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Meurtre et complications, tome 2 Celui qui a prétendu le sang plus épais que l'eau n'a jamais, de toute évidence, eu l'occasion de voir une mare d'hémoglobine. En renonçant à sa carrière de cambrioleur spécialisé dans les bijoux, Rook Stevens pensait avoir découvert le moyen infaillible de rester du bon côté de la loi. En principe, le seul policier acharné à le poursuivre aurait dû être son… disons son flic, Dante Montoya, inspecteur de Los Angeles. Malheureusement, la vie n'est pas si simple – celle de Rook en tout cas. D'abord, il tombe sur le cadavre de son cousin, ensuite, il est accusé de son meurtre sous prétexte qu'il… aurait eu une liaison avec la femme du défunt. Quant à Dante, sa vie est devenue chaotique depuis qu'il aime un voleur réformé, d'autant plus que Rook semble attirer les ennuis où qu'il passe. Quand Rook est suspecté par un inspecteur de West LA particulièrement étroit d'esprit, Dante doit intervenir pour tirer son amant des problèmes dans lesquels il s'est fourré. L'enquête est compliquée et les morts se multiplient. Les deux hommes font front commun, car le temps leur est compté : s'ils ne mettent pas très vite la main sur le tueur, Dante devra rendre visite à Rook en prison – ou au cimetière.
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Seitenzahl: 446
Veröffentlichungsjahr: 2018
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Table des matières
Résumé
Dédicace
Remerciements
Glossaire des mots espagnols du texte
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
XII
XIII
XIV
XV
XVI
XVII
XVIII
Épilogue
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Biographie
Par Rhys Ford
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Droits d'auteur
Par Rhys Ford
Série Meurtre et complications, tome 2
Celui qui a prétendu le sang plus épais que l’eau n’a jamais, de toute évidence, eu l’occasion de voir une mare d’hémoglobine.
En renonçant à sa carrière de cambrioleur spécialisé dans les bijoux, Rook Stevens pensait avoir découvert le moyen infaillible de rester du bon côté de la loi. En principe, le seul policier acharné à le poursuivre aurait dû être son… disons son flic, Dante Montoya, inspecteur de Los Angeles. Malheureusement, la vie n’est pas si simple – celle de Rook en tout cas. D’abord, il tombe sur le cadavre de son cousin, ensuite, il est accusé de son meurtre sous prétexte qu’il… aurait eu une liaison avec la femme du défunt.
Quant à Dante, sa vie est devenue chaotique depuis qu’il aime un voleur réformé, d’autant plus que Rook semble attirer les ennuis où qu’il passe. Quand Rook est suspecté par un inspecteur de West LA particulièrement étroit d’esprit, Dante doit intervenir pour tirer son amant des problèmes dans lesquels il s’est fourré.
L’enquête est compliquée et les morts se multiplient. Les deux hommes font front commun, car le temps leur est compté : s’ils ne mettent pas très vite la main sur le tueur, Dante devra rendre visite à Rook en prison – ou au cimetière.
Ce livre est dédié à Sadonna Swann, qui m’a si follement fait confiance en acceptant que je fasse d’elle un des personnages de ce roman. Oh, quelle idée ! J’espère que tu te plairas.
Je remercie aussi vivement la San Diego Crewe, qui doit me supporter quand je cherche fébrilement de nouvelles façons de commettre un meurtre.
J’AIME INFINIMENT les Cinq, mes sœurs de cœur : Lea, Penn, Tamm et Jenn. Et les autres sœurs qui m’aident à maintenir ma santé mentale, Ren, Mary, Lisa, et bien sûr, la précieuse Ree.
Un grand merci à Elizabeth, Lynn, Grace, Naomi et tout le personnel de Dreamspinner Press pour leur travail acharné et leur foi. Une page ne suffirait pas pour nommer tout le monde, mais sachez que je vous suis très reconnaissante à tous.
Enfin, un grand merci aux habitants de Los Angeles qui ont accepté de répondre à mes questions pendant que je hantais les rues et les quartiers pour absorber l’ambiance de la cité.
Abuelita : mémé, mamie (de abuela, grand-mère)
Arroz con coco : riz à la noix de coco
Calavera : crâne emblématique du Jour des morts dans la culture mexicaine.
Carne asada : viande rôtie
Concha : beignet (littéralement « coquille »)
Cuervo : corbeau (« Rook » signifie aussi « corbeau » en anglais)
Dios : Dieu
Fabuloso : fabuleux.
Fútbol : football
Hola : salut, allô…
Horchata : boisson mexicaine de riz
Mama : maman
Mi cielo : terme affectueux, mon chou, mon cœur (littéralement, « mon ciel »)
Mijo (contraction de mi hijo) : mon fils, terme d’affection
Nachos : plat tex-mex
Pendejo : insulte mexicaine (littéralement « poil pubien »)
Quesadilla : crêpes fourrées au fromage fondu
Querido : chéri
Te amo : je t’aime
Telenovela : feuilleton télévisé
Tío : oncle
Tortillas : crêpes mexicaines
ROOK AGITA les doigts, savourant le contact de la bande de tissu au dos de sa main. Sous ses gants, ses terminaisons nerveuses crépitaient d’anticipation. Cela faisait bien trop longtemps qu’il n’utilisait plus ses dons ! Merde quoi, des années s’étaient écoulées depuis la dernière fois où il avait forcé une serrure et vidé un coffre ! L’excitation lui donnait mal aux dents.
Après le sexe – et encore, Rook aurait presque pu démontrer que le sexe passait en second –, la cambriole était une des meilleures voies pour atteindre le nirvana. Du moins, c’était le cas avant l’arrivée dans sa vie de l’inspecteur Dante Montoya.
Mais mieux valait ne pas penser au beau Mexico-cubain. Dante était si sexy qu’il représentait une distraction, dangereuse en temps normal, mortelle alors que Rook tentait d’accomplir un travail délicat. Ces deux derniers mois, sa vie émotionnelle ressemblait plus à une virée en grand huit qu’à un paisible tour de manège. Rook avait commencé à perdre le contrôle de la situation. Primo, Manny, l’oncle de Dante, travaillait désormais avec lui à Potter’s Field, sa boutique dédiée aux collectionneurs et fans du cinéma – il avait pu rouvrir après la fusillade policière. Secundo, Rook avait dans son lit une présence constante, surprenante, mais bienvenue. Un aussi bel homme aux yeux de feu et à la voix séduisante avait déjà de quoi lui faire perdre la tête, mais quand Rook pensait en plus à sa décision aberrante de se séparer de son sac de bijoux, le stress lui donnait envie de s’arracher les cheveux.
Ce soir, il avait une tâche à accomplir.
Ne plus travailler lui avait manqué. Il aimait accéder aux biens d’autrui et y faire son choix. Se glisser dans l’obscurité, pénétrer dans la vie des autres et mettre la main sur leurs trésors les mieux gardés, c’était la chasse ultime.
Contourner les mesures de sécurité, séduire les serrures d’un bâtiment, personnel ou professionnel, entrer et tomber sur un butin qui n’attendait que lui avaient une connotation sexuelle. Les portes lui cédaient toujours, même si elles se faisaient parfois un peu prier, pour le principe.
