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Ce n’est pas une histoire, mais une multitude d’histoires… Près de deux cents récits rassemblés dans ce recueil, où se mêlent pensées profondes et récits de voyage. Des instants marqués par la perte de proches, mais aussi par la présence calme de deux aventuriers des mers : Georges et Denis. C’est un hommage à la beauté de notre monde, une série de cartes postales sans réel destinataire… ou presque… Ah si, au moins un : Georges.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Philippe Bouteiller est passionné d’agriculture et de nature. Il crée, gère et développe la première société française de conseil en agriculture et en environnement dans le Poitou. Retiré depuis peu des affaires, il occupe son temps libre entre le jardinage, l’écriture et la peinture. Après "Le froc et la brique", "Ah, mon Georges !" est son quatrième roman.
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Seitenzahl: 223
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Philippe Bouteiller
Ah, mon Georges !
© Lys Bleu Éditions – Philippe Bouteiller
ISBN : 979-10-422-6735-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Du même auteur
Les Blondel, 2021, aux éditions Le Lys Bleu ;
L’esquinte, 2023, aux éditions Le Lys Bleu ;
Le froc et la brique, 2024, aux éditions Le Lys Bleu.
Voyager rend modeste. On voit mieux la place minuscule que l’on occupe dans le monde.
Gustave Flaubert
Un voyage se mesure mieux en amis plutôt qu’en miles.
TimCahill
À Georges Charlier et Denis Neveu.
Maman
C’est au tout premier jour du mois de septembre
Que tu as décidé, épuisée, de partir
Pour ne plus écouter la douleur de tes membres
En tenant tendrement la main de ta fille
Afin d’alléger l’épreuve, se laisser mourir.
Tu te savais perdue, suspendue à un fil
Alors tu as tenu à grouper tes enfants
Prétextant pour seule fois une grande fête pour tes ans.
Malgré l’extrême fatigue, on lisait ton bonheur
D’avoir réussi cet ultime événement
Ce visage creusé était presque rieur.
Pour démontrer à tous que tu tenais ton rang.
C’était ta décision et dernière volonté
Qui magnifie à jamais l’œuvre de ta vie
Si jamais Dieu existe, tu es à ses côtés
Pour soulager les maux, de ceux qui cherchent appui.
Dernier voyage
Septembre 2017
Mère, tu quittes à jamais
À contrecœur ton Mesnil.
Il n’y a pas la mer
Ce n’est pas Varengeville
Mais un lieu bien aimé
Où tu gisais sans vie,
Les tiens à tes côtés.
Dans ce lit peint en gris,
recouverte d’un drap blanc,
tu reposais mamie
Au milieu des asters.
Ton teint un peu livide,
Tes paupières fermées
Sont les seuls indices
Que le drame s’est joué.
Ce jeudi de septembre
Il te faudra nous suivre,
Accepter qu’on te porte
Pour t’emmener au cœur
De cette charmante église
Au fond de la vallée.
T’y attend une cohorte
De tous les gens d’ailleurs
Car il est bien de mise
Mère, d’être accompagnée.
Et puis viendra le temps
De poser doucement
Ton cercueil de bois blond
Dans cette froide maison.
Elle touche le haut mur
De notre cour d’école
Où nous jouions
Et rêvions d’aventures.
Même dans nos pensées folles
Comment imaginer
Encore en petit blond
Que tu serais un jour
Juste de l’autre côté
Endormie pour toujours.
Le lieu est froid, austère ;
Une ambiance de cimetière.
Perds du temps, papa
Septembre 2017
Perds du temps, papa, tu as le temps d’en perdre !
Fouille dans tes souvenirs, du plus lointain passé,
Regarde le jardin, apprécie encore le cèdre,
Et ce rosier sauvage qu’elle aimait admirer
Sous les trois peupliers en quinconce plantés
Qui côtoient l’épine rouge tout près de l’auge en grès.
