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Un lotissement comme tous les autres. Sauf que quatre familles respectant toutes les particularités de leurs modèles y habitent. Cet espace favorisant les liens et les intrications entre les personnages. Ce qui causera nécessairement quelques tensions et quelques "faits divers". Mais, nous sommes comme dans un polar à l'envers. C'est à dire qu'on nous donne tous les éléments explicatifs avant que n'éclate le problème. On découvre à la lecture ce et ceux qui y amènent.
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Seitenzahl: 145
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Introduction
De l'urbanisme et du logement
Une famille modèle
La fille
Le garçon
La liste mobilier
Un autre modèle de famille
Une famille CSP moins
DÉCO
Une famille écolo
Un couple âgé
Un intérieur vieillot
La rencontre
Lettres d'amour
Faits divers 1
Faits divers 2
Faits divers 3
Lettre aux enfants
Faits divers 4
Épilogue
La zone commerciale est là, le parking accueille ses voitures. Il y a de la place. À intervalles réguliers on voit les garages à chariots. Il en reste sagement encastrés, tous ne sont pas utilisés. On voit aussi la station service sur le chemin de la sortie.
D'une voiture descendent deux personnes âgées. Madame a des difficultés pour sortir du véhicule, elle est aidée par son mari. Il lui tient le bras afin de faciliter ses déplacements. Il lui donne un chariot, cela lui permettra de marcher plus sûrement, si ce n'est plus correctement, pendant qu'il le tiendra pour la guider à travers les rayons. À pas mesurés ils se retrouvent à l'entrée du magasin. Elle ne le remarque pas mais lui voit un couple avec ses deux enfants en discussion avec la responsable de l'accueil. Il la reconnaît, c'est elle. Il fait un peu de bruit pour attirer son attention, elle se retourne, elle croise son regard. Celui-ci est indifférent, elle retourne à sa discussion. Il est un peu frustré. Ce peut-il qu'elle n'ai pas compris ? Il faudra que je sois plus convaincant la prochaine fois pensa-t-il.
La fille du couple tapote le coude de sa mère. Elle veut lui rappeler sa promesse de les emmener goûter au King Mac Fried Burger. Son frère, capuche sur la tête, mains dans les poches, scrute les alentours, il espère qu'il soit là. Il y a de grande chance, ils n'ont pas encore l'âge de fréquenter les bars. Le KMcFB est quasiment leur seul point de rendez-vous à l'abri des intempéries, mais pas des regards et des rumeurs. Les parents ont eu leur renseignement. Maman prend sa fille par la main et papa tape sur l'épaule de son fils pour le faire réagir. Il traîne un peu des pieds, il ne semble pas vraiment satisfait d'aller dans ce fast-food, il râle un peu. Mais son cœur bat, tiraillé par des sentiments contraires.
Le couple âgé croise dans les rayons un jeune couple de leur connaissance. Madame qui pousse le chariot reconnaît très bien la jeune femme. Elle est ravie de la voir ici dans d'autres circonstances. Après ces petits bavardages d'usages, la conversation ne peut pas s'éterniser. Petits chocs de chariots, excuses crispées, il ne faut pas bloquer l'accès aux produits bio. Rien de grave, ils savent qu 'ils vont nécessairement se revoir très bientôt. Ils ne le savent pas encore mais ils se retrouveront à la caisse pour assister à une scène assez désagréable, heureusement pas coutumière.
En s'approchant du KMcFB, la petite famille entend de plus en plus distinctement un son inhabituel pour cet endroit. Une musique assez forte vient d'une table bien précise et de ses occupants bien connus dans la communauté. Ils n'ont pas la discrétion, ni tout à fait le même genre (c'est une litote) de ceux qui entrent ici habituellement, même si tout le monde y est accueilli comme il vient, sans souci.
Attablé, un couple et ses deux enfants. Une enceinte connectée crache sa musique, ce streaming a tout pour ravager les oreilles les moins mélomanes. Ce n'est pas l'heure d'un repas mais ils mangent un hamburger avec des frites, on voit aussi le gobelet d'une glace attendant d'être avalée. Leurs rires sont aussi gras qu 'eux. Lorsque le garçon voit l'autre qui entre, il est directement interpellé, à la limite de la grossièreté. Nouveau rire de ses parents et gène des arrivants qui vont se faire discrets derrière le panneau de commandes. Bientôt les bruyants partiront quand il ne restera sur la table que les reliefs de ce repas, ils n'ont pas la décence de desservir en mettant les rebuts à la poubelle. Ce lieu retrouvera sa quiétude, ils pourront passer ce petit moment familial tranquille. Ils entendront quand même quelques lointains éclats de voix et verront la course d'un vigile pressé.
