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Les Gardiens de la Nuit, comme Aiden, sont immortels et capables de se rendre invisibles. Ils protègent les humains du sombre pouvoir des Démons de la Peur depuis des siècles. Cependant, ces derniers pourraient bientôt avoir entre leurs mains un outil puissant pour séduire les humains et les pousser vers le côté obscur : un élixir qui devra être fourni par la scientifique humaine Leila. À son insu, le médicament qu'elle met au point pour guérir la maladie d'Alzheimer a pour effet secondaire inattendu d'affaiblir la résistance de l'esprit à l'influence des Démons. Alors qu'Aiden accepte la mission de protéger Leila, un désir interdit naît entre eux, et ils sont forcés de compter sur les seules personnes en qui ils peuvent avoir confiance : l'un et l'autre. Mais même s'il peut la sauver des Démons, une union entre eux pourrait être l'entreprise la plus dangereuse de toutes. ⭐️ ⭐️ ⭐️ ⭐️ Lara Adrian, auteure de la série Midnight Breed, best-seller du New York Times : "Préparez-vous à une aventure fantastique ! Les Gardiens de la Nuit sont la seule chose qui se dresse entre l'humanité et une race démoniaque déterminée à dominer le monde. Pour une romance paranormale au rythme effréné et aux enjeux majeurs, ne manquez pas d'ajouter Tina Folsom à votre liste de lectures à ne pas manquer !" Gardiens de la Nuit Amant Révélé (#1) Maître Affranchi (#2) Guerrier Bouleversé (#3) Gardien Rebelle (#4) Immortel Dévoilé (#5) Protecteur Sans Égal (#6) Démon Libéré (#7) Les Vampires Scanguards Le club des éternels célibataires Hors d'Olympe Les Vampires de Venise Nom de Code Stargate La Quête du Temps La série Gardiens de la Nuit a tout pour plaire : des coups de foudre, des ennemis devenus amants, de jolies rencontres , des héros alpha, des compagnons prédestinés, des gardes du corps, une bande de frères, des demoiselles en détresse, des femmes en danger, une identité cachée, l'invisibilité, des âmes sœurs, des héros torturés, un écart d'âge, un amour de la seconde chance, un amant en deuil, le retour d'entre les morts, un bébé secret, des enlèvements, des amis devenus amants, un admirateur secret, le dernier à savoir, un amour non partagé, un amour interdit, des partenaires dans la lutte contre la criminalité.
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Seitenzahl: 491
Veröffentlichungsjahr: 2025
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LES GARDIENS DE LA NUIT - TOME 1
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Épilogue
Ordre de Lecture
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À propos de l’auteur
Les Gardiens de la Nuit, comme Aiden, sont immortels et capables de se rendre invisibles. Ils protègent les humains du sombre pouvoir des Démons de la Peur depuis des siècles. Cependant, ces derniers pourraient bientôt avoir entre leurs mains un outil puissant pour séduire les humains et les pousser vers le côté obscur : un élixir qui devra être fourni par la scientifique humaine Leila. À son insu, le médicament qu’elle met au point pour guérir la maladie d’Alzheimer a pour effet secondaire inattendu d’affaiblir la résistance de l’esprit à l’influence des Démons.
Alors qu’Aiden accepte la mission de protéger Leila, un désir interdit naît entre eux, et ils sont forcés de compter sur les seules personnes en qui ils peuvent avoir confiance : l’un et l’autre. Mais même s’il peut la sauver des Démons, une union entre eux pourrait être l’entreprise la plus dangereuse de toutes.
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Édité par Anne-Lise Pellat et Céline Gaudard
©2025 Tina Folsom
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Aiden visa le front du démon avec sa dague, mais il manqua sa cible, car ce bâtard tournoyait à une vitesse surhumaine. Aiden fit une embardée vers la gauche pour éviter une lame ancienne volant vers lui. Cette dernière avait quitté le poignet agile du Démon au moment où celui-ci faisait volte-face. Le tranchant de l’arme passa juste à côté de lui. Forgée durant les Jours Sombres, cette arme pouvait tuer un Gardien de la Nuit immortel. Et il n’était pas venu pour mourir. Il combattait le Mal pour sauver celle qu’il devait protéger, l’humaine qui était sous l’influence des Démons de la Peur, les plus grands ennemis de l’humanité.
Aiden regarda avec horreur les trois démons rassembler leurs pouvoirs et projeter un vortex de brouillard noir qui engloutit l’entrée d’un immeuble d’habitation délabré. Alors qu’elle faisait un pas de plus vers lui comme si des fils invisibles la tiraient, les vrilles du vortex atteignirent les pieds de Sarah.
Des sons assourdissants semblables à ceux d’une tornade engloutirent les cris de Sarah, comme si elle allait être aspirée dans ses profondeurs. Séduite par les promesses de pouvoir et de richesse des Démons, elle s’avança vers le portail sombre qui la mènerait dans leur monde et en ferait une d’entre eux.
— Sarah ! Noooon !
Elle tourna la tête comme si elle avait entendu, mais ses yeux étaient vides, comme si elle ne le voyait pas.
Il savait qu’il devait détruire le portail pour arrêter Sarah, ce qui signifiait tuer les démons qui l’avaient créé. En un éclair, il se retourna pour attraper le couteau que le démon avait lancé sur lui. Comme une telle arme pouvait le tuer, elle pouvait également tuer un démon. Les deux espèces étaient aussi vulnérables aux outils forgés pendant les Jours Sombres que les Gardiens de la Nuit.
Aiden regarda dans la ruelle étroite vers l’intersection, mais aucun de ses frères n’arrivait. Lorsqu’il avait réalisé qu’il était en infériorité numérique, il avait immédiatement contacté son second, Hamish. Mais ce dernier était introuvable. Comme s’il s’était évaporé.
Leur code de déontologie stipulait que le second d’un Gardien de la Nuit devait toujours se tenir prêt, afin de pouvoir réagir rapidement dans des situations comme celles-là, qui pouvaient mettre en danger sa vie. Aiden avait souvent servi comme second d’Hamish, même si ce titre sous-entendait un rang. Le passage de sentinelle à second se faisait mission après mission. Cela leur permettait de renforcer constamment leurs compétences, d’être aussi à l’aise pour donner des ordres que pour les exécuter.
Ils étaient frères, sinon par le sang, au moins par une cause commune : défendre l’humanité contre l’influence des Démons de la Peur, et promouvoir le bien dans ce monde.
Du coin de l’œil, il perçut un mouvement. Deux des démons avaient quitté la protection du vortex, visiblement pour l’achever en combat rapproché.
Aiden ricana. Ils allaient être surpris. Le corps à corps était sa spécialité.
— Venez me chercher, leur lança-t-il en ouvrant grand les bras en guise d’invitation.
Une rafale de vent s’engouffra dans son manteau, faisant battre l’arrière du vêtement.
Les rires moqueurs des démons couvrirent le bruit. Pendant un instant, ce fut tout ce qu’Aiden entendit. Le regard suppliant de Sarah laissa place à des yeux vides. Elle secoua lentement la tête d’un côté à l’autre en faisant un pas de plus. Elle n’était qu’une humaine faible, et l’influence des démons était trop forte pour qu’elle puisse y résister.
Aiden agrippa fermement sa lame ancienne et bondit sur le premier démon en serrant les dents. Cette créature avait l’apparence d’un être humanoïde, mais ses yeux verts éblouissants étaient un signe révélateur de la malveillance qui l’habitait. Il se heurta à son adversaire, dont la silhouette était aussi imposante qu’un char d’assaut. Cela ne découragea pas Aiden. Il était moins fort que le démon, mais plus agile et plus rapide. C’était son avantage dans les combats rapprochés.
Grondant comme une bête, le démon tenta d’enfoncer un poignard dans la poitrine de son adversaire, mais Aiden l’évita en un clin d’œil et se catapulta derrière lui. D’un seul mouvement net, il passa le couteau sur le cou du Démon qu’il trancha de gauche à droite. Au milieu des gargouillements de la créature mourante, du sang vert jaillit dans la rue. Aiden enfonça son genou dans le dos du démon mort et le jeta par terre.
