Amanda en quête d'amour - Laurence Smits - E-Book

Amanda en quête d'amour E-Book

Laurence Smits

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Beschreibung

Amanda a toujours voulu devenir professeure d'anglais, depuis sa plus tendre enfance. En cela, sa mère, Nicole, l'a toujours accompagnée avec amour, malgré son enfance chaotique et sa condition sociale peu élevée. A 17 ans, Amanda voyage pour la première fois en URSS. C'est une découverte fantastique, d'autant plus qu'elle rencontre à Kiev son premier amour, Simon, un jeune Anglais, dont elle tombe follement amoureuse. Après deux ans d'une belle histoire, Simon met fin à leur relation. Amanda a tout juste 18 ans et décide de se consacrer entièrement à ses études à l'université de La Sorbonne, pour noyer son chagrin. Elle aide sa mère à changer de métier et entretient avec elle une relation privilégiée. Lors d'une soirée chez une collègue, elle rencontre Max, un trentenaire beau parleur et à l'aise en société. Elle est sous le charme et se marie avec lui après deux ans de relations. Tout irait bien dans le meilleur des mondes, si Amanda ne devait supporter sa belle-mère envahissante et la passion de son mari, le poker. Heureusement, son fils Sébastien, lui apporte la joie qu'elle ne trouve plus au sein de son couple. Max s'éloigne peu à peu de sa femme pour vivre pleinement sa double vie, jusqu'au drame. Sébastien décède dans un accident alors que son père l'accompagne. Le divorce est inéluctable. Amanda vit un drame absolu, impensable pour une mère et n'a plus aucune raison de vivre. Sa mère tente de l'aider du mieux qu'elle peut et elle reprend peu à peu goût à la vie. Sous les instances de sa mère, Amanda part en croisière en Russie, où elle finit par retrouver Simon, son premier amour. Ils se marient en Angleterre et une petite fille vient combler leur bonheur.

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Seitenzahl: 309

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Chapitre 53

Chapitre 54

Chapitre 55

Chapitre 56

Chapitre 57

Chapitre 58

Chapitre 59

Chapitre 60

Chapitre 61

Chapitre 62

Chapitre 63

Chapitre 64

Chapitre 65

Chapitre 66

Chapitre 67

Chapitre 68

Chapitre 69

Chapitre 70

Chapitre 71

Chapitre 72

Chapitre 73

Chapitre 74

Chapitre 75

Chapitre 1

AMANDA ET MAX

Il est 15 heures 10 en ce samedi 25 juin 1994. Moi, Amanda Laviche, d’une voix effacée, je viens de dire ‘oui’ à Max Berneuil, après deux ans de vie commune, à la mairie de Frémicourt, au cœur de la vallée de la forêt de Montmorency, le village de mes beaux-parents.

-Je vous déclare unis par les liens du mariage, conclut le maire du village. Monsieur Berneuil, vous pouvez embrasser la mariée !

On n’échange pas d’alliances, comme le veut la tradition, car mon tout juste mari a décidé de ne pas en porter. Il tient à garder ses doigts libres de toute attache. L’assemblée applaudit, mais une voix étouffée au fond de la salle se fait entendre :

-T’es sûr vieux que t’aurais pas mieux fait de te casser une jambe, pas vrai ?!

Tout le monde rigole et y va de sa blague, chacun se rappelant sa propre cérémonie de mariage. Nous avons opté pour un mariage civil. J’ai craint d’être mutée en province loin de mon chéri pour mon premier poste d’enseignante titulaire.

J’ai vingt-six ans, j’ai fini mes études et j’ai envie de faire plein de choses. A la grande fierté de Nicole, ma mère, simple caissière dans un supermarché, j’exerce le métier que j’ai toujours voulu faire. Au milieu de mes études à l’université, je suis partie vivre un an dans le Nord de l’Angleterre avant de revenir m’installer en France. J’ai rencontré Max lors d’une soirée chez des amis communs. Ce n’est pas mon premier amour.

Pour mon mariage, je porte un tailleur blanc très simple. Je n’ai pas eu envie de ressembler à une princesse de conte de fée. Je déteste ça. A mes yeux, le mariage, c’est juste un papier que l’on signe devant le maire . Si j’avais été sûre qu’on m’affecte un poste à proximité de mon domicile, jamais je ne me serais mariée. J’aurais préféré continuer à vivre en union libre.

Mon mari a trente ans. Il a atteint l’âge mûr comme on dit. Il n’a pas fait d’études lui. Il est devenu conseiller à la Banque Populaire de Tabernais, à huit kilomètres de chez ses parents. Voyager, rencontrer des inconnus et parler des langues étrangères, ce n’est pas vraiment pas pour lui.

Il m’a aperçue lors d’une réception chez des connaissances. Je paraissais seule, il a engagé la conversation. Il a beaucoup parlé ce soir-là et j’ai été séduite par son humour. Il sortait tout juste d’une relation houleuse de deux ans.

