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Je m’appelle Morgan Anderson… Et dans ma famille, une vie normale ça n’existe pas. Entre jalousie, coups bas et un esprit de famille proche du néant, je suis tombée dans les pièges du panier de crabe new-yorkais. Cerise sur le gâteau, il a fallu que mon paternel me confie les rênes de l’empire familial… C’est là que les emmerdes commencent. Merci, à sa Majesté, pour ce cadeau empoisonné !...
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La voix du sabre
À LA SAUCE
NEW-YORKAISE
Roman
Cet ouvrage a été imprimé en France par Copymédia
Et composé par les Éditions La Grande Vague
3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau
Site : www.editions-lagrandevague.fr
ISBN numérique : 978-2-38460-081-6
Dépôt légal : Mars 2023
Les Éditions La Grande Vague, 2023
Je m’appelle Morgan. Je suis la troisième enfant de David et Melania Anderson. Mes parents, non... mon Paternel, est à la tête d’un empire qui aime faire trembler les bourses du monde entier. L’orgueil des Anderson n’a pas de limite. Nous sommes riches, et donc incapables de vous dire combien nous touchons d’argent chacun.
Je suis le vilain petit canard de la fratrie. Je n’en fais qu’à ma tête, qu’à mes envies et selon mon humeur. J’ai le don pour agacer mon entourage et rater mes histoires d’amour avant même qu’elles en portent le nom. Les ambitions carriéristes de Ted, mon frère aîné, me maudissent. Ma sœur et ses coups de bistouri m’ignorent et me critiquent. Dorian, le petit dernier, adore pimenter de détails mensongers les aventures de sa famille adorée qu’il aime rabaisser.
Nous sommes la famille idéale, composée uniquement d’amour et de compassion. Nous vivons en totale harmonie. Ces deux dernières phrases sont totalement fausses. Malgré toute cette négativité envahissante, nous savons être soudés quand l’orage gronde au-dessus de la tête de l’un d’entre nous.
Sur les conseils de mon avocat, j’ai décidé de partager mon témoignage sur notre belle famille. Trop d’histoires se sont construites autour des mensonges de Dorian. Seulesles raisons de ma future mort ne pourront être transformées par son imagination débordante. Mon cancer des poumons me diminue de jour en jour. Voilà ce qu’on peut choper quand on fume clope sur clope, et qu’en plus on est une ancienne toxico.
J’attaque les séances de chimio et de radiothérapie dès demain. Après des années à me supplier de stopper mes addictions, les médecins vont m’empoisonner avec leurs produits. Ils vont essayer de me sauver. Quelle ironie ! On me drogue pour me soigner alors que les mêmes drogues calmaient mon besoin de destruction.
Pour me rassurer, on m’a annoncé que mon espérance de vie était d'un an sans traitement. Avec le poison et les rayons, une infirmière a jugé que le cancer serait éliminé dans quelques mois. Quoi qu’en ait décidé la loterie de la vie, je préfère les conseils de mon avocat. Même si raconter ma version des faits, depuis mon retour de ma dernière cure de désintoxication, ne servira pas à grand-chose, je soulage ma conscience de mes actes manqués ou réalisés avec brio.
PREMIER TRIP
Retour d’Europe
Être folle, c’est une chose. Être folle et faire partie d’une famille de dingues riches et instables, en est une autre. Je ne vais pas me plaindre de cette situation. Au moindre pétage de plombs, le cercle a l’extraordinaire pouvoir de se souder et de protéger l’être faible qui a perdu tout contrôle. Pour pimenter le tout, j’ai des tendances suicidaires. J’ai bien failli y passer une fois. Heureusement que Dino, mon bodyguard, n’était jamais bien loin.
Après quelques mois, en fait quatre années passées dans un hôpital pour timbrés, j’étais de retour dans la famille. Mes parents, surtout ma mère, racontaient à qui voulait l’entendre que mon absence était due à un caprice. J’avais un jour décidé de visiter l’Europe dans tous les sens. Dino aurait préféré que la fausse version soit vraie.
Durant mon séjour, j’ai fait six tentatives de suicide, mis en place une vingtaine de scénarios, et passé plus de jours en chambre d’isolement qu’en thérapie. La dépression nerveuse de Dino m’a convaincue de me calmer et de faire croire que je jouais le jeu. Ça marque un type de 100 kg qui craque dans vos bras. J’ai fait ce qu’il fallait. Résultat ? Ma folie a été maîtriséepar les médocs, autres psychotropes, et la morphine qui n’était pas prévue au programme. Je connaissais déjà les effets du LSD, de la coke, des ecstas, mais la morphine... quand t’as rien d’autre. Pour avoir plus de doses, mon cul m’a servi à corrompre un infirmier. Et puis je suis sortie avec un diplôme de bonne élève et un corps demandeur de drogues plus dures.
Mon retour, dans le magnifique immeuble familial de New York, n’a pas été accepté par tous les membres de ma chère famille. Mes deux frères et ma sœur exigèrent que je reste en retrait. Je ne demandais pas mieux. Dino était toujours chargé de ma surveillance. Je voulais qu’il retrouve sa liberté. Je savais qu’il en avait marre, alors j’ai convaincu le Paternel de la lui rendre. Son histoire finit bien puisqu’il a retrouvé sa femme, ses enfants et petits-enfants. Sauf qu'il est mort quelques mois plus tard d’un cancer. Lors de l’enterrement, sa femme m’avoua que c’était l’inactivité qui avait déclenché sa maladie. Le manque de stress avait créé un relâchement destructeur des cellules. Je n’ai rien répondu. J’ai juste regardé mon nouveau chien de garde en me demandant comment j’allais pouvoir me débarrasser de cet emmerdeur. Dino me manquait. J’avais commis une erreur en osant ne pas me comporter comme une Anderson.
