Ah, mon Georges ! - Philippe Bouteiller - E-Book

Ah, mon Georges ! E-Book

Philippe Bouteiller

0,0

Beschreibung

Ce n’est pas une histoire, mais une multitude d’histoires… Près de deux cents récits rassemblés dans ce recueil, où se mêlent pensées profondes et récits de voyage. Des instants marqués par la perte de proches, mais aussi par la présence calme de deux aventuriers des mers : Georges et Denis. C’est un hommage à la beauté de notre monde, une série de cartes postales sans réel destinataire… ou presque… Ah si, au moins un : Georges.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Philippe Bouteiller est passionné d’agriculture et de nature. Il crée, gère et développe la première société française de conseil en agriculture et en environnement dans le Poitou. Retiré depuis peu des affaires, il occupe son temps libre entre le jardinage, l’écriture et la peinture. Après "Le froc et la brique", "Ah, mon Georges !" est son quatrième roman.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 223

Veröffentlichungsjahr: 2025

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Philippe Bouteiller

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ah, mon Georges !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Philippe Bouteiller

ISBN : 979-10-422-6735-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

Du même auteur

 

 

 

Les Blondel, 2021, aux éditions Le Lys Bleu ;

 

L’esquinte, 2023, aux éditions Le Lys Bleu ;

 

Le froc et la brique, 2024, aux éditions Le Lys Bleu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voyager rend modeste. On voit mieux la place minuscule que l’on occupe dans le monde.

Gustave Flaubert

 

Un voyage se mesure mieux en amis plutôt qu’en miles.

TimCahill

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À Georges Charlier et Denis Neveu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Famille

 

 

 

 

 

Maman

 

 

 

C’est au tout premier jour du mois de septembre

Que tu as décidé, épuisée, de partir

Pour ne plus écouter la douleur de tes membres

En tenant tendrement la main de ta fille

Afin d’alléger l’épreuve, se laisser mourir.

 

Tu te savais perdue, suspendue à un fil

Alors tu as tenu à grouper tes enfants

Prétextant pour seule fois une grande fête pour tes ans.

Malgré l’extrême fatigue, on lisait ton bonheur

D’avoir réussi cet ultime événement

Ce visage creusé était presque rieur.

 

Pour démontrer à tous que tu tenais ton rang.

C’était ta décision et dernière volonté

Qui magnifie à jamais l’œuvre de ta vie

Si jamais Dieu existe, tu es à ses côtés

Pour soulager les maux, de ceux qui cherchent appui.

 

 

 

 

 

Dernier voyage

 

 

 

Septembre 2017

 

Mère, tu quittes à jamais

À contrecœur ton Mesnil.

Il n’y a pas la mer

Ce n’est pas Varengeville

Mais un lieu bien aimé

Où tu gisais sans vie,

Les tiens à tes côtés.

Dans ce lit peint en gris,

recouverte d’un drap blanc,

tu reposais mamie

Au milieu des asters.

Ton teint un peu livide,

Tes paupières fermées

Sont les seuls indices

Que le drame s’est joué.

Ce jeudi de septembre

Il te faudra nous suivre,

Accepter qu’on te porte

Pour t’emmener au cœur

De cette charmante église

Au fond de la vallée.

T’y attend une cohorte

De tous les gens d’ailleurs

Car il est bien de mise

Mère, d’être accompagnée.

Et puis viendra le temps

De poser doucement

Ton cercueil de bois blond

Dans cette froide maison.

Elle touche le haut mur

De notre cour d’école

Où nous jouions

Et rêvions d’aventures.

Même dans nos pensées folles

Comment imaginer

Encore en petit blond

Que tu serais un jour

Juste de l’autre côté

Endormie pour toujours.

 

Le lieu est froid, austère ;

Une ambiance de cimetière.

 

 

 

 

 

Perds du temps, papa

 

 

 

Septembre 2017

 

Perds du temps, papa, tu as le temps d’en perdre !