Pour notre mariage, il a ressorti le costume gris qu’il portait pour le mariage de son dernier frère un an avant le nôtre. Il se marie comme il irait à une soirée avec ses potes. Il ne peut pas vivre sans eux.

Je n’ai pas voulu de réception somptueuse pour mon mariage. Je n’ai pas souhaité une cérémonie extravagante avec robes longues, chapeaux et hauts de forme. J’aime les choses simples et discrètes, d’autant que nous venons juste avec Max de louer un nouvel appartement au douzième étage d’une résidence récente et luxueuse du centre-ville de Fronville.

Dans l’euphorie du moment, tout le monde porte un toast aux jeunes mariés que nous sommes.

-Vivent les mariés ! Max un discours, un discours ! entend-t-on parmi les invités.

L’alcool coule à flots. Max, assis à côté du tonneau de vin rouge, sert généreusement ses invités dans le jardin de la belle propriété de ses parents.

-Je n’ai rien préparé, je ne sais pas quoi dire. Vous savez ce que je pense du mariage, alors j’ferai pas de grand discours. Amusez-vous, profitez, c’est pas tous les jours que je me marie…

Il enchaîne avec ses anecdotes fétiches et fait rire tout le monde.

J’ai tenu tête à ma belle-mère pour le nombre d’invités. Si j’avais pu tout décider moi-même, seuls nos parents et nos témoins auraient été présents. Quand j’ai suggéré cette solution, la famille de Max s’est insurgée. Lui, il est contre le mariage mais il aurait suivi l’avis de sa mère pour des noces en grandes pompes.

Ma belle-mère, Ghislaine, a ajouté son grain de sel, offusquée :

-Comment ça, un mariage en petit comité ? Ça ne se fait pas dans notre famille ! On vient du Nord et dans le Nord, on guinche ! Et pas de cérémonie à l’église en plus ! J’hallucine ! Je ne le crois pas ! Je vais devenir folle ; c’est quoi ces idées ? On a de l’argent, tu sais, nous, pour tout payer!

Je voulais me marier sans chichi et sans tralala. J’ai dû capituler en partie devant tant d’incompréhension. Néanmoins, contrairement à Max qui a fêté dignement l’enterrement de sa vie de garçon avec ses copains, j’ai refusé d’enterrer ma vie de jeune fille au grand dépit de mes copines.

-Mais, Amanda, tu ne vas pas porter une robe de princesse en dentelle le jour de ton mariage ? a été la seule préoccupation de ma belle-mère lors des préparatifs. Et la pièce montée ? T’en veux pas non plus ? C’est quoi ce mariage ? Tu veux un mariage au rabais, c’est ça?

J’aurais aussi voulu faire l’impasse sur les faire-part, sur le vin d’honneur. J’ai quand même gagné sur le restaurant : ma belle-famille a payé les services d’un traiteur qui officie chez eux.

Ghislaine a passé son temps à me culpabiliser, une fois mon choix arrêté sur mes préférences. Ma mère a approuvé mes décisions en silence. Elle n’a pas voulu faire d’histoires et envenimer la situation.

-Je n’aime pas les fêtes obligatoires ni les traditions imposées. Je préfère faire mes propres choix. Ce n’est pas un crime, je suis comme ça, n’ai-je cessé de répéter à la mère de Max pendant plusieurs semaines.

J’ai tenté de convaincre mon beau-père, Gérard, qui n’a pas pris position. Il ne se mêle jamais d’aucun détail domestique, laissant cela à son épouse, parfaite dans ce rôle.

Pour mon voyage de noces, j’aurais bien aimé partir dans un pays tropical à l’autre bout de la planète et me baigner dans un lagon bleu. Je m’y voyais déjà et j’ai amené une quantité impressionnante de brochures de l’agence de voyages. Mon mari a une autre envie.

- Amanda, qu’est-ce que tu veux que j’aille faire à des milliers de kilomètres de la France ? Depuis que je suis gamin et depuis deux ans qu’on vit ensemble, on part toujours en vacances en famille sur l’île d’Oléron. Pourquoi tu voudrais qu’on change cette année parce qu’on s’est mariés ?

- Max, c’est notre mariage justement. Tous les couples partent pour une destination lointaine pour leur lune de miel. J’ai envie qu’on soit ensemble, rien que nous deux pour une fois mon chéri, juste toi et moi à se prélasser sur une plage des Maldives par exemple!

-Ma puce, tu le sais bien, dans ma famille, pour les vacances, la tradition, c’est l’île d’Oléron. On n’a jamais rien visité d’autre, pourquoi faire ?

Chapitre 2

NICOLE ET AMANDA

Un soir d’hiver, je devais avoir alors dix ans, ma mère a ressenti le besoin de parler de sa jeunesse et de raviver ses souvenirs. Nous étions au coin du feu, une couverture de laine sur nos genoux.

Elle sortit, du fond de son armoire en bois, une boite en carton, qu’elle gardait précieusement. Elle en extirpa des photos jaunies.

- Tu avais quel âge déjà quand tu es arrivée ici à Gonzaville, maman ? tentai-je de me souvenir.

