À la cascade du vieux moulin - Roger Vannier - E-Book

À la cascade du vieux moulin E-Book

Roger Vannier

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Beschreibung

Juillet 2015. Romain, de retour en France après avoir travaillé en Guinée pendant la crise de l’Ebola, se retrouve manipulé par sa mère raciste, qui l’empêche de repartir en Afrique et désapprouve son mariage avec Aminata, une médecin guinéenne. Avant son départ, il était en couple avec Léa, mais leur rupture a été causée par le père de cette dernière. Après la mort de « sa Négresse », Romain choisit le célibat. De retour en France, après le divorce de Léa, les deux anciens amants se rapprocheront-ils ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Roger Vannier est un écrivain prolifique, reconnu pour ses ouvrages engagés abordant des thèmes tels que la justice, l’antiracisme et les valeurs humaines. Son style sensible met en lumière des valeurs essentielles comme l’amitié, la solidarité, la fidélité et l’amour. "À la cascade du vieux moulin" rejoint une longue liste d’ouvrages récemment publiés chez Le Lys Bleu Éditions.


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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Page de titre

Roger Vannier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À la cascade du vieux moulin

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Roger Vannier

ISBN : 979-10-422-8167-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Du même auteur

 

 

 

Les grandes moissons, Le Lys Bleu Éditions, 2023

 

Lueur d’espoir en plein chaos, Le Lys Bleu Éditions, 2024

 

Traque à haut risque, Le Lys Bleu Éditions, 2024

 

Les sans-cœurs, Le Lys Bleu Éditions, 2025

À la cascade du vieux moulin

 

 

 

 

 

Il était couché dans l’herbe. Il était à l’ombre et il faisait la sieste. On était au début de l’été. Le temps était même un peu orageux. Non loin de lui coulait la Sauge, une rivière un peu sauvage qui sortait, par une cascade bruyante, d’un fouillis rocailleux et verdoyant. Débouchant du moulin du Pyrus situé sur sa rive droite, une autre chute la rejoignait. À cet endroit, les pêcheurs aimaient tendre leur ligne car l’arrivée brutale du courant formait un remous. Ce dernier était profond et très poissonneux.

Romain Laville connaissait ce coin depuis son enfance. Avant-hier, il était revenu de Guinée où il avait enseigné en tant que coopérant. Le bruit de l’eau, le chant des oiseaux, le vent léger dans les peupliers l’avaient bercé et ses paupières s’étaient fermées. Maintenant, il était dans les bras de Morphée et son sommeil était profond.

Le village de Beaulieu où il avait son pied-à-terre était tout près d’ici. Son logis se situait à moins de 100 mètres de celui de ses grands-parents paternels, Yves et Thérèse. En ce moment, Léa Baron, son ancienne petite amie, était chez sa grand-mère, assise devant un café trop chaud. Nous étions le 8 juillet 2015 et elle avait appris qu’il était rentré d’Afrique depuis le 6.

Léa et Thérèse attendaient en silence devant leur tasse. Si l’une semblait soucieuse, l’autre, qui l’observait depuis un bon moment, lui demanda enfin :

— C’est pour Romain que tu es venue me voir ?

— Oui ! J’aimerais bien le rencontrer mais j’ai peur qu’il me reçoive mal.

— C’est sûr qu’il t’en a beaucoup voulu mais c’est du passé.

— J’ai appris qu’il va se marier.

— Bientôt, sans doute. Elle est médecin et elle a un joli prénom. Elle s’appelle Aminata. Il y a deux ans, pendant les vacances, ils sont venus passer quelques jours ici. C’est une gentille fille.

— Aujourd’hui, avec l’épidémie d’Ebola, vu son métier, elle doit prendre beaucoup de risques.

— C’est pour cela que Sandrine a fait revenir Romain. Tu ne sais pas comment elle s’y est prise ? Elle lui a fait croire que j’étais hospitalisée et que je le réclamais. Je n’étais pas très d’accord.

— N’empêche qu’ici, il est à l’abri du virus.

— Oui ! Mais ça l’a rendu tellement furieux qu’il était prêt à repartir.

— Qu’est-ce qui l’a retenu ?

