19,99 €
Au coeur des sanctuaires shintoïstes, les cavaliers du Yabusame, lancés au galop, décochent leurs flèches vers les cibles pour honorer les dieux. Héritage des samouraïs, cet art millénaire conjugue la vitesse et la maîtrise, la puissance et le silence. Jean Donnadieu, premier Français initié au sein de la prestigieuse école Ogasawara, livre un témoignage d’une rare intensité : celui d’une initiation vécue comme une ascèse et une quête spirituelle.
Son récit, illuminé par les photographies de Moriyama Masatomo, nous entraîne dans un Japon éternel où le geste devient prière, et chaque flèche une offrande. Entre journal personnel, regard historique et méditation esthétique, Yabusame – Au galop vers les dieux invite à la découverte d’un art qui dépasse la technique pour rejoindre la voie du sacré.
C’est aussi l’histoire d’un homme occidental qui, à travers l’apprentissage du Yabusame, retrouve l’unité perdue entre le corps, l’esprit et le monde. Dans la beauté du geste, il perçoit la noblesse du service, la fidélité au maître et la grâce du mouvement.
Un livre d’initiation et de contemplation, d’une élégance rare, qui ouvre un dialogue entre l’âme japonaise et la tradition chevaleresque européenne.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Diplômé d’HEC, Jean Donnadieu découvre le "Yabusame" au Japon lors de ses débuts chez Hermès. Après une carrière internationale au sein de l’Alliance Renault-Nissan, il revient à cette passion du cheval et de la voie martiale. Seul Français formé au tir à l’arc à cheval dans la lignée Ogasawara, il est aujourd’hui autorisé à officier dans les sanctuaires shintoïstes. Son oeuvre conjugue rigueur occidentale et spiritualité orientale, dans une quête d’harmonie et de beauté.
Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:
Veröffentlichungsjahr: 2025
Page de titre
Jean Donnadieu
Yabusame
Au galop vers les dieux
PhotographiesMoriyama Masatomo
Préfaces Ogasawara Kiyomoto
Patrice Franchet d’Espèrey
PostfaceRichard Collasse
Les Acteurs du Savoir
Citations
« Arrêter, le temps d’un souffle, les mains occupées aux travaux de la terre, obliger les hommes absorbés par la vision d’objectifs lointains à contempler autour d’eux une image de formes, de couleurs, de lumière et d’ombres ; les faire s’arrêter, l’espace d’un regard, d’un soupir, d’un sourire, tel est le but, difficile et fuyant, et qu’il n’est donné qu’à bien peu d’entre nous d’atteindre. »
Joseph Conrad
« Il parle à notre capacité de joie et d’admiration, il s’adresse au sentiment du mystère qui entoure nos vies, à notre sens de la pitié, de la beauté et de la souffrance, au sentiment latent de solidarité avec toute la création ; et à la conviction subtile mais invincible de la fraternité qui unit la solitude d’innombrables cœurs : à cette fraternité dans les rêves, dans la joie, dans la tristesse, dans les aspirations, dans les illusions, dans l’espoir et la crainte, qui relie chaque homme à son prochain et qui unit toute l’humanité, les morts aux vivants, et les vivants à ceux qui sont encore à naître. »
Joseph Conrad
Préface de Ogasawara Kiyomoto
32e représentant de la famille Ogasawara, et de son École sur l’Étiquette, le Tir à l’arc et le Yabusame (tir à l’arc à cheval).
Les chevaux sont des animaux beaucoup plus grands que les humains et, bien qu’ils ne comprennent pas totalement notre langage, ils sont capables de communiquer avec nous. Ils sont utilisés pour aider les hommes dans leur travail ou pour leurs loisirs, mais dans le cas des samouraïs, ils étaient leurs compagnons de bataille. Ils étaient élevés pour leur obéir, mordre et frapper leurs ennemis à coups de pied. Ils vivaient dans le domaine de leur maître et formaient avec lui une véritable famille.
Les mors japonais traditionnels étaient plus fins qu’on ne l’imagine aujourd’hui. La mâchoire du cheval japonais était puissante, et l’habileté des cavaliers a conduit à l’utilisation de mors fins de filet. Notre histoire équestre dit également que les rênes doivent être manipulées « comme si un rossignol joue du koto ». Cela signifie que les rênes se tiennent avec la même légèreté qu’un rossignol pince les cordes de la cithare. Aujourd’hui, les chevaux ont évolué et les mors plus épais sont devenus la norme. Je crois que la culture équestre et l’amour des chevaux sont chose commune dans le monde, quelle que soit l’époque ou le pays.
Le Yabusame (tir à l’arc à cheval) est l’art de tirer des flèches à partir d’un cheval au galop, les deux mains libres. Cela ne peut se faire sans une relation de confiance totale entre le cheval et l’homme. Seuls les guerriers samouraïs de haut rang pouvaient tirer à l’arc à cheval. Bien que l’arc soit une arme permettant d’attraper des proies et de vaincre des ennemis, on dit aussi qu’il est un miroir de soi-même. On l’appelle « miroir » parce que le simple fait de tirer et de lâcher sa flèche et d’atteindre une cible immobile montre l’état d’esprit dans lequel on se trouve. Dans le Yabusame, le cheval galope et son cavalier bouge avec lui, de sorte que même une cible immobile a une signification légèrement différente. Mais la fusion du mouvement et de l’immobilité, où le cavalier semble immobile face au mouvement du cheval, est l’essence même du Yabusame. Pour créer cette impression d’immobilité, alors que tout son corps est en mouvement, le cavalier s’entraîne et améliore son art. Ainsi, le Yabusame est organisé comme cérémonie religieuse et attire le public.
Depuis environ 800 ans, le Yabusame a été une formation et une fierté pour les samouraïs, ainsi qu’un rituel célébré dans les sanctuaires shintoïstes. Cependant, avec la modernisation du Japon, diverses personnes s’y impliquent et le Yabusame devient un rituel ouvert au grand public, que tout le monde peut admirer. Le Yabusame organisé par la famille Ogasawara rassemble parfois jusqu’à 30 000 personnes dans certaines cérémonies. Au cours des 50 dernières années, des femmes et des étrangers ont également commencé à pratiquer le Yabusame et à participer au rituel. Contrairement à l’image idéale des cérémonies majestueuses où tout paraît simple, l’entraînement du Yabusame est très direct, exigeant, de sorte que la plupart des personnes qui l’apprennent abandonnent devant les difficultés dès la première année.
