Aimer Encore - Olivier Vojetta - E-Book

Aimer Encore E-Book

Olivier Vojetta

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Beschreibung

Cet amour est la preuve que je valais quelque chose ! Quand un soir Stella remarque Guillaume sur un site de rencontre, elle tombe immédiatement sous son charme. Aveuglée par ses sentiments naissants, Stella sombre corps et âme dans une spirale affective où réalité et fiction se confondent. Mais alors que les jours passent, ses sentiments se renforcent, et les messages s’assombrissent.


À PROPOS DE L'AUTEUR


D'origine lorraine et basque d'adoption, Olivier Vojetta vit actuellement entre la France et l’Australie. Auteur de romans très remarqués, c’est avec originalité et brio qu’il arbore à travers ses histoires des sujets d’actualité auxquels tout le monde peut s’identifier. Olivier fait partie de ces jeunes auteurs dont l’influence ne cesse de croître au gré des romans et ne demande qu’à être découvert.



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Olivier Vojetta

Du même auteur

Sept endroits où disparaître, 2021

Courir encore, 2020

Australian Daily, 2014

Opération Marie, 2012

Conquêtes inutiles, 2009

En famille, 2004

Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par les Éditions La Grande Vague

Site : www.editions-lagrandevague.fr

3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

ISBN numérique : 978-2-38460-071-7

Dépôt légal : Novembre 2022

Les Éditions La Grande Vague, 2022

Pour E. — si elle en veut

Qu’es-tu donc, toi qui m’aimes ?

Le miroir où je me regarde ou l’abîme où je me perds ?

Gustave Thibon

Souffre seul, sans que l’on puisse, ô victime, te traiter de bourreau.

Omar Kayyam

Je suis la plaie et le couteau !

Je suis le soufflet et la joue !

Je suis les membres et la roue,

Et la victime et le bourreau !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857

I

J’ai croisé son regard un soir d’hiver. Il est rentré dans ma vie. Je lui ai servi de joujou virtuel. Il m’a initiée aux joies de l’amour par SMS. Il m’a fait cadeau de son temps. Je lui ai extorqué des photos, un tas de photos. Il me les a toutes reprises. Je lui ai transpercé le cœur. Il s’est effondré sur le trottoir. Il respirait encore. J’ai enfoncé la lame une seconde fois avant de la glisser dans mon sac. J’ai rejoint la station Saint-Augustin à la hâte, en rasant les murs des rues vidées par la pluie.

J’ai pris un taxi. J’ai fermé les yeux et on était déjà là. J’ai monté les escaliers trois à trois. J’ai claqué la porte derrière moi, l’écran de veille de mon ordinateur éclairait tout d’une lumière de bougie. Comme tous les soirs qui avaient précédé, ce cierge des temps modernes m’annonçait la veillée des morts, le deuil éternel, l’impossible renaissance. Je me suis dirigée vers l’une des fenêtres. Je l’ai ouverte ; l’air froid m’a surprise, fouettée, ramenée à une autre réalité. Je me suis penchée légèrement pour regarder la rue. Imaginer ce corps sans vie écrasé sur la chaussée ; j’ai frissonné, me suis abandonnée au vertige, familiarisée avec le néant. J’ai pensé encore une fois à Guillaume, rêvé de la douceur de ses lèvres, imaginé la chaleur de son corps abandonné tout contre le mien. Dans un voile de souffrance m’est parvenue une image oubliée, celle de ma mère. Je l’ai chassée dans un cri. « Maintenant ! » J’ai enjambé la balustrade. Le vide en face de moi me fascinait. J’ai encore une fois observé le mouvement de la rue et me suis arrêtée net. Le taxi avait mis ses warnings, je l’avais oublié. Je suis revenue dans la pièce, j’ai mis quelques affaires dans un sac. Il était minuit passé. Tout paraissait si facile à présent. 

L’orage m’avait rattrapée. J’étais trempée même si je n’avais eu à faire que quelques mètres entre l’entrée et l’intérieur de la voiture. 

— Charles de Gaulle s’il vous plaît.
— C’est comme si on y était. 

