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Œuvre autobiographique romancée, Zoubeïda plonge le lecteur dans un passé pas trop lointain de la vie tumultueuse et passionnée de son auteure. L'ouvrage est riche en personnages aux destins palpitants et extravagants. C'est également un retour aux sources comme une quête de soi-même pour essayer de rendre hommage à toutes ces femmes qui ont contribué, par leur courage et leur persévérance, à arracher une part de leur liberté.
A PROPOS DE L'AUTEURE
En écrivant
Zoubeïda,
Zoubida Belkacem ne voulait pas seulement évoquer des souvenirs, mais également regagner l’autre rive pour trouver un bien infiniment plus précieux. Son roman est une énumération de tout ce qu’elle avait aimé, haï, souffert, refusé, lu, écrit, imaginé. Il fallait regagner cette ancienne rive du temps ; là où était restée l’enfance ; là où palpitait son secret si vif, si violent. Il est un véritable guide pour franchir les yeux fermés cette passerelle entre deux villes chères à son cœur, Blida et Constantine.
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Seitenzahl: 206
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Zoubida Belkacem
Zoubeïda
Roman
© Lys Bleu Éditions – Zoubida Belkacem
ISBN : 979-10-377-5193-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Préface
L’auteure parcourt le fil d’un passé et d’une histoire dans laquelle on comprend mieux ce qui pousse quelqu’un à écrire. Comme un besoin de poser des mots révélateurs d’une aventure dont on perd souvent l’essentiel au fur et à mesure que le temps passe.
À travers Zoubeïda, Zoubida Belkacem nous emmène, tous sens ouverts, à travers ce qui a fait l’Algérie et bien des Algérien(ne)s d’aujourd’hui.
Ce sont les effluves sucrés amers d’une guerre et d’une indépendance à construire, les émanations nauséabondes des prédateurs charriés par les guerres.
Des souvenirs laissant derrière eux des cicatrices dans l’esprit et la façon d’être des enfants et des adultes de ce temps pas si éloigné.
Mais aucune aventure humaine n’est figée dans le noir ou dans le rose.
Au fil de son histoire personnelle, Zoubida Belkacem donne à voir une Algérie au renouveau aussi incertain qu’une errance entre la force des traditions et le désir de les dépoussiérer pour une enfant qui grandit dans un quartier de Douirette.
L’occasion est trop belle de mettre le doigt dans une société à reconstruire, comme la cohabitation des pieds-noirs et des familles musulmanes, des êtres un peu étranges dont on fait des mystères ou des légendes.
Est-ce un autre temps ou notre 21e siècle, l’ouvrage raconte la vie des petits cireurs de chaussures et autres vendeurs de journaux dont le salaire dérisoire fait vivre leur famille.
Cette histoire d’une femme dont le mariage est une évidence entraîne ses lecteurs à la rencontre des « chercheuses de jeunes filles » pour des mariages arrangés.
Non sans y glisser la réalité d’un vécu aussi rare qu’un mariage de cœur.
Ce qui ne protège en aucune manière d’un déracinement à Constantine, dans une famille où la première mission est de se faire accepter, de soigner ses apparences sans perdre son authenticité.
Comme dans les fleurs des parfums de rose qu’elle apprend à distiller, Zoubida Belkacem brasse son histoire ; la petite histoire des lieux et des êtres qu’elle connaît, avec la Grande Histoire des anonymes dans lesquels on retrouve non seulement un peuple mais bien des sociétés qui nous sont familières, de part et d’autre de la Méditerranée.
Alain Trémiseau, Biographe – Ecrivain-Conseil
Il y a des années, nous habitions chez mon grand-père à Boufarik, une maison avec un jardin et une fontaine à bras. Elle trônait dans une minuscule cour où étaient regroupées plusieurs chambres, occupées par mes nombreux oncles et tantes.
La maison des petits platanes, témoin de mes premiers balbutiements et mes premiers cris dans la vie m’a ouvert les bras un dix décembre 1956. Comme on reçoit un joli cadeau de Noël à l’avance, je suis arrivée dans une conjoncture assez particulière car mes parents étaient fort occupés par un déménagement imprévu vers leur nouvelle maison située à Blida, la ville des roses.
Je fus donc emmailloté, emmitouflée aussi délicatement qu’un service de porcelaine avec le reste des paquets et valises et fis mon premier voyage de vingt kilomètres qui me séparait de ma nouvelle ville d’adoption et de cœur.
