas rester les pieds sur les chenets, et que c’est la passion de la chasse qui lui procura l’existence pleine d’imprévus à laquelle il s’était accoutumé.
Je retrouve un article de journal ayant trait aux premiers succès du veneur :
« La chasse aux loups a eu lieu les 14 et 15 vendémiaire, dans les bois de Willeman, près d’Hesdin. Le rendez-vous de chasse était chez Monsieur de Partz de Pressy. Monsieur de Fercourt, dont l’adresse pour la chasse surpasse encore le goût qu’elle lui inspire, se rendit avec une très belle meute de dix-huit chiens pour exterminer les redoutables ennemis des hommes et des animaux. Le vendredi, la chasse commença à huit heures du matin, et, à quatre heures du soir, quatre loups, dont deux mâles et deux femelles, avaient succombé sous le feu des chasseurs. Un cinquième fut poursuivi le lendemain ; ne pouvant échapper à l’animosité des chiens, il fut se réfugier dans un terrier où il fut aisé de le prendre. Nous devons de la reconnaissance à Monsieur de Fercourt, qui fait si bien contourner ses plaisirs au profit de l’utilité publique, et nous croyons bien devoir l’avertir qu’on se plaint des dégâts que les loups commettent chaque jour, notamment dans les campagnes avoisinant Saint-Pol. »
Tout près de Willeman se trouvait alors la forêt de Saint-Georges, aujourd’hui absolument défrichée, mais qui, s’étendant de Wail aux portes d’Hesdin, servait de continuation au massif d’Hesdin et de Fressin pour communiquer par les bois de Caumont avec les forêts de Labroye, Dompierre et Torte-fontaine, doubles d’étendue de ce qu’elles sont aujourd’hui.
Aux abords de la forêt de Saint-Georges, au château du Quesnoy, habitait Monsieur de Vadicourt. Amis des jours malheureux, s’étant retrouvés à Londres, l’un ressemelant des bottines, l’autre donnant des leçons de dessin, sa femme confectionnant des chapeaux, ils restèrent toute leur existence liés par une grande affection. Les déplacements en forêt de Saint-Georges étaient couronnés de succès, et les habitants du Quesnoy ont gardé le souvenir de cinq loups rapportés le soir sur la petite place, où la vieille gentilhommière et l’église voisinent à se toucher.
Outre Monsieur de Vadicourt, Messieurs de la Houssoye et des Gaules étaient ses camarades de chasse accoutumés.
Habitant le petit château d’Occoches, Monsieur de la Houssoye avait quelque accointance avec la Normandie, et fit venir plusieurs lices de ce pays. Il en tira race avec les Artésiens de mon arrière-grand-père, pour qui il élevait, chaque année, plusieurs élèves, et c’est, me semble-t-il, le point de départ de la transformation de l’ancien chien d’Artois.
Malgré que Monsieur de la Houssoye ne fit pas de folles dépenses, sa passion pour la chasse finit par lui rogner le peu de fortune qu’il avait retrouvé après la Révolution, et il fut finir ses jours chez son ami des Caules, à Neuilly-l’Hôpital. Renonçant, dès lors, à sa passion, il continua à garder quelques chiens et à en élever, jusqu’à sa mort, avec un soin jaloux. Un vieux piqueux du prince de Condé, nommé Isaïe, les conduisait et rendait compte au retour à son maître de la manière dont ils s’étaient comportés. Les rapports d’Isaïe occupaient ainsi les soirées du vieux chasseur cloué sur sa chaise. Monsieur de Nampsaumont fut un autre fidèle compagnon de chasse du Marquis de Fercourt. En souvenir des chasses qu’ils avaient faites ensemble, ce dernier eut une idée touchante. Monsieur de Nampsaumont, apprenant qu’à la suite d’un procès qui était latent depuis plusieurs années, la fille du Marquis de Fercourt pourrait se trouver sans fortune, il s’offrit à lui laisser ses biens après sa mort,. L’offre fut déclinée, mais la pensée n’en était pas moins généreuse. Célibataire, toujours en affaire de chiens avec mon aïeul, ce Monsieur de Nampsaumont avait le langage imagé et le geste un peu leste. C’est lui qui, placé à table, à Sainte-Segrée, auprès de la chanoinesse de Valanglart, qu’il n’avait plus vue depuis longtemps, lui disait, en passant cavalièrement la main sur son ruban bleu du Chapitre de Bavière (la brave dame avait le duvet fourni) : « Pour une petite griffonne, vous êtes bien conservée. »
Tout était sacrifié au plaisir de la chasse chez mon arrière-grand-père. Malgré son peu de fortune, il entretenait toujours une vingtaine de chiens en chasse et possédait, comme piqueux monté, un bossu nommé Dodor La Bosse, très fin valet de limier et excellente trompe. Faisant de continuels déplacements, il laissait sa femme et ses filles dans un confort des plus médiocres, et ma grand-mère répétait qu’en sa jeunesse, c’est dans une voiture à âne qu’elle gagnait la diligence pour se rendre à Saint-Omer, où il y avait quelques réceptions mondaines. Jusqu’à la chute de l’Empire, la plupart des chevaux qui servaient de remonte étaient des épaves des armées.