Au milieu du pont Alexandre III, j’ai dit au chauffeur de s’arrêter sur le bord de la route. J’ai traversé le trottoir. J’ai jeté le couteau dans la Seine. J’ai attendu quelques instants avant de remonter dans le véhicule. 

Il m’a regardée dans le rétroviseur. J’ai éprouvé le besoin de me justifier. 

— Je me suis débarrassée de toutes les erreurs de mon passé.  
— Dans la Seine ?

Je ne l’avais pas jeté très loin. Un peu comme on lance un bouquet de fleurs à un mariage. C’est bête, mais je tenais à ce couteau, je voulais garder une chance de pouvoir le récupérer un jour. 

— Je vais monter le chauffage. 

J’étais trempée. J’avais peur de tomber malade, et d’être obligée de reporter mon départ. J’ai enlevé mon manteau et l’ai étalé sur la banquette. Même mon corsage était mouillé, j’ai surpris les yeux du chauffeur dans le rétroviseur. J’ai tourné la tête sans savoir s’il m’avait vue rougir. Il faisait très sombre dehors, et encore plus dans l’habitacle.

Nous n’avons pas réussi à semer l’orage. Il pleuvait encore des trombes. 

Sous la pression de sa famille et de ses associés, la police effacera les détails de sa mort dans ses fichiers. Les grands avocats n’aiment pas étaler leur vie privée. Ils enverront à tous ses clients un communiqué laconique.

— Mort d’une crise cardiaque en sortant du bureau. 

Si seulement il ne m’avait pas dit son rêve que je sois un jour la mère de ses enfants, je n’aurais jamais connu le goût de l’espoir. J’en ai à peine eu la saveur sur ma langue qu’il m’a juré ne jamais avoir dit ça. Il était trop occupé pour se souvenir de tout ce qu’il disait. 

Il ne voulait rien devoir à personne, pas même à moi. Il faisait des promesses qu’il ne pouvait pas tenir. Le soir de notre première rencontre, il m’avait proposé de prendre un verre au bar du Peninsula. J’ai attendu quarante-cinq minutes avant de le contacter pour savoir quand il pensait arriver. 

— Je te dis dès que je mets la tête hors de l’eau.
— Je ne bouge pas. Je t’attends en buvant un verre.

J’étais là et on ne me voyait pas. Ça a duré jusqu’à minuit. Je ne sais pas comment j’ai réussi à ne pas me mettre à pleurer.

Après l’avoir attendu trois heures, je suis rentrée chez moi. Je me suis installée devant mon ordinateur, son statut disait « Disponible ». 

J’ai longuement regardé son effigie en haut de l'écran mais n’ai pas osé le recontacter. Il m’a semblé qu’il était un peu stressé ce soir-là. Depuis mon arrivée au Peninsula, il répondait avec des monosyllabes. Un client difficile à gérer, un cas à résoudre plus difficile que les autres, sans doute.

Ses clients étaient son obsession. Il lisait et relisait leurs dossiers, traquait les détails qui pouvaient lui offrir un angle d’attaque ou de défense, comme il m’avait dit une fois. Il me parlait souvent de son travail en ces termes. Il fallait attaquer avant de l’être soi-même. L’auto-défense était pour les faibles de ce monde, ils seraient amenés à disparaître. Après le premier coup de couteau, j’ai cru qu’il était toujours vivant. J’ai attaqué une deuxième fois comme il me disait de le faire. 

II

Le lendemain, la police a interdit tout accès à l’immeuble jusqu’à midi. Il leur fallait prendre des photos, recueillir les indices, faire des prélèvements, traquer les empreintes, noter tous les détails, même les plus insignifiants.

Le corps n’était plus là, il ne restait plus que des traces grenat sur le trottoir. Seuls les autres associés ont été prévenus au petit matin, les simples avocats ont tous eu droit au même spectacle macabre en arrivant. 

Quelques-uns des associés étaient présents cependant. Ils voulaient voir de leurs yeux, essayer de comprendre ce qui s’était passé. Guillaume était spécialisé en droit des affaires, il n’était pas avocat pénaliste. Son plus proche collaborateur avait pleuré.

— La scène est déjà horrible en elle-même, mais l’absence de corps dépasse tout !

Les traces par terre disaient tout mais on ne pouvait être sûr de rien.