Blida où je reçus mon premier baptême avec mes premières tétées au goût de Jasmin et de roses.
Au fil des années, en grandissant, les visites à mes cousins devenaient de plus en plus rares. Cependant je n’ai pu me résoudre à couper ce cordon ombilical qui me reliait encore à cette demeure. Un retour en arrière salvateur, comme un besoin de remonter le temps pour un voyage initiatique. J’étais en quête d’indices et de faits lointains encore très présent dans mes souvenirs. Une mémoire encore vive qui a su conserver ces images si précieuses au risque de les voir disparaître à jamais dans les abysses de l’oubli.
Un passé qui nous ramène à lui avec ses odeurs et ses terreurs. Comme le vent, il choisit sa direction, il se lève et tourne selon les saisons et le temps.
Plus tard seulement, bien plus tard, j’ai appris d’où venaient ces lassitudes et ces terreurs. Ces cauchemars à répétition qui me rendaient visite chaque soir et me laissaient en nage.
J’entendais parler des attentats meurtriers et des avions qui lâchaient les bombes de napalm sur les douars et les hameaux isolés. Le bruit des mitraillettes qui crépitaient sans cesse avec ces rafles quasi quotidiennes d’une population apeurée des conséquences de cette guerre. Certes je n’avais que six ans lorsque j’ai vécu cette peur des soldats et de tout ce qui ressemblait à un uniforme.
La peur d’être séparée de mes parents ou qu’il puisse arriver malheur à mon frère Kamel, alors jeune étudiant à l’école de journalisme d’Alger. Mes parents venaient d’apprendre qu’il s’était engagé à l’union des étudiants algériens pour l’indépendance de l’Algérie en déclarant une grève illimitée du mouvement.
Mon frère Kamel était un brillant élève à l’école de journalisme, promu certainement à un avenir des plus prometteurs.
La fierté de mes parents à son égard n’en était que palpable. Il était accueilli comme un véritable héros à chacune de ses visites à la maison. Le service de porcelaine japonais trônait au milieu de la table tandis que les mets les plus délicieux lui étaient servis.
Didi Kamel était un modèle pour moi, un peu comme une icône dont je guettais l’arrivée et qui me semblait si inaccessible.
Je restais des heures à l’écouter parler de son travail de journaliste et de ses missions à l’autre bout du monde en tant qu’envoyé spécial.
Il n’arrivait jamais seul, il était à chaque fois accompagné d’un ami écrivain ou artiste peintre. L’occasion pour toute la famille de se délecter de leurs débats passionnés et instructifs.
Au fil du temps, je me suis attaché à cette maison de Blida. Bien sûr, ce n’était qu’une petite maison en rez de chaussée avec un toit en tuile rouge. Sa terrasse ombragée, enfouie sous une tonnelle de jasmin et de volumineuses grappes de raisins lui conférait un charme particulier des maisons méditerranéennes.
Mais le plus important était la présence de mes parents à nos côtés. Leur bonheur lorsqu’ils se sont enfin installés avec la nomination de mon père en qualité de fonctionnaire de police au commissariat de Blida.
Leur rêve s’est soudainement concrétisé malgré une époque mouvementée et imprévisible. On n’arrête jamais un rêve qui s’est mis en marche. Il prend forme et s’installe doucement et sans préavis.
Il arrivait que nos parents s’absentent pour la journée, nous laissant seuls à la maison sous la bonne garde de grand-mère. Mani était souvent appelée à la rescousse pour nous garder jusqu’à leur retour.
Lorsque la cloche sonne à l’école Gallieni, il est déjà l’heure de la pause déjeuner. Je m’empresse de rentrer chez moi, mais personne ne m’attend ce jour-là, pas même ma sœur cadette, Hanifa qui vient pourtant régulièrement me récupérer à la sortie de l’école, emmitouflée dans sa cape noire, bravant le froid rigoureux de l’hiver.
Je décide alors de suivre un groupe d’écolières qui se dirigent dans le sens de mon itinéraire pour partager leur compagnie jusqu’à arriver à destination.
La maison est silencieuse, seul le bruit des bûches crépite joyeusement dans la cheminée. Les volets des fenêtres ne sont pas ouverts ce qui accentue cette sensation de langueur et de tristesse qui s’en dégage. En l’absence de ma mère, la maison perdait de son éclat et chaque fois, je vivais ces instants comme une épreuve douloureuse qui me laissait sans énergie jusqu’à son arrivée.
