Yeshoua, fils de Joseph - Emanuele Galante - E-Book

Yeshoua, fils de Joseph E-Book

Emanuele Galante

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Beschreibung

Cet ouvrage est la version revisitée de la plus extraordinaire aventure humaine présentée dans la Bible. S’inspirant du Nouveau Testament, Emanuele et Anne-Marie Galante ont joué de leur force créatrice pour donner un autre regard, purement fictif, sur les Saintes Écritures et mettre en relief des personnages issus de leur imagination, mais également cités dans les Évangiles.


À PROPOS DES AUTEURS 

Issu d’une famille sicilienne, Emanuele Galante a toujours vécu dans le giron de l’église. Ce contact avec la culture religieuse lui inspire ce projet d’écriture et, rejoint quelques années plus tard par Anne-Marie Galante, ils décident d’en faire un livre.


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Emanuele Galante

&

Anne-Marie Galante

Yeshoua, fils de Joseph

La plus extraordinaire

aventure humaine jamais contée

Roman

© Lys Bleu Éditions – Emanuele Galante & Anne-Marie Galante

ISBN :979-10-377-8057-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

L’important n’est pas ce que tu fais, mais ce que les autres pensent et croient que tu fais…

Avertissement

Bien que me référant au Nouveau Testament, cette histoire est purement fictive, tout droit sortie de mon imagination.

Sicilienne depuis toujours, ma famille a de tout temps vécu dans le giron de l’église ; mon parrain était même le curé du village. Parrain dont je n’ai aucun souvenir, et encore moins un quelconque cadeau, comme en avaient tous mes autres copains.

Nous participions à toutes les festivités religieuses. J’aimais bien.

Celle de Noël se résumait en d’interminables parties de cartes en famille. On misait quelques centimes. J’avais le droit de participer parce que les jeux étaient simples. Par la suite, je les ai appris à mes enfants, qui ont adoré. Je « trichais » au vu et au su de tout le monde, et ils passaient leur temps à me surveiller. Quelles belles parties de rigolades… Mais le bruit courait que certains jouaient gros, et que d’autres s’endettaient beaucoup.

J’aimais bien celles de Pâques, pendant laquelle la Passion du Christ était parodiée dans les rues, avec diverses processions : Jésus portant sa croix sortait de son église et La Vierge Marie, toute de noire vêtue, des épées enfoncées dans son cœur, sortait d’une autre. Puis leur « rencontre », pendant laquelle la procession s’arrêtait un bon moment, la mère et le fils face à face.

La procession reprenait, la mère suivant le fils jusqu’à la Crucifixion, en place publique, où un Jésus désarticulé et ensanglanté était crucifié.

Celle de San Calo, le Saint Noir qui donnait à manger aux pauvres, était spectaculaire. Le samedi, procession religieuse avec toute sa rigueur. Mais le dimanche, le saint était « enlevé » et toutes ses parures religieuses retirées. Il déambulait dans les rues et les gens lui jetaient du pain par les fenêtres pour le distribuer aux nécessiteux.

J’ai toujours lu la Bible. D’abord, tout jeune, celle de mon père, écrite en italien…

J’ai commencé à me torturer l’esprit vers l’âge de 14 ans, j’étais alors jociste. Beaucoup de choses m’ont interpellé, et le processus du doute a alors commencé.

En même temps que le doute, une drôle d’histoire s’est subrepticement ancrée dans mon imaginaire. Histoire que j’ai finalement commencé à coucher sur papier en 2009. Anne-Marie, mon épouse, m’a rejoint en octobre 2021 et, ensemble, nous avons remodelé mon écriture, jugée « Brute de pomme » par Anne-Marie et, ensemble, nous avons poursuivi cet ouvrage.

Certains de nos personnages sont cités dans les Évangiles selon Saint-Jean, Saint-Luc, Saint Marc et Saint Matthieu.

D’autres sont totalement imaginaires et signalés par un « * ».

Nous espérons que personne ne sera choqué par nos écrits, et si c’était le cas, nous nous en excusons par avance, car ce n’était en aucun cas le but.

Dès le départ, quelque chose dans mon subconscient m’a empêché d’écrire le nom de « Jésus », je l’ai donc tout simplement remplacé par « Yeshoua ».

Chapitre un

Dans les ruelles sombres de Jérusalem, l’homme rase les murs et tente de dissimuler son visage sous une capuche. Il ne peut masquer la peur qui le hante et lui crispe l’estomac à chaque apparition d’un rayon de lune qui perce les nuages. Les pas cadencés d’une patrouille romaine le font souvent se cacher dans une encoignure de porte ou se glisser dans la nuit noire d’une petite ruelle.

C’est un esclave en fuite, pensent tous ceux qui le rencontrent à la croisée des chemins. La marque des zébrures rouges qui maculent le dos de son habit en porte-témoignage : cet homme a été torturé, fouetté jusqu’au sang. Des fenêtres se ferment sur son passage, d’autres laissent entrevoir des mains généreuses qui lui font signe d’approcher et lui donnent à boire et à manger. D’autres encore lui ouvrent une grange, un entrepôt pour le cacher une journée, un fugitif ne circulant que la nuit, sinon il serait vite repéré par une des nombreuses patrouilles romaines, beaucoup plus nombreuses depuis la crucifixion d’un énième prétendu fils de Dieu. Le risque est énorme, car dénoncés par des partisans de Rome, les fugitifs, voleurs, criminels ou simples opposants leur donnant asile, sont enfermés dans une quelconque cellule, parfois quelques jours, parfois plusieurs mois, en attendant d’être jugés puis exécutés par crucifixion.

Après un maigre repas, le fuyard repart la nuit tombée. Quelques-uns le prennent en pitié et lui offrent un vêtement propre, les traces de sang sur son habit peuvent le trahir. Tous sont surpris par les bandages qu’il porte à ses poignets et à ses pieds qu’il dissimule avec peine, mais personne ne lui pose de question, beaucoup par peur, d’autres par pitié.

C’est ainsi que, de village en village, le fuyard franchit les montagnes qu’il ne tarde pas à rencontrer, affronte la neige et le froid. Seuls les repas offerts dans des hameaux isolés et parsemés dans ces immensités montagneuses constituent ses principaux repas, après qu’il eut soulagé quelques maux de ses mains, ou avec ses herbes et des racines trouvées dans ces plaines brûlées par le soleil. Les grands espaces arides succèdent aux montagnes, les forêts aux cols. Il traverse Pétra au Royaume Nabatéen, la fascinante cité de pierre taillée dans la montagne.

Le Khorassan, jadis envahi par Cyrus le Grand et Alexandre le Grand, qui ont tous deux laissé leur indélébile empreinte…

Taxila, au royaume Indo-Parthe, qui le font se diriger vers ces cimes aux neiges éternelles que l’on voit à l’horizon.

Son long voyage ne semble jamais vouloir s’arrêter. Il marche pendant d’interminables mois, d’interminables années, plusieurs décennies et c’est après avoir parcouru des milliers de kilomètres qu’il arrive au Tibet, fatigué, harassé, sale, les yeux hagards.

Il rencontre un juif, Samuel*, qui prend pitié de ce vagabond qu’il est devenu et qui erre dans les rues. Il l’héberge chez lui et lui prodigue tous les soins nécessaires à sa condition.

§

Yuz Azaph, vieil homme au crâne rasé, vêtu de la Civara traditionnelle, est allongé sur son lit de mort.

De sa fenêtre, il peut admirer la blancheur des neiges éternelles sur les cimes des montagnes. Images apaisantes, d’une époustouflante beauté.