On dit chez nous qu’il n’y a qu’un seul bon archer tous les dix ans. L’auteur, Jean, a commencé à s’entraîner au tir à l’arc à cheval dans l’École Ogasawara il y a dix ans, dans sa quarantième année passée. Je pensais au début qu’il serait difficile pour lui de progresser en raison de la barrière de la langue, de son âge (il est conseillé de commencer sa pratique à l’adolescence) et du fait que son corps était rigide comparé à celui des archers japonais. Cependant, grâce à sa pratique inlassable, il s’est amélioré au point de servir aujourd’hui dans les différents sanctuaires du Japon, pour honorer les kamis. Je vous invite à lire son livre illustré des photos de Moriyama Masatomo. Découvrez ses réflexions sur la poursuite de son entraînement du Yabusame, les difficultés et les sacrifices qu’il a surmontés et sa fascination pour cet art. Et n’hésitez pas à venir au Japon pour assister à sa performance héroïque.
Signature Ogasawara Kiyomoto en Kanji
La famille Ogasawara a joué le rôle d’instructeur de l’Étiquette, du Tir à l’arc et du Yabusame, auprès des Shoguns et la classe des Samouraïs de l’année 1187 à 1868. Depuis, cette famille a créé son École et enseigne bénévolement les bases de ces trois arts au Japon. Elle possède des centres d’entraînement aux États-Unis, en Californie et Hawaï, en Pologne et en Russie.
Préface de Patrice Franchet d’Espèrey
Le livre de Jean Donnadieu renferme des trésors qui incitent à une lecture prolongée suivie d’un temps de méditation. Le lecteur peut le parcourir comme un reportage documentaire et se satisfaire d’apparences plus ou moins exotiques et dépaysantes. Cependant, il sera emporté presque malgré lui à sonder la richesse transformatrice de l’expérience de l’auteur et la profondeur des principes sur lesquels reposent non seulement la discipline du Yabusame mais l’art de vivre ancestral des japonais. Des dizaines de siècles concentrés dans un geste, le lâcher de la flèche. Ce texte révèle des mystères qui régissent l’art de transmettre autrement que chez nous.
La métaphore platonicienne des « Paroles gelées » de François Rabelais dans « Le quart livre1 » en livre une clef : En pleine mer, Pantagruel voit des dragées de toutes couleurs tomber sur le tillac du bateau. Ce sont des paroles et des bruits de bataille gelés l’hiver précédent au cours d’une bataille et qui se dégèlent au printemps et notamment quand ils sont réchauffés dans ses mains. Il existe un printemps de l’esprit lorsque, après un certain temps de mûrissement inconscient, le sens enfoui s’épanouit.
Ici, une tradition orale, peu palpable, insaisissable à celui qui ne la pratique pas2, se fige par l’opération de l’écriture. Le livre trouvera sa place dans des bibliothèques où il faudra s’asseoir pour l’ouvrir. Une bouteille est lancée dans la mer des temps futurs. Puis il sera ouvert. Ouvrir un livre est un acte précieux. Avant, tous les sens sont encore « possibles ». Mais il est impénétrable, vraiment fermé. Sa reliure offre une résistance qui le protège de l’intrusion avant qu’une main n’intervienne et par l’écartement des pages permette enfin la délivrance de leurs messages… tout au moins en partie. Parfois les livres sont rétifs !
L’œuvre de Jean Donnadieu est une gageure qui fait entrer le Yabusame dans l’espace de la rationalité descriptive alors que la pédagogie japonaise se fonde sur un enseignement oral et l’emploi de métaphores et d’images. C’est un témoignage, non d’un simple observateur, mais un témoignage de ce qu’a vécu un pratiquant imprégné d’une autre forme de pensée que celle de sa naissance.
En effet, l’ancienneté de la discipline, sa conservation et sa transmission au sein d’une même famille au cours des siècles excite notre curiosité. Le maître-archer de l’auteur, Ogasawara Kiyomoto, est le 32e représentant de la famille Ogasawara. À raison de trois générations par siècle on en déduit dix siècles de détention et transmission du savoir pratiquement de père en fils. Pour l’Orient, la filiation permet l’imprégnation dès le plus jeune âge de l’esprit de la discipline. Cet esprit devient essentiel et dépasse le niveau technique, même si celui-ci reste essentiel. La quête d’un savoir-être par le savoir.
L’attitude bénévole du maître est le fondement de la transmission. L’ayant vécu dans mes relations avec mon vieux professeur d’équitation René Bacharach, je peux en témoigner d’expérience3.
« Ogasawara Kiyokane 28e du nom ordonne strictement à ceux qui lui succèdent dans la lignée du dōtō d’avoir également une profession et de gagner leur propre vie. Selon lui, l’échange d’argent conduit à des compromis entre le maître et son élève et l’art du Kyu-ho perd de sa valeur sacrée et de sa dignité s’il est monétisé.4 »
Dans la richesse de ce livre qui dévoile les différents aspects du Yabusame, on découvre aussi les techniques artisanales ancestrales, le tressage des coiffures, la fabrication de l’arc, des flèches, du harnachement, le détail de l’habillement, le contexte religieux shintoïste, les rituels, les sanctuaires où se déroulent les cérémonies. Et même, une autre discipline enseignée par cette famille, le « Rei-hō, », l’Étiquette, qui dépasse ce que nous définissons comme un ensemble de règles, de normes, appelées « bonnes manières » qui gouvernent le comportement en société.
En effet, si le « Rei-hō, » modèle les mouvements quotidiens du corps dans ses déplacements, il le prépare à recevoir d’autres enseignements spécifiques. C’est qu’il enseigne à intégrer l’espace dans lequel un homme évolue, les personnes qui s’y trouvent et en particulier « à estimer la fonction des objets » pour rendre, « nos mouvements plus simples, plus pratiques et plus beaux5 ».
Deux exemples.