Mani est une femme autoritaire, usant de diplomatie pour nous rappeler à l’ordre, sans mettre un mot plus fort que l’autre. Son souci est de ramener le calme en utilisant toutes sortes de subterfuges pour faire bonne figure aux yeux de mon père. Dotée d’un caractère bien trempé, elle ne tolérait aucune incartade qui pourrait déranger le rythme de son quotidien.
Ne pouvant physiquement se mesurer à l’énergie éprouvante de trois adolescents et trois adultes ; Mani avait recours à une arme redoutable, épinglée sous les plis de son sarouel.
« Aux grands maux, les grands remèdes », disait-elle.
« Vous voyez bien cette aiguille. Je ne m’en sers pas que pour attacher mon foulard mais figurez-vous que je vais m’en servir pour faire une piqûre de rappel au plus récalcitrant d’entre vous. Cela vous calmera une fois pour toutes, et gare à celui ou celle qui dérogera aux règles établies ».
Heureusement que je n’ai jamais eu à subir ses punitions car en réalité, ses menaces étaient plus dissuasives que réelles.
Poussée par une faim violente, j’imagine déjà la table bien garnie avec un délicieux repas fumant au milieu
Seulement, la table n’est pas encore dressée et l’aspect général de la cuisine ne présage rien de bon.
Mais comme mes entrailles sont soumises à rude épreuve, je décide de jeter un œil à l’intérieur du frigo, espérant trouver quelque chose à me mettre sous la dent.
L’incontournable confiture de pamplemousse, préparée la veille par ma mère, trône en bonne place. Il y a aussi un grand récipient de couscous aux petits pois dont raffole mon père ainsi qu’un pot de petit lait.
Avec Mani, le temps des vaches maigres prenait tout son sens et on pouvait s’attendre au pire si l’absence de mes parents venait à être prolongée.
Dans la chambre, Mani est assise en position de tailleur, complètement absorbée par son ouvrage de tricot. À ses pieds se trouve une énorme corbeille en osier, remplie de pelotes de laine. Elle s’empresse sûrement de finir la fameuse liseuse bleu destinée à sa belle-fille Zahia, enceinte de son cinquième enfant.
Du haut de mes huit ans, je tente une incursion pourtant.
« Mani… j’ai faim, je peux avoir mon déjeuner, s’il te plaît », lui lançais-je sur un ton suppliant.
« Le temps de finir deux petites rangées de tricot et j’arrive. Profites-en pour demander à tes sœurs de venir dresser la table et couper le pain. »
Dans dix minutes, le repas sera prêt.
« Et ne traîne pas en chemin », ajoute-t-elle tout en sachant que leur chambre se trouve à quelque trois pièces plus loin en contournant un petit couloir minuscule.
À cette époque, la maison de mon enfance me semblait alors bien grande avec des meubles à chaque coin et recoin, qu’il fallait traverser pour arriver enfin à destination.
En réalité, la chambre de mes sœurs qui se trouvait tout au bout du couloir était devenue leur QG. Leur point de ralliement où ils se réunissaient tous pour discuter et écouter de la musique. Très absorbés par les dernières chansons en vogue, ils ne semblaient nullement surpris par ma présence. J’ai dû faire appel à mes cordes vocales pour leur signifier l’urgence de la situation et les pousser enfin à réagir. Rapidement, une bonne soupe de lentilles à la viande accompagnée de petits légumes fut servie garnissant les bols remplis à ras-bord. Satisfaite, Mani se dirige alors d’un pas assuré vers le placard de la cuisine pour nous proposer le pain de la veille que maman cachait dans un grand sac en tissu de lin.
Je me souviens avoir participé à la collecte de ce pain sec pour goûter au seul plaisir de le distribuer aux petits singes Magots accourus en nombre lors de nos excursions sur les hauteurs de la Chiffa.
À la vue de ce pain sec et fripé, on prit tous un air dépité et blazé. Mais mon frère Nourdine qui n’était pas du même avis, sorti de ses gonds, exaspéré.
« Mais où est passé le pain que j’ai acheté ce matin chez le boulanger, il sentait très bon. Je veux bien en manger tant qu’il est encore chaud et croustillant. »
« Pourquoi nous donnes-tu à manger ce pain rassis d’il y a trois jours. »
« Vous allez vous en contenter ! Vous verrez, si vous le trempez dans la sauce chaude, il sera bien moelleux et il donnera plus de goût à votre soupe ».
— Je n’y toucherai pas, lui rétorqua mon frère sur un ton ferme et catégorique.