L’air vivifiant apaise les esprits tourmentés. C’est dans ces lieux calmes et isolés où règne une paix qui, à l’instar des neiges, est elle aussi éternelle que les moines tibétains ont bâti leurs temples dédiés à la prière et au recueillement.

L’odeur de l’encens prédomine dans cette demeure où les moines errants se réclamant de Shakyamuni ont trouvé refuge.

Aujourd’hui, le son mélancolique et pesant du gros bourdon frappé par l’un des moines à l’aide d’une grosse poutre suspendue, annonce la fin proche de l’un des leurs.

Son fidèle ami Samuel* le veille en silence. Yuz Asaph, plus que centenaire, vêtu de sa robe rouge traditionnelle, le crâne rasé, va quitter sa vie terrestre.

Il a vécu une vie pour le moins tumultueuse que ses chevilles et ses poignets lui rappellent de temps à autre.

Sa rencontre avec Samuel*, de la tribu des Kukis, juifs exilés de Palestine s’étant fixés au Cachemire, l’a énormément aidé. Samuel* est, avec une intelligente patience, guidé pour lui apprendre et surtout comprendre la sagesse des moines tibétains.

Yuz Asaph le regarde, et Samuel* lui serre affectueusement la main en lui souriant :

— Tu as besoin de quelque chose, Maître ?

Il lui dit non d’un signe de la tête. Il ferme les yeux et des souvenirs lointains lui reviennent en mémoire, comme dans un rêve. Souvenirs de sa vie, ceux qu’il a vécus et ceux qui lui ont été narrés. Ils finissent l’un et l’autre par se mélanger dans son esprit embué et tourmenté pour n’en faire plus qu’un seul.

Il se souvient d’être arrivé dans cette contrée du Cachemire après des mois, des décennies de marche.

Ses pensées l’emportent alors au loin… Loin… Très loin en arrière… À la vitesse de l’éclair, aux confins de sa mémoire, à plus d’une centaine d’années, dans les contrées lointaines des royaumes d’Israël et de Juda.

Le monde connu est alors sous la botte impitoyable de Rome… Mais dans cette partie du monde en perpétuel mouvement, Rome est obligée de céder du terrain, les hébreux, pourtant d’un naturel jovial, s’autoproclamant « Peuple élu », sont ingouvernables. Ils ne plient les genoux que sous la contrainte car ils ne doivent obéissance qu’à Yavhé, qu’à l’Éternel, leur Dieu unique et invisible… Yuz Asaph ferme ses yeux et voit…

§

… Il voit l’habituelle ambiance grouillante de Jérusalem, il entend les cris d’enfants qui jouent et courent dans les rues, les fortes voix des marchands vantant leurs marchandises et le brouhaha des villageois qui discutent de tout et de rien avec de grands gestes comme si leur existence en dépendait, parlent et rient à en perdre haleine.

Jamal*, publicain autorisé à prélever les taxes dues à Rome, détesté pour sa rudesse envers le peuple, rentre de sa tournée porter le fruit de sa récolte à Amos*, son collecteur dûment accrédité par les Romains. Dans sa carriole, il somnole, sous la chaleur accablante de ce milieu de journée, malgré le parcours chaotique de son chariot sur les pavés disjoints des rues. Derrière est attelée une remorque pleine à craquer de « sa récolte ». Collecte hétéroclite, spoliée à une population de réfractaires.

Il se sent en sécurité avec les quatre gardes du Temple en armes qui l’escortent. Puis les nombreuses patrouilles romaines rassurent son côté poltron.

Il est content, même fier de lui, car la journée a été bonne. Il n’a tenu aucun compte des cris et des pleurs de ses compatriotes, les obligeant de gré mais souvent de force, à payer leur impôt, allant jusqu’à piller quelques granges ou abris, pour mettre la main sur quelques poules ou moutons des « mauvais payeurs ». L’or ou l’argent provenant de quelques bijoux de femmes ainsi que la monnaie sonnante et trébuchante, sont à l’abri dans une cassette.

Amos*, son collecteur, sera généreux avec lui, il voit déjà les pièces d’or et d’argent remplir sa bourse et cette chatoyante pensée lui procure un rictus de satisfaction.

Jérusalem, comme toute ville, toute province romaine, est dépecée par des loups affamés non pas de chair et de sang, mais d’argent. Tout le monde veut sa part… Antipater, le procurateur de Judée, le Temple et ses prêtres, chacun prélève la portion d’impôt prétendument due. Rome, la maîtresse du monde connu, lève l’impôt. La terre, le bétail, les récoltes, le travail, rien n’échappe à l’impôt. Pour le collecter, les Romains vendent la charge de « collecteurs d’impôts »à certains juifs. Ces intermédiaires sont généralement choisis parmi lesgrosses fortunes. Mais ces derniers, craignant la vindicte populaire, engagent des subalternes, les publicains, tels Jamal*, hommes du peuple voulant s’élever dans la hiérarchie sans trop se fatiguer, chargés de cette collecte. Ces derniers sont haïs par toute la population juive.

Sur une petite place, un rabbin itinérant, entouré par des fidèles à l’écoute de la parole de l’Éternel, prêche la bonne nouvelle. Ces prédicateurs connaissent la Torah et la transmettent oralement. Ils content la vie des prophètes. On alloue à certains d’entre eux des guérisons miraculeuses. Beaucoup les écoutent religieusement, d’autres les ignorent totalement.

La lâcheté de Jamal* est tellement forte qu’il espère acheter une aide extérieure qui peut s’avérer précieuse au cas où... Il fait arrêter le cocher, descend et donne quelques pièces au Rabin que, au fond de lui-même, il considère être un mendiant, rien de plus… Une petite prière pour lui arrangerait tout au cas où... Ils prêchent bien pour le pardon des fautes et certaines mauvaises langues disent que les siennes sont lourdes et nombreuses, alors on ne sait jamais…

— Tiens, Rabbi, prends ces quelques pièces…

Mais à sa grande stupéfaction, le Rabbin lui jette les pièces à la figure :

— Reprends ton sale argent et repens-toi de tes péchés. Quitte ton sale métier, distribue tout l’argent que tu as dérobé aux pauvres et ne vole plus jamais tes semblables…

Jamal* remonte subitement dans sa calèche, mort de peur, la foule présente devenant soudainement menaçante.

— Des fous, ce sont vraiment des fous… Refuser de l’argent… Je n’ai jamais vu ça.

Il reprend son chemin et retombe dans sa douce somnolence sous la chaleur pesante, aidé en cela par le doux bercement de sa calèche.

Le Rabbin parti, la placette reprend la vie bruyante et tonitruante qui est habituellement la sienne. À part les quelques badauds qui l’ont écouté religieusement et qui commentent ses paroles, rien ne semble pouvoir enrayer la vie paisible de ces rues et de ces quartiers…

Des cris le sortent brusquement de sa béate torpeur. Des gens courent, fuient quelqu’un ou quelque chose. Les soldats sont assaillis par des hommes armés, l’un des deux gardes du Temple s’écroule à terre, la gorge tranchée, son sang coule à flots et par saccades de la blessure béante. Le sang gicle à travers ses doigts qui tentent de l’empêcher de s’échapper, souille les murs avant de se répandre par terre, sur les pavés sales et disjoints. L’homme regarde, hébété, la tache de son sang s’élargir sur le sol. Il meurt dans un gargouillement ressemblant à un râle.

— Les zélotes… Les zélotes… murmure Jamal* épouvanté.

