Une voix venue du Sud - Anna J. Cooper - E-Book

Une voix venue du Sud E-Book

Anna J. Cooper

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Figure majeure mais encore trop méconnue de la pensée féministe afro-américaine, Anna J. Cooper propose dans Une voix du Sud un texte fondateur qui articule brillamment questions de race, de genre, d'éducation et de justice sociale. Publié en 1892, ce livre résonne d'une manière saisissante aujourd'hui : il éclaire les héritages intellectuels des femmes noires aux États-Unis et dévoile une pensée d'une modernité impressionnante, posant les bases de ce que l'on nommera plus tard l'intersectionnalité. Cette première traduction française permet enfin de rendre accessible au lectorat francophone un classique essentiel des études féministes et afro-diasporiques. Avec une langue précise, politique et visionnaire, Cooper analyse les inégalités systémiques et appelle à une transformation profonde des institutions sociales. Sa voix, longtemps marginalisée, s'impose comme un repère incontournable pour éclairer l'histoire des luttes, des savoirs et des résistances dans les Amériques.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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UNE VOIX VENUE DU SUD

ANNA J. COOPER

© 2025 par Yekri

Tous droits réservés.

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À L’Évêque Benjamin William Arnett,

Avec un profond respect pour son dévouement héroïque à Dieu et à la Race,

tant dans l’Église que dans l’État, — et avec une estime sincère pour son engagement désintéressé en faveur de la cause de la Femme Noire et de toute cause humaine qui manque de Voix et a besoin d’un Défenseur,

cette première expression de mon cœur et de ma plume,

Lui est affectueusement dédiée.

« Avec regret

J’oublie

Si la chanson vit encore,

Mais je me souviens, vaguement à présent,

Qu’elle était sincère, en tout cas. »

NOTE DU TRADUCTEUR

Le terme « Negro » utilisé dans le texte original du XIXe siècle est traduit ici par « Noir » ou « personne noire » pour respecter à la fois la terminologie historique et la sensibilité contemporaine. Dans certains cas, un commentaire explicatif en note de bas de page permet de contextualiser certains termes ou références historiques.

NOTRE RAISON D’ÊTRE

Dans le fracas et le tumulte de notre Conflit américain, on a dit que le Sud demeure silencieux. Comme le Sphinx, il inspire de vives disputes, mais lui­-même prend peu part à la bruyante controverse. Une note ­étouffée dans ce Sud Silencieux, un accord dissonant et une cadence vague et incomprise a été, et demeure encore, le Noir. Et de cet accord assourdi, la seule note muette et sans voix a été la Femme Noire tristement en attente,

Un enfant qui pleure dans la nuit,

Un enfant qui pleure pour la lumière ;

Et sans autre langage — qu’un cri.

L’héritage et le lot du Noir restent encore aujourd’hui la sombre énigme, l’impasse déroutante de la nation — le squelette muet dans le placard, provoquant d’incessantes diatribes, certes, mais rarement compris et peu souvent consulté. Avocats de l’accusation et avocats de la défense, avec une gaucherie maladroite, ont analysé et disséqué, théorisé et synthétisé, avec une ignorance sublime ou une méprise pathétique du conseil du client noir. Un témoin essentiel n’a pas encore été entendu. Le résumé des preuves et l’instruction au jury ont été faits — mais aucun mot de la Femme Noire.

C’est parce que je crois que le peuple américain est sincèrement engagé à offrir un procès équitable et des preuves non altérées, et parce que je pense qu’il est essentiel, pour parvenir à une parfaite compréhension et à un verdict juste, que la vérité soit présentée sous toutes ses perspectives, que cette petite Voix a été ajoutée au chœur déjà bien rempli. « L’autre côté » n’a pas été représenté par quelqu’un qui « y vit ». Et rares sont ceux qui peuvent plus sensiblement ressentir et plus fidèlement exprimer le poids et l’oppression de cette « longue douleur sourde » que la Femme Noire d’Amérique, lucide mais jusque­-là sans voix.

L’agitation fébrile, l’énergie ardente, l’objectivité affairée de la vie plus tumultueuse de nos hommes servent peut­-être à obscurcir ou à teinter quelque peu leur vision, et en même temps à soulager la douleur et à l’engourdir pour eux. Leur voix, par conséquent, n’est pas toujours tempérée et calme, ni entièrement correcte et salutaire. En tout cas, de même que nos avocats caucasiens ne peuvent être blâmés s’ils ne parviennent pas tout à fait à se mettre à la place de l’homme noir, l’homme noir ne devrait pas non plus être entièrement tenu de reproduire avec exactitude la Voix de la Femme Noire.