Fouille dans tes souvenirs, du plus lointain passé,

Regarde le jardin, apprécie encore le cèdre,

Et ce rosier sauvage qu’elle aimait admirer

Sous les trois peupliers en quinconce plantés

Qui côtoient l’épine rouge tout près de l’auge en grès.

 

S’ouvre ici un chemin si souvent emprunté

Étouffé d’hortensias et de rhododendrons

Inondé de lumière vers les iris anglais

D’un profond bleu cobalt, parangon de beauté.

Regarde autour de toi, les souvenirs viendront.

 

Assieds-toi là papa et mets-toi bien à l’aise,

Profite de cet instant, bien assis sur ta chaise

Avec autour de toi ta petite ménagerie

Qui te suit pas à pas, très souvent sans un bruit

Sur laquelle toujours tu veilles d’un regard si doux

Bien à la hauteur de la confiance qu’elle te voue.

 

Dans le champ chromatique de ce théâtre floral

Où récemment encore vous cueilliez des bouquets,

Elle déambule encore, maman, elle se régale

De nous voir tous les deux avec elle en pensée

Toi, papa si pensif, et moi si affairé.

 

 

 

 

 

L’attente devant la tombe

 

 

 

Septembre 2018

 

Je sens bien que tu pars

que rien ne te retient

Ni l’iris d’un bleu rare

Ni tes chats ni tes chiens

Ni l’épine rouge en fleurs

Qui remplissaient sa vie.

Doucement tu te meurs

Ce corps faible et raidi

Abattu par trop d’ans

Se déplace sans bruit

Vers le tombeau de marbre.

C’est sur ce dépliant

Dans cette allée sans arbre

Devant le marbre gris

tel un orant, que tu pries.

Maman habite ici

Et ses nouveaux voisins

T’inspirent morceaux de vie.

C’étaient tous vos amis.

 

 

 

 

 

Promenade sur la côte

 

 

 

Décembre 2019

 

Viens mon petit papa, je t’emmène cette fois

Revoir le bel Honfleur, dont les hautes façades

Striées de colombages rouges, sombres ou bleu roi

Enserrent le petit port aux eaux placides et fades

Où stagnent disciplinés, quelques bateaux en rade.

 

Vois aussi l’estuaire, de la sinueuse Seine

Qui pousse ses lourdes eaux brunes jusqu’à la mer

S’enfonce dans ses vagues, filant comme une reine

Écartelant Le Havre, du bas Trouville-sur-Mer.

 

Et puis un peu plus loin, la campagne vallonnée

Descend abruptement, jusqu’aux eaux grisonnantes

Pour mêler ses verts crus, à l’écume blanche salée

Y perdant graduellement, une partie de ses pentes.

 

Poussons jusqu’à Trouville, voici les roches noires

Qui surplombent la plage lacérée de filandres

De maints rus brillants, rejoignant les eaux tendres

D’une mer à marée basse, opalescente, et moire.

 

Je te vois embrasser ces paysages aimés

Je te vois encore rire, je t’entends plaisanter

Je ne me résous pas à te savoir gisant

Et pour l’éternité, à scruter le néant.

 

 

 

 

 

La vieillesse

 

 

 

Décembre 2019

 

Le temps fuit comme une eau sauvage

Dévalant les flancs des montagnes

Usant peu à peu l’homme par l’âge

Lui infligeant, en fin, un bagne.

 

Oh, mon père, te voilà si vieux

Qui te déplace par tant de peine

Toi qui si souvent pries les cieux

Pour maintenant quitter la scène.

 

Tes membres frêles et décharnés

Tes petits pas mal assurés

Attestent du temps, de ses méfaits

De tes cent ans presque sonnés.

 

Si la vieillesse est un naufrage

Comme il te plaît tant de le dire,

Tu es pour l’instant sur la barge

Il te faut vivre, il faut tenir.

 

De petits drames en petits drames

Il faut animer le Mesnil

À tes enfants laissent les rames

Avant de trouver ton exil.

 

C’est le grand jour papa

Vers le sombre tombeau

Tous tes amis sont là

Regrettant leur héros.