La demeure dans laquelle il se trouvait ce soir ne lui avait réclamé que peu d’effort. Vraiment. Quatre semaines durant, Rook avait préparé son coup, s’entraînant dur pour retrouver la souplesse perdue depuis sa « retraite ». Pour se glisser dans des espaces restreints, il lui fallait être particulièrement désarticulé, mais il avait cru pouvoir s’en passer en changeant de vie.
Un début de crampe à la cuisse droite lui rappela douloureusement qu’il s’était laissé aller. Oh, il n’avait rien perdu de sa masse musculaire et sa force intérieure, mais sa flexibilité ne valait plus tripette. Après quatre semaines d’étirements contrôlés et de yoga intensif, il avait presque retrouvé ses anciennes marques, mais il commençait à se demander si « presque » serait suffisant.
La maison à deux niveaux, très moderne, avait des volumes géométriques. Toute en verre, lambris de bois gris et poli, murs blancs étincelants, elle était solidement perchée au bord de la falaise. Le vaste jardin s’organisait en différentes terrasses de verdure parsemées d’étranges statues. Les murs vitrés orientés à l’ouest offraient une vue imprenable, sans doute à couper le souffle. Tout comme le prix de la propriété. Ainsi que la plupart des demeures de ce quartier rupin, la maison était jalousement protégée du vulgum pecus par de hauts murs et une impénétrable barrière d’épineux. Sa situation au bord de la falaise la défendait de ce côté-là, du moins un imbécile le pensait-il, car il n’y avait pas de mur à l’arrière. Bien sûr, la vue sur la ville étalée en dessous était plus agréable sans le plexiglas transparent qu’avaient choisi la plupart des villas environnantes.
Rook trouvait la maison affreuse. Elle évoquait pour lui de gros morceaux de sucre tombés du ciel, échappés de la main d’un dieu se préparant un café matinal.
Rook était impatient d’ouvrir la porte du fond et d’accomplir la tâche pour laquelle il était venu. S’il mettait le pied à l’intérieur, il retrouverait son ancienne vie. Le risque en valait-il la peine ? Rook n’en savait rien. La situation risquait de lui exploser au visage. Ensuite, il n’aurait plus qu’à ramasser les morceaux de… de quoi ? Il l’ignorait également. De… quelque chose. Son estomac se contracta d’anticipation et d’effroi. Ses nerfs se tendirent, l’enjoignant de prendre une décision : revenir à son ancienne vie ou tourner les talons et continuer la voie qu’il s’était récemment tracée.
Le problème, c’était que la vacuité de l’Arche d’Alliance, un accessoire cinématographique de son entrepôt de West Hollywood, se fichait de lui. Pourquoi avait-il rendu son butin ? Cela lui serait vital en cas d’ennuis inattendus. Si sa vie déraillait, Rook ne pourrait compter que sur lui. Il n’aurait personne d’autre. Avec Dante, c’était encore trop récent. D’ailleurs, peut-être n’aurait-il jamais totalement confiance en… personne.
Il lui fallait une assurance-vie.
Outre son ample connaissance de la culture pop et des films hollywoodiens, Rook n’avait qu’un seul autre talent : la cambriole. Aussi devait-il retourner à ses racines. En quelques coups discrets, son pécule serait remplumé et personne n’en saurait rien, Montoya y compris. Ce premier vol, en revanche, était d’ordre différent. Rook y tenait pour des raisons personnelles ; il tenait à ressentir à nouveau le frisson de l’adrénaline et de l’interdit.
Oubliant la chair de poule qui lui hérissait la poitrine et les épaules, il étudia la porte.
— Par Dieu, c’était vrai ! Juste un verrou standard. C’est comme déterrer un dinosaure !
Le verrou du patio arrière était si pitoyable que cela en devenait risible. Un modèle onéreux, certes, mais simpliste. On le trouvait dans toutes les quincailleries de quartier. Certaines entreprises de sécurité ne se foulaient vraiment pas ! Rook hésita à ouvrir la porte d’un coup de pied, juste pour le plaisir de voir sauter le verrou, puis se ravisa. En général, après un cambriolage, les gens étaient encore plus furieux si leurs biens étaient endommagés, la rage les poussant parfois à une vindicte excessive et un profond désir d’obtenir justice.
Rook baissa les yeux sur ses mains : le contact de ses gants, rare mélange de latex et de microfibre, lui était aussi familier que sa peau. Il les avait obtenus d’une vieille Chinoise à Singapour.
Il prit le temps de respirer pour se détendre, ce qui calma les crispations de son ventre, puis il déploya sa trousse à outils. Cela faisait un bail qu’il n’avait plus touché à ses instruments, sauf à titre nostalgique, pour garder la main en quelque sorte. Les avoir pour un véritable travail était tout à fait différent. Et cette serrure, aussi merdique soit-elle, était un obstacle.
Or Rook détestait qu’un obstacle se dresse entre lui et ce qui l’intéressait.
Il aurait voulu prendre son temps pour séduire la maison, mais il était plutôt pressé, aussi décida-t-il qu’une effraction, même rapide, devrait suffire à satisfaire son addiction, entrer dans des endroits où il n’était pas censé se trouver. Il sortit deux minces tiges métalliques, longues et recourbées, qui l’aideraient à ouvrir la porte.
Soudain, il se figea et renifla l’air glacé de la nuit.
— Merde, je bande.
Oui, le sexe passait en second : avec une effraction, il n’avait pas besoin de préliminaires pour obtenir une érection.
Il savoura la douleur musculaire qu’il ressentait au bas du dos, une agréable crampe après une position particulièrement acrobatique au lit la nuit passée… Des images éclatèrent dans sa tête, des sensations : une bouche chaude mordillant sa peau, des chuchotements en espagnol lui promettant toutes sortes de choses délicieuses. En réponse, son corps se raidit. Rook évoqua alors des paumes calleuses glissant sur son dos et ses cuisses, des pouces s’enfonçant dans la chair de ses fesses, des doigts fermes pétrissant ses globes, puis…
Il avait reçu une forte claque pour lui indiquer qu’il était l’heure de se lever.
— D’accord, reconnut-il à mi-voix, le sexe avec Montoya a changé mon échelle des valeurs. Une chance que je puisse encore marcher !
Il grommela entre ses dents, repoussa le souvenir du corps de son flic pesant sur le sien et se pencha sur la serrure.
— Allons-y, ajouta-t-il. Voyons un peu ce que nous cache ce cher Harold.
Cela faisait un bail qu’il n’avait pas œuvré sur une serrure aussi basique. Pourtant, il prit son temps et apprécia les émotions qui se bousculaient en lui. Cela ressemblait vraiment au sexe !
Un grincement de métal sur métal, quelques va-et-vient et la porte céda avec un soupir d’abandon qu’il sentit presque sur sa langue. Une vague de chaleur lui empourprant la peau, Rook sombra dans un plaisir mélancolique. Il dut fermer les yeux quand la sensation devint presque excessive.
Il caressa la serrure.
— Putain, ça me manquait vraiment ! Pourquoi diable y ai-je renoncé ?
— Rook, tu es là ?
La voix d’Alex crépitait. L’oreillette transformait le baryton habituel de son cousin préféré en raucité de fumeur de cigares, son qui perfora le cerveau de Rook. Le gadget électronique était hautement sophistiqué, très discret et efficace. Rook aurait bien apprécié bénéficier autrefois de cet atout technologique. Dommage qu’Alex aboie dedans comme un Viking chassant un lapin sur son destrier blanc.
