Voyage en Égypte et en Palestine, notes et souvenirs - Ernest Jacquesson - E-Book

Voyage en Égypte et en Palestine, notes et souvenirs E-Book

Ernest Jacquesson

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Beschreibung

Après une traversée de dix jours, qui ne put me paraître longue, on le pense bien, en compagnie des personnages, aussi distingués que bienveillants, dont se composait la Commission scientifique pour le percement de l’isthme de Suez, nous nous trouvâmes, le dimanche 18 novembre, à sept heures du matin, par un beau soleil d’Orient, en vue de la vieille terre d’Égypte.
La première chose qui frappe la vue du voyageur en approchant de la côte, c’est la colonne dite de Pompée, qui s’aperçoit à une grande distance en mer. Elle est en granit, d’un seul morceau, et de 37 mètres de hauteur. Se dressant sur un fond de misérables masures, elle semble être placée là comme pour commander le respect à l’Européen qui voudrait se prévaloir de sa supériorité sur les Arabes ; elle atteste, par sa masse gigantesque et par son élégance, que, bien des siècles avant nous, il existait une civilisation dont les lumières et les moyens d’action peuvent défier encore aujourd’hui l’art et la science modernes.

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VOYAGE

EN ÉGYPTE

ET

EN PALESTINE

NOTES ET SOUVENIRS

PAR

ERNEST JACQUESSON,

Ingénieur civil, Ancien élève de l’École centrale

des Arts et Manufactures.

1857

© 2022 Librorium Editions

ISBN : 9782383833314

 

Au moment où tous les regards sont attirés vers l’Égypte par la grande entreprise de M. de Lesseps pour le percement de l’isthme de Suez, et vers la Palestine par les réformes que le nouvel état de choses, né de la guerre d’Orient, doit y amener prochainement, j’ai pensé que quelques détails donnés sur ces pays, que je viens de parcourir, ne seraient peut-être pas sans intérêt. Je ne suis pas un auteur ; je n’écris pas pour écrire. C’est à mes amis seulement et à mes compatriotes de la Marne que j’adresse ces notes, comme un souvenir de mon voyage et un témoignage de mon attachement1.

J’ai eu l’honneur de faire la plus grande partie de ce voyage avec M. Ferdinand de Lesseps et la Commission internationale des ingénieurs, qui allaient étudier sur les lieux le percement de l’isthme de Suez.

M. Barthélémy Saint-Hilaire, secrétaire général de la Compagnie, et dont j’ai l’honneur d’être l’ami, a publié, dans le Journal des Débats, une suite d’articles du plus haut intérêt sur cette grande question ; je n’oserais y revenir après lui. Je me bornerai à glaner, à sa suite, quelques observations sur le pays, sur les mœurs et coutumes des habitants, et à recueillir les particularités intéressantes dont j’ai été personnellement témoin.

Ce sont de simples notes, prises sur les lieux mêmes, au courant de la plume. Publiées, comme elles ont été écrites, sans prétention, elles ont besoin d’être lues avec indulgence.

VOYAGE EN EGYPTE

ET

EN PALESTINE

NOTES ET SOUVENIRS

VOYAGE EN ÉGYPTE

I

PREMIÈRE VUE D’ÉGYPTE. – LA COLONNE DE POMPÉE. ALEXANDRIE.

Alexandrie, 20 novembre 1855.

Après une traversée de dix jours, qui ne put me paraître longue, on le pense bien, en compagnie des personnages, aussi distingués que bienveillants, dont se composait la Commission scientifique pour le percement de l’isthme de Suez, nous nous trouvâmes, le dimanche 18 novembre, à sept heures du matin, par un beau soleil d’Orient, en vue de la vieille terre d’Égypte.

La première chose qui frappe la vue du voyageur en approchant de la côte, c’est la colonne dite de Pompée, qui s’aperçoit à une grande distance en mer. Elle est en granit, d’un seul morceau, et de 37 mètres de hauteur. Se dressant sur un fond de misérables masures, elle semble être placée là comme pour commander le respect à l’Européen qui voudrait se prévaloir de sa supériorité sur les Arabes ; elle atteste, par sa masse gigantesque et par son élégance, que, bien des siècles avant nous, il existait une civilisation dont les lumières et les moyens d’action peuvent défier encore aujourd’hui l’art et la science modernes.