Le couple de personne âgées ainsi que le jeune couple se retrouvent à deux caisses d'intervalles, ils échangent des sourires mais des bruits accaparent leur attention. Ils se retournent vers la caisse centrale où, on ne sait pas pourquoi, une famille fait un raffuts de tous les diables. D'où ils sont ils ne comprennent pas les motifs de la dispute mais elle a l'air sévère car un vigile intervient pour calmer tout le monde. Il y arrive tant bien que mal, des jurons l'accompagnent jusqu'à la sortie. Le calme revenu signe la fin de l'histoire.
Nous venons de faire la connaissance de quatre familles, très sensiblement différentes les unes des autres. Qui sont-elles ? Que font-elles ? Pourquoi sont-elles ici ? Quelle est leur histoire ?
Nous allons voir ça.
La distinction classique entre habitat aggloméré et habitat dispersé est un outil commode des géographes pour qualifier les campagnes maillées d’exploitations où résident les gens et les villages où ils habitent les uns à côté des autres, laissant aux rares villes la concentration autour des formes du pouvoir. Affaire de climat ? Affaire de cultures ? Mais l’évolution, inéluctablement, a brouillé cette simplicité première. Depuis que les hommes ont eu la nécessité de construire et d'habiter dans autre chose que des villages, il a existé un habitat fortement concentré, extrêmement aggloméré, sinon la place aurait manqué. On est même passé parfois de l’habitat individuel à l’habitat collectif faisant référence aux théories et pratiques socialistes…
En revanche, la configuration de ces habitats a bien changé depuis le début de l'ère industrielle, avec le commencement de l'exode rural et les progrès dans les matériaux de construction. Ces derniers ont permis, grâce à leurs nouveautés, de verticaliser à outrance les logements. Les campagnes se vidaient de leurs occupants, la mécanisation rendant les petites exploitations non rentables. À titre d'exemple, au début du XXème siècle, la moyenne des exploitations dans le département du Gers était de cinq hectares. Maintenant, elles font au minimum entre cent et cent cinquante hectares. On ne fera pas le calcul mais à l'échelle du pays, le nombre de ruraux qui arrivaient en ville était considérable. Celles-ci grandissaient et il fallait trouver un moyen de loger toute cette population qui devait devenir une main d’œuvre. Les taudis insalubres et les bidonvilles ont été très progressivement remplacés, même s'il en reste encore.
Les progrès ont permis un changement de qualité dans les logements. L'eau, le gaz, l'électricité, le tout-à-l'égout, le béton, les ascenseurs. Le progrès technique favorise l’ascension sociale ainsi que le pouvoir d'achat. On est locataire pour, un jour, espérer devenir propriétaire. On est dans l'ère moderne, on ne veut plus habiter dans ces logements vétustes du centre-ville, sans confort. Il faut être moderne. On est une masse qui s'amasse dans ces tours et ces barres aux appartements identiques. Ici pas de disparité. Il ne faut pas se tromper d'étage et être sûr de bien mettre son nom sur la porte, avoir le bon numéro. Gare au visiteur distrait qui n'aura pas bien écouté les indications, il aura toutes les chances de se perdre.
Il fallait construire vite, donc rationaliser les plans (reproductibles à l'infini), les méthodes et les matériaux. Pour une économie de main d’œuvre aussi. La seule différence était la dimension de l'appartement, trois, quatre, cinq pièces, séjour, cuisine, salle de bain. On l'a dit : c'était rationnel, pratique, mais cela manquait un peu de courage architectural. Les idées de Le Corbusier n'ont pas souvent été reprises, les promoteurs et leurs serviteurs politiques ont toujours été avares en beauté architecturale.
Parce que l'habitat avait bien changé en peu de temps. La ruralité et l'urbanité avaient maintenant des géographies bien différentes. On parlait même de « rurbanité » avec leurs habitants, les « rurbains » : habitants la campagne mais travaillant en ville et n'ayant aucun rapport avec le monde agricole si ce n'est que le lotissement a été construit sur un ancien champ par la grâce du Plan d'Occupation des Sols, du Plan Local d'Urbanisme et des rapports plus ou moins bons que les agriculteurs entretenaient avec les administrations de tutelle.