— Je ne comprends pas, Guillaume n’avait pas d’ennemis ! 

Un policier lui a dit de reculer, il commençait à se pencher par-dessus les rubans jaunes. On avait fini par le tirer par le bras pour le faire battre en retraite. 

— C’est incroyable de se faire traiter de la sorte, j’étais son collègue, son ami ! Vous m’entendez ! 

Il a continué de crier en rebroussant chemin. 

Le corps a été transporté au laboratoire de la police scientifique. Le médecin légiste a raconté à l’audience qu’il avait rarement vu de telles incisions. Profondes, nettes. 

— J’ai eu l’impression de voir l’œuvre d’un professionnel. 

Le couteau était passé à un millimètre en dessous de sa rosette. On l’a remise à sa mère. 

On a pu l’exposer, et faire son éloge funèbre devant la dépouille. Comme si les victimes étaient toujours innocentes. Comme s’il était juste de subir des années de prison pour un geste aussi fugace. On n’est pas coupable de ce qui arrive dans un cauchemar.

Il était mort lors d’un rendez-vous surprise. Si je l’avais prévenu de ma visite, il aurait encore prétexté devoir travailler. Il était trop lâche pour affronter mon visage. Autrement, nous aurions peut-être fait l’amour. J’aurais tant voulu l’étreindre une dernière fois.  

Je l’ai soulagé d’une vie dense et vide comme le blanc de ses yeux sur les photos. Une vie d’attaque-défense, dont les statistiques faisaient l’admiration de ses confrères. Ils étaient toujours prompts à faire le compte précis du nombre de cas gagnés, comme les commentateurs de boxe le font pour les victoires par K.-O. Si on comptait les points de sa vie en dehors des procès, il n’y aurait sans doute pas de quoi se vanter. On ressentirait pour lui une légère pitié. Et pour moi, de la compassion. À ce moment-là, dans ce couple-là, j’étais comme une civile en pleine guerre, et personne n’était là pour me mettre à l’abri.

Il devait me faire un enfant. Je ne lui avais pourtant rien demandé. On aurait créé notre petite famille. Cette pensée avait été aussi émouvante qu’une demande en mariage. Quand on est associé dans le plus prestigieux des cabinets d’affaires parisien, on doit offrir à un autre que soi ses gènes d’avocat. 

Après mon arrestation, sa famille a déclaré qu’il n’avait jamais voulu d’enfants. Si par un grand malheur j’étais enceinte, elle me paierait une pension à vie pour être certaine que je me débarrasse du bébé au plus vite. Il m’avait tenu un tout autre discours. Sa vie, c’était les enfants qu’il n’avait pas encore eus. Il attendait simplement la bonne personne. Il n’arrêtait pas de me répéter qu’il espérait que ses enfants héritent du bleu de mes yeux et de la blondeur de mes cheveux. Il prononçait ces prières au travers du brouillard qui recouvrait ses yeux.

Je l’aime encore. Et lui aussi, il aurait pu m’aimer. Il a toujours été prêt à me rassurer quand j’avais des coups de blues. Plusieurs années avant notre rencontre, j’avais déjà entrepris de voir quelqu’un pour m’en sortir. 

— Depuis que je te connais, je n’ai plus aucun doute. 
— Répète-le encore une fois.
— Avec toi, je n’ai plus de doute ni sur ma vie ni sur mon avenir. 
— Moi non plus, je n’ai plus de doute. J’ai tellement de chance de t’avoir rencontrée. 

Pour le remercier de son message, je lui ai envoyé une photo de moi en petite tenue. La première. 

— Comment vais-je pouvoir dormir maintenant ? 

J’ai toujours eu honte de mon corps, il me dégoûte un peu. Les fesses et les seins servent d’appât, cette partie-là est facile, mais ensuite il y a tout le reste. Le fait que je chausse du 43 parce que je suis grande, les chevilles qui se transforment en poteaux quand il fait chaud, la culotte de cheval malgré mes joggings du week-end, mes seins donc, mais trop petits à mon goût, mes dents jaunies par le tabac, les cheveux trop fins pour pouvoir tenir en chignon ou autrement qu’effondrés sur les épaules. Avec ce corps, rien d’étonnant que je me sois faite refouler par beautifulpeople.com. Ils m’ont tout de même proposé un programme d’amélioration, avec l’aide d’un chirurgien esthétique de renommée internationale. Mais j’ai dû refuser, je n’avais pas les moyens. 

