Voyages - Véronique Dupuy - E-Book

Voyages E-Book

Véronique Dupuy

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Beschreibung

Où commence la vie ? L’existence de Véronique Dupuy débute avec celle de sa mère et un premier abandon. Dans Voyages, elle décrit les déplacements, les transformations et les bouleversements qui ont jalonné ses vingt premières années.
Quelque temps après, la roue a tourné, l’amour et le besoin de voyages sont restés, et, partie à la recherche de ses origines, elle a fait de nombreuses découvertes. Encouragée par des personnes ayant croisé son chemin, Véronique Dupuy a éprouvé le désir de se raconter.
Férue de l’aventure, elle nous convie à un périple dans ce récit qui représente le mémorial de son vécu.

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Seitenzahl: 152

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Véronique Dupuy

Voyages

Roman

© Lys Bleu Éditions – Véronique Dupuy

ISBN : 979-10-377-6302-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préambule

À tous ceux qui viendront après moi et qui, comme moi, seront curieux de ma vérité, je veux dédier ces lignes.

Cette histoire est un inventaire d’évènements qui ont été importants pour moi. Je suis l’héroïne du livre d’une vie. Certains d’entre vous l’auront traversée avec moi, leurs souvenirs seront sans doute différents. Chacun ressent le moment présent comme le sien, propre à sa personnalité et à son parcours. Je vous invite à être indulgents avec moi, mais attentifs aux vôtres. Les petites phrases anodines, les petits gestes ou leur absence marquent une existence entière, leurs empreintes sont indélébiles.

Mes souvenirs sont rassemblés en vrac, comme ils ont émergé de ma mémoire. La chronologie vous ferait fuir alors que je veux marquer mon passage sur cette terre et empreindre ma descendance.

Le but est présomptueux, je vous l’accorde, mais ne faut-il pas viser toujours plus haut ?

Ensuite, je veux vous faire part de mes chances. Malgré une enfance bousculée, je suis persuadée qu’une étoile veille sur moi pour me faciliter la vie. Elle m’a évité les écueils, sans dire jamais son nom, elle m’a guidé vers le bien-être actuel. Je n’ai pas encore atteint un âge canonique, mais, comme dit le philosophe chutant du soixantième étage avant d’atteindre le sol : « Jusqu’ici, tout va bien ! »

Soyez serein en lisant cette histoire. Je le suis désormais, déchargée de toutes contraintes autres que matérielles.

Bonne lecture et longue vie à vous, mes filles, mes petits-enfants et ceux qui les suivront.

Présentation

Ma vie a commencé en noir et blanc, ou plutôt en blanc et noir. Blanc comme l’hôpital et les murs qui entouraient mon berceau métallique peint et repeint en blanc depuis plusieurs générations.

Les draps étaient blancs, sans aucune inscription et le lange qui m’emmaillotait était immaculé.

J’imagine aisément les spécificités impersonnelles entretenues par le contexte anonyme de ma naissance.

Quand j’écris anonyme, je veux insister sur le fait qu’à cette époque, un enfant reconnu uniquement par sa mère était réputé « sans nom ».

Je suis née par hasard et de père inconnu. Les autres enfants ont un patronyme, j’avais un matronyme et franchement, ça m’a bien plu.

Il était original ce nom, court et franc : CHAZE. Jamais je n’ai croisé une autre personne qui le portât en dehors de la famille. De la même façon que je n’ai pas connu mon géniteur, je n’ai pas non plus rencontré celui de ma mère, mon grand-père. Je ne connais pas l’origine de leur nom de famille ni les métiers de mes ancêtres. Ce que j’ai entendu raconter plus tard par ma tante, ma grand-mère et ma grand-tante c’est que, dans la Bible, un berger se serait appelé ainsi. Exceptionnel, non ? Je n’y crois qu’à moitié, mais j’aime l’idée.