S’ouvre ici un chemin si souvent emprunté
Étouffé d’hortensias et de rhododendrons
Inondé de lumière vers les iris anglais
D’un profond bleu cobalt, parangon de beauté.
Regarde autour de toi, les souvenirs viendront.
Assieds-toi là papa et mets-toi bien à l’aise,
Profite de cet instant, bien assis sur ta chaise
Avec autour de toi ta petite ménagerie
Qui te suit pas à pas, très souvent sans un bruit
Sur laquelle toujours tu veilles d’un regard si doux
Bien à la hauteur de la confiance qu’elle te voue.
Dans le champ chromatique de ce théâtre floral
Où récemment encore vous cueilliez des bouquets,
Elle déambule encore, maman, elle se régale
De nous voir tous les deux avec elle en pensée
Toi, papa si pensif, et moi si affairé.
L’attente devant la tombe
Septembre 2018
Je sens bien que tu pars
que rien ne te retient
Ni l’iris d’un bleu rare
Ni tes chats ni tes chiens
Ni l’épine rouge en fleurs
Qui remplissaient sa vie.
Doucement tu te meurs
Ce corps faible et raidi
Abattu par trop d’ans
Se déplace sans bruit
Vers le tombeau de marbre.
C’est sur ce dépliant
Dans cette allée sans arbre
Devant le marbre gris
tel un orant, que tu pries.
Maman habite ici
Et ses nouveaux voisins
T’inspirent morceaux de vie.
C’étaient tous vos amis.
Promenade sur la côte
Décembre 2019
Viens mon petit papa, je t’emmène cette fois
Revoir le bel Honfleur, dont les hautes façades
Striées de colombages rouges, sombres ou bleu roi
Enserrent le petit port aux eaux placides et fades
Où stagnent disciplinés, quelques bateaux en rade.
Vois aussi l’estuaire, de la sinueuse Seine
Qui pousse ses lourdes eaux brunes jusqu’à la mer
S’enfonce dans ses vagues, filant comme une reine
Écartelant Le Havre, du bas Trouville-sur-Mer.
Et puis un peu plus loin, la campagne vallonnée
Descend abruptement, jusqu’aux eaux grisonnantes
Pour mêler ses verts crus, à l’écume blanche salée
Y perdant graduellement, une partie de ses pentes.
Poussons jusqu’à Trouville, voici les roches noires
Qui surplombent la plage lacérée de filandres
De maints rus brillants, rejoignant les eaux tendres
D’une mer à marée basse, opalescente, et moire.
Je te vois embrasser ces paysages aimés
Je te vois encore rire, je t’entends plaisanter
Je ne me résous pas à te savoir gisant
Et pour l’éternité, à scruter le néant.
La vieillesse
Décembre 2019
Le temps fuit comme une eau sauvage
Dévalant les flancs des montagnes
Usant peu à peu l’homme par l’âge
Lui infligeant, en fin, un bagne.
Oh, mon père, te voilà si vieux
Qui te déplace par tant de peine
Toi qui si souvent pries les cieux
Pour maintenant quitter la scène.
Tes membres frêles et décharnés
Tes petits pas mal assurés
Attestent du temps, de ses méfaits
De tes cent ans presque sonnés.
Si la vieillesse est un naufrage
Comme il te plaît tant de le dire,
Tu es pour l’instant sur la barge
Il te faut vivre, il faut tenir.
De petits drames en petits drames
Il faut animer le Mesnil
À tes enfants laissent les rames
Avant de trouver ton exil.
C’est le grand jour papa
Vers le sombre tombeau
Tous tes amis sont là
Regrettant leur héros.
Ce grand héros rieur
Ce grand héros blagueur
Ce grand héros aimant
Ce grand héros ardent
Ce grand héros fidèle
Ce grand héros si frêle
Ce grand héros d’un jour
Ce grand héros toujours.