— Je ne sais pas ! Il a parlé de son contrat qui n’était pas renouvelé, des ministères qui ne répondaient pas et d’autres choses aussi. Que sais-je ! Il avait besoin de l’internet de sa mère, mais celle-ci lui a dit qu’il était en panne. À mon avis, c’est qu’elle n’a pas voulu le lui prêter. Enfin, je ne peux pas t’en dire plus.

Romain n’avait vraiment pas apprécié le mensonge que sa mère Sandrine avait osé utiliser. Il serait retourné en Guinée si son passeport n’avait pas été périmé. D’ailleurs, il avait décidé de rester là-bas. Si son contrat n’avait pas été renouvelé, il aurait enseigné dans une école du pays et qu’importe son salaire. Il aurait été près d’Aminata même s’il ne la voyait presque plus depuis qu’elle était d’astreinte à l’hôpital Donka. Là-bas, ils communiquaient surtout par téléphone. Celle-ci, non seulement, avait trop peur de le contaminer mais elle était constamment de service. À Conakry, il était proche de sa famille et il se rendait utile. Ici, à quoi allait-il servir ? Finalement, il était « coincé ».

Était-ce le cri du corbeau qui volait au loin ou celui du geai perché dans un coudrier bordant la rivière qui vint le réveiller ? Romain avait maintenant les yeux ouverts et quelques secondes lui furent nécessaires pour que son cerveau prît en compte sa situation. Il avait bien dormi mais tout son être était encore engourdi. Alors, lui revinrent en tête ses derniers souvenirs. Il pensa d’abord à Aminata, au danger qu’elle affrontait chaque jour, à la terrible épidémie que connaissaient la Guinée et les pays limitrophes. Demain, on lui installerait internet et il pourrait correspondre facilement avec elle. Sandrine s’inscrivit subitement au cœur de sa méditation. Elle, qui l’avait averti par mail que sa grand-mère était souffrante, prétendait maintenant que ses appareils informatiques ne fonctionnaient plus ? Comment pouvait-on mentir à ce point ?

Romain avait une « dent » contre sa mère. Ça ne datait pas d’hier. Un jour, en sa présence, Léa s’était présentée devant elle en mini-jupe et en talons aiguilles. Elle l’avait traitée de petite « pute ». Il ressentait encore la gêne qu’elle avait créée. Léa n’avait plus été comme avant et, à partir de ce moment, leur lien s’était un peu distendu. À croire que Sandrine avait cherché à les éloigner. Elle aurait fait la même chose s’il avait été avec Aminata, si tous les deux avaient vécu ici, d’autant qu’elle aurait donné libre cours à son racisme.

Léa avait toujours une place de choix dans ses pensées. Elle avait été son premier coup de cœur et il ne l’avait jamais oubliée. Certains disaient que l’amour n’existait pas ou que c’était un sentiment passager, mais lui savait que cette sensation était bien réelle et qu’elle pouvait s’installer en soi pour longtemps, que c’était même très fort, que ça paralysait parfois, que ça « triturait » l’esprit. Mais il était sûrement une exception. Cinq ans déjà qu’il n’avait pas revu Léa. Comment était-elle, aujourd’hui ? Il aimerait bien la rencontrer. Depuis leur rupture, il avait toujours eu le sentiment qu’elle lui manquait. Même là-bas, il l’avait souvent eue en tête quand Aminata n’était pas à ses côtés.

Derrière lui, le bruit d’un moteur se rapprochait. Il se redressa. Il tourna la tête et n’en crut pas ses yeux. Une Peugeot de sport blanche s’était arrêtée, un modèle récent et décapotable. Léa en descendait. Elle n’avait pas changé. Elle était aussi belle qu’avant. Elle était élégante. Elle ne portait pas de mini-jupe mais son ensemble était sublime. Ses longs cheveux blonds encadraient une paire de lunettes de soleil. Elle posa ses chaussures à talons aiguilles de peur de les abîmer et prit des escarpins. Elle était habilement maquillée et, de ce fait, il tombait encore sous son charme. Pourquoi réagissait-il ainsi ? Au-delà des sentiments qu’il avait eus pour elle et qui survivaient encore, ne l’avait-il pas toujours vue en femme-objet ? Aminata lui rappelait souvent que la beauté du cœur comptait plus que tout. Mais, en ce moment, cette vérité était sérieusement mise à l’épreuve. Romain, surpris, resta longtemps admiratif devant Léa alors qu’il aurait dû se demander pourquoi elle était venue le voir et quelles étaient ses intentions.