J’ai donc vu le jour dans une « Maison maternelle », en 1955. Ma mère, puis nous deux, avons vécu là pendant près de six mois. Avant ma naissance, elle a reçu un enseignement, que l’on pourrait appeler maternel, qui consiste à apprendre les gestes indispensables pour s’occuper correctement d’un bébé.

Les formatrices, des religieuses de l’Ordre de Saint Vincent de Paul, les « cornettes » comme disait ma mère, recevaient des jeunes femmes de familles aisées qui avaient « fauté ». Elle faisait partie de ces innocentes souvent effrayées par l’avenir sombre que l’entourage ne manquait pas de leur promettre après la venue de leur progéniture, hors des liens sacrés du mariage. Voilà comment le noir a accompagné mes premiers jours de vie escortés par la danse des robes noires virevoltant autour de mon berceau.

Cette courte période n’est qu’un épisode mais ces quelques jours ont été déterminants pour la construction de mon moi profond, d’après le psy. Les religieuses ont souvent rabâché à ma mère que la vie n’avait pas demandé à naître et que ce petit être de chair et de sang serait son enfant pour toujours. Elle ne m’a jamais abandonnée malgré les embarras.

Pourtant, le début de sa propre vie n’a pas été simple ni comblé d’affection. Elle a connu des difficultés, des déchirures, des abandons.

Ma mère est née à Graulhet le 24 décembre 1930. Ses parents, Edmond et Marie-Louise, l’ont prénommée Paulette. Ils avaient déjà un fils, Élie. Quelque temps plus tard, toute la famille est descendue habiter à Marseille, berceau de la famille de Marie-Louise. Ils vivaient là quand la guerre a été déclarée.

Marie-Louise avait deux sœurs : Marcelle et Joséphine. Toutes les deux avaient fait de beaux mariages, l’aînée avec un comptable, Gaston et la deuxième avec un ingénieur chimiste, Paul. Leurs parents vivaient dans une petite maison avec un jardin et un grand figuier comme il en existait autour du centre de la grande ville qui était très différente de ce que l’on connaît, aujourd’hui. Leur père était surnommé « Mange Figues ». Il jouait fréquemment à la pétanque, le soir, et entre chaque tour volait quelques fruits sucrés sur la place ombragée.

En 1939, Edmond est devenu routier en s’associant avec un membre de sa famille. Il transportait des oranges de l’Espagne vers la France. C’est lors d’un de ces trajets que son camion a été pris pour cible et mitraillé par les avions ennemis. Il a été blessé à l’épaule.

Malgré plusieurs interventions chirurgicales, un éclat de métal est resté dans sa cage thoracique et, au fil des mois, a circulé jusqu’à infecter un de ses poumons. On l’a dit tuberculeux. Il a donc été hospitalisé à nouveau et éloigné de ses enfants. Il est décédé en 1940, juste après la naissance de Colette, leur deuxième fille.

Marie-Louise se retrouvait seule avec trois enfants à charge et dans le plus grand dénuement. Elle travaillait dans une usine, mais le salaire était maigre avec ses trois bouches à nourrir et les nouvelles restrictions dues à la guerre.

Sa sœur Marcelle venait de perdre un fils de cinq ans. Gaston, le mari, proposa à Marie-Louise de prendre Élie chez eux, en Auvergne, pendant sa dernière année de scolarité, jusqu’à l’obtention du certificat d’études. Ce fut fait et Marcelle retrouva peu à peu le sourire. Élie était un bon élève, il obtint son diplôme avec mention. Gaston et sa femme lui proposèrent de continuer son cursus scolaire. Après une courte hésitation, il décida de retourner à Marseille pour travailler et aider sa mère à élever ses sœurs. Il avait quatorze ans.