— Tu parles tout seul, mec ? ajouta son cousin.
— Bien sûr ! railla Rook. J’en suis réduit à parler tout seul parce que j’ai un idiot au bout de la ligne.
Son euphorie se dissipait. Avec un soupir déçu, il se leva, prêt à désengager le système de sécurité à l’entrée du manoir. Un système enfantin, il le savait.
— Pourquoi tu me contactes, Alex ? demanda-t-il.
— Une voiture de police vient de passer. Et s’ils reviennent ?
Il semblait inquiet, c’était dans sa nature. Alex s’inquiétait toujours quand il commettait un délit. Il était du genre à rendre un dollar trouvé sur la plage, à payer les PV déposés sur son pare-brise, même s’ils portaient l’immatriculation d’un autre véhicule.
— Rook ? insista-t-il. Tu m’écoutes ? Qu’est-ce que je leur dis ?
— Alex, tu es blond, tu as vingt ans et la tête d’un geek à un hiéroglyphe près de découvrir comment ouvrir la porte des étoiles. De plus, tu es au volant d’une voiture de sport qui vaut plus cher que la maison d’un flic lambda.
Rook prit une profonde inspiration, ouvrit la porte et entra dans la maison. L’air était conditionné.
— Crois-moi, cousin, insista-t-il. Si les flics te parlent, ce sera juste pour te demander si tu es perdu
— Tu es sûr ? Et si…
Percevant la tension dans sa voix, Rook l’interrompit en ricanant :
— Oui, sûr et certain. D’ailleurs, s’ils vérifiaient tes plaques d’immatriculation, ils se demanderaient surtout comment le mari d’un flic peut s’offrir une voiture pareille. Maintenant, tiens-toi tranquille. Tu es mon chauffeur, pas ma conscience, je n’ai pas besoin d’un Jiminy cricket en chapeau haut de forme sur mon épaule.
— Mais…
— Alex, je t’adore, mais maintenant, j’ai du boulot.
Après ce rappel, Rook fit craquer ses jointures et sourit. Les murs chantaient, lui promettant une belle revanche pour compenser son ego meurtri.
— Coupe la ligne, Alex, ajouta-t-il. Attends que je te recontacte. Mets ta plus jolie robe et tiens-toi prête, parce que d’ici un quart d’heure, je compte sur toi pour aller danser. Nous filerons en quatrième vitesse.
L’APRÈS-MIDI TOUCHAIT à sa fin et le soleil couchant éclaboussait l’intérieur de la maison, côté ouest. Rook grinça des dents : c’était le quinzième salon – au moins – qu’il explorait ! Les pièces étaient meublées de façon spartiate, le design glacial. L’architecte d’intérieur privilégiait le verre et les murs blancs ; les seules touches de couleur venaient d’énormes fauteuils et canapés en cuir rouge sang et d’affreux tableaux d’art contemporain.
Rook comptait mentalement les minutes qu’il s’était accordées pour atteindre son objectif : les chambres à coucher. À son grand regret, il n’avait pas le temps d’examiner de plus près les toiles exposées sur les murs de la pièce.
— Ne reste pas planté là à te gausser de ces horreurs, Stevens, s’admonesta-t-il. Ces tableaux sont certainement sans valeur. Harold a dû les acheter au bord de la route ou dans un vide-grenier.
Il connaissait son cousin, un vantard sans goût ni cervelle. Un enfoiré prétentieux qui ne vivait que pour le clinquant, le paraître. Cette maison ne devait pas sa stérilité et ses lignes géométriques à la mode, c’était plus un hommage à une chaîne de magasins suédois. Pourtant, cet aspect aseptisé avait des fissures : des débris traînaient un peu partout, comme après un récent naufrage.
Une flûte à champagne vide gisait derrière un palmier, une trace de rouge à lèvres écarlate sur le rebord. Un peu plus loin brillait un bouton de manchette en or, à demi caché sous la frange d’un épais tapis blanc. Sur le comptoir du bar, dans des plateaux, des morceaux de fromage desséchés et craquelés s’alignaient à côté de salamis momifiés.
Puis Rook se souvint :
— Oh, c’est vrai ! Tu as organisé une fiesta vendredi soir, pas vrai, Harold ? Tu comptais impressionner je ne sais qui avec du vin et de la nourriture hipster. Ta femme de ménage est en congé jusqu’à lundi. Et toi, tu joues au golf. Franchement, tu aurais pu ranger un peu !
Un escalier montait derrière le bar, et Rook espéra qu’il conduisait aux chambres. Il resta cependant tétanisé à la vue des étrons canins odorants sur les marches.
— Merde, il a un chien ?
Quand Rook avait fouillé dans la vie de Harold, il n’avait pas trouvé d’animal de compagnie. Il pencha la tête et écouta s’il percevait un aboiement ou un bruit de pas sur le sol lisse. Il n’entendit rien.
— D’accord, il a peut-être emmené son chien. Bon, allons-y, il faut juste que je ne glisse pas dans ces merdes.
Parmi les forains autrefois, de nombreuses histoires circulaient. Rook avait entendu parler d’un gars qui s’était fait prendre à cause d’un poil de chat et de l’ADN du félin. Rook n’avait jamais été arrêté. Il préférait ne pas gâcher son score, mais si par hasard c’était le cas ce soir, autant que ce ne soit pas à cause d’un foutu clébard.
L’escalier présentait un virage serré sans doute destiné aux entrées spectaculaires. Les marches de marbre blanc étaient profondes, assez peut-être pour y baiser si le partenaire du dessous acceptait de se cogner la tête.
Rook monta vite et en silence. Une fois en haut des marches, il traversa le palier en quelques enjambées et se dirigea vers le bout du couloir.
Ayant vérifié les plans de la bâtisse, il savait que la suite principale occupait la moitié de l’étage, face à la falaise, avec de vastes baies vitrées destinées à offrir une vue panoramique. Depuis la cour, il avait vu Los Angeles étalée en dessous. Cela ressemblait à… une ville. Celle où il vivait. Celle où on pouvait commander une carne asada à trois heures du matin après avoir fait une partie de mini-golf à Sherman Oaks. C’était là qu’il avait fait ses meilleurs coups, volé des bijoux somptueux et baisé comme jamais.
Tu continueras à baiser, murmura son cerveau, parce que Montoya n’a aucune intention de te quitter.
Avant de connaître Dante, Rook avait constamment été abandonné.
Je n’ai pas de temps à perdre avec ces conneries.
Secouant sa mélancolie, il s’arrêta devant la porte de la chambre, un large panneau noir et brillant censé être verrouillé d’après les renseignements extirpés à ceux qui connaissaient la propriété et des habitudes de Harold.
À peine Rook avait-il effleuré la porte qu’elle s’entrebâilla et glissa sans bruit sur le côté.
— Merde !
L’inattendu le rendait nerveux. Ses gencives se recroquevillèrent autour de ses dents et un filet glacé remonta le long de sa moelle épinière. Cette porte ouverte, ce n’était pas normal, même si son cerveau reptilien s’empressa de lui trouver des explications rationnelles : Harold s’était montré négligent ou un autre cambrioleur était passé avant Rook.