Elle voulut s’asseoir mais, sur l’herbe, elle craignit de se salir. Alors, elle rejoignit sa voiture, retira du coffre une couverture et l’étala au pied d’un peuplier.

— Tu ne t’attendais pas à me voir ?

— Justement, je pensais à toi à l’instant.

— C’est la preuve que les grands esprits se rencontrent.

— Ils se sont pourtant brutalement séparés, il y a cinq ans.

— Tu m’en veux toujours ?

— Non ! Ta vie t’appartient. Tu es libre de la mener comme tu l’entends, mais tu aurais pu me le dire en face que tu me quittais.

— J’avais peur que tu le prennes mal et mon père exigeait que je cesse de te voir.

— Oui, je sais ! Notre relation déplaisait beaucoup à tes parents. Quant à notre séparation, elle m’a rendu furieux, je dois te l’avouer.

Romain présenta ses condoléances à Léa qui avait perdu sa mère. Il était en Guinée quand ce malheur s’était produit. Sandrine lui avait communiqué la triste nouvelle et les phrases qu’elle avait employées traduisaient son mépris pour cette pauvre femme. Sa mère n’avait guère de respect pour les gens qui ne lui plaisaient pas et qui « clamsaient » comme elle disait.

Le jeune homme, qui s’était retourné sur le côté, observait son ancienne petite amie. Elle était installée tout près de lui et un vent léger lui apportait son parfum. Il éprouvait un énorme plaisir en fixant son corps. Il s’était appuyé sur un coude. Il ouvrait la bouche, écarquillait les yeux et il était sans réaction. Elle avait toujours sur lui ce pouvoir envoûtant. Assise, ses mains jointes autour de ses genoux, elle regardait maintenant devant elle et ne disait rien. Elle devait voir, au-delà de la Sauge, des aulnes, des chênes, des sureaux et peut-être bien des frênes, qui faisaient comme des boules de verdure recouvrant la colline d’en face. Elle ne bougeait pas. Allait-elle garder longtemps ce silence et cette attitude ?

Romain, qui avait repris ses esprits, se le demandait. Pourquoi était-elle venue le rencontrer au moulin du Pyrus, ce lieu témoin de leur liaison d’autrefois ? Pour le savoir, il devait engager la conversation. Alors il la questionna :

— Qui t’a dit que j’étais là ?

— Ta grand-mère, pardi ! Je me suis arrêtée à la ferme. Tu vas retourner en Guinée ?

— Oui ! Dès que je pourrai.

— C’est dangereux, en ce moment.

— Il faut espérer qu’on vienne à bout de l’Ebola le plus rapidement possible. Pourquoi es-tu là ?

— Pour te voir !

— C’est tout ?

— Non ! Mais c’est déjà bien, tu ne trouves pas ? Au fait, j’ai aussi besoin de toi. Je vais divorcer. La procédure est entamée.

— En quoi cela me concerne-t-il ?

— J’avais pensé que tu pourrais m’aider, que tu aurais les moyens de rassembler des arguments qui joueraient en ma faveur. Des photos, par exemple !

— Je ne suis pas détective. Je suis enseignant.

Léa Baron logeait en ville, dans un appartement à deux rues de son cabinet d’avocate. Son mari, Richard, coureur de jupons et chasseur invétéré, s’était non seulement ruiné personnellement avec ses nombreuses maîtresses et ses actions de chasse, mais il avait aussi mis ses parents sur la « paille ». Elle avait donc de bonnes raisons de rompre avec cet homme. Mais ce dernier, directeur de l’entreprise des Roches dures, dites plus couramment carrière Simonin, était depuis longtemps entré dans les bonnes grâces du propriétaire qui n’était autre que le père de Léa.

Ce dernier, Bertrand Simonin, possédait donc cette grosse affaire : un chantier énorme avec quinze camions-bennes, des bulldozers, des pelleteuses et beaucoup de poussière. Non loin, au village de Mariterre, il habitait une belle demeure avec un parc immense. Dans cette même localité, Richard Baron s’était fait construire une superbe villa. Seulement, Léa avait fui le domicile conjugal. Elle s’était d’abord réfugiée dans sa maison natale, puis elle était allée habiter en ville, dans un logement qu’elle avait loué. Elle gagnait bien sa vie. Elle rivalisait avec les ténors du barreau. Romain rompit le silence qui s’était installé.

