Valserine - Marguerite Audoux - E-Book

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Marguerite Audoux

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Un recueil de nouvelles du Marguerite Audoux

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Marguerite Audoux

VALSERINE

Copyright

First published in 1912

Copyright © 2020 Classica Libris

Valserine

Chapitre I

Depuis que le jour était levé, Valserine restait appuyée à la fenêtre, comme les matins où elle attendait le retour de son père. Elle savait bien qu’il ne viendrait pas ce matin-là ; mais elle ne pouvait s’empêcher de regarder le petit sentier, par où il arrivait en se courbant, quand il apportait ses paquets de marchandises, passées en contrebande.

Elle avait tant pleuré la veille, et aussi toute la nuit, qu’elle ne pouvait pas retenir les gros sursauts, se terminant par une toute petite plainte, que sa poitrine laissait maintenant échapper. Elle détourna brusquement les yeux du petit sentier, en entendant le pas d’un cheval, sur le rude chemin qui montait de la route à la maison.

Elle se pencha avec inquiétude à la fenêtre, pour mieux écouter, et quand elle se fut bien assurée que le bruit se rapprochait, elle alla pousser le verrou de la porte et revint fermer tout doucement la fenêtre ; puis, elle attendit toute tremblante, derrière la vitre. Peu d’instants après, elle vit apparaître le cheval : il gravissait le chemin en tenant la tête baissée, et sa bride glissait et pendait d’un seul côté. Elle vit aussi que l’homme qui marchait près du cheval était un gendarme.

Il s’avançait en s’appuyant des deux poings sur ses hanches ; et son pas, bien mesuré, était ferme et régulier.

La fillette s’effaça pour ne pas être vue. Elle entendit le cheval s’arrêter devant la porte, et elle devina que le gendarme frappait avec le revers de sa main. Elle ne savait pas si elle devait répondre ; elle avait peur de désobéir, et en même temps elle pensait que le gendarme finirait par s’en aller, en croyant que la maison était vide. Mais le gendarme ne s’en allait pas ; il essayait d’ouvrir la porte et frappait plus fort, en appelant :

« Eh, petite ! »

Puis la fillette comprit qu’il attachait son cheval à la boucle de fer scellée dans le mur et qu’il s’éloignait. Peu après, elle entendit sa voix s’élever derrière la maison. Il appelait fortement :

« Valserine ! Eh, Valserine ! »

Il revint devant la maison en répétant ses appels. Mais, cette fois, sa voix ne s’enfonçait pas dans le bois ; elle passait au-dessus de la vallée de Mijoux et s’en allait heurter la haute montagne d’en face, qui la renvoyait en plusieurs voix assourdies, comme si elle la cassait et en envoyait les morceaux à la recherche de la petite fille.

Le gendarme se lassa d’appeler. Il secoua encore une fois la porte et vint coller son visage contre la vitre, en essayant de voir dans l’intérieur de la maison.

Valserine s’approcha aussitôt.

Elle venait de reconnaître un gendarme du village de Septmoncel, celui qui avait une petite fille si jolie, avec laquelle elle avait joué quelquefois.

Le gendarme parut tout joyeux en l’apercevant ; il lui fit un signe d’encouragement en disant :

« Allons, petite niauque, ouvre la porte, je ne te veux point de mal, moi. »

Valserine ouvrit la porte, toute honteuse de s’être laissée appeler si longtemps.

Le gendarme prit une chaise pour s’asseoir et dit à la petite fille, qui se tenait debout devant lui :

« Voilà que ton père s’est fait prendre, et les douaniers disent que tu l’aidais à passer sa contrebande. »

La fillette regarda le gendarme bien en face, et elle répondit :

« Non. »

« Pourtant, reprit-il, tu faisais le guet, hier, quand les douaniers l’ont pris ? »

Valserine baissa la tête.

« Et c’est parce qu’il t’a entendue crier que le pied lui a manqué et qu’il est tombé sur la pente, à travers les arbres coupés. »

Valserine releva vivement la tête, comme si elle allait donner une explication, puis sa bouche se referma, et, après quelques instants de silence, elle demanda presque tout bas :

« Est-ce que sa jambe est cassée ? »

« Non, dit le gendarme, il pourra marcher bientôt. »

Elle n’attendit pas qu’il eut fini la réponse pour demander encore :

« Est-ce que sa tête lui fait toujours aussi mal ? »

Le gendarme regarda de côté, comme s’il était embarrassé, puis il ôta son képi, et, en le tapotant du bout des doigts, il répondit :

« Tout cela ne sera rien, mais ton père va aller en prison, et tu ne peux pas rester ici toute seule. »

Et comme la fillette levait sur lui des yeux pleins d’inquiétude, il lui expliqua que le conducteur du courrier de Saint-Claude avait reçu l’ordre de la prendre le soir même, à son retour du col de la Faucille. Elle n’aurait qu’à attendre le passage de la voiture, en bas, sur la route, et on la conduirait dans une famille de Saint-Claude, jusqu’à ce que son père soit revenu de prison.

Valserine promit d’attendre le passage du courrier, et le gendarme s’en alla, en lui assurant qu’il donnerait souvent des nouvelles du contrebandier.

La fillette referma la porte derrière lui, et elle essaya de penser.