A notre entrée dans le port, rempli de vaisseaux de toutes les nations, une escadrille de canots blanc et or se détacha des bâtiments du Vice-Roi Saïd-Pacha, ayant à sa tête M. Kœnig-Bey, secrétaire des commandements de Son Altesse. Cette escadrille se rangea des deux côtés de notre navire, ses matelots nous saluant de l’aviron, et nous reçut pour nous descendre à terre. Voitures, escorte, tout était prêt, et l’on nous conduisit tout de suite à l’hôtel qui nous était exclusivement réservé. Nous fûmes reçus ainsi par les ordres du Vice-Roi, qui nous traitait en prince et en homme qui connaît tous les détails et les raffinements de notre civilisation. Ce prince connaît la France ; il parle notre langue comme il est donné à peu d’étrangers de la parler, et joint à l’affabilité d’un galant homme la rude énergie qu’il tient de son père. Je parlerai plus longuement de lui, quand j’en viendrai à la réception particulière qu’il nous fit à sa maison de plaisance de Saïdisch.

Notre hôtel était situé sur la grande place d’Alexandrie, centre du quartier franc. En Orient, Frandgi (Francs) est le nom donné à tous les Européens sans exception : honneur que nous devons sans doute au sou-venir de nos croisades, et surtout à la campagne du général Bonaparte. Sur cette place rectangulaire, d’une surface de cinq hectares environ, se pressent des hommes de toutes les nations, dont la diversité de costumes excite particulièrement la curiosité.

L’Européen qui arrive en Égypte par mer, et qui tombe tout à coup, sans transition aucune, au milieu des habitudes et des mœurs d’un pays si différent du nôtre, serait tenté de croire à un rêve, si les palmiers-dattiers qui apparaissent au loin, et les chameaux qui passent sur la place, n’étaient là pour le rappeler, à la réalité. On a beaucoup parlé de. l’utilité du chameau, et je suis loin de la contester ; mais j’affirme qu’il n’est rien moins que doux et patient, comme l’ont prétendu certains naturalistes. Il a, au contraire, une inertie de caractère récalcitrante, si je puis m’exprimer ainsi, qui le rend indocile et hargneux dès qu’on veut lui faire faire quoi que ce soit. On voit ces animaux rester immobiles sur leurs jambes des heures entières : leur maître vient et veut les faire marcher, ils montrent les dents et crient ; leur commande-t-il de s’arrêter, ils crient ; de se lever, ils crient encore ; et tout cela en cherchant à mordre, sans toutefois trop se déranger. Il serait difficile de donner une idée de ce cri à ceux qui ne l’ont pas entendu : c’est un grommellement sourd et caverneux, accompagné, pour ainsi dire, de borborygmes ; somme toute, quelque chose de fort maussade. A part cela, c’est un animal précieux pour le pays, et une monture fort agréable quand on est parvenu à s’y installer, ce qui n’est pas une petite affaire. Vous vous mettez en croupe sur l’animal couché par terre ; il relève fort brusquement ses deux grandes jambes de derrière, au risque de vous culbuter en avant ; il relève ensuite celles de devant, mouvement qui vous précipiterait avec violence par-dessus sa croupe, si vous ne vous cramponniez au fort pommeau de la selle, qui est disposé à cet effet. Les Arabes ont l’ennuyeuse habitude de les faire marcher à la file les uns des autres, de sorte que ceux qui les montent ne peuvent jamais voyager côte à côte ; bon gré mal gré, on est ainsi forcé de passer à l’état muet et contemplatif qui plaît tant aux musulmans, et qui est si pénible aux touristes français. Une caravane un peu considérable est fort curieuse à voir. Les chameaux sont tous reliés entre eux par une corde partant du licol, et se rattachant à l’espèce de selle que celui qui précède porte sur le dos. Ils vont tous au pas, et de loin, dans le désert, on dirait une file de vaisseaux sur une seule ligne, les chevaux et les ânes qui marchent sur les flancs ressemblant à des bâtiments légers. Le chameau est la monture du désert. Pour les petits voyages, et particulièrement pour les courses dans l’intérieur des villes, ce sont des ânes qui font le service. On les voit circuler, à Alexandrie et au Caire, aussi nombreux que les voitures sur les boulevards de Paris.