Le premier, donné par l’auteur à propos de la synergie des forces de l’arc et de l’archer :
« D’un point de vue esthétique, l’arc de bambou, quand il est bandé à l’aide de sa corde, exerce déjà une force naturelle, car il est tendu à l’opposé de sa cambrure originelle. Donc l’arc tendu est déjà en éveil, il est tendu par la propre force de l’objet. Si l’archer vient en plus ajouter son énergie à celle de l’arc, alors les forces s’additionnent, et quand l’archer lâche sa flèche, elle est portée par l’énergie de l’arc dans sa cambrure qui se rapproche de son état d’origine. »
L’autre issu de ma pratique équestre fondée sur un principe transféré de l’Aïkido et qui consiste à accompagner les mouvements naturels et nécessaires de la locomotion du cheval pour le conduire en les amplifiant. La relation de l’homme envers son cheval et du cheval envers l’homme s’établit en douceur par un double mouvement d’accompagnement :
« Si, grâce aux exercices de flexion par mouvement induit, les muscles de la nuque sont relâchés, la bouche (du cheval), passive, suivra tous les mouvements de la main (du cavalier) qui s’inscrivent dans la dynamique des ondulations de la locomotion qu’elle ne restreint pas. Le cavalier suit (se met en concordance avec) les mouvements du cheval qui suit (se met en concordance avec) les mouvements du cavalier6. »
L’auteur décrit l’entraînement méthodique au dōjō par la répétition des mouvements dans une plus grande amplitude que nécessaire et la « lenteur portée par la respiration » afin qu’un jour arrive ce que Herrigel a décrit en « tendre l’arc et attendre que le coup parte de lui-même ».
« Le tir à l’arc doit se réaliser comme une danse : il faut lui donner un feu intérieur, mais sans conscience, sans intention. Car quand l’intention se crée, alors la tension apparaît7. »
Travail de la posture au sol, sur le cheval de bois ; tir à l’arc à pied avec un artefact, sur le cheval de bois avec l’arc, etc., c’est aller du simple au complexe en décomposant les différents éléments à intégrer. Il me semble que cela corresponde assez bien à notre esprit cartésien. En comparaison, je cite une autre expérience, celle de Neil Claremon8 dont le maître-archer ne fait enfourcher un cheval que lorsqu’il est devenu capable de marcher en sous-bois en tenant l’arc sans ne plus en être gêné.
Autre réflexion que suscite le Yabusame. Il est convenu qu’une pratique ne puisse rester dans une forme immuable. Les Déclarations préalables de la Convention de l’Unesco en 2003 insistent sur le caractère évolutif de toute pratique y compris traditionnelle et précisent que sauvegarder ne signifie pas pour autant « fixer » ou « figer » le patrimoine culturel immatériel sous quelque forme “pure” ou “originelle”. L’étude d’une évolution du Yabusame serait passionnante. En tout état de cause, les archers constatent que, lorsque la technique est incarnée, un style propre apparaît. Paradoxe de l’écriture, écueil des mots.
Qu’en reste-t-il, lorsque la lecture est achevée et que le livre se referme sur lui-même ? De même, lorsque la troisième flèche est tirée, qu’elle a atteint la cible, que reste-t-il ? La flèche a joué son rôle, l’arc s’est brutalement détendu et, pendant que le cheval reprend son souffle et que l’esprit de l’archer oublie, douze siècles, soit 32 générations de relations continues de maître à élève s’achèvent à nouveau.
Je ne peux laisser le lecteur entrer dans le texte lui-même sans évoquer l’art du photographe Moriyama Masatomo. On parle « d’instantané » qui découpe une tranche de temps et la met en conserve. Avec son « clic » de moins d’une seconde, l’œil du photographe capture plus que 32 générations, toute une civilisation et nous donne à contempler des moments immuables : la beauté des objets, le chatoiement des étoffes, les cerisiers en fleur derrière les archers chevauchant, la lumière du jour qui pointe à peine, l’aube qui nous remet au travail, la « furia » du galop, l’impact de la flèche. Ajoutons que la photographie de Ogasawara Kiyomoto, le maître de l’auteur est un chef-d’œuvre de dépouillement, d’ascétisme.
Mais, une préface n’est pas le livre. Elle a pour fonction d’introduire le lecteur dans le livre. Le préfacier arrête sa marche à l’orée de la première ligne de l’auteur et disparaît aux yeux du lecteur. Il n’interfère plus.
Pour conclure, j’évoque simplement l’adieu d’Eugen Herrigel à son maître :
« En guise d’adieu, qui n’en fut pas un, le Maître me remit son meilleur arc. “Quand vous tirerez avec cet arc, vous sentirez la présence de la maîtrise de votre maître. Qu’aucun curieux ne l’ait entre les mains ! Ne le conservez pas en souvenir quand vous en aurez retiré tout ce qu’il pouvait vous donner, détruisez-le et qu’il n’en demeure qu’une poignée de cendres ! 9 ” »
M. Patrice Franchet d’Espèrey a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire de l’équitation et les techniques équestres, notamment La Main du maître (2007) et D’une main déliée (2023). Il fut responsable du centre de documentation de l’École nationale d’équitation, devenue depuis Institut français du cheval et de l’équitation après son regroupement avec les Haras nationaux.
1 François Rabelais, Œuvres complètes (originale et traduite en français contemporain), aux Éditions du Seuil, 1973, p. 729 à 733.
2 Thérèse d’Avila, Le Livre de ma vie, Paris, Éditions du Cerf, 1995, p. 75 : « J’ai pitié de ceux qui commencent sans autre secours que celui des livres. Il est étonnant de constater à quel point la lumière qu’ils fournissent est différente de celle que l’on acquiert par l’expérience.
3 Je renvoie à mes deux ouvrages publiés aux éditions Odile Jacob, La main du maître, en 2007 et D’une main déliée, en 2013.
4 Jean Donnadieu, Yabusame Au galop vers les dieux, Saint-Léger éditions, 2025, p. 47-48, § 3.
5Ibid., p. 75.
6 Patrice Franchet d’Espèrey, D’une main déliée, Éditions Odile Jacob, 2023, p. 119, § 4.
7 Jean Donnadieu Yabusame Au galop vers les dieux, op. cit., p. 79.
8 Neil Claremon, Sen en mouvement, leçon d’un maître-archer sur la respiration, la posture et la voie de l’intuition, traduit de l’anglais, PARDES, 1991.
9 E. Herrigel (Bungaku Hakushi), Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc, traduit de l’allemand, préface du professeur D. T. Suzuki, Lyon, Éditions Paul Derain, 3e édition, 196, p. 73.
