Vous êtes nés sous une bonne étoile - Christian Soulier - E-Book

Vous êtes nés sous une bonne étoile E-Book

Christian Soulier

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Beschreibung

Bienvenue dans le passé, celui de Christian Soulier qui vous plonge dans ses souvenirs d’enfance et ses anecdotes. Éduqué par un père violent qui n’avait de cesse de dire à ses enfants qu’ils sont nés sous une bonne étoile, l’auteur raconte une partie de sa vie qui n’a pas toujours été de tout repos, quoique teintée quelquefois de moments de joie et de simplicité...


À PROPOS DE L'AUTEUR 


Longtemps animé par la littérature, seuls le confinement et le livre d’un ami ont permis à Christian Soulier de transcrire, sur du papier, son vécu peu banal. Il y joint style, humour et sérieux pour raconter ses souvenirs d’enfance et ses anecdotes.

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Christian Soulier

Vous êtes nés sous une bonne étoile

© Lys Bleu Éditions – Christian Soulier

ISBN : 979-10-377-9453-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préface

Il faut avouer que je n’ai pas accepté tout de suite d’écrire cette préface. Les histoires d’enfance de Christian, mon mari depuis 48 ans, je les ai entendues si souvent que je croyais les connaître toutes. 

Et pourtant, dans son récit, j’ai découvert bien des détails, des aspects de sa personnalité, des qualités qui me le rendent encore plus attachant. Connaissant mieux l’enfant, je comprends mieux l’adulte : il a su tirer le bon de tout ce qu’il a traversé. Ce garçon, débrouillard, malgré une grande timidité, aimait s’amuser et le jeu occupe encore une grande place dans sa vie. Il a aussi appris à aimer les choses simples comme une paire de chaussettes tricotées par sa mère, accompagnées d’une orange, en cadeau pour Noël. Ce contentement lui a souvent servi plus tard. 

Beaucoup d’enfants ont vécu avec un père ou une mère alcoolique, ont été sexuellement agressés, et en ont subi d’importantes séquelles. Lui a su faire de ses épreuves des outils pour avancer dans la vie, sans doute grâce à ses séjours à la ferme, à l’apprentissage du travail à travers la vie agricole, au contact de ses oncles qui s’intéressaient sincèrement à lui et lui donnaient de la valeur. Comme il le dit lui-même : « un enfant ne devrait jamais avoir à vivre de tels événements ». Malgré tout, ce qui me touche le plus, c’est sa capacité à être devenu un homme équilibré, ingénieux, dégourdi, inventif, mais aussi enclin au pardon et à la miséricorde.

Sans doute l’enfant malmené a-t-il su retirer le meilleur de ce qu’il a vécu, sans rancœur, sans sournoiserie, sans haine, mais capable de modestie et de contentement, d’amour aussi.

Si ce chenapan n’inventait pas toujours des jeux bienveillants, c’était sans arrière-pensée, lui et son frère étant cependant portés à la violence, par ignorance, ou exaspérés par les injustices face auxquelles ils avaient du mal à se maîtriser. 

J’espère que d’autres apprécieront la simplicité et la fraîcheur de ces récits vécus et racontés avec une grande franchise, parfois un peu de nostalgie. 

Et qui sait, peut-être l’un d’eux proposera-t-il un jour sa réponse à la question que l’auteur pose à plusieurs reprises par dérision : « suis-je vraiment né sous une bonne étoile ? ».