La guerre battait son plein, l’envahisseur s’installait, la nourriture manquait. Au bout de quelques mois, Gaston et Marcelle ont réitéré leur proposition mais cette fois, ils offraient de prendre chez eux la petite Paulette. Marie-Louise, littéralement dépassée par ses obligations maternelles fut immédiatement d’accord. La sensiblerie n’était pas de mise, c’était un luxe qu’elle ne pouvait s’offrir. Elle n’a jamais été très maternelle, ni avant ni après ces évènements. Elle abandonna l’aînée de ses filles à sa sœur et son beau-frère en mal d’affection.

Bien des années après ma naissance, ma mère, qui n’est encore qu’une enfant dans cette histoire, m’a raconté l’épisode qui suit comme une aventure. Je décris ce voyage avec ma sensibilité, celle que je connais de Gaston et Marcelle, à travers le récit que ma mère m’en a fait.

En mai 1942, l’oncle Gaston et la tante Marcelle traversent Marseille, en zone libre mais déjà bien occupée, avec dans leurs bagages une nièce malingre et dénutrie.

Les rues grouillent de passants, de loqueteux et d’uniformes vert de gris. Le soleil brille, la température est clémente bien qu’il soit encore très tôt dans la matinée.

Le taxi s’arrête devant les grands escaliers de la gare Saint-Charles. Gaston, toujours élégant, descend, puis Paulette et enfin son épouse. Le chauffeur sort deux valises du coffre du véhicule, empoche le prix de la course et repart.

Gaston se saisit des valises et Marcelle de la main de la fillette. Ils s’engouffrent dans le grand bâtiment peuplé de soldats mitraillette en bandoulière, d’officiers aux uniformes décorés comme des arbres de Noël et de quelques civils, le regard fixé sur leurs chaussures.

Le couple et l’enfant ont récupéré les tickets les autorisant à voyager. Ils grimpent dans un wagon. Les deux adultes sont concentrés, évitent les regards des autres passagers. Ne pas sourire à n’importe qui, ne pas se faire remarquer, c’est la consigne qu’on a donnée à Paulette en quittant son quartier de La Pomme. Elle baisse les yeux, mais c’est surtout pour ne pas faire de faux pas, mettre ses pieds dans ceux des adultes pour ne pas bousculer les valises et les sacs qui encombrent l’allée centrale.

« Voilà, assieds-toi là ! »

La main de Paulette caresse la banquette de moleskine rouge, c’est froid et ça brille comme un miroir. Elle prend place tout près de la fenêtre, sa tante s’assied à côté d’elle et son oncle en face. Il a calé les deux valises sur l’étagère métallique au-dessus de leurs têtes, y a déposé son chapeau et a rangé les billets dans la poche intérieure de son veston.

Paulette a onze ans et demi, c’est important le demi quand on est enfant. Elle lance des regards furtifs autour d’elle, enfin, juste là où ses yeux peuvent voir sans qu’elle bouge la tête. C’est la première fois qu’elle prend le train. Elle était contente quand sa mère lui a expliqué qu’elle allait partir vivre ailleurs, prendre le train, voyager, rencontrer des gens qui ressemblent certainement à Gaston et Marcelle, des gens qui seront beaux et riches, pense-t-elle. Elle est bien dans ce train, mais elle ne doit pas le montrer, elle ne sourit pas. Elle observe.

Assis en face d’elle, Gaston est adossé à la banquette, les yeux perdus vers l’horizon, au-delà du quai de la gare. Il est presque chauve, juste quelques cheveux blancs sur les côtés. Il porte une petite moustache, toute fine. Il a un visage rond et rassurant, Paulette l’aime bien, elle a confiance en lui.

La voix du chef de gare résonne dans un haut-parleur.

« Départ du train pour Vichy imminent, fermez les portières ! »

Le wagon s’ébranle soudain dans un bruit de ferraille et de couinements qui font mal aux oreilles. Un nuage monte du sol avec une odeur de poêle à charbon, Paulette fait la grimace et Marcelle sourit en posant sa main gantée sur celle de la petite fille.

