Une histoire des temps à venir - Herbert George Wells - E-Book

Une histoire des temps à venir E-Book

Herbert George Wells

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Beschreibung

Une histoire des temps à venir raconte l'exil volontaire d'un couple d'amoureux du 22ème siècle de la cité moderne où il habite. Elizabteth Mwres, passionnée des choses d'antan, est amoureuse de Denton. Mais son père veut la marier à tout prix à un très bon ami à lui - Bindon, petit homme tout simple de la commission d'éclairage.

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Une histoire des temps à venir

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Herbert George Wells

Une histoire des temps à venir

1

La cure d’amour

L’excellent Mr. Morris était un Anglais qui vivait au temps de la bonne reine Victoria. C’était un homme prospère et fort sensé ; il lisait le Times et allait à l’église. Vers l’âge mûr, une expression de dédain tranquille et satisfait pour tout ce qui n’était pas comme lui se fixa sur son visage. Il était de ces gens qui font avec une inévitable régularité tout ce qui est bien, correct et raisonnable. Toujours il portait des habits corrects et convenables, juste milieu entre l’élégant et le mesquin. Il contribuait régulièrement aux œuvres charitables de bon ton, compromis judicieux entre l’ostentation et la lésinerie, et ne manquait jamais de se faire couper les cheveux à la longueur exactement convenable.

Tout ce qu’il était correct et convenable de posséder pour un homme dans sa position, il le possédait. Et tout ce qu’il n’était ni correct ni convenable de posséder pour un homme dans sa position il ne le possédait pas.

Parmi ces possessions correctes et convenables, ce Mr. Morris avait une femme et des enfants. Naturellement, il avait une femme du genre convenable et il avait des enfants de genre et en nombre convenables ; rien de fantaisiste et d’étourdi chez aucun d’eux, autant que Mr. Morris pouvait le voir. Ils portaient des vêtements parfaitement corrects, ni élégants, ni hygiéniques, ni élimés mais juste selon les convenances. Ils vivaient dans une jolie et décente maison d’architecture victorienne, faux style reine Anne, avec, dans les pignons, de faux chevrons en plâtre peint couleur chocolat, de faux panneaux de chêne sculpté en Lincrusta Walton, une terrasse en terre cuite qui imitait la pierre et de faux vitraux à la porte d’entrée. Ses garçons allèrent à de bonnes et solides écoles et embrassèrent de respectables professions ; ses filles, en dépit d’une ou deux velléités fantaisistes, furent mariées à des partis sortables, rangés, vieillots et « ayant des espérances ». Et quand ce fut pour lui une chose convenable et opportune Mr. Morris mourut. Son tombeau fut de marbre, sans inscriptions laudatives ni fadaises artistiques, tranquillement imposant, telle étant la mode en ce temps-là.

Il subit divers changements, suivant la coutume en pareil cas, et, longtemps avant que cette histoire commence, ses os mêmes étaient réduits en poussière et éparpillés aux quatre coins du ciel. Ses fils, ses petits-fils, ses arrière-petits-fils et les fils de ces derniers n’étaient plus, eux aussi, que poussière et cendre et avaient été pareillement éparpillés. C’était une chose qu’il n’aurait pu s’imaginer qu’un jour viendrait où même les fils de ses arrière-petits-fils seraient éparpillés aux quatre vents du ciel. Si quelqu’un avait émis cette idée devant lui, il en aurait été gravement offusqué. Il était de ces dignes personnes qui ne prennent aucun intérêt dans l’avenir de l’humanité. À vrai dire, il avait de sérieux doutes quant à un avenir quelconque pour l’humanité, après qu’il serait mort.

Il lui paraissait tout à fait impossible et absolument dénué d’intérêt d’imaginer qu’il y aurait quelque chose après qu’il serait mort. Cependant, il en était ainsi et quand les fils même des fils de ses arrière-petits-fils furent morts, pourris et oubliés, quand la maison aux fausses poutres eut subi le sort de toutes les choses factices, quand le Times ne parut plus, quand le chapeau haut de forme fut devenu une antiquité ridicule et que la pierre tumulaire, modeste et imposante, qui avait été consacrée à Mr. Morris eut été brûlée pour faire de la chaux et du mortier, et quand tout ce que Mr. Morris avait jugé important et réel fut desséché et mort, le monde existait encore et des gens l’habitaient, tout aussi insouciants et impatients que Mr. Morris l’avait été, de l’avenir ou plutôt de tout ce qui n’était pas leur propre personne et leur propriété.