 

Ce grand héros rieur

Ce grand héros blagueur

Ce grand héros aimant

Ce grand héros ardent

Ce grand héros fidèle

Ce grand héros si frêle

Ce grand héros d’un jour

Ce grand héros toujours.

 

 

 

 

 

Mon père

 

 

 

Décembre 2019

 

C’est aujourd’hui pour toi, que sonne le tocsin

J’écoute le son clair de la cloche d’airain

Propager la nouvelle de ton récent trépas

Toi le grand homme droit, toi mon père, mon papa.

Lorsque j’étais petit, je t’ai suivi partout

Dans les champs pleins de blé, dans les prés pleins de boue

J’ai mis mes petits pas dans les tiens de géant

Je te voyais si fort, je te voyais si grand

Je t’ai tant admiré avec mes yeux d’enfant.

J’aimais être avec toi, découvrir le labeur

De ce métier difficile, d’être agriculteur.

Tu as pris le virus à la ferme des Voisins

En compagnie d’Édith, tu ramasses les foins

Tu n’avais pas dix ans et elle à peine vingt

Elle t’appelait « Ti Jacques », tu étais son petiot

Pour aller traire les vaches et soigner les lapins.

Ta mère au désespoir t’enverra à Yvetot

Chez ton oncle Maurice, pour connaître la terre

Et puis deux ans en stage, à la ferme Sagaert,

Près du manoir d’Angot, à Varengeville sur mer.

Tu y rencontres Odette, une belle domestique

Que tu épouseras, au grand dam de ta mère

Au final d’une cour, une aventure épique.

Tu auras sept enfants sur cette ferme minuscule

Qui te rapportera des revenus ridicules

Te faisant vivre souvent, de grands moments d’angoisse

Pour éviter le pire et sortir de la poisse.

En écrivant ces lignes qui ne sont que pour toi

Toi qui aimais le simple, toi qui préférais l’ombre

Que ta lumière brille au moins pour une fois

Avant que tu rejoignes le profond caveau sombre.

Dans le noir tombeau, tu y rejoins maman

Vous voilà réunis, jusqu’à la fin des temps.

Tu emportes ton rire, et le reste d’insouciance

Tu emportes mes joies, tu emportes mon enfance.

En écrivant ces mots, dans ma tête tout bascule

Mes entrailles se nouent, une grande douleur me brûle.

 

 

 

 

 

L’oncle René

 

 

 

De ma plus tendre enfance, Je me souviens encore

De ces petits chevaux de cirque multicolores

qui, sur la poutre en chêne, servaient de décors

Brillants d’étoiles d’argent, de véritables trésors.

Leur histoire est mystère, mais à force de questions,

On apprenait alors, que c’est l’oncle René,

Qui, en convalescence, les a fabriqués

Durant son long séjour, en guise d’occupation.

 

Cet oncle René, un étranger de nos vies

Était pourtant bien le troisième de la fratrie

Du côté maternel il était le dernier,

Après Joseph, Odette, c’était lui le puîné.

 

Par une chaude journée, on l’a vu débarquer

Il avait pris le car, il venait de Gournay

Sa frêle silhouette, dans un costume rayé,

Il était là devant nous et il nous observait.

 

Son regard d’homme simple, était très doux et bon

Il vivait le présent, le plaisir d’être là

Goûter l’ambiance famille et la cuisine maison

En taiseux qu’il était, ne se racontait pas.

 

C’est sans doute la rareté, de ses visites chez nous

Qui a fait de cet oncle, un parent singulier

Orphelin dès l’enfance, à l’histoire fracassée

Sa place est aujourd’hui, en famille parmi nous.

 

 

 

 

 

L’île de Crête

 

 

 

15 septembre 2018

 

Agia Galini

 

Le port était au calme

Bien au creux des montagnes

Et sur l’eau lisse de mer

Se reflétait la lune

D’un halo jaune pâle,

Un trait dans cette eau claire.

Le soir était tombé

Depuis deux heures déjà

et en cette fin d’été

La chaleur était là.

Alors les gens flânaient

Aux terrasses des cafés

Dans les rues animées.