Mais il n’eut pas l’occasion de reprendre son souffle. Avec un grognement féroce, le deuxième démon se jeta sur lui et le plaqua au sol. Le choc expulsa tout l’air de ses poumons, ce qui le paralysa pendant quelques instants.
Étendu sur la surface humide, coincé sous la masse imposante, il tourna la tête vers le tourbillon. Sarah y était presque, ses pas étaient plus assurés. Aiden entendait distinctement les murmures séducteurs du troisième démon, qui tentait de la convaincre de se rapprocher. Et, parce qu’elle était faible, elle s’approcha de lui.
Mais Aiden ne le permettrait pas. Rassemblant toutes ses forces, il libéra une de ses jambes et la propulsa violemment entre les cuisses du Démon. Heureusement, ils avaient aussi des bourses. D’après le bruit qu’il fit, elles étaient tout aussi sensibles que celles d’un être humain.
D’un coup, Aiden repoussa le démon blessé loin de sa poitrine. Ses yeux cherchèrent le couteau qu’il avait laissé tomber quand cette vermine l’avait jeté par terre. Pendant ce temps, le démon reprenait des forces et se relevait, tenant le poignard qu’il dirigeait vers le cou d’Aiden. Ce dernier se retourna juste à temps pour éviter la lame mortelle. Il se redressa aussitôt.
Mais le démon était tout aussi rapide, et il lui assena un violent coup de pied dans la jambe qui le projeta contre le mur derrière lui.
Il sentit une de ses côtes se fissurer, mais la puissance qui parcourait son corps permit à Aiden de ne pas ressentir de douleur. En tant qu’immortel, sa tolérance à la douleur était mille fois supérieure à celle d’un humain, même s’il en avait l’apparence. La différence se trouvait sous la peau et les muscles qui abritaient les expériences collectives de tous les Gardiens de la Nuit qui avaient marché sur cette terre. Ils l’appelaient Virta, et elle leur donnait le pouvoir de combattre les démons. Elle permettait également à son espèce et aux humains de se cacher d’eux, à la manière d’une cape d’invisibilité. Ils avaient reçu des pouvoirs qui défiaient la physique, des pouvoirs que les humains considéreraient comme surnaturels s’ils avaient connaissance de l’existence des Gardiens de la Nuit. Mais ils cachaient leur présence depuis des siècles. Depuis leurs débuts dans les Jours Sombres.
Au moment où Aiden se mit debout, sa main effleura le poignard qu’il avait lancé sur le front du démon quelques instants plus tôt. Il le saisit et bondit une nouvelle fois, fonçant sur son assaillant, enfonçant le couteau dans l’estomac de la bête.
Tandis que le Démon de la Peur ouvrait grand ses yeux, Aiden tira la dague vers le haut, le vidant de ses tripes et de son sang vert alors qu’une odeur pestilentielle remplissait l’air frais de la nuit. Avant que son corps ne s’effondre, Aiden se retourna et courut vers sa protégée. Il tenta désespérément de la tirer en arrière, son corps tendu sous la pression, son long trench noir battant contre ses côtés, repoussé par la force de l’air et des tourbillons de brouillard. Tendant les mains vers l’avant pour essayer de la tirer vers lui, il concentra toute son énergie sur une seule pensée : sauver cette humaine des griffes du mal.
La colère bouillonnait en lui comme dans un chaudron sur le point de déborder. Il devait empêcher les Démons de la prendre. Chaque âme qu’ils amenaient avec eux les rendait plus puissants. Bientôt, ils ressortiraient de leurs repaires situés au plus profond du monde souterrain pour dominer une fois de plus l’humanité. Cette idée le fit frissonner jusqu’aux os.
Il perdit sa concentration un instant quand un cri poussé derrière lui lui fit tourner la tête. Une femme avec un bambin dans les bras sonnait frénétiquement à la porte d’un des immeubles, les yeux écarquillés d’horreur.
Merde ! Il n’avait pas besoin de témoins. Mais il ne pouvait rien y faire pour le moment. Sa priorité était de sauver Sarah.
Faisant appel au pouvoir ancestral qui se trouvait en chacun des Gardiens de la Nuit, il le laissa déferler dans son corps et recharger ses cellules. Il s’élança vers la jeune femme, des éclairs de lumière dansant sur ses paumes comme de petites flammes.
Elle le repoussa, le regard plein de colère. Il vit derrière elle le troisième démon dont la main s’avançait à travers le vortex, une dague dans sa paume. Le démon lui murmura quelque chose, puis pressa l’arme ancienne dans sa main.
Aiden la vit avec effroi accepter sa proposition et agiter son poignet, comme si elle avait été entraînée à le faire. Le démon contrôlait maintenant son corps.
Aiden ne put que se mettre sur le côté pour éviter la lame.
Puis, les yeux de Sarah devinrent verts. En cédant à la demande du démon, elle était devenue l’une d’entre eux.
Un autre cri attira son attention sur la femme derrière lui. Ce qu’il vit lui retourna l’estomac : le poignard de Sarah avait touché l’enfant à la tête. Le sang coulait abondamment de la blessure sur son petit pull blanc et sur les mains de la mère, qui tentait désespérément de sauver son bébé.
Maudit soit-il ! Il aurait dû tuer Sarah dès qu’il avait constaté qu’elle était condamnée. Maintenant, elle avait tué un innocent. C’était la faute d’Aiden, parce qu’il n’avait pas agi assez rapidement. Il avait laissé Sarah en vie parce qu’il espérait pouvoir la sauver.
Il avait encore échoué. Sentant son passé le rattraper, il chassa les souvenirs douloureux de son premier et seul autre échec puis concentra son énergie sur son ancienne protégée. Sans hésiter, il visa. La dague ancienne s’enfonça dans le cou de Sarah, arrêtant ses mouvements. Le sang jaillit de la blessure mortelle alors qu’elle tombait dans le vortex.
Les cris de frustration du démon remplirent la ruelle, et des éclairs de lumière illuminèrent la nuit noire. Un instant plus tard, l’air et le brouillard cessèrent de s’agiter, et tout devint silencieux, à l’exception des sanglots de la femme qui tenait son enfant mort dans les bras.
Aiden la regarda, les yeux remplis de larmes, assailli par la souffrance.
— Je suis désolé, chuchota-t-il, le cœur gros.
Lorsqu’il se dirigea vers l’endroit où Sarah était tombée, il ne vit rien. Le tourbillon l’avait avalée. La seule preuve qu’il l’avait tuée était le poignard taché de sang. Il n’avait pas eu le choix. Ce serait pire si les démons s’étaient servis d’elle. Mieux pour elle, mieux pour ce monde. C’était pour cela qu’il ne pouvait pas regretter son geste. Il regrettait seulement d’avoir tardé à le faire, d’avoir attendu trop longtemps pour d’agir.
Plus jamais il n’hésiterait à tuer un être humain s’il pensait qu’il avait déjà été corrompu. Il était préférable qu’un humain meure plutôt que les démons s’emparent d’une autre âme ou qu’un innocent souffre, comme cet enfant et sa mère. La prochaine fois, sa dague toucherait sa cible dès qu’il soupçonnerait qu’un démon influençait sa protégée. Il n’hésiterait plus.
Les êtres humains étaient faibles. Il fallait s’en débarrasser dès qu’ils représentaient un danger. Le conseil avait tort d’essayer de les protéger, car ils étaient clairement capables de se retourner contre leurs protecteurs, contre les Gardiens de la Nuit, qui ne leur voulaient que du bien. Sarah n’était pas la première à le lui prouver.
Des souvenirs anciens, mais toujours aussi présents, lui rappelèrent une fois de plus qu’il ne pourrait plus se permettre d’hésiter. Cela lui avait coûté beaucoup trop cher par le passé, car toute sa famille en avait souffert. Par sa faute, ils avaient perdu quelqu’un qui leur était cher. Son cœur se serra douloureusement, alors que la culpabilité de son erreur passée refaisait surface. Il ne la commettrait plus jamais. Le mal devait être éradiqué rapidement, quelle que soit sa forme, démoniaque ou humaine.