Au retour du Roi Louis XVIII, le Marquis de Fercourt retrouve son ardeur de vingt ans. Il entre comme capitaine aux Volontaires Royaux, sous le prince de Solre, et se fait casser le bras à la porte Saint-Pierre, à Amiens. Ce fut son dernier fait d’armes.
L’anecdote suivante démontre surabondamment que Fercourt se pliait peu aux exigences des gouvernements nouveaux.
Un bateau étant venu s’échouer en baie de Saint-Valéry, de Fercourt, des Caules et de Cacheleu avaient été voir les épaves, et rapportaient sur eux chacun un flacon de kirsch. Les gabelous, à leur retour à Abbeville, réclament des droits d’entrée.
Outrés, les trois amis reculent, tiennent conseil, puis vident chacun leur fiasque, repassent la barrière en laissant les cadavres aux agents de l’autorité.
Pendant le séjour des alliés, il remonta sa cavalerie, et ma grand’mère, qui l’accompagnait dans ses chasses autour de Frohen, montait, paraît-il, un genêt d’Espagne, au grand étonnement des populations.
J’ai pu recueillir, de la bouche même de son dernier valet de chiens, Maugé, quelques récits de certains laisser-courre.
Un loup, attaqué dans les bois environnants Martainneville, vers huit heures du matin, part en débuché vers la vallée de Somme qu’il traverse, pour revenir ensuite vers son lancer, et est tué à la nuit, entouré par la meute.
Dans ces mêmes parages, une louve, suitée de quatre louveteaux, fait tête devant la meute pour défendre sa portée, et toute la famille est tuée devant les chiens.
Deux louvarts sont pris vivants par Dodor, aux entours d’Oisemont, alors qu’ils sont aux prises avec les Artésiens.
Ayant épousé Mademoiselle de Cacheleu, dont l’une des sœurs était devenue la Baronne de France de Maintenay, il allait en déplacement chez eux, et j’ai connaissance de deux sangliers, pris le même jour dans les bois de la Cervelle. Un premier animal tué par les chasseurs du pays, dont on s’était assuré le concours ; le second poursuivi par la meute, débuchant des bois de Saint-Josse et allant se faire prendre dans les dunes en bordure de la mer.
Quand le marquis de Fercourt n’avait pas connaissance de grands animaux, il se rabattait sur la chasse du lièvre autour de Frohen, mais, même à cette chasse, ses chiens n’ayant pas grand train, il aidait l’hallali par un coup de fusil.
Le dernier louvart pris par lui dans le pays fut attaqué dans le bois de la Mare-à-l’Eau, et s’en vint se faire prendre à la gueule d’un terrier dans les bois de Barly.
De 1815 à 1825, Messieurs Frénelay, le Boucher de Richemont, de la Houssoye, des Caules, de Nampsaumont, Alexandre, Merlen et le général Filon, se donnaient rendez-vous avec lui en forêt de Crécy, où les sangliers abondaient. On se souvient d’un vieux solitaire, qui fit plusieurs fois le tour de la forêt, et que Monsieur Alexandre Merlen tua aux abois devant les chiens, dans les fonds de Marcheville.