Elle se rappela que son père lui avait dit peu de temps avant : « Tes douze ans vont bientôt finir. »

Il avait ajouté, après un long silence :

« Je voudrais que tu sois ouvrière diamantaire. »

Souvent aussi, il avait parlé de l’avenir. C’était les jours où elle refusait de faire ses devoirs de classe. Elle le revoyait, penché, lui désignant ses fautes, leurs deux têtes si rapprochées qu’elles se heurtaient parfois, et elle croyait l’entendre encore lui dire : « Je ne suis pas bien savant, mais ce que je peux t’apprendre te servira dans l’avenir. »

L’avenir... Elle répéta le mot pour le fixer. Cela lui apparaissait très haut et tout semblable à ces nuages qui arrivaient en se bousculant par le col de la Faucille et qui s’enfuyaient en s’effilochant le long des monts Jura.

Puis la tourterelle apprivoisée attira son attention. Elle venait du bois, chaque matin, réclamer une caresse et une friandise. Valserine la retint longtemps dans ses deux mains, sans pouvoir lui parler, comme elle le faisait tous les jours, et, quand l’oiseau se fut envolé, la fillette sortit de sa maison pour se rendre à « la chambre du gardien. »

Elle fit un grand détour, en prenant toutes les précautions habituelles pour ne pas être vue. C’était là que son père cachait ses marchandises de contrebande.

Depuis qu’elle savait que la « chambre du gardien » était une cachette, Valserine s’y rendait toujours avec crainte. Pendant longtemps, elle avait cru que c’était seulement dans cet endroit frais que les marchandises étaient à leur place. Elle n’avait connu le danger que le soir où les douaniers étaient venus se mettre en embuscade sur l’amoncellement des quartiers de roche qui recouvraient la cachette. La nuit commençait d’entrer dans « la chambre du gardien ». La fillette et son père venaient de finir d’envelopper soigneusement les petits paquets faciles à dissimuler dans les poches et que le contrebandier devait aller vendre le lendemain.

Ils allaient sortir de la cachette, lorsqu’ils entendirent tout près d’eux une voix un peu basse qui disait :

« Il doit y avoir des trous profonds parmi ces pierres. »

La voix s’était subitement assourdie, comme si elle s’éloignait ; il y avait eu quelques piétinements, et la même voix avait repris :

« J’ai envie de faire partir mon revolver là-dedans. »

Aussitôt, la fillette sentit que son père la saisissait et l’attirait violemment à lui ; elle avait senti aussi qu’il était tout tremblant quand il lui avait dit très bas : « Ils sont au-dessus de nous. »

Valserine n’éprouvait aucune peur à ce moment. Elle ne comprenait pas pourquoi son père tremblait si fort contre elle. Elle voulut lui parler, mais il l’en empêcha en lui disant : « Les douaniers sont là. »

La fillette avait subitement deviné que son père cachait des marchandises de contrebande, tout comme le fils de la vieille Marienne, qui demeurait en bas de la montagne, et que les gendarmes avaient déjà emmené plusieurs fois en prison. Et, malgré l’obscurité, elle mit ses deux mains devant son visage pour cacher à son père la grande honte qui la faisait rougir.

Mais son père se courba davantage sur elle, en la serrant plus fort. Elle comprit sa pensée et, pour le rassurer, elle lui passa un bras autour du cou, pendant qu’elle lui appuyait son autre main sur la joue. Ils restèrent ainsi pendant un long moment, Valserine supportant le poids de la tête de son père, qui s’abandonnait sur la sienne.

Ils se séparèrent en entendant des petits coups secs contre les pierres de la cachette ; puis la voix du douanier arriva encore près d’eux, comme si elle sortait d’un porte-voix. Elle disait :

« Ma baguette ne touche pas le fond. »

Une autre voix, paraissant assez éloignée, dit :

« Reste donc tranquille, tu vas faire sortir de ce trou quelques bêtes, qui vont nous ennuyer cette nuit. »

Les petits coups secs continuèrent à se faire entendre, et, tout à coup, un glissement brusque fit comprendre à Valserine que le douanier avait laissé tomber sa baguette dans la « chambre du gardien. »

Valserine et son père s’assirent en silence sur la pierre étroite qui se trouvait près d’eux, et ils restèrent jusqu’au matin, sans oser bouger ni se parler tout bas.

Ce fut seulement lorsque le grand jour entra dans la « chambre du gardien » que le contrebandier se décida à sortir, pour s’assurer que les douaniers n’étaient plus là.

Et maintenant que Valserine se retrouvait seule dans cette cachette, elle se souvenait des moindres détails de cette nuit d’angoisse. Il y avait un peu plus d’un an de cela, et, depuis, elle avait fait tant de questions à son père qu’elle savait à présent beaucoup de choses.

Elle savait qu’il ne fallait jamais passer par le même chemin pour aller à la « chambre du gardien », afin de ne tracer aucun sentier visible. Elle savait qu’un homme peut être contrebandier sans être un voleur, et elle sentait bien qu’un lien de plus l’attachait à son père, depuis qu’il lui avait parlé comme à une amie.

Et voilà qu’elle éprouvait presque de la fierté en se rappelant les paroles que le gendarme venait de lui dire : « Les douaniers affirment que tu aidais ton père à passer sa contrebande. »

Elle s’assura que toutes les marchandises étaient à l’abri de l’humidité ; elle roula en pelotte quelques bouts de ficelle qui traînaient à terre, et elle sortit de la « chambre du gardien », avec les mêmes précautions qu’elle avait prises pour y entrer. Elle revint à la maison pour y mettre tout en ordre, et, quand l’heure fut venue, elle ferma la porte avec soin et descendit sur la route pour prendre le courrier, au passage, ainsi qu’elle l’avait promis au gendarme.