- Quatre ans, j’avais quatre ans. Je vivais à Vire en Normandie avec mes parents. Un soir, les Allemands ont bombardé la ville.

- Tu te souviens de tes parents ?

- Ma mère, Marceline et mon père Michel sont arrivés à Vire, mais je ne sais pas pourquoi ils étaient là-bas au début de la guerre au lieu d’être restés avec Pépé et Mémé ici à Gonzaville. Je n’ai aucun souvenir précis de mes parents.

- Tes parents, il faisaient quoi alors en Normandie, tu le sais?

-Ce que je sais, c’est que mon père travaillait aux champs et ma mère s’occupait de l’étable et du bétail. En échange, les fermiers chez qui ils logeaient leur donnaient à manger.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé le soir où tes parents sont morts, maman ?

- Le 6 juin 1944, tu vois, ça fait longtemps, les Allemands ont bombardé toute la ville. Quatre cents habitants sont morts ce soir-là. Tes grands-parents faisaient partie des victimes. On n’a jamais retrouvé leur corps !

- Mais, c’est horrible ! Comment tu as quitté cette ville alors ?

- Une voisine m’a recueillie chez elle et s’est occupée de moi. Après, j’ai atterri chez Pépé et Mémé. Ne me demande pas comment, je n’en sais rien !

- Tu as des souvenirs de cette période ?

- Non, aucun. Je ne me souviens de rien.

- Tu as des photos de tes parents, dis ? J’aimerais bien les voir ! Tu sais quoi sur tes parents alors ?

-Pas grand-chose à vrai dire ma chérie. Mémé n’a jamais voulu me dire ce qu’ils étaient partis faire en Normandie au début de la guerre. Je crois qu’elle n’appréciait pas beaucoup mon père. Je n’ai d’ailleurs aucune photo de lui ni de mes parents le jour de leur mariage. Je ne sais même pas à quoi ils ressemblaient ce jour-là!

- Tu te souviens bien de Pépé et de Mémé Normandin, mes arrière-grands-parents, c’est ça ?

- Oui, oui, tu as bien retenu. Ils m’ont élevée, mais qu’est-ce qu’ils pouvaient se disputer! Ils ne faisaient que ça, surtout le soir. Je ne peux pas dire qu’ils se détestaient, mais ils avaient plutôt pris l’habitude de communiquer comme ça. Ils ne parlaient pas beaucoup, tu sais. Pépé se comportait en chef de famille et il fallait faire ce qu’il avait décidé. Il ne rigolait pas trop en ce temps-là.

- Il était comment le Pépé alors ?

- Il était parfois un peu brutal, surtout quand il avait bu un coup de trop, ce qui arrivait souvent. Tu sais, les hommes buvaient pas mal à cette époque. On aurait dit que le vin coulait aux robinets, je t’assure ! Dans ces moments-là, Mémé et moi, on devait se taire et se faire toutes petites. ! Quand Pépé avait cuvé son vin, c’était le plus gentil des hommes ! Il s’énervait vite, un peu soupe au lait tout de même. Je me demande même s’il n’était pas un peu jaloux.

- Il y avait des supermarchés comme maintenant pour faire les courses après la guerre ?

- Oh, là, pas du tout, ça n’existait pas. Je me souviens que Mémé avait du mal à trouver de quoi manger. Et puis, chaque famille avait des tickets de rationnement et les gens ne pouvaient pas acheter ce qu’ils voulaient. Il n’y avait quasiment rien !

- Et à l’école, c’était comment ? demandai-je en observant attentivement une photo de ma mère devant l’école. Tu avais quel âge sur cette photo ?

- Environ huit ans, je crois. Moi, j’étais dans une école pour filles. A mon époque, on n’était pas mélangées avec les garçons comme maintenant. Autrement, je n’aimais pas aller à l’école.

- Ah bon, pourquoi ?

- Les filles se moquaient souvent de moi parce que j’étais orpheline et que je n’osais pas parler devant les autres. Mes maîtresses étaient très sévères. On ne pouvait pas bouger le petit doigt sans se faire punir tout de suite !

- Eh ben dis-donc, ce n’était pas rose tous les jours !

- Ah non, ça, tu peux le dire ! Mémé Mireille ne pouvait pas m’aider avec mes devoirs, alors je n’avais pas trop de bonnes notes. Et puis, je l’aidais beaucoup quand je rentrais de l’école. Je jardinais avec elle, je m’occupais des poules et des lapins.

- Tu avais des poules et des lapins, c’est dingue, ça ? J’aimerais bien en avoir !

- Ah non, je t’arrête tout de suite ma chérie, c’est trop de travail. J’ai trop de mauvais souvenirs avec ça et je suis toute seule pour tout faire.

- Pépé et Mémé, ils étaient gentils avec toi ?

- Pépé et Mémé, je les aimais bien, je n’avais qu’eux, tu sais. Ça fait dix ans qu’ils ne sont plus là. Ils sont morts avant ta naissance. Ils étaient adorables avec moi, mais c’étaient des taiseux, on ne peut pas dire le contraire. Ils ne s’occupaient pas vraiment des problèmes que j’avais à l’école. Ils avaient d’autres chats à fouetter. Crois-moi, en ce temps-là, la vie n’était pas si facile.