La porte n’était qu’entrouverte. Quelques rayons de soleil rouge en émergeaient et traçaient un long rai de lumière dans le couloir obscur. Des sons émanaient aussi de la pièce, des gargouillements que Rook n’arrivait pas à interpréter. On aurait dit…
Il pencha la tête pour mieux écouter… un filtre d’aquarium peut-être, ou même une de ces machines que les gens laissent parfois tourner toute la journée. Le bruit de fond n’avait rien d’alarmant, il était simplement inhabituel. Cela pourrait être n’importe quoi, vraiment. Mais Rook ne le reconnaissait pas. Pourtant, l’atmosphère de la maison le… déstabilisait. La sensation de danger persistait. Quelque chose n’allait pas. Aussi Rook recula-t-il d’un pas, ses doigts gantés à quelques centimètres de la porte.
La lumière du soleil disparut, coupée par la silhouette sombre qui se rua hors de la pièce. Rook discerna brièvement une peau pâle, des vêtements noirs et des membres qui s’agitaient avec fébrilité. Par chance, il esquiva le premier coup. Sous l’effet de la surprise, il leva le bras. Un objet lourd le frappa de plein fouet, l’impact remontant de son avant-bras jusqu’à l’épaule, le déséquilibrant. Il s’écroula, mais il réagit d’instinct et roula suis lui-même pour accompagner sa chute. Il savait tomber, il avait des années d’entraînement acquises enfant, quand il suivait la foire et les saltimbanques. Il se releva en profitant de son élan et fonça sur son adversaire la tête en avant. Il l’atteignit à l’estomac.
Si le grognement qui s’ensuivit fut satisfaisant, l’autre était plus lourd qu’il y paraissait. Rook tenta d’entrer dans la pièce, mais sa hanche heurta le chambranle, le déstabilisant une fois encore. Le sol glissant ne lui permit pas de retrouver son équilibre. Aveuglé par la blancheur des murs et la vive lumière émanant des baies vitrées, il ne voyait plus rien. Un coup l’atteignit à la mâchoire.
Rook cligna des yeux. Il vit devant lui une silhouette à contrejour. L’inconnu portait une cagoule. Avec un ahanement sourd, il leva le bras, brandissant un objet lourd et bizarre qu’il tenait dans la main droite. Peu désireux de recevoir un autre coup, Rook se jeta en avant et essaya d’empoigner l’inconnu à la taille, ou aux bras, de s’enrouler autour de lui pour l’immobiliser. Usant le poids de son corps, il força l’autre à reculer et à dégager la porte.
Il avait appris le corps-à-corps étant enfant. Le monde des forains était dur, physique et violent, les escarmouches fréquentes et les rancunes tenaces. Rook connaissait le son des poings qui frappent chair et os, ce n’était pas un souvenir qu’on pouvait oublier. Pour se tirer d’affaire, il avait appris à user de ses poings bien avant de maîtriser l’art de forcer une serrure ou de charmer son entourage.
D’une poussée de jambes, il se propulsa en avant et s’écrasa contre son adversaire, espérant que passer à l’offensive lui donnerait une meilleure chance de contrôler le combat. Il lui fallait un espace plus dégagé que le couloir avec son palier dangereusement étroit et son escalier abrupt. Comme Rook tournait le dos aux marches, une simple poussée risquait de le faire basculer à la renverse. Dans ce cas, les merdes du chien qui l’attendaient en bas seraient le cadet de ses soucis. Il cogna aux côtes et suivit par un coup de genou, espérant déséquilibrer son adversaire. Au mieux, ce dernier laisserait tomber ce qu’il portait, au pire, il n’aurait pas le temps de riposter.
Rook continua à frapper vite et fort, plaçant habilement ses coups malgré les mouvements chaotiques de son adversaire. Si les côtes étaient stratégiquement un bon endroit, Rook préféra viser sous le nombril. Ses poings serrés s’enfoncèrent dans un bourrelet gras puis, profitant d’une ouverture, il plaça un crochet au visage, en plein sur la mâchoire cachée sous la cagoule. Rook regretta que la laine épaisse amortisse la force de l’impact. Dans la pénombre, il ne distinguait de l’inconnu que les yeux et une bande de peau pâle. Un coup sur son poignet lui indiqua que l’intrus se débattait toujours.
Finalement, ce fut le sol de la chambre qui scella sa défaite. Il était en pierre sombre, aussi lisse que les marches de l’escalier, aussi Rook ne remarqua-t-il pas la trace humide avant qu’il soit trop tard. Il glissa et son pied se tordit sous lui. Obligé de choisir entre continuer à se battre ou tenter d’amortir sa chute, il hésita une seconde de trop. Son instinct trancha pour lui. Rook pivota donc sur lui-même, préférant tomber sur le côté et protéger ses articulations. Il oublia son agresseur qui brandissait toujours un lourd objet vaguement cylindrique. Rook évita un atterrissage trop brutal, mais il ne pensa pas à protéger sa tête et, dans un geste plus désespéré que contrôlé, l’intrus le frappa de plein fouet.
Le choc fut suivi d’une vive douleur et d’une explosion d’étoiles lumineuses. Le crâne de Rook partit sur le côté, sa mâchoire lui parut se décrocher. Il tenta d’absorber une partie de l’impact en suivant le mouvement, mais vu sa position, il n’y réussit que partiellement. Son agresseur lâcha son arme improvisée qui s’envola et retomba plus loin avec un son mouillé des plus étranges.
Rook roula sur lui-même et haleta, la tempe douloureuse et enflée. Son cerveau paniqué lui hurlait des ordres, l’exhortant à se lever, à regagner du terrain avant que son attaquant puisse le frapper à nouveau, mais Rook n’écoutait pas. Il avait trop mal, ses yeux n’arrivaient plus à focaliser. Il sentit le goût du sang sur ses lèvres, sans trop savoir où et comment il s’était mordu. Rien que promener sa langue dans sa bouche lui parut un effort insurmontable.
Un instinct de survie le poussa enfin à se retourner. Il cligna des yeux et tenta de s’orienter dans la pièce. Ses mains étaient mouillées et les murs tournoyaient autour de lui. Rook finit par se remettre sur pieds. Il serra les poings et carra les épaules, prêt à continuer le combat. Aux aguets, il scruta la pièce : elle était vide et silencieuse. Il n’entendait plus que sa respiration haletante.
— Putain de salopard ! cracha-t-il.
Dégoûté, il faillit se lancer à la poursuite de son agresseur, mais après quelques pas, sa tête endolorie le força à s’arrêter. Il pressa sa main au milieu de son front, espérant ainsi apaiser sa migraine, et fit le point sur ses options. Il avait mis trop longtemps à se relever et l’autre enfoiré avait préféré filer que s’attarder en sa compagnie.
— Le fumier ! Il a sans doute déjà franchi la porte. Eh merde !
Rook s’accorda un moment pour reprendre son souffle, puis d’un coup de langue, il nettoya le sang qu’il avait sur les lèvres, dégoûté par le goût métallique qui s’attardait dans sa bouche. Pour une raison inconnue, l’odeur avait également envahi ses sinus. Lorsqu’il s’essuya le visage du dos de sa main, il fut surpris de voir des traces sombres sur le latex beige.
— C’est quoi cette connerie ?
Il cligna des yeux pour ajuster sa vision et tenta d’oublier les étoiles qui clignotaient encore dans son crâne. Sa migraine s’aggravait à chaque seconde qui passait. C’était comme si des serres acérées s’enfonçaient dans sa tempe ! Il effleura la zone douloureuse du bout des doigts, puis examina sa main : aucune trace de sang.