Les villes et les villages ont ceci de fantastique : ils fabriquent autour du centre historique, en concentration de plus en plus lointaines, les marques des époques qui les ont composés. À part bien sûr si du vieux a été détruit pour construire du neuf (pour l'époque) par-dessus. Une ville comme Marseille par exemple, a cela d'extraordinaire qu'il ne faut pas creuser dans un certain périmètre à partir du centre historique au risque de trouver des vestiges encore inconnus. Ce qui fut fait à maintes reprises. Au grand dam des gestionnaires municipaux et autres promoteurs mais au ravissement des archéologues et des musées qu'ils purent créer autour de ces trouvailles.
Il y a de nos jours une géographie commune à pratiquement toutes les villes et les bourgades de France. Les grandes métropoles n'échappent à la règle que par le jeu des quartiers. Pour bien s'en apercevoir une expérience est nécessaire. Il faut choisir une ville inconnue, sur la route des vacances par exemple, et y entrer en voiture par la route principale, celle qui sort de la bretelle d'autoroute, ouest, ou nord.
Je ne pense pas que l'on soit dépaysé, sauf par le nom des lieux. Tout le reste sera identique quelle que soit la ville où vous vous trouvez ! Vous traverserez une zone commerciale, avec quelquefois des entreprises de services ou artisanales un peu importantes.
Dans ces lieux, l'architecture est qualifiée de parallélépipédique, rien ne dépasse, pas de fantaisie, de la rentabilité. Tous les magasins sont bâtis de la même façon avec les mêmes matériaux, un composé isolant sur une structure métallique. La seule différence sera l'habillage, la couleur, le décor, le dessin de l'enseigne. Que l'on reconnaîtra aussi, elles sont partout nationalement identiques, internationalement pour certaines, imposant une mode faisant fi des caractères régionaux. Certains passéistes le regrettent. Pour ma part je n'y vois qu'un des effets de plus de l'uniformisation des pratiques de consommation. On sait où on se trouve, on peut déménager, changer de région, à part le climat, on ne sera pas perdu. Ici il y a tout pour vous, tout pour satisfaire vos besoins, vos envies, pourvu que vous ayez une voiture. C'est propre. On peut même y manger, on sait aussi qu'on y trouvera les mêmes tables, les mêmes menus, tous pareils ici ou ailleurs. Mais surtout, ho ! Oui ! Surtout, de quoi garer cette sacrée voiture sans difficulté. Être sûr de trouver une place même en cas d'affluence, de promotions, de soldes. Marcher un peu n'est pas grave, on sait qu'on aura accès quoi qu'il en soit au magasin ou au restaurant. C'est l'adage « no parking, no business » qui est appliqué ici avec un certain brio.
Aux alentours de cette architecture grignotée sur les champs apparaissent les derniers lotissements, les moins chers avec leurs plans faits au tampon. Le terrain minimum qui permet juste de mettre le nez dehors. Fichées là, dans ce qu'il reste de disponible à coté du barbecue, la balançoire et le trampoline pour les gosses, la piscine gonflable pour l'été. Les plus petits feront du tricycle ou de la trottinette, les ados traîneront leur mal-être dans l'abribus. Les familles sont en plein dans leur monde, tout est à portée de voiture.
Une fois la zone commerciale dépassée, on arrive à la zone pavillonnaire des années 50 et 60, celle du boum économique. Ils sont à la retraite aujourd'hui et leur environnement a bien changé. Les maisons à étages (on vit au premier, pas au sous-sol, pas au garage) sont passées de luxueuses à dépassées, surannées, des passoires thermiques. Les modes architecturales changent elles aussi. Ces maisons ont aussi accompagné la construction de ces barres d'habitations, sommet de la modernité de l'époque. La population augmente, il faut rapidement lui proposer quelque chose d'efficace, la population ne proposera rien, de toute façon on ne le lui demande pas, elle ne sait pas ce qui est bon pour elle. Puis on rentre dans le centre ancien, celui représenté par les symboles de la Troisième République et ses bâtiments administratifs majestueux, mairie, préfecture, voire sous-préfecture, entremêlés de bâtiments à étages à usage d'habitation, sauf le rez-de-chaussée réservé au commerces. Et là on est au centre-ville, avec un peu de chance dans un parking souterrain, à voir là aussi les mêmes enseignes de magasins qu'ailleurs ainsi que les mêmes terrasses de bars et de restaurants.
Le départ se fera pour aller récupérer l'autoroute, entrée-sortie est, ou sud. Le même spectacle se fera voir mais dans un sens inverse.