Mon père t’a laissé de l’argent pour acheter du bon pain frais et pas pour nous affamer.
— Mon fils Ali s’échine au travail du matin au soir. Vous devriez éviter de gaspiller la nourriture de cette façon et vous contenter de ce qu’il y a. Pour le dîner de ce soir, je vous réserve un bon rôti de veau à la pomme de terre et vous pourrez alors l’accompagner de ce pain croustillant. Allez mes enfants, mangez vite votre soupe avant qu’elle ne refroidisse !
Le ton était mielleux mais intransigeant.
Par dépit, tout le monde abandonna la partie en espérant qu’elle finirait bien par retourner le lendemain, chez elle à Boufarik.
Partir en voiture à Alger était une véritable expédition. Il fallait parcourir cinquante kilomètres sur une route départementale à devoir supporter de nombreux dos d’âne et crevasses.
Ce jour-là, nous roulions à la vitesse de cinquante kilomètres/heures derrière des calèches tractées et de vieux autobus en fin de vie, menaçant de rendre l’âme à chaque embardée.
Au volant de sa 403 noire, mon père qui roulait derrière ne cessait de pester contre ces vieux tacots d’un autre âge, nous asphyxiant de fumée noire.
Je ne retrouvais mes esprits que lorsqu’il garait la voiture à l’entrée de la station d’essence de Boufarik. Une halte bénéfique pour nous dégourdir les jambes et prendre un peu l’air. Enfin, un moment de répit !
Avec ses immenses vergers de clémentine et d’orange, la ville de Boufarik est une destination privilégiée pour les voyageurs.
Il n’est pas rare que des marchands ambulants nous proposent des flacons d’extrait d’eau de fleur d’orange, appelé ma Zhar.
Qui ne connaît pas l’eau de fleurs d’oranger et ses nombreuses vertus. Elle est utilisée pour désinfecter les yeux des nouveau-nés et nettoyer leur peau délicate afin de lui rendre sa clarté et sa souplesse.
Cet extrait rentre aussi dans la composition de la pâtisserie traditionnelle où les amandes sont un ingrédient indispensable dans la cuisine maghrébine.
Profitant de cette halte, mon père en profite pour nous commander des boissons fraîches au niveau du Kiosque en forme d’orange, autre fierté de la ville.
Cette boisson à la pulpe d’Orange doit sa réputation aux nombreux vergers d’agrumes, gorgés d’eau et de soleil. Son goût exquis et exceptionnel apporte une onde de fraîcheur unique.
Je m’empresse de siroter ce nectar en me délectant de la moindre goutte.
Une fois désaltérée et reposée, je rejoins ma banquette arrière pour me replonger dans la contemplation des platanes qui défilent en trombe sous mes yeux. Quelques secousses suffisent pour me bercer et me faire replonger dans les bras de Morphée.
Ces longs trajets étaient pour moi une véritable expédition que je redoutais et appréhendais à chaque fois. Au retour à la maison, j’étais bonne à ramasser à la petite cuillère et je jurais de ne plus les accompagner à l’avenir.
Au fil des jours, je finis par découvrir la raison de leurs fréquents déplacements sur Alger.
Grand-mère venait régulièrement nous garder car en réalité, maman souffrait d’une maladie chronique et il fallait qu’elle fasse des examens médicaux au niveau du CHU de Mustapha.
Quand elle arrivait le soir, je voyais bien qu’elle regardait ailleurs, fuyant nos regards. Elle avait le teint cireux, celui des malades alités qu’on voyait à l’hôpital.
Tout le monde savait et personne n’en parlait. On faisait comme si tout se passait normalement et chacun bricolait dans son coin, l’air de rien.
Il y avait beaucoup d’amour et de complicité dans cette maison de Blida qui ne désemplissait jamais.
Les jours s’écoulaient comme la rigueur d’un sablier, sans surprises.
Un jour, elle s’est soudain mise au rangement des chambres et elle dit à mon père
« Ça sera bientôt trop petit ici. »
Je n’avais pas compris. Trop petit pourquoi ? Devrons-nous bientôt déménager, changer de maison et de quartier ?
On devra changer nos habitudes, quitter nos amis et nos voisins. Non… c’est impensable !
« Beaucoup de pied-noir sont partis, quittant leurs grandes maisons avec jardin et tu vois à quelle vitesse elles se retrouvent occupées par des montagnards, l’espace d’un clignement des yeux », disait-elle alors à mon père.