— Comment va ton père ?

— Bien ! Il additionne toujours les « bonnes femmes ». Mais, contrairement à Richard, lui, il ne jette pas l’argent par les fenêtres. Alors ?

— Alors quoi ?

— Dimanche 19, il y a une battue aux canards à l’étang du Pajon. Toutes ces opérations de ce genre, organisées par Richard, se terminent toujours par une orgie, m’a-t-on dit. Il n’y a pas que des hommes qui tiennent le fusil. Autrefois, tu avais tes entrées au château. Tu pourrais aller voir et faire ton possible pour prendre des photos et me rapporter des preuves.

— Tu m’en demandes beaucoup trop !

— Tu seras prudent, et si tu n’as pas d’appareil, tu auras suffisamment de temps pour t’en acheter un.

— C’est très dangereux. Enfin, je vais réfléchir.

— Je repasse te voir demain matin.

 

Il était 11 heures du soir et Romain ne parvenait pas à s’endormir. La visite de Léa l’avait considérablement déstabilisé. L’avait-elle rencontré uniquement pour qu’il intervînt dans sa vie privée ? se demanda-t-il. Il n’avait pas l’âme du détective et donc, surprendre son mari en délicate posture n’était ni de son ressort ni dénué de risque. Cette mission exigeait de la prudence, de la discrétion, de la patience et surtout, de l’expérience. Il n’était pas fait pour cela. Elle pouvait payer quelqu’un pour enquêter sur la conduite de son époux : elle en avait les moyens. Pourquoi était-elle venue le rejoindre au vieux moulin pour lui réclamer son aide ? Quelle était réellement sa motivation ? Elle souhaitait sans doute se rapprocher de lui. N’était-il pas, lui aussi, son premier amour ? Elle savait pourtant qu’il allait se marier, mais utilisait-elle sur son charme pour le séduire de nouveau ? Pour cela, comptait-elle sur les souvenirs communs de leur jeunesse, sur les sentiments qui, naguère, les avaient unis si fort ? Continuer à se poser ce genre de questions n’allait pas l’aider à trouver le sommeil. N’empêche qu’il avait une décision à prendre. Un non serait la vexer. Un oui signifierait accepter un travail aux conséquences incertaines.

Comment pouvait-il faire le détective ? Il n’y connaissait rien. Cependant, l’idée d’aller faire un petit tour du côté de la Suche ne lui déplaisait pas. La volonté de Léa de divorcer le laissait vraiment songeur. Il y avait tout de même matière à réfléchir. C’était elle qui avait quitté le domicile conjugal, et briser les liens du mariage dans ces conditions ne pouvait pas l’avantager. Elle devait donc disposer de preuves défavorables à son mari. La séparation à l’amiable ? Le couple n’y consentait sûrement pas, pensa Romain qui, enfin, sentit venir le sommeil alors qu’il n’avait pris aucune résolution.

Le réveil avait été pénible. Romain avait très mal dormi. Sur la terrasse, il était à l’air libre et, les deux coudes sur la table, il rêvait à des choses futiles devant son café au lait. Le ciel était bleu. Il faisait déjà chaud mais il était à l’ombre. Partant de la pelouse en bas, un vieux tilleul étendait très haut ses branches et, pour l’instant, tamisait la lumière du soleil jusqu’à l’étage. Autrefois, ses parents avaient occupé cette maison accueillante tant par son riche intérieur que par ses extérieurs verdoyants. Aujourd’hui, ceux-ci logeaient en ville. Sa mère travaillait dans les assurances et son père, Gérard, était ingénieur dans une grande entreprise.

Romain attendait Léa. Tout en beurrant ses tartines, il se demandait encore quelle réponse il devrait lui donner. Il était tiraillé. Soit il rendait visite au marquis et à la marquise de la Suche et obtenait leur accord afin de répondre au vœu de son amie, soit il partait du principe que ce n’était pas son affaire et il restait tranquillement dans son coin.

Léa arriva, entra dans la maison, monta l’escalier et s’assit devant lui.

— Ne te gêne pas pour moi, mange ! lui dit-elle après l’avoir embrassé.

— Le mieux, c’est que tu t’adresses à un détective.