Cette disparition me toucha plus que je ne l’aurais cru. Je me suis remise à fumer autre chose que des cigarettes. J’ai recommencé à ressembler à un zombie. Le Paternel me soutenait toujours. Ma mère voulait que je reparte en Europe. Mes frères cherchaient à m’éliminer, et ma sœur déclarait à qui l’admirait que je devais avoir été adoptée. J’ai fini par ne plus adresser la parole à ceux de mon sang. J’ai fait ce que je savais le mieux faire. Je me suis pris la tête.
Mon déclin a repris. J’avalais toutes les drogues de la pharmacie sans restriction. J’avais même doublé les doses de mon traitement sous le regard intéressé de mon médecin de famille. J’ai poussé les limites jusqu’au jour du grand déclic. J’allume toujours la télé en sourdine. Je mets la musique à fond et je me connecte sur les forums des drogués anonymes et fiers de l’être. Ce jour-là, je levai mon cul du sol pour attraper mon dernier paquet de clopes quand le visage de mon frère aîné et de cet homme impossible à oublier, apparurent puis disparurent et réapparurent, etc. Je n’avais pas vu cette tête depuis des siècles. Aucun doute n’était possible, le gros plan ne loupait aucun détail. Je suis restée comme une conne plusieurs secondes avant de me jeter sur la télécommande pour faire hurler le son. Cette voix était bien la sienne. Je planais trop pour comprendre ce qu’il racontait. Le reportage continua sur le patriarche. Il fallait que je retrouve quelques neurones rapidement. Je me suis calée sur la chaîne info et mon gros cul est resté où il était. Je me suis allongée et assoupie.
À mon réveil, la télé était éteinte et je dormais paisiblement dans mon King size. Mon chien de garde avait sûrement pris une initiative. J’ai regardé le réveil : 22 h 30. J’avais soif. La femme de chambre était passée car tout était nickel. Dana passait souvent l’aspirateur sans que je l’entende. J’ai enfilé le peignoir qu’elle avait soigneusement plié au pied de mon lit. J’avais une haleine de chacal et la bouche pâteuse. Depuis ma cuisine, j’entendis un bruit de fête provenant de l’appartement des parents. J’ai ouvert ma porte d’entrée et me suis concentrée. Des voix, des rires, de la musique de salon et un garde du corps assoupi dans un couloir vide, ce fut trop tentant. Je décidai de m’inviter à la réception sans changer le moindre détail vestimentaire ou cacher la moindre odeur corporelle.
L’effet fut immédiat. Dès mon entrée, les curieux chuchotèrent, les décoincés s’esclaffèrent, et les membres de ma famille tentèrent de cacher toute gêne. Ted, mon aîné, m’attrapa par le bras et voulut m’emmenerde force. La menace d’une crise de hurlements l’en dissuada. Ma gentille sœur se contenta de quitter l’immense salle de bal. Le dernier frère chercha notre mère chérie tandis que mon père m’offrit un verre tout en me présentant au maire de New York.
Il y eut un silence, puis le maire rit à gorge déployée.
Après cette déclaration, j’ai aussitôt dévisagé mon père. Il garda son sourire de séducteur. Je lui lançai un « bien joué » admiratif avant de m’envoyer d’une traite le cocktail qu’il m’avait donné. La vodka m’arracha la gorge avec délice.
Je fus maudite par les ambitions de l’aîné sans aucun doute possible. J’avais été introduite par le Paternel auprès du maire avant lui.
De retour dans mon appartement, je rallumai la télé sur la chaîne info. Après une dernière clope, j’attrapai une boîte à pilules contenant une dizaine de somnifères, qui traînait dans ma table de nuit. J’en avalais deux. Je m’allongeai ressentant les premiers signes de fatigue puis m’endormis avec le visage en gros plan de celui que je ne pensais jamais revoir.
Le lendemain après-midi, dès mon réveil, je songeai d’abord à ma première clope puis me rappelai que j’avais rendez-vous avec le Paternel. Même si la veille mon esprit était à moitié connecté, il avait gardé en mémoire la remarque de monsieur le maire, comme quoi j’étais la première Anderson à lui être présentée.
Après un passage éclair dans la salle de bain et une première ligne de coke, je pris la direction du garage où un coupé noir flambant neuf m’attendait depuis mon retour. Une p’tite folie paternelle avec une condition : avoir un chauffeur à mes côtés. À mon grand regret, je pris la place du mort et mon nouveau Godzilla, celle que je convoitais. Celui de la veille avait reçu son chèque de fin de contrat après ma prestation.
Au bout d'une heure d’embouteillages, nous arrivâmes enfin devant les bureaux de la multinationale familiale. Une foule de journalistes attendait à l’entrée. Le moindre vautour fonçait sur tout ce qui sortait ou entrait.
Dino, mon Dino, aurait pris les devants. Il n’aurait même pas attendu que je pose la question et encore moins oséune telle réponse.
Était-il plus intelligent qu’il n’y paraissait ? Ou était-ce une couverture ? Le ton employé était, de toute évidence, catégorique. Je préférai utiliser les coulisses. Je ne voulais pas devenir une carcasse de plus pour ces charognards. Je ne connaissais pas le sujet qui les agitait. Mon entrée se joua en toute discrétion. Seule Betty, la vieille et fidèle maîtresse de mon père me reconnut.