Extrêmement sensible aux conditions atmosphériques sociales, son calorimètre mérite d’être étudié dans l’intérêt de l’exactitude et de l’équité pour diagnostiquer ce qui est souvent reconnu comme un cas « déconcertant ». Si ces paroles fragmentées peuvent, d’une manière ou d’une autre, contribuer à une vision plus claire et à un ressenti plus juste du Problème de notre Nation, alors cette Voix d’une Femme Noire du Sud n’aura pas été élevée en vain.

Tawawa Chimney Corner ;

17 septembre 1892.

PREMIÈRE PARTIE

SOPRANO OBLIGATO

CHAPITRE 1

LA FÉMINITÉ : UN ÉLÉMENT VITAL DANS LA RÉGÉNÉRATION ET LE PROGRÈS D’UNE RACE

La civilisation moderne a peut­-être tiré son idéal noble et ennoblissant de la femme de deux sources principales : le christianisme et le système féodal.

Dans les pays orientaux, la femme a été uniformément reléguée à une vie d’ignorance, d’infamie et de stagnation complète. Le soulier chinois d’aujourd’hui ne déforme, ne contraint et ne détruit pas plus entièrement ses capacités physiques que ne l’ont fait, depuis des âges immémoriaux, les coutumes, les lois et les instincts sociaux qui ont régi notre sœur de l’Est, affaiblissant et flétrissant sa vie intellectuelle et morale.

Mahomet n’a accordé aucune place à la femme dans son système politique. Le Coran, qui, contrairement à notre Bible, est un produit et non une croissance, a tenté de répondre aux besoins de la civilisation arabe tels que Mahomet, avec ses pouvoirs limités, les percevait. L’Arabe était un nomade. Pour lui, la maison signifiait l’endroit où il campait à ce moment­-là. La divinité qui, selon nos idéaux occidentaux, crée et sanctifie le foyer, n’était pour lui qu’un bibelot éphémère avec lequel on jouait tant qu’il procurait du plaisir, avant d’être abandonné pour un autre. Comme être humain, comme âme individuelle capable d’une croissance infinie et d’un développement illimité, et destinée à façonner la civilisation future d’une manière incalculable, Mahomet ne connaissait pas la femme. Il n’y avait ni au­-delà ni paradis pour elle. Le ciel du musulman n’est peuplé et illuminé ni par l’épouse défunte, ni par la sœur, ni par la mère, mais par les houris, créatures sorties de l’imagination de Mahomet, à la fois dotées des qualités éthérées des anges et imprégnées de tous les vices et de la vacuité des femmes orientales. Le harem ici­-bas, et — « poussière redevenue poussière » dans l’au­-delà, telle était l’espérance, l’inspiration, le summum bonum de la vie de la femme orientale. Quels en ont été les résultats sur la vie d’une nation ? L’« indicible Turc », le « malade de l’Europe moderne » en est aujourd’hui un exemple.

Un certain écrivain a dit : « La vie privée du Turc est la plus vile des viles, stagnante, sans ambition, inconcevablement basse. » Et pourtant, la Turquie n’a pas été dépourvue de grands hommes. Elle a produit des esprits brillants, des hommes rompus aux subtilités de la diplomatie et du gouvernement, des intellects capables de se confronter aux problèmes profonds de l’empire et de manœuvrer les forces invisibles qui font échec aux rois. Mais ces esprits n’étaient pas l’expression normale d’un tronc sain. Ils ressemblaient plutôt à des excroissances éphémères qui surgissent avec toute la vigueur et la promesse apparente de branches solides, mais qui, hélas, tombent rapidement en déclin et en laideur, faute de racines saines, faute d’une sève vivifiante qui imprègne, fortifie et perpétue l’ensemble. Il y a un ver au cœur ! La vie domestique est impure ! Et lorsque l’on cherche le fruit, il s’effrite dans la main comme les pommes de Sodome, se réduisant en poussière et en cendres.

Il est agréable de se détourner de cette civilisation épuisée et immobile pour se tourner vers une société encore fraîche et vigoureuse, qui porte en elle ses propres germes et dont le nom même est synonyme de progrès, d’élévation et d’inspiration : le bourgeon européen et la fleur américaine de la civilisation moderne.

Et permettez­-moi de préciser que notre satisfaction à l’égard des institutions américaines ne repose pas sur les fruits que nous en goûtons actuellement, mais sur les possibilités et les promesses inhérentes à ce système, bien que celles­-ci restent peut­-être encore lointaines.

« Le bonheur, » dit Madame de Staël, « ne réside pas dans les ­perfections atteintes, mais dans le sentiment du progrès, fruit de nos propres efforts soutenus par des circonstances favorables, vers un but qui ne cesse de reculer, de s’élargir et de s’approfondir jusqu’à se perdre dans l’Infini. » Ces conditions, à l’état embryonnaire, sont tout ce que nous revendiquons pour le pays de l’Ouest. Nous n’avons pas encore atteint notre idéal de civilisation américaine. Les pessimistes affirment même que nous ne marchons pas dans cette direction. Mais il ne fait aucun doute que l’Amérique est l’arène où se jouera le prochain triomphe de la civilisation ; et ici, nous trouvons des promesses abondantes et des possibilités infinies.