— C’est fait ! J’en ai vu deux et je n’ai rien obtenu. Ils devaient être de connivence avec Richard car, à chaque fois, celui-ci est venu vers moi pour me jeter un tas d’insultes à la figure tout en prétextant qu’une personne de mon entourage l’avait mis au courant de ma démarche.

— Un vrai enquêteur n’aurait pas fait ça.

— J’ai appris, bien plus tard, que le premier avait été au lycée avec Richard. Pour l’autre, je ne sais pas.

— Tu as quitté le foyer conjugal.

— Oui, et ça n’arrange pas mon affaire.

— Y aurait-il une question d’argent ?

— Non ! Sauf si mon père disparaissait par malheur. Dans ce cas, on hériterait, mon frère et moi, et Richard y verrait peut-être une aubaine. Je ne sais pas comment il ferait, mais va donc savoir ! Il peut aussi vouloir ma mort pour s’emparer de mon argent.

— Je t’en prie, ne parle pas de malheur comme ça. Une séparation à l’amiable ne serait-elle pas possible ?

— Il refuse le divorce. Ainsi, il va laisser traîner les choses et me rendre fautive. Plusieurs années vont s’écouler avant que je puisse me débarrasser de cet abruti.

— Tu veux te remarier ?

— Non ! … Tu comptes vraiment repartir là-bas ?

— Oui ! Peut-être à la fin du mois ou en août.

— Alors, tu acceptes de m’aider ? Tu tenteras quelque chose pour moi le 19 ?

— Je vais essayer. Ça me paraît tout de même compliqué. Je ne te promets rien.

 

Dimanche 12 juillet. Romain se promenait le long de la Sauge. La discussion qu’il avait eue avec Léa le tourmentait toujours. Il lui avait donné satisfaction et avait eu droit à deux « bises » très appliquées en guise de remerciement et d’au revoir. Depuis, cette marque de sympathie lui revenait souvent à l’esprit. Mais pourquoi lui avoir dit oui ? Pour ses beaux yeux bleus ? Parce qu’il l’aimait encore ? Il avait beau se convaincre du contraire, le doute en lui persistait quand même. N’empêche que ce qu’il devait obtenir pour l’aider lui posait un sérieux problème. Comment allait-il procéder ? Durant de longues minutes, il pensa à ce projet aventureux, puis il passa à autre chose. On approchait de midi et il devait se rendre chez ses grands-parents pour un déjeuner en famille.

Son père et sa mère, Gérard et Sandrine, seraient présents. Ainsi, tous les Laville seraient autour de la table. En entrée, il y aurait certainement des bouchées à la reine ou du jambonneau avec des cornichons du jardin. Suivrait un poulet rôti accompagné d’un grand plat de purée de pommes de terre. Et, comme d’habitude, sa mère tiendrait des propos plus ou moins acceptables. Elle dirait, comme le font beaucoup : « Je ne suis pas raciste, mais… ». Un « mais » si pratique pour absoudre tous les intolérants du monde. Elle était une habituée des écarts de langage et, en disant cela, ce n’était qu’un euphémisme.

La ferme des grands-parents était l’une des rares à résister tant bien que mal au soi-disant nouveau monde, aux pressions des « pickpockets » et à la folie des grandeurs. Certes, elle avait sa stabulation, son matériel moderne : tracteurs, presses et compagnie, mais elle avait gardé, en fonction de ses vieux bâtiments, ses étables, sa grange et son écurie. Comme la plupart de ses collègues, grand-père s’était endetté pour moderniser son outil de travail. Il y eut un temps où ses terres ne connurent aucun produit chimique. Selon lui, on détruisait le sol et donc la planète avec tous ces pesticides, ces désherbants et autres saloperies. Seulement, les rendements et les finances ne furent guère au rendez-vous. Heureusement que le maigre salaire de Thérèse, institutrice au village, servit d’appoint, et que Yves admit enfin, sans gaieté de cœur, qu’il fallait se plier, comme ses semblables, devant ces messieurs de l’agroalimentaire et de la haute finance, comme il disait à l’époque.

Grand-mère avait enseigné à Beaulieu. Vers les dernières années de sa carrière, les enfants l’avaient appelée la vielle Thérèse. Certes, aujourd’hui elle était à la retraite mais, ce qui avait justifié ce qualificatif, c’était surtout qu’elle avait été sévère. Les écoliers l’avaient crainte et avaient « filé » droit. Mais, maintenant, les hommes et les femmes à qui elle avait fait classe, qui avaient appris avec elle à devenir des adultes réfléchis, lui étaient reconnaissants et disaient du bien d’elle. Pour eux, elle avait été une très bonne maîtresse.