Alors, d’où venait cette odeur qui devenait insoutenable ?
— Je saigne, mais d’où, bon Dieu ?
Un discret cliquetis sur le sol de marbre attirant son attention, Rook se retourna et fut aveuglé par la lumière du soleil qui passait à travers les fenêtres orientées à l’ouest. Sa vision mit un moment à s’ajuster.
Un moment plus tard, une petite boule de poils émergea des ombres qui envahissaient le couloir. En voyant Rook, le chien lui offrit un sourire accueillant et s’approcha en battant la queue.
Mais Rook s’était figé. Il venait d’apercevoir un homme nu étalé au centre de la pièce, mort de toute évidence. Une statue aviaire étrangement familière se trouvait sur le ventre velu et gonflé.
De son vivant, Harold Archibald Barnsworth Martin avait été un homme à l’ego surdimensionné, condescendant et imbu de lui-même. Sa fatuité était alimentée par l’argent qu’il possédait et par le tempérament infantile dont il était doté. Mort, il n’était qu’un corps raidi, un tas de chair blafarde marbrée de sang séché. Sous l’estomac rougeaud, son sexe ressemblait à une nouille racornie.
Quand Rook se pencha pour récupérer l’oreillette Bluetooth qu’il avait laissé tomber durant le combat, le poméranien se frotta à ses jambes. Rook le caressa distraitement et remit son accessoire en place, espérant ne pas avoir perdu sa connexion avec Alex. Il tapota dessus, grimaça en entendant un sifflement suraigu, puis soupira, soulagé d’entendre son cousin crier à l’autre bout du fil.
— Alex, il faut que tu appelles les flics, annonça Rook.
Il ramassa le chien et le serra contre lui, malgré ses trémoussements, puis s’approcha prudemment du corps de Harold. Il avait peu d’espoir de trouver son cousin encore en vie, mais ce fut en voyant sa blessure béante à la tête qu’il comprit : il n’aurait plus jamais à supporter les insultes de ce foutu connard au cours d’un repas de famille.
Le Faucon Maltais – l’objet qu’il était venu voler – reposait encore sur le ventre de Harold, puis la gravité reprit ses droits et la sombre statue glissa sur la panse rebondie jusqu’au creux du bras replié. L’affreux oiseau en résine, témoin irrévocable de la mort de Harold, fixa sur Rook un œil dur plein de ressentiment.
Le chien geignit pour retrouver le sol. Malgré le boucan, Rook entendit la question d’Alex :
— Que se passe-t-il, Rook ? Pourquoi dois-je appeler les flics ?
Rook s’éloigna du cadavre immobile.
— Parce que notre con de cousin a été assassiné, marmonna-t-il. Et si tu veux mon avis, l’objet contondant est mon foutu volatile.
DERRIÈRE DANTE Montoya, Los Angeles scintillait d’ambre et de bleu, les hauts gratte-ciel se découpant au-delà des collines environnantes. L’air vif de la nuit promettait une matinée glaciale. Le crépuscule était tombé depuis peu, la nuit avait un goût de pluie, mêlé aux relents des graviers poussiéreux du canyon. Plus discrète, l’amertume de la sauge et des pins chatouilla le nez de l’inspecteur.
Nichés dans les canyons, les beaux quartiers d’Hollywood restaient loin de la brutalité bruyante des grands boulevards et du désespoir criard des endroits les plus connus. Pourtant, Los Angeles cherchait à se faire entendre, même dans les hauteurs. La ville était comme un long serpent d’ambre et d’ébène qui ondulait autour des collines, parsemé de pierres précieuses étincelantes, feux de circulation et néons des enseignes. Malgré le calme alentour, Los Angeles refusait de rester figée.
Afin de calmer son agitation, Dante avait descendu les vitres de sa voiture banalisée, laissant la ville entrer dans l’habitacle. Au loin résonnait la circulation des débuts de soirée, un bruit assourdi qui se mêlait au constant brouhaha urbain, ponctué parfois du coup de klaxon d’un chauffeur excédé. Quelque part en bas, une sirène arpentait les rues, une ambulance invisible hurlait son cri lugubre.
Ah, Dante avait bien besoin d’un long trajet vers le haut des collines s’il trouvait une étrange zénitude aux odeurs familières de sa voiture, mélange d’huile de fusil, de vieux équipements policiers et des restes du déjeuner de Hank cachés sous le siège avant.
Camden cassa l’ambiance :
— Merde, j’ai de la moutarde sur mon pantalon, grommela-t-il. En plus, ma femme vient juste de le laver. Si elle voit encore des taches, elle va me tuer.
— Tu n’as qu’à le laver sans qu’elle le sache.
Dante se redressa et le vieux siège de la voiture grinça sous lui. Hank, qui conduisait, marmonna d’une voix coupable. Dante jeta un coup d’œil à son partenaire, amusé par la rougeur qui lui marquait les joues.
— Tu sais faire une lessive, Camden ? demanda-t-il.
Le rouquin passa aux aveux :
— Euh, ma femme m’a interdit l’accès à la buanderie. Pour ma défense, j’essayais juste de l’aider. Comment voulais-tu que je sache que certains vêtements ne doivent pas passer au sèche-linge ? Sans le faire exprès, j’ai fichu en l’air un soutien-gorge neuf de cinquante dollars. Ce n’est pas juste ! Au bon vieux temps, il ne fallait pas un diplôme pour utiliser un appareil ménager !
— Camden, tu es irrécupérable. Je m’étonne toujours que Debra ait un jour souhaité t’épouser.
Professionnellement parlant, Hank Camden était le meilleur partenaire qu’un flic puisse souhaiter. Doté de gènes écossais et Viking, c’était un très grand homme dégingandé au teint rougeaud et aux cheveux cuivrés. Ses taches de rousseur se voyaient malgré le bronzage acquis en passant ses week-ends à tondre sa pelouse. Aimable et bon enfant, il avait le contact facile et savait aussi bien extirper aux vieilles dames et aux enfants un témoignage oculaire que faire ami-ami avec les criminels les plus endurcis. Souvent, il réussissait à les envoyer derrière les barreaux avant même qu’ils réalisent s’être laissé amadouer. Mais l’inspecteur cachait son jeu : outre son charme à la Charlie le Coq, il possédait un cerveau cartésien et analytique, et un taux de résolution dans ses enquêtes dont la plupart des flics ne faisaient que rêver.
Oui, en tombant sur Hank, Dante avait eu de la chance, bien plus qu’avec son premier partenaire. D’un autre côté, songeait-il souvent avec amertume, il lui aurait été difficile de faire pire qu’un vieil inspecteur en fin de course, bouffé par le cancer et obsédé par le désir de faire tomber un voleur dénommé Rook Stevens. Surpris à falsifier des preuves, Vince avait été mis sur la touche. Il était mort peu après. Quant à Dante, sa carrière et sa réputation avaient survécu à ce désastre, mais de justesse.
S’il appréciait tout particulièrement son partenariat avec Hank Camden, c’était surtout dû à la facilité de leur relation. Sur le papier, les deux hommes n’auraient pas dû être compatibles. Un Mexico-cubain gay de Laredo et un Américain issu d’une bonne famille de classe moyenne ? Hank Camden était un gros maladroit au sourire facile, il avait reçu une excellente éducation et épousé une femme avec laquelle il avait plusieurs enfants.