L’un des assaillants ouvre la portière de la calèche, tire le publicain dehors, le jette à terre, fouette le cheval et s’enfuit avec elle. Un autre assaillant prend possession de la charrette chargée de victuailles et d’objets divers confisqués à ceux qui n’avaient pas d’argent pour payer leur impôt et s’enfuit aussi avec elle. Jamal* a un sourire crispé, car les sacoches pleines d’or et d’argent sont sur lui… Allongé sur elles, Il les palpe, les caresse en ricanant.

Tout à son plaisir, il n’a pas vu l’homme qui s’approche de lui. Un corps robuste le chevauche. Tombé à terre dans la position du fœtus, sa tête entre ses mains, il tremble de tous ses membres. Il sait sa fin proche, car les zélotes, groupuscule combattant l’occupant romain, ne font pas grâce à ceux qui servent l’envahisseur, surtout les collecteurs d’impôts. Le zélote immobilise le publicain au sol, lui tire la tête en arrière et murmure d’une voix rauque qui lui fait peur :

— Tu vas payer, sale traître, tu vas mourir…

Après l’avoir délesté de ses précieuses bourses pleines à craquer de pièces qu’il tend à un autre de ses comparses qui disparaît aussitôt, le zélote lève son poignard pour l’égorger… Mais son arme ne retombe pas sur la gorge du collecteur. Une patrouille romaine passant à proximité a entendu les cris et s’est précipitée à son secours. L’un des soldats tient le poignet du zélote, lui serre la gorge de son autre bras et l’immobilise avec son genou dans ses reins. D’autres soldats arrivent et neutralisent l’homme qui se débat comme un forcené. Un autre romain aide le publicain à se lever. Jamal* regarde l’homme qui a failli lui trancher la gorge. Ce dernier, immobilisé, avec bien du mal, par plusieurs soldats romains, lui crache au visage et prononce ces mots pleins de rage que le publicain n’oubliera jamais :

— Tu t’en tires pour cette fois, sale traître à ta propre race. Mais d’autres viendront et tu mourras égorgé comme le sale porc que tu es…

Le zélote est emporté. Le publicain s’enfuit à toutes jambes se réfugier chez lui. Amos* va apprendre ce qu’il lui est arrivé. Il lui dira alors qu’il ne veut plus de sa fonction et qu’il démissionne de son poste.

§

L’agresseur est enchaîné et traîné derrière un cheval pour être emmené devant le Procurateur de Jérusalem, sous les rires, les crachats et les insultes des villageois. Il chute à terre plusieurs fois sans que le cavalier n’arrête sa monture. Et c’est un homme sale, hirsute, le corps meurtri, les jambes et les bras ensanglantés, qui arrive à destination. Il est jeté dans un sombre cachot puant la sueur, l’urine et les déjections humaines. De la paille est entassée dans un coin, il la regarde avec dégoût, s’assoit à même le sol, sur la terre humide et malodorante. Par l’étroite lucarne en haut du mur, à travers les barreaux il voit la nuit assombrir le ciel… La lune brille de sa blancheur écarlate, monte sur la voûte étoilée puis disparaît. Il ne quitte pas ce morceau de ciel de son regard et, lentement, il le voit s’éclaircir… Les étoiles disparaissent… Le jour se lève. Il n’a pas fermé l’œil de la nuit. Il sait que c’est la dernière de sa vie.

Un bruit de clé, la porte s’ouvre devant des Romains en armes. Ils l’enchaînent et, pieds et poings liés de nouveau, le traînent à travers d’innombrables couloirs. Arrivé dans une grande salle, il voit un homme richement vêtu d’une armure dorée et d’un manteau rouge assis sur un trône. Les gardes le saluent avec respect :

— Avé César, nous t’apportons le meurtrier afin qu’il soit jugé.

— Valérius Gratus, pense le prisonnier. Il le toise, les yeux emplis de haine et fureur.

Le Préfet de Judée… Tous les zélotes lui portent une haine incommensurable. Il sait que cet homme est le seul habilité à prononcer une sentence de mort en Judée.

Le Préfet le regarde avec dédain.

— Tu as égorgé un gardien du Temple, me dit-on.

— C’était un chien, un traître à ta solde, à la solde de Rome.

Valérius Gratus sourit :

— Soit tu es très courageux, soit tu es un imbécile inconscient… JE SUIS ROME !

— Je ne te crains pas, pas plus que je ne crains la mort et encore moins Rome. D’autres que moi sont déjà debout pour vous combattre. Beaucoup d’autres nous rejoignent, et d’autres encore nous rejoindront. Nous vous chasserons de Judée et de toute la Palestine.

Valérius Gratus arbore un large sourire qui se transforme en rictus :

— C’est bien ce que je pensais… Tu es un imbécile… Pire : un imbécile inconscient.

Et élevant la voix :

— Qu’il soit crucifié… Tout de suite car ce soir c’est le début de leur fichu Shabbat et on ne pourra pas le mettre à mort… Je ne veux pas le voir vivant une journée de plus.

Les Romains traînent le zélote ensanglanté derrière eux, les cris de haine de l’homme résonnent longtemps dans les couloirs.

— Tu as peur de moi, Romain, et tu as raison… Nous te chasserons des terres de nos ancêtres… Toi et tous les tiens… Soyez maudits, Romains… Bientôt le Messie annoncé par nos prophètes viendra nous délivrer et vous chassera de Palestine.

Et c’est le corps entièrement nu que le zélote est alors bastonné, cogné, flagellé. Puis on lui donne une corde au bout de laquelle est attachée une pièce de bois. Il commence par porter le lourd fardeau sur ses épaules à travers les rues étroites de Jérusalem, sous les huées de certains et les lamentations des autres.

Arrivé à destination au mont du Crâne, il est finalement crucifié.

§

Le temps du Shabbat vient de se terminer et, sur cette contrée désertique baignée par un soleil torride, c’est tôt le matin, afin d’échapper à cette chaleur accablante, que les artisans des villages s’affairent. Qui sur la place, qui devant sa maison. Les demeures sont toutes construites sur le même modèle et les mêmes matériaux : des briques de paille et de la boue et recouvertes de branches de palmiers tressées reposant sur une charpente de bois elle-même revêtue de planches enduites d’argile. La plupart de ces habitations n’ont que deux pièces, une pour y vivre et prendre ses repas, l’autre pour y dormir. Toute la famille dort dans la même pièce, sur des paillasses à même le sol.

La plupart des artisans ne vendent pas la totalité de leur fabrication, mais en échangent une grosse partie contre du lait, du pain, ou différents objets des divers facturiers, forgerons, tapissiers, couturiers, jardiniers du village, ou des villages voisins, chacun achète ou échange selon ses propres besoins.

Les enfants, quand ils ne sont pas occupés avec leur mère à cuisiner, à laver le linge ou à tisser pour les filles ou apprendre le métier que leur transmet leur père, pour les garçons, jouent dans les rues étroites du village, bordées par les échoppes des artisans. Leurs cris et leurs rires se mélangent aux rires et discussions de leurs aînés. Tout le village résonne ainsi d’une gaie cacophonie. Les râles des habitants ne sont que symboliques envers cette jeunesse qu’ils aiment, et leurs menaces de coups de trique font rire ceux qui assistent à leur déconvenue : tel ce paysan qui rentre avec son âne chargé de foin qui, dérangé dans sa routine, refuse de faire un pas de plus et brait à leur passage ; ou ces marchands de viande ou de poisson qui pestent contre la poussière que soulèvent ces garnements dans ces ruelles étroites et mal pavées ; ou encore cette fileuse de laine qui casse son fil à leur passage…

§

Jacob, le charpentier, fabrique des poutres qui doivent aller sur la maison d’un jeune nouveau couple du village. Bien que très jeune, son fils l’aide à la tâche, car il lui succédera. Joseph est très attentif au travail de son père, il sait pertinemment que son avenir en dépend. Il aime accomplir certains travaux. Tout comme en ce moment où son père rabote une poutre pour la rendre plus lisse. Il sait qu’il a encore beaucoup à apprendre, et raboter le bois est une des tâches qu’il aimerait apprendre vite. Aussi, c’est de lui-même qu’il demande à travailler :

— Je peux le faire, père ?