Les grandes randonnées n’étant point pour l’effrayer ; vers 1830, il joignait ses chiens à ceux du Comte d’Hinnisdal, dont il fut le compagnon fidèle, souvent le commensal, avant qu’il ne devint le témoin de son mariage avec Mademoiselle de Bryas.
Toute sa vie durant, le Marquis de Fercourt continua de chasser, jusqu’en 1845, époque de sa mort.
Il ne quittait guère sa tenue de louvetier, et c’est habillé de la petite veste verte qu’il se rendait dans les soirées mondaines d’Abbeville.
Mon père, dans ses souvenirs d’enfance, rapporte sa première chasse à courre dans les bois de Mézerolles, où son grand-père, pour l’aider à sortir d’un roncier, avait caressé du même coup de fouet, et les fesses du baudet et les mollets du gamin. Le visage encadré dans une barbe blanche si fournie qu’il la nattait et la plaçait sous sa cravate, il portait avec élégance sa tenue, la culotte blanche et les grandes bottes de vénerie, et avait très grand air monté sur une grande jument alezane à balzanes haut-chaussées.
Aussitôt après sa mort, mon grand-père liquida la meute ; une partie fut achetée par Monsieur de Tricornot ; les autres garnirent les chenils de Flour, à Sainte-Marguerite, et de Mallart, à Ransart. Le chenil de Frohen devait rester vide durant deux générations.
La cuisine familiale était garnie jadis de pieds de loups et de traces de sangliers. Tous ces trophées ont peu à peu disparu. Seuls, la trompe et le couteau sont demeurés : j’eus la joie de sonner l’hallali par terre et servir une laie ragotte avec la trompe et la dague de l’aïeul. Ma grand’ mère, âgée de quatre-vingt-seize ans, vivait ses dernières journées, et le petit-fils, en lui présentant la trace, put réveiller les souvenirs lointains de l’aïeule.
Monsieur Débonnaire
CONTEMPORAIN des deux veneurs précédents, Monsieur Débonnaire habitait au Nampsaumont. Né en 1760, il se mit à chasser activement le loup, après la Révolution jusqu’à sa mort, survenue en 1837.
Entretenant un équipage et un piqueux monté, il fut excellent louvetier, et allait, sur réquisition, poursuivre loups et sangliers jusqu’en forêt de Mailly.
Le Comte Auguste de Sarcus
D’UNE grande affabilité, d’un caractère ferme et décidé, d’un esprit enjoué, très pétillant et quelquefois un peu caustique, sans pour cela se départir de sa courtoisie habituelle, tel était le Comte Auguste de Sarcus.
Veneur très expérimenté, il savait faire chasser ses chiens, talent qui aujourd’hui se perd.
La meute du Comte de Sarcus était composée de Normands, et en majeure partie d’Artésiens-Normands, chiens de taille moyenne, de robe tricolore, à la tête superbe et expressive ; l’œil gros et beau, l’oreille longue et tirebouchonnée, la cuisse bien gigotée, le pied bon et le fouet bien attaché. Certains avaient l’épaule un peu chargée, qu’ils tenaient du Normand, mais en général ils étaient plutôt légers.
Ils avaient la voix haute et sonore. La réunion de leurs gorges formait une splendide musique, dont leur maître était très fier et qui le charmait délicieusement. A quelques-uns, ils se faisaient plus entendre de deux lieues à la ronde que soixante chiens anglais à deux kilomètres. Il est à supposer que la souche des chiens du Comte de Sarcus provenait du Pas-de-Calais, où un de ses amis y chassait à courre. L’équipage du Comte de Sarcus se remontait par l’élevage et par des achats et échanges chez ses voisins et amis, veneurs comme lui, principalement chez son intime ami, le Chevalier du Parc, qui habitait Wambet, près Gournay-en-Bray.
Tantôt dans la voie du lièvre, tantôt dans celle du loup ou du sanglier, sans excepter celle du renard, ces excellents chiens Artésiens-Normands, très perçants, passant aisément au fourré, en raison de leur taille modeste, chassaient tout avec le même entrain.