Voyons maintenant sur quoi repose cette espérance pour notre pays, d’abord et avant tout. Peut­-on douter qu’elle repose principalement sur la vie domestique et sur l’influence des femmes dans ces foyers ? Macaulay affirme : « On peut juger du rang d’une nation dans l’échelle de la civilisation à la manière dont elle traite ses femmes. » Emerson ajoute : « J’ai pensé qu’une mesure suffisante de la civilisation était l’influence des femmes de bien. »

Or, ce respect élevé pour la femme, ce germe d’une idée féconde qui porte aujourd’hui des fruits si riches et variés, a été greffé dans la civilisation européenne par deux voies : l’Église chrétienne et le système féodal. Car, bien que le système féodal ne puisse en aucun cas être considéré comme l’origine de cette idée, il ne fait aucun doute que les modes de vie et de pensée qu’il a engendrés ont largement contribué à la favoriser et à la développer ; en effet, ils ont donné naissance à la chevalerie, institution qui a sans doute davantage magnifié et élevé la position de la femme dans la société que toute autre.

Tacite s’attarde sur la tendre considération que ces rudes barbares avaient pour la femme avant de quitter leurs foyers nordiques pour envahir l’Europe. Les anciennes légendes nordiques et les poèmes primitifs respirent également cet esprit d’amour du foyer et de vénération pour l’influence pure et noble qui y régnait — l’épouse, la sœur, la mère.

Et plus tard, lorsque nous voyons la vie sédentaire du Moyen Âge « suinter », comme l’exprime M. Guizot, de l’existence de pillage et de rapine du barbarisme pour se cristalliser dans le système féodal, le tigre du champ est une fois de plus ramené dans le cercle enchanté des déesses de son château, et son imagination tisse autour d’elles un halo dont le reflet n’a peut­-être pas encore totalement disparu.

Il est vrai que l’esprit du christianisme n’avait pas encore apposé le sceau de la catholicité sur ce sentiment. La chevalerie, selon Bascom, n’était qu’un adoucissement et un raffinement d’une époque rude et sans loi. Elle donnait une lueur rosée à une dure journée d’hiver. Ceux qui regardaient depuis les fenêtres des châteaux se délectaient de ses « teintes d’améthyste ». Mais les pauvres de Dieu, les faibles, les disgraciés, les êtres ordinaires continuaient à geler et à mourir de faim dans une solitude impitoyable et sans secours.

Le respect pour la femme, cette chevalerie tant louée du Moyen Âge, signifiait ce que je crains qu’elle ne signifie encore pour certains hommes de notre époque — le respect pour une élite restreinte avec laquelle ils espéraient fréquenter.

L’idée d’une amélioration radicale de la condition féminine, la vénération de la femme en tant que femme, indépendamment de son rang, de sa richesse ou de sa culture, devait venir de cette source riche et généreuse d’où jaillissent toutes nos idées libérales et universelles — l’Évangile de Jésus Christ.

Et pourtant, l’Église chrétienne à l’époque dont nous parlons semblait faire encore moins pour protéger et élever la femme que le peu accompli par la société laïque. L’Église, en tant qu’organisation, a commis une double offense contre la femme au Moyen Âge. En faisant du mariage un sacrement tout en insistant sur le célibat du clergé et des autres ordres religieux, elle donnait à la relation matrimoniale un caractère inférieur, sinon impur, particulièrement apte à discréditer la femme. Si seulement cela était tout, ou le pire ! Mais l’Église, par la licence de ses serviteurs choisis, envahissait le foyer et établissait trop souvent, sous forme de liaisons vicieuses, ces relations qu’elle interdisait d’assumer ouvertement et en toute bonne foi.

« Ainsi, » pour reprendre les mots de notre source, « le corps religieux devint aussi nombreux, aussi intrusif et aussi impur que les grenouilles d’Égypte, qui pénétrèrent partout, dans les fours et les pétrins, laissant derrière elles leur immonde traînée partout où elles allaient. » Chaucer, avec sa satire caractéristique, parlant des Frères, déclare :

« Les femmes peuvent maintenant aller en toute sécurité

Dans chaque buisson et sous chaque arbre, Il n’y a plus d’autre incube que lui,

Et il ne leur fera aucun déshonneur. »

Henry, évêque de Liège, pouvait sans honte se vanter d’avoir engendré vingt­-deux enfants en quatorze ans.