Jamais je n’ai pu lui donner un âge, même approximatif. Apparemment, elle s’était fait : refaire les seins, tirer les pommettes, effacer les pattes d’oie, pulper les lèvres, jouer avec le Botox, liposucer la graisse, refaire les paupières, et couper les cheveux. Si le Paternel mourait d’une crise cardiaque pendant le coït, cela ne me surprendrait pas.
Un sourire pour oser approuver et un soulagement intérieur pour avoir un vagin et non un pénis. Je n’attendis pas qu’elle prévienne mon père pour entrer dans son QG. J’aurais dû. Une stagiaire, d’une vingtaine d’années, sortit de dessous son bureau pendant que le Paternel rangeait le matériel. Je me tournai vers Betty qui osa d’un air dégoûté me lancer :
La jeune femme n’osa pas poser le moindre regard dans ma direction, mais balança un « Tu me bipes » à une Betty pas le moins du monde, gênée. J’entrai comme une enfant prise en faute. Je fermai la porte derrière moi et attendis que Dieu s’exprime après avoir retrouvé une tenue de grand patron. Les minutes, bien que courtes, se sont transformées en heures. Malgré moi, je me retrouvai dans une situation que je ne souhaite à aucun gosse. Dieu garda son sourire à gros budget et s’avança comme si de rien n'était.
Autant éviter de s’enterrer un peu plus. Il me proposa de m’asseoir. J’eus une tout autre vision du bureau. Mes yeux d’enfant se transformèrent en regard de pervers : Betty, jambes écartées, ventre sur le bureau et mon Paternel… arrêt sur image. Besoin d’une ligne. Je fixais Dieu et rien d’autre. Assis au bord dudit bureau, il commença son discours de big boss avec tous les bouquets de fleurs et ronds de jambe possibles. Une magnifique introduction pour un dénouement, à la hauteur du suspens, s’offrit à mes oreilles. J’étais abasourdie, stupéfaite, désintoxiquée. Tant d’années de thérapie pour que seuls quelques mots réussissent là où tant de médecins ont échoué. Je le fis répéter :
Je les avais presque oubliés ces deux-là. L’aîné allait m’étrangler, me crucifier, me faire bouillir, bref, tuer mon corps et mon âme. Le second et son côté dandy prendraient le dessus et joueraient la carte de l’ignorance. Ma sœur, ma tendre garce de sœur, n’aurait peur que pour son argent de poche. Finalement, l’idée de prendre mes fonctions ne me déplut pas.
Pourquoi réfléchir plus longtemps ?
Dieu eut un sourire plus large que le fleuve Amazone. J’étais sur un nuage. Juste l’idée d’emmerder mon univers familial et plusieurs autres actionnaires me plut comme si je venais de m’envoyer une ligne. Malheureusement, j’étais inconsciente. Je ne me rendais pas compte que le panier de crabes, dans lequel je me jetais, était pire qu’un mauvais trip. Je ne le compris que bien plus tard.
Inconsciente du danger, je découvris mon espace de travail. Le bureau était une merveille. C’était du délire ! Je ne me suis pas sentie à ma place. Pourtant, il fallait que je m’adapte très vite. Ces nouvelles responsabilités me sautèrent en pleine figure quand je me suis retrouvée seule dans cette immense pièce. Je me suis alors demandéà quel jeu s’amusait mon père. Lui aussi aimait déplaire à la famille. D’abord la présentation à monsieur le maire, et maintenant une promotion plus que suspecte, il fallait que je découvre ce qui se tramait derrière mon dos.
Ne faire confiance
à personne
La nouvelle de mon entrée dans le conseil d’administration eut l’effet d’une bombe. La maison était déjà froide. Après cette annonce, un vent glacial s'installa pour une durée indéterminée. Mon aîné ne m’adressa pas la parole avant la première réunion. L’autre chercha la confrontation directe. Ma sœur eut une crise de shopping aiguë pour éviter de péter un plomb. Notre mère ? La scène est interdite aux âmes sensibles. De mon côté, pour évacuer le stress, je m’envoyai quelques antidépresseurs qui m’aidèrent à survoler les ennuis. Mais qui n'étaient pas assez forts pour me faire oublier les futures emmerdes.
Ne résistant plus à l’appel de la poudre, je me préparai tranquillement une ligne sur la table basse, quand mon second frère entra, une clope au bec, dans mon antre sans annoncer son entrée. Je le dévisageai quelques secondes puis lui proposai de partager Blanche. Il s’approcha et n’hésita pas une seule seconde. Il forma son rail et se l’envoya oubliant d’apprécier le rituel.
Je le découvrais. Il avait perdu cette innocence et cette timidité qui le caractérisait. Dorian avait gardé ses traits d’enfant, mais son regard était devenu mystérieux, presque envoûtant. Il était insaisissable, un androgyne tout droit sorti d’un manga gothique.
J’eus droit à un topo sur l’évolution de la famille sans même le demander. Les mots lui brûlaient les lèvres depuis trop longtemps. Impossible de les retenir. Notre grand et fabuleux aîné, Ted, avait réussi à prendre le contrôle de 20% du groupe après avoir racheté les parts de Roxane, notre chère sœur. Il avait aussi l’intention d’épouser Helena Gavin, fille du richissime George Gavin, talentueux homme d’affaires. Un seul bémol dans l’idyllique tableau, le meilleur ami de notre frère, Andrew.
Je n’insistai pas. Inutile de s’en faire un ennemi alors qu’il essayait de restaurer le dialogue. Je lui proposai une clope qu’il refusa.