 

Au café « Bogazi »

C’était de vieux hippies

D’au moins sept décennies

Qui reprenaient en chœur

Des chansons de l’époque

Aux notes chaloupantes

De Neil Young et Dylan.

Dans leurs chemises flottantes

Presque de paysannes

Aux couleurs improbables

Enveloppant leurs corps lourds

Abîmés par les âges,

Les femmes écoutaient affables

Toutes groupées autour

Des chanteurs bedonnants.

Virtuoses de guitare

Et de l’harmonica

Leurs vieux corps branlants

Évitaient les grands écarts

Pour préférer le pas.

Lunettes basses sur le nez

Les chanteurs égrenaient

Tous ces airs connus

Mille fois rechantés.

L’assemblée grisonnante

Les reprenait en chœur

Leur rappelant séante

Leur passé disparu.

Cette ultime communion

Pour que jamais ne meurt

La période du chichon.

 

La belle lune

 

C’était déjà le soir, la nuit était très noire

Et au creux des montagnes, le port était au calme.

Une lune incandescente d’un beau jaune orangé

Lançait son fin halo palpitant sur les lames

Des eaux sombres de la mer, voulait-elle faire croire

Qu’elle pouvait à elle seule espérer tout éclairer ?

 

Voyage en mer

De la Rochelle à Canet en Roussillon

Du 5 mai au 23 mai 2019

 

 

 

 

 

Récit 1

 

 

 

Samedi 11 mai 2019

 

Ce matin, la mer est calme, d’un bleu ardoise. Elle s’argente parfois sous l’effet d’un rare rayon de soleil et s’orne de quelques franges blanches sur les crêtes de ses vagues.

La mer se meut lentement faisant chalouper le bateau qui exécute de doux balancements s’accordant aux montées discordantes des eaux.

Cette nuit, le ciel s’est débarrassé de ses nuages pour laisser place à un soleil coraillé au lever. Puis, il vire au jaune éblouissant vers la mi-journée tranchant avec le bleu sombre des eaux.

En ce jour encore naissant, le catamaran longe la côte dont les points incandescents de chaque ville de bord de mer, supplantées par les éclats intermittents des phares, sont les seules traces de la présence humaine. À une distance de dix milles des terres, nous descendons doucement vers le sud du Portugal. Il est minuit devant Vigo, puis 4 heures près de Viana do Castello, ville frontière entre l’Espagne et le Portugal. À la fin du dernier quart de nuit, vers neuf heures, nous passions Porto. Notre périple continue sous les meilleurs auspices pour les deux prochains jours.

La vie s’écoule doucement, au seul son des claquements des voiles et des cordages, ainsi que du gémissement des flotteurs. Moments de répit et de grâce après les fortes émotions durant la traversée du golfe de Gascogne et le franchissement du cap Finisterre.

C’est une belle expérience et une belle aventure humaine aux côtés d’hommes mûrs. Vieux loups de mer qui ont parcouru déjà le monde entier. Les quarts de garde chantent et s’emplissent d’images de leurs aventures africaines qui viennent pimenter la nôtre. Ce sont des gens bien, simples, humains, riches, faciles à vivre.

 

 

 

 

 

Récit 2

 

 

 

Dimanche 12 mai 2019

 

Pas un nuage à l’horizon ce matin et cette journée s’annonce très ensoleillée. Un vent nord-est de vingt nœuds, frais et rugueux nous est favorable et nous pousse vers le sud du Portugal à neuf milles de moyenne.

Nous croisons sur notre route, d’énormes cargos, ravitaillant les ports de marchandises. Leur gigantesque masse, écrasant l’océan, nous incite à nous tenir à l’écart pour éviter une collision qui serait fatale pour notre fragile esquif.

Cette nuit, nous avons doublé Nazaré, bien connu des surfeurs les plus doués. Les vagues ici remontent d’une profonde fosse marine et jaillissent sur la plage en dépassant régulièrement les dix mètres, inscrivant ce lieu au record européen.

Et puis Peniche et sa pointe du Berlanga, tout illuminée par l’impressionnante concentration de maisons de pêcheurs de sardines.