Il peut nous être utile, face aux perplexités qui nous assaillent aujourd’hui dans « l’unique Église catholique et apostolique », de nous remémorer certaines des corruptions et incohérences contre lesquelles l’Épouse du Christ a dû lutter au cours de son histoire. Et malgré ces épreuves, elle a su préserver, à travers bien des vicissitudes, la foi transmise aux saints. Individus, organisations, voire des pans entiers de l’Église militante peuvent outrager le Christ qu’ils professent, piétiner sans vergogne l’esprit et la lettre de ses préceptes, et pourtant, tant que nous n’entendrons pas les voix dire ouvertement : « Partons d’ici », nous continuerons à croire et à nous accrocher à la promesse : « Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. »

« Pourtant, les saints veillent,

Le cri s’élève : « Jusqu’à quand ? » Et bientôt la nuit des pleurs Sera le matin du chant. »

Aussi accablants que puissent être les faits d’une époque donnée, je ne doute pas que la source du principe vital du développement et de l’amélioration de la condition féminine soit l’Église chrétienne, dans la mesure où cette Église coïncide avec le christianisme.

Le Christ a donné des idéaux, non des formules. L’Évangile est une semence nécessitant des millénaires pour croître et parvenir à maturité. Il a besoin, et en même temps contribue à façonner, un sol enrichi par la civilisation, perfectionné par la culture et la clairvoyance, sans lequel l’embryon ne peut ni se développer ni être compris. Avec tout le progrès accompli par notre civilisation du premier au dix­-neuvième siècle, nous ne pouvons nous vanter d’aucune idée, d’aucun principe d’action, d’aucune force sociale progressive qui n’ait déjà été implicitement annoncée ou directement prescrite dans ce récit simple d’une vie humble et douce. Le visage serein du Nazaréen apparaît toujours un peu en avant, jamais trop loin pour ne pas descendre et toucher la vie des plus démunis aux jours les plus sombres, mais toujours conduisant plus loin, toujours plus loin, les pas hésitants de notre civilisation si orgueilleuse et pourtant si fragile.

En établissant pour la femme le même code moral, le même standard de pureté que pour l’homme ; en refusant de cautionner les monstres sans vergogne qui se réjouissaient de sa chute ; en se penchant gracieusement, dans toute la majesté de sa propre pureté, pour effacer la souillure de son passé coupable et lui dire d’aller en paix et de ne plus pécher ; et encore, dans les moments où lui­-même était accablé et fatigué, se détournant des rebuffades et des moqueries cruelles, de la malignité des foules et des prélats dans les marchés poussiéreux de Jérusalem, pour trouver un soutien affectueux et une amitié inébranlable dans ce paisible foyer de Béthanie ; et enfin, par son dernier geste avant de mourir, confiant à son disciple bienaimé la protection et la tendresse dues à sa mère en deuil et, à travers elle, à toutes les femmes ; — tout au long de sa vie et dans sa mort, il a donné aux hommes une règle et un guide pour considérer la femme comme une égale, une aide, une amie, un être sacré à protéger et à chérir avec l’amour et la compassion d’un frère. Et pourtant, dix­-neuf siècles de progrès colossaux en connaissance, en arts et sciences, en principes sociaux et éthiques n’ont pas encore épuisé ou sondé toute la profondeur de ces leçons.

On peut donc affirmer, sans exagération, que l’influence vivifiante, régénératrice et progressive de la femme sur la civilisation d’aujourd’hui, bien que pressentie chez les peuples germaniques à l’aube lointaine de leur histoire sous une forme étroite et chétive, doit sa véritable universalité, sa force, l’enracinement profond de ses racines et l’ampleur de ses branches au christianisme.

L’union de ces deux forces, la barbare et la chrétienne, ne tarda pas après la chute de l’Empire. L’Église, qui s’effondra avec Rome, se trouvant en danger d’être absorbée par le barbarisme, entreprit immédiatement, avec sa vigueur et sa fécondité caractéristiques, la tâche de conquérir ses conquérants. Les moyens employés témoignent de son sens aigu de l’analyse et de son adaptabilité, ainsi que de sa diplomatie profonde, infaillible et omniprésente. Ils nous font encore aujourd’hui nous interroger : une force humaine peut­-elle réellement résister avec succès, en dernier ressort, à ses desseins clairvoyants et à sa brillante politique ? Peut­-on contester sa légitime prétention au titre de catholique ?

Elle vit le barbare, à peine plus développé qu’une bête sauvage. Elle s’abstint d’antagoniser et de mystifier sa nature guerrière par un éclat total des principes humanisants et perçants de son Grand Chef. Elle dit peu de choses sur la règle « Si ton frère te frappe sur une joue, tourne­-lui aussi l’autre » ; mais estima suffisant, pour les besoins de l’époque, d’établir la soi­-disant « Trêve de Dieu » selon laquelle les hommes étaient tenus de s’abstenir de s’entretuer pendant trois jours chaque semaine et lors des fêtes de l’Église. En d’autres termes, elle respecta leur individualité : la non­-résistance pure et simple étant pour eux une impossibilité totale, elle se contenta de mesures moins radicales destinées à mener finalement à la pleine mesure de la bienveillance du Christ.