Jocelyne Soulier

I

Nuits d’angoisse

Il faisait noir, très noir, j’étais dans mon lit, je ne dormais pas. Mon frère non plus d’ailleurs, lui qui partageait le lit avec moi depuis notre plus tendre enfance. Nous étions silencieux. Je me demandais pourquoi, pourquoi nous devions nous coucher si tôt, avec l’ordre de ne pas bouger de notre chambre, même si nous entendions des bruits. Alors, j’avais décidé de ne pas dormir, de veiller. Je tendais l’oreille, j’écoutais ce silence assourdissant. Les minutes s’écoulaient lentement, très lentement…

Et puis, il y eut des bruits, des chocs : je ne savais pas ce que c’était. J’étais sur le qui-vive, inquiet, l’oreille aux aguets. Ensuite, il y eut des cris, des cris comme je n’en avais jamais entendu, cris de douleur peut-être ? Qui criait ? Pourquoi ? Je devais veiller, rester vigilant, mais le sommeil m’emportait et je m’endormais sans savoir, sans comprendre ce qui se passait. Je n’avais que six ou sept ans. Il me faudrait attendre plusieurs années pour savoir, pour comprendre ce qui se passait toutes ces nuits, ces dizaines de nuits où, inquiet, dans le noir, tous les sens en éveil, je finissais toujours par sombrer dans le sommeil.

Pourtant, combien de fois ai-je entendu ces mots, ces sept mots prononcés par mon père et qui auraient une si grande portée tout au long de mon existence : « Vous êtes nés sous une bonne étoile » !

Sous quelle étoile suis-je né ? Je me le demande encore.

Quatrième d’une famille de six enfants, j’ai vu le jour à St Étienne le 19 avril 1951. Peut-être faut-il que je remonte plus loin pour que vous puissiez mieux comprendre sous quel genre d’étoile je suis né ?

II

Mes ancêtres

Je n’ai pas connu mes grands-parents, tous décédés avant ma naissance. Tout ce que je sais d’eux m’a été rapporté, raconté.

Mon grand-père paternel, « le Nané », de son prénom Jean-Marie, était un géant qui pesait le quintal. C’était un serrurier qui avait de modestes moyens. Père de neuf enfants, il braconnait pour « mettre un peu de beurre dans les épinards », selon l’expression consacrée. Il n’hésitait pas à parcourir plus de douze kilomètres à pied pour pêcher de nuit et revenir par le même chemin, une bauge pleine de grenouilles sur les épaules. Ce sac devait peser plus de cinquante kilos.

Son épouse, Marie, est décédée alors que mon père avait dix ans, ce qui devait amener un profond changement dans la vie de cet orphelin, puisqu’à partir de ce jour-là il dut gagner son pain en étant placé chez des paysans. De ferme en ferme, avec le temps, il en viendrait à travailler pour mon grand-père maternel.

Ce grand-père, « le Trente », Marius de son prénom, était aussi un géant doué d’une très grande force. Il était maquignon, marchand de bestiaux donc. Il possédait plusieurs fermes et avait rarement moins de quarante bêtes dans ses étables.

Sa femme, « la Génie », Eugénie de son prénom, eut une existence difficile entre un époux autoritaire et six enfants à élever. C’est chez elle que celui qui m’a engendré a connu ma mère, la fille du patron. C’était une belle femme, grande, assurément un brin coquette, et instruite. Elle eut sans doute pitié de ce beau garçon plein de projets et fut séduite par sa belle chevelure blonde. Elle ferma les yeux sur des défauts évidents, espérant peut-être qu’elle pourrait le changer. C’est bien connu : l’amour est aveugle et plein de certitudes.

Je passerai sous silence les premières années de mariage, durant lesquelles naquirent « sous une bonne étoile » Ghislaine puis Danièle. Lorsque « le Trente » décéda, ma mère hérita de la ferme principale avec suffisamment de terres et de bois pour commencer en compagnie de son mari une vie de paysans. Ils avaient deux vaches et mon père projetait de faire du débardage. Hélas ! La vie est loin d’être un long fleuve tranquille ! Je me suis toujours demandé quelle aurait été la nôtre si mon père avait pu mener à bien ses projets. Aurait-il eu la volonté nécessaire pour réussir ? Je ne sais.