- Oh, regarde sur cette photo, c’est Kopi tout bébé ! Qu’est-ce qu’elle est mignonne !

- Je l’ai adoptée quand Mémé est morte, je me sentais bien seule pendant que je t’attendais.

- Qu’est-ce que tu faisais quand tu étais enceinte de moi?

- Je travaillais au supermarché pardi, mais avant, c’était une supérette, c’était plus petit que maintenant. Je lisais beaucoup de romans d’amour, ça n’a pas changé. Je tricotais pour toi aussi. Si tu veux, je pourrais te montrer toute ta layette, j’ai tout gardé !

- Mémé aussi tricotait ?

- Oh là, oui, c’est elle qui m’a appris tous les points importants, et le crochet aussi. Si tu veux, un jour, je t’apprendrai.

Ces évocations rendirent ma mère nostalgique et elle mit un certain temps avant de revenir à mes côtés. Son regard se perdit longtemps dans la danse des flammes.

-Une seule fois, j’ai demandé à Mémé de me parler de mes parents. Je voulais savoir comment ils étaient, ce qu’ils faisaient avant la guerre, comment ils s’étaient rencontrés, s’ils s’aimaient vraiment.

-Et qu’est-ce qu’elle t’a dit Mémé alors?

-Disons plutôt qu’elle s’est mise en colère ce jour-là quand je lui ai demandé, je ne sais pas pourquoi et je n’ai plus osé lui poser des questions. Je n’ai plus jamais rien demandé. Pourtant, j’aurais bien aimé savoir. A leur mort, quelques mois avant ta naissance, j’ai découvert au fond d’un placard des photos de ma mère, Marceline. Tu ne peux pas savoir comment elle était belle ta grand-mère, dans les années trente , une vraie jeune fille ! Je crois que je lui ressemble un peu, mais les yeux verts, ça, c’est sûr, ça ne vient pas de la famille Normandin. On me l’a assez répété !

Là, je l’entendis renifler un peu ; des larmes perlaient sur ses cils :

-Le plus dur, c’est de ne pas pouvoir m’incliner sur leurs tombes. J’aurais aimé leur raconter ma vie, leur parler de leur petite-fille, leur dire comment tu es belle et intelligente. C’est terrible, on n’a pas retrouvé leurs corps après le bombardement. Je me doute que Mémé ne s’est jamais remise de ça. Ma mère, c’était leur seule enfant. Je l’ai un peu remplacée, je crois.

Je me tus. J’attendis que ma mère continue :

-En plus de tout ça, après la guerre, on a vécu le rationnement et la pénurie, comme je te l’ai dit tout à l’heure. Pépé et Mémé essayaient de mener une vie normale, mais rien n’était plus comme avant. Le quotidien était dur comme tu ne peux pas imaginer, mais ils arrivaient à rire tout de même. Je me souviens de ces parties de belote endiablées quand ils jouaient avec leurs voisins. Ça finissait toujours en cris, en accusations de tricherie. Mais, le dimanche suivant, ils recommençaient, ils ne pouvaient pas s’en empêcher.

-Maman, tu n’avais pas des oncles et tantes ou des cousins, parce que tu ne m’en a jamais parlé ?

-Pépé et Mémé étaient partis dans les années trente de leur région d’origine. Ils venaient du Nord. On y allait si rarement que j’en garde des souvenirs flous. Ils n’ont jamais eu de voiture. Et le train, ça leur faisait peur. Je n’ai pas de souvenir précis de mes cousins. Je ne sais même pas où ils habitent exactement. Je ne sais pas comment mes grands-parents ont atterri ici en banlieue. Pépé est devenu cantonnier de la ville. Je l’ai toujours connu à faire ce métier. A mon époque, Gonzaville était une petite ville sans prétention, pas la ville que c’est devenu maintenant. Ça n’a plus rien à voir du tout. Allez, au lit, il est l’heure d’aller te coucher, ma chérie ! Tu ne lis pas trop longtemps ce soir, il est déjà tard !

Chapitre 3

AMANDA ET MAX

- Tu verras ma puce, tu vas finir par l’adorer mon île, m’explique Max durant le trajet de six heures qui nous sépare de notre lieu de vacances. Je te préviens, je ne change pas mes habitudes, mariage ou pas. On arrive toujours pour le petit-déjeuner. C’est la tradition. Alors, je vais appuyer un peu sur le champignon. Ça va être super ma puce. Tu vas A…do…rer, comme d’habitude !

Max est tout excité à l’idée de rejoindre son île fétiche, celle de son enfance et de ses escapades de gamin, et de m’y emmener pour notre voyage de noces.

Quatre semaines de plage, de soleil, de balades, de farniente et de la famille Berneuil. En juillet, toute la famille se réunit, comme il se doit. C’est la tradition.