« Oui, mais moi j’ai d’autres valeurs et principes et je suis heureux d’avoir fait l’acquisition de cette petite maison à la sueur de mon front, j’ai la conscience tranquille tu vois, lui répondait mon père ».
Nos amis la considéraient comme un havre de paix. Que ce soient des tantes ou des cousines qui venaient partager des moments de joies et de bienveillance. De même que des orphelins recueillis par mes parents, le temps de les placer. En ces temps-là, ils étaient nombreux à fuir la misère et la désolation de leurs hameaux.
Il arrivait que mon père recueille des orphelins, trouvés errants dans les rues pour les ramener à la maison. Le temps qu’ils retrouvent des forces, avant de les placer dans des orphelinats ou structures prévues à cet effet.
Policier, il les aidait du mieux qu’il pouvait dans le cadre de ses fonctions, mais aussi en dehors de ses heures de travail, lorsqu’il était en civil par soucis d’entraide et de solidarité.
Durant la guerre, ils étaient nombreux à fuir leur campagne, ils arrivaient en ville par centaine, en piteux état, affamés et épuisés.
Au commissariat central, mon père les voyait arriver par groupe ; mal en point. Des cas sociaux pour certains, cherchant un abri pour la nuit, un gîte ou une proposition de travail qui mettrait fin à leur calvaire.
Ma mère ne se doutait pas de l’enfer que vivait une grande partie de ces orphelins, obligés de mendier et parfois voler pour survivre.
Elle qui a vu le jour en 1924 à Alger où elle passa une grande partie de son adolescence.
Avec les événements que traversait le pays, elle n’eut pas la chance de continuer à fréquenter les bancs de l’école. D’autant plus qu’à cette époque, les familles laissaient rarement leurs filles continuer leurs études au-delà du certificat d’études.
Savoir déchiffrer les lettres apprises à la medersa du quartier, savoir lire et écrire était à peine toléré dans ces milieux conservateurs. Ma mère était une autodidacte avec ses connaissances recueillies à l’école de la vie et de son quotidien.
Auprès d’amis et de voisines françaises, elle avait aussi appris la couture. C’est ainsi qu’elle fut prise en amitié par une voisine française, couturière, qui l’initia aux secrets de la couture. Comment dessiner un patron et prendre des mesures exactes pour exceller dans l’art du prêt-à-porter. Elle avait des doigts de fée et arrivait à sublimer tout ce qu’elle touchait.
Elle possédait une souplesse d’esprit comparable à la sagesse du terroir, liée à l’impertinence et la fébrilité de l’adolescence.
Avide de savoir, elle apprit assez vite à lire et écrire et surmonta tous les handicaps liés à sa condition de jeune fille dans une société conservatrice.
Ma mère avait cette beauté méditerranéenne qui ne passait pas inaperçue. Dotée d’une grâce orientale qui contrastait avec la blancheur laiteuse de sa peau, elle eut manifestement beaucoup de prétendants que mon grand-père refusa sous prétexte qu’il était encore trop tôt pour la marier et qu’elle devait s’occuper de sa maman malade, dont la santé déclinait de jour en jour.
Au fil des années, elle était devenue une parfaite maîtresse de maison et faisait la fierté de ses parents. Un bonheur qui s’avéra de courte durée suite à la disparition de cette maman si aimante. Croyant sans doute apporter un peu d’harmonie et de joie dans son foyer, mon grand -père lui annonça un jour que ses proches lui avaient proposé de lui trouver une nouvelle épouse pour assurer la stabilité du foyer. Consciente des jours difficiles qu’elle allait devoir vivre auprès de cette inconnue, ma mère ne put qu’accepter, mise devant le fait accompli.
Très vite, la marâtre tomba enceinte et maman se trouva vite débordée par les nombreuses corvées qui lui étaient assignées. Mais elle s’exécutait sans se plaindre, subissant les remontrances d’une femme, toujours plus exigeante et acariâtre.
Elle devait non seulement tenir la maison mais aussi s’occuper à plein temps de ses quatre frères et sœurs. Les moments de répit étaient rares pour une jeune fille de son âge qui ne vivait plus que dans les restrictions et les interdits.
Pourtant, ces épreuves allaient renforcer son énergie et sa volonté de réussir sans baisser les bras face aux tourments et aux aléas de la vie.
Des années plus tard, lorsqu’elle épousa mon père, elle sut rester une femme simple et généreuse par ces temps de restrictions et de pénuries.