Introduction
Comment le Yabusame se livre à moi, jeune français, comme une révélation de la beauté
« Se vogliamo che tutto rimanga como è, bisogna che tutto cambi. »
Giuseppe Tomasi di Lampedusa
Telle est la magie du photographe et de son regard : il capte la pause, la fige, l’immobilise. Et comment peut-on immobiliser un homme sur son cheval au galop. S’il galope ainsi, c’est sans doute qu’il veut être libre, et désire ne pas se figer, ne pas s’arrêter. Ainsi de ce livre avec Moriyama Masatomo. Je veux expliquer avec mes mots comment le cheval nous rend libre, nous archers de Yabusame. Expliquer que pour cela, dans cette recherche, nous archers devons être toujours en mouvement, dans nos corps et dans nos esprits. Et Moriyama Masatomo, avec ses photographies, arrêtera le temps, le sculptera comme une statue. Et de cette rencontre entre mes mots et ses photographies naît ce livre, ce désir de Yabusame 流鏑馬 : Au galop vers les dieux !
Tout changer, pour que rien ne change. C’est une question d’esthétique, d’autres diront de morale. Les archers Ogasawara doivent, pour jouer le rôle qu’on attend d’eux, ressembler à des statues équestres, en un galop effréné de quelques secondes. Tout cela est possible grâce à des heures, des jours, des années d’entraînement, de dévouement à leur art, de transmission des anciens aux plus jeunes, de risques également car l’accident est toujours possible. Une tradition et une transmission. Mais ne prenez pas cela pour une hérésie, une pratique nostalgique ou réactionnaire. C’est au contraire la nouvelle modernité : se transcender par le beau geste, car de l’ascèse du mouvement, les hommes deviendront plus grands et plus utiles.
Les photographies de Moriyama Masatomo captent la force du geste et de tous les éléments : le cheval dans son galop à gauche sur la piste, dans son élévation et dans son engagement ; les contrastes de lumière, dans un entraînement à l’aurore ou une cérémonie l’après-midi, qu’il fasse grand soleil, que le temps soit couvert par un clair-obscur de nuages ou qu’il pleuve et vente ; enfin le cycle des saisons, avec les Yabusame du printemps à l’automne, qui célèbrent une nature en transformation.
Ces photographies reflètent aussi l’état de concentration de l’archer, cet état d’esprit recherché par le Yabusame : le calme de l’Esprit, qui permet au Corps d’être extrêmement rapide et fluide. Et du calme conscient de l’Esprit se découle une fluidité et une dignité du Corps, qui fait qu’il semble immobile, telle une statue équestre, alors que tout est mouvement contrôlé. C’est le concept de Dō-chū-sei, Esprit calme dans un Corps en mouvement.
La voie du cheval, le sentier des dieux et le rêve de l’archer
« Inutile est de montrer sa force en tirant avec son arc
Le But ultime est la dignité en silence, montrant son art juste par sa présence »
Ogasawara Kiyomoto
Nous nous levons à 4 heures du matin avec nos camarades. Il fait froid dans le sanctuaire, nous nous habillons en silence, nos dogis et nos hakamas au pied de nos futons. Nous sommes une quinzaine de cavaliers, et nous nous retrouvons dans les sanctuaires shintoïstes du Japon pour honorer les dieux. Les chevaux sont arrivés la veille par camion, et nous les avons réceptionnés et bichonnés.
Avant l’aurore, nous préparons les chevaux à la lumière des torches. Puis à la lumière des feux de voitures, nous procédons à une mise en main, pour les détendre. Dans la semi-obscurité, nous pratiquons un premier aller-retour sur la piste du sanctuaire pour les chevaux, le baba en japonais. Et vers la fin de la détente au pas, à l’extrémité de la piste où un torii délimite le champ du sacré, nous voyons le soleil se lever.
Oui, nous regardons lentement le soleil se lever sur le sentier des dieux où galoperont nos chevaux. Nous fermons les yeux lentement, pour nous souvenir de cette beauté soudainement révélée. Et nous sommes honorés d’avoir été choisis pour être les archers dans la procession qui vient. Honorés et fiers de perpétuer un rite de plus de neuf siècles, le Yabusame.
Le sentier des dieux, cœur du sanctuaire shinto, où galopent les chevaux du Yabusame
« Tenant d’une main ferme
Leur arc de chasse, …
Ils se hissent sur leur monture
Et caracolent. »
Yamanoue-no-Okura (670-733)
Au cœur du sanctuaire se trouve une allée de deux cent cinquante mètres qui est le lieu de la cérémonie. Cette piste est une invitation vers le sacré, délimitée souvent par deux toriis à son commencement et à sa fin qui la sépare de l’espace profane. Cette piste, qui est une allée piétonne en temps normal, se transforme en piste pour chevaux durant les fêtes de Yabusame au printemps ou à l’automne. On la recouvre alors de sable, et on la délimite par des piliers de bois reliés par une corde, afin de guider le cheval dans son galop en liberté, sans rênes.
Pour nous les archers, ce sentier est double ; il est ce chemin qui nous rapproche des dieux shintoïstes, tous les éléments clés de la cérémonie ayant été purifiés par les prêtres : nos arcs, nos flèches, nos chevaux et nous-mêmes les archers. Nous devons rentrer purs dans le sentier des dieux. Et cette course doit nous rapprocher d’une forme de transcendance, elle doit nous échapper.
Il est avant cela le chemin de la concentration, pour être prêt. L’archer va regarder la piste, l’observer, tenter d’en saisir chaque parcelle : le départ de la piste où il lancera son cheval au grand galop ; la position des trois cibles, la première à 50 mètres, les deux suivantes espacées de 70 mètres ; la fin de la piste où il devra reprendre ses rênes en moins d’une seconde, et arrêter son cheval en quelques mètres. Car ensuite sur son cheval, tout se passera comme dans un rêve : plus de pensée, uniquement agir, et tirer trois fois, trois fois pour l’infini.
Ma révélation du Beau
« J’ai remarqué, au cours des ans, que la beauté est chose fréquente.
Pas un jour ne s’écoule sans que nous vivions, un instant, au Paradis. »
Jose Luis Borges
J’avais 24 ans, fraîchement arrivé au Japon pour mon travail, et ne connaissais rien du shintoïsme et du Yabusame.