La ferme de mes parents se trouvait à l’extrémité ouest de Montchouvet, hameau du Puy-de-Dôme comptant à l’époque une dizaine de fermes. La plupart étaient tenues par des célibataires qui ne trouvaient pas à se marier. Une de ces fermes se trouvait à une cinquantaine de mètres de la maison et était tenue par « le Joanny » et ses sœurs, « la Marie » et « la Victorine ».

Ma mère était enceinte de son premier garçon (notre bonne étoile était toujours là !). Alors qu’elle était occupée aux travaux de la maison, son aînée, qui avait près de trois ans, avait l’habitude d’aller visiter ses voisins. Elle avançait à petits pas pour quémander un quignon de pain ou un rogaton de fromage. Voilà qu’un jour, elle arriva en se dandinant devant la maison de « la Marie » et de « la Touilline » qui venaient de déposer à terre une marmite d’eau bouillante. Vous devinez la suite, la petite buta dessus et tomba un genou dans l’eau bouillante. Ses hurlements alertèrent ma mère qui courut à toute vitesse à son secours. Les deux sœurs poussaient les hauts cris, mais aucune n’avait l’idée de sortir la petite de cet « enfer ». La brûlure fut très grave : lorsque maman enleva les chaussettes de son enfant, des lambeaux de peau et de chair venaient avec. Ma sœur resta entre la vie et la mort plusieurs jours, ne pouvant assimiler que de l’eau et, pour la soigner, il fallut vendre, souvent pour une bouchée de pain, terres et bois, ce qui mit à mal les projets de mon père. Adieu débardage et élevage ! Il fallut déménager et chercher du travail.

Imaginez le choc émotionnel de cette mère entendant les hurlements de son enfant, puis découvrant ses horribles brûlures. Imaginez le choc pour le bébé qu’elle portait en son sein. Faut-il s’étonner si, dès sa naissance, le petit Jean-Marie rejetait le lait qu’on lui donnait ? Il fallut l’opérer d’une sténose du pylore et, la semaine suivante, d’une double mastoïdite attrapée sur son lit d’hôpital, alors qu’il avait tout juste trois mois et demi.

« Notre bonne étoile étant là », depuis un bon mois, j’étais blotti dans le sein de ma mère, attendant impatiemment de voir le jour. Elle qui devait rassembler tout son courage pour faire face à tant d’adversité, m’a certainement insufflé la force de caractère qui me caractérise, c’est le cas de le dire. (« lol », comme diraient les jeunes aujourd’hui.)

III

Ma petite enfance

Comme beaucoup, je suppose, je n’ai aucun souvenir de ma toute petite enfance. Je ne me souviens pas de notre logement de Sury-le-Comtal, pas plus que de celui de Marlhes. Mes premiers souvenirs remontent à l’époque où nous habitions dans un préfabriqué, dans le quartier de La Rivière à Saint-Étienne. Selon ce que ma mère m’a raconté, alors que nous étions déjà cinq enfants à la maison, j’étais un bambin très calme et solitaire, capable de jouer pendant des heures sur un petit banc avec trois épingles à linge.

Cette habitation comportait deux logements mitoyens. Un jour, nos voisins déménagèrent. Ils attachèrent le cheval à un anneau fixé au mur pendant qu’ils chargeaient la carriole de leurs meubles et de leurs quelques affaires. C’était le jour idéal, il faisait très beau. Je jouais, peut-être sur mon petit banc, avec mes épingles à linge, devant la fenêtre grande ouverte. J’ai dû sentir le souffle chaud de l’animal sur mes boucles blondes. Relevant la tête, j’ai découvert, effrayé, une tête énorme qui me regardait et j’ai reculé en hurlant. Cette histoire aussi m’a été racontée. Ce que je me rappelle, ce sont les peurs qui me hantèrent à partir de ce jour-là.