Leila releva la tête du microscope lorsqu’elle entendit frapper de façon urgente à la porte de son laboratoire.
— Docteur Cruickshank ? Êtes-vous encore là ?
Elle lissa sa blouse de laboratoire et aperçut son reflet dans la vitre au-dessus de l’établi sur lequel elle était penchée. Sa queue de cheval retenait toujours ses longs cheveux bruns, mais quelques mèches s’étaient échappées et s'enroulaient maintenant autour de son visage. C’était presque comme si un coiffeur avait pris grand soin de lui arranger les cheveux. C’était bien sûr impossible, car elle n’était pas allée dans un salon de coiffure depuis des mois. Pourquoi perdre du temps à se préoccuper de son apparence alors qu’elle avait un travail aussi important à accomplir ?
Au cours des derniers mois, elle avait fait d’énormes progrès. Les résultats des essais cliniques étaient prometteurs, mais il fallait encore apporter quelques ajustements au médicament avant qu’il ne soit opérationnel comme prévu. Il était censé arrêter la progression de la maladie d’Alzheimer, et, idéalement, la guérir, puisqu’elle affectait ses deux parents. De plus, elle espérait que le traitement serait capable d’inverser certains effets de cette maladie, même si les chances d’empêcher complètement les dommages causés par celle-ci étaient minces.
Pour ses parents, c’était une course contre la montre. Parfois, ils semblaient aller bien, mais d’autres fois, leurs pertes de mémoire étaient flagrantes, et elle sentait qu’ils s’éloignaient. Si elle n’achevait pas ses recherches rapidement, les dommages causés à leurs neurones seraient devenus trop importants pour que même son traitement miracle ne puisse les inverser. Plus le médicament était pris tôt, plus les chances de récupération des fonctions cérébrales étaient grandes. Même si elle savait que ses parents ne s’en remettraient peut-être jamais, elle continuait de croire que certaines de leurs fonctions cérébrales pourraient retrouver la santé.
À 36 ans, elle aurait dû avoir des enfants et une famille. Or, il n’y avait jamais eu autre chose que son travail. Après avoir obtenu son diplôme en médecine, elle avait envisagé la chirurgie plastique, attirée par les revenus élevés offerts par cette spécialité. Cependant, lorsque ses parents avaient commencé à présenter des signes de la maladie, Leila avait rapidement changé de voie.
Elle avait réalisé que tout l’argent de ses parents ne signifiait rien alors qu’ils perdaient ce qu’ils aimaient le plus : l’un l’autre. Après avoir terminé ses études, Inter Pharma s’était montré intéressé par ses recherches et lui avait proposé un emploi. Elle dirigeait maintenant son propre laboratoire, supervisant trois assistants et deux jeunes chercheurs.
Elle aimait diriger son unité de recherche : elle appréciait la rigueur du travail. Tout était à sa place, tout avait son temps. Ainsi, elle arrivait à gérer les crises : en gardant les choses en ordre, en sachant toujours ce qui allait se passer, en ayant toujours un plan. Cela lui procurait la sécurité dont elle avait besoin depuis que ses parents étaient tombés malades. Ce besoin de sécurité se retrouvait dans tout son travail.
Alors que son équipe travaillait sur plusieurs éléments différents de ses recherches, Leila était la seule à avoir accès à l’ensemble des données et à la formule complète du médicament tel qu’il existait à l’heure actuelle. Il était donc primordial pour elle de préserver la sécurité de ses données.
C’était l’une des raisons pour lesquelles elle n’utilisait pas l’ordinateur en réseau qu’Inter Pharma lui fournissait, mais son propre ordinateur portable crypté. Elle sauvegardait ses données sur une clé USB qui avait la forme d’un pendentif orné de diamants attaché à un collier qu’elle gardait toujours autour du cou, où qu’elle aille.
Il y avait déjà eu des incidents où les données d’un autre chercheur avaient été volées par un employé et avaient refait surface plus tard dans une autre société pharmaceutique qui en avait profité pour s’en attribuer la découverte. Pour Inter Pharma, un nouveau médicament représentait d’énormes sommes d’argent. Pour Leila, cela signifiait retrouver ses parents et qu’ils la reconnaissent, avant qu’il ne soit trop tard et qu’ils ne disparaissent à jamais.
— Docteur Cruickshank ?
Leila se leva brusquement de sa chaise et s’approcha de la porte, qu’elle déverrouilla. Elle avait pris l’habitude de s’enfermer chaque fois qu’elle était seule dans le laboratoire. En l’ouvrant, elle vit le visage rougi de l’assistante personnelle du PDG, Jane.
— Oh, bien, vous êtes encore là. Je n’étais pas sûre, bredouilla-t-elle.
Leila hocha la tête, préoccupée. Son personnel était déjà parti pour la nuit, mais, même s’il était plus de vingt heures, elle n’était pas prête à partir. Il y avait toujours de nouvelles données à analyser.
— Jane, avez-vous besoin de quelque chose ? demanda-t-elle, espérant que la secrétaire distraite ne veuille qu’un paquet supplémentaire d’édulcorant ou un sachet de thé parce qu’elle avait encore oublié de commander des fournitures pour les bureaux de la direction.
— C’est M. Patten qui m’envoie. Il a demandé s’il pouvait vous parler une minute.
— Maintenant ? Je pensais qu’il serait rentré chez lui depuis longtemps.
Il était rare qu’une autre personne que le gars de la sécurité ou elle-même travaille aussi tard.
— J’aimerais bien. Mais il avait une réunion tardive, et elle vient à peine de se terminer. Évidemment, il m’a obligée à rester.
Jane laissa échapper un soupir d’agacement.
— Pourriez-vous aller le voir dans son bureau ?
Leila hocha distraitement la tête, même si elle détestait cette interruption.
— Et, est-ce que vous avez encore de l’édulcorant ? Je n’en ai plus.
Cela expliquait pourquoi Jane ne l’avait pas appelée.
Leila se retourna rapidement pour prendre une poignée de sachets dans le bol sur le dessus du réfrigérateur et les donna à Jane, qui tendait les bras. S’assurant que la porte se verrouille derrière elle, elle s’engagea dans le long couloir, accompagnée de l’assistante de Patten.
La clé qui pendait à son cou tinta contre son pendentif, produisant un son sinistre dans le couloir désert.
— J’ai toujours admiré votre collier, dit Jane. Vous souvenez-vous de l’endroit où vous l’avez acheté ?
— C’est du sur-mesure, répondit Leila, ignorant le picotement soudain sur sa nuque.
Elle jeta rapidement un coup d’œil par-dessus son épaule, mais ne vit rien d’autre que le linoléum luisant et les murs blancs stériles.
— Sur mesure ?
Elle hocha la tête en direction de Jane.
— Oui, j’ai demandé à un bijoutier de le faire.
Pour dissimuler sa clé USB d’un téraoctet et garder pour de bon ses recherches près de son cœur. Personne ne le savait, et c’était peut-être de la paranoïa ou simplement du bon sens, mais elle voulait s’assurer que toutes ses données soient toujours en sécurité.
— C’est magnifique. Où est sa boutique ? Je voudrais m’en procurer un.
— Malheureusement, il a fait faillite, mentit Leila en forçant un sourire de regret.
Elle ne révélerait pas le nom du bijoutier, au cas où il laisserait échapper que le pendentif était vide à l’intérieur et qu’il avait la taille parfaite pour contenir une clé USB. Personne ne devait savoir qu’elle transportait ses données avec elle. Le simple fait de ne pas sauvegarder ses données sur l’ordinateur en réseau de son laboratoire avait déjà déclenché un signal d’alarme et lui avait valu une réunion avec le PDG. Cependant, après qu’elle ait expliqué qu’elle craignait que ses recherches soient volées, M. Patten avait accepté un compromis : chaque soir, après avoir terminé ses recherches, elle devrait sauvegarder les données sur un disque externe et le mettre dans un coffre-fort. Seule l’empreinte digitale de son pouce ou celle de Patten pouvaient ouvrir la pièce spécialement conçue, garantissant ainsi que les personnes non autorisées ne pourraient pas y entrer.