Ensuite, elle profita de l’amour sensuel du barbare pour les ornements voyants et se vêtit de tous ses magnifiques habits. Elle ne pouvait pas le capturer par la force physique, elle le séduirait par de somptueux spectacles. Il est dit que le romanisme gagna plus en pompe et en rituel durant cette période difficile du Moyen Âge que durant toute son histoire antérieure.

Le résultat fut qu’elle réussit. Une fois de plus, Rome posa sa main ambitieuse sur le pouvoir temporel et, alliée à Charlemagne, aspira à gouverner le monde par une civilisation dominée par le christianisme et imprégnée des traditions et instincts de ces robustes barbares.

Voici la confluence des deux courants que nous avons suivis, qui, maintenant unis, s’étendent devant nous comme un large et majestueux fleuve. En ce qui concerne la femme, c’était la rencontre de deux forces nobles et ennoblissantes, deux idées apparentées dont le résultat, nous n’en doutons pas, est destiné à être une force puissante pour l’amélioration du monde.

Maintenant, après notre appel à l’histoire, en comparant les nations dépourvues de cette force et donc aussi privées du principe du progrès, avec d’autres nations parmi lesquelles l’influence de la femme est ­évidente, associée à une civilisation vive, progressiste et satisfaisante, — si de plus nous trouvons que cette forte présomption est corroborée par la raison et l’expérience, nous pouvons conclure que ces deux concomitants également variables sont liés comme cause et effet ; en d’autres termes, que la position de la femme dans la société détermine les éléments vitaux de sa régénération et de son progrès.

Maintenant que cela est évident a priori, tous doivent l’admettre. Et ce n’est pas parce que la femme est meilleure ou plus forte ou plus sage que l’homme, mais en raison de la nature de la chose, parce que c’est elle qui doit d’abord former l’homme en dirigeant les premiers impulsions de son caractère.

Byron et Wordsworth étaient tous deux des génies et auraient marqué la pensée de leur époque dans toutes les circonstances ; et pourtant, nous trouvons l’un comme un parfum de vie vers la vie, l’autre comme un parfum de mort vers la mort. « Byron, tel un feu d’artifice, s’éleva avec mépris et répulsion, flambant dans des excès sauvages, explosifs et brillants avant de disparaître dans l’obscurité devenue encore plus palpable. »

Wordsworth prêta ses dons pour renforcer cette « puissance dans l’Univers qui œuvre pour la justice » en prenant la harpe qui lui fut tendue du ciel et en l’utilisant pour faire résonner les airs des chœurs angéliques. Deux locomotives également puissantes se font face sur des voies opposées ; l’une se précipite tête baissée vers la destruction avec toute sa précieuse cargaison, l’autre s’efforce majestueusement et glorieusement de grimper les pentes escarpées vers le Ciel et Dieu. Qui — qui peut dire quel monde de conséquences pendait à la première mise en place et au démarrage de ces forces énormes !

Femme, Mère, — ta responsabilité est telle qu’elle pourrait faire trembler les anges et les faire hésiter à prendre les rênes ! La prendre à la légère, l’ignorer ou en abuser, c’est traiter avec légèreté la confiance la plus sacrée et solennelle jamais confiée par Dieu à l’humanité. L’éducation des enfants est une tâche sur laquelle dépend une infinité de bien ou de mal. Qui ne la convoite pas ? Pourtant, qui ne se tient pas émerveillé devant ses enjeux décisifs ! Il semble que ce ne soit pas une grande question pour moi, si cette jolie jeune fille dont tu es si fier et heureux, peut entrer dans le salon gai et bondé avec l’élégance de telle ou telle demoiselle française ou anglaise, comparée à la décision de savoir si son individualité va renforcer les bons ou les mauvais éléments du monde. La dentelle et les diamants, la danse et le théâtre, prennent un nouveau sens lorsqu’ils sont scrutés à la lumière de ces enjeux. Leur influence sur la personnalité individuelle, et à travers elle sur la société et la civilisation qu’elle vivifie et inspire — tout cela et plus encore doit être pesé avant que le jury ne rende un verdict juste et intelligent sur l’innocence ou le caractère nuisible de ces amusements apparemment simples.

Maintenant, étant donné que l’influence de la femme sur la société est reconnue, quels sont ses effets pratiques sur le travail qui a réuni cette conférence de clercs et de laïcs de couleur à Washington ? « Nous ne venons pas ici pour parler. » La vie est trop occupée, trop pregnante de sens et de conséquences de grande portée pour vous permettre de venir jusqu’ici pour un simple divertissement intellectuel. L’agence vitale de la féminité dans la régénération et le progrès d’une race, en tant que question générale, est admise presque avant même d’être clairement énoncée. Je confesse que l’une des difficultés pour moi dans le sujet attribué résidait dans son évidence. La requête est éliminée par l’avocat adverse en accordant toute la question.