Mais en ce jour où je fus invité à cette cérémonie de Yabusame au sanctuaire Tsurugaoka Hachimangu de Kamakura, j’ai vécu un choc : la vitesse des galops, le bruit des sabots, le sable de la piste qui vole. Et sur ce cheval, un archer en équilibre, telle une statue. Paraissant immobile, mais en constant mouvement. Un rite où tous les contraires se mêlent ; la vitesse maîtrisée par le calme, la force maîtrisée par la souplesse, et la précision maîtrisée par l’ampleur.
Le cri de l’archer avant chaque tir, le Yagoe, me déchira le cœur In Yō ! Obscurité et Lumière, crient-ils dans la montée de l’arc vers le ciel. Et par un étrange phénomène de substitution mentale, je fus projeté comme un de ces archers : je regardais les archers passer devant mes yeux comme des flèches, je les admirais dans leur singularité et leur force, mais j’étais également un des leurs ; je tirais les flèches et je criais, et faisais exploser les cibles ; j’étais à la fois le spectateur et l’acteur du rituel.
Et c’est de cette révélation que naquit ma passion pour le cheval et l’équitation. Et sans le savoir, il serait vrai qu’un jour, je devrai me confronter à cette question : serai-je capable de devenir celui que j’ai rêvé d’être en regardant ces archers ? Pourrai-je moi-même, si différent par ma culture, devenir un des leurs ?
C’est une histoire du Japon éternel que je veux raconter. Le Japon éternel est un idéal, porté par son peuple, qui se cristallise dans trois visions : celle du shintoïsme où tout doit disparaître pour renaître, de façon identique ; celle du bouddhisme qui via la Chine a apporté au Japon une spiritualité du non-désir et l’aide à honorer ses morts. Et la dernière est celle du Bushidō, porté par les arts martiaux. Elle vient du cœur, reliée au corps, et ses valeurs sont la Praticité, la Simplicité et la Beauté.
Pemière partie
Un Français, entre passion du cheval et amour du Japon
Ma passion pour le cheval et l’équitation prend forme en Europe
« Le cheval calme, en avant, et droit »
Alexis François L’Hotte
À ma sortie d’HEC, je réalise mon stage de troisième année au sein du Holding Hermès International à Paris. Je découvre un univers unique, avec une entreprise familiale dans laquelle la religion du cheval est encore ancrée dans ses valeurs, à un moment clé où la société entre en Bourse pour passer à une nouvelle phase de son développement.
J’ai d’ailleurs visité, durant mon stage à Paris, le Cabinet de travail d’Émile Hermès, la troisième génération de dirigeant de la famille depuis la création du sellier en 1837, au cœur de l’immeuble du 24, Faubourg Saint-Honoré. On y trouve tous les objets de collection que M. Hermès a commencé à collectionner dès l’âge de douze ans, durant la Belle Époque, comme témoignage d’un art de vivre fragile où le cheval est encore roi, avant la bascule vers l’automobile et la première guerre mondiale qui fait changer de civilisation. Je me souviens encore de cette très belle selle en laque japonaise rouge dans son bureau.
J’ai eu l’opportunité après ce stage de recevoir la proposition de travailler au Japon à partir de novembre 1993 grâce aux soutiens de Monsieur Bertrand Puech, Mme Mireille Maury et M. Olivier Fournier, dans le cadre de mon service militaire en tant que coopérant économique.
À cette époque, la Maison Hermès organise chaque année le prix de Diane-Hermès à l’hippodrome de Chantilly et invite un pays chargé de présenter sa culture équestre. Le Japon y envoie une représentation de Yabusame en 1991 et depuis lors, la filiale de Hermès basée à Tokyo reçoit régulièrement des invitations pour assister au rituel du Yabusame de printemps au sanctuaire shintoïste de Tsurugaoka Hachimangu à Kamakura. C’est ainsi que le 23 avril 1994, je me trouve par hasard dans ce sanctuaire, et je suis happé par l’appel des chevaux.
C’est ensuite un long processus, qui commence à mon retour en France en 1997 par mon apprentissage des bases de l’équitation, sous les conseils de Monsieur Lucas, excellent instructeur de dressage, dans son Manège Franklin de Saint-Germain en Laye, et que je termine à Maisons-Laffitte avec le Galop 7. Passionné par le saut d’obstacles, j’achète à M. Lambert à Saint Germain en Laye un jeune cheval bai de 7 ans, Exodus II, finaliste au concours des Championnats de France des six ans, que je monte graduellement en saut d’obstacles, avec les conseils d’une jeune cavalière, Aurore Christen. Et je trouve un équilibre entre une vie professionnelle active chez Renault à Paris, et le temps de me ressourcer les week-ends et certains soirs après le travail à Maisons-Laffitte, pour travailler ensemble avec Exodus en forêt, en carrière ou au manège.
En 2009, je quitte la France avec mon épouse japonaise pour m’installer à Varsovie et prendre un poste d’expatrié chez Renault, en charge des pays de l’est de l’Europe. Voulant améliorer mon dressage, je fais la rencontre de Karolina Wadja, qui a créé son académie équestre dans le parc Lazienki au centre de Varsovie, et je vais monter ses chevaux andalous pendant deux ans. Ce travail équestre avec Karolina est enrichissant. Elle enseigne comment obtenir plus avec moins : travail d’épure de tous les gestes inutiles et vains, qui modifient l’équilibre.
Un jour, Karolina me demande si j’ai déjà fait du polo, car elle ressent une recherche vers la vitesse et la liberté dans mon équitation. De fil en aiguille, je rencontre son ami Pawel Olbrych en 2010. Et là commence une nouvelle passion équestre, celle du polo.
Pawel Olbrych, avec son camarade Kuba Czekaj, ont réintroduit le polo en Pologne dans les années 2000, après la chute du communisme. Rapidement, grâce aux talents de pédagogue de Pawel et aux conseils amicaux de Kuba, je progresse et je prends l’habitude de faire deux voyages par an en Argentine pour me perfectionner. Après deux ans, je passe à un handicap 0 et je commence à jouer dans des tournois 6-8 goals en Pologne, en Allemagne ou en Autriche, avec des joueurs argentins professionnels.