Mon père
Décembre 2019
C’est aujourd’hui pour toi, que sonne le tocsin
J’écoute le son clair de la cloche d’airain
Propager la nouvelle de ton récent trépas
Toi le grand homme droit, toi mon père, mon papa.
Lorsque j’étais petit, je t’ai suivi partout
Dans les champs pleins de blé, dans les prés pleins de boue
J’ai mis mes petits pas dans les tiens de géant
Je te voyais si fort, je te voyais si grand
Je t’ai tant admiré avec mes yeux d’enfant.
J’aimais être avec toi, découvrir le labeur
De ce métier difficile, d’être agriculteur.
Tu as pris le virus à la ferme des Voisins
En compagnie d’Édith, tu ramasses les foins
Tu n’avais pas dix ans et elle à peine vingt
Elle t’appelait « Ti Jacques », tu étais son petiot
Pour aller traire les vaches et soigner les lapins.
Ta mère au désespoir t’enverra à Yvetot
Chez ton oncle Maurice, pour connaître la terre
Et puis deux ans en stage, à la ferme Sagaert,
Près du manoir d’Angot, à Varengeville sur mer.
Tu y rencontres Odette, une belle domestique
Que tu épouseras, au grand dam de ta mère
Au final d’une cour, une aventure épique.
Tu auras sept enfants sur cette ferme minuscule
Qui te rapportera des revenus ridicules
Te faisant vivre souvent, de grands moments d’angoisse
Pour éviter le pire et sortir de la poisse.
En écrivant ces lignes qui ne sont que pour toi
Toi qui aimais le simple, toi qui préférais l’ombre
Que ta lumière brille au moins pour une fois
Avant que tu rejoignes le profond caveau sombre.
Dans le noir tombeau, tu y rejoins maman
Vous voilà réunis, jusqu’à la fin des temps.
Tu emportes ton rire, et le reste d’insouciance
Tu emportes mes joies, tu emportes mon enfance.
En écrivant ces mots, dans ma tête tout bascule
Mes entrailles se nouent, une grande douleur me brûle.
L’oncle René
De ma plus tendre enfance, Je me souviens encore
De ces petits chevaux de cirque multicolores
qui, sur la poutre en chêne, servaient de décors
Brillants d’étoiles d’argent, de véritables trésors.
Leur histoire est mystère, mais à force de questions,
On apprenait alors, que c’est l’oncle René,
Qui, en convalescence, les a fabriqués
Durant son long séjour, en guise d’occupation.
Cet oncle René, un étranger de nos vies
Était pourtant bien le troisième de la fratrie
Du côté maternel il était le dernier,
Après Joseph, Odette, c’était lui le puîné.
Par une chaude journée, on l’a vu débarquer
Il avait pris le car, il venait de Gournay
Sa frêle silhouette, dans un costume rayé,
Il était là devant nous et il nous observait.
Son regard d’homme simple, était très doux et bon
Il vivait le présent, le plaisir d’être là
Goûter l’ambiance famille et la cuisine maison
En taiseux qu’il était, ne se racontait pas.
C’est sans doute la rareté, de ses visites chez nous
Qui a fait de cet oncle, un parent singulier
Orphelin dès l’enfance, à l’histoire fracassée
Sa place est aujourd’hui, en famille parmi nous.
L’île de Crête
15 septembre 2018
Agia Galini
Le port était au calme
Bien au creux des montagnes
Et sur l’eau lisse de mer
Se reflétait la lune
D’un halo jaune pâle,
Un trait dans cette eau claire.
Le soir était tombé
Depuis deux heures déjà
et en cette fin d’été
La chaleur était là.
Alors les gens flânaient
Aux terrasses des cafés
Dans les rues animées.
Au café « Bogazi »
C’était de vieux hippies
D’au moins sept décennies
Qui reprenaient en chœur
Des chansons de l’époque
Aux notes chaloupantes
De Neil Young et Dylan.