Elle avait réussi grâce à son courage et son intelligence à offrir à sa famille toutes les commodités d’une vie paisible et épanouie, elle savait surmonter les difficultés matérielles dans lesquelles, son petit monde se débattait parfois.
Elle se mettait alors face à sa machine à coudre pour créer et réaliser des modèles que tout le monde lui enviait.
Ô maman, tu étais consciente de la laideur de la pauvreté qui t’entourait, de cette population réduite aux bons d’approvisionnement et aux pénuries. Tu avais cette faculté de transformer la laideur en beauté et l’indigence en richesse. Tu détenais la recette du bonheur et tu as su l’utiliser à bon escient autour de toi.
Des enfants en guenilles, errant dans les rues, s’agglutinant devant les mosquées dans l’espoir d’être nourris.
Je te vois encore, avec ton indéfectible sourire et ta classe naturelle, offrir ton aide à tous ceux et celles qui venaient frapper à ta porte.
Tu avais cette capacité de rire et de dédramatiser des situations inextricables qui semblaient insurmontables.
Tu fonçais face aux défis car tu étais consciente de ta condition de femme, tout en sachant que tu n’avais pas de temps à perdre en regrets et nostalgie.
Une femme désintéressée qui gardait son élégance et sa classe, quelles que soient les épreuves à surmonter.
Chaque fois que mon père lui décrivait le calvaire de ces pauvres petits orphelins, elle lui demandait de les ramener à la maison, le temps pour eux de se remettre sur pied et de trouver un moyen de les placer dans des centres spécialisés.
Maman savait exactement ce qu’il fallait faire, et comment procéder en pareille situation.
Avec l’aide de ma sœur aînée Nacira, elles commençaient à déshabiller ces petits orphelins apeurés et intimidés.
Elles les passaient sous la douche, tout en frottant et savonnant leurs petits corps chétifs à grandes eaux chaudes. Ensuite, elles coupaient leurs cheveux ébouriffés, infestés de poux.
Une opération délicate qui leur prenait plus de temps que prévu car certains d’entre eux manifestaient de l’embarras. Têtes baissées, ils se laissaient faire difficilement avec beaucoup de gêne et de pudeur.
Une fois les cheveux propres lavés et coupés, maman leur appliquait une solution appelée Marie-Rose, tout en prenant soin de camoufler leurs cheveux avec des foulards prévus à cet effet.
Je revois ces petits orphelins, sortir du bain fumant, tout intimidés, prendre des couleurs et souriant enfin devant un bon bol de soupe chaude.
Leurs corps menus et maigres dévoilaient l’extrême souffrance qu’ils avaient dû traverser pendant leur courte existence jalonnée de drames et de violences. Mais elles avaient toujours sous la main des vêtements propres et décents qui faisaient leur bonheur.
Parfois, ils arrivaient la peau ensanglantée, complètement envahie de boutons purulents. C’était la gale que la plupart des orphelins attrapaient à cause des mauvaises conditions d’hygiène et de l’extrême pauvreté dans lesquelles ils vivaient.
Ces enfants faisaient partie des nombreuses victimes collatérales de la guerre de colonisation.
Il y en avait partout. Aux abords des mosquées et des marchés, en quête d’un morceau de pain et de quelques pièces de monnaie.
Certains d’entre eux arrivaient néanmoins à s’en sortir, se frayant un chemin à la force des bras.
Les plus chanceux trouvaient du travail en tant que manutentionnaires dans les marchés de la ville, portant à longueur de journée, de lourdes charges sur leurs corps squelettiques.
D’autres, des cireurs, pas plus hauts que trois pommes, qu’on appelait les yaouled, pullulaient aux alentours des grandes avenues, à la sortie des gares et des salles de cinéma.
Reconnaissables à leur grosse boîte noire qui pendait lourdement sur leurs épaules.
Très tôt, ces petits cireurs investissaient les lieux et sillonnaient les artères principales de la ville.
De braves petits guerriers, enduits de suies et de charbon, semblables à des corons, sortant d’une mine de charbon.
Ces va-t’en guerre, sortaient à l’aube, le ventre vide, bravant le froid et les dangers.
Seules, leurs voix rauques tonnaient dans le froid glacial des matins brumeux et gris.
Ils traînaient leurs boîtes volumineuses comme on traîne sa misère sur un long chemin de croix.
On ne les voyait jamais taquiner le ballon, jouer aux billes, ni même partager les activités ludiques des autres gamins de leur âge.