Il jouait le dandy. Je dois admettre que cela m’amusait. Il était en décalage avec le reste de la famille qui ne s’en souciait apparemment pas. La fumée le dérangea. Il ne dit rien, mais alla se servir un brandy. Je crus voir Dorian Gray, le personnage d’Oscar Wilde, la beauté de la jeunesse aristocratique britannique, l’éternité en moins et la nationalité américaine à la place. S’il n’avait pas été mon frère, je me serais laissétenter. Il revint s’asseoir sur le canapé après que j’eus écrasé ma cigarette. Il observa le contenu de son verre et continua son exposé. Ce fut au tour de Roxane d’en prendre pour son grade. Notre douce et tendre Roxy, née trois ans avant moi, a toujours été une peste professionnelle. Son personnage était beaucoup plus abouti. Son caractère encoreplus venimeux qu’avant mon départ pour l’Europe. Dorian allait bien me sortir une info croustillante.
Il jubilait. Son venin perlait sur ses crocs fins et pointus. J’attendis en songeant à une douloureuse rupture amoureuse. La raison était banale. Le prétendant était peut-être un cru exceptionnel.
Qui restait-il encore à sacrifier ? Mère ? Père ? Pourquoi pas ! J’étais sur un terrain miné que je devais absolument contrôler. Les cartes, que me donnait Dorian, me permettaient de jouer un peu plus dans cette cour qui continuait de me rejeter. La raison de ce déballage m’intrigua un tantinet. Mon tendre frère devait avoir un but inavouable. Je le savais manipulateur à ses heures perdues. Malheureusement, je ne savais pas jusqu’où il était capable d’aller.
Voilà donc le but de toute cette mascarade. Dorian cherchait des infos compromettantes sur le Paternel. Il s’imaginait pouvoir me séduire en descendant tous ceux qui me détestent au sein de cette sublime famille pour atteindre les Cieux. Il se trompait. Dieu est intouchable à mes yeux et même ses dérives sexuelles sont des rituels sacrés. Après tout, si sa femme n’avait pas été seulement une pondeuse, mais aussi une baiseuse, jamais sa queue n’aurait goûté à d’autres vagins.
Échec ! Dorian voulait jouer et il venait de perdre. Tous ces détours et ce temps perdu pour terminer comme un moustique sur un pare-brise sans possibilité de réplique. Son issue de secours ne prévoyait que du silence et de la rancœur. Il replongea dans son brandy sans avouer sa défaite. Il le fallait pourtant. Malgré tout, il insista. Il leva son verre et but une nouvelle gorgée. La bête n’était pas achevée.
Quel duel ! Il avait vraiment pris de l’assurance notre petit dernier. Je ne baissai pas les yeux et attendis, patiemment, qu’il se décide à partir. J’avais encore une carte à jouer. Je la posai sur le tapis.
Il était au pied du mur. Son masque tombait doucement. Dorian n’était plus aussi sûr de lui. Il devait à présent se confier. Ce n’était pas dans ses intentions. Il avait engagé une partie, ignorant que l’adversaire était toujours aussi incisif.
Mouché ! Il me dévisagea sans doute pour chercher une faille qu’il ne trouva pas. La réponse de Dorian tarda à venir. Je profitai de cet instant de soumission pour m’envoyer mon whisky d’une traite. Mon frère eut enfin une réaction. Il observa sa chevalière qu’il ne cessait de tourner autour de son index.
Je le laissai gagner cette fois-ci. Insister aurait été une blessure dans son orgueil que je ne pouvais me permettre.
Pour se rendre à cette soirée, Dorian choisit de se faire accompagner par un chauffeur, une question de sécurité, d’après lui. Trop de Blanche nuit à une conduite impeccable. En réalité, Dorian n’avait plus accès à son permis de conduire. Plusieurs excèsde vitesse et un taux d’alcool anormalement élevé auraient dû l’envoyer derrière les barreaux. Le cabinet d’avocats avait géré le truc d’une main de maître. Godzilla fit l’affaire.
Devant une boîte de nuit, une vingtaine de personnes attendaient le signe salutaire du videur aussi balaise qu’un sumo. En sortant de la voiture, Dorian eut tout de suite droit aux courbettes du géant qui lui adressa un sourire gêné tout en lui ouvrant la porte. À sa vue, les gens s'écartaient pour laisser passer sa Majesté. Je préférai ne pas le suivre. Je m’approchai du bar situé au fond de la salle et observai le manège. Je perdis Dorian de vue et assistai au ballet de la drogue qui circulait. Aucune discrétion. Le barman distribuait l’ecsta comme des cocktails sans alcool. S’apercevant de ma curiosité malsaine, il s’avança soupçonneux pour prendre ma commande et me glisser un :
Amusée, je rentrai dans le jeu. Une histoire s’offrait gracieusement à mes oreilles, autant en profiter.
Mon rafraîchissement s’accompagna d’une enveloppe kraft que j’ouvris en oubliant la discrétion. Le barman s’offusqua.
Je rangeai l’enveloppe et lui demandai un sachet de blanche de qualité, à mettre sur la note. Toujours aussi bavard, il m’apprit que j’étais fêlée puisque :
Bienheureux, pensai-je, toi qui es le propriétaire des lieux.
J’avais osé cette remarque intérieure sans connaître un détail qui allait, plus tard, me foutre dans la merde. Je décidai de continuer mon inspection en faisant un tour du côté des toilettes. Je ne sais pas pourquoi, mais la clientèle de ce genre d’établissement redevient humaine dans ce lieu de partage. L’endroit était bondé et heureusement assez clean. Une feuille récapitulait les heures et les personnes qui avaient rendu cet espace décent. En contrôlant ce tableau, on en déduisait qu’en moyenne, il était nettoyé toutes les demi-heures. Comme il est agréable de faire sa ligne dans de telles conditions !