Jacob sourit. Il est fier de son fils, il le sait courageux et travailleur. Il sait qu’il ne sera jamais déçu par lui, et chaque jour il remercie Le Tout-Puissant de le lui avoir donné.

— Bien sûr mon fils… Viens.

Il sourit à nouveau de voir sa maladresse. Il se poste derrière lui, pose ses mains sur celles de son fils, les guide et lui murmure doucement à l’oreille :

— Attends, Joseph, laisse-moi te montrer, laisse-moi te guider…

Et comme par enchantement, le rabot glisse sur le bois, forme des copeaux, le rend plus doux au toucher.

Tous les matins, Joseph aide son père à l’atelier, mais tant qu’il est encore en âge de le faire, Jacob le laisse aller retrouver ses amis l’après-midi, afin qu’il s’épanouisse aussi dans la joie. Plus tard, il restera toute la journée à l’atelier. Puis, un jour, viendra le temps où il devra prendre épouse… Son père lui trouvera une belle et jolie jeune fille qui sera, elle aussi, tout comme lui, de la maison de David, la lignée royale directement issue de la Maison Royale d’Israël.

§

Le moindre village de Palestine grouille d’un monde qui semble peu soucieux des contrariétés de la vie, pourtant difficile en cette contrée. L’insouciance, ponctuée par les cris et les rires d’une jeunesse grouillante et frivole domine le calme apparent de ces lieux. Contraste saisissant avec le relatif silence qui règne le jour du Shabbat, l’un des rites les plus importants du peuple hébreu, jour de repos institué par Moïse, car Yahvé lui-même s’est reposé le septième jour de la Création.

Ce jour-là, tout le village se réunit dans la synagogue pour y prier. Celle-ci joue un rôle très important parmi le peuple juif. On y lit et on y étudie la parole de Yahvé. On y écoute les grands récits des prophètes et de tous les fondateurs de leur Foi, on y lit la Torah…

Seuls les hommes sont admis à la lecture de la Torah, et dans le Temple lui-même, car jamais ces précieux rouleaux n’en sortent. Hommes et femmes sont séparés et ne doivent pas se voir dans l’enceinte de la synagogue. Celles qui assistent à l’office sont derrière eux, séparées par un voile, ou, quand cela est possible, suivant la structure de la synagogue, dans une tribune au-dessus d’eux.

§

Il existe beaucoup de fêtes religieuses dans le monde juif, mais la plus importante d’entre elles est la Pessah, la Pâque, qui commémore la nuit de la Dixième Plaie d’Égypte. Cette nuit-là, L’Éternel abattit son bras séculier sur les Égyptiens, tua tous leurs premiers-nés, mettant ainsi fin à l’esclavage du peuple hébreu.

À partir du vendredi au coucher du soleil, les artisans remisent tous leurs outils à leur place, à l’intérieur de l’habitation, après les avoir soigneusement nettoyés. Ces outils sont très précieux, et sont transmis, ainsi que le savoir-faire, au fils successeur. Nul n’a le droit de les toucher à partir du commencement du Shabbat. Et on ne peut les reprendre qu’à la fin du Shabbat, le lendemain soir au coucher du soleil.

Et dès le dimanche, le travail et les habitudes reprennent. Chaque artisan retourne à sa tâche, les bergers repartent faire paître leurs moutons, et les rires et clameurs du village reprennent de plus belle.

§

Aujourd’hui, veille du jour de Shabbat, Joseph n’aidera pas son père, il n’ira pas non plus rejoindre ses copains, car Jacob lui a promis de l’emmener à Jérusalem faire une offrande à Yahvé. Il est heureux, car il va enfin voir le Temple, demeure de l’Éternel.

La route de Bethléem à Jérusalem est longue, mais Joseph n’en a cure tant il est heureux d’aller voir le Temple, et son père le laisse aller et venir à sa guise d’un chariot à l’autre, pour rire et s’amuser avec d’autres enfants du village.

Sitôt entrés dans Jérusalem, au loin se détache une colline et on distingue clairement la croix sur laquelle un homme est suspendu.

— Ne regarde pas, mon fils. Le mont Golgotha est l’endroit où sont suppliciés les criminels. D’autres aussi, qui ne sont pourtant pas des criminels, mais nos frères entrés ouvertement en lutte contre Rome, les zélotes. Comme celui qui est crucifié et qu’on peut encore voire aujourd’hui. Il s’est dressé contre Jamal*, publicain corrompu à la solde de Rome. Toute la Judée le sait et lui rend hommage.

Mais un jour, L’Éternel nous délivrera du joug des Romains, tout comme il a envoyé Moïse libérer nos ancêtres de l’esclavage dans lequel les avaient plongés les Égyptiens. Tous nos prophètes nous le prédisent : mieux qu’un libérateur, Yahvé enverra son propre fils sur terre.

Joseph enlace son père par la taille, le serre fort pour ne pas lui montrer les larmes qui coulent sur ses joues.

§

La consistance très robuste du supplicié l’a fait vivre trois jours… Trois jours d’horribles souffrances. Trois jours de torture sur la croix sont le maximum. Si le supplicié n’est pas mort, les Romains lui brisent alors les os des jambes à coups de masse. Le crucifié s’affaisse alors lourdement sur lui-même, ses os déchirent ses chairs et ressortent de la peau, horribles, brisés en dents de scie et la douleur occasionnée par la sédula qui lui écorche le dos est atroce. Les clous enfoncés dans ses poignets déchirent sa chair. Il tente de hurler sous les rires narquois de ses tourmenteurs, mais il ne le peut même plus. Il est incapable d’émettre le moindre son avec sa bouche. Il sait alors qu’il est sur le point de mourir. Des râles sifflants s’échappent de sa gorge… Il n’a plus aucune force, ne ressent plus la douleur. L’air ne pénètre plus dans ses poumons. La bouche grande ouverte, il cherche cet air si précieux à sa vie mais ne le trouve pas. Sa gorge émet un dernier gargouillement, sa tête retombe, il cesse de gémir et meurt asphyxié. Ses membres se déforment, ses os brisés ressortent encore plus de ses jambes brisées. Le corps de l’homme retombe lourdement sans un gémissement : il est bien passé de vie à trépas. Son corps tourmenté et disloqué est soit descendu de la croix et jeté dans une fosse commune, si d’autres condamnés doivent être crucifiés, soit laissé suspendu jusqu’à ce qu’il pourrisse et soit dévoré par les chiens, les chats errants et les corbeaux.

§

Les jours succèdent aux jours, les semaines, les mois et les années s’écoulent lentement, mais le rituel demeure. Et comme à l’accoutumée, Jérusalem est très animée en cette journée de Shabbat. Dès le lever du jour, les marchands agréés par les religieux, et après paiement d’un droit spécifique, se répandent dans l’enceinte du Temple, se rendent à leur place habituelle pour y installer planches et tréteaux afin d’y faire commerce. D’autres échangent de l’argent contre de la monnaie du Temple, le Shekel, émise par le Temple lui-même, seul moyen de paiement à l’intérieur de l’enceinte, pour l’achat d’un animal à sacrifier, un pigeon ou un agneau. La valeur de leur sacrifice varie selon leur situation personnelle. Moyen astucieux trouvé par les prêtres du Temple pour faire fortune.