C’est l’euphorie, sauf pour moi, la dernière arrivée dans le clan. Je n’ai pas l’habitude des grandes familles ; depuis deux ans qu’on est ensemble, je n’arrive pas à m’y faire. Max a deux frères et une sœur, six neveux et nièces. Tout le monde vient avec ses chiens, ses chats. Je n’aime pas tout ce bruit, les repas qui s’éternisent, les sorties obligatoires, le manque d’intimité et encore moins les conversations haut perchées de ma belle-mère.

- Alors, bon voyage ma cocotte? me demande ma belle-mère la portière à peine ouverte.

-Tu parles ! pensé-je en silence. Oui oui, Ghislaine, ces six heures de route, ça se fait assez vite tout compte fait! , je réponds sur un ton mi-mielleux mi-fatigué.

-Tu le sais déjà, l’île d’Oléron, on la surnomme ‘La Lumineuse’. Tu vas finir par l’ A-DO-RER ! Tu finiras par aimer la maison aussi. ‘La Glorieuse’, c’est son nom, tu te rappelles. Elle vient de ma famille. Mon père l’a construite de ses mains dans les années soixante pour y venir en vacances avec toute sa famille. Avec Gérard, on a agrandi la maison. Bref, tu connais l’histoire ! Nous, on aime passer tous nos étés ici. Les enfants et les petits-enfants adorent. Tu vas voir, toi aussi tu finiras par A-DO-RER venir ici…

J’écoute le verbiage de ma belle-mère d’une oreille distraite. Je me sens déjà étouffer alors que je viens juste d’arriver. Comment vais-je tenir quatre longues semaines, telle est la question ?

Que vais-je découvrir puisqu’on fait toujours les mêmes activités depuis que je connais Max ? Heureusement que j’ai pensé à apporter une grosse pile de livres. Enfin, si on me laisse le temps de lire !

Courses. Repas. Plage. Jeux sur la plage. Les apéros, c’est sacré. Barbecue. Belote. Le bruit. Les cris des enfants. Aucune intimité. Impossible de s’isoler. Je feins parfois d’être fatiguée pour être seule quelques instants dans ma chambre.

-Oh, mais tu nous couverais pas quelque chose, toi ! Tu ne serais pas enceinte par hasard ? Petite cachotière va! En tout cas, ça me ferait bien plaisir à moi d’avoir un autre petit Berneuil ! Tu sais, la fatigue, c’est un des premiers signes de grossesse…et patati et patata…

Ghislaine n’arrête jamais de pérorer. C’est son sport préféré, surtout les potins sur les stars.

-Demain, on fait le tour de l’île en voiture, ma puce. -Max, je connais déjà l’île. Ça fait deux ans que j’y viens avec toi !

- La tradition, c’est la tradition, ma puce. On va aller du côté de Fort Boyard. Ça te dirait une virée en bateau autour du fort ?

- Pas plus que ça ! Tu sais que j’ai mal au cœur en bateau !

- Après, pour nous ouvrir l’appétit avant l’apéro, on ira manger des huîtres. Celles de Marennes-Oléron, c’est les meilleures, y a pas photo !

- Max, tu sais bien que je ne peux pas en manger, je suis allergique !

- Pas grave, ma chérie, tu nous regarderas les engloutir. J’en mangerais bien tout le temps moi ! Après la sieste, on ira se balader du côté du phare de Chassiron. On ira tous à vélo pour une fois !

A écouter Max, l’île d’Oléron est la huitième merveille du monde. Il me rabâche la même chose depuis deux ans.

Je dois aussi suivre les prouesses de char à voile de mon mari. C’est un sportif, mais du genre à crâner devant les autres, surtout pendant les vacances, juste pour raconter ses exploits devant ses collègues et revenir tout bronzé à la banque.

-Allez, ça te dirait d’essayer le char à voile, ma puce ! Tu vas voir, tu vas t’éclater ! Qu’est-ce que je me marre , me lance Max essoufflé en amorçant un virage difficile.

- Max, j’ai besoin de calme un peu et d’une pause en amoureux, rien que tous les deux, main dans la main, au bord de la plage, quand le soleil se couche.

Mon mari n’entend pas mes paroles qui s’envolent avec la douce brise.

Comment pourrais-je faire comprendre à mon mari que j’ai besoin d’autre chose ? Le romantisme et lui, ça fait deux ! Pour moi, l’amour, c’est comme dans les livres que ma mère a toujours lus, ça se termine toujours bien !

Je maugrée en silence. Je ne fais pas le poids face à la famille Berneuil et encore moins face à ma belle-mère à la stature imposante, avoisinant à peu de choses près le quintal.

Chapitre 4

NICOLE ET AMANDA

-Maman, maman, j’ai mon carnet de notes, regarde, j’ai que des notes au-dessus de quinze !

- Bravo ma chérie, je suis fière de toi, me dit ma mère en me gratifiant d’un gros bisou.

- Toi aussi, tu avais des bonnes notes à l’école ?

- Oh que non, je t’ai déjà dit que je n’étais pas une bonne élève comme toi. Les maitresses que j’avais étaient trop autoritaires, ça ne me convenait pas du tout. Elles me grondaient tout le temps.