C’était aussi l’un des flics les plus fins que Dante Montoya ait connus de toute sa vie.
Au cours des années ayant suivi la mort de Vince, Rook Stevens s’était rangé – pas autant que Dante l’avait d’abord cru, mais bon… – et Hank s’était avéré un partenaire fiable. Il acceptait l’homosexualité de Dante et doutait de son bon sens concernant le choix de ses amants.
Leur amitié s’est solidifiée au cours des longues heures passées ensemble dans l’espace restreint d’une voiture de police à pister, parmi les millions d’habitants de Los Angeles, les rares affreux qui considéraient le meurtre comme un passe-temps décent. Hank avait été l’ancre dont Dante avait eu besoin après avoir constaté son attirance pour Rook, le voleur derrière lequel il avait couru pendant les premières années de sa carrière dans la police. Pris par des émotions conflictuelles, Dante peinait à oublier que les retombées de cette enquête ratée avaient bien failli lui coûter sa carrière. Aussi, quand Stevens avait refait surface, Dante avait-il été tenté de lui mettre le grappin dessus, une bonne fois pour toutes.
Au lieu de ça, il était tombé amoureux de ce fichu voleur.
Parfois, Dante doutait aussi de son bon sens concernant ses choix, mais quelque chose chez Rook, peut-être la souplesse élégante de ce corps élancé, le mettait dans tous ses états. Et puis, il y avait ces yeux étranges l’un vert, l’autre bleu, ces traits ciselés et parfaits… bref, Rook s’insinua peu à peu dans son cœur et finit par le conquérir, protestant tout du long que leur relation ne durerait pas. Chez Rook, le cœur généreux équilibrait la voix sarcastique et l’esprit caustique. Même s’il se donnait beaucoup de mal pour cacher sa véritable nature, il était évident qu’il avait bon fond.
Hank manœuvra habilement pour prendre une épingle à cheveux et s’engagea dans une ruelle sinueuse. Ensuite, il enchaîna :
— Bon Dieu, j’aimerais que les urbanistes créent de temps à autre une putain de ligne droite ! Nous avons intérêt à ce que le GPS fonctionne, sinon, nous allons nous perdre dans ce labyrinthe et finirons dévorés par le Minotaure. Tu devrais peut-être prier ?
Dante gloussa.
— Tes connaissances mythologiques m’impressionnent. J’ignorais qu’il existait des pornos sur la Grèce antique. On en apprend tous les jours.
Hank lui jeta un coup d’œil.
— Hé, à l’université, j’avais opté pour la littérature avant de décider que je préférais porter une arme. Bon, nous avons fini notre service dans… à peine une demi-heure. Il nous faudra plus longtemps que ça pour retourner au poste. Nous devrions bientôt passer devant une taqueria… si j’en crois ce panneau rose vif. Veux-tu que nous nous arrêtions prendre de quoi dîner avant de rentrer ? Tu préfères peut-être manger cubain. Après tout, tu es en partie cubain. Pourquoi diable ne mangeons-nous jamais cubain ?
Avant que Dante ait le temps de répondre, son téléphone sonna. Les deux inspecteurs échangèrent un regard. La journée avait été longue ! Après plus de dix heures passées à suivre des pistes sans issue, voilà qu’ils se retrouvaient dans les collines de LA où ils venaient d’interroger un ancien bunny de Playboy, une femme âgée à la voix cassée et aux mains baladeuses. En principe, le duo avait fini son service, mais il était rare que le poste en tienne compte. Tant que leur voiture arpentait les rues, Dante et Hank étaient susceptibles de se lancer à la poursuite d’un criminel quelconque.
— Le capitaine ? chuchota Camden. Non, certainement pas. Tu n’aurais quand même pas osé lui attribuer comme sonnerie The Devil’s Brew 1.
Dante sortit son téléphone de la poche de sa veste
— Non, c’est Rook, répondit-il. Salut, béb…
Son amant vivait et parlait à toute allure, aussi Dante avait-il souvent du mal à le suivre. Il consacrait l’essentiel du temps qu’il passait avec lui à tenter de le ralentir, mais cette fois, Rook refusa de se laisser faire. Un flux précipité de mots et d’émotions retentit à l’autre bout de la ligne. Puis une voix sèche intervint et coupa net le discours incohérent de Rook.
— Attends, s’inquiéta Dante. Ne raccroche pas. Je n’ai pas tout compris. Où es-tu ? Je passe te chercher. Écoute-moi, cuervo, coopère avec la police, mais attends-moi. À quel poste as-tu été emmené ?
— Euh, je ne sais pas.
La voix de Rook s’éloigna. Quand il reprit la ligne, il donna à Dante une adresse à West Los Angeles. Puis il ajouta :
— Tu connais ?
— Oui, j’ai fait un remplacement là-bas. Maintenant, écoute-moi bien : respire un grand coup et répète-moi tout ça plus calmement.
D’un signe impérieux, Dante demanda à son partenaire d’arrêter la voiture. Hank s’engagea dans un parc, ignorant le panneau « interdit de stationner » et le regard ulcéré d’une femme en survêtement rose qui promenait deux chiens de salon au bout d’une laisse garnie de strass.
La seconde version de l’histoire ne fut guère plus rassurante que la première. Dante se frotta le front, conscient qu’une migraine commençait à lui marteler le crâne.
— D’accord, oui. Dios, cuervo, c’est comme… Bon, essaie de ne pas trop parler, ton insolence pourrait t’attirer d’autres ennuis. J’arrive aussi vite que je peux. Je t’aime. Merde ! Il a raccroché !
Il se tourna vers son partenaire et enchaîna :
— Camden, Rook est dans une merde noire. Si tu veux, on passe d’abord au poste te déposer, ensuite…
— Non, pas question. Je vais avec toi. Qu’est-ce que Stevens a encore inventé ?
Dante fit la grimace.
— Rien de bon. Passe-moi le volant, je vais conduire. Pendant ce temps, contacte le dispatcheur et essaie d’en savoir plus.
— DIOS, CUERVO, dans quoi t’es-tu fourré ?
Dante se gara le long du trottoir devant le poste de West LA, alignant sa berline grise derrière deux voitures de police noire et blanche.
— Aucune idée, marmonna Hank, mais on dirait qu’il est impliqué jusqu’au cou. Et aucun des flics que je connais ne veut rien me dire. Bien sûr, comme le nom de Rook Stevens est assez dangereux, ça ne m’étonne pas vraiment que personne n’ait envie de se mouiller avec lui. En revanche, toi…
— Je te conseille d’éviter les vannes douteuses, grommela Dante. Tu risques de finir avec deux jambes cassées et une lèvre éclatée. Viens, allons voir ce qui se passe.
Le poste de West Los Angeles était un solide carré de parpaings de couleur terne un peu en retrait, au carrefour de la 405 et du boulevard Santa Monica. La grille du parking était restée entrouverte, aussi Dante put-il apercevoir un petit groupe d’hommes agglutinés là. Au cas où Hank doute encore que Rook soit à l’intérieur, Dante, d’un geste du menton, lui désigna la McLaren noire qui trônait sur une dépanneuse au milieu du parking. Quant à l’entrée du bâtiment, elle était facile à trouver : un carré rouge vif crevait la façade.