Son patron semblait presque aussi paranoïaque qu’elle. Pourquoi ne le serait-il pas ? La recherche pharmaceutique était un secteur très concurrentiel. La première entreprise qui développait un nouveau médicament prenait une avance énorme qu’aucune autre entreprise ne pouvait concurrencer. Dans ce secteur, être le premier était primordial.
Son ordinateur portable était équipé d’un logiciel spécial capable de lancer une séquence de destruction de toutes les données du disque dur si quelqu’un le manipulait. C’était une fonction de sécurité intégrée.
— … alors j’ai pris le rouge à la place. Qu’en pensez-vous ?
Jane désigna ses ongles, recouverts d’une affreuse couleur orange. De toute évidence, la jeune femme était daltonienne, même si le daltonisme était plutôt une anomalie masculine.
— Mignon, réussit à dire Leila, se demandant ce que Jane avait bien pu radoter d’autre pendant qu’elle avait de nouveau la tête dans les nuages.
Cela lui arrivait souvent ces derniers temps : elle s’isolait en pensant à une chose ou à une autre, sans remarquer qu’il y avait d’autres personnes autour d’elle.
Au bout du couloir, elles tournèrent à gauche. Leila appuya sur le bouton de l’ascenseur. Les portes s’ouvrirent instantanément et elle entra, Jane sur ses talons. Sa collègue appuya sur le bouton menant à l’étage de la direction, et les portes commencèrent à se refermer. Quand elles furent à mi-chemin, quelque chose bipa, et les portes s’ouvrirent à nouveau.
— C’est quoi, ce bordel ?
Jane jura et appuya une seconde fois sur le bouton.
— Je n’arrive pas à comprendre ces stupides ascenseurs. La moitié de la semaine, ils sont en panne, soi-disant en réparation, et l’autre moitié, ils déconnent de nouveau.
Leila secoua la tête.
— Je ne sais pas. D’habitude, je prends les escaliers.
— C’est vrai, c’est facile quand on est au deuxième étage, mais essayez le septième, et vous serez essoufflée en un rien de temps.
Leila ne put s’empêcher de regarder les talons de sept centimètres de Jane.
Oui, ou bien tu te casses la cheville.
Mais elle s’abstint de tout commentaire. Elle n’était pas concernée par la mauvaise forme de Jane. Elle-même courait au moins quatre fois par semaine pour essayer de rester en bonne santé et en forme, mais aussi pour rester mince. Elle avait remarqué que sa mère avait pris beaucoup de poids lorsqu’elle s’était cassé une jambe il y a quelques années et qu’elle n’avait pas pu bouger beaucoup. Leila savait qu’elle avait le physique de sa mère : de petite taille, mais solide, plutôt que grande et maigre. Elle savait aussi qu’elle deviendrait ronde si elle ne faisait pas attention. C’était la raison pour laquelle elle courait et montait les escaliers dès qu’elle en avait l’occasion.
Lorsqu’elles arrivèrent au septième étage, Jane se tourna vers la cuisine et demanda à Leila de continuer.
— Entrez directement le voir. Il vous attend.
Leila redressa sa blouse de laboratoire et repoussa un cheveu du tissu blanc. Elle s’éclaircit la gorge et frappa à la porte.
— Entrez.
L’ordre fut instantané et prononcé d’une voix autoritaire.
Elle ne perdit pas une seconde, ouvrit la porte et entra dans le bureau de Patten. La pièce était plongée dans la pénombre. Patten, un homme d’une cinquantaine d’années, chauve sur le dessus et les tempes grisonnantes, était assis devant le grand bureau éclairé par une grande lampe halogène. Les lampes fluorescentes du plafond étaient éteintes.
— Entrez, entrez, docteur Cruickshank, excusez le manque de lumière, mais les ampoules ont brûlé juste au moment où j’ai reçu mon visiteur. C’est très ennuyeux. Je ferais mieux de m’occuper de ça rapidement.
— Bonsoir, monsieur Patten, répondit-elle simplement, sachant que sa tirade sur les lumières n’attendait pas de réponse. Vous désiriez me parler ?
— Ah, oui. C’est vrai.
Il repoussa une mèche de cheveux gris derrière son oreille. Lui aussi avait besoin d’une coupe : il avait l’air un peu négligé.
En s’approchant pour s’installer sur le siège en face de lui, elle le regarda de plus près et remarqua que son visage était gris et fatigué. Comme s’il avait brûlé la chandelle par les deux bouts, tout comme quelqu’un d’autre qu’elle connaissait : elle-même. Eh bien, elle n’était probablement pas le seul bourreau de travail chez Inter Pharma. Personne n’arrivait au sommet sans faire de sacrifices.
— Asseyez-vous... Ah, vous êtes assise... bien, bien...
Leila fronça les sourcils, inquiète. Elle n’avait jamais vu son patron aussi inquiet. Elle espérait qu’il n’était pas sur le point de faire un AVC, car, malgré son diplôme en médecine, elle n’était pas formée pour faire face à une situation médicale d’urgence. La dernière fois qu’elle avait vu un patient, c’était lors de sa résidence à Mass General, et c’était il y a longtemps.
— Vous vous sentez bien ? se sentit-elle obligée de demander, son côté bienveillant reprenant le dessus.
Ses yeux se concentrèrent soudain, et il apparut aussi lucide qu’à l’habitude.
— Bien sûr, pourquoi ne me sentirais-je pas bien ? ...Eh bien, je voulais vous parler parce qu’un actionnaire m’a rendu visite.
Leila se pencha en avant sur sa chaise, décroisant les jambes. Pourquoi Patten voudrait-il lui parler d’un actionnaire ? Elle n’était pas impliquée dans les finances de l’entreprise. De plus, elle était responsable du budget de son propre laboratoire et ne faisait que de la recherche pure.
Une poussée d’adrénaline la traversa soudain. Elle savait que le cours de l’action avait récemment baissé. Cela pourrait-il signifier que les actionnaires étaient mécontents et souhaitaient réduire les programmes ? Peut-être éliminer ses recherches ?
— Mon budget est déjà serré.
Les mots furent prononcés avant qu’elle ait pu réfléchir davantage. Zut ! Avec ce genre de comportement, elle n’aurait jamais pu faire partie du corps diplomatique. Si elle continuait à laisser échapper des commentaires, sa carrière de chercheuse dans son propre laboratoire pourrait bientôt se retrouver sur une pente glissante.
Patten lui lança un regard confus.
— Quoi ?
— Je suis désolée, poursuivez. Vous m’avez dit qu’un actionnaire vous avait rendu visite.
— Oui. Il semble que M. Zoltan ait acheté beaucoup d’actions lorsque le marché a chuté. Il possède maintenant 36% de nos actions. Bien que cela ne lui permette pas d’exercer un contrôle absolu sur la société, il en est tout de même le plus important actionnaire individuel…
Leila leva une main de ses genoux.
— Euh, monsieur Patten, comme vous le savez, je ne m’occupe pas de ce côté-là de l’entreprise. Mes recherches...
— J’y arrive, docteur Cruickshank.
Elle hocha rapidement la tête, sans vouloir le contredire. Quelque chose l’avait clairement ébranlé aujourd’hui, et elle n’avait pas envie de se retrouver prise entre deux feux. Mieux valait qu’elle se taise et qu’elle le laisse parler. Peut-être voulait-il juste parler à quelqu’un. À part Jane et l’agent de sécurité du hall, elle était la seule à être encore dans le bâtiment.
Leila soupira intérieurement. Super ! Maintenant, son patron lui confiait des tâches inutiles. Elle aurait pu mettre ce temps à profit pour analyser les données qui attendaient.
— Je le répète, monsieur Zoltan possède maintenant une grande partie de cette entreprise, ce qui lui confère des pouvoirs importants. Vous comprendrez que ce serait imprudent de le mettre en colère ou de lui refuser ce qu’il souhaite.