- Ah bon, mais pourquoi ? Qu’est-ce que tu faisais de mal ?

- J’avais du mal à progresser en français et en calcul. J’ai eu beaucoup de punitions et de lignes à copier le soir. Je tachais régulièrement mes cahiers avec l’encre violette qu’on utilisait à l’époque pour écrire. A force de gommer, je faisais des trous dans la feuille. Ça faisait enrager la maîtresse à chaque fois, expliqua ma mère, un sourire aux lèvres. A chaque fois que je me faisais gronder, je rentrais à la maison en pleurant. Et quand je pleurais à cause de l’école, je devenais une vraie cascade, Mémé ne pouvait plus m’arrêter.

- Ca ne devait pas être drôle tous les jours, pauvre maman. Et dans la classe, ça a beaucoup changé par rapport à maintenant ?

- Comme dans ta classe, c’était un tableau noir; je me souviens que les craies grinçaient quand la maîtresse écrivait la leçon de morale quotidienne. Elle se tenait toujours bien droite sur une estrade en bois et on avait des pupitres en bois aussi. Ça sentait bon dans la classe! On était trente-six fillettes à se tenir bien droites. On devait surtout obéir à la maîtresse. Ça ne rigolait pas, crois-moi ! Je me suis déjà pris des coups de règle en bois sur les doigts. Tu peux pas savoir comment ça fait mal !

- Ah bon, les maîtresses tapaient les élèves ?

-Oh que oui, Amanda et plus d’une fois qu’une ! Les institutrices et les instituteurs de l’époque étaient sévères et leur seul objectif était la réussite de leurs élèves au Certificat d’études qu’on passait à quatorze ans à mon époque. Je n’aimais pas trop l’école et les leçons à apprendre bêtement par cœur. Je n’ai jamais gagné aucun prix d’ailleurs et je ramenais peu de bons points.

- Je n’aurais pas aimé être élève dans ton temps, dis-donc !

- Moi, je n’avais pas le choix. Certains midis, je me rappelle, tu vois, j’ai aussi de bons souvenirs, donc, je me rappelle qu’on faisait « péter » des pommes de terre l’hiver sur le poêle qui trônait au milieu de la salle. Ça sentait bon, tu ne peux pas savoir. C’était un super moment !

- Et ton Certificat d’études, tu l’as eu alors ?

- Oui, mais de justesse. Après, à quatorze ans, j’ai quitté l’école.

- Tu es partie de l’école à quatorze ans ? C’est dingue ça !

- Tu sais, Pépé et Mémé n’avaient pas les moyens de me payer des études ou une formation. On a ouvert une supérette dans la ville. Je devais travailler, alors j’ai été embauchée comme caissière. C’était ça ou l’usine. J’ai préféré le magasin, et tu vois, j’y suis encore, après toutes ces années ! Quand on n’a pas le choix ! J’ai toujours fait le même métier en fin de compte !

-Tu n’as pas envie d’avoir un autre métier que caissière maman?

- Ce n’est pas que j’aime beaucoup ce boulot, mais j’ai mes petites habitudes après toutes ces années et ça me convient. Et qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ? Je n’ai pas fait d’études, et à mon âge…

-Mémé n’a pas voulu que tu fasses des études ?

- Ce n’est pas ça. Les études, en mon temps, on n’en parlait pas. C’était bon pour ceux qui avaient des sous.

Et puis, je préférais sortir avec mes copines.

- Mémé te laissait sortir le soir avec tes copines ? demandai-je, éberluée.

- Pas vraiment. Elle me surveillait comme l’huile sur le feu. Elle ne voulait pas trop que je m’habille non plus à la mode des années soixante ni que je me maquille.

- Qu’est-ce qu’elle disait?

- Elle me répétait souvent en bougonnant: ‘c’est pas bien de t‘habiller court vêtue comme ça, ma fille. Tu vas attirer les garçons. On montre pas ses gambettes toutes nues, ça se fait pas !’

- Et toi, tu lui répondais quoi alors ?

- J’essayais de la convaincre : ‘grand-mère, c’est la mode, enfin ! Toutes les filles portent des jupes courtes et veulent ressembler à Brigitte Bardot. Et puis, j’ai vingt ans tout de même Mémé. Je pourrai peut-être avoir un copain, il serait temps, tu crois pas ?’

- Tu avais un copain toi à tes vingt ans ?

- Oh là là, je n’en avais pas le droit. J’avais le droit de me marier, mais pas d’avoir un copain. Mémé me disait toujours que j’allais finir mère célibataire avec mes idées révolutionnaires. Elle ne comprenait rien aux idées des années soixante, elle était trop vieille, ce n’était plus de son temps, c’est sûr !

- Tu sortais quand même ou pas alors ?

- Disons que je me sentais coupable de la laisser seule à la maison. Pépé était mort déjà, et elle n’y voyait plus trop bien. Les voisins guignaient aussi ; ils auraient tout répéter à Mémé s’ils avaient vu un homme entrer dans la maison, même si elle n’entendait plus trop.