Le Comte Auguste de Sarcus fut nommé lieutenant de louveterie pour le département de la Seine-Inférieure, en date du 23 mai 1818.
Sa tenue était : Cape de velours noir, assez haute, de forme ronde, à la Française ; habit de vénerie en drap noir, à col droit haut montant, avec trois fleurs de lys d’argent brodées sur chaque côté et en travers.
Cravate coupée en fichu, nouée sous le menton par une rosette, dont les extrémités sortaient à droite et à gauche ; léger jabot plissé fin, émergeant de l’habit sous la cravate.
Culotte fauve ; bottes fortes de vénerie ; trompe à la Dampierre ; couteau Louis XV, la garde formée par deux têtes de chiens criant ; l’écu de la garde porte d’un côté une hure de sanglier, de l’autre une tête de loup ; sur la lame, du côté droit, est gravé un saint Hubert, de l’autre un écusson et des attributs de chasse ; le ceinturon du couteau était de cuir vert foncé.
Voici le texte de la lettre lui annonçant sa nomination de lieutenant de louveterie :
Paris, le 23 mai 1818.
J’ai l’honneur de vous prévenir que vous êtes nommé lieutenant de louveterie dans le département de la Seine-Inférieure.
Je ne doute pas de l’empressement que vous mettrez à employer tous vos moyens et votre goût pour la chasse, pour parvenir à la destruction des animaux nuisibles, particulièrement des loups. Je vous adresse, avec votre commission, deux exemplaires du règlement sur les chasses et sur la louveterie, auquel vous voudrez bien vous conformer pour les battues de loups, lorsqu’elles seront jugées nécessaires.
Vous aurez à faire viser votre commission par le Conservateur des Forêts du deuxième arrondissement, à Rouen, ainsi que par le Commandant de Gendarmerie du département.
Recevez, Monsieur, l’assurance de ma considération la plus distinguée.
Signé : COMTE DE GIRARDIN.
A Monsieur le Comte de Sarcus.
Le Comte de Sarcus chassait à courre avec le Comte d’Arry du Valalet, son voisin et ami ; avec le Comte de Germiny, en forêt de Saint-Saëns ; avec Monsieur de Songeons, son ami, de la Coudre, Comte de Germesnil ; et ses chiens couplaient le plus souvent avec ceux du Chevalier du Parc, son grand ami, veneur aussi intrépide que lui.
L’équipage était servi par un homme à cheval : « Charles », qui savait que sans viser à l’effet, le Comte de Sarcus tenait aux grandes et belles façons, qui étaient autrefois de tradition dans la Vénerie française.
Les chiens les plus fins du Comte de Sarcus étaient : Conquérant, Nestor, Sonore, Sagesse. Ceux qu’il avait tiré du chenil de Monsieur du Parc avaient des voix de hurleurs ; ce qui faisait dire à ce dernier ; « qu’ils criaient à miracle et à ébranler les chênes les mieux enracinés de la forêt. »
Le Comte de Sarcus avait le cœur très compatissant et ne raisonnait pas en égoïste ; témoin les lignes suivantes, écrites de sa main, sous la gravure d’un sanglier, et qui dénotent clairement qu’il savait penser au delà de son plaisir : « Heureux les grands de la terre, quand ils peuvent faire contribuer leurs plaisirs au bien d’autrui et trouver dans de nobles déduits, en faisant eux-mêmes ample moisson de lauriers, l’occasion de défendre l’épi du pauvre. »
Il habitait le château d’Illois, près Aumale (Seine-Inférieure), et chassait dans tous les bois avoisinant Illois et Aumale. De plus, il découplait aussi en basse forêt d’Eu, dans le triage de Guimerville, près Sénarpont, ainsi que dans la partie de la haute forêt voisine de Réalcamp, jusqu’à Blangy.
Extrait d’un rapport adressé, en 1818, par le Comte de Sarcus, à Monsieur de Girardin, grand veneur, capitaine des chasses de Sa Majesté Louis XVIII :
« Au Comté d’Eu, dans les environs de Sénarpont, il existe, depuis plusieurs années, du sanglier, dont le nombre s’accroît sensiblement ; ils ont fait cet été de grands ravages aux riverains de la forêt.