Dans sa jeunesse, Dante aurait eu du mal à imaginer un quartier pareil, mais il s’y était familiarisé depuis son entrée dans la police. L’endroit était plutôt chic, on n’y voyait aucun bungalow de classe moyenne comme celui qu’il partageait avec son oncle Manny. La plupart des demeures étaient nichées dans leurs jardins paysagers, à l’abri de murs en crépi blanc. Quelques palmiers poussaient sur les pelouses d’un vert agressif et les boutiques de la rue proposaient de la nourriture bio et non du discount.
Cependant, la mort restait partout la même. Quelles que soient les finances de la communauté et la qualité de l’environnement, la population de Los Angeles restait intrinsèquement la même d’un quartier à l’autre. Dante l’avait découvert depuis longtemps. Pourtant, plus il y avait d’argent, plus la situation était gérée avec discrétion, aussi une éruption dans ce milieu aseptisé était-elle particulièrement choquante. Les maisons étaient si éloignées les unes des autres qu’aucun voisin n’entendait les querelles domestiques agitant une famille à problème. Il fallait que le chaos suinte par les fissures des fondations pour qu’on puisse enfin appeler à l’aide, mais souvent, il était trop tard… beaucoup trop tard.
Un jour, son oncle Manny avait dit à Dante : « Les riches saignent dans la solitude et le silence, donc personne ne le remarque. Les pauvres saignent tant que plus personne ne le remarque. Mais c’est sans importance, mijo, car au final, tout le monde pleure et meurt. Essuyer les larmes et honorer les morts. Voilà ton rôle ».
Dans ce cas précis, il ne s’agissait pas du district de Dante et l’appel de Rook avait été court, précis et troublant. Si Dante et Hank savaient qu’un homme était mort chez lui, dans les collines, ils faisaient irruption sur le territoire d’un autre flic. Connaissant Rook, tous deux se doutaient qu’ils allaient probablement plonger sans filet dans un sacré merdier.
Dante ne vit pas le chauffeur de la dépanneuse, mais la McLaren attirait l’attention : tous les uniformes du poste semblaient s’être donné le mot pour aller y jeter un coup d’œil.
— Camden, tu sais qui était sur place ? demanda-t-il.
En voyant Hank secouer la tête, Dante soupira et enchaîna :
— Je déteste ne pas savoir à qui appartiennent les orteils que nous allons piétiner en arrivant ainsi à l’improviste.
— Désolé, répondit Hank, mais je n’ai rien d’autre. Quand j’ai appelé le dispatcheur, Sherry m’a juste dit que c’était le chaos. Puisque c’est West Los Angeles qui a attrapé Stevens, nous n’aurons pas de conflit d’intérêts, je présume que le capitaine appréciera.
D’un mouvement de la tête, Hank désigna la McLaren 570GT noire presque cachée sous les uniformes.
— Nous ne sommes plus au Kansas 2, c’est évident. Ce quartier regorge d’argent. Que t’a appris Rook au téléphone ?
— Je te l’ai déjà dit, rappelle-toi. Le mort est son cousin, mais pas Alex, celui avec lequel il s’entend bien. Harold Martin habitait à Bel Air avant de résider temporairement à la morgue. À part ça, Rook n’a pas dit grand-chose. Il m’a juste demandé de venir le retrouver ici, si je pouvais. Franchement, s’il continue, j’aurai grisonné ou perdu mes cheveux avant la quarantaine ! La McLaren qui est dans le parking appartient à Alex Martin. Rook passe son temps à s’attirer des ennuis, mais son cousin Alex est un très brave garçon. Si Rook l’a mêlé à une histoire louche, Archie ne va pas apprécier et la situation va devenir explosive. J’ai un mauvais pressentiment.
Hank tapa un code dans la console de la voiture, informant ainsi le dispatcheur que lui et son partenaire s’apprêtaient à sortir.
— D’accord, alors, que faisons-nous ? demanda-t-il ensuite. Et combien de cousins a ton copain ? Son arbre généalogique m’a l’air bien compliqué !
— Je ne sais pas trop. Rook n’est pas exactement du genre à faire acte de présence aux repas dominicaux de sa famille, aussi n’ai-je pas encore rencontré tous ses cousins. Je t’ai présenté Alex, un joli blond mince qui porte des lunettes. Il assistait au barbecue que Manny a organisé à la maison il y a quelques semaines. Ta femme l’a trouvé adorable. Il est en couple avec James Castillo de North Hollywood.
— Ainsi, les petits-fils préférés du vieux Martin ont des goûts communs.
En voyant que Dante ne comprenait pas, Hank leva les yeux au ciel et enchaîna :
— Hé, Montoya, tu vieillis ou quoi ? Je voulais dire qu’Alex et Rook sont tous les deux gays et maqués avec un flic. Je t’ai connu plus rapide. Bon, parlons maintenant du mort. Tu le connaissais ?
— Harold ? Il est possible que je l’aie croisé une ou deux fois, mais honnêtement, je me souviens à peine de lui. Tu sais, la famille n’a pas été ravie de voir Rook réapparaître après toutes ces années d’absence et séduire aussi facilement Archie, alors il les évite le plus possible. Alex possède une librairie et Rook a tout de suite accroché avec lui. C’est un gentil garçon, honnête et respectueux de la loi, ce que je trouvais rassurant, connaissant le passé de Rook.
Dante secoua la tête à la pensée que Rook avait trouvé dans son arbre généalogique un complice aussi loufoque que lui. Puis il continua :
— Castillo et Alex sont sympas. Les parents d’Alex aussi, mais le reste de la famille… eh bien, ce sont des gens intéressés qui ne sourient qu’à ceux dont ils espèrent tirer profit. L’un d’entre eux m’a déjà demandé de faire sauter les PV de son chauffeur !
— Je vois. Des connards, quoi !
Dante ouvrit la portière de la voiture.
— Exactement. Bon, je vais demander à voir Stevens. En attendant, pourquoi ne pas fouiner un peu, histoire de voir ce que tu peux découvrir ? Va discuter avec les uniformes qui admirent la McLaren. L’un d’eux était peut-être sur la scène du crime. Rook m’a seulement dit qu’il craignait d’être dans une merde noire. Le connaissant, cela peut tout dire – avoir été poursuivi par un éléphant ou accidentellement déclenché une révolution.
Hank ricana.
— Voilà ce qui arrive quand on tombe amoureux d’un ex-cambrioleur, Montoya. Surtout quand il s’agit de Rook Stevens. Fais-toi une raison : ta vie tranquille est derrière toi.
Dante soupira.
— Oui, je sais, reconnut-il. Mais bon sang, il vaut les ennuis qu’il me cause.
Hank parut sceptique.
— J’espère bien ! Je te rappelle quand même que c’est la seconde fois, sinon la troisième que tu vas le chercher au poste de police.
— C’est vrai. Bon, j’y vais. Autant savoir le plus vite possible ce que mon emmerdeur préféré a encore inventé. Avec un peu de chance, je vais le récupérer sans même qu’on sache que nous sommes passés.
En avançant vers la porte du bâtiment, il dut faire un effort sur lui-même pour retenir le signe de croix qui lui venait instinctivement.