« L’influence de la femme sur le progrès social » — qui dans la chrétienté en doute ou la remet en question ? Il serait tout aussi pertinent de prouver que le soleil est la source de la lumière, de la chaleur et de l’énergie pour ce monde aux multiples facettes.

D’autre part, il n’a pas été envisagé que je devrais appliquer la position, une fois prise et prouvée, aux besoins et aux responsabilités des femmes de notre race dans le Sud. Car n’est­-il pas écrit : « Maudit soit celui qui vient après le roi ? » et le roi n’a­-t­-il pas déjà précédé dans « La Femme Noire du Sud » ? Elles ont eu à la fois Moïse et les Prophètes en Dr Crummell, et si elles ne l’écoutent pas, elles ne seraient pas plus persuadées si quelqu’un venait du Sud.

Je demanderais cependant, avec la permission du Docteur, d’ajouter mon appel pour les filles de couleur du Sud : cette grande, brillante, prometteuse et fatalement belle classe qui se tient frissonnante, comme une plante délicate avant la fureur des éléments orageux, pleine de promesses et de possibilités, mais si sûre de la destruction ; souvent sans un père auquel elles osent appliquer le terme affectueux, souvent sans un frère plus fort pour défendre leur cause et leur honneur de son sang, au milieu des pièges et des embûches, accablées par les classes inférieures des hommes blancs, sans abri, sans protection plus proche que le grand ciel bleu au­-dessus, qui dissimule à moitié et révèle à moitié le seul Gardien qu’elles connaissent si peu. Oh, sauvez­-les, aidez­-les, protégez­-les, formez­­-les, développez­-les, enseignez­-leur, inspirez­-les ! Arracher­-les, au nom de Dieu, comme des brandons du feu ! Il y a en elles un matériel digne de votre attention, l’espoir en germes d’une féminité robuste, utile, régénératrice, sur laquelle repose, en premier lieu, les pierres angulaires de notre avenir en tant que race.

Il est absurde de citer des statistiques montrant le compte bancaire et les rôles de loyers des Noirs, de pointer les centaines de journaux édités par des hommes de couleur et les listes d’avocats, de médecins, de professeurs, de D.D., de LL.D., etc., etc., etc., tandis que la source d’où doit couler le sang vital de la race est sujette à la souillure et à la corruption dans le camp de l’ennemi.

Le véritable progrès ne se fait jamais par spasmes. Le vrai progrès est la croissance. Il doit commencer dans la graine. Ensuite, « d’abord l’épi, puis la tige, après cela le grain dans l’épi. » Il y a quelque chose pour nous encourager et nous inspirer dans l’avancement des individus depuis leur émancipation de l’esclavage. Cela prouve au moins qu’il n’y a rien d’irrémédiablement mauvais dans la forme du crâne du Noir, et que, dans des circonstances données, son développement, vers le bas ou vers le haut, sera similaire à celui d’autres êtres humains moyens.

Mais il n’y a pas de temps à perdre dans de simples félicitations. Que le Noir ait sa place dans les fins infinies de l’Éternel, personne qui ait étudié l’histoire des cinquante dernières années en Amérique ne le niera. Que beaucoup dépend de sa propre compréhension de sa responsabilité et de sa capacité à répondre aux exigences du moment, il serait bon pour lui de le voir ; et comment utiliser au mieux son présent afin que la structure de l’avenir soit plus forte, plus haute, plus lumineuse, plus noble et plus sainte que celle du passé, est une question à résoudre chaque jour par chacun d’entre nous.

La race est à seulement vingt et un ans de la conception et de l’expérience d’un bien meuble, juste à l’âge de la virilité bien rouge. Il est bien de faire une pause pour la rétrospection, l’introspection et la prospection. Nous regardons en arrière, non pas pour nous gonfler de vanité à cause des profondeurs d’où nous sommes sortis, mais pour que nous puissions apprendre la sagesse de l’expérience. Nous regardons à l’intérieur pour que nous puissions rassembler à nouveau nos forces et, par des méthodes améliorées et plus pratiques, nous consacrer aux tâches qui nous attendent. Nous regardons en avant avec espoir et confiance que le même Dieu dont la main guide a mené nos pères à travers et hors de l’amertume et de la douleur de l’oppression, continuera à mener et à diriger leurs enfants, pour l’honneur de Son nom et pour leur salut ultime.

Mais cette revue des échecs ou des réalisations du passé, des difficultés et des embarras du présent, ainsi que des espoirs et des peurs mêlés pour l’avenir, ne doit pas dégénérer en simple rêve ni consommer le temps qui appartient à la gestion pratique et efficace des questions cruciales du moment ; et il n’y a pas de question plus vitale et plus importante que celle de la féminité de la race.