M. Patten essuya une goutte de sueur sur son front avant de poursuivre :
— Il pourrait déclencher un vote forcé, voire remanier le conseil d’administration, me mettre à la porte… euh, comme vous le voyez, je n’ai pas vraiment le choix dans cette affaire.
Il la regarda avec nervosité. À son tour, la même nervosité se répandit en elle, sa peau se mit à picoter. Ses paumes devinrent moites. Nerveuse, elle bougea sur son siège, mais s’abstint de dire quoi que ce soit, car elle vit qu’il n’avait pas encore terminé.
— Il ne fait que s’assurer que son investissement est en sécurité. C'est un peu comme un entrepreneur qui inspecte son usine et supervise le processus de production. C’est vrai, il faut voir les choses ainsi.
Surveiller le processus de production ? Est-ce qu’il disait vraiment ce qu’elle pensait qu’il disait ? Il ne pourrait pas le permettre… Non, cela n’arriverait jamais.
— M. Patten, je… je… balbutia-t-elle, l’esprit trop chamboulé pour pouvoir former une phrase cohérente.
— M. Zoltan reviendra lundi pour s’installer près de vous.
— S’installer ?
Patten acquiesça, évitant son regard, et fixa plutôt l’obscurité derrière la vitre.
— Il désire en savoir plus sur vos recherches. Il semble qu’il soit aussi diplômé en médecine, et qu’il désire évaluer la viabilité du produit sur lequel vous travaillez.
Leila se leva d’un bond.
— C’est impossible ! Mes recherches... sont secrètes. Aucune personne extérieure ne peut...
— Monsieur Zoltan n’est pas une personne extérieure. Il est pratiquement propriétaire de cette entreprise.
L’incrédulité monta en elle, faisant vaciller ses genoux.
— Mais vous avez dit qu’il ne détenait que 36 % des actions, cela ne veut pas dire qu’il nous possède.
— Dans le monde de l’entreprise, cela lui donne suffisamment de pouvoir pour imposer presque toutes ses volontés. Nous ne savons même pas quelles autres ressources sont à sa disposition. Selon les informations dont nous disposons, il peut acheter 15 % d’actions de plus, ce qui lui donnerait le contrôle total.
Leila se pencha par-dessus le bureau.
— Monsieur Patten, s’il vous plaît, vous devez arrêter ça. Je ne peux pas avoir un étranger qui regarde par-dessus mon épaule. C’est un travail sensible. Quelqu’un pourrait mettre la main sur ma formule et la voler. Ce n’est pas prudent d’avoir quelqu’un dans le laboratoire qui pourrait…
— Je comprends, docteur Cruickshank, mais je n’ai pas le choix. J’ai les mains liées. Vos recherches appartiennent à cette entreprise. Ce n’est pas votre propriété. Si je vous dis que vous devez permettre à quelqu’un d’y accéder, alors vous ferez ce que je dis, martela-t-il les dents serrées. Est-ce que nous nous comprenons ?
Leila se retira, submergée par la déception.
— Je comprends.
Sa mâchoire se crispa.
— C’est tout pour ce soir ?
Il acquiesça, l’air fatigué.
— Docteur Cruickshank, rentrez chez vous. Vous verrez bientôt que les choses ne sont pas aussi mauvaises qu’elles en ont l’air.
Elle tourna les talons sans dire un mot de plus et retourna dans son laboratoire, retenant ses larmes de frustration jusqu’à ce que la porte se referme derrière elle. Se laissant glisser sur sa chaise, elle se couvrit le visage de ses mains et laissa venir les larmes.
Ce n’était pas juste.
Elle avait travaillé si longtemps et si dur pour cela, et maintenant un riche actionnaire avec un diplôme de médecine allait débarquer et fouiller dans son travail. Et si ce n’était pas tout ce qu’il voulait faire ? S’il comptait s’approprier les recherches et s’en attribuer le mérite ? Elle avait déjà vu des cas similaires, où un chercheur avait été mis à la porte en plein milieu du projet par un nouvel arrivant qui s’était attribué le mérite du résultat final.
Que se passerait-il s’il était incompétent et qu’il détruisait les progrès qu’elle avait déjà accomplis ? Si cela se produisait, l’état de santé de ses parents ne s’améliorerait jamais.
Elle ne pouvait pas l’accepter. Personne n’en découvrirait assez pour continuer ses recherches. C’était le travail de sa vie !
— Vous ne pouvez pas m’enlever ça, Patten, murmura-t-elle en essuyant les larmes de ses joues.
Alors qu’elle repoussait la chaise, celle-ci racla le plancher, le bruit résonnant dans le laboratoire désert. Ses jambes la portèrent jusqu’au coffre-fort mural. Elle appuya son pouce sur le pavé tactile, ce qui fit apparaître le scanner. Puis elle entendit un mécanisme cliqueter. Un bip suivi d’un feu vert lui indiqua que son autorisation avait été acceptée.
Leila ouvrit la porte épaisse et regarda à l’intérieur, sombre. Elle devait faire ce qu’il fallait.
Aiden entra dans le bastion sans même avoir à ouvrir la porte. Son corps se dématérialisait simplement lorsqu’il traversait le matériau solide, puis il se rematérialisait après l’obstacle dans un processus trop rapide pour que l’œil humain puisse l’analyser. Tout ce qu’il voyait, c’était un homme qui se dirigeait tout droit vers une porte ou un mur. Le fonctionnement de ce pouvoir restait un mystère. C’était un pouvoir propre aux Gardiens de la Nuit. Aucun démon ne possédait une compétence semblable.
Il fonça dans le couloir. Le bâtiment massif comptait trois étages au-dessus du sol et deux sous terre. Ses murs étaient épais, comme ceux d’un vieux château anglais, construit à l’instar des forteresses érigées par leurs ancêtres. Leur passé était imprimé sur la structure : d’anciennes runes ornaient les murs et les planchers, et des amulettes destinées à éloigner le mal étaient accrochées à chaque porte et à chaque fenêtre.
Il y avait de nombreux bastions de Gardiens de la Nuit disséminés dans le monde entier, des endroits où les frères, et les quelques sœurs, vivaient ensemble. Protégés par le pouvoir collectif de leur virta, ils auraient tout aussi bien pu être invisibles. Un ancien sortilège hypnotique permettait aux bâtiments de passer inaperçus aux yeux des humains.
Aucun humain n’était autorisé à entrer. On ne pouvait pas compter sur les protégés des Gardiens de la Nuit pour garder les emplacements secrets. Il y avait toujours un risque qu’un d’entre eux se retourne contre eux et finisse par les trahir auprès des démons.
À l’intérieur des murs du bastion, les Gardiens de la Nuit pouvaient recharger leur énergie après chaque mission. Ils dépensaient cette énergie en cachant leurs protégés pour éviter d’être repérés par les démons.
Des armes oubliées depuis longtemps étaient entreposées dans les vastes voûtes souterraines. Elles pouvaient tuer un Gardien de la Nuit, même immortel. Alors qu’aucune arme humaine, comme un pistolet ou un couteau, ne pouvait blesser Aiden ou ses frères et sœurs de manière permanente, tout objet forgé durant les Jours Sombres avait le pouvoir de tuer aussi bien les Gardiens de la Nuit que les Démons de la Peur.
Alors qu’Aiden pénétrait dans la grande cuisine au cœur de la maison qu’il considérait comme la sienne, il balaya rapidement du regard l’assemblée. Manus s’affairait à piller le réfrigérateur, vêtu seulement d’un pantalon de cuir moulant, son torse balafré dénudé. Quant à Logan, il se servait un verre. Ses cheveux noirs pendaient sur les épaules, comme s’il venait à peine de se lever.
Enya, la seule femme de leur bastion, se prélassait dans un coin du grand canapé de la grande pièce attenante. Ses longs cheveux blonds étaient tressés et épinglés en rond à l’arrière de sa tête. Elle les portait rarement lâchés, et Aiden se doutait qu’ils descendaient maintenant jusqu’à sa taille. Au lieu de regarder le match de football qui hurlait sur l’écran géant fixé au mur, elle avait le nez plongé dans un livre.
Aiden jura.
— Où est-il, putain ?