Me restent en mémoire de nombreux souvenirs de tournois épiques joués en Pologne par tous les temps, dans les clubs de Buzka, de Sowiniec avec la famille Switalski, au Warsaw Polo club et finalement dans le club familial si hospitalier des Czartoryski. C’est un plaisir de voir comment la transmission du polo s’est faite en Pologne dans les familles de passionnés, par exemple par celle de Kazimierz Czartoryski vers son fils Michal, celle de Pawel vers son fils Maciek et sa fille Marianna, et celle de Kuba vers sa fille Anna-Maria et son fils Kuba junior.
Un des déclencheurs de mes progrès au polo est ma rencontre avec Horacio Fernandez Llorente, que je rencontre comme adversaire au tournoi de Sowiniec en juillet 2012, et que je considère comme mon mentor. La famille Fernandez Llorente est une des grandes familles de polo en Argentine, qui se transmet la passion du jeu de père en fils. Plusieurs de ses fils sont professionnels de haut niveau comme leur père, et notamment son fils aîné, Facundo, d’un handicap de 8 goals, et joueur du meilleur tournoi de polo du monde : l’Open de Palermo à Buenos Aires.
Le polo en Argentine est un sport populaire, plus de 40 000 personnes se retrouvent pour l’Open de Palermo en fin d’année. Toutes les familles de joueurs et d’éleveurs y célèbrent cet amour du cheval et du jeu, né en Asie centrale il y a 25 siècles.
Horacio me fait travailler sur ses chevaux en Argentine, lesquels me poussent dans mes limites par leur puissance et leur vitesse. Mais Horacio sait me guider, et encore une fois, la voie se trouve dans une économie d’effort et de geste. Avec des chevaux puissants, et des coups fluides au grand galop, mouvement relâché dans la frappe du maillet, la vitesse de la balle est décuplée. En match, concentration et confiance sont clef, à des vitesses de galop élevées, et les contacts nécessaires entre adversaires en défense et en attaque : l’École argentine de polo développe dans mon équitation une recherche d’équilibre à grande vitesse, avec une capacité à gérer indépendamment haut et bas du corps, qui sera utile dans mon apprentissage du Yabusame.
En 2014, après mes années professionnelles chez Renault en France, en Suède et en Pologne, je rejoins le Siège de Nissan à Yokohama au Japon en charge du développement commercial des véhicules électriques. Je sais alors que je dois tirer un trait sur ma pratique régulière du polo, la pratique de ce sport est inexistante au Japon. Mais ayant toujours gardé au fond de moi cet appel, ce désir de Yabusame, je suis prêt à tenter une nouvelle aventure.
Le Yabusame, un concentré de l’histoire japonaise
Le Yabusame, origines du rite
« Dans le présent règne de l’empereur, les six arts nécessaires à la formation du samouraï sont l’Étiquette, la Stratégie militaire, le Tir à l’arc, l’Équitation, la Calligraphie et la Poésie. »
Traité Shūshin-ron, par Ogasawara Sadamune et Ogasawara Tsuneoki, pour l’empereur Go-Daigo, début du xvie siècle.
Le Yabusame ou tir à l’arc à cheval est intimement lié à l’histoire des samouraïs, il condense les arts de l’équitation et du tir à l’arc qui étaient les bases de l’éducation des samouraïs de haut rang dans le Japon féodal pour le combat jusqu’au xvie siècle, avant que les armes à feu venues du Portugal ne changent les techniques militaires. Même après le xvie siècle, le Yabusame resta une formation martiale transmise aux samouraïs sous le Shogunat, pour les élever moralement et physiquement, jusqu’en 1867.
Pour saisir cette histoire, il est important de comprendre ce terme samouraï si connu mondialement aujourd’hui, et pourtant qui reste mystérieux pour beaucoup : d’où vient-il, quelles en sont ces sources ?
Le mot samouraï vient du verbe « saburau » qui signifie « servir ». Son origine remonte à la période Heian (794-1192).
« En quel règne je ne sais, parmi les Épouses Impériales et dames d’atour qui nombreuses servaient sa Majesté, … ». Ainsi commence le premier chapitre « le clos au paulownia » dans le célèbre roman Le Dit du Genji, chef-d’œuvre de l’auteur Murasaki Shibiku au début du xie siècle. Murasaki, elle-même dame de cour auprès de l’impératrice, utilise le verbe « servir » « saburau » en japonais pour décrire la vie privée au sein du palais impérial, une société de femmes.
Ce verbe saburau est aussi utilisé de l’autre côté du palais, pour décrire le rôle des gardes ou fonctionnaires de rang moyen ou inférieur. Le système de rang à la cour, qui remonte au début du viiie siècle, est strictement respecté. Il comprend 30 rangs pour gérer les positions officielles, et les samouraïs sont ceux des rangs moyens ou inférieurs, qui « servent » les rangs supérieurs.
Comme le décrit le roman Le Dit du Genji, cette époque est portée par une culture très raffinée et élégante, fruit des immenses fortunes qui financent le train de vie des aristocrates de la cour. En effet, au milieu de la période Heian, la richesse est concentrée autour des plus hauts personnages, grâce aux revenus des grands domaines qui leur appartiennent. Et les kokushis, gouverneurs régionaux et fonctionnaires de rang moyen dans la hiérarchie, offrent ainsi à ces puissants les fortunes récoltées, et dans certains cas s’enrichissent également. Cette situation commence à générer des situations de révolte dans les provinces, et certaines familles locales commencent à s’armer, avec le soutien de certains clans doués dans l’art de la guerre comme les Taira/Heike/Heishi issus de l’empereur Kanmu (737-806) et les Minamoto/Genji de l’empereur Seiwa (850-881).
Ainsi, les Heike et Genji ont consolidé leurs forces militaires dans les provinces. Les Heike monopolisent la mer intérieure de Setonaikai, et se construisent une fortune grâce au commerce maritime avec la Chine. Taira-no-Kiyomori (1118-1181) peut financer et offrir à l’empereur retraité dit emeritus Go-Shirakawa (1127-1192) un temple bouddhiste d’un faste incomparable, le Sanjusangen-do à Kyoto, qui reste visité par de nombreux touristes aujourd’hui. Le père de Kiyomori est pourtant dans sa jeunesse un jeune garde du palais impérial, Hokumen-no-bushi, un simple samouraï devenu kokushi.