À dix heures ce matin, voici la large embouchure du Tage, bordée au nord par la pointe Cabo Raso et cette belle ville de Lisbonne que nous devinons sans pouvoir en voir les contours.

Au sud, vers midi, nous sommes en vue du cap Espichel, une avancée montagneuse cernant la grande baie de Lisbonne.

Vers 13 heures, le vent faiblit brusquement nous laissant voguer à une allure de cinq nœuds. Le silence domine et nous goûtons une sorte de plénitude, de bien-être, renforcé par l’absence de nouvelles des hommes et de leurs pérégrinations, relayées constamment par l’info en continu. Nous sommes devenus étrangers à ce flot constant qui nous assaille à terre pour nous réfugier pleinement sur nos flots à nous, qui, sans vague pour l’instant, nous portent vers un seul objectif : le cap Saint-Vincent à la pointe sud-ouest du Portugal.

 

Le vin blanc local nous apaise. Il faut dire qu’il s’appelle : le lolo. À la dégustation, « c’est aussi bon que le lait de sa mère » comme, dirait mon père.

 

 

 

 

 

Récit 3

 

 

 

Dimanche 12 mai soir

 

Le soleil couchant tombe sur les mouvements presque imperceptibles de la mer, laissant une large trace dorée qui vient inonder notre bateau. Le bleu marin ne résiste à l’intensité de cette lumière éthérée qui s’étale en halot puissant à la surface de la mer.

À plus de dix milles nautiques des côtes, la terre se laisse deviner sous des formes sombres plus ou moins hautes selon la topographie des lieux, ce qui rend l’instant mystérieux.

Parfois, d’élégants dauphins glissent entre deux eaux, quelques minutes ou parfois des heures, accostent presque le bateau, bondissent au-dessus de la mer, nous observent, jouent avec les coques des flotteurs avant de disparaître soudainement. Leurs gracieux spectacles invitent à méditer sur l’intelligence de ces animaux pacifiques, et sur l’imbécillité humaine d’en faire des animaux de cirque dans des bassins clos et étriqués, alors qu’ils montrent tout leur savoir-faire dans leur milieu naturel.

Le passage du cap Saint-Vincent est prévu pour 2 heures du matin.

Je prends mon premier quart avec délectation de 10 heures à 1 heure. La navigation de nuit ajoute une part de douce angoisse mystérieuse.

 

 

 

 

 

Récit 4

 

 

 

Lundi 13 mai

 

Si les côtes espagnoles ou portugaises flamboient par nuits claires, les éoliennes de plus en plus nombreuses ont amené le rouge sur les côtes très ventées que nous longeons. Elles sont visibles de très loin et leur densité enflamme le ciel de part en part, rehaussant la luminosité ambiante des activités nocturnes des hommes. C’est un décor féerique silencieux, seulement visible par navigation de nuit, qui fait de nous des spectateurs privilégiés.

Et puis vient la magie de passer le cap Saint-Vincent vers 2 heures du matin après avoir suivi des yeux son phare blanc durant sept heures en raison de son exceptionnelle portée de cinquante milles nautiques. Nous nous trouvons alors au point le plus à l’ouest des côtes européennes. Dans la lumière de son éclat puissant, nous le franchissons avant de bifurquer plein est.

La côte brille de mille feux émanant des villes de Lagos et Portimao que nous laissons à bâbord. Il est cinq heures et le ballet bien orchestré de la sortie des pêcheurs débute. Nous slalomons pour les éviter afin de nous diriger vers la marina de Villamora que nous devrions atteindre vers midi. Il est prévu d’y séjourner un jour et une nuit pour s’y avitailler et y faire bombance avec quelques amis de Faro.

Il est 6 heures 30, le jour se lève. Une lumière cuivrée vient se marier avec le bleu foncé de la mer. C’est tout juste magnifique. Heureux qui comme Denis, Georges, Michel et Philippe assistent à ce spectacle. C’est le privilège des navigateurs qui ne se couchent pas.