- Finalement, tu as eu un copain ou pas alors ?

- Oui, bien après, mais pas longtemps et c’était ton père !

Chapitre 5

AMANDA ET MAX

- Enfin, nous voilà de retour à la maison, j’avais hâte de retrouver notre chez nous ! dis-je à mon mari alors que nous entassons nos valises dans l’ascenseur.

Max me regarde à la dérobée, se posant mille questions.

-Si passer des vacances avec ma famille te fatigue tant que ça, fallait pas venir !

- Ce n’est pas la question de ta famille Max, mais il y a toujours beaucoup de bruit quand on est tous ensemble. J’aurais aimé passer un peu de temps ailleurs !

- Nous y revoilà ! Ma famille te soûle, l’île d’Oléron te soûle, et moi aussi j’te soûle peut-être ?

- Tu interprètes toujours ce que je dis, c’est fatigant à la fin et ce n’est pas ce que j’ai sous-entendu, je réponds en l’enlaçant pour désamorcer la dispute dans l’œuf alors que l’ascenseur arrive au douzième étage.

Une fois les bagages bien rangés, je prends une pause sur le balcon, l’horizon dégagé devant moi et la ville qui s’étend à mes pieds.

-Tu sais chéri, pendant que tu vas travailler à la banque, moi je vais préparer mes cours. La rentrée approche à grands pas !

- T’as le temps, ce n’est que dans un mois. J’aime pas bosser à la banque moi quand mes potes sont en vacances, se plaint Max une bière à la main. Je n’aime pas l’été à vrai dire, en dehors de mon île. C’est trop calme, tout le monde est parti et mes parents restent sur l’île, les veinards!

- Ça va passer vite tu sais, quatre petites semaines, et hop, tu reprendras ton train-train habituel. Moi, je vais être au calme toute la journée, ça va me faire un bien fou !

- Ah non, tu ne vas pas remettre ça avec tes sous-entendus !

- Ne sois pas aussi soupe au lait Max. C’est ma première rentrée et c’est hyper important pour moi de la réussir. Alors oui, j’ai besoin de calme pour réfléchir et me reposer. Ça fait plus de …combien de temps déjà que je ne me suis pas retrouvée seule ? C’est bête, je ne m’en souviens pas ! je plaisante, heureuse d’avoir retrouvé mon chez-moi.

- Rassure-moi, rétorque Max du tac au tac, ce n’était pas dans une autre vie au moins ? Ou alors c’était du temps où tu vivais chez ta mère et que je t’ai enlevée à ta vie de célibataire ! rétorque-t-il sans s’offusquer pour une fois.

Avant de réussir mon concours d’enseignante, j’ai travaillé dans une école privée préparant au BTS comptabilité pendant deux ans à Paris, tout en potassant mes cours.

Enseigner l’anglais, c’est ma vocation, depuis l’âge de neuf ans. Cela a toujours été mon rêve, alors que je ne savais même pas ce qu’était la langue anglaise. Ma mère voulait que j’étudie l’allemand en première langue au collège, dès la 6e. Sur le questionnaire en fin de CM2, j’ai barré ce qu’elle avait mis et j’ai coché ‘anglais’ sans lui dire. J’ai eu raison.

C’est inespéré pour moi d’avoir obtenu un poste au lycée de Tavernais. Au moins, je ne suis pas à l’autre bout de la France, loin de mon mari et de ma mère.

-C’est chouette que tu bosses à Tavernais, comme ça, tu pourras venir manger avec nous et Max le midi, a immédiatement proposé ma belle-mère quand elle a appris la bonne nouvelle, sur un ton qui s’apparente à un ordre déguisé.

-C’est gentil, belle-maman, mais je vais profiter de ma pause déjeuner pour corriger mes copies et bavarder avec mes collègues. J’ai besoin d’un peu de temps pour souffler et souvent, je n’ai qu’une heure, pas plus, ai-je tout de suite rectifié.

Ghislaine a réagi en se pinçant les lèvres, mauvais signe chez elle. Elle n’apprécie pas les rebuffades, encore moins émanant d’une personne extérieure à sa famille.

-Chéri, tu n’aurais pas eu envie de faire des études après tes années de lycée ? je demande à Max avant qu’il ne parte faire sa sieste.

- Je t’arrête tout de suite ma puce, l’école et moi, on n’a jamais été vraiment copains. Moi, tu le sais bien, j’ai besoin de bouger et de parler. Alors rester assis et se taire à longueur de journée, trop peu pour moi ! J’ai eu du bol, j’ai pas eu besoin de faire de formation ou d’études pour devenir conseiller à la banque. A mon époque, on recrutait directement après le bac. Je vais me reposer avant que mes potes n’arrivent. C’est notre dernière soirée poker avant leurs vacances.

Être au guichet permet à Max de voir de jolies femmes. Il est un brin dragueur et le fait qu’il soit marié ne l’embarrasse nullement. Il ne porte pas d’alliance, c’est plus pratique. Il a juste dit ‘oui’ devant monsieur le maire ; il n’a pas non plus signé un contrat pour rester moine.