« J’ai eu le plaisir, au mois de septembre dernier, d’en forcer un monstrueux (il pesait environ 450) avec l’équipage du Comte de Germesnil, parti de l’Oise, auquel j’avais joint le mien. J’ai appris depuis que ces animaux ne quittent point le pays et qu’on les y voit en grand nombre. »
Le Comte de Sarcus chassait aussi le renard, comme l’atteste une lettre de lui, datée de son château d’Illois, le 18 novembre 1818, et adressée à Monsieur Le François, garde général des forêts de S. A. S. Madame la Duchesse d’Orléans :
MONSIEUR,
En vertu de la commission de louveterie dont Sa Majesté a bien voulu m’honorer, étant tenu de me livrer scrupuleusement à la destruction des loups, renards, blaireaux et autres animaux nuisibles, et étant informé qu’il existe dans la basse forêt beaucoup de renards, je vous prie, Monsieur, de me désigner un jour de cette semaine, qui pût vous être commode, afin qu’ayant le plaisir de jouir de votre société, cette partie soit pour moi complètement agréable.
Je vous serai aussi obligé de donner ordre à vos gardes de boucher tous les terriers qu’ils connaissent, de très grand matin, le jour que vous aurez adopté, car sans cette précaution, la réussite serait très incertaine.
Veuillez, je vous prie, croire à la considération distinguée avec laquelle je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.
Signé : COMTE AUGUSTE DE SARCUS.
Lettre de Monsieur de Sarcus à Monsieur le Sous-Préfet de Neufchâtel :
Illois, 4 juin 1819.
MONSIEUR,
J’ai l’honneur de vous adresser l’état des animaux que j’ai détruits pendant la saison de 1818-1819. Il vous serait parvenu beaucoup plus tôt, sans l’extrême désir que j’avais de multiplier le nombre de mes prises.
Malgré mes recherches et mes informations, je n’ai point connaissance qu’il existe de loup dans le canton ; si je parviens à en découvrir, veuillez être persuadé, Monsieur, que je ne négligerai rien pour en étendre la destruction.
Je vous serai obligé, Monsieur, de vouloir bien apposer voire visa à l’état ci-joint et de le faire parvenir à M. le Préfet.
J’ai l’honneur, etc...
LOUVETERIE ROYALE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE-INFÉRIEURE 2e Conservation
(Saison 1818-1810)
Comme le montrent plusieurs lettres de M. le Chevalier du Parc, ses chiens, comme ceux du Comte de Sarcus, chassaient aussi bien sangliers, loups et renards, que le lièvre.
Voici une lettre adressée à ce sujet au Comte de Sarcus, par le Chevalier du Parc, son intime ami :
Wambet, 13 novembre 1819.
Je m’empresse de vous proposer une partie de chasse au sanglier, qui, j’espère, sera heureuse.
C’est dans la forêt de Lyons ; dans la partie de cette forêt qui avoisine Gournay. Les renseignements que j’ai pris me donnent la certitude que nous aurons à chasser des sangliers de tous les âges, et en abondance.
Vous vous rendrez à Wambet, avec votre équipage, mercredi. Nous en partirons le lendemain jeudi, pour aller coucher à Fleury, chez Monsieur Pinel, propriétaire, où nous trouverons bon gîte et bonne réception. Dans cet endroit, nous sommes au centre de nos opérations. Ce Monsieur Pinel est chasseur, connaît les retraites et nous fournira toutes les connaissances dont nous pourrons avoir besoin.
J’écris à d’Arry par le même commissionnaire. Il m’avait déjà parlé de faire cette partie de chasse dans cette même forêt, et il se proposait d’aller prendre poste à Ernemont, terre qu’il vient d’acheter ; mais les renseignements qu’il m’a communiqués m’ont paru insuffisants. J’ai été passer quinze jours chez M. le Genger, aux Ventes, et ce voyage m’a procuré des connaissances plus approfondies. Il pourra, suivant ce qu’il m’avait marqué, aller à Ernemont, et nous lui enverrons, de Fleury, un commissionnaire pour lui indiquer le lieu de rendez-vous.