Chose étrange à confirmer, et qui eût mis Mr. Morris fort en colère si quelqu’un le lui avait prédit, par tout le monde était éparse une multitude de gens respirant la vie et dans les veines desquels coulait le sang de Mr. Morris ; de même que, un jour à venir, la vie qui est maintenant concentrée dans le lecteur de la présente histoire pourra être aussi répandue en tous les coins de ce monde et mélangée à des milliers de races étrangères au-delà de toute pensée et de toute trace.

Parmi les descendants de ce Mr. Morris, il en était un aussi sensé et d’esprit aussi net que son ancêtre. Il avait exactement la même charpente solide et courte de l’ancien homme du XIXe siècle, duquel il portait encore le nom de Morris – qu’il orthographiait Mwres ; il avait la même expression de visage à demi dédaigneuse. C’était aussi un personnage prospère pour l’époque, plein d’aversion pour le « nouveau » et pour toutes les questions concernant l’avenir et l’amélioration des classes inférieures comme l’avait été son ancêtre Mr. Morris. Il ne lisait pas le Times – à vrai dire il ignorait qu’il y eût jamais eu un Times –, cette institution ayant sombré quelque part dans les gouffres des années intervenues. Mais le phonographe qui lui parlait pendant qu’il faisait sa toilette, le matin, reproduisait la voix de quelque Blowitz réincarné se mêlant des affaires du monde. Cette machine phonographique avait les dimensions et la forme d’une horloge hollandaise et, sur le devant, portait des indicateurs barométriques à électricité, une pendule et un calendrier électriques, un mémento automatique pour les rendez-vous et à la place du cadran béait le pavillon d’une trompette. Quand elle avait des nouvelles, la trompette glougloutait comme un dindon : galloup, galloup, après quoi elle braillait son message, comme une trompette peut brailler. Pendant qu’il s’habillait, elle racontait à Mwres, avec des tons pleins, riches et gutturaux, les accidents de la veille survenus aux omnibus volants qui couraient autour du globe, les dernières arrivées dans les villes d’eaux à la mode récemment fondées au Tibet, les réunions des grandes compagnies à monopoles tenues la veille. Si ce qu’elle disait ennuyait Mwres, il n’avait qu’à toucher un bouton et la machine, après une légère suffocation, parlait d’autre chose.

Naturellement sa toilette différait grandement de celle de son ancêtre. Il est douteux de dire lequel aurait été le plus choqué et le plus en peine de se trouver dans les vêtements de l’autre. Mwres aurait certainement préféré aller tout nu devant le chapeau de soie, la redingote, les pantalons gris perle et la chaîne de montre qui, dans le passé, avaient rempli Mr. Morris d’un sombre respect pour lui-même. Pour Mwres l’ennui de se raser n’existait plus ; un habile opérateur avait depuis longtemps fait disparaître jusqu’au dernier poil de sa figure. Ses jambes étaient enfermées dans un agréable vêtement de nuance rose et ambre et tissé avec une matière imperméable à l’air qu’il gonflait avec une ingénieuse petite pompe de façon à suggérer l’idée de muscles énormes. Par-dessus cela, il portait aussi des vêtements pneumatiques recouverts d’une tunique de soie couleur d’ambre, de sorte qu’il était vêtu d’air et admirablement protégé contre les changements soudains de température. Il jetait par là-dessus un manteau écarlate à la lisière fantastiquement découpée. Sur sa tête, qui avait été habilement dépouillée de ses moindres cheveux, il ajustait une jolie petite cape d’écarlate vif maintenue par inspiration, gonflée d’hydrogène et ressemblant curieusement à la crête d’un coq. Sa toilette était ainsi complète, et, conscient d’être vêtu sobrement et avec bienséance, il était prêt à affronter, d’un œil tranquille, ses contemporains.

Ce Mwres – la civilité du « Mr. » avait disparu depuis des âges – était un des fonctionnaires du Syndicat des Machines à Vent et des Chutes d’eau, grande compagnie qui possédait les roues à vent et les chutes d’eau du monde, qui détenait toute l’eau et fournissait la force électrique dont les gens avaient besoin en ces jours lointains. Il occupait dans un vaste hôtel, près de cette partie de Londres qui s’appelle la Septième Voie, des appartements vastes et confortables situés au dix-septième étage. Les maisons privées et la vie de famille avaient depuis longtemps disparu avec le raffinement progressif des mœurs et, à vrai dire, la constante hausse des rentes et de la valeur des terrains, la disparition nécessaire des domestiques, la complication de la cuisine avaient rendu impossible le domicile particulier du XIXe siècle, même pour celui qui aurait désiré une aussi sauvage réclusion.