J’avais peur des poules, et même des poussins ! Bien évidemment, j’avais peur des chiens, peur qui me vaudrait par la suite plusieurs morsures. Quand nous rendions visite à ma tante, je savais qu’elle avait des chiens et que, dès que la porte s’ouvrirait, ses chiens bondiraient. Je me cachais donc derrière mon petit frère Alain (pas très courageux le bonhomme !), pourtant, c’est moi qui fus mordu à la cuisse ! Une autre fois, je descendais la coursière de Planfoy en courant quand un berger allemand sortit d’une maison à toute allure. J’opérai promptement un demi-tour, mais il était plus rapide que moi et me mordit le postérieur. Aujourd’hui, rassurez-vous, je n’ai plus peur des chiens, et encore moins des poules et des poussins !

Mon père n’avait qu’à me regarder en me faisant « les gros yeux » et je faisais pipi dans ma culotte. Il suffisait que l’on cherche un coupable en me regardant pour que je rougisse jusqu’aux deux oreilles. J’étais d’une timidité extrême.

Ayant eu cinq enfants en cinq ans, et après avoir vécu des moments très difficiles durant ses premières années de mariage, ma mère était extrêmement fatiguée, très maigre. Des dispositions ont donc été prises par le curé de la paroisse afin de nous placer dans différentes familles lors des vacances scolaires et lui permettre d’avoir quelques moments de répit.

C’est ainsi que je me suis retrouvé dans un manoir au milieu d’un grand parc. Je me souviens encore de l’odeur qui régnait dans cette grande maison : un parfum d’encaustique qui se mêlait au fumet de plats délicieux délicatement préparés. Les plafonds étaient hauts. Il y avait un grand et large escalier qui menait à l’étage, des meubles sculptés en bois massif, des bassinoires en cuivre si grandes que je pouvais me cacher dedans. Pour jouer, j’avais un jeu de lettres : des carrés de bois avec gravé sur chacun d’eux, une lettre de l’alphabet (un peu comme les lettres d’un jeu de Scrabble). Je me revois en train de les aligner, essayant de former des mots. Quelle ne fut pas ma déception lors d’un séjour ultérieur de découvrir que le jeu avait disparu ! La maîtresse de maison, Madame Dupir, était veuve. Je ne saurais vous dire son âge, je la voyais vieille, mais, avec le recul, je pense qu’elle devait avoir autour de la cinquantaine, peut-être moins. Elle était d’origine espagnole, c’était une femme très gentille. Je n’ai passé que des moments agréables dans sa maison, et cela, à plusieurs reprises.

J’avais les cheveux tellement blonds que ma mère ne voulait pas les couper. De ce fait, les gens lui disaient : « Qu’elle est belle, votre petite fille ! » Ils ne s’étaient pas attardés sur mes genoux cagneux.

Un été, je me suis retrouvé chez la famille Magnin. Ils avaient deux filles, Odile et Élisabeth. Elles étaient un peu plus âgées que moi. Nous avons entrepris un grand voyage en 2 CV pour aller de Saint-Étienne à La Baule ; nous avons fait étape à Noirétable où ils avaient de la famille. Je revois la grande maison au bord de la route et le long couloir menant au jardin derrière la maison.

Un grand jardin avec des fraisiers ! Je me souviens combien il m’était difficile de résister à la tentation de manger les jolies fraises bien rouges qui brillaient au soleil et me faisaient saliver. C’était d’autant plus dur que je me retrouvais souvent seul, exclu des jeux des autres enfants qui me traitaient en étranger. Ma vengeance fut terrible : je mordis à pleines dents dans le ballon de plage tout neuf, le crevant de façon irréparable. À mon grand étonnement, je ne fus pas puni, peut-être les parents n’étaient-ils pas dupes de la situation.