Dans leurs chemises flottantes
Presque de paysannes
Aux couleurs improbables
Enveloppant leurs corps lourds
Abîmés par les âges,
Les femmes écoutaient affables
Toutes groupées autour
Des chanteurs bedonnants.
Virtuoses de guitare
Et de l’harmonica
Leurs vieux corps branlants
Évitaient les grands écarts
Pour préférer le pas.
Lunettes basses sur le nez
Les chanteurs égrenaient
Tous ces airs connus
Mille fois rechantés.
L’assemblée grisonnante
Les reprenait en chœur
Leur rappelant séante
Leur passé disparu.
Cette ultime communion
Pour que jamais ne meurt
La période du chichon.
La belle lune
C’était déjà le soir, la nuit était très noire
Et au creux des montagnes, le port était au calme.
Une lune incandescente d’un beau jaune orangé
Lançait son fin halo palpitant sur les lames
Des eaux sombres de la mer, voulait-elle faire croire
Qu’elle pouvait à elle seule espérer tout éclairer ?
De la Rochelle à Canet en Roussillon
Du 5 mai au 23 mai 2019
Récit 1
Samedi 11 mai 2019
Ce matin, la mer est calme, d’un bleu ardoise. Elle s’argente parfois sous l’effet d’un rare rayon de soleil et s’orne de quelques franges blanches sur les crêtes de ses vagues.
La mer se meut lentement faisant chalouper le bateau qui exécute de doux balancements s’accordant aux montées discordantes des eaux.
Cette nuit, le ciel s’est débarrassé de ses nuages pour laisser place à un soleil coraillé au lever. Puis, il vire au jaune éblouissant vers la mi-journée tranchant avec le bleu sombre des eaux.
En ce jour encore naissant, le catamaran longe la côte dont les points incandescents de chaque ville de bord de mer, supplantées par les éclats intermittents des phares, sont les seules traces de la présence humaine. À une distance de dix milles des terres, nous descendons doucement vers le sud du Portugal. Il est minuit devant Vigo, puis 4 heures près de Viana do Castello, ville frontière entre l’Espagne et le Portugal. À la fin du dernier quart de nuit, vers neuf heures, nous passions Porto. Notre périple continue sous les meilleurs auspices pour les deux prochains jours.
La vie s’écoule doucement, au seul son des claquements des voiles et des cordages, ainsi que du gémissement des flotteurs. Moments de répit et de grâce après les fortes émotions durant la traversée du golfe de Gascogne et le franchissement du cap Finisterre.
C’est une belle expérience et une belle aventure humaine aux côtés d’hommes mûrs. Vieux loups de mer qui ont parcouru déjà le monde entier. Les quarts de garde chantent et s’emplissent d’images de leurs aventures africaines qui viennent pimenter la nôtre. Ce sont des gens bien, simples, humains, riches, faciles à vivre.
Récit 2
Dimanche 12 mai 2019
Pas un nuage à l’horizon ce matin et cette journée s’annonce très ensoleillée. Un vent nord-est de vingt nœuds, frais et rugueux nous est favorable et nous pousse vers le sud du Portugal à neuf milles de moyenne.
Nous croisons sur notre route, d’énormes cargos, ravitaillant les ports de marchandises. Leur gigantesque masse, écrasant l’océan, nous incite à nous tenir à l’écart pour éviter une collision qui serait fatale pour notre fragile esquif.
Cette nuit, nous avons doublé Nazaré, bien connu des surfeurs les plus doués. Les vagues ici remontent d’une profonde fosse marine et jaillissent sur la plage en dépassant régulièrement les dix mètres, inscrivant ce lieu au record européen.
Et puis Peniche et sa pointe du Berlanga, tout illuminée par l’impressionnante concentration de maisons de pêcheurs de sardines.
À dix heures ce matin, voici la large embouchure du Tage, bordée au nord par la pointe Cabo Raso et cette belle ville de Lisbonne que nous devinons sans pouvoir en voir les contours.