Je l’ai rencontré sur Tinder. Il était membre depuis quelques jours. Son message de bienvenue était « Je recherche la femme de mes rêves ». Rien que ça, pensais-je. Célibataire, 42 ans, avocat d’affaires, il sentait bon l’homme de pouvoir et les suites d’hôtel dans le monde entier. Ce jour-là, je lui ai envoyé un clin d’œil souriant. Il m’a aussitôt rendu l’amabilité, puis ce fut le calme. L’ordinateur se mettait semble-t-il en mode hibernation, je pouvais sentir l’air glacé de décembre me parvenir depuis la fenêtre restée ouverte. 

J’étais une habituée des sites de rencontre, j’avais grandi avec eux. Et avec Internet, le rouleau compresseur qui les rendait caduques et provoquait des vagues de fermetures ou de fusions. Il y avait eu Meetic, AdopteUnMec, MatchMachin et Tinder, depuis quelques années déjà. Internet m’avait donné accès aux hommes et au sexe, sans me ruiner, je lui en étais très reconnaissante. Mais je n’avais pas trouvé le bon, je lui en voulais aussi un peu. J’aurais payé beaucoup pour avoir ça, sans doute tout le peu d’argent dont je disposais.

Une responsable de communication ne gagne pas lourd, même dans une banque, et l’emprunt étudiant que j’avais contracté pour payer mes études m’avait tenue en laisse jusqu’à presque 35 ans. Je sollicitais parfois l’aide de ma mère, de mes proches, de la façon la plus subtile possible. Quand ils me demandaient ce que j’allais faire le week-end, je leur disais quelle que soit la date : « Rester chez moi, c’est la fin du mois, vous savez... » Les points de suspension, c’était mon fort, je laissais leur conscience décider. J’avais souvent droit à des verres et des restos, parfois à des virements bancaires, selon le ton de ma voix, l’embuement de mon regard, le voile barrant mon sourire. Mais n’allez pas croire que je faisais tout cela consciemment, cette mise en scène, c’était plus fort que moi. Et puis toutes ces largesses, cet argent ne me faisait pas profit, j’étais comme ces échalas qui dévorent et n’ont pourtant que la peau sur les os. L’argent s’évaporait entre mes mains. Les billets de train Paris-Saint-Jean-de-Luz le dispersaient le long du chemin. Je continuais de creuser mon découvert pour aller voir ma mère.   

Elle m’avait donné sa bénédiction.

— S’il est avocat, c’est que c’est quelqu’un de bien. 

Quelqu’un de bien, dans la bouche de mère, veut dire « qui a de l’argent ».

Ma mère m’avait prévenue qu’il fallait faire vite.

— Un homme comme ça doit avoir beaucoup de prétendantes. 

J’étais prête à le partager, je sais fermer les yeux quand j’aime vraiment. À tout moment, je l’aurais rendu à quelqu’un d’autre pour pouvoir le récupérer plus tard. Ce qui comptait, c’était qu’il m’aime. Que je voie passer des éclairs de désir dans ses yeux. Qu’il meure d’amour pour moi. Cet amour, c’était la preuve que je valais quelque chose. Un prix sur une étiquette, une action dont le cours monte sans que l’on comprenne pourquoi. 

Mais il avait vite eu peur de ma promesse, il n’avait pu longtemps supporter d’être aimé comme je voulais l’aimer. L’amour guérit les plaies du passé, et s’il était parvenu à se laisser aimer, rien ne lui aurait plus rappelé désormais ses mauvais souvenirs. 

Le chauffeur me demandait si je partais loin. 

— Moi, je ne pars jamais bien loin. 

Je répondais le moins possible à ses questions. Je voyais qu’il me fouillait des yeux dans le rétroviseur.

— Pourquoi vous me regardez comme ça ?
— Je regarde la route. 

J’ai tourné la tête. La route était noire.

— Je suis très fatiguée. Réveillez-moi quand on sera arrivé. 