Quand sa toilette fut terminée, Mwres se dirigea vers l’une des deux portes de la pièce – il y avait des portes à chaque bout indiquées par deux énormes flèches se dirigeant chacune dans un sens –, il toucha un bouton pour l’ouvrir et sortit dans un large passage dont le centre, garni de sièges, se dirigeait à une allure régulière vers la gauche. Sur certains de ces sièges étaient assis des hommes et des femmes vêtus d’une façon pimpante. Il salua d’un signe de tête une connaissance qui passait – en ces jours-là il était d’étiquette de ne pas causer avant le déjeuner –, prit place lui-même sur un de ces sièges et fut en quelques secondes transporté à l’entrée d’un ascenseur par lequel il descendit à la grande et splendide salle dans laquelle était automatiquement servi le petit déjeuner.

C’était un repas très différent du petit déjeuner qu’on servait au XIXe siècle. Les rudes masses de pain qu’il fallait tailler et enduire de gras animal afin qu’elles pussent être agréables au goût, les fragments encore reconnaissables d’animaux récemment tués, hideusement carbonisés et déchiquetés, les œufs arrachés sans pitié à quelque poule indignée, tous ces aliments qui constituaient l’ordinaire menu du XIXe siècle auraient soulevé l’horreur et le dégoût dans l’esprit raffiné des gens de cette lointaine époque. Au lieu de cela, ils avaient des pâtes et des gâteaux de dessins agréables et variés qui ne rappelaient en rien la couleur ni la forme des infortunés animaux qui en fournissaient la substance et le suc. Ils paraissaient sur de petits plats qui glissaient, au long d’un rail, hors d’une petite boîte placée sur l’un des côtés de la table. La surface sur laquelle on mangeait, à en juger d’après l’œil et le toucher, aurait paru à un humain du XIXe siècle recouverte de fine lingerie blanche et damassée. C’était en réalité une surface de métal oxydé qui pouvait être instantanément nettoyée après chaque repas. Il y avait des centaines de ces petites tables dans la salle et devant la plupart étaient assis, seuls ou par groupes, des citoyens de ce temps-là. Au moment où Mwres s’installait devant son élégant repas, un orchestre invisible, qui s’était arrêté un instant, se remit à jouer et emplit l’air de musique.

Mais Mwres ne sembla guère s’intéresser à son repas ni à la musique ; ses regards erraient incessamment à travers la salle, comme s’il attendait un hôte en retard. Enfin il se leva précipitamment, fit un signe et, simultanément, apparut à l’autre bout de la salle une forme haute et sombre vêtue d’un costume jaune et vert olive. À mesure qu’approchait cette personne marchant à pas mesurés entre les tables, l’expression volontaire de son visage pâle et l’extraordinaire intensité de ses yeux devenaient distinctes. Mwres s’assit en indiquant un siège à côté de lui.

– Je craignais que vous ne puissiez venir, dit-il.

Malgré l’espace de temps écoulé, la langue qu’il parlait était encore presque exactement la même que celle employée au XIXe siècle. L’invention du phonographe et d’autres moyens pareils de fixer le son ainsi que le remplacement progressif des livres par des instruments de ce genre n’avaient pas seulement arrêté l’affaiblissement de la vue humaine, mais avait aussi, en établissant des règles sûres, enrayé les changements graduels d’accent qui, jusqu’ici, avaient été inévitables.

– J’ai été retenu par un cas intéressant, dit l’homme au vêtement vert et jaune. Un politicien important – hein ? – qui souffrait de surmenage. Il y a quarante heures que je suis éveillé.

Il jeta un coup d’œil sur le déjeuner et s’assit.

– Eh ! mon cher, dit Mwres, vous autres hypnotistes, vous ne manquez pas d’ouvrage.

L’hypnotiste se servit une gelée couleur d’ambre et fort appétissante.

– Il se trouve que je suis fort recherché, dit-il modestement.

– Qui sait ce que nous serions sans vous ?

– Oh ! nous ne sommes pas si indispensables que cela, dit l’hypnotiste ruminant la saveur de sa gelée. Le monde s’est fort bien passé de nous pendant quelques milliers d’années. Il y a seulement deux cents ans, pas un hypnotiste ! c’est-à-dire en pratique. Des médecins par milliers, certes – pour la plupart terriblement maladroits et s’imitant les uns les autres comme des moutons –, mais des médecins de l’esprit pas un, à part quelques barboteurs empiriques.

Il concentra son esprit sur la gelée.