À La Baule, nous allions à la plage chaque jour. Il y avait dans la maison où nous logions un jouet qui m’attirait beaucoup : un petit bateau en plastique avec des roues à aubes. J’avais l’autorisation de l’emmener pour m’amuser à le faire voguer. Le plus drôle de l’histoire c’est que je ne l’ai jamais fait. Tellement pris par mes occupations (châteaux de sable, recherche de coquillages, etc.), j’oubliais chaque fois que j’avais le bateau dans mon sac. Je pense que c’est au cours de ce séjour que j’ai mangé pour la première fois des crevettes et des fruits de mer.

Ce sont là les rares souvenirs de cette période de ma vie.

IV

Valbenoîte

Lorsque nous avons emménagé dans le quartier de Valbenoîte, nous vivions au troisième étage d’un petit immeuble en face du cimetière, avec une vue imprenable sur les quartiers ouest de Saint-Étienne. Pour ceux qui connaissent cette ville, nous étions tout en haut de la butte qui sépare le quartier de Valbenoîte de celui du Cours Fauriel. Nous avons vécu là jusqu’à mes dix ans.

Catholique très pratiquante, ma mère nous envoya à l’école privée de la paroisse. Des religieuses enseignaient les petites classes et, sans doute, l’école des filles. L’éducation des garçons était confiée en partie à des frères maristes. C’est là que j’ai eu mes premiers démêlés avec les religieux. Un jour, je ne sais pour quelle raison, je ne voulais pas rentrer en classe ; toujours est-il que j’ai donné un grand coup de pied dans les tibias de la religieuse qui voulait m’y forcer et ne renonça pas pour autant, me traînant jusqu’à un bureau du fond de la classe.

Pour aller à l’école, nous empruntions la rue de la Vivaraize. Combien de fois ai-je descendu cette rue en luge sur mon cartable quand il y avait de la neige ! Certains vont à l’école à pied ou en voiture, moi j’y allais « en cartable » ! À cette époque, je ne portais jamais de pantalons longs : été comme hiver, j’étais en shorts et devais supporter les froidures de l’hiver. J’avais souvent les cuisses violettes, comme le jour où je dus faire cent tours de cours parce que j’avais été puni et qu’il faisait un froid de canard.

Nous aimions jouer dehors, dans les caniveaux du cimetière où nous attrapions des têtards. Nous les gardions dans un bocal dans notre chambre. Les pauvres bêtes mourraient de faim. Nous aimions attraper des salamandres et jouer avec dans le bac à sable. Elles avaient plus de chance que les têtards, car nous les relâchions à la fin de nos jeux. Près du cimetière, il y avait un petit bois de pins et une fabrique de crosses de fusils. Une aubaine, puisque nous pouvions récupérer des chutes de bois qui avaient la forme d’une crosse et qui pour nous devenaient des « carabines » pour jouer aux cow-boys et aux Indiens.

C’est à Valbenoîte que j’ai joué pour la première fois avec des pétards. « Le Beli », dont je parlerai un peu plus loin, était à la maison. Ce devait être à l’époque du Mardi gras et il avait acheté des pétards. Nous nous étions mis sur la loggia, les allumions et les jetions dans le vide pour qu’ils explosent en l’air à notre plus grande joie. Par la suite, je deviendrais un expert dans le lancer de pétards.

Ma mère, qui faisait de l’action catholique ouvrière, s’absentait régulièrement avec mon père pour assister à des réunions. Ma sœur aînée, Ghislaine, ayant quatre ans de plus que moi, était chargée de veiller sur nous pendant ces absences qui se terminaient souvent tard le soir. Nous acceptions facilement son autorité. C’était tout autre chose quand Danièle, deuxième dans la fratrie, voulait nous commander : les trois garçons se rebiffaient. Un jour, Jean-Marie et moi avons saisi chacun un couteau de cuisine, poursuivant nos sœurs jusque dans la loggia où nous les avons enfermées. Je ne vous dis pas la correction que nous avons reçue lorsque mes parents furent mis au courant de notre révolte !