J’ai fermé les yeux pour lui faire croire que je dormais. J’entendais l’orage se rapprocher. J’entrouvrais les paupières. Il y avait des éclairs autour de nous. J’aurais aimé être foudroyée, et rester à l’hôpital cocoonée par les infirmières qui auraient interdit aux flics de m’interroger. 

La mémoire est une source de tracas. Si seulement j’avais pu vomir ce souvenir dans la cuve des toilettes, faire disparaître ce meurtre en tirant la chasse. 

Je regardais mon écran d’ordinateur. J’attendais sans rien faire. Alors que je commençais à m’endormir, deux ou trois heures après son dernier clin d’œil, il m’avait envoyé un message, je ne me souviens plus vraiment, j’étais à moitié endormie.

— Tu en as mis du temps ! 
— Ne remue pas le couteau dans la plaie. Je te demande pardon.
— Je te pardonne si tu m’expliques.
— Les aléas de ma profession... 

J’avais trouvé ce mot très habile. C’était un appât, un piège à souris. Le fromage, c’était lui, et je n’avais pas mangé depuis si longtemps. Mais la salle a éclaté de rire quand j’ai expliqué ça au tribunal pour contrecarrer la partie civile qui m’avait traitée de manipulatrice. 

Il travaillait tout le temps, jour et nuit. Il n’avait pas l’occasion de sortir comme tout le monde. Il travaillait, c’est tout ce qui l’occupait. 

— Mais ce n’est pas pour toute la vie !

Il m’a parlé dans le creux de l’oreille avec sa voix grave. Je me suis laissée séduire. Nous n’étions plus que des ombres effacées dans la nuit. Deux rescapés que la vie avait rejetés sur ses rives. 

— J’ai passé une excellente soirée, merci… Fais de beaux rêves.

Il m’a répondu en se déshabillant. Je me suis démaquillée les yeux. Je n’aime pas sortir des bras d’un homme les yeux poissés de rimmel. Il m’a attendue tranquillement après chacune de ses réponses. Je suis allée vers lui nue, à petit pas de jouet mécanique. Il a de nouveau approché sa bouche de mon oreille. Il m’a dit les mots que je voulais entendre. Il a posé ses mains sur mes seins avec les touches de son clavier. Je l’ai rejoint en agitant mes doigts à l’unisson. Nous étions les êtres les plus synchrones de la Terre. Je me sentais bien, et lui aussi, encore aujourd’hui j’en suis persuadée. À chaque message, il riait à en pleurer – si l’on peut croire les emoji.

À un moment je me suis levée en fermant les yeux, il m’avait demandé de le faire. Il le ferait aussi. Face à face, debout sur la pointe des pieds, je l’ai embrassé à pleine bouche. Je voyais l’empreinte rouge de mes lèvres sur les siennes. Il aimait, il attendait mes lèvres comme des oisillons leur festin. J’ai ouvert les yeux. Il a souri.

Nous sommes allés dormir chacun de notre côté. Je me suis réveillée au bruit des messages sur mon téléphone, un son de couteau qui s’affûte. Ma chambre était blanche. Un soleil vif et chaleureux s’immisçait entre les rideaux. Tout autour du lit, au sol, des livres et des magazines qui me rappelaient l’ancien monde, ma vie d’avant. 

Je n’osais pas bouger, j’avais peur de faire fuir mon rêve.

« Guillaume ? »

Je l’appelais doucement. Je croyais qu’il m’observait dans l’embrasure de mon écran illuminé. J’ai attendu immobile. J’étais sur le point de céder à la panique. Il y a eu des passants dans la rue, un choc de mots criés. C’est alors que mon réveil a sonné. Je l’ai regardé, étonnée. Huit heures. Je n’avais pas dormi comme ça depuis longtemps.

— Bonjour Stella, qu’est-ce qui t’arrive ce matin ? Tu as l’air d’avoir vu un fantôme. 

Ma collègue de bureau a bien vu que je n’étais pas dans mon état normal. J’étais heureuse, je crois. 

Il avait dû, lui aussi, se rendre à son bureau. Le lundi matin, tout le monde va travailler, c’est comme ça. 

— Comment était ta journée ?