Voici le point vulnérable, non dans le talon, mais au cœur du jeune Achille ; et c’est ici que les défenses doivent être renforcées et la ­vigilance doublée.

Nous sommes les héritiers d’un passé qui n’a pas été façonné par nos pères. « Chaque homme est l’arbitre de son propre destin » n’était pas vrai pour le Noir américain du passé : et ce n’est pas de sa faute s’il se trouve aujourd’hui héritier d’une virilité et d’une féminité appauvries et avilies par plus de deux siècles de compression et de dégradation.

Mais les faiblesses et les malformations, qui aujourd’hui sont attribuables à un mauvais maître d’école et à un système pernicieux, seront dans un siècle considérées comme des preuves de corruption innée et d’incurabilité radicale.

Maintenant, l’agence fondamentale sous Dieu dans la régénération, la reformation de la race, ainsi que la base et le point de départ de son progrès vers le haut, doit être la femme noire.

Avec toutes les injustices et négligences de son passé, avec toute la faiblesse, la dégradation, l’asservissement moral de son présent, la femme noire d’aujourd’hui reste muette et se demande à propos de la tâche ­herculéenne qui lui incombe. Mais les cycles attendent d’elle. Aucune autre main ne peut déplacer le levier. Elle doit être libérée de ses chaînes et mise au travail.

Nos résultats maigres et superficiels des efforts passés prouvent leur futilité ; et chaque tentative d’élever le Noir, qu’elle soit entreprise par lui­-même ou par la philanthropie d’autrui, ne peut que se révéler avortée à moins qu’elle ne soit orientée de manière à utiliser l’agence indispensable d’une féminité élevée et formée.

Une race ne peut pas être purifiée de l’extérieur. Les prédicateurs et les enseignants sont des aides, des stimulants et des conditions aussi nécessaires que la pluie et la lumière du soleil le sont pour la croissance des plantes. Mais que sont la pluie, la rosée, la lumière du soleil et les nuages s’il n’y a pas de vie dans le germe de la plante ? Nous devons nous attaquer à la racine et veiller à ce qu’elle soit saine, vigoureuse et forte ; et ne pas nous laisser tromper par des fleurs de cire et des feuilles peintes de chlorophylle factice.

Nous confondons trop souvent l’honneur des individus avec le ­développement de la race et sommes ainsi prêts à substituer de jolies réalisations à un bon sens et un but sincère.

Un ruisseau ne peut pas s’élever plus haut que sa source. L’atmosphère des foyers n’est pas plus rare, pure et douce que ne le sont les mères dans ces foyers. Une race n’est que la somme des familles. La nation est l’agrégat de ses foyers. Comme le tout est la somme de toutes ses parties, ainsi le caractère des parties déterminera les caractéristiques du tout. Ce sont des axiomes évidents au point qu’il semble inutile de les rappeler ; et pourtant, à moins que je ne sois grandement trompé, la plupart des insatisfactions de nos résultats passés proviennent précisément d’une erreur radicale et palpable, presque aussi bien de notre part que de celle de nos bienveillants amis blancs. Le Noir est constitutionnellement optimiste et proverbialement irrépressible ; et se trouve naturellement en danger d’être ébloui par l’éclat et le clinquant des superficialités. Nous confondons souvent le feuillage avec le fruit et surestimons ou estimons à tort les résultats brillants.

Le regretté Martin R. Delany, qui était un homme entièrement noir, disait, lorsqu’on lui offrait des honneurs d’État, que lorsqu’il entrait dans le conseil des rois, la race noire entrait avec lui ; ce qui signifie, je suppose, qu’il n’y avait pas de doute sur son identité raciale et que ses réalisations ne pouvaient pas être attribuées à un mélange de sang saxon. Mais notre bilan actuel d’hommes éminents, mis en regard de la situation réelle de la race en Amérique aujourd’hui, prouve qu’aucun homme ne peut ­représenter la race. Quels que soient les accomplissements de ­l’individu, à moins que son foyer n’avance parallèlement, il ne pourra jamais être considéré comme identique ou représentatif de l’ensemble.

Ce n’est pas en pointant vers les cimes des montagnes baignées de soleil que nous prouvons que Phébus réchauffe les vallées. Nous devons pointer vers les foyers, les foyers moyens, les foyers des hommes et des femmes du commun, travailleurs de la terre du Sud (là où se trouvent les masses), éclairés et encouragés par le bien, le beau et le vrai ; alors, et alors seulement, tout le plateau sera élevé dans la lumière du soleil.

Seule la femme noire peut dire « quand et où j’entre, dans la dignité tranquille et incontestée de ma féminité, sans violence ni recours à la ­protection spéciale, alors et là toute la race noire entre avec moi. » N’est­-il pas évident alors que, en tant que travailleurs individuels pour cette race, nous devons nous adresser à cette facette de notre mission avec un zèle entier et sans demi­-mesure ? Le besoin est ressenti et doit être reconnu par tous. Il y a un appel aux travailleurs, aux missionnaires, aux hommes et aux femmes avec la double consécration d’un amour fondamental de l’humanité et d’un désir de l’améliorer à travers l’Évangile ; mais, en plus de cela, nous demandons une compréhension intelligente et sympathique des intérêts et des besoins particuliers des Noirs.