En tentant une approche vers le fond, près du distributeur de capotes, trois nanas relevèrent la tête en même temps, tout en se pinçant le nez. Une autre préparait sa seringue d’héro tout aussi naturellement. L’endroit me parut soudainement glauque. Encore plus quand, arrivée au distributeur, je trouvai une petite complètement destroy, le nez en sang. Heureusement, elle était toujours vivante, mais pas pour longtemps. Je bousculai tout le monde, fonçai vers mon nouveau pote barman, et lui crachai la catastrophe. Il se tourna vers son collègue et lui demanda de faire le ménage. Aussitôt, il planqua tous les produits à sa portée.
Je suivis le serveur. Il fit sortir tout le monde en hurlant à pleins poumons que c’était le quart d’heure alcool et défonce gratuite. Quelques-unes sortirent, mais pas assez pour aider la petite. J’attrapai alors les dernières emmerdeuses par le bras et les jetai dehors.
J’eus juste le temps de mettre ma cigarette au bec pour l’aider à la sortir du coin où elle était tombée. Sans aucune explication, il me laissa avec elle. Je la reposai par terre et décidai d’appeler moi-même les urgences. Juste après, je vidai mes poches pour donner l’illusion d’un ange et balançai mes doses dans les chiottes. Le barman revint accompagné de Dorian qui osa une phrase que j'ai encore du mal à oublier.
Dorian paniqua, passa plusieurs fois sa main sur son visage avant de demander au barman de vraiment faire le ménage et le plus vite possible. Dans son costard hors de prix et mal taillé au niveau des hanches, il suait. Il se calma puis chercha à me donner une leçon.
Il se mit à rire. Je me suis sentie ridicule. Il était vraiment difficile à comprendre. Je pensais que le club lui appartenait, que cette situation était mauvaise pour ses affaires, mais aussi à une possible prise de conscience de sa part. Néanmoins, un détail m’échappait. Dorian n’était pas franc. Il cachait un élément qu’il me balança en pleine figure dès l’entrée des ambulanciers.
Le vieil ami de famille
J’étais furax. Par quelle entourloupe, étais-je devenue proprio d’un night-club rempli de trafiquants de drogue ? Pendant que les ambulanciers s’occupaient de la petite, j’ordonnai à Dorian de m’accompagner dans un endroit plus discret. Il me montra la direction du bureau du big boss. Une pièce immense qui aurait pu devenir une autre salle. Aussi perdue que lors d’un mauvais trip, je fermai la porte derrière nous.
Dorian ne répondit pas tout de suite. Il s’installa dans ce qui était logiquement mon fauteuil. Son petit rictus en coin me faisait bouillir. J’imaginai le nombre de fois où il avait joué cette scène dans sa petite tête de dingue sans en saisir les conséquences.
Je l’avais oubliée cette barge. D’après tous les membres de la famille, nous étions des copies conformes. Mêmes addictions aux drogues, même caractère de chien, même envie de faire chier son monde. Heureusement, quelques différences subsistaient. Elle était lesbienne, avait un penchant tous les dix du mois pour les hommes, n’avait aucun respect pour John Lennon, et pissait à la raie des Français. Personne ne supportait cette vieille qui fut mon mentor. À cause d’elle, je sniffai ma première ligne. Elle m’avait surprise fumant de l’herbe en douce. Elle s’était offusquée de me voir perdre mon temps avec de la fumée plutôt que de goûter aux vrais plaisirs artificiels. Tante Augusta était morte pendant l’un de mes séjours en cellule d’isolement. Personne ne m’avait prévenue que j’étais sa seule héritière. Cette situation plaisait à Dorian qui prit le temps de m’expliquer la complexité du processus.
Jamais, j'aurais pensé cela de cette cinglée. Ted avait toujours été son préféré. Je le fis remarquer à Dorian qui me laissa rendre hommage à cette vieille bique à ma manière. La dernière fois que je l’avais vue, elle sortait de clinique après une liposuccion. Son premier geste avait été de remettre un chèque à Ted, une carte Gold à Roxane, un billet pour le Japon à Dorian, et un kilo de Blanche à bibi. Elle était comme ça la tante Augusta, toujours surprenante, avec la touche « lesbienne en avance sur son temps » en plus.
Il n’eut pas le temps de me répondre. Le téléphone du club sonna. Dorian m’expliqua qu’il s’agissait d’un appel interne. Je décrochai. Mon barman était à l’autre bout du fil m’expliquant que la police était déjà là. Mon frère ne m’attendit pas pour descendre. Je le suivis quelques secondes après avoir raccroché. En bas des escaliers, il resta à l’écart fixant son regard sur quelqu’un.
Maintenant, il me jouait la carte de la superstition tout en gardant sa nonchalance. Son comportement m’exaspéra. J’en avais assez. Il me tardait vraiment que cette nuit s’achève le plus rapidement possible. En observant Dorian partir, j’ai espéré que les surprises s’achèvent, que ce fameux chat noir n’était qu’un problème dont j’allais faire la connaissance et non une vieille relation déterrant les cadavres de famille.
Cette voix ! Mon Dieu, vous qui ne vous manifestez jamais, pourquoi tant de haine ? Je pensais l’avoir effacé de ma mémoire, rangé dans les oubliettes. Malheureusement, il fallait s’yrésoudre, cet inspecteur de malheur finirait un jour par atteindre son objectif : détruire notre clan par tous les moyens.
NB : ne pas oublier de demander des détails à l’androgyne sur cette allusion mystérieuse. Dorian se décida enfin à partir. Je me voyais mal lui demander de dégager devant Nocera. Il fallait afficher une famille unie et ne laisser à personne l’opportunité de se faufiler dans une éventuelle faille.