Ceci dit, j’étais particulièrement nerveux et avais peur de mon père : lorsqu’il passait derrière moi dans la cuisine alors que je déjeunais, je sursautais et renversais systématiquement mon bol de café au lait. Je ne peux compter le nombre de fois où cela m’est arrivé.

Ma mère avait droit à des aides familiales pour l’aider à faire le ménage, la lessive, le repassage, la couture. Une de ces femmes ne portait pas de culotte. Lorsqu’elle repassait le linge, il nous arrivait, mon frère et moi, de nous coucher sur le dos et de glisser sous ses robes pour admirer le spectacle. À l’époque, nous ne comprenions pas vraiment la situation : en fait, mon père trompait ma mère avec elle, ce qui fut à l’origine d’un épisode dramatique qui aurait pu très mal se terminer.

Un jour, une dispute éclata dans la cuisine. Je me trouvais là, entre ma mère à ma gauche, et mon père à ma droite. Attirée par les éclats de voix, Ghislaine vint dans l’encadrement de la porte, juste derrière mon père. La casserole de lait chauffait sur la gazinière. Il prit la casserole de lait qui était près de bouillir et menaça ma mère de la lui jeter à la figure si elle ne se soumettait pas à sa volonté. Il la fixait de son regard terrible. Je revois la scène qui s’éternisait et me faisait trembler de peur, ils s’étaient tus tous les deux et s’affrontaient du regard. La voix de Ghislaine s’éleva et parla à mon père pour le raisonner. Elle parlait lentement, d’un ton ferme. Je ne me souviens plus des mots. Heureusement, ils eurent un impact suffisamment fort sur mon père qui reposa la casserole. Aujourd’hui encore, je frémis à l’idée de ce qui aurait pu arriver. Je sus plus tard qu’il voulait faire ménage à trois, ce que ma mère refusait catégoriquement et qui était tout à fait compréhensible.

V

Le Beli

Âmes sensibles, sautez ce chapitre !

« Le Beli », c’était mon oncle, petit frère de mon père, et aussi mon parrain. Il vivait à Aix-en-Provence et venait chez nous chaque année pour des périodes plus ou moins longues. Lorsqu’il arrivait, c’était pour moi des moments de grand bonheur. Il était handicapé, paralysé du côté gauche. Handicapé ? En êtes-vous sûr ? J’aimerais vous raconter son histoire et vous dire comment cet homme a marqué ma vie d’une empreinte indélébile.

Jeune, il était puisatier. C’était un bel homme et le dur travail ne lui faisait pas peur. Alors qu’il creusait un puits et se trouvait à une bonne profondeur (entre 7 et 10 m), le seau plein de gravats s’est détaché et, dans sa chute, lui a ouvert le crâne. Le Beli est remonté à la surface à la corde lisse et a été emmené directement à l’hôpital. Le chirurgien de service était en conférence. Personne ne voulut le déranger, car, vu l’état du blessé, tout le monde pensait qu’il ne survivrait pas : la cervelle sortait de sa blessure. Cependant, lorsque le médecin sortit de sa conférence, le Beli était toujours en vie. Voulant opérer immédiatement, le chirurgien lui demanda s’il acceptait de l’être sans anesthésie. Mon oncle survécut, mais se retrouva paralysé de tout le côté gauche. Selon le médecin, il ne pourrait plus marcher et serait dépendant des autres pour s’habiller, faire sa toilette, etc. C’était mal le connaître. Doté d’une volonté incroyable, il entreprit de devenir autonome dans bien des domaines. Lorsqu’il recevait sa pension, il forçait sa main gauche à s’ouvrir pour récupérer son argent. Je le revois faire ce geste pour expliquer qu’il ne voulait pas se laisser aller. Du bras droit, il avait développé une force herculéenne incroyable dont je vous reparlerai plus tard.