Je ne vois pas pourquoi il ne devrait pas y avoir un effort organisé pour la protection et l’élévation de nos filles, comme la Ligue de la Croix Blanche en Angleterre. Les femmes anglaises sont renforcées et protégées par plus de douze siècles d’influences chrétiennes, de liberté et de civilisation ; les filles anglaises ne sont pas abattues et écrasées par un préjugé nivelant comme celui du spiritueux esprit de caste en Amérique, qui suppose cyniquement « qu’une femme noire ne peut pas être une dame. » La féminité anglaise n’est pas assiégée par des pièges et des embûches comme celles qui trahissent la jeune fille noire non protégée et non formée du Sud, dont le seul crime et la destruction souvent fatale sont sa beauté inconsciente et merveilleuse. Assurément, si l’indignation anglaise est soulevée et que la virilité anglaise est émue sous la direction d’un évêque de l’Église anglaise pour construire des remparts autour de leurs sœurs lésées, le sentiment noir ne peut pas rester insensible et l’effort noir sans vigueur face au danger imminent des mères de la prochaine génération. «Je suis le gardien de ma sœur !» devrait être la réponse enthousiaste de chaque homme et femme de la race, et cette conviction devrait purifier et élever les visées étroites, égoïstes et mesquines de la vie personnelle en un but noble et sacré.

Nous avons besoin d’hommes qui puissent étendre leur intérêt et leur galanterie au­-delà du cercle de leur appréciation esthétique ; des hommes qui puissent être un père, un frère, un ami pour chaque fille faible, luttant et sans protection. Nous avons besoin de femmes qui soient si sûres de leur propre position sociale qu’elles n’aient pas peur de se pencher pour tendre la main à une sœur tombée ou en chute. Nous avons besoin d’hommes et de femmes qui ne gaspillent pas leur génie à couper les cheveux en quatre sur des distinctions aristocratiques et qui remercient Dieu de ne pas être comme les autres ; mais des âmes sincères et désintéressées, capables d’aller dans les chemins et les ruelles, élevant et guidant, conseillant et encourageant avec la bienveillance véritablement catholique de ­l’Évangile du Christ.

En tant que travailleurs d’Église, nous devons admettre que notre ­chemin de devoir est moins évident ; ou plutôt que notre capacité à adapter notre appareil à notre conception des exigences particulières de ce travail, tel qu’il est enseigné par l’expérience et notre propre conscience des besoins des Noirs, n’est pas encore démontrable. La flexibilité et l’agressivité ne sont pas des caractéristiques aussi fortes de l’Église aujourd’hui qu’au Moyen Âge.

En tant que champ missionnaire pour l’Église, le Noir du Sud ­présente, sous certains aspects, un potentiel prometteur; sous d’autres, il est ­déroutant. Ni étranger dans la langue et les coutumes, ni dans les ­associations et les sympathies, naturellement doté d’instincts religieux profondément enracinés et répondant avec facilité et bienveillance au culte et aux enseignements de l’Église, il est évident que la tâche de convertir le Noir américain est infiniment moins redoutable que celle à laquelle l’Église a dû faire face avec les barbares d’Europe. De plus, ce peuple voit déjà l’Église comme l’espoir de sa race. Les hommes de couleur réfléchis admettent presque unanimement que l’Église épiscopale protestante, avec sa dignité tranquille et chaste, sa solennité décente, son rituel instructif et élevé, ses chants lumineux et ses hymnes joyeux, est particulièrement bien placée pour corriger les défauts particuliers du culte — l’exubérance excessive et souvent ridicule de la démonstration de leur peuple. Pourtant, étrange à dire, l’Église, se disant missionnaire et catholique, affirmant que le schisme est un péché et que le dénominationnalisme est inexcusé, n’a fait en toutes ces années presque aucune percée dans cette religion semi­-civilisée.

Les récoltes de ce champ trop mûr des missions locales ont été récoltées par les méthodistes, les baptistes, et non moins par les congrégationalistes, qui étaient inconnus des affranchis avant leur émancipation.

Notre clergé compte moins de deux douzaines de prêtres d’origine noire et nous avons à peine plus d’une congrégation de couleur autogérée dans tout le Sud. Tandis que l’organisation connue sous le nom d’Église A. M. E. compte 14 063 ministres, itinérants et locaux, 4 069 églises autogérées, 4 275 écoles du dimanche, avec des propriétés d’une valeur de 7 772 284 $, et récolte chaque année pour ses besoins ecclésiastiques 1 427 000 $.