Toutes les têtes se tournèrent vers lui. Manus claqua la porte du réfrigérateur et déposa un tas d’emballages de charcuterie sur le comptoir de la cuisine.
— Je crains que ma faculté de lire dans les pensées soit assez limitée, dit-il. Donne-nous donc un nom, s’il te plaît.
Manus jeta un coup d’œil à Logan, qui avala d’un trait le reste de son verre.
— Quelqu’un est d’humeur chiante aujourd’hui, ajouta Logan comme s’il voulait le provoquer.
Aiden sentit sa colère monter. Il se dressa sur ses pieds.
— Manus a un peu raison, intervint Enya sans même lever les yeux de son livre.
— Je parle de ce foutu Hamish !
Aiden sentit l’air s’échapper de ses poumons. La colère suscitée par l’incapacité de son second à le soutenir grandissait à chaque instant.
Logan fronça les sourcils et leva à nouveau la bouteille de whisky.
— Je ne savais pas que vous étiez aussi proches !
Aiden saisit Logan par le col avant qu’il ait pu finir sa phrase, puis le plaqua contre la porte du four.
— Je ne suis pas d’humeur pour tes putains de blagues. Je te le redemande : où est-ce putain de Hamish ?
Logan se pressa contre lui en secouant les mains avec plus de grâce qu’un homme de sa carrure massive ne semblait en être capable. Tandis qu’il redressait soigneusement son t-shirt et roulait des épaules, il lui lança un regard furieux.
— Je n’ai pas vu Hamish depuis deux jours. Il était censé être avec toi, alors va te faire foutre ! Laisse-moi profiter du match !
Logan se retourna et se dirigea vers le canapé pour s’asseoir dans le coin opposé à Enya. Lorsque le poids avec lequel il s’était laissé tomber la secoua et qu’il faillit lui faire lâcher son livre, elle se contenta de hausser un sourcil.
— Testostérone, marmonna-t-elle dans sa barbe.
Logan plissa les yeux.
— Tu ne sais rien de tout ça.
— Ferme-la !
La réponse de Manus arriva avant qu’Enya n’ait eu le temps d’attraper la dague qui était toujours à sa hanche, même lorsqu’elle était en train de se détendre.
— Sale con, siffla-t-elle.
Manus jeta un regard à Aiden.
— Quant à Hamish. S’il n’est pas avec toi, il a peut-être été pris dans une embuscade.
— Alors, nous devrions localiser son téléphone et le retrouver.
Aiden tourna la tête vers le nouvel arrivant qui venait de parler. C’était Pearce.
— Il ne néglige jamais ses devoirs, poursuivit Pearce en pénétrant dans la pièce.
Aiden hocha la tête. Pearce avait raison.
— J’étais en infériorité numérique.
Une main douce toucha son bras. Il tourna la tête vers la droite. Enya s’était approchée de lui sans qu’il s’en aperçoive.
— Que s’est-il passé aujourd’hui ?
Aiden appuya sa main contre le comptoir de la cuisine. Il ferma les yeux.
— J’ai essayé d’appeler Hamish, mais il ne s’est pas présenté. Je n’ai pas pu les retenir plus longtemps. J’en ai tué deux, mais le troisième est resté dans la protection du vortex. Il était trop fort. Il avait un pouvoir total sur elle.
À tel point qu’elle avait essayé de le tuer, et, au lieu de cela…
— Ma protégée a tué un enfant innocent. J’ai dû l’éliminer.
— Putain !
Manus poussa un juron.
— Pas encore une autre ! ajouta Logan.
— Bon sang, qu’est-ce que tu as fait, Aiden ? Tu dormais ? Pourquoi n’était-elle pas dissimulée ? grommela Manus entre ses dents serrées.
La colère s’embrasa dans les yeux d’Aiden alors qu’il faisait face à Manus.
— Je l’ai protégée du mieux que j’ai pu !
— Si tu l’avais cachée correctement, elle ne serait pas perdue maintenant !
— Qu’est-ce que tu racontes ? demanda Aiden.
— Tu sais très bien ce que je veux dire ! répliqua Manus en se dirigeant vers lui. Si tu voulais qu’elle soit correctement dissimulée, tu aurais dû la toucher pendant tout ce temps.
Aiden savait exactement ce que Manus voulait dire. Ses collègues Gardiens et lui avaient deux façons de rendre les humains invisibles : par le pouvoir de leur esprit ou par le toucher. La première méthode nécessitait plus d’énergie, mais tout comme le signal d’un téléphone portable pouvait être intercepté ou interrompu, il était possible de rompre la connexion et de débloquer une protégée par inadvertance. La seconde méthode présentait aussi des inconvénients. Le contact d’un Gardien de la Nuit pouvait être perçu comme étant intime, ce qui n’était pas du tout le but.
— Comme tu les touches, toi ? Comme lorsque tu fais semblant de ressentir quelque chose pour elles afin qu’elles te fassent confiance ? Ce n’est pas les protéger ! C’est contraire à toutes les règles, grogna Aiden.
— Je m’en fiche des règles. Les règles sont faites pour ceux qui ne savent pas penser par eux-mêmes.
— Et tu les brises toutes.
Aiden sentit son cœur bondir. Il ne voulait pas devenir comme Manus, qui feignait d’aimer chaque femme qu’il devait protéger, dans le but de s’assurer qu’elle serait toujours dissimulée. Pour lui, au contraire, éviter tout contact avec les humains constituait une priorité. À part une expérience occasionnelle d’une nuit avec une femme, il ne s’intéressait pas à elles. Il n’y pensait plus. Pas après ce qu’un être humain avait fait à sa famille.
— Tu les baises pour ne pas avoir à dépenser d’énergie supplémentaire !
Cette accusation ne provoqua qu’un léger sourire de Manus.
— Je ne pense pas que je dirais ça. J’y mets énormément d’énergie.
Avant que Manus ait pu se détourner, Aiden lui asséna un coup de poing sur le visage pour effacer son sourire.
Bon sang, ça faisait du bien de frapper quelqu’un !
C’était libérateur de tabasser Manus, de déverser sa colère et sa frustration sur lui. Peut-être que ça pourrait l’abrutir.
Un coup de poing au menton fit basculer la tête d’Aiden vers l’arrière. Il sentit le goût de son sang un instant plus tard, mais l’ignora pour répondre au coup de Manus. Faisant levier avec sa jambe droite contre le comptoir de la cuisine, un tabouret de bar s’écrasa sur le sol pendant qu’Aiden s’élançait vers son camarade Gardien de la Nuit. Le coup envoya Manus contre le réfrigérateur, qui gémit sous l’impact.
— Crétin ! s’exclama Manus. Ce n’est pas la question de savoir quelles règles j’ai enfreintes. Tu dois admettre que tu y as aussi pensé… Comme il est doux d’enfreindre une règle de temps à autre !
Il afficha un sourire diabolique.
— Va te faire foutre !
Il y avait plein de femmes consentantes dans les bars où allait Aiden. Il n’avait pas besoin de coucher avec ses protégées. Pour lui, le sexe, c’était le sexe, et tant que la femme était raisonnablement attirante, ça n’avait pas d’importance. Il n’avait aucun intérêt à s’impliquer dans une histoire. Il maintenait une distance, tant émotionnelle que physique, avec elles, sachant qu’un jour viendrait où il devrait en tuer une, comme ce soir. Il devait éviter que ses émotions ne prennent le dessus.
— Cesse de me faire porter le chapeau pour tes échecs ! Je refuse d’être ton bouc émissaire aujourd’hui ! s’écria Manus en interrompant les pensées d’Aiden, qui fut contraint de se concentrer sur la situation présente.
Il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même pour ce qui s’était passé cette nuit. Enfin, lui et Hamish. Mais une fois qu’il aurait retrouvé son second en fuite, il le lui ferait payer.
Réduire Manus en bouillie ne ramènerait pas sa protégée, n’annulerait pas ce qui s’était passé.
— Ah, merde !
Aiden poussa un juron et baissa le poing.
— J’ai échoué.
Il leva les yeux et croisa le regard de Manus. Au lieu d’un éclat moqueur, il y vit un éclair de compassion.