Quand il arrivait, je savais que j’aurais une pièce pour m’acheter des bonbons. Je savais aussi que le soir nous dormirions dans le même lit et qu’il me raconterait de sa belle voix grave, avec l’accent provençal, des histoires qui m’emporteraient dans le monde des rêves. J’imagine qu’il devait beaucoup lire : les récits qui me restent en mémoire tournaient autour des Incas et de leur adoration du soleil.

Il avait toujours des histoires drôles à raconter, avec des exagérations et des expressions qui nous faisaient tordre de rire : « Par six mètres de fond, il criait au secours » ! « Un poisson gros comme ça (les deux index séparés d’à peine 8 cm), avec une tête comme ça (montrant son poing fermé) et des yeux comme ça (rapprochant son poing fermé de la deuxième main recroquevillée) ».

Un jour, il nous conta comment, en compagnie du « Mayou » (un autre de mes oncles paternels chez qui il vivait à Aix-en-Provence) et de sa femme, ils campaient dans un coin de campagne et avaient repéré des ruches ; ils voulurent manger du miel. De nuit, ils pillèrent les ruches et furent poursuivis par les abeilles en colère. Ils furent piqués tant et plus. Et là, il fallait voir mon oncle imitant une abeille enfonçant son dard, comme si elle utilisait une chignole. Il y avait le geste et la musique. Les abeilles, selon son expression, « charclaient » (verbe d’origine catalane qui signifie que l’on se bagarre avec violence, à main nue ou avec une arme blanche).

Lorsqu’ils regagnèrent leur tente, ils se partagèrent le butin dans le noir et se mirent à manger leur morceau de miel avec la cire. Ne pouvant finir sa part, chacun cacha ce qui lui restait pour ne pas se le faire dérober par les autres (la confiance régnait !). Au matin, quand ils voulurent finir leur miel, oh stupeur ! ils se rendirent compte qu’ils avaient mangé du couvain ! Je vous laisse imaginer la suite, ils furent tous malades à l’idée d’avoir ingurgité des larves d’abeilles et rendirent tout ce qu’ils avaient avalé.

Mon oncle m’a aussi fait découvrir le jazz : il aimait beaucoup la musique de La Nouvelle-Orléans. Possédant un magnétophone à bande, le premier que j’aie jamais vu, il avait enregistré les concerts auxquels il avait assisté.

Le jour où il a apporté son magnétophone pour la première fois, toute la famille s’est rassemblée dans la salle à manger, et il nous a fait parler chacun à notre tour. Nous ne savions pas qu’il nous enregistrait. Quand il nous a fait écouter l’enregistrement, quelle ne fut pas notre surprise d’entendre nos voix ! Elles nous semblaient déformées. Vous comprenez mieux pourquoi nous étions si heureux de voir arriver cet oncle qui, en fait, s’appelait Lucien.

VI

Gaston

« Mi-fesse », « Indien pas-de-pot », « Eusèbe », « Professeur Tournesol », « Double-mètre », « Gaston » ! Vous vous demandez peut-être qui sont ces personnages dont je vais vous parler maintenant. En fait, il s’agit d’une seule et même personne : votre serviteur. Vous avez le droit de sourire. Tous ces surnoms, dont j’ai été affublé par ceux qui m’entouraient, vous en disent un peu plus sur ma personnalité. Il y en a un en particulier qui m’a suivi tout au long de mon existence et, ce qui paraît incroyable (mais peut-être pas tant que cela), m’a été donné par des personnes qui ne se connaissaient pas, à des dizaines d’années d’intervalle. Pourquoi ces différents surnoms ?

« Mi-fesse » : Ça vous dit quelque chose ? Mon père m’a donné ce surnom parce qu’il craignait que je tombe de ma chaise : fréquemment, je m’asseyais en n’ayant que la moitié du postérieur sur mon siège. Pourtant, cette façon de faire était économique, nous n’avions besoin que d’une chaise pour deux !