Au sud, vers midi, nous sommes en vue du cap Espichel, une avancée montagneuse cernant la grande baie de Lisbonne.
Vers 13 heures, le vent faiblit brusquement nous laissant voguer à une allure de cinq nœuds. Le silence domine et nous goûtons une sorte de plénitude, de bien-être, renforcé par l’absence de nouvelles des hommes et de leurs pérégrinations, relayées constamment par l’info en continu. Nous sommes devenus étrangers à ce flot constant qui nous assaille à terre pour nous réfugier pleinement sur nos flots à nous, qui, sans vague pour l’instant, nous portent vers un seul objectif : le cap Saint-Vincent à la pointe sud-ouest du Portugal.
Le vin blanc local nous apaise. Il faut dire qu’il s’appelle : le lolo. À la dégustation, « c’est aussi bon que le lait de sa mère » comme, dirait mon père.
Récit 3
Dimanche 12 mai soir
Le soleil couchant tombe sur les mouvements presque imperceptibles de la mer, laissant une large trace dorée qui vient inonder notre bateau. Le bleu marin ne résiste à l’intensité de cette lumière éthérée qui s’étale en halot puissant à la surface de la mer.
À plus de dix milles nautiques des côtes, la terre se laisse deviner sous des formes sombres plus ou moins hautes selon la topographie des lieux, ce qui rend l’instant mystérieux.
Parfois, d’élégants dauphins glissent entre deux eaux, quelques minutes ou parfois des heures, accostent presque le bateau, bondissent au-dessus de la mer, nous observent, jouent avec les coques des flotteurs avant de disparaître soudainement. Leurs gracieux spectacles invitent à méditer sur l’intelligence de ces animaux pacifiques, et sur l’imbécillité humaine d’en faire des animaux de cirque dans des bassins clos et étriqués, alors qu’ils montrent tout leur savoir-faire dans leur milieu naturel.
Le passage du cap Saint-Vincent est prévu pour 2 heures du matin.
Je prends mon premier quart avec délectation de 10 heures à 1 heure. La navigation de nuit ajoute une part de douce angoisse mystérieuse.
Récit 4
Lundi 13 mai
Si les côtes espagnoles ou portugaises flamboient par nuits claires, les éoliennes de plus en plus nombreuses ont amené le rouge sur les côtes très ventées que nous longeons. Elles sont visibles de très loin et leur densité enflamme le ciel de part en part, rehaussant la luminosité ambiante des activités nocturnes des hommes. C’est un décor féerique silencieux, seulement visible par navigation de nuit, qui fait de nous des spectateurs privilégiés.
Et puis vient la magie de passer le cap Saint-Vincent vers 2 heures du matin après avoir suivi des yeux son phare blanc durant sept heures en raison de son exceptionnelle portée de cinquante milles nautiques. Nous nous trouvons alors au point le plus à l’ouest des côtes européennes. Dans la lumière de son éclat puissant, nous le franchissons avant de bifurquer plein est.
La côte brille de mille feux émanant des villes de Lagos et Portimao que nous laissons à bâbord. Il est cinq heures et le ballet bien orchestré de la sortie des pêcheurs débute. Nous slalomons pour les éviter afin de nous diriger vers la marina de Villamora que nous devrions atteindre vers midi. Il est prévu d’y séjourner un jour et une nuit pour s’y avitailler et y faire bombance avec quelques amis de Faro.
Il est 6 heures 30, le jour se lève. Une lumière cuivrée vient se marier avec le bleu foncé de la mer. C’est tout juste magnifique. Heureux qui comme Denis, Georges, Michel et Philippe assistent à ce spectacle. C’est le privilège des navigateurs qui ne se couchent pas.