 

 

 

 

 

Récit 5

 

 

 

Mardi 14 mai

 

C’est à sept heures du matin que nous quittons la petite marina Villamora, petite échancrure de la côte sud du Portugal près de Faro. Elle met un point final à une longue côte bordée de falaises ocres et blanches, plus ou moins hautes. Elles sont surmontées de maisons blanches récentes construites en îlot par des hommes en mal de soleil, qui, pour se détendre ont besoin de se rassembler en des lieux artificiels et bruyants. Villamora est l’un de ces endroits composites où l’on trouve pêle-mêle entourant le bassin où les bateaux reposent, lieux de bouche et de boissons et boutiques clinquantes. Le concours ici n’a pas été l’embellissement du lieu, mais la construction hâtive, discordante et sans âme d’un ensemble exclusivement basé sur la taille et la couleur clinquante des enseignes à but commercial. Une musique forte fait office d’animation de la seule rue qui longe le port. Les gens, pour la plupart âgés, vont et viennent sans but et se bombardent de selfis avec en arrière-plan les bateaux luxueux.

C’est sans un regret, après ce court repos qui nous a permis de nous avitailler en vivres et en eau douce, que nous quittons ce lieu pour retrouver la mer.

Il nous faut encore parcourir cent cinquante milles nautiques pour atteindre Gibraltar et son passage étroit, que nous devons impérativement passer mercredi matin pour bénéficier de courants favorables et éviter les tempêtes annoncées.

 

 

 

 

 

Récit 6

 

 

 

Mardi 14 mai – 11 h

 

Une dépression d’est provenant du détroit de Gibraltar provoque une forte houle de 2 à 3 m développant une mer puissante et splendide. Les creux sont impressionnants, mais les vagues longues sont confortables à passer, même si elles obligent notre bateau à d’innombrables acrobaties pour se maintenir à flot. Le soleil éclatant se mire sur la mer la faisant briller de mille feux argentés. Un vent frais rafraîchit l’atmosphère, et rend plus supportable la touffeur ressentie à terre qui frisait les 30 degrés.

 La matinée a été consacrée à la pêche avec un réel succès. Cinq touches successives nous ont permis pour la seconde journée consécutive d’assurer notre repas de délicieux chinchards.

La rêverie s’installe devant tant de pure beauté des éléments naturels. Nous ne faisons que passer dans ce milieu marin, comme tant d’autres hommes l’ont fait auparavant. Il faut se conformer à ses lois, à ses douceurs et à ses furies, sans jamais oublier que l’on n’est qu’invités. La mer dicte et reste maîtresse. Il n’est pas naturel pour l’homme d’être sur l’eau, sur cet indomptable plancher mouvant. Les gens de mer sont calmes, sages et un peu mystérieux. Ils ne luttent jamais contre la mer. Ils essaient de mieux la comprendre. Ils sont toujours avides d’expériences non pas pour mieux la maîtriser, mais pour mieux communier avec elle. Georges et Denis sont de ceux-là, comme d’ailleurs, Jean avec qui nous dînions hier soir. Quelle chance de pouvoir partager des moments avec eux.

C’est à ma mère que je pense dans ce voyage, qui portait en elle un mystère marin et dont le regard posé sur la mer en disait long sur son attachement depuis l’enfance. Petite, de l’étroite valleuse de Mordal, entre Dieppe et Varengeville sur mer, elle avait sous les yeux la mer, les rochers, et respirait à pleins poumons cette forte odeur de varech. Elle aimait la mer les jours de tempête lorsqu’elle était méchante, lorsqu’elle crachait disait-elle. Les contraintes de vie l’ont éloignée de ce milieu, mais jusqu’au bout, elle y est restée fidèle, recherchant sans cesse son contact. Alors son regard se posait sur la mer, elle communiait avec elle, exceptionnellement absente pour nous.

Aujourd’hui sur l’eau, je suis un peu avec elle.