Manus se détacha du frigo et passa près de lui en le frôlant.
— Tu dois t’y faire. Ça va arriver plus souvent dorénavant.
Aiden lui attrapa l’épaule et le fit se retourner.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu n’as pas vu les rapports des autres bastions ?
— Et quand penses-tu que j’aurais eu le temps de lire des rapports stupides ?
Cela faisait déjà plusieurs semaines qu’il était affecté à cette mission et il n’avait pas le temps de se rendre au bastion pour des mises à jour urgentes.
Aiden essuya le sang qui coulait de sa bouche, puis regarda les autres personnes présentes dans la pièce.
Pearce se racla la gorge.
— Les Démons deviennent plus forts. Les autres bastions subissent de plus en plus de… pertes.
Aiden secoua la tête en signe d’incrédulité.
— Comment ?
— Ils semblent savoir où se trouvent nos protégés. Bien qu’ils soient cachés, ils les trouvent quand même.
— C’est impossible, protesta Aiden en regardant Logan et Enya. Ils n’ont pas ces capacités. Ils ne peuvent pas sentir nos protégés quand ils sont dissimulés.
Enya hocha la tête d’un air grave.
— C’est vrai, mais ils n’ont peut-être pas besoin de leurs sens. Peut-être ont-ils un autre moyen de savoir où sont nos protégés ?
Ne voulant pas suivre le raisonnement d’Enya, Aiden inspira profondément.
— Tu ne peux pas dire ça.
Logan poussa un long soupir.
— Et pourquoi pas ? Les émotions que nous partageons avec les êtres humains que nous protégeons ne sont pas si différentes. Alors, qu’est-ce qui te fait croire que nous sommes tous capables de résister à la tentation ?
— Mais c’est pour cela que nous sommes entraînés...
La voix d’Aiden s’éteignit. Il déglutit, la gorge sèche. Sa pensée suivante surgit de nulle part.
— Mais, Hamish, tu ne veux quand même pas dire…
— Non, il n’était pas là pour te soutenir. Comment les Démons ont-ils pu localiser ta protégée, alors que tu prétends l’avoir dissimulée ? interrogea Logan.
— Qui est mieux placé pour te localiser en permanence, si ce n’est pas ton second ? demanda Manus.
— Un traître ? Tu penses que Hamish m’a vendu aux démons ?
Lorsque ces mots quittèrent ses lèvres, son cœur se serra douloureusement. Aiden chercha un appui au comptoir de la cuisine, ses genoux fléchissant sous le choc. C’était impossible. Hamish était comme un frère pour lui. Un frère avec qui il se disputait parfois, mais un frère quand même.
— Nous devons le retrouver.
Aiden jeta un coup d’œil à Pearce.
— Trace son téléphone. Peut-être qu’il est blessé quelque part.
Il misa tous ses espoirs sur ces derniers mots. Que Hamish n’ait pas été là pour l’aider serait préférable au fait qu’il ait pu rejoindre les Démons. Cette idée-là était trop horrible à envisager.
Barclay laissa tomber le marteau pour demander le silence dans la Salle du Conseil. Les marmonnements de ses collègues membres du Conseil cessèrent au fur et à mesure. Lorsqu'il n’y eut plus aucun bruit, il contempla les visages des hommes et des femmes assis autour de la table en demi-cercle. Tous étaient des Gardiens de la Nuit expérimentés, sept hommes et deux femmes dotés de grandes connaissances et compétences, qui servaient leur peuple depuis plusieurs siècles. Ils avaient été triés sur le volet pour siéger au Conseil des Neuf, l'organe dirigeant de leur antique race. À la fois juge, jury et bourreau, le Conseil portait un lourd fardeau. Pourtant, chacun de ses membres s'acquittait de sa tâche avec fierté.
Entouré d'anciennes runes gravées dans les murs de pierre des salles, et protégé par les pouvoirs collectifs des Gardiens de la Nuit, c'était le sanctuaire intime, un endroit où peu d'autres Gardiens étaient autorisés à pénétrer. D'importantes décisions étaient prises entre ces murs, des décisions qui pouvaient signifier la vie ou la mort pour les humains comme pour les Gardiens de la Nuit.
Chaque fois qu'il s'asseyait au centre de la table, Barclay, en tant que primus inter pares, le premier parmi les égaux, sentait le poids de la responsabilité sur ses épaules. Il sentait le vent du changement, et il savait que leur monde était à la lisière de quelque chose de nouveau – quelque chose qui changerait toutes leurs vies pour le pire si lui et ses collègues Gardiens de la Nuit ne pouvaient pas l'arrêter. Si seulement il savait ce que c'était.
Barclay s'éclaircit la voix et posa son regard sur le grand homme dont les yeux noisette semblaient anxieux et les cheveux brun foncé plus ébouriffés que d'habitude.
— Geoffrey, c'est toi qui as convoqué cette réunion. Le Conseil est impatient d'entendre ton rapport.
Geoffrey se leva.
— Frères, sœurs, Primus.
Il fit un signe de tête en direction de Barclay.
— J'ai reçu des rapports inquiétants de la part de nos émissaires. Des informations ont fait surface selon lesquelles les Démons ont découvert un sérum qui pourrait rendre les humains plus sensibles à leurs influences.
Une exclamation collective parcourut l'assemblée. Barclay inspira une bouffée d’air, l'idée qu'une telle chose soit possible le choquant au plus haut point. Était-ce le changement qu'il avait perçu dernièrement ?
— Les Démons ne sont pas capables de faire de la sorcellerie, protesta Finlay à voix haute.
— Jamais entendu parler d'une telle chose ! interrompit Riona, l'une des deux femmes membres du Conseil, en levant les mains dans un geste théâtral. De plus, les sorcières sont nos alliées, pas les leurs.
Barclay frappa le marteau sur la table.
— Silence ! Silence !
Les autres membres du Conseil se turent lorsqu'il leur lança un regard furieux. Puis il se tourna vers Geoffrey.
— Continue ton récit.
Jetant un regard exaspéré à Finlay, Geoffrey entrouvrit les lèvres.
— La sorcellerie, non. Nous sommes d'accord sur ce point, mon ami.
Barclay était parfaitement conscient que Geoffrey et Finlay étaient rarement d'accord sur quoi que ce soit. Il avait dû arbitrer de nombreuses disputes entre les deux Gardiens, aussi têtus l'un que l'autre. Pour une fois, il espérait qu'aucune dispute de ce genre n'éclaterait lors de cette réunion. Les circonstances étaient trop graves pour que l'on perde du temps dans une démonstration inutile d'excès de testostérone, comme si ces deux-là étaient des adolescents boutonneux et non les hommes endurcis qui s'étaient battus à ses côtés pendant des siècles.
— Cependant, je ne parle pas de sorcellerie. Je parle de science.
— De science ? répéta Finlay, visiblement abasourdi.
Un hochement de tête sinistre marqua la réponse de Geoffrey.
— De sciences pharmaceutiques. Le docteur Leila Cruickshank...
Il fit circuler une photo.
— …est une chercheuse talentueuse pour Inter Pharma. Ces dernières années, elle a consacré sa vie à la recherche d'un remède contre la maladie d'Alzheimer.
— C'est très admirable. Mais quel est le rapport avec nous ? l'interrompit Wade en passant ses doigts dans ses cheveux blond foncé. D'ailleurs, beaucoup d'autres ont essayé avant elle, et personne n'a réussi.
— Est-ce que la Dr Cruickshank a réussi ? demanda Finley, en faisant un signe de la main à la photo qui parvint à Barclay à ce moment-là.
Le regard de Barclay se posa sur le visage de la jeune femme. La photo avait été prise à travers une fenêtre, à une bonne distance. Malgré cela, l'objectif avait réussi à capturer son essence même : ses traits agréables, mais déterminés, son nez droit et ses yeux perçants soulignaient ce que Geoffrey avait dit. Vêtue d'une blouse blanche de laboratoire, elle était assise devant un ordinateur et regardait l'écran l’air fasciné. Ses longs cheveux noirs étaient rassemblés en une queue de cheval d'apparence désordonnée, des mèches s'étant échappées, encadrant ses traits classiques pour les adoucir.
