Au risque d'un scandale - Rhys Ford - E-Book

Au risque d'un scandale E-Book

Rhys Ford

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Beschreibung

S'être amouraché de Kim Jae-Min n'est pas facile tous les jours, surtout avec la réserve de Jae sur une existence où il serait ouvertement homosexuel. Pour sa part, Cole McGinnis, ancien flic reconverti en détective privé, est dans un tout autre état d'esprit. Ça ne l'empêche pourtant pas de comprendre d'où lui vient son raisonnement. Un Coréen moyen n'affirme pas sa sexualité, du moins pas à la vue de tous. Malheureusement, Cole ne dispose pas du temps nécessaire pour s'occuper du conflit intérieur de Jae. Il a une mission à accomplir. Scarlet, chanteuse de son état, réclame son aide pour retrouver Park Dae-Hoon, un homme gay qui a disparu depuis presque deux décennies. Cole se voit plonger dans le cercle délicat de la bourgeoisie coréenne, où les obligations et la politique demandent le sacrifie du bonheur personnel au profit de la sauvegarde d'un empire financier. En peu de temps, les corps commencent sans suite logique à s'empiler. À chaque avancée de Cole vers la localisation de Park Dae-Hoon, une nouvelle personne trouve la mort. À ce rythme, l'un de ses proches pourrait bien être le suivant sur la liste du meurtrier.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Table des matières

Résumé

Dédicace

Remerciements

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

XII

XIII

XIV

XV

XVI

XVII

XVIII

XIX

XX

XXI

À propos de l’auteur

Par Rhys Ford

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Copyright

Au risque d’un scandale

 

Par Rhys Ford

Sequel d’Au risque d’un baiser

Un mystère signé Cole McGinnis

 

S’être amouraché de Kim Jae-Min n’est pas facile tous les jours, surtout avec la réserve de Jae sur une existence où il serait ouvertement homosexuel. Pour sa part, Cole McGinnis, ancien flic reconverti en détective privé, est dans un tout autre état d’esprit. Ça ne l’empêche pourtant pas de comprendre d’où lui vient son raisonnement. Un Coréen moyen n’affirme pas sa sexualité, du moins pas à la vue de tous.

Malheureusement, Cole ne dispose pas du temps nécessaire pour s’occuper du conflit intérieur de Jae. Il a une mission à accomplir. Scarlet, chanteuse de son état, réclame son aide pour retrouver Park Dae-Hoon, un homme gay qui a disparu depuis presque deux décennies. Cole se voit plonger dans le cercle délicat de la bourgeoisie coréenne, où les obligations et la politique demandent le sacrifie du bonheur personnel au profit de la sauvegarde d’un empire financier. En peu de temps, les corps commencent sans suite logique à s’empiler. À chaque avancée de Cole vers la localisation de Park Dae-Hoon, une nouvelle personne trouve la mort. À ce rythme, l’un de ses proches pourrait bien être le suivant sur la liste du meurtrier.

À mes grands-pères,

John Kaleimomi Notley et Louis « Primo » Pavao.

 

Vous nous avez quittés, mais je vous porte toujours dans mon cœur.

Avec amour. En espérant vous rendre fiers.

Remerciements

 

 

DU HAATO1 et tout mon amour aux Quatre autres membres de notre Cinq – Jenn, Penn, Tamm, Lea – sans oublier Ren et Ree. Un énorme « merci » et une montagne de cookies, que j’adresse à Lisa H, Bianca J et Tiff T pour avoir déblayé le terrain sur mes premiers jets, et je tiens également à remercier mes amis sur Twitter qui m’ont trouvé des noms de sex shops à foison. Vous savez vous respecter, mes petits dégénérés.

Je ne me permettrais pas d’aller plus loin sans exprimer ma gratitude envers la merveilleuse équipe de Dreamspinner ; Elizabeth pour m’avoir donné ma chance, Lynn pour m’avoir tenu la main à travers la tempête, Ginnifer pour sa sympathie, et à tous les autres contributeurs du projet. Mention spéciale à Julili, qui fait encore vibrer le monde à cette heure.

Enfin, une belle ovation pour JYJ, Big Bang (surtout G-Dragon), Tool, VAST, Vamps, AC/DC, et une série de blues rock qui m’ont tenu compagnie et m’ont permis de m’accrocher durant la rédaction de ce livre. Vous faites une formidable bande-son.

1 NdT : ハート [haato] est une translittération provenant de l’anglais « heart » signifiant « cœur ».

I

 

 

LES HOMMES sont, par nature, sots à souhait.

Étant moi-même un homme, gay qui plus est, je pense pouvoir l’affirmer en connaissance de cause. Car c’est une chose de faire partie de la masse abrutie. Mais c’en est une autre d’être attiré par ses représentants. Maudit par les deux bouts : esprit et membre viril.

Mon grand frère, Mike, un bel exemple de ce qu’il faut éviter de faire, était assis dans le nouveau Range Rover que je venais de m’offrir. Il bougonnait dans un café trop amer que nous avions dégoté à l’épicerie en bas de la rue. Un paquet de Funyuns entre nous cohabitait avec mon stock de Twinkies. Mes pensées se tournèrent tendrement vers l’homme dont j’aurais préféré la compagnie à celle de mon frère. Jae-Min avait probablement mieux à faire dans mon salon, là où je l’avais quitté.