À la fin de l’époque Heian, plusieurs empereurs ou empereurs emeritus font appel aux guerriers, aux samouraïs, pour renforcer leur pouvoir politique. La force militaire devient une réalité dont les empereurs vont jouer. Ainsi, l’empereur emeritus Go-Shirakawa use de son influence pour utiliser à tour de rôle les familles Taira et Minamoto, jusqu’à la victoire finale de Minamoto-no-Yoritomo sur les Taira.
Grâce au récit transmis par la famille Ogasawara, nous connaissons plus précisément la filiation du clan Minamoto : l’empereur Seiwa (850-881) et son frère Yoshiari excellent dans la pratique du tir à l’arc et de l’équitation. Le fils de l’empereur Seiwa, le prince Sadazumi, rédige un traité en cinq volumes sur sa pratique du tir à l’arc. Il est nommé dépositaire du savoir de cet art par l’empereur au titre de « général du tir à l’arc du Japon », avec une bannière blanche pour remerciement. Ce drapeau blanc devient par la suite le symbole du clan Minamoto. Dans les peintures anciennes qui décrivent les scènes de batailles célèbres entre les Minamoto et les Taira, les drapeaux blancs et rouges des deux familles se mêlent, et les Japonais sont fascinés par ce contraste de couleurs, sa beauté.
Il existe une anecdote sur le nom Minamoto/Genji dans l’histoire du Japon. À la période Heian, plusieurs empereurs ont donné le même nom Minamoto/Genji à leurs princes qui quittent la famille impériale. À propos du roman Le Dit du Genji, le personnage Genji le Radieux est un ancien prince, mais l’auteur Murasaki Shibiku n’a jamais précisé sa véritable identité, laissant planer le mystère.
Le fils du prince Sadazumi, Tsunemoto (894-961), est aussi un excellent archer et cavalier, et reçoit le nom de Minamoto, faisant de lui le fondateur de la lignée du clan Minamoto. Plus tard, de nombreuses familles de guerriers, telles que celles des Nitta, Ashikaga, Takeda ou Ogasawara, descendent de Minamoto-no-Tsunemoto.
L’art du tir à l’arc et de l’équitation dans le clan Minamoto, qui débute avec le prince Sadazumi et son fils Tsunemoto, est ensuite transmis dans la famille Minamoto de génération en génération, aux personnes les plus qualifiées du clan. Neuf générations après Tsunemoto, Kagami Tōmitsu est convoqué en 1171 par l’empereur Takakura (1161-1181) lorsqu’une lumière suspecte, un mauvais esprit, est apparue au-dessus du palais impérial.
Tōmitsu exorcise avec l’autorité de son arc la lumière, et l’empereur Takakura lui remet l’écusson de la famille dont le caractère kanji signifieRoi. En 1174, le fils de Kagami Tōmitsu, Nagakiyo, reçoit le nom de famille Ogasawara de l’empereur Takakura. Il est ainsi le premier Ogasawara du nom, et fondateur du clan Ogasawara, tel qu’il se perpétue jusqu’à aujourd’hui.
En parallèle à l’histoire de la transmission de cet art du tir à l’arc et de l’équitation, le Japon subit ses plus fortes mutations quant à son pouvoir militaire et politique à la fin du xiie siècle.
Dès 1180, Minamoto-no-Yoritomo établit sa base à Kamakura, où il contrôle l’est du Japon avec ses alliés samouraïs, et crée le bafuku, le gouvernement sous la tente, rappel de la tente dressée pour le Général sur les champs de bataille. En 1185, après sa victoire dans la bataille navale deDan-no-ura sur le clan Taira/Heike, Yoritomo peut s’imposer encore plus auprès de l’empereur emeritus Go-Shirakawa. En 1192, après la mort de Go-Shirakawa, Minamoto-no-Yoritomo est enfin nommé Shogun. C’est le commencement de la période Kamakura, qui s’étend jusqu’à 1333, et voit l’avènement de la classe des guerriers. Le Shogun est le chef de l’ensemble des guerriers samouraïs, il détient le pouvoir militaire du pays.
En 1187, Nagayiko, chef du clan Ogasawara, est invité depuis Kyoto par Minamoto-no-Yoritomo à rejoindre Kamakura, et il est nommé le maître du Kyū-hō, pour y enseigner les trois arts à Yoritomo et ses vassaux : l’étiquette, le tir à l’arc et le tir à l’arc à cheval. Le 15 août 1187, il organise la première cérémonie de Yabusame au sanctuaire shintoïste de Tsurugaoka Hachimangu de Kamakura. Ce rituel a été conservé, et s’est perpétué à travers les siècles jusqu’à aujourd’hui tous les ans, le 16 septembre, au même sanctuaire Tsurugaoka Hachimangu.
Nagakiyo, avec son père Tōmitsu, fusionnent les techniques militaires du clan Minamoto héritées de ses ancêtres avec l’étiquette (rites cérémoniels) de la cour impériale qu’ils ont appris à Kyoto, pour créer une forme adaptée à la nouvelle organisation du shogunat de Kamakura. Les cérémonies de tir à l’arc à pied, et de tir à l’arc à cheval, qui sont déjà pratiquées à la cour, sont redéfinies en tant que cérémonies destinées aux samouraïs, en renforçant leur qualité de force et de rigueur, et en réduisant leur superflu solennel.
Les origines du Yabusame se conjuguent ainsi dans une double filiation, celle de l’empereur au palais de Kyoto d’une part, et du Shogun de l’autre, chefdes samouraïs dont Minamoto-no-Yoritomo est le premier symbole à Kamakura.
La famille Ogasawara restera jusqu’à la fin de la période Edo (1603-1867) au service des Shoguns Minamoto, Ashikaga et Tokugawa en tant que dépositaire du savoir et de la transmission des trois arts du Kyū-hō à l’élite guerrière.
Histoire de la famille Ogasawara : un lien intime à celle du Yabusame
« Conquérir le pays avec un arc. »
Adage de la famille Ogasawara
Les origines de la famille Ogasawara remontent à l’Empereur Seiwa (850-881), 56e du nom. Les familles Ogasawara, mais également celles de Ashikaga, Nitta, Satake, Takeda, et d’autres grandes familles de guerriers, sont issues de la descendance de l’Empereur, appelé la ligne Seiwa Genji.
Aujourd’hui, deux Écoles continuent de perpétuer le Yabusame au Japon, l’École Ogasawara et l’École Takeda. Ces deux écoles sont liées à l’histoire de ces deux familles qui jouent un rôle dans l’histoire du Japon, comme descendant également de l’empereur.