– Mais est-ce que les gens étaient si sains que... ? commença Mwres.

L’hypnotiste secoua la tête.

– Peu importait qu’ils fussent idiots et détraqués ; la vie était si commode alors : pas de compétitions dignes de ce nom – pas d’oppression. Il fallait qu’un être humain fût joliment déséquilibré avant qu’on s’occupât de lui. Alors, vous savez, on le fourrait dans ce qu’on appelait un asile d’aliénés.

– Je sais, dit Mwres, dans ces maudits romans historiques, que tout le monde écoute, on délivre toujours une belle jeune fille enfermée dans un asile ou quelque endroit de ce genre. Je me demande si vous vous intéressez à ces sottises.

– Je dois avouer que oui, dit l’hypnotiste, cela vous change un peu de se reporter dans ces jours bizarres, aventureux et à demi civilisés du XIXe siècle, quand les hommes étaient hardis et les femmes simples. J’aime par-dessus tout une belle histoire de tranche-montagnes. C’était une époque bien curieuse avec ses locomotives haletantes, ses wagons salissants, ses drôles de petites maisons et ses véhicules à chevaux. Je suppose que vous ne lisez pas de livres ?

– Pour sûr que non ! dit Mwres, j’ai été dans une école moderne et je n’y ai rien appris de ces niaiseries surannées. Les phonographes me suffisent.

– Naturellement ! dit l’hypnotiste, et il jeta un coup d’œil sur la table pour choisir un nouveau mets. En ce temps-là, dit-il, se servant une mixture d’un bleu sombre à l’aspect appétissant, en ce temps-là on ne pensait guère à notre science. Je crois bien même que si on avait dit qu’avant deux cents ans toute une classe d’hommes seraient exclusivement occupés à imprimer des choses sur la mémoire, à effacer les idées désagréables, à contrôler et à mater les impulsions instinctives mais fâcheuses, au moyen de l’hypnotisme, ils auraient refusé d’y croire. Peu de gens savaient qu’un ordre donné dans le sommeil hypnotique, même un ordre d’oublier ou de désirer, pouvait être formulé de façon à être obéi après le sommeil. Pourtant il y avait alors des gens qui auraient pu affirmer que la chose était aussi certaine de se produire que le passage de Vénus.

– Ils connaissaient l’hypnotisme, en ce temps-là ?

– Oh oui, certes ! Ils s’en servaient... pour extraire les dents sans douleur et autres usages de ce genre !... Cette mixture bleue est fichtrement bonne ! Qu’est-ce donc ?

– Je n’en ai pas la moindre idée, dit Mwres, mais j’avoue que c’est excellent. Prenez-en d’autre.

L’hypnotiste répéta ses éloges et une pause appréciative s’ensuivit.

– À propos de ces romans historiques, dit Mwres, en essayant de paraître à l’aise, je voudrais en venir... euh !... à la chose que... euh !... j’avais... dans l’esprit... quand je vous ai demandé... quand j’ai exprimé le désir de vous voir.

Il s’arrêta et respira bruyamment. L’hypnotiste tourna vers lui son œil attentif, et continua de manger.

– Le fait est, dit Mwres, que j’ai une... en fait une... une fille !... Eh bien, vous savez que je lui ai donné... euh... tous les avantages de l’éducation. Des cours – non par un professeur capable et unique, mais elle a eu un téléphone direct pour la danse, le maintien, la conversation, la philosophie, la critique d’art...

Il indiqua d’un geste une culture universelle.

– J’avais l’intention de la marier à un très bon ami à moi – Bindon – de la Commission d’éclairage – un petit homme tout simple, vous savez, et pas toujours très agréable de manières, mais un bon garçon réellement... un excellent garçon.

– Bien, continuez, dit l’hypnotiste. Quel âge a-t-elle ?

– Dix-huit ans.

– Un âge dangereux. Eh bien ?

– Eh bien ! il semble qu’elle se soit laissé... influencer par ces romans historiques... d’une façon excessive... oui, d’une façon excessive. Jusqu’à négliger même sa philosophie. Elle s’est rempli l’esprit d’insipides niaiseries à propos de soldats qui se battent... je ne sais quoi... des Étrusques ?

– Des Égyptiens.

– Des Égyptiens, très probablement. Ils taillent et frappent sans cesse avec des épées, des revolvers et des choses... du sang partout... horrible !... et aussi des jeunes gens sur des torpilleurs qui sautent... des Espagnols, je suppose... et toutes sortes d’aventuriers. Elle s’est mis dans la tête de se marier par amour et le pauvre petit Bindon...