Romain arriva juste à l’heure pour se mettre à table. En entrée, il y eut exceptionnellement des crudités. Sorti du frigidaire, un grand plat contenait des pommes de terre cuites à l’eau et coupées en rondelles, des quartiers d’œufs durs, des tomates du jardin, du thon et des crevettes, le tout, sous quelques feuilles de salade. Grand-père aurait préféré des harengs saurs avec ses « patates ». Chacun ses goûts ! Romain regardait la tablée et retenait en lui-même un soupçon de moquerie en se demandant où étaient passés les bouchées à la reine, les cornichons et le jambonneau. La chaleur de juillet avait sans doute modifié le menu. Il avait donc tous ces ingrédients dans son assiette et il mangeait tout en pensant à la maison paysanne des grands-parents qui, pour garder la fraîcheur, était encore plus sombre qu’à l’ordinaire. Grand-mère avait « tiré » les volets selon son expression, mais elle s’était relevée, avait appuyé sur l’interrupteur et ainsi, on voyait beaucoup mieux ce qu’on avait devant soi. Était-ce la lumière qui éclairait les visages ou la présence du fils qui, en catastrophe, était revenu d’Afrique ? N’empêche que Sandrine, qui se mit à observer ce dernier avec un regard perçant, l’interrogea enfin :

— Qu’est-ce qu’elle voulait, ton ancienne « catin » ?

Romain n’avait parlé à personne des échanges qu’il avait eus avec Léa. Il était à peu près certain que, ce matin, grand-mère et sa bru avaient discuté de leur entrevue et décidé d’en connaître le contenu.

— D’abord, ce n’est pas une « catin » et rien ne l’interdit de venir me rencontrer.

— Oh, si elle tient de son père qui a toujours été un homme à femmes, ça m’étonnerait que le pauvre Baron n’ait pas des cornes en guise de chapeau.

— Tu parles vraiment sans savoir.

Il n’en fallut pas plus pour énerver sa mère.

— Tu veux peut-être prendre la défense de cette « putain » ? Elle qui t’a pris pour un « pigeon » pendant des années et qui t’a laissé tomber « comme une vieille chaussette » du jour au lendemain.

— Tu dis n’importe quoi !

— C’est ça ! Disons plutôt que tu es incapable de faire le bon choix. Tu vas même à l’autre bout du monde pour t’amouracher d’une inconnue et me donner des petits-enfants métis que je ne verrai sans doute jamais.

— Tu ne pourrais pas être un peu plus mesurée, lui suggéra Yves.

— Mais beau-père, c’est la vérité, je n’invente rien !

Personne ne la reprit, ni Romain, ni Gérard qui, depuis le début, ne quittait pas des yeux son assiette. Durant quelques minutes, pas un mot ne fut prononcé. On n’entendait que le bruit des fourchettes, des couteaux et des verres qui s’entrechoquaient. On était au rosbif et aux frites. Où étaient donc encore passés le poulet rôti et la purée ? Décidément, le climat estival opérait des changements. Après le dernier morceau de viande rouge englouti, la suite se fit attendre et la parole retrouva ses droits. Rares étaient les repas de famille où l’on prenait des gants pour discuter. Sandrine en apportait régulièrement la preuve. Elle offrait toujours à son entourage un « bouquet » de mots tirés de son imagination et de ses suppositions. Pire, elle croyait à ses mensonges. Il suffisait qu’elle fût contredite, voire momentanément stoppée, pour qu’elle réaffirmât ses positions et, surtout, avec plus de certitude et d’ampleur.

— Fréquenter une fille de riche pendant des années, voilà le résultat, dit cette dernière, comme pour elle-même, histoire de réveiller son auditoire.

— Elle n’a pas besoin de la fortune de son père. Elle est avocate pénaliste, elle doit bien gagner sa vie, enchaîna Thérèse.

— Elle défend seulement les plus fortunés qui paient rubis sur l’ongle.

— N’empêche qu’au mois d’avril, c’est elle qui a représenté les syndicalistes de chez Ramirez et ils ont gagné, rapporta Gérard.