La ville grouille de monde, chacun veille à son propre intérêt, tant les commerçants que leurs clients. Chaque transaction fait l’objet de longs palabres, avec la gestuelle digne d’un ballet. C’est dans cette ville grouillant telle une fourmilière, à l’ambiance gaie et désinvolte, que Joachim déambule dans les rues et ruelles escarpées aux nombreuses échoppes et nombreux commerces. Dieu a été généreux avec sa famille, et son héritage est grand. Homme pieux et généreux, il s’arrête auprès de chaque mendiant qu’il rencontre sur sa route, le réconforte et lui glisse quelques pièces dans la main. Chaque déshérité le sait et bénit le jour où il vient dans la ville pour y prier. Chose qu’il fait régulièrement malgré la distance séparant Nazareth, sa ville natale, et Jérusalem, pour faire offrande à Yahvé. Outre son héritage, L’Éternel lui a donné à l’âge de 46 ans le bonheur de prendre Anne pour épouse, alors que son aimée n’en avait que 24. Ils s’aiment tous deux d’un grand, d’un immense amour. Leur vie est paisible et douce et leur félicité sans limites. Leurs serviteurs les vénèrent. Ils ne reçoivent jamais de reproches, seulement des conseils en cas d’erreurs vites oubliées. En retour, ils ont une véritable adoration pour leurs maîtres qu’ils affectionnent au plus haut degré.

Seule ombre dans cette bonne fortune : une enfant qu’ils ont appelée Marie est née à la fin de leur première année de mariage, mais L’Éternel l’a rappelée très vite à lui. Voici maintenant 19 ans qu’ils sont mari et femme, mais aucun autre enfant n’est venu égayer leur maison, et tous deux en sont énormément affectés. Mais cette peine ne fait pas ombrage à la passion qui les unit.

Depuis leur union, leur amour ne s’est jamais démenti. En hommage à la Pâque, et comme chaque année, Joachim affrète une caravane pour se rendre à Jérusalem. Mais cette fois, sans savoir pourquoi, un mauvais pressentiment le tourmente et il ne veut pas emmener son épouse avec lui pour prier et faire offrande.

Comme à l’habitude, il n’aime pas la vie grouillante et a du mal à se faire à cette vie animée de la ville. Mais cette année, il a un certain mal être et, plus il s’approche du Saint des Saints, le Temple où, dit-on, est l’Arche d’Alliance contenant les Tables de la Loi, les Dix Commandements que Moïse a reçus des mains de l’Éternel lui-même, plus son malaise est grand. Mais tous les Grands Prêtres du Temple qui se sont succédé refusent que l’Arche soit vue par tous. Lorsqu’il franchit l’énorme porte de l’enceinte du Temple, l’angoisse qui l’obsède lui serre encore un peu plus la gorge et c’est telle une ombre pétrifiée qu’il entend derrière lui le Grand Prêtre Siméon. Il ne l’avait pas vu s’approcher, pourtant, il est très près de lui. Il sursaute quand le religieux lui pose la main sur son épaule et dit d’une voix caverneuse :

— Il faut que je te parle, Joachim.

Il sent la panique le gagner. Sans savoir vraiment pourquoi, il devine que l’heure est grave. Il suit le Grand Prêtre dans une pièce attenante et prie mentalement. Il invoque Yahvé, le supplie de l’aider dans ce qu’il sait être une prochaine grande épreuve.

— Joachim, commence le serviteur de Yahvé d’une voix autoritaire, refusant par avance toute contestation, ta femme t’a donné une fille que l’Éternel a aussitôt reprise. Elle ne t’a pas donné d’autre enfant et c’est un péché à la face de Dieu. Tu es de la maison de David, tu dois absolument avoir une descendance, car, comme tu sais, tu es de lignée Royale. Il te faut répudier celle qui a failli dans son devoir d’épouse et retrouver une femme féconde. De plus, elle n’est pas de lignée Royale, mais sacerdotale de la descendance directe de Aaron…

Joachim le savait… Sans avoir le courage de se l’avouer, il savait que ce sacrifice lui serait imposé un jour ou l’autre.

— Non… Non… murmure-t-il, désemparé.

Et son murmure devient un cri de douleur qui résonne, tel le tonnerre, à en faire trembler les murs du Temple :

— Noooonnnnn !

Joachim tourne alors le dos au Grand Prêtre et s’enfuit à toutes jambes. Il doit quitter cet homme qui veut lui enlever son amour. Il doit très vite s’éloigner de ce lieu qui l’oppresse tant… Il pousse, bouscule tout ce qui est devant lui, hommes, femmes, enfants, étals. Il court, il court, il veut s’éloigner au plus vite de ces lieux maudits, sort enfin de la ville, rejoint sa caravane et, devant les yeux médusés de ses serviteurs qui l’attendent, enfourche un cheval et s’enfonce dans le désert. Il galope, galope à bride abattue et, le lendemain, finit par rejoindre ses bergers médusés de le voir dans cet état de peine, de colère et même de rage. Lui, l’homme bon et généreux, lui l’homme fort… leur maître.

L’intendant de Joachim pressent qu’un drame se joue. Il prend un cheval et sans attendre s’élance à son tour, au galop dans le désert en direction de Nazareth. Il doit aller vers sa maîtresse ! Il doit absolument l’avertir de cette situation hors norme. Il passe par Sichem change son cheval fourbu qui n’en peut plus, qui est sur le point de s’effondrer, et repart au galop, il veut arriver au plus vite à Nazareth. Ce sont un homme et monture exténués, morts l’un et l’autre de fatigue et de soif, qu’ils y parviennent deux jours plus tard. L’intendant court tant qu’il peut dans cette cour qu’il connaît bien au milieu de laquelle trône un olivier qu’il a lui-même planté avec son maître, avise Anne de la situation, va dans la remise et s’effondre sur une paillasse, exténué, mort de fatigue et s’endort aussitôt…

À quelque distance de là, Joachim est assis sans mot dire. Il reste ainsi prostré, les yeux dans le vide, les poings serrés, sans se rendre compte du temps qui passe. Le soleil décroît à l’horizon et, bientôt, la nuit remplace le jour. Les bergers veillent leur maître tour à tour dans un silence absolu. La lune blafarde ajoute une pâleur insolite au drame intense que vit cet homme. Les chiens retiennent les moutons qui tentent de s’éparpiller dans la nature.

Tout le corps de Joachim tremble, incapable de contenir la rage sourde et intense qu’il refuse d’exprimer. La lune monte haut dans le ciel. Les paumes de ses mains saignent, blessées par ses ongles qui lui labourent la peau.

Pendant ce temps, aussitôt avertie, Anne, sans attendre, fait atteler deux chevaux à un chariot et part à son tour en direction de Jérusalem avec un cocher de confiance, pour lequel c’est un grand honneur de mener sa maîtresse vite et à bon port.

Joachim sent sa colère décroître à force de prières. Il jeûne pendant deux jours, et c’est l’âme en paix, mais le cœur lourd qu’il reprend sans savoir pourquoi, la direction de Jérusalem. Il y arrive par la porte Dorée. Dans le brouillard de son cerveau, il lui semble percevoir le bruit chaotique d’un chariot. Comme dans un rêve impossible, il croit entendre au loin la voix douce de sa bien-aimée… Inconcevable, elle est si loin… La voix nébuleuse se précise, il se retourne et la voit, elle, sa tendre aimée, sa douce épouse. Ils descendent tous deux, lui de son cheval, elle de sa charrette, et se précipitent dans les bras l’un de l’autre.