Par mon expérience au sein de l’École Ogasawara, mon témoignage porte sur cette École et son histoire uniquement. Mais les Écoles Ogasawara et Takeda se respectent et jouent chacune un rôle éminent dans la préservation du Yabusame au Japon et à l’étranger.
Page de titre
Citations
Préface de Ogasawara Kiyomoto
Préface de Patrice Franchet d’Espèrey
Introduction
La voie du cheval, le sentier des dieux et le rêve de l’archer
Le sentier des dieux, cœur du sanctuaire shinto, où galopent les chevaux du Yabusame
Ma révélation du Beau
Pemière partie
Un Français, entre passion du cheval et amour du Japon
Ma passion pour le cheval et l’équitation prend forme en Europe
Le Yabusame, un concentré de l’histoire japonaise
Le Yabusame, origines du rite
Histoire de la famille Ogasawara : un lien intime à celle du Yabusame
Le dōtō, une histoire de transmission et de préservation de l’art du Kyū-hō au sein du clan Ogasawara
Retour au Japon et mon apprentissage du Yabusame au sein de l’École Ogasawara
Les entraînements au dōjō du sanctuaire Tsurugaoka Hachimangu à Kamakura
Étiquette, ou Rei-hō, la base de l’enseignement de l’École Ogasawara
Définir le Rei-hō
Apprentissage du tir à l’arc : comment le combat se livre avec soi-même
Kyū-jutsu, les techniques du tir à l’arc
Apprentissage des techniques équestres du Yabusame
Kyū-bajutsu, les techniques du tir à l’arc à cheval
Shūshin-ron et Taiyō-ron, les 2 traités d’Ogasawara comme fondations
Shūshin-ron, tout commence avec l’étiquette
Shūshin-ron, un traité pour l’harmonie de l’Esprit
Taiyō-ron, tous les mouvements ont un sens
Le Corps renforce l’Esprit, et l’Esprit transcende le Corps
Cahier photos n° 1
Page 1
Pages 2-3
Pages 4-5
Pages 6-7
Pages 8-9
Pages 10-11
Pages 12-13
Page 14
Deuxième partie
Le shintoïsme, le cheval et le Yabusame : éléments du Japon éternel
Shintoïsme, la voie des kamis
Shintoïsme, beauté des rites, pouvoir de renaissance
Le Shintoïsme et le cheval : la beauté des ema 絵馬, une histoire immémoriale
Le Yabusame, manifestation cultuelle du Shintoïsme
Comment le costume me transforme en tant qu’archer
Costumes pour les archers
Costume de l’archer pour le Yabusame de style Kamakura
Costume de l’archer pour le Yabusame de style hiragisha
Arc, flèches, et carquois pour les archers
Équipement pour les chevaux
La selle traditionnelle japonaise
Le filet et les harnais
Les étriers traditionnels
Troisième partie
Le calendrier des Yabusame, à la découverte du Japon éternel
Tsuwano, cerisiers en fleurs, début du printemps
Asakusa, au cœur de Tokyo et de la modernité
Kyoto, fête de l’Aoi dans l’ancienne capitale impériale
Nikko, dans l’ombre des cèdres du mausolée du Shogun Ieyasu Tokugawa
Usa, vers le sud dans l’île de Kyushu au cœur de l’été
Kamakura, le retour aux origines
Kasagake, le tir au milieu des tournesols
Kasama, sous les signes des chrysanthèmes et du renard
Tado, la course vers la montagne sacrée
Nara, hommage à la première cité impériale du Yamato aux portes de l’hiver
Cahier photos n° 2
Page 1
Pages 2-3
Pages 4-5
Pages 6-7
Pages 8-9
Pages 10-11
Pages 12-13
Page 14
Quatrième partie
Le Yabusame, une leçon de vie, de l’intérieur vers l’extérieur
Une ascèse qui vous révèle, une boussole pour un monde nouveau
Qu’ai-je appris dans ce chemin ?
La question des valeurs du Yabusame : ce que je crois (mon intérieur), ce que je suis (Corps, Cœur et Esprit unifiés), ce que je fais (mon incarnation)
De l’Intérieur vers l’Extérieur
La Forme et le Fond
La Répétition et la Création
La Volonté et le Lâcher-prise
La Posture et sa Signification
Le Bien et le Mal, les mauvaises pensées
La Tradition et la Modernité
De l’Intérieur vers l’Extérieur
Le Corps et l’Esprit
Le Corps, le Cœur et l’Esprit
La Pratique et la Théorie
La Sincérité et le Cœur
L’Honneur et la Loyauté
La Logique de l’Honneur
Vivre ses valeurs, Incarner ses visions
Valeurs de l’exemple, richesse de la différence
Leçons de vie
La jeunesse des Anciens
Le courage des Femmes
La métamorphose des Jeunes
Le rôle du leader, un ennemi des courtisans et des avides
Conclusion
Mes derniers mots
Cahier photos n° 3
Page 1
Pages 2-3
Pages 4-5
Pages 6-7
Pages 8-9
Pages 10-11
Pages 12-13
Page 14
Postface de Richard Collasse
L’ascèse du Sagittaire
Glossaire japonais-français
Bibliographie
Remerciements
Crédits photographiques
1
2
3
4
5
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
39
40
41
42
43
44
45
46
47
48
49
50
51
52
53
54
55
56
57
58
59
60
61
62
63
64
65
66
67
68
69
70
71
72
73
74
75
76
77
78
79
80
81
82
83
84
85
86
87
88
89
90
91
92
93
94
95
96
97
98
99
100
101
102
103
104
105
106
107
108
109
110
111
112
113
114
115
116
117
118
119
120
121
122
123
124
125
126
127
128
129
130
131
132
133
134
135
136
137
138
139
140
141
142
143
144
145
146
147
148
149
150
151
152
153
154
155
156
157
158
159
160
161
162
163
164
165
166
167
168
169
170
171
172
173
174
175
176
177
178
179
180
181
182
183
184
185
186
187
188
189
191
192
193
194
195
196
197
198
199
200
201
202
203
204
205
206
207
208
209
210
211
212
213
214
215
216
217
218
219
220
221
222
223
224
225
226
227
228
229
230
231
232
Couverture