Ils sont de petite race, fort doux, supportant les privations et la fatigue avec une résignation incroyable. Lorsqu’on veut faire une course, on prend un âne à l’une des nombreuses stations ; un ânier vous accompagne et se charge d’écarter tous les obstacles qui pourraient gêner votre marche. Du moment qu’il a un Européen sur son âne, le petit ânier (ce sont tous des enfants) se considère comme investi d’une certaine supériorité sur ses camarades qui conduisent des musulmans ; il les frappe à droite et à gauche de son bâton, quand ils ne se dérangent pas assez vite, sauf à en recevoir autant en pareille circonstance. Ces jeunes âniers sont fort intelligents ; ils vous poursuivent de leurs cris pour vous engager à prendre leur monture ; et lorsqu’on est récemment débarqué, on est fort étonné de leur entendre crier, en trois langues différentes : Moussieu ! bon baudet ! – Very good donkey ! – Guter Esel ! – On en est assailli de toutes parts, et il n’est pas facile de s’en débarrasser. Mais, dès qu’on est un peu au fait des us et coutumes du pays, on les congédie lestement en leur disant : Rouha, kelb ! (Va-t-en, chien !) et en accompagnant ces mots d’un moulinet de la kourbasch. La kourbasch est une sorte de petit fouet fait en peau d’hippopotame, et dont tout Européen qui veut se faire respecter ne manque pas de s’armer.

Ce qui me frappa le plus à Alexandrie, après la colonne de Pompée, c’est l’aiguille de Cléopâtre. Cet obélisque, formé d’une seule pierre, a 20 mètres de haut ; mais il est moins bien conservé que celui que nous possédons à Paris. Il est debout près de la mer, et appartient à la France ; une seconde aiguille semblable, placée à terre, près de la première, appartient à l’Angleterre. Ces obélisques, monuments particuliers à l’Égypte, étaient, pour ainsi dire, des livres perpétuels, où les Pharaons gravaient, pour la postérité, leur religion, leur morale, leur histoire. Ils étaient généralement placés de chaque côté de l’entrée des temples et des palais.

Alexandrie est une ville à moitié européenne, trop connue pour que nous devions en parler plus longuement dans ces rapides notes, où nous recherchons surtout les raretés de l’art et de la nature, et les contrastes des civilisations.

 

 

II

 

CHEMIN DE FER D’ALEXANDRIE. – LE CAIRE. – FÊTE

DU PROPHÈTE. – LA CITADELLE.

 

Le Caire, 23 novembre 1855.

 

Après trois jours de repos à Alexandrie, un train spécial nous emmena jusqu’à l’Afté, village des bords du Nil. Je dis un train, car nous roulions bien réellement sur un chemin de fer, et ce n’était pas une des choses les moins curieuses que de voir ce prodige du progrès moderne, cette merveille de la civilisation européenne traverser triomphante ce vieux monde où rien de nouveau ne s’était remué depuis deux mille ans. Cela avait l’air d’un défi ou d’un appel jeté à ces populations, qui semblaient endormies pour l’éternité. Les deux Arabes, en robe longue et en turban, qui chauffaient la locomotive, me paraissaient l’emblème de la barbarie vaincue, servant docilement le génie de l’industrie moderne comme un nouveau dieu. Toutefois, le service des chemins de fer est fait en majeure partie par des Européens, qui parlent tous le français, l’anglais, l’italien, et quelques-uns l’allemand. Les travaux d’art, les gares, les voitures, les buffets, tout y est construit et servi à l’européenne, et à peu près aux mêmes prix.

Le trajet d’Alexandrie à l’Afté se fait en trois heures, à travers les champs fertiles de la Basse-Égypte. Le voyageur qui passe là pour la première fois regrette la rapidité qui l’emporte et l’empêche d’admirer à son aise cette riche végétation dont rien en Europe ne peut donner l’idée. On est frappé surtout de la verdure, de son éclat, de sa vigueur luxuriante, dont n’approchent ni les pâturages de la Normandie, ni ceux même de la Grande-Bretagne, si vantés, et à juste titre, par les Anglais. C’est là que nous avons vu pour la première fois des champs de coton, de riz et de doura. Le doura est une plante à peu près semblable au maïs, de deux à trois mètres de haut, et dont le grain est à l’extrémité supérieure comme celui du millet. Il forme la principale nourriture des habitants du pays, qui en font du pain, de la soupe, des gâteaux, etc.

A l’Afté, un bateau à vapeur nous attendait pour remonter jusqu’au Caire. L’ouverture du chemin de fer qui relie aujourd’hui cette ville à Alexandrie, et qui se prolongera sous peu jusqu’à Suez, n’a eu lieu que quinze jours après notre passage.