– J’ai vu des cas semblables, dit l’hypnotiste. Qui est l’autre jeune homme ?

Mwres conserva une apparence de calme résigné.

– Vous pouvez bien le demander – et il baissa la voix comme honteux –, c’est un simple employé de la plate-forme sur laquelle descendent les machines volantes qui viennent de Paris. Il a bonne mine, comme on dit dans les romans... tout jeune et très excentrique. Il affecte l’antique... sait lire et écrire !... elle aussi... et au lieu de communiquer par le téléphone, comme font tous les gens sensés, ils s’écrivent et échangent des... quoi donc ?

– Des billets ?

– Non, pas des billets... Ah !... des poèmes !

L’hypnotiste leva des yeux surpris.

– Comment l’a-t-elle rencontré ?

– Elle a trébuché en descendant de la machine volante de Paris et elle est tombée dans ses bras. Le mal fut fait en un instant.

– Vraiment ?

– Oui, c’est tout. Il faut y mettre bon ordre. C’est pour cela que j’ai voulu vous consulter. Que faut-il faire ? Que peut-on faire ? Je ne suis pas hypnotiste. Ma science ne va pas loin, mais vous !...

– L’hypnotisme n’est pas de la magie, dit l’homme habillé de vert, en posant les coudes sur la table.

– Oh ! précisément... mais encore...

– On ne peut hypnotiser les gens sans leur consentement. Si elle est capable de résister à votre projet de mariage avec Bindon, elle tiendra bon probablement pour ne pas se laisser hypnotiser. Mais si une fois elle est hypnotisée, même par quelqu’un d’autre, la chose est faite.

– Vous pourriez... ?

– Oh certainement ! une fois que nous la tenons, nous lui suggérons qu’il faut qu’elle épouse Bindon, que c’est là son destin, ou bien que le jeune homme en question est répugnant, que, quand elle le verra, elle devra avoir la nausée et le vertige, ou quelque petite chose de ce genre... ou si nous pouvons la plonger dans un sommeil suffisamment profond lui suggérer qu’elle l’oublie tout à fait.

– Précisément.

– Mais la question est de l’hypnotiser. Naturellement, aucune proposition ou séduction de ce genre ne doit venir de vous parce que, sans aucun doute, elle doit se méfier à ce sujet.

L’hypnotiste posa la tête dans ses mains et réfléchit.

– Il est dur pour un homme de ne pouvoir disposer de sa fille, dit Mwres assez mal à propos.

– Il faut que vous me donniez le nom et l’adresse de la jeune fille, dit l’hypnotiste, avec tous les détails concernant la chose, et, entre parenthèses, y a-t-il quelque argent dans l’affaire ?

Mwres hésita.

– Il y a une somme... en fait une somme considérable... placée à la Société des Routes Brevetées. La fortune de sa mère. C’est ce qui rend la chose si exaspérante.

– Parfaitement, dit l’hypnotiste.

Et il se mit à questionner Mwres. L’interrogatoire fut long.

Pendant ce temps, Elizebeθ Mwres, comme elle orthographiait son nom, ou Élisabeth Morris, comme une personne du XIXe siècle l’aurait écrit, était assise dans une tranquille salle d’attente sous la grande plate-forme où descendait la machine volante de Paris. À côté d’elle était son amoureux, svelte et joli, lui lisant le poème qu’il avait écrit ce matin-là, pendant qu’il était de service sur la plate-forme. Quand la lecture fut achevée, ils restèrent un instant silencieux, puis, comme si c’eût été pour leur divertissement spécial, apparut dans le ciel la grande machine qui arrivait d’Amérique à toute allure.

D’abord ce fut une petite chose oblongue, indistincte et bleue dans la distance, entre les nuages floconneux, puis elle grandit rapidement, plus vaste et plus blanche, jusqu’à ce qu’ils en pussent voir les rangées de voiles séparées, large chacune de centaines de pieds, et le cadre grêle qu’elles supportaient, et enfin même les sièges mobiles des passagers comme des lignes pointillées. Bien que la machine descendît, elle leur semblait grimper dans le ciel, et, sur l’étendue des toits de la cité, au-dessous, son ombre bondissait vers eux. Ils entendirent le sifflement de l’air et les appels de la sirène, stridents et vibrants, pour avertir de son arrivée les gens de la plate-forme d’atterrissage. Brusquement, la note tomba d’une couple d’octaves et la machine disparut ; le ciel était clair et vide et la jeune fille put reporter ses regards sur Denton, assis à côté d’elle.