Sans attendre, Joachim fait remonter Anne dans la charrette, fouette les chevaux afin de retourner à marche forcée rejoindre sa caravane. Il donne l’ordre de départ et ils quittent ces lieux maudits sans se retourner.

§

À Nazareth, la vie reprend son cours normal. Joachim et Anne veulent oublier ce triste et douloureux moment qu’ils viennent de vivre. Moment pénible, s’il en est, mais qui n’a fait qu’accroître, tant que cela se peut, la force de leur amour.

Les jours, puis les mois passent. Anne devient nerveuse, fébrile… Et si elle se trompait ? Elle n’ose y croire, n’ose pas le dire à son époux. Elle préfère attendre confirmation… Quelques jours encore… Quelques semaines peut-être… Deux mois… À présent le doute n’est plus permis, et c’est radieuse qu’elle se met face à son époux, tend l’habit qu’elle porte, faisant ressortir la légère rondeur de son ventre :

— Joachim… Nous allons avoir un enfant.

Son époux reste bouche bée. Aucun son ne semble pouvoir sortir de sa bouche, tant sa gorge est serrée.

Il est sûr, il est indéniable que Le Tout-Puissant a entendu ses prières, là-bas dans le désert.

— Tu… Tu en es certaine… Tu ne te trompes pas… C’est vrai… ?

Elle lui répond avec un visage radieux :

— Oui… Oui mon amour… L’Éternel a entendu nos prières.

La joie est trop grande et Joachim tombe à genoux. Des larmes s’échappent de ses yeux et serrant le ventre de son épouse contre sa joue, il éclate en sanglots.

— Merci… Merci Yahvé… Merci d’avoir entendu nos prières.

Anne pleure aussi, passe ses doigts dans les cheveux bouclés de son époux, car elle sait que le Grand Prêtre voulait les séparer, voulait que Joachim la répudie et qu’il lui a désobéi…

Six mois plus tard, Anne met au monde une splendide et jolie petite fille. Joachim la prend dans ses mains, la lève à bout de bras, haut au-dessus de sa tête, telle une offrande à l’Éternel. Son visage rayonne de joie et de bonheur…

— Marie… Nous l’appellerons Marie…

Marie, est donc par naissance, descendante de la tribu sacerdotale de Lévy, de la maison de Aaron par sa mère et de lignée Royale de la maison de David par son père ce qui influencera le cours de sa vie. Ses parents font alors la promesse de la consacrer à Dieu.

§

Balthazar en Égypte, Gaspard à Saba, Melchior en Nubie et Artaban* fils de Médée*, en terre des Gaules, tous quatre savants astrologues parmi tant d’autres, scrutent, étudient le déplacement des étoiles dans le ciel. Ils ne se connaissent pas, chacun ignore tout des trois autres et n’en connaît même pas l’existence. Mais tous quatre, à l’aide de leurs tubes munis de verres grossissants, de leurs règles, de leurs compas, reportent jour après jour la position de toutes ces étoiles, les relèvent sur leurs parchemins en papyrus, et interprètent l’avenir, chacun à sa façon, selon la position et le déplacement de tel ou tel autre astre, comme des milliers d’autres astrologues à travers le monde.

Les mages sont très écoutés, très sollicités par les nobles, les riches, ils font fortune avec leurs prédictions. Riches et bien-pensants se bousculent pour entendre leurs prédictions bien souvent très hasardeuses…

§

Jour après jour, sans en manquer un seul, les quatre mages portent, chacun sur sa propre carte du ciel, la position exacte de chaque étoile, de chaque planète, et de leurs différentes trajectoires. Leur grand planisphère du ciel stellaire est divisé en douze parties, correspondant à chaque mois, puis divisé en jours, selon le calendrier Julien, le seul qu’ils reconnaissent comme exact. Celui-ci a été conçu et créé par un astronome grec, Sosigènes d’Alexandrie, à la demande de Caius Julius Cæsar. L’année, basée sur le cours du Soleil, compte douze mois de 365 jours, et comme il reste un excédent de 24 heures tous les quatre ans, il est ajouté un jour au mois de fébruarius. Cette année-là, les astronomes la nomment sexto ante calendas martii, et le jour supplémentaire bi sexto ante calendas martii. Ce calendrier solaire se trouve être très précis. Pour tous les astrologues et savants, pour tous les puissants de ce monde, c’est la seule mesure du temps qu’ils reconnaissent, leur permettant, de ce fait, de parler tous le même langage.

Tous quatre ont remarqué que suivant les années, et les saisons, la position des étoiles change, souvent très légèrement, parfois plus… Le passage de telle ou telle autre comète est pour eux signe de travail très intensif, chaque notable voulant une prédiction appropriée à lui-même du fait de son passage. Tout comme les constellations étaient révélatrices du caractère de l’homme, ils avaient connaissance de l’influence de la lune sur les mers, les plantes et tout ce qui vit sur terre.

Tous quatre constatent que Jupiter et Saturne ont très légèrement dévié de leur trajectoire. Ils relèvent reportent leurs plans de la voûte céleste, leur nouveau cheminement, sans y prêter vraiment attention, beaucoup d’astres variant plus ou moins leur parcours dans l’amas infini des étoiles.

§

Anne et Joachim vivent dans la plus grande félicité depuis la naissance de leur fille Marie. Dès son plus jeune âge, leur enfant se montre très active, et ses yeux pétillants et pleins de malice sont resplendissants.

Très pieux, Joachim ne veut pas renier la promesse faite à Yahvé, et dit à son épouse :

— Anne… Nous devons amener Marie au Temple du Tout Puissant. Nous nous devons d’honorer la promesse que nous avons faite à Yahvé de la Lui consacrer dès son plus jeune âge…

Anne en est fort peinée. Elle ne veut pas renier sa promesse faite à Yahvé, car si elle respecte la droiture de son époux, elle craint encore plus la colère du Tout Puisant. Elle se souvient d’une antique tradition, et c’est tremblant de peur de la réaction de Joachim, qu’elle lui dit la gorge serrée :

— La Loi nous permet d’attendre sa troisième année… Car elle ne doit pas être contrainte. Et si notre fille nous réclame, elle ne peut pas rester au Temple de L’Éternel. Ce sont… les Saintes Écritures… qui le disent, Joachim…

Joachim serre Marie et son épouse contre lui. Il comprend l’angoisse de sa bien-aimée.

— Je sais… Qu’il en soit ainsi…

Le temps passe. Joachim s’occupe de ses affaires. La terre est sa richesse, sa culture. Il l’aime, la vénère, parce qu’elle est nourricière. Il prie souvent à la Synagogue, est habilité à lire la Torah, et va régulièrement à Jérusalem, faire commerce et prier au Temple. Ses gens l’aiment, le respectent, le vénèrent presque, tant il est bon avec eux. Il leur a permis à chacun d’avoir sa propre maison. Ils cultivent la terre et prélèvent gratuitement le nécessaire pour nourrir leur famille.

Anne élève sa fille avec passion. Marie la surprend pour sa vivacité, et pour sa façon d’être, tant elle est alerte. Elle apprend vite, et son caractère se forge dès son plus jeune âge. Marie a bien assimilé le fait d’une longue séparation, et sait qu’elle sera confiée au Temple pendant un long moment. Non parce que ses parents ne l’aiment pas, mais parce qu’elle est promise à Yahvé. Elle l’a vite intégré et accepté.