Au début, comme tout le monde, nos familles étaient des familles d'appartement, cela dès le mariage ou la vie commune. Mais les promotions dans le travail, l'envie, le besoin formaté d'image ou de reconnaissance ont décidé que ce serait une maison individuelle, « faire construire » dans un lotissement. Un idéal de vie, comme le « lotissement Grand Siècle » autour de Paris. « (Il) a été le grand rêve urbanistique de la seconde moitié du XXème siècle. Le rêve d'une maison à soi, où reconstituer une vie qui rassemblerait tous les traits d'une Arcadie à la fois familiale et communautaire, fondée sur l'égalité et la propriété. Aujourd'hui (il) est devenu le repoussoir absolu – le lieu d'une vie où ne régnerait plus qu'ennui, vide et mauvais goût », nous dit Fanny Taillandier1.
De plus, l'intimité n'y a pas la place qu'elle occupait anciennement. La cellule familiale était composée de toutes les générations, du moins les survivantes, plus la pièce rapportée, l'épouse du fils de la famille, dans cet espace défini par les murs d'une pièce unique. Quelquefois étaient ajoutées des chambres. Il n'y a que de nos jours que l'on pourrait voir plus de quatre générations vivre sous le même toit, l'espérance de vie ayant très sensiblement augmentée durant le XXème siècle. Il n'était pas envisageable que cet état de fait, cet agrégat familial, soit différent, il en était ainsi. Par tradition mais aussi par économie. Mais il y avait un gros revers, la préservation de l'intimité justement. Certains passéistes regrettent que les familles soient disloquées. Mais si les jeunes couples préfèrent leur « chez soi », il y a certainement une bonne raison, et même plusieurs. La cellule familiale polynucléaire a explosé en différentes mono-cellules.
De nos jours cette intimité est sacralisée. Les espaces privés sont délimités et distribués par un couloir à partir de l'espace commun, pour ainsi dire public, du salon. Ces lieux que l'on aime montrer à tout nouveau visiteur, montrant par la même notre fierté d'habitant.
« Le logement […] est le lieu des projections de soi et l’instance où se définit son rapport à soi et son rapport au monde. Or l’habitat fait office de refuge dans tous les sens du terme, pas seulement pour avoir un toit au-dessus de la tête... Rechercher un logement, c’est avant tout rechercher un espace protégé où l’individu peut s’autoriser à habiter en intimité avec lui-même, pour se construire et s’épanouir comme il le désire », où l'intimité est perçue comme « la capacité à se sentir chez soi, à créer une relation particulière entre un lieu et une identité ». On assiste à un « repli domestique (qui) caractérise une évolution particulière des modes de vie, résultat de l’échec des idéologies collectives, de l’importance croissante accordée à l’histoire personnelle, de l’augmentation du temps passé chez soi et de l’accroissement des possibilités d’amélioration des équipements domestiques. Elle considère le logement comme un petit nid, un cocon qui favorise l’épanouissement personnel et apporte des émotions positives ».2 Le logement mono-familial est une conquête de la modernité.
Parce que le pavillon, la maison individuelle urbaine et péri-urbaine est une invention récente. Les pauvres, les classes laborieuses, s'entassaient dans des logements où régnait la plus grande promiscuité. Les bourgeois, et petits-bourgeois, s'ils avaient un domicile en ville se faisaient construire à quelques heures de cheval une villa, un pavillon en meulières, ou une bastide dans le midi. L'architecture n'a commencé à considérer la maison individuelle qu'à partir de l'entre deux guerres mondiales. Les familles très aisées, par leur nouveau moyen de locomotion automobile, pouvaient facilement habiter et investir dans des quartiers qui leur ressemblaient. Après la seconde guerre mondiale, les Trente Glorieuses ont permis aux classes simplement aisées d'accéder au statut de Catégorie Socio-professionnelle supérieure en faisant construire leur pavillon, leur maison individuelle, pour sortir de ces barres de logement.
Nos familles « modèles » dans ce supermarché suivent ce sacré modèle. Il leur faudra un pavillon, pour toutes ces raisons conscientes ou inconscientes.
1 « Les états et empires du lotissement grand siècle » PUF.
2 Fabrice Larceneux et Hervé Parent « marketing de l'immobilier »
Selon votre niveau de langage ce sera une sacrée, une satanée, une fichue ou une putain de famille modèle. Celle des magazines et de la publicité : papa, maman, deux enfants, un garçon, grand et une fille plus jeune. Tous minces, sans embonpoint. Ils sont parfaits. Is doivent respirer la santé et la joie de vivre.