— Notre émissaire nous rapporte qu'elle est sur le point de faire une avancée capitale. D'après les rapports de laboratoire auxquels il a pu avoir accès, les premiers essais cliniques suggèrent que le sérum semble... débloquer l'esprit.
— Débloquer ? répéta Barclay. Explique.
— Avec la maladie d'Alzheimer, les neurones et les synapses du cerveau sont détruits, ce qui éteint l'esprit, enferme les souvenirs et les expériences, faisant en sorte que les gens ne se souviennent même pas de leurs proches. Si ce sérum fait ce que nous pensons qu'il fait, alors il semble inverser certains de ces effets.
— C'est une bonne chose alors, acquiesça Deirdre en repoussant ses longs cheveux blonds derrière son dos. Alors, je suppose que tu veux qu'elle soit protégée ?
Geoffrey secoua la tête et regarda l'assemblée, l'expression solennelle.
— Au contraire. Je veux qu'elle soit éliminée.
Finlay se leva de son siège.
— Quoi ?
— Nous avons juré de protéger les humains et d'aider à faire avancer le bien dans le monde, ajouta Deirdre en posant une main sur le bras de Finlay et en l'incitant à se rasseoir. Et tu veux faire le contraire ?
— Tu ferais mieux d'avoir une sacrée bonne explication pour ça, rugit Wade.
Alors que Norton, Ian et Cinead, les trois membres du Conseil qui étaient restés silencieux jusqu'à présent, s’éclaircissaient la gorge, Barclay se leva et fit signe à tout le monde de se taire. Puis il se tourna vers Geoffrey.
— Moi aussi, j'aimerais entendre ton raisonnement à ce sujet. La maladie d'Alzheimer frappe l'humanité depuis de nombreuses années, et refuser aux humains un remède contre ce mal...
Il secoua la tête.
— Parle.
Geoffrey continua en rougissant. De toute évidence, ce sujet lui tenait à cœur.
— Tout comme le sérum peut stopper la maladie d'Alzheimer et inverser certains de ses effets en réparant des neurones endommagés et en permettant aux souvenirs de circuler à nouveau librement, il déverrouille l'esprit, ce qui permet aux Démons d'y accéder facilement. La résistance naturelle que les humains possèdent pour résister à l'influence des Démons de la Peur est anéantie. Il n'y a plus d'obstacles, plus de portail. L'esprit d'un être humain est alors aussi ouvert qu'un portail d'école le jour de la remise des diplômes. Et si Inter Pharma décide non seulement d'utiliser ce médicament pour traiter les patients actuels atteints d'Alzheimer, mais aussi de l'utiliser comme vaccin...
Geoffrey n'eut pas besoin de terminer sa phrase. Tout le monde dans la salle savait ce que cela signifiait. Dès leur plus jeune âge, tous les humains seraient des proies faciles pour que les Démons s'emparent de leur esprit et les contrôlent pour en faire ce qu'ils voulaient.
— Personne ne pourrait résister, dit Cinead d'une voix rocailleuse en se levant.
Il fit un signe de tête en direction de Barclay.
— Puis-je parler ?
Barclay manifesta son accord d'un geste de la main. Cinead, l'Écossais qui siégeait au Conseil depuis plus longtemps que n'importe lequel d'entre eux, mais qui n'avait pourtant jamais accepté d'être nommé Primus, était le plus sage d'entre eux, examinant toujours tous les aspects d'une question avant de prendre une décision.
— Geoffrey, tu dis que ton émissaire a vu des rapports de laboratoire. Sont-ils disponibles pour que nous les examinions ?
— Je peux me les procurer, si tu ne me crois pas.
Il sembla contrarié par la demande de Cinead.
— J'aimerais les voir et étudier les données moi-même. Nous ne pouvons pas éliminer sans ménagement un humain uniquement sur la base du rapport d'un émissaire qui n'a peut-être pas les connaissances pertinentes qu'il faut pour évaluer cette question. Nous n'avons jamais agi sur la base de rumeurs ou de suppositions. Il n'est pas nécessaire de commencer maintenant.
Geoffrey souffla.
— Je vous donnerai ce fichu rapport, mais je vous le dis, il n'y a pas de temps à perdre. Si on autorise la mise sur le marché de ce traitement, il a le potentiel d'anéantir la race humaine et nous par la même occasion.
— Je suis d'accord, dit Riona. Il faut au moins en restreindre l'accès jusqu'à ce que nous en sachions plus. Si les Démons mettent la main dessus, ils pourraient bien être en mesure de le reproduire et de le distribuer parmi la population humaine.
— Il faudrait quand même l'administrer par injection, je suppose ? demanda Norton en fronçant les sourcils.
Geoffrey haussa les épaules.
— Tous les vaccins ne sont pas administrés avec une aiguille. Si les Démons s'en emparent, qui dit qu'ils ne peuvent pas infiltrer les réserves d'eau et de nourriture des humains avec ce vaccin ? Il faut les arrêter avant qu'ils n'en arrivent là. Nous devons détruire toutes les traces des recherches du docteur Cruickshank et tous les échantillons du traitement.
— Si le médicament fait vraiment ce que tu dis, concéda Norton. Cependant, en attendant, je suis d'accord avec Cinead : nous n'interviendrons pas tant que les faits n'auront pas été confirmés.
— Les faits me semblent assez clairs, exprima Ian. Ses recherches sont dangereuses. Il faut s'en occuper dès maintenant. Chaque minute que nous passons à discuter, les Démons se rapprochent d'elle, s'ils ne l'ont pas déjà trouvée.
— Alors, c'est ça la valeur que tu accordes à une vie humaine, remarqua Riona. Et si c'était ta vie ?
— Je suis immortel, dit Ian.
— Même toi, tu peux être tué, soupira Riona, avec les bonnes armes.
Barclay grinça des dents, peu désireux d'écouter davantage de chamailleries entre les deux.
— Soit vous gardez vos remarques pour le sujet qui nous occupe, soit vous sortez. Qu'est-ce que vous choisissez ?
Devant son regard sévère, tous deux pincèrent leurs lèvres.
Wade leur jeta un regard, puis se redressa sur son siège.
— Si ce que dit Geoffrey est vrai, je crois que la race humaine court un grave danger. Et il n'y a vraiment qu'une seule façon de faire face à une telle menace. Nous ne sommes pas simplement des Gardiens, nous sommes aussi des guerriers ; il faut s'attendre à des dommages collatéraux.
Barclay serra la mâchoire. Wade avait toujours eu tendance à frapper d'abord et à poser des questions ensuite, et dans le cas présent, il ne semblait pas vouloir agir autrement. Barclay jeta un regard crispé à son collègue du Conseil. Wade répondit par un haussement d'épaules.
Geoffrey lança à Barclay un regard suppliant.
— Primus, j'en appelle à toi. Nous ne pouvons pas laisser cette situation perdurer. Le danger est trop immense, les conséquences pourraient être désastreuses.
Barclay croisa ses doigts en soupirant. Pendant un moment, il ferma les yeux. Ce n'était pas à lui de prendre cette décision, même s'il craignait que Geoffrey ait raison. Une drogue qui transformerait l'esprit d'un humain en buffet à volonté pour les Démons de la Peur annoncerait une vague de mal qui balaierait ce monde. Avec de plus en plus d'humains agissant sous l'influence des Démons, les guerres ravageraient la terre, la misère et la douleur se répandraient. Les Démons de la Peur se nourriraient de tout cela, en particulier de la peur. Et ils deviendraient plus forts avec chaque humain qu'ils amèneraient dans leur camp.
Bientôt, le monde serait envahi par le mal : de plus en plus de gens mourraient de maladie et de faim. Chaque pays serait en proie à la guerre et aux conflits ; il n'y aurait plus de gardiens de la paix, plus de forces de l'ordre, plus d'organisations apportant une aide humanitaire. Les gens ne se préoccuperaient que de leurs propres intérêts. L’Armageddon.
Barclay souleva ses paupières.