§

Jacob essuie souvent ses mains chaudes, parfois brûlantes et toujours moites. Il a le don de soigner et guérir ses concitoyens par des massages connus de lui seul. Personne ne lui a jamais appris l’art du massage, et c’est avec l’aide de certaines herbes qu’il guérit celui en a le besoin et le lui demande. Les habitants de Bethléem, nommée aussi Ephrata, lui en savent gré. Jamais il n’accepte la moindre offrande, le moindre cadeau. Il ne comprend pas l’angoisse qui l’étreint parfois et lui serre la gorge. Dans ces moments-là, Il pressent certaines choses, et prie souvent Yahvé, pour qu’il lui révèle ce qu’il attend de lui. Quelques fois, il ressent la mort de quelqu’un… Il le garde pour lui, mais quand cela arrive, souvent très vite, le lendemain ou le surlendemain au plus tard, il pleure et entre dans une grande colère pour ne pas avoir prévenu son ami ou connaissance.

§

Depuis que Joseph est né, Jacob pressent que son fils n’aura pas une vie simple, comme lui. Il sait aussi que sa lignée sera exceptionnelle, hors du commun. Le seul point qu’il ignore est si elle le sortira de son humble condition… Si une quelconque fortune ou richesse l’attendait… Et parfois la vision d’une prédominance mondiale lui fait peur, le terrifie et dans ces cas-là, il tombe à genoux implorant L’Éternel de l’éclairer.

Sans relâche, en même temps que son métier, il enseigne à son fils l’art de guérir par les massages et par la vertu des herbes et des plantes… Sait-on jamais si ses visions dépendaient de son don de divination et de guérison ?

§

À Nazareth, les yeux mouillés par ses larmes qu’elle contient avec peine, Anne a préparé Marie et l’a vêtue de blanc. Elle a atteint l’âge de trois ans. Il faut à présent tenir la promesse faite à Yahvé.

Il y a quelques jours déjà, Joachim a tout préparé et tout prévu pour son admission au Temple par le Grand Prêtre, avec qui il s’est réconcilié depuis la naissance de Marie et surtout l’offrande faite au Temple en monnaie d’or et d’argent.

Tous les préparatifs terminés, c’est une petite caravane réduite à sa plus simple expression, et escortée par quelques hommes seulement, que la petite famille part en direction de Jérusalem. Ne voulant montrer aucun empressement, Joachim a prévu cinq jours pour y parvenir. Tous trois sont confortablement installés dans un chariot, mené par leur fidèle intendant. Ils souhaitent, sitôt leur départ, dédramatiser la situation. Mais grande fut leur surprise quand Marie d’emblée leur annonce de sa petite voix de jeune enfant :

— Pourquoi vous êtes tristes ? Je n’ai pas peur, moi…

— C’est bien mon trésor, c’est même très bien, lui répond Anne, la voix angoissée.

— T’as peur toi père ?

— Mais non, sourit Joachim. Où vas-tu chercher ça ? Ni ta mère ni moi n’avons de craintes. On voit très bien que tu es une petite fille très intelligente et très malicieuse… Je dirai même, une petite fille qui n’a peur de rien. On sait que tu sauras vite t’adapter à notre éloignement.

— Et quand je sortirai, je connaîtrais la Torah mieux que toi, et aussi tous les prophètes…

Joachim éclate de rire et la prend dans ses bras…

— J’en suis certain… Puisqu’il en est ainsi, on va aller faire du cheval.

Les yeux de Marie s’écarquillent de joie.

— Tous les deux ?

— Oui, ma chérie. Rien que nous deux.

Marie laisse éclater sa joie, et pendant que son père se fait amener un cheval elle serre sa mère contre elle, la serre et l’embrasse, le cheval prêt, elle rejoint Joachim qui l’assoit devant lui, et ils partent tous deux pour une longue promenade.

Joachim fait aller le cheval au pas dans cette contrée brûlée par le soleil. Il est fier de montrer à sa fille tout ce qu’il a réalisé pour amener l’eau pour leurs cultures, des puits, des rigoles d’irrigation, faisant ainsi l’abondance et la qualité de leurs récoltes.

Tous les soirs, la petite caravane fait une longue halte. Les tentes sont installées, des tours de garde instaurés, un grand feu allumé.

Le repas terminé, Joachim conte une histoire, l’histoire d’un prophète, ce dont Marie raffole. À l’approche de Jérusalem, la dernière nuit, Joachim accueille un Rabbin itinérant et l’invite à rester avec eux pour manger et dormir. C’est lui qui ce soir-là, conte l’histoire de Michée, prophète sous les règnes de Lotham, Achaz et Ezéchias. Marie semble boire ses paroles, tout le long de la narration. Elle n’en perd pas une bouchée. Et ses yeux brillent un peu plus et s’écarquillent lorsque le rabbin parle de sa prophétie : « … Et toi, Bethléem Ephrata, bien que tu sois petite entre les milliers de Judée, de toi sortira pour moi celui qui doit dominer en Israël, et duquel les origines ont été d’ancienneté, dès les jours d’éternité… » Marie sent son petit cœur battre un peu plus vite. Quand il termine, elle pose une simple question :

— Il n’a pas dit quand il viendra ?

— Non mon enfant, quand il le jugera bon Yahvé y pourvoira, et les grands de ce monde s’agenouilleront à ses pieds.

— Même les Romains, rétorque l’enfant à l’esprit vif ?

Une gêne s’installe autour du feu. Joachim est le premier à réagir :

— Allons… Il est l’heure de dormir, demain nous attend une longue journée.

Anne prend sa fille dans ses bras, et s’en va vers la tente. Tout le long du chemin, si court soit-il, Marie fixe le Rabbin, lui sourit et lui fait un petit geste de salut avec sa petite main. Quand son père vient l’embrasser avant de se coucher, Marie lui demande :

— Père, c’est où Bethléem ?

— Pas très loin, chérie. Dors à présent.

Mais la fillette a du mal à trouver le sommeil, ce soir.

Au petit matin, le rabbin s’en va après avoir remercié et salué Joachim et son épouse, occupés aux derniers préparatifs de départ. L’ultime étape pour Jérusalem sera courte aujourd’hui, au loin, à l’horizon se profilent déjà ses hautes murailles.

La petite caravane repart, mais cette fois tout le monde est silencieux, morose même. Tout le monde sait qu’au retour la petite fille malicieuse qu’est Marie, ne sera pas du voyage et ils en sont attristés.

Anne le cœur lourd, prépare sa fille et la vêt de blanc. Pas une seule couleur ne doit vêtir l’enfant. Rien que du blanc, signe de pureté. Marie est aussi agitée qu’un souriceau devant un bon morceau de fromage.

— On est bientôt arrivés, mère ?

Anne, bien que l’envie n’y est pas, sourit à sa fille :

— Oui ma chérie, on est arrivés.

Marie, plus qu’agitée, écarte légèrement la toile du chariot :

— Oui, on entre dans la ville.

La caravane franchit en effet les portes de la ville, où règne toujours le même tumulte. Des soldats romains vérifient certains chariots, demandent des laissez-passer à d’autres.

La petite famille s’en va vers le Temple, où les attendent le Grand Prêtre et les vierges du Temple toutes vêtues de blanc. Elles tiennent chacune une torche à la main.

Siméon, le Grand Prêtre reçoit l’enfant parée de voiles blancs, la place au milieu des vierges et c’est ainsi que Marie entre dans le Saint des Saints. L’envie de se retourner une dernière fois pour regarder ses parents la tenaille. Pour s’en empêcher, elle se met à danser, et c’est en trépignant et sautillant de joie qu’elle arrive au pied des marches de l’autel. Siméon la bénit et la place sur le troisième degré des marches de l’autel. Elle est confiée à Anne, fille de Phanuel, Anne la prophétesse, qui sera chargée de son éducation, que Marie fera damner plus d’une fois. Mais toutes deux se lient d’une forte amitié, pure et sincère au fil du temps, au fil des années.