« J’ai pas peur », dit la fillette pour rassurer sa tante.

Ça y est, c’est le départ vers un ailleurs qu’elle imagine. Un autre pays où elle n’aura plus jamais faim, dans une grande maison où elle rencontrera sûrement d’autres enfants. Tant pis pour son grand frère ou sa petite sœur qu’elle verra moins souvent. Et sa maman ? Elle va lui manquer peut-être un peu. Paulette n’en parlera jamais.

Elle pose sa tête le long de la paroi, elle laisse partir son regard, mais elle ne voit déjà plus rien. Ses paupières se sont closes, bercée par le bruit cadencé des roues sur les rails, tatatac, tatatac, tatatac, elle dort.

Gaston caresse Marcelle avec un très tendre sourire, et, ensemble, ils posent des yeux pleins d’affection sur l’enfant. Ils en sont responsables à présent et ils en sont heureux.

Le train roule vers le nord. Par rapport à Marseille, tout est toujours au nord ! Le soleil blanchit dans le ciel pourtant clair. Des gouttelettes dansent sur l’extérieur de la vitre du wagon. Elles s’accrochent, montent ou descendent selon la direction du vent pour venir mourir sur l’encadrement. Les paysages deviennent plus vallonnés, puis légèrement montagneux. Les gares défilent, parfois le train fait une halte. Certains passagers descendent et d’autres montent. Le temps que chacun prenne ses marques, pose ses paquets, trouve une place, une impression de valse incessante anime l’espace. L’ambiance paraît plus détendue qu’au départ. Les voyageurs échangent quelques courtoisies. Lors d’un passage d’aiguillage, le train tressaille dans un vacarme d’enfer. Paulette ouvre un œil.

« On est arrivé ? »

« Pas encore, la route est longue. As-tu faim ? Ta mère t’a préparé des gressins, tu les veux maintenant ? » demande la tante.

Elle ouvre son sac à main posé sur ses genoux depuis le départ et en sort un petit paquet entouré d’une feuille de journal. Elle le déplie avec lenteur comme s’il contenait un trésor. Trois longs gressins sont allongés côte à côte. Paulette en prend un, regarde tour à tour son oncle et sa tante :

« Un pour moi et les autres sont pour vous. »

Marcelle sent une larme monter au coin de son œil, elle regarde ailleurs.

Le paysage est à présent montagneux. L’horizon bleuté et bosselé s’étire sous une pluie battante. Paulette n’a jamais vu de telles montagnes. Elle ne connaît que le Garlaban qui surplombe Aubagne et encore, de très loin. Elle scrute la campagne qui se déroule sous ses yeux émerveillés. Quand soudain… qu’est-ce que c’est ? On dirait le rideau de coton que sa mère suspend devant la porte l’été pour éviter les mouches. Mais celui-ci est blanc et il tombe du ciel. Elle colle son nez au carreau, les yeux écarquillés.

« C’est de la neige », dit Marcelle.

Plus le train avance, plus les contours des arbres, des maisons et des reliefs disparaissent dans un brouillard de coton et de neige. La terre et le ciel se confondent.

Paulette pense à ce qu’on lui a dit quand son papa est mort à l’hôpital. Il est parti au ciel ! Elle cherche du regard une silhouette dans la brume. S’il est au ciel, il va peut-être descendre, juste pour m’accompagner. Elle l’imagine assis sur un nuage, regardant passer les trains. Mais rien ne vient sauf une grosse larme qui roule sur sa joue du côté de la vitre glacée. Les adultes ne voient rien. Elle renifle et essuie son nez du revers de la manche de son manteau.