Retourner dans mon bocal, continuer à me noyer dans mon chagrin, être le nombril du monde, et puis surtout, découvrir vraiment l’Europe. Je baissai les bras. Face à mon ignorance, je jouai le jeu avec lui. Je ne lui offris pas une faiblesse, mais une trêve nécessaire face au dossier qui m’attendait.
Trois types, assez balèzes, firent leur entrée, le badge de la police bien en vue autour du cou. Deux d’entre eux restèrent avec leurs collègues en uniforme près du bar, pendant que le troisième venait vers nous. Il était plutôt nerveux et assez beau gosse. Nocera ne détourna pas le regard de ce colosse et me balança un conseil que j’ai bien gardé en tête.
Il ne plaisantait pas cet Irlandais. Il donnait l’impression d’un volcan sur le point d’exploser. Son regard n’était pas franc et un peu trop fuyant à mon goût. Il me zappa complètement. J’ai même cru qu’il me prenait pour le second de Nocera. Après qu’il eut fait l’inventaire visuel des personnes présentes dans la boîte, il jugea utile de m’adresser la parole.
Nocera s’autorisa un rictus qu’il essaya de cacher. Je sentis la moutarde me monter au nez. Je n’aimais pas le regard dédaigneux qu’il posait sur moi. On aurait dit qu’il me prenait pour la dernière des connes. Je ne pouvais le supporter.
Nocera ne se retint plus et se moqua de lui. Jon n’apprécia pas. Il se referma comme une huître. Ce trentenaire, bien bâti, murmura une insulte sans s’adresser directement à son vieux collègue et chercha à reprendre de la contenance.
J’avais besoin de respirer, mais aussi de m’entretenir avec mon barman trop bavard. Je fis signe à Godzilla de me suivre. Il fallait que j’intimide l’homme pour lui faire comprendre que les règles allaient changer. Dorian n’était plus le maître des lieux. Je devais frapper fort pour montrer que je n’étais pas une simple junky voulant jouer les big boss. Je me doutais qu’une fausse image de ma personne circulait. L’objectif était de montrer que j’étais bien une Anderson et non une erreur génétique. Je chargeai Godzi de le trouver et de me l’emmener dans le bureau. Après réflexion, je décidai de convoquer tous les employés du club un peu plus tard. Si ce barman avait agi de façon si ouverte, c’était que l’ensemble du fruit était pourri.
Mentir ? Or not ?
Je n’ai pas dormi de la nuit. Même la morphine n’a eu pour effet que de me mettre dans les vapes. La tante Augusta débarquait dans chacun de mes songes dès que je fermais, même trente secondes, les yeux. Sur une feuille, je notai tout ce qui passait dans ma cervelle de moineau, de peur d’oublier le plus important. J’établis une liste des priorités :
Retrouver le notaire de la vieille folle en numéro un.
Mettre Godzilla en condition pour qu’il devienne plus que mon garde du corps en numéro deux.
Numéro 3, augmenter Godzilla.
Après les priorités, je choisis de mettre avant les emmerdes :
Numéro un, les membres de ma famille.
Numéro deux, le Ténor que je soupçonne être Jon l’Irlandais.
Numéro trois, tante Augusta et son héritage surprise.
Numéro quatre, mon addiction aux drogues.
Dans la matinée, Godzilla me trouva stone à cause du manque de sommeil. D’habitude, il restait droit comme un « i » dans l’entrée de l’appart, mais ce jour-là, il sortit sa veste, la posa méticuleusement sur le dossier d’une chaise et alla dans ma cuisine. J’étais trop explosée pour chercher à comprendre ce changement de comportement. Je n’avais qu’une seule envie, que mon cerveau se mette sur pause pendant deux ou trois heures. Godzilla revint avec une tasse de lait d’où une bonne odeur de miel s’échappait.
Il n’avait pas menti. La potion était miraculeuse et il était de nouveau planté comme un « i » à l’entrée. J’avais bien dormi quatre heures et me sentais détendue, prête à affronter ce monde, mais pas sans une ligne de Blanche dans les narines. Par respect pour Godzilla, je sniffai dans la salle de bain juste après ma douche et juste avant mon café, chose que je ne faisais jamais.
Dans l’après-midi, je me rendis dans mon night-club. J’avais demandé à Godzilla d’appeler tous les employés, de la femme de ménage au DJ. Ils étaient tous là à l’heure prévue. La petite réunion pouvait commencer. J’employais deux femmes de ménage, neuf serveuses, sept barmen, trois DJ, et un comptable. Je trouvais bizarre que tout ce petit monde soit de près ou de loin impliqué dans le trafic de drogue sans avoir, à un moment ou un autre, eu envie de craquer. J’ordonnai à Godzi d’empêcher toute fuite. Je voulais les rencontrer les uns après les autres dans mon bureau. Ces entretiens étaient ridicules, tout en étant indispensables. Je choisis de commencer par mon pote barman. Debout devant ce bureau, il n’était pas fier de lui. Je savourai chaque instant du silence que j’imposais. Il trouva enfin une pincée de courage mélangée àune grosse poignée de couardise.
Il avait la trouille, pas besoin d’être devin pour s’en rendre compte.
Il m’expliqua tout le fonctionnement. Comment Dorian leur filait l’oseille pour qu’ils se taisent tous. Où se trouvait la réserve de drogue. Quand le club était livré. Quelle part gardait mon frère. Quand les billets étaient remis aux sbires du Ténor, et le plus qui lui était versé. Par contre, rien sur l’identité du chanteur. Je l’ai légalement augmenté comme tous les autres employés qui ont suivi. Le prix de leur fidélité et de leur silence. Aucun n’a fait le caïd. Au contraire, l’un d’eux a parlé en bon syndicaliste. Tous savaient qu’ils avaient la chance d’avoir ce job, et qu’ils accepteraient tout changement. Jusqu’à quand ?