Lui, sa passion dans la vie, c’est de jouer à toutes sortes de jeux avec ses copains, surtout au poker. Voir du monde, raconter des blagues, boire en même temps, ce sont ses occupations favorites.

-Eh, ma puce, tu nous rejoins pour faire une partie de poker, au lieu de rester toute seule clouée sur ta chaise à travailler ? lance Max dans la soirée à travers l’appartement. Tu fais ta sauvage ou quoi ? Pierre et Sébastien aimeraient bien profiter un moment de ta si précieuse compagnie !

Je me rapproche du groupe et je m’efforce de montrer un visage jovial pour éviter les reproches de fin de soirée arrosée :

-Chéri, tu sais que je n’aime pas jouer à ce jeu. Je joue mal et franchement, ce soir, j’ai besoin de calme. C’est mieux que vous restiez entre vous. Moi, je vais vous ralentir et vous embêter avec mes questions pour savoir quoi jouer.

Je vais me poser sur le balcon au soleil couchant. Le spectacle est grandiose et je reste tranquille à l’admirer. Il y a des jours où je me pose des questions sur ce qui m’a attiré chez Max.

J’aime le calme, lui l’agitation. J’ai peu d’amis ; il collectionne les copains, les mêmes depuis toujours. Je préfère rester tranquille chez moi ; il adore sortir, surtout pour jouer. J’aime lire ; il ne regarde que la télévision. Je déteste le sport sur le petit écran ; il ne rate aucun match de foot avec ses frères. J’aime les soirées en tête-à-tête ; pas lui. J’aime la vie simple, au calme. Lui, c’est tout le contraire.

Je sais que ma mère n’apprécie pas son gendre : trop bruyant, trop bavard, trop joueur, trop ‘famille Berneuil’. Nous parlons régulièrement de mon couple ensemble. Elle respecte mes choix depuis mon enfance, mais elle m’a déjà dit qu’elle ne me voyait pas finir ma vie avec le mari que je me suis choisi.

Chapitre 6

THOMAS, NICOLE ET AMANDA

Ma mère ne m’a jamais rien caché sur mon père, mort avant ma naissance. Il s’appelait Thomas Lavergne et on le surnommait ‘Tommy la cahute’. J’aimais bien discuter avec elle le soir, après le diner. Je lui ai toujours posé plein de questions.

-Maman pourquoi est-ce qu’on surnommait mon père ‘Tommy la cahute’ ? Est-ce que tu le sais toi ?

-Oui, bien sûr. Je n’ai pas connu ton père très longtemps, tu le sais, je te l’ai déjà dit. Il m’a raconté qu’enfant, il construisait des cabanes dans les bois proches de chez lui. Rappelle-toi qu’à notre époque, à la fin des années soixante, les villes de banlieue n’étaient pas aussi étendues que maintenant. Il y avait des champs un peu partout et on pouvait se promener dans les bois.

- Il habitait où déjà ?

- A Montmorency. Ce n’était pas vraiment loin de Gonzaville sur une carte routière, mais ce n’était pas pratique d’y aller sans voiture.

- Tu crois que ses parents accepteraient de me voir ?

- Je ne sais pas du tout, ma chérie. Quand je suis allée les rencontrer enceinte de six mois, ça s’est très mal passé. Ils m’ont ouvert la porte avec froideur. Depuis, je ne les ai jamais recontactés, ni par courrier, ni par téléphone.

- Ils t’ont dit quelque chose de méchant ?

- Disons qu’ils n’ont pas cru que leur fils était le père de l’enfant que je portais. J’entends encore les mots de Madame Lavergne – ‘rien ne nous prouve que notre fils soit le père du moufflet que vous portez. Nous, on n’en veut pas de votre bâtard !’. C’est à ce moment-là que j’ai appris que Thomas était mort à moto sur une route américaine. Sa mère est allée jusqu‘à m’accuser de la mort de ton père, tu sais et elle m’a claqué la porte au nez. Crois-moi que j’ai eu du mal à m’en remettre !

- Tu ne savais pas qu’il était mort ?

-Comment je l’aurais su ? Je l’ai cherché dès que j’ai su que j’étais enceinte de toi. J’ai voulu lui annoncer la nouvelle, mais il avait disparu. Je n’ai jamais réussi à le retrouver. J’ai fait le tour de ses planques et de ses amis. Personne ne savait où il était parti. J’ai pleuré pendant des jours et des jours. Je me retrouvais toute seule. Mémé est morte juste avant que je ne rencontre ton père.

- Pourquoi il est parti aux Etats-Unis alors ?

- Il ne supportait plus sa famille. Ses parents voulaient qu’il fasses des études et lui, il voulait vivre sa vie, comme les hippies étaient à notre époque. Il désirait surtout être libre de ses mouvements. Il est parti à vingt-et-un an, à sa majorité. Il a pris un train pour Paris et hop, ses parents ne l’ont plus jamais revu.

- Il travaillait pour gagner sa vie ? Il faisait quoi comme métier ?