« Indien pas-de-pot » : facile ! Je suis sûr que vous avez trouvé : je n’avais vraiment pas de chance dans la vie, même si j’étais « né sous une bonne étoile ». Comme vous le savez, je renversais souvent mon bol de café au lait. Demandez-moi de ranger la pile d’assiettes et j’étais capable de l’échapper ; une pierre dépassait du chemin, je butais dessus, et me voilà par terre…

« Eusèbe » : Vous voyez le rapport ? Oui ? Alors c’est que vous lisiez « Cœurs Vaillants » quand vous étiez jeune catholique. « Eusèbe » est un personnage de bande dessinée. Il inventait toutes sortes de machines qui fonctionnaient mal parce qu’il oubliait toujours un détail important. C’était un grand distrait, et je l’étais aussi, toujours dans mes pensées, dans ma bulle, jusqu’aujourd’hui, il faut bien le reconnaître.

« Professeur Tournesol » : Personnage plus connu (voir « Tintin et Milou », la célèbre série de BD d’Hergé), ressemblant beaucoup à « Eusèbe » par son côté distrait, marchant dans sa tête. Vous aviez déjà fait le rapprochement n’est-ce pas ?

« Double-mètre » : Là, il s’agit d’une référence à ma taille, je suis le plus grand de la famille, 1m85. Dès que je l’eus dépassé en hauteur, mon père m’affubla de ce surnom, en particulier lorsqu’il voulait faire quelque chose en utilisant « son » « double-mètre » plutôt qu’un escabeau.

« Gaston » : Cette fois, je pense que vous avez deviné, je suis gaffeur par excellence. La première personne qui m’a attribué ce surnom était un copain de jeunesse. Je devais avoir 15 ou 16 ans. Il faut dire que, très jeune, je me suis révélé un gaffeur né. Certaines de mes gaffes auraient même pu me coûter la vie. Bon ! Ça va ! J’ai compris, vous voulez en savoir plus. En voici, quelques-unes :

Alors que j’aidais mon père à faire un plancher qui servirait aussi de plafond pour les chambres du premier étage à Montchouvet, nous avions installé des planches entre les poutrelles pour nous déplacer. Confiant, j’avançais sur ces planches sans vérifier si elles étaient bien posées. Celle sur laquelle je mis le pied frôlait la poutrelle, mais n’y était pas appuyée. Et me voilà descendu au palier inférieur en compagnie de ladite planche ! J’eus beaucoup de chance ce jour-là. « Ah bon ? » direz-vous ! En fait, les bouts, des planches déjà fixées et découpées en ligne droite, faisaient beaucoup de bruit en tombant directement dans la cage d’escalier. Et surtout, quelqu’un se présentant là, au mauvais moment, aurait pu être blessé. Nous avions donc recouvert la cage d’escalier d’un plancher provisoire et c’est sur ce plancher que je suis tombé, m’en tirant avec une foulure au poignet. Imaginez que je dégringole directement sur les marches, j’aurais pu me faire très mal.

Gamins, nous aimions jouer aux cow-boys et aux Peaux-Rouges, et pour cela, nous nous étions fabriqués de véritables armes d’Indiens. J’avais un bel arc en noisetier et aussi une lance ornée de plumes de poules, avec une lame de couteau fixée au bout. Oui, c’était une arme dangereuse ! Alors que je me trouvais au premier étage du hangar, toujours à Montchouvet, ma lance en main, Alain, mon cadet, faisait le sioux dans la cour juste en dessous de moi. Je décidai de planter ma lance devant ses pieds. Mais je n’étais pas Aigle noir, et je la lui fichai dans l’œil. Persuadé de le lui avoir crevé, je pris mes jambes à mon cou et me cachai dans les genêts un peu au-dessus du hameau. Toute la famille me cherchait, car tous devinaient que je craignais les représailles du paternel. Heureusement pour moi, je n’ai touché mon frère que sur le haut de la pommette, juste en dessous de l’œil. Mon frère aîné m’ayant retrouvé, j’ai pu regagner la maison sans y laisser ma vie.