Je fus plutôt surprise par la facilité de ces entretiens. Alessandro, aidé par trois autres employés, fit l’inventaire du restant de drogue pendant qu’Anita, la plus ancienne des femmes de ménage, pleurait en me racontant que son mari était au chômage, et que le coup de pouce de la drogue n’était pas négligeable puisqu’il payait les médicaments de son cadet handicapé mental. Elle était aussi gênée parce que son aîné avait mis enceinte son épouse avant d’être arrêté et inculpé pour tentative de meurtre sur la personne de son propriétaire. Sa belle-fille vivait avec eux depuis et était aussi au chômage. Son dernier lui causait énormément de soucis. Il avait été récemment renvoyé du lycée pour s’être battu avec un autre élève. Tout cela pour en arriver à un simple :
Je décidai de fermer le club pour cette nuit. Quand tout le monde fut parti, Godzilla me conseilla de me méfier d’Alessandro, des autres barmen, et de quelques serveuses. D’après lui, ils étaient fidèles à Dorian. Mon frère était le seul à pouvoir répondre à certaines questions.
Avant de rentrer, je fis un détour par l’hôpital pour prendre des nouvelles. La gamine avait survécu mais n’était pas encore revenue à elle. Je me rendis à son chevet. Ses parents étaient à ses côtés complètement effondrés. Le père me dévisagea avant de me demander qui j’étais.
Sa femme mit sa main sur son bras pour le calmer et lui demanda d’écouter ce que je voulais leur dire. Avant de commencer le discours que j’avais pitoyablement mis en place dans la voiture, je regardai la petite et me vis à sa place des années auparavant.
Un pieux mensonge puisqu’ils avaient tous ordre de jouer les idiots.
Un mensonge de plus qui se prépare.
J’ai hésité un quart de seconde puis j’ai balancé un mensonge beaucoup moins pieux que les précédents.
J’avais réussi à éviter un procès et une mauvaise pub. Je n’étais pas très fière de ce que j’avais balancé. Je me suis aussitôt avalé un ecsta pour digérer tout ça. J’essayais de me convaincre que pour elle, ce serait différent. J’étais l’exception qui confirme la règle. Oui, j’étais l’exception. Si ces établissements existent, c’est qu’ils doivent obtenir des résultats.
Les 10 commandements
Je ne revis Dorian que deux jours plus tard. Entre-temps, j’avais eu la visite des Stups et une tentative de séduction qui tourna en foutage de gueule. Les deux gus qui s’étaient présentés eurent droit à une simple phrase qui les mit en pétard.
Dorian faisait tout pour m’éviter, alors je décidai d’explorer son antre en attendant son retour. Dieu avait eu la bonne idée de laisser traîner son pass partout : sur mon bureau et dans les locaux du siège social où je m’étais réfugiée quelques heures. Le Paternel avait trouvé un peu de temps à me consacrer. Il avait senti ma détresse et mon besoin de faire le point sur une situation complètement dingue.
Avec Dieu, il faut toujours s’attendre à une contrepartie. S’il avait pris les devants, c’était que forcément il allait me demander quelque chose.
Le voilà, le but de tant de gentillesse, faire de sa fille droguée, son unique héritière. La nouvelle de mon entrée dans le conseil des apôtres était déjà mal vue, si en plus il faisait de moi son Jésus… La liste des Judas n’était pas à établir, car facile à deviner. Dieu et moi n’avions pas besoin de nous parler pour nous comprendre, nos gènesétaient les mêmes. Seul le Y nous différenciait.
Je m'abstins de l’envoyer se faire foutre. D’abord, Dieu était mon père, et puis surtout, on ne contredit jamais Dieu. Je soupirai profondément. J’en prenais plein la gueule depuis quelques jours, j’en regrettais presque la clinique. Au moins, là-bas, ils avaient renoncé à me ramener à la réalité. Je subissais un redoutable électrochoc. Malgré mon désespoir, Dieu ne cessa pas sa leçon et me dicta les dix commandements à suivre à la lettre :
1. Tu arrêteras les drogues et ne t’autoriseras qu’un peu de Blanche et de fumette.
2. Tu devras devenir irréprochable ou, du moins, le paraître aux yeux de tous et surtout des médias.
3. Tu devras renouer avec tous les membres de la famille y compris ton aîné. Avoir une famille unie est important pour la bonne santé de l’entreprise.
Je me permis de lui signaler que sous son règne ce point n’était qu’une illusion. Mon retour n’allait pas tarder à évaporer l’épais brouillard. Il m’ordonna de me taire et de ne plus l’interrompre.
4. Tu incarneras l’autorité. Tu ne devras donc laisser personne tenter de te rabaisser ou douter de tes capacités.
5. De tout, tu devras te mêler et à chaque fois imposer ton point de vue.
6. Tu devras protéger tes arrières et ne faire confiance à personne et surtout pas aux membres de la famille.
7. Être sans pitié en affaire.
8. Être toujours dans les petits papiers des politiciens sans jamais les corrompre.