Je vous prie de faire partir de grand matin, de chez vous, mon commissionnaire, pour qu’il puisse aller au Valalet et revenir ce même jour, lundi, à Wambet.
Je fais partir, demain, Pierre (le piqueux de Monsieur du Parc), pour Fleury, prévenir Monsieur Pinel de notre arrivée et prendre connaissance du local et des retraites ; il mènera avec lui un limier.
Surtout, vous, Monsieur, n’oubliez pas le vôtre et vos autres chiens, car nous ne pouvons pas en avoir trop pour mettre à la raison tout ce monde-là.
A mercredi soir, et agréez l’assurance de la considération la plus distinguée.
Signé : LE CHEVALIER DU PARC.
Lettre de Monsieur du Parc, où il est question du lièvre :
MONSIEUR,
Vous m’avez promis de venir passer quelques jours, sans cérémonie, à Wambet. Vos chiens devant être du voyage, je donnerai ordre à mon boucher, jeudi prochain, qui est le jour du franc-marché de Songeons, de faire provision d’animaux à leur usage. J’ai attaqué hier un lièvre, à dix heures du matin ; ils ont constamment chassé, sans presque de défauts, jusqu’à cinq heures, et je crois qu’ils chasseraient encore si on ne les eût arrêtés. Je présume qu’au lieu d’un lièvre, ils en ont au moins chassé trois.
Agréez, je vous prie, Monsieur, l’assurance, etc...
Signé : CHEVALIER DU PARC.
Lettre de Monsieur du Parc, concernant la chasse du lièvre et celle du sanglier :
Wambet, 2 mars 1820.
MON CHER VOISIN,
Je vous remercie bien sincèrement des offres que vous me faites dans votre première lettre, et je les accepte avec reconnaissance. Je crains seulement que ma jument ne vous incommode, lorsque le temps sera venu de vous l’envoyer. J’espère vous voir avant ce temps-là et en causer ensemble, mon intention étant, aussitôt que les chemins seront un peu ressuyés, d’aller vous réclamer et chasser un lièvre avec vos chiens, qui, suivant ce que vous me marquez, chassent avec une grande distinction. Je vais vous donner des détails sur notre chasse au sanglier.
Jeudi 20. — Buisson creux.
Mardi. — Jeune laie de deux ans, chassée deux heures et tuée.
Mercredi. — Repos.
Jeudi. — Buisson creux.
Vendredi, — Quatre animaux dans l’enceinte, trois bêtes de dix à douze mois et une laie de trois ans ; plusieurs chasses. Douze chiens sur une jeune bête, une demi-heure de chasse, tuée par Monsieur Pinel. Une quinzaine de chiens sur la laie, tuée par Monsieur Pinel, le jeune, après une heure du chasse. Sept chiens sur une petite bête qu’ils ont chassée sans succès jusqu’à huit heures du soir. Le piqueux de Monsieur de Songeons suivait cette dernière chasse, mais il s’est égaré, et ce n’est que très tard qu’il a pu rejoindre les chiens. Nos trois piqueux s’étaient attachés chacun à une. Nons avons laissé la plus forte laie à Monsieur Pinel ; l’autre a été partagée entre maintes personnes. J’ai apporté la moitié de la petite bête, dans l’intention de vous en faire part.
J’avais, en conséquence, chargé Pierre (le piqueux de Monsieur du Parc) d’un morceau pour vous, espérant qu’il trouverait à Gournay le moyen de vous le faire parvenir, mais il n’a pu trouver personne de vos environs. Ainsi, Monsieur, vous voyez que j’ai été contrarié de toutes les manières. N’ayant pu avoir le plaisir de vous voir à nos chasses, j’aurais au moins désiré pouvoir partager avec vous nos succès.
Agréez, je vous prie, Monsieur, l’assurance de la considération la plus distinguée de votre très humble serviteur.
Signé : CHEVALIER DU PARC.
Lettre de Monsieur du Parc à Monsieur de Sarcus :
Wambet, 8 avril 1820.
MONSIEUR,
Je viens de faire un marché avec le voisin de Wambet. Deux jolis chiens, frères de celle que vous avez eue de Monsieur de Wambet, sont à moi. Vous les connaissez : joli rein, jolis pieds, la queue parfaitement attachée, et ne demandant qu’à manger du lièvre.