Récit 5
Mardi 14 mai
C’est à sept heures du matin que nous quittons la petite marina Villamora, petite échancrure de la côte sud du Portugal près de Faro. Elle met un point final à une longue côte bordée de falaises ocres et blanches, plus ou moins hautes. Elles sont surmontées de maisons blanches récentes construites en îlot par des hommes en mal de soleil, qui, pour se détendre ont besoin de se rassembler en des lieux artificiels et bruyants. Villamora est l’un de ces endroits composites où l’on trouve pêle-mêle entourant le bassin où les bateaux reposent, lieux de bouche et de boissons et boutiques clinquantes. Le concours ici n’a pas été l’embellissement du lieu, mais la construction hâtive, discordante et sans âme d’un ensemble exclusivement basé sur la taille et la couleur clinquante des enseignes à but commercial. Une musique forte fait office d’animation de la seule rue qui longe le port. Les gens, pour la plupart âgés, vont et viennent sans but et se bombardent de selfis avec en arrière-plan les bateaux luxueux.
C’est sans un regret, après ce court repos qui nous a permis de nous avitailler en vivres et en eau douce, que nous quittons ce lieu pour retrouver la mer.
Il nous faut encore parcourir cent cinquante milles nautiques pour atteindre Gibraltar et son passage étroit, que nous devons impérativement passer mercredi matin pour bénéficier de courants favorables et éviter les tempêtes annoncées.
Récit 6
Mardi 14 mai – 11 h
Une dépression d’est provenant du détroit de Gibraltar provoque une forte houle de 2 à 3 m développant une mer puissante et splendide. Les creux sont impressionnants, mais les vagues longues sont confortables à passer, même si elles obligent notre bateau à d’innombrables acrobaties pour se maintenir à flot. Le soleil éclatant se mire sur la mer la faisant briller de mille feux argentés. Un vent frais rafraîchit l’atmosphère, et rend plus supportable la touffeur ressentie à terre qui frisait les 30 degrés.
La matinée a été consacrée à la pêche avec un réel succès. Cinq touches successives nous ont permis pour la seconde journée consécutive d’assurer notre repas de délicieux chinchards.
La rêverie s’installe devant tant de pure beauté des éléments naturels. Nous ne faisons que passer dans ce milieu marin, comme tant d’autres hommes l’ont fait auparavant. Il faut se conformer à ses lois, à ses douceurs et à ses furies, sans jamais oublier que l’on n’est qu’invités. La mer dicte et reste maîtresse. Il n’est pas naturel pour l’homme d’être sur l’eau, sur cet indomptable plancher mouvant. Les gens de mer sont calmes, sages et un peu mystérieux. Ils ne luttent jamais contre la mer. Ils essaient de mieux la comprendre. Ils sont toujours avides d’expériences non pas pour mieux la maîtriser, mais pour mieux communier avec elle. Georges et Denis sont de ceux-là, comme d’ailleurs, Jean avec qui nous dînions hier soir. Quelle chance de pouvoir partager des moments avec eux.
C’est à ma mère que je pense dans ce voyage, qui portait en elle un mystère marin et dont le regard posé sur la mer en disait long sur son attachement depuis l’enfance. Petite, de l’étroite valleuse de Mordal, entre Dieppe et Varengeville sur mer, elle avait sous les yeux la mer, les rochers, et respirait à pleins poumons cette forte odeur de varech. Elle aimait la mer les jours de tempête lorsqu’elle était méchante, lorsqu’elle crachait disait-elle. Les contraintes de vie l’ont éloignée de ce milieu, mais jusqu’au bout, elle y est restée fidèle, recherchant sans cesse son contact. Alors son regard se posait sur la mer, elle communiait avec elle, exceptionnellement absente pour nous.
Aujourd’hui sur l’eau, je suis un peu avec elle.