 

 

 

 

 

Récit 7

 

 

 

Mardi 14 mai – 20 h

 

Le vent d’est a faibli et durant l’après-midi, l’océan s’est assagi. Il reste cependant dansant et dynamique accompagné du bruit des vagues qui s’écrasent sur la coque. L’élément liquide invite le bateau à ce bal naturel, l’obligeant à se cabrer fortement avant de le soumettre à un plongeon de l’avant, comme ferait un danseur pour saluer sa belle. L’esquif se prête à ce jeu amoureux, en marquant le pas de doux balancements de côté. L’ensemble est parfait et le couple formé se laisse admirer par nous, spectateurs.

Ce sont nos derniers milles sur l’océan Atlantique. Nous traversons la baie bordée au loin par Houeva, l’embouchure du Guadal Quivir qui rejoint la belle ville de Séville et un peu plus loin, Cadix.

Papa, tu peux chanter la belle ! Je ne verrai pas ses yeux de velours, car trop loin de la côte.

Nous nous engouffrerons demain matin dans le goulet menant au détroit de Gibraltar.

Mais avant, nous doublerons le cap de Trafalgar, lieu mythique où les Français ont eu la bonne idée de s’allier à l’Invincible Armada espagnole qui sera réduite en cendres par l’amiral Nelson. Ce dernier goûta peu la victoire, car il y perdit la vie d’un boulet bien ajusté. Il fut ramené en Angleterre dans un tonneau de rhum. Quelle belle fin ! Comme quoi, l’alcool ne conserve pas que les fruits.

Nous nous installons à table pour goûter un bon verre de Porto.

 

 

 

 

 

Récit 8

 

 

 

Mercredi 15 mai

 

La nuit a permis d’avancer et de traverser le golfe de Cadix. Cette large baie nous a demandé de longs efforts pour parvenir vers 9 h du matin en vue du cap Trafalgar, côté Espagne qui fait face au mont Spartel au Maroc que l’on aperçoit de très loin. Un vent d’est de vingt nœuds et un fort courant venu de la mer Méditerranée ont nettement ralenti la vitesse du bateau. Nous sommes contraints de passer le détroit de Gibraltar aujourd’hui, poursuivis par une tempête venue de l’ouest et une autre qui s’annonce dans un jour ou deux, provenant de l’est.

Vers midi, nous doublons le cap Tarifa, qui dispose d’un port desservant des lignes de ferries régulières pour Tanger, ville marocaine qui lui fait face.

Au milieu du détroit, le vent tombe et les vagues s’affaissent. La navigation sous un soleil radieux devient agréable.

Nous longeons la côte espagnole du détroit, succession de mamelons, couverts d’une herbe rase brûlée par le sel, qui se terminent par une grosse lèvre de pierre grise qui se jette dans la mer. Une végétation un peu plus dense brave le vent salé en s’installant dans les replis successifs. Malgré tout, c’est le minéral qui domine, le seul à pouvoir faire face aux assauts d’une nature brutale.

Les hommes sont pratiquement absents de ce lieu inhospitalier, d’une nature qui ne donne rien, que ce soit pour se protéger ou se nourrir.

Des bouquets d’éoliennes se dressent partout sur les hauteurs se nourrissant du vent constant. Elles tournent inlassablement et semblent se plaire dans cet environnement qui leur est favorable.

Et puis, la magie opère après avoir dépassé un dernier obstacle visuel, un mont qui se jette dans l’eau près d’Algeciras ; apparaît majestueux le Rocher de Gibraltar posé comme un vaisseau en pleine mer. De loin, on l’imagine île, mais c’est une péninsule. Il est campé là et domine de sa hauteur toutes les collines alentour. Couverte d’une maigre verdure sur le flanc ouest, favorisée par les pluies régulières, la face sud est pelée et laisse apparaître la roche claire. Une excroissance pierreuse divisée en deux étages lui sert de proue vers le sud.

La ville encercle l’éperon rocheux sur sa partie basse et se poursuit sur l’étroite langue qui le lie à la terre. On croirait presque ce rocher prêt à partir vers de longues aventures.

L’autre façade à l’est se compose de deux pics rocheux mis à nu par les intempéries, reliés par un plan incliné où ne pousse qu’une pelouse rase.