9. Faire honneur à ton père.
10. Ne jamais coucher avec l’une de mes nombreuses maîtresses.
Il était impossible et inimaginable que j’ose lui dire d’aller au diable avec sa proposition. Bien sûr, le trône ne serait pas vacant avant plusieurs années, mais il nous fallait, avant tout, imposer l’idée de la personne pour un fauteuil si convoité. Je n’ai pas pu ajouter un seul point négatif à son choix. Il était à présent stupide de vouloir faire changer d’avis Dieu. Sa parole était d’or, et mon devoir était de prouver que j’étais digne de cette confiance. Malheureusement, cette nuit-là, j’oubliais le premier commandement et me piquai à la morphine pour pouvoir reposer mes neurones, faute de lait chaud au miel.
Who is Caïn ?
Le soir même de cet entretien, je m’introduisis dans l’appartement de Dorian. Tout était nickel, pas un brin de poussière. Les meubles étaient modernes, très raffinés, et aucune faute de goût puisque tout était noir et blanc. Contrairement à mon style qui n’en est pas un, l’ensemble était harmonieux. Le bar était plein de toutes sortes d’alcools, de l’eau-de-vie en passant par du bourbon pour finir par certainsque je ne connaissais pas. Je choisis de m’enfiler la seule bière qui traînait dans le minuscule frigo. J’entrai ensuite dans son bureau, puis dans l’une des trois chambres. Le constat était le même. L’appartement n’avait pas d’âme. Sa chambre était d’une telle tristesse... Je ressentis de la compassion.
À travers la baie vitrée de cette mise en scène de catalogue, j’observai New York qui scintillait dans toute sa splendeur devant moi. Elle était toujours aussi impénétrable. Cette vieille garce cachait ce qui la rendait faible et cherchait à prouver au reste du monde que rien ne l’empêche de respirer comme elle l’entend. Cela va faire bientôt trente ans que nous cherchons à nous comprendre toutes les deux. Visiblement, nous sommes aussi insaisissables l’une que l’autre. Je laissai cette ville à ses malheurs et m’occupai des miens. Je devais trouver la faille qui montrerait à Dorian qu’on ne joue pas avec moi sans conséquence.
Je m’assis sur le rebord de son lit et imaginai quel pouvait bien être son premier geste en se couchant. Pas un livre, pas un magazine dans la niche de la table de nuit, alors peut-être dans le tiroir. J’aurais préféré découvrir un roman du marquis de Sade plutôt que cette paire de menottes et ces pince-nichons, que ce cher noble aurait pris plaisir à utiliser. La compassion que j’avais ressentie plus tôt me parut déplacée. Tout ce décor pour qu’on s’apitoie sur son sort alors qu’en fait monsieur est un partisan du sadisme. En venir à déduire un tel extrême peut paraître ridicule, juste pour deux accessoires, mais en fouillant un peu plus ce tiroir, je trouvai la carte d’un donjon situé en plein cœur de Manhattan.
Je gardai les menottes avec moi ainsi que la carte. Je continuai mon exploration avec beaucoup moins de délicatesse. Je fouillai sa salle de bain, puis la troisième chambre qui refusa de s’ouvrir, même avec le passe-partout.
J’imaginai la pièce beaucoup moins conventionnelle que le reste de l’appart. Après plusieurs minutes de tentatives infructueuses, je revins au salon puis allais dans la cuisine où je trouvai sa cachette de Blanche aussi facilement que le psy avait trouvé la mienne, le jour de mon arrivée à la clinique.
Sur la table, j’étalai le contenu qu’il me fallait. Avec mon kit spécial junky, je fabriquai mes rails avec la carte argent, puis je sortis le tube transparent rangé soigneusement à l’intérieur, et m’envoyai la première ligne délicatement. Enfin une amie en qui on peut avoir confiance. Une bonne demi-heure plus tard, je m’allumai une clope et commençai à perdre patience quand Dorian tourna sa clé dans la serrure de la porte d’entrée.
J’étais confortablement installée dans son canapé situé en face de cette fichue porte. Une jeune femme brune apparut en premier. Vêtue comme la parfaite écolière japonaise en plus gothique, elle était tournée vers Dorian qui l’embrassait langoureusement, puis vinrent de tendres petits baisers. Le portrait aurait été beau s’il ne l’avait pas violemment attrapée par les cheveux. Elle le laissa faire sans gémir. À sa place, je l’aurais giflé.
Dorian ferma la porte d’un coup de pied puis immobilisa sa partenaire contre le mur. Il l’écrasait de tout son poids, tout en lui tirant la tête en arrière pour pouvoir l’embrasser. D'un coup, il recula d’un pas et passa ses mains sous sa jupe. Aussitôt, elle écarta les jambes et plaça ses mimines à plat sur le mur. Ils ne s’étaient même pas rendu compte de ma présence tellement ils étaient pris dans leur jeu. Dorian serra fermement un des seins de sa partenaire qui grimaça enfin de douleur. Mal à l’aise, mais attirée par la scène, j’étais tiraillée entre les laisser continuer, me découvrir, ou faire ce que j’ai choisi : déstabiliser mon frère.
Dorian ne fut pas le moins du monde gêné. Par contre sa partenaire hésita entre obéissance et fuite. Je jouai avec la paire de menottes, donnant l’illusion que leur petit jeu ne m’avait pas affectée, alors qu’en fait mon ticket de métro prenait l’eau. J’étais même amusée par l’innocence de la demoiselle et le détachement de mon frère. Ce dernier prit sa partenaire par les épaules et la tourna vers lui pour saisir son visage entre ses mains et lui ordonner, d’un air rempli d’amour :
Elle sortit en ayant juste un bref regard dans ma direction. J’eus à peine le temps d’apercevoir qu’elle portait un genre de laisse que Dorian laissa couler entre ses doigts. Quand nous fûmes seuls, il alla directement au bar en gardant ses airs de dandy, et se servit son traditionnel brandy.