Récit 7
Mardi 14 mai – 20 h
Le vent d’est a faibli et durant l’après-midi, l’océan s’est assagi. Il reste cependant dansant et dynamique accompagné du bruit des vagues qui s’écrasent sur la coque. L’élément liquide invite le bateau à ce bal naturel, l’obligeant à se cabrer fortement avant de le soumettre à un plongeon de l’avant, comme ferait un danseur pour saluer sa belle. L’esquif se prête à ce jeu amoureux, en marquant le pas de doux balancements de côté. L’ensemble est parfait et le couple formé se laisse admirer par nous, spectateurs.
Ce sont nos derniers milles sur l’océan Atlantique. Nous traversons la baie bordée au loin par Houeva, l’embouchure du Guadal Quivir qui rejoint la belle ville de Séville et un peu plus loin, Cadix.
Papa, tu peux chanter la belle ! Je ne verrai pas ses yeux de velours, car trop loin de la côte.
Nous nous engouffrerons demain matin dans le goulet menant au détroit de Gibraltar.
Mais avant, nous doublerons le cap de Trafalgar, lieu mythique où les Français ont eu la bonne idée de s’allier à l’Invincible Armada espagnole qui sera réduite en cendres par l’amiral Nelson. Ce dernier goûta peu la victoire, car il y perdit la vie d’un boulet bien ajusté. Il fut ramené en Angleterre dans un tonneau de rhum. Quelle belle fin ! Comme quoi, l’alcool ne conserve pas que les fruits.
Nous nous installons à table pour goûter un bon verre de Porto.
Récit 8
Mercredi 15 mai
La nuit a permis d’avancer et de traverser le golfe de Cadix. Cette large baie nous a demandé de longs efforts pour parvenir vers 9 h du matin en vue du cap Trafalgar, côté Espagne qui fait face au mont Spartel au Maroc que l’on aperçoit de très loin. Un vent d’est de vingt nœuds et un fort courant venu de la mer Méditerranée ont nettement ralenti la vitesse du bateau. Nous sommes contraints de passer le détroit de Gibraltar aujourd’hui, poursuivis par une tempête venue de l’ouest et une autre qui s’annonce dans un jour ou deux, provenant de l’est.
Vers midi, nous doublons le cap Tarifa, qui dispose d’un port desservant des lignes de ferries régulières pour Tanger, ville marocaine qui lui fait face.
Au milieu du détroit, le vent tombe et les vagues s’affaissent. La navigation sous un soleil radieux devient agréable.
Nous longeons la côte espagnole du détroit, succession de mamelons, couverts d’une herbe rase brûlée par le sel, qui se terminent par une grosse lèvre de pierre grise qui se jette dans la mer. Une végétation un peu plus dense brave le vent salé en s’installant dans les replis successifs. Malgré tout, c’est le minéral qui domine, le seul à pouvoir faire face aux assauts d’une nature brutale.
Les hommes sont pratiquement absents de ce lieu inhospitalier, d’une nature qui ne donne rien, que ce soit pour se protéger ou se nourrir.
Des bouquets d’éoliennes se dressent partout sur les hauteurs se nourrissant du vent constant. Elles tournent inlassablement et semblent se plaire dans cet environnement qui leur est favorable.
Et puis, la magie opère après avoir dépassé un dernier obstacle visuel, un mont qui se jette dans l’eau près d’Algeciras ; apparaît majestueux le Rocher de Gibraltar posé comme un vaisseau en pleine mer. De loin, on l’imagine île, mais c’est une péninsule. Il est campé là et domine de sa hauteur toutes les collines alentour. Couverte d’une maigre verdure sur le flanc ouest, favorisée par les pluies régulières, la face sud est pelée et laisse apparaître la roche claire. Une excroissance pierreuse divisée en deux étages lui sert de proue vers le sud.
La ville encercle l’éperon rocheux sur sa partie basse et se poursuit sur l’étroite langue qui le lie à la terre. On croirait presque ce rocher prêt à partir vers de longues aventures.
L’autre façade à l’est se compose de deux pics rocheux mis à nu par les intempéries, reliés par un plan incliné où ne pousse qu’une pelouse rase.