— Je n’en ai pas entendu parler.

— Il y a même eu un bon article sur elle avec sa photo dans les deux journaux. L’un a titré : « Maître Baron-Simonin a vaincu le géant ».

Son père intervenait rarement quand sa femme s’exprimait. De ce qu’il venait de dire, Romain en tira un énorme soulagement. Léa n’était pas la femme que sa mère voulait nous faire croire. Gérard avait encore ajouté que l’affaire avait fait grand bruit, que les ouvriers de cette entreprise avaient été surpris par leur victoire, qu’ils en étaient fiers et qu’ils ne tarissaient pas d’éloges à l’égard de leur avocate. Curieusement, lui qui était pourtant un haut cadre de la plus grande usine de la ville semblait soutenir les ouvriers par sa façon d’en parler. Mais son paternel avait toujours été respectueux des autres.

 

 

 

 

 

Romain était sur sa terrasse, assis devant son ordinateur posé sur la table. Il avait l’intention de chercher tous les renseignements concernant le château du Pajon. Mais avant, il avait envoyé un mail en Guinée et il attendait la réponse. Au bout de 10 minutes, en l’absence de connexion, il supposa qu’Aminata devait se reposer ou qu’elle était trop occupée à l’hôpital. L’Ebola continuait à faire des ravages. Les soignants étaient évidemment aux premières loges et son inquiétude pour la santé de son amie était quasi permanente.

Dans son mail, il indiquait qu’il allait bien, qu’il avait entrepris les démarches pour retourner là-bas et qu’il réclamait de ses nouvelles. Il était devant son écran et, maintenant, il pouvait lire tout ce qui se rapportait à la propriété du marquis de la Suche. Défilaient sous ses yeux tous les détails sur son château : ses dépendances rénovées, son jardin botanique et ses deux étangs. Dans cette publicité étaient aussi cités la chasse, la randonnée, la colonie du Sudreau avec son manoir, ses bâtiments aménagés, son réfectoire, ses dortoirs, ses cinq cents hectares pour terrains de jeux et autres activités.

Romain se trouva devant une anomalie de taille. D’abord, la chasse et la randonnée n’allaient guère ensemble. Ensuite, il avait en mémoire un étang et non deux. Il n’avait pas non plus le souvenir d’un jardin botanique ni d’un centre de loisirs. Même la propriété du Sudreau refit difficilement « surface » dans son esprit. Il était enfant quand il allait en vacances chez son oncle et sa tante, la sœur de sa mère, lesquels exploitaient la ferme située derrière le château. Était-ce bien le marquis qu’il avait connu qui, aujourd’hui, était à la tête de tous ces biens ? Pourtant, il avait lu au début de ces informations : « Le domaine du marquis de la Suche ».

Il avait le numéro de téléphone et il s’apprêtait à le composer. Subitement, il hésita. Si Raymond n’était plus de ce monde, si son épouse, elle aussi, avait rendu l’âme ? Plongé dans l’incertitude, il appela quand même. Il se présenta et il entendit :

— Mon petit Romain ! Ce n’est pas possible. Que je suis heureux de t’entendre !

— Je ne suis plus un enfant, maintenant. J’ai déjà 25 ans. Comment allez-vous ?

— Nous allons bien ! Où es-tu ? Nous aimerions que tu nous rendes visite si tu es dans le coin.

— Je suis à Beaulieu.

Assuré que le marquis et la marquise étaient bien vivants, Romain éprouva du soulagement. Il fit part de sa surprise concernant la page publicitaire qu’il avait lue sur le Net.

— C’est une société qui a pris la gestion de nos biens. Nous en tirons quelques ressources qui nous permettent de mieux vivre. Quand viendras-tu nous voir ? Arrive pour déjeuner et après, nous irons prendre des gardons au pied du grand étang. Il y a toujours la grille dans le ruisseau. Le poisson est bloqué. On fera comme autrefois avec une épuisette. Tu te rappelles ?

— Oui, je m’en souviens encore. Samedi, ça vous convient ?

— Oui, parfaitement ! Présente-toi vers 11 heures. On discutera. Si tu es marié, amène ta femme.

— Je suis seul. Pour le repas, ça va donner du travail supplémentaire à votre épouse ?

— Mais non, ne t’en fais pas ! Oh, elle est souvent souffrante, mais que veux-tu, c’est la vieillesse.