Adieu, soyez bien portant.
Signé : CHEVALIER DU PARC.
Autre lettre de Monsieur du Parc, adressée à Monsieur de Sarcus, et concernant le lièvre ;
Wambet, 5 mai 1820.
MONSIEUR,
Je vous envoie, pour chasser le lièvre, un des chiens que j’ai eus de M. de Wambet ; son frère, je l’ai changé avec M. de Songeons. Je ne vous demande pour celui-ci que votre amitié.
Je crois que j’irai dîner au Valalet, etc...
Signé : CHEVALIER DU PARC.
Lettre adressée par le Comte de Sarcus à Monsieur Auguste du Feugeray, en juillet 1820 :
MONSIEUR,
Je reçois à l’instant votre lettre ; vous ne doutez pas du plaisir que j’éprouve à guerroyer contre les grands coquins de sangliers. Je vous ai mille obligations à vous, Monsieur, et à Monsieur de la Coudre, de me procurer cette partie. Je vous envoie Charles (le piqueux) pour prendre jour le plus prochain possible.
Si c’est dans la vallée de la Mortemer, ayant beaucoup plus près, je m’y rendrai d’Illois. S’il faut passer par le Biorel, je vous prendrai en y allant. Veuillez instruire Charles de tout ceci, ainsi que du lieu de rendez-vous. Monsieur de la Coudre aurait la complaisance de mener ses chiens, car, à cette chasse, l’équipage n’est jamais trop nombreux.
Veuillez, je vous prie, croire à ma considération très distinguée.
Signé : COMTE A. DE SARCUS.
Lettre adressée à Monsieur Estancelin et prouvant que le Comte de Sarcus chassait aussi les renards à courre :
Illois, près Aumale (Seine-Inférieure), le 3o octobre 1820.
MONSIEUR,
Lorsque vous me fîtes l’amitié de me présenter à Son Altesse le Duc d’Orléans, et de solliciter en ma faveur la permission de chasser à a basse forêt, vous vous rappelez que le Prince eut la bonté de me dire : « Chassez, détruisez le plus de renards possible, c’est un service que vous rendez aux habitants du pays ». Ce sont ses propres expressions. Je vais donc recommencer mes persécutions contre ces pauvres animaux ; mais j’ai une partie projetée que je ne veux point exécuter sans votre assentiment.
Vos aimables procédés avec moi m’y engagent impérieusement. J’attends, dans une quinzaine, un ami, ancien garde d’Artois, grand amateur de chasse à courre, qui amènera son équipage. Je désirerais attaquer renards à la basse forêt ; cette voie tirant toujours droit et à toutes jambes, la chasse en convient mieux aux amateurs qui n’aiment qu’à courir, et j’en aurai quelques-uns de ce genre. Seconde raison, plus majeure, c’est que je crains qu’en poursuivant un lièvre en plaine, mes jeunes camarades ne respectent point nos immenses pièces de blé, et vous savez que les habitants des campagnes sont très chatouilleux sur cet art. Quant à la destruction que vous pouvez craindre à la forêt, je vous donne ma parole que l’on ne tirera point de lièvres et qu’aucun de nous ne portera d’arme à tir ; mais serais bien aise, si cela était possible, d’être secondé par les gardes de la basse forêt, dans cette tentative contre les renards.
Veuillez, Monsieur, agréer la nouvelle assurance de ma bien parfaite considération.
Signe : COMTE AUGUSTE DE SARCUS.
Le 3 novembre 1820, jour de la Saint-Hubert, le Comte Auguste de Sarcus attaqua, en basse forêt d’Eu, un grand sanglier qui vint se faire prendre à quelques mètres de son château d’Illois. Il en est question dans une lettre de Monsieur le Chevalier du Parc.
Wambet, 19 novembre 1820.
MONSIEUR,
J’ai reçu votre lettre bien longtemps après la date. J’en suis doublement fâché, puisque cela m’a privé du plaisir de vous répondre plus promptement et de celui d’avoir plus tôt de vos nouvelles. Je serai très flatté de vous voir à Wambet, mais je vous prie de croire qu’il n’y a d’autre motif que celui de vous avoir avec nous.