« Prends ton mouchoir pour te moucher. Ce n’est pas beau de renifler. On arrive. »

Enfin ! Dehors tout est gris, enveloppé d’un coton sale. Elle distingue les formes des maisons, les toits sont blancs. Le train ralentit. Il siffle deux fois et lâche plus de fumée encore. Il semble entrer dans un tunnel sombre. Il s’arrête. Une autre voix crie dans un haut-parleur : « Vichy, tout le monde descend. » Tout le monde se lève, on descend les valises des râteliers. Gaston positionne son chapeau, Marcelle enfile son manteau qui était resté bien plié sur ses genoux, elle remonte le col de celui de Paulette :

« On va descendre. Tu me donnes la main et tu ne la lâches surtout pas quand on sera sur le quai. »

L’oncle est descendu, c’est son tour. Au bord du marchepied, elle hésite un moment : elle ne devine même pas le sol. Elle fait un pas et pose le pied sur le nuage. Et si papa était là ?C’est dur un nuage ? Parce que sous ses pieds qu’elle voit à peine, le sol est dur. Marcelle saisit sa main fermement et le cuir du gant l’enveloppe comme un réconfort. Elle glisse la deuxième dans sa poche. Il fait froid, ça sent mauvais. Les gens parlent autour d’elle, elle comprend à peine, comme s’ils parlaient une langue étrangère. Ils passent tous les trois un dernier contrôle et les voilà dans la rue.

Spectacle magnifique, féerique. Tout est blanc. Elle veut se baisser pour toucher le sol mais Marcelle l’en empêche, « c’est sale » dit-elle. Alors, elle tend la main pour sentir les parcelles de coton qui, dès qu’elles touchent sa peau, disparaissent comme par magie ! Marcelle s’arrête et observe la fillette le bras levé, la paume tournée vers le ciel. Elles se sourient.

Partout, des uniformes de gradés vert-de-gris, partout l’occupant surveille. La zone libre est investie de militaires dont certains, à Vichy, se sont fait des amis. Cet assaillant qui sourit et assassine en même temps, Paulette n’en sait rien encore. Des larmes inondent les joues de Marcelle quand Gaston revient vers ses désormais, deux femmes. Il pose des yeux interrogateurs sur son épouse. Elle lui sourit timidement.

« J’ai pris des billets de train pour Saint-Prix. C’est mieux que l’autobus avec la neige ! »

Demi-tour et retour dans le hall de gare puis sous la grande verrière des quais, toujours main dans la main pour Marcelle et Paulette. Cette fois, on emprunte le sous-terrain. On ne traverse pas la voie, c’est beaucoup trop dangereux et les surveillants sont partout. Le train dans lequel ils vont monter est beaucoup plus coloré que le précédent. À Marseille, ils ont pris un train vert ou noir, on ne voyait pas très bien la couleur. La seule chose que Paulette a remarquée ce sont les lettres dorées qu’elle a réussi à déchiffrer malgré les entrelacs : SNCF. À Vichy, le train s’appelle une Micheline a dit Gaston, elle est jaune et rouge et la marche est moins haute.

La dernière partie du voyage est beaucoup plus courte mais l’impatience la fait paraître interminable à Paulette. Tout ce blanc, et maintenant le silence dans le wagon plus spacieux, moins bondé lui semble comme un gouffre duquel on ne connaît pas la profondeur. Malgré tout, elle s’endort, et elle rêve.

« On est arrivé », lui glisse Marcelle dans le creux de l’oreille. Maintenant, la nuit est presque tombée. La gare n’est qu’un seul bâtiment, une seule grande pièce, un seul uniforme, bleu celui-là, avec un sifflet et un drapeau à la main contrôle les billets. Devant la porte attend une voiture. Le chauffeur prend les valises, les dépose dans le coffre et entame la conversation avec l’oncle Gaston. Il l’appelle monsieur ! C’est sûrement un personnage important, pense Paulette.

La voiture traverse la campagne de plus en plus noire. Il n’y a aucune maison alentour, la fillette est impressionnée. On arrive devant un grand portail fermé, le chauffeur descend pour l’ouvrir.

« On est à la maison, enfin », soupire Marcelle, plus soulagée et détendue.