Nous arrivâmes à la tombée de la nuit au barrage du Nil, que nous traversâmes à la lueur des torches. Je reviendrai sur cette grandiose construction, due au génie créateur de Méhémet-Ali, et exécutée avec tant de science et de hardiesse par M. Mougel-Bey. Notre arrivée au Caire fut triomphale ; les hauts fonctionnaires, prévenus d’avance par le Vice-Roi de l’arrivée de la Commission, nous reçurent avec empressement. Je dirai, pour ne pas y revenir, que nous trouvâmes partout sur notre route même accueil et mêmes honneurs. Notre entrée dans la capitale se fit à la nuit close, à travers une allée de sycomores de 2 kilomètres de long, dans des voitures à quatre chevaux, que précédaient des coureurs armés de torches.

Nous voici au Caire ! Au seul nom de cette ville, toutes les imaginations artistes doivent s’épanouir, et il y a de quoi ! Jamais personne, ayant quelque goût de l’art, ne pourra voir le Caire sans un vif sentiment d’admiration ; c’est que là n’ont pas encore pénétré nos réformes de costumes ; là, les formes roides de notre architecture moderne ne sont pas encore venues détrôner la grâce et l’élégance, principales qualités de l’architecture mauresque ; là enfin, l’originalité, le caprice artistique, le senti, n’ont pas encore pâli au contact froid de notre siècle d’uniformes, de lignes droites et d’argent.

Rien de plus saisissant, en effet, que cette ville de 300 000 âmes, dont chaque maison est un objet de curiosité et d’étude, surtout par les délicates sculptures en bois et à jour qui recouvrent les balcons, où chaque rue offre un tableau piquant par la pose des Arabes et les groupes pittoresques qu’ils forment, et au-dessus de laquelle se détachent les dômes de quatre cents mosquées, dont chacune est un chef-d’œuvre d’art.

Au milieu de tous ces trésors artistiques, recouverts de poussière et en ruines, il est vrai, se meut une population qui, malgré sa misère extérieure, porte un air de dignité qui étonne et impose. Ces Arabes, couverts à peine de quelques haillons, ressemblent à des princes réduits à l’indigence, et lorsqu’on passe près d’eux, c’est à peine s’ils laissent tomber sur vous un regard empreint du plus souverain mépris. Je le répète, ce pays est sans contredit celui où les amateurs de l’art ont le plus de sujets d’observation et de travail. Chose extraordinaire ! le naturaliste, l’antiquaire, l’historien, nous ont révélé tour à tour les richesses de ce pays merveilleux ; l’artiste seul lui a fait défaut. Ce n’est que dans ces dernières années qu’il en à été rapporté quelques vues et quelques dessins, qui ont eu, d’ailleurs, le plus grand succès.

A l’admiration pour ces monuments, où le fini ne le cède qu’au gigantesque, se mêle un sentiment de tristesse quand on voit plongée dans la barbarie une contrée que l’histoire de l’antiquité place au premier rang. Que manquait-il, en effet, à la vieille Égypte ? Fécondité du sol, sages institutions, intelligences supérieures dans tous les ordres, génie de la guerre, génie de l’industrie, science et religion, tout semblait se réunir pour en faire l’éternelle lumière du monde ! Ce soleil pourtant s’est éteint ; l’empire des Pharaons, foulé d’abord par le colosse romain, s’est écroulé sous le pied destructeur des conquérants arabes, et depuis il s’est épuisé en luttes intestines, causées par l’avidité et l’incurie des pachas de la Sublime Porte. Aujourd’hui, cependant, l’Égypte paraît renaître et renaît réellement. Un homme de génie, Méhémet-Ali, reprenant les idées d’un autre homme de génie, Bonaparte, lui a donné une impulsion décisive, que son successeur actuel, Saïd-Pacha, poursuit activement.

Le Caire est construit près de l’emplacement de l’ancienne Memphis. Son nom arabe est Masr-el-Kahirak (capitale victorieuse). Elle est considérée comme étant la plus belle ville arabe. Notre première visite fut à la citadelle, qui domine complétement le Caire, et du haut de laquelle on voit se dérouler un magnifique panorama. Elle a été construite par le grand Saladin, près du mont Mokattan. Elle contient le palais de Méhémet-Ali, et une superbe mosquée recouvrant son tombeau, dans laquelle on nous permit d’entrer, à condition de nous conformer à l’usage musulman, qui est d’ôter ses souliers à la porte. Le parvis, en marbre parfaitement poli, nous rendait cette cérémonie moins désagréable. L’intérieur de cette mosquée est peint et en stuc.