Vous faites toujours des chasses superbes. Je vous en fais mon compliment et voudrais obtenir le même succès.
J’ai ici une jeunesse turbulente qui s’y oppose. Pour la calmer un peu, je lui ai fait chasser un tiers-an qui était venu nous braver à une lieue et demie de la maison. Il nous est arrivé à peu près la même chose qu’à vous le jour de la Saint-Hubert, le compère est venu se faire prendre à deux portées de fusil de la maison. Il s’est jeté à l’eau dans un ravin et s’y défendait vaillamment contre les chiens. Heureusement, le fils de notre maréchal est accouru au secours des chiens, armé d’une lance et lui en a porté plusieurs coups pendant que les piqueux arrivaient et qui l’ont fini. Il n’y a eu que trois chiens de blessés. Le piqueux de Monsieur de Songeons est arrivé le premier qui lui a tiré sa carabine, mais cela n’a pas suffi, il a fallu employer le couteau de chasse.
J’ai actuellement vingt chiens en chasse ; si vous connaissez des amateurs, je m’en déferai volontiers d’une demi-douzaine. Ils sont beaux, bien chassant et criant à ébranler les chênes les mieux enracinés. Cela n’est pas étonnant, il y a dans le nombre deux petits-fils de Bacanal et de d’Arry. Je fais prévenir et engage pour mercredi prochain à une chasse qu’il exécutera dans la forêt de Lyons. Monsieur de Songeons ira ; moi je resterai à la maison, n’ayant point de cheval pour mon piqueux. Il a fini le sien à la chasse du sanglier dont je viens de vous parler.
Adieu, Monsieur, je vous prie de croire au plaisir que j’aurai à vous voir et au sincère attachement avec lequel je suis, votre très humble serviteur.
Signé : CHEVALIER DU PARC.
Lettre adressée à Monsieur de Sarcus et contenant l’autorisation de chasser en basse forêt d’Eu :
Sainte-Catherine, 6 octobre 1822.
MONSIEUR,
J’ai l’honneur de vous adresser la permission de chasse que S. A. S. Monseigneur le Duc d’Orléans a bien voulu vous accorder dans la basse forêt d’Eu.
Monsieur de Brossard vous a fait connaître ses règlements, dont personne n’est plus exact et plus scrupuleux observateur que vous-même ; je n’ai donc pas besoin de vous les rappeler. Je n’insisterai que sur un point : c’est que je désire que vous teniez à ce que les gardes (n’importe le garde) ne se permettent de se mêler de vos chasses, à moins que vous ne les y autorisiez formellement, ce qui doit être le plus rarement possible.
Je charge le Sous-Inspecteur de faire connaître aux gardes votre permission, ce qui vous dispensera d’en faire l’exhibition.
Agréez l’assurance de la considération distinguée avec laquelle j’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Signé : ESTANCELIN.
Lettre de Monsieur de Germiny :
Jeudi, 12 septembre 1823.
Me permettez-vous, Monsieur, de vous faire savoir : que j’ai le projet de chasser quelques sangliers qui sont dans la forêt de Saint-Saëns. Monsieur de la Coudre sera informé, vendredi soir, du lieu où résident les animaux et du jour où nous pourrons les attaquer. J’espère que vos chiens seront de la partie et j’espère encore plus que vous voudrez bien ne pas me faire perdre cette occasion de faire votre connaissance.
J’ai l’honneur de vous saluer.
LE VICOMTE CH. DE GERMINY.
Lettre de Monsieur du Parc à Monsieur de Sarcus :
Wambet, 9 février 1823.
MONSIEUR,
Je vous offre de vous donner un ou deux couples de mes chiens. Vous voyez que c’est beau de ma part ! Je ne vous les vends pas, mais comme une honnêteté en provoque une autre, vous me donnerez, en échange de mon procédé, deux cents francs par couple et le vin du piqueux, ainsi que cela se pratique, etc...
Signé : CHEVALIER DU PARC.
Lettre du Comte de Sarcus à Monsieur Jules d’Ernemont :
Illois, 23 octobre 1823.
MONSIEUR,