Marie ne s’est pas retournée. Joachim serre très fort son épouse contre lui. C’est terminé, leur fille ne leur appartient plus durant son long séjour au Temple, et c’est le cœur lourd qu’ils quittent l’enceinte de ce lieu dans lequel ils ne sont pas admis.

§

Quelque chose échappe à Melchior dans sa Nubie natale. Il fait des allers-retours entre sa lunette et sa table sur laquelle sont étalées ses cartes de la voûte céleste. Ce scientifique ne sait pas ce qu’il se passe dans la constellation des Poissons. Il n’arrive pas à comprendre la légère modification dans le mouvement des étoiles, mouvement pourtant connu de lui. Une légère variation dans la voûte stellaire l’interpelle.

§

Jour après jour, Joseph grandit en âge, en raison et en sagesse, dans la petite ville de Bethléem. Il a la même façon que Jacob, son père, d’essuyer discrètement ses mains toujours moites sur ses vêtements. De lui, il apprend l’art de son métier, mais aussi le bienfait des plantes, pour soulager les maux et douleurs des habitants du village.

Jacob emmène son fils de plus en plus souvent à l’appel d’un des villageois souffrant d’un mal ou d’une blessure. Il lui apprend les gestes qui soulagent et les plantes appropriées pour guérir tel ou tel autre mal. Il est agréablement surpris une fois de plus, de l’intérêt que Joseph porte à son apprentissage et le regarde faire avec compassion.

Joseph a reçu en héritage le don de la divination, qu’il apprend à développer par la méditation, le recueillement et par la prière.

Jacob lui enseigne également comment soulager les maux par le massage du corps, et la douce chaleur de ses mains devient alors une alliée aussi inconnue que précieuse.

Très pieux lui aussi, il va à la synagogue très régulièrement, et il n’a nul besoin d’obligations pour prier de longues heures dans la maison de son père.

Très perfectionniste, il veut tout apprendre du bois qu’il doit choisir et travailler, en fonction du travail demandé : le tendre mais résistant sycomore, le très dur et très abondant olivier…

Il est la fierté de ses parents, dont la seule angoisse est sa faible constitution.

§

La petite Marie est confiée aux maîtres et maîtresses du Temple pour y être éduquée. Mais quelques mois seulement après son entrée au Saint des Saints, on lui annonce la mort de Joachim, son père chéri. Sa peine est immense, et elle se réfugie quelque temps dans le silence et la prière. Mais sa soif de vivre l’emporte et lui fait vite reprendre le dessus et ses activités.

Elle grandit dans l’enseignement de la Loi de Moïse. Très espiègle, l’esprit vif et actif, toujours en mouvement, elle est la joie personnifiée, mais aussi le désespoir de ses maîtres et maîtresses, sans cesse obligés de l’interpeller, de l’apostropher. Mais Marie sait se montrer douce et affectueuse envers eux et tous les griefs ressentis à son égard sont vite oubliés.

Elle s’applique dans tout ce qu’elle fait, tant sa soif de connaissances est grande, autant dans la lecture que dans l’écriture. Elle apprend à tisser, à coudre, à filer mais aussi à cuisiner et s’occuper d’une maison, c’est très important, car elle sait qu’elle en a une. Et un jour, elle aura aussi mari et enfants à s’occuper.

Son insatiable curiosité la fait souvent s’échapper à la surveillance d’Anne. Aujourd’hui elle est plus intrépide que les autres jours. Inconscience plutôt que courage, elle circule de couloir en couloir. Puis elle décide de changer son itinéraire habituel, passe par un couloir latéral du Temple. Sa témérité l’a menée dans la grande salle des prières. Elle ne s’intéresse pas aux riches décors et ornements, seul l’attire le voile immense, en haut de ces quelques marches, endroit que tout le monde appelle « Le Saint des Saints » et dans lequel seul le Grand Prêtre peut entrer une fois par an. Mais sa curiosité et son envie de savoir sont trop grandes. Et c’est tremblant de tous ses membres qu’elle s’approche du grand-voile… Elle a peur de l’interdit, mais sa soif de connaissance, surtout de curiosité, est les plus intense et les plus forte. Elle veut voir ce que les Grands Prêtres du Temple cachent aux yeux de tous : l’Arche d’Alliance. Sa main tétanisée approche de plus en plus du lourd rideau… le touche… et, lentement, tremblant comme une feuille au vent, l’écarte… finit par l’ouvrir suffisamment pour regarder à l’intérieur. Ce qu’elle voit transforme sa crainte en peur puis quasi en terreur. Elle voit ce que personne n’est autorisé à voir. Rien… Il n’y a rien derrière ce grand rideau rouge, rien qu’un grand vide éclairé par une minuscule bougie… Pourquoi ? Elle vient de se rendre compte qu’elle a percé l’un des plus grands secrets des Grands Prêtres : LE MENSONGE. Marie prend soudainement peur de sa découverte : les Grands Prêtres bafouent l’un des 10 Commandements donnés par l’Éternel à Moïse : « Tu ne mentiras pas. »

— Menteurs, menteurs, menteurs, les prêtres sont tous des menteurs, fulmine-t-elle dans sa petite tête.

Elle s’enfuit à toutes jambes traverse les couloirs et les pièces en courant aussi vite qu’elle le peut et va se réfugier dans sa chambre. Elle met longtemps à calmer son cœur qui bat la chamade. Le silence… Il faut absolument qu’elle garde le silence sur ce qu’elle vient de découvrir. Elle sent, devine d’un seul coup que sa vie est peut-être en danger.

§

Perplexe mais sans inquiétude aucune et sans se poser de questions, Gaspard relève comme chaque jour, le déplacement des astres dans la voûte céleste. Il reporte la trajectoire des planètes sur sa carte, note la légère différence de leur course dans la constellation des Poissons, de Jupiter et de Saturne par rapport aux autres années.

§

Marie aime qu’on lui conte la vie des grands prophètes. Elle ne se lasse pas d’entendre, jour après jour, la prédiction de Michée annonçant la naissance du Messie à Bethléem. Celle d’Isaïe prédisant la virginité de la femme qui concevra et enfantera le fils qu’elle appellera Emmanuel, Dieu est avec nous. Celle de David qui a dit que des Rois étrangers viendront lui rendre hommage et lui apporteront des présents, celle de Malachie annonçant l’envoi d’un ange qui préparera la venue du Messie. Aussi celle d’Osée qui prédit le voyage en Égypte, puis son retour...

Quelle vie pleine d’aventures pour cette femme qui va porter le fils de l’Éternel et pour cet homme qui va l’aimer, le chérir et le voir grandir !

À l’âge de douze ans, Marie a la grande douleur d’apprendre la mort de sa mère. Anne est partie rejoindre Joachim, le grand amour de sa vie.

§

Artaban* trace les nouvelles données qu’il recueille dans le ciel étoilé, et il en est cette fois certain : le mouvement des astres a légèrement modifié sa trajectoire. Il va se passer quelque chose dans la constellation des Poissons… Le lendemain, au lever du jour, il va s’asseoir sur l’un des rochers rouges qui longent la côte pour réfléchir. Le bruit du vent et le léger fracas des flots qui se brisent sur la côte ont un effet relaxant sur lui. Il scrute le ciel limpide essaie de percer le mystère du jour et de la nuit. Le mystère de la course du soleil qui se lève et se couche toujours aux mêmes endroits, de celui des étoiles qui sont toujours à la même place servant de guides aux marins… Sauf cas exceptionnels, tel celui qu’il s’apprête à vivre…

Chapitre deux

La naissance

Joseph est devenu un homme, un bel homme, simple et travailleur.