DANS LA rue, il avait remarqué plus d’uniformes et de voitures de police aux initiales LAPD qu’après une fusillade de foule. Une fois entré, il constata que le hall était vide, à part quelques plantes en pot, de massifs sièges en skaï et une table d’appoint. Il lui fallut brandir son badge pour attirer l’attention du jeune préposé à la réception – qui remplaçait sans doute le responsable en titre sorti mater la voiture d’Alex. Dante huma l’air, l’odeur était un bizarre mélange de parfum d’ambiance et de relents âcres. Dante mit un moment à comprendre ce qui le dérangeait : il manquait l’odeur du café. Et aussi le brouhaha indistinct des voix de flics, bruit de fond habituel et routinier d’un poste de police.
— Inspecteur Montoya ? Monsieur ? Je…
Malgré son uniforme empesé, le gamin au comptoir paraissait avoir douze ans. Sa voix s’étrangla quand Dante se tourna vers lui.
— Hmm, se reprit-il, l’inspecteur Vicks m’a demandé de vous laisser passer. Il est à l’arrière, au fond du couloir à gauche. Si vous ne trouvez pas, demandez les bureaux.
— Merci, petit.
Dante grimaça quand ce terme lui échappa. Il se revit à son entrée dans la police, si fier d’enfiler son uniforme, d’avoir une arme à son flanc, dans un holster, envahi par le sentiment enivrant d’être enfin devenu un adulte, presque sans l’avoir réalisé. Il agrafa le badge « visiteur » que le jeune agent lui tendait au revers de sa veste et chercha à rattraper sa bévue en disant :
— Euh, merci.
Le jeune flic l’avait bien dirigé et Dante trouva sans difficulté le centre névralgique. Le poste de police de West Hollywood était bien plus petit que Central, où Hank et lui étaient affectés. De plus, son aspect était assez minable, surtout vis-à-vis des quartiers qu’il gérait. Les ordinateurs qui trônaient sur les différents bureaux étaient neufs, pour la plupart, mais la moquette rase était d’un bleu terne que Dante se souvenait avoir vu en banlieue, bien des années plus tôt, avant les matières durables et les couleurs plus agréables. Les flics qu’il croisa lui semblèrent éteints, aucun d’eux ne l’arrêta au passage.
Après un dernier tournant dans le couloir, il arriva dans une petite pièce avec d’étroites fenêtres en hauteur. La lueur orange des lampadaires de la rue adoucissait un peu l’éclat blanc des néons illuminant la pièce du plafond. Le bureau de l’inspecteur était ancien, métallique et couleur kaki, couvert de photos de famille et de plantes d’aspect maladif. Sur la façade sud, plusieurs portes alignées devaient mener aux salles d’interrogatoire.
Plusieurs uniformes étaient agglutinés autour d’un des bureaux, formant un mur bleu marine. L’expression sévère des visages indiquait une discussion sérieuse. Alors que Dante traversait la pièce dans leur direction, quelques-uns s’écartèrent.
Il aperçut alors l’homme qui l’avait mis à genoux.
Rook Stevens était un étrange mélange de sensualité, de charme et de provocation. Mince et musclé, il était doté d’un visage anguleux d’aspect vulpin, d’une bouche pleine, d’yeux vairons et d’un nez insolent. Nonchalamment appuyé contre un bureau, il détournait la tête vers l’une des portes de la salle d’interrogatoire, l’esprit ailleurs. Sa distraction lui donnait un air tendre et vulnérable que Dante, d’ordinaire, ne lui voyait qu’au lit, après l’amour. Il obtenait le droit de câliner son amant après l’avoir physiquement épuisé, abattant ainsi les remparts épineux dont l’ex-voleur se protégeait le reste du temps. Comme armure, Rook utilisait aussi son arrogance et ses mensonges.
Rook ne s’était pas fait couper les cheveux ces derniers temps. Dante aimait la lourde toison caramel qui lui encadrait le visage et les mèches hirsutes aux reflets dorés qui lui tombaient sur le front. Ce soir, son amant avait les traits tirés, son expression indiquait un peu d’inquiétude et son regard ne quittait pas les portes. Rook aurait nié cette inquiétude, surtout après des années passées à se protéger derrière une épaisse muraille, mais Dante le connaissait bien désormais. Malgré son détachement apparent et la distance qu’il maintenait, Rook aimait profondément, tout en aimant avec précaution. Et tous les jours, il dévoilait des bribes de son âme par ses paroles et ses gestes.
À en juger par ses dents plantées dans sa lèvre inférieure, Rook s’efforçait ce soir de cacher une intense émotion.
Dante sut le moment où Rook l’aperçut. Il nota la tension soudaine des longues jambes et la contraction des hanches. Un amant normal se serait détendu en voyant apparaître celui qui, le matin même, lui avait offert un orgasme bruyant, mais pas Rook. Sa première réaction était toujours la même, un dilemme, résister ou fuir, attitude qui lui avait permis de rester en vie pendant sa jeunesse difficile.
Grâce au badge qu’il portait à la ceinture, Dante put se frayer un chemin à travers les flics, mais cela ne lui fut pas facile. Les visages exprimaient un défi qui se durcit encore lorsqu’il s’approcha de Rook. Il n’était pas de West LA, aussi restait-il un outsider malgré son appartenance au LAPD.
D’un signe de tête, il salua un flic âgé et baraqué – Robertson, d’après le badge agrafé à son uniforme –, puis il attira l’attention de Rook en tirant sur sa manche de chemise. Ceci fait, il se présenta :
— Salut, je m’appelle Montoya.
Il échangea avec Robertson une brève poignée de main.
— Oui, je sais, grommela le flic grisonnant. Vous êtes le partenaire de Camden, de Central, pas vrai ? Je connaissais Giada. C’était un bon flic. Dommage qu’il ait mal vieilli. Celui-là, c’est Mark Vicks qui l’a alpagué. Qu’est-ce que vous fichez là ?
— Stevens et moi sommes…
L’expression de Rook était si fermée que Dante, pour la première fois depuis qu’il était tombé amoureux du voleur réformé, se sentit en terrain miné. Cela faisait deux mois qu’ils étaient ensemble et ni l’un ni l’autre n’avait jamais abordé le sujet épineux de leur relation ou de leurs sentiments respectifs. En fait, Rook évitait le sujet chaque fois que Dante avait tenté de l’aborder.
Dante choisit soigneusement ses mots :
— Nous sommes ensemble. Il m’a demandé de passer.
Robertson fronça les sourcils
— Vraiment ? C’est surprenant parce qu’il n’avait pas de téléphone sur lui. Je sais, c’est moi qui l’ai fouillé.
Dante vit Rook lever les yeux au ciel. Il réprima un autre soupir.
— Écoutez, Robertson, y a-t-il un endroit où je pourrais lui parler en privé ?
— Vicks nous a dit de le surveiller, mais je ne vois pas de mal à vous laisser avec lui dans une des salles vides. Ils sont toujours en train d’interroger l’autre gars qui a été pris avec Stevens, ça risque de durer un moment. Laissez quand même la porte ouverte : si ça déraille, nous pourrons intervenir.
Le flic toisa Dante en fronçant les sourcils, ses joues devenant écarlates. Puis il s’adressa à Stevens :
— Vous, n’essayez pas de vous faire la belle. J’ai entendu parler de vous.
— Parce que j’ai l’air de vouloir me barrer ? aboya Rook.
Cette fois-ci, Dante ne put retenir son soupir. Il entendait presque le cliquetis des menottes se refermer sur les poignets de son amant.