Nous campions devant un sex shop du nom de L’Amant Furtif. Dans le genre, c’était loin d’être la crème de la crème, à des années-lumière des boutiques subtiles et parfumées sur Sunset Boulevard, comme la Boîte de Pandore ou Chocolate Starfish. L’affaire tenait dans un cube de ciment entouré de bazars de bas standing. Un stand de tacos ouvert en continu était arrêté sur le minuscule parking de la boutique et, de l’autre côté, on pouvait apercevoir un atelier de réparation d’ordinateurs. Il n’y avait pas un seul café à cinq dollars le gobelet sur des kilomètres à la ronde. Ce quartier roulait aux donuts bien gras, aux vidanges rapides et à une sélection d’immeubles à l’emporte-pièce.

Nous étions garés juste en face, afin d’avoir une belle vue sur la boutique et l’allée qui la séparait de l’atelier informatique. Les affaires du stand de tacos étaient plutôt bonnes. Dommage qu’elles concernent surtout un dealer et ses clients s’étant rangés sur le parking.

L’Amant Furtif tourna comme un moulin jusqu’à sa fermeture à trois heures et demi du petit matin. Mike et moi observâmes le dernier client s’éloigner en serrant un sac en papier blanc bourré de magazines contre son torse. L’étudiant joufflu qui s’occupait du service de nuit fit descendre un épais volet métallique par-dessus la devanture, nous coupant la vue de l’intérieur de la boutique. Quelques instants après, l’enseigne lumineuse clignota avant de s’éteindre pour de bon.

Même dans les sièges douillets du Rover, trouver une position confortable n’était pas évident. Le tissu cicatriciel résultant de la balle qu’avait tiré Ben ne cessait de se contracter, tirant douloureusement sur les nerfs de mon épaule, de mon torse et de ma cage thoracique. Ma plus récente blessure par balle était une promenade de santé, à côté. Celle-là ne faisait que pulser et se payait ma tête dès lors que je m’essayais à soulever une lourde charge.

— Je n’arrive pas à croire que je me retrouve assis là à quatre heures du matin, à épier la porte d’entrée d’un atelier du porno.

Mike grinça des dents juste assez bruyamment pour m’en faire profiter de mon côté du siège.

— Par tous les Dieux. Pourquoi est-ce que je te laisse m’entraîner dans ce genre de magouilles ?

Les picots rebroussés qui trônaient sur son visage anguleux défiaient encore davantage la gravité après des heures à se passer les mains dans les cheveux. Ayant hérité de mèches noires robustes et de traits asiatiques marqués, il tenait sans aucun doute plus de notre défunte mère que moi. Je ressemblais surtout à notre irlandais de père et je ne pouvais m’empêcher de lui envier sa crinière. Sa sauvagerie, qui aimait à narguer le reste d’entre nous, était une pièce de choix.

— Bobby avait un rendez-vous, voilà pourquoi, lui rappelai-je. Et, techniquement, c’est un sex shop. C’est écrit sur le côté du bâtiment. Tu ne peux pas te tromper. Les lettres fluorescentes rose bonbon ? Et nous sommes ici pour un client, tu te rappelles ?

— Ton client a un problème de pertes en inventaire.

Une autre gorgée de café, et Mike plissa ses yeux en amande.

— J’avais mieux à faire un samedi soir que de jouer les nourrices pour mon frère lorsqu’il cherche à prendre un voleur de godes sur le fait.

— Si tu es là, c’est surtout parce que tu viens de remplacer le parquet de la cuisine par du carrelage espagnol.

Je portai les jumelles à hauteur de mon visage, avisant un couple passant devant le sex shop, mais ils semblaient trop intéressés à se bécoter pour entrer par effraction dans la boutique à présent close.

— Pas facile de ne pas glisser sur ce genre de carreaux quand ils sont mouillés, et ça, c’est quand tu as encore deux pieds. Imagine un peu quand il te manque une partie des jambes.

— Comment aurais-je pu le savoir ?

Mike s’affala dans son siège.

— Ça avait tellement de potentiel. Je voulais lui faire la surprise quand elle rentrerait de New York.

— Certes, peut-être qu’elle comprendra le jour où elle t’aura pardonné… et qu’elle aura décollé ce fichu carrelage.

Je pris mon café en main et avalai une longue gorgée du breuvage sucré, amer et brûlant.

— Pour le moment, tu es bloqué ici, avec moi, en planque devant un sex shop. Et pour ton information, un client est une personne qui te rémunère. Je fais ça gratuitement, pour rendre service à Bobby.

— Qui est en plein date, grommela-t-il. Sympa, le meilleur ami.

— Je ne me mettrai pas sur le chemin d’un homme qui veut s’envoyer en l’air, répliquai-je.

— Voiture Un, répondez. Terminé.

Le talkie-walkie que j’avais posé sur le tableau de bord grésilla dans un sifflement criard. Je m’emparai de l’appareil avant que Mike n’ait la même idée.

— Voiture Un, vous êtes là ? Nous avons un problème à la Voiture Deux. Terminé. CCCrrrchhh.

— Il vient juste de chantonner ça dans le micro ou je rêve ?

Son dédain était aussi amer que le café.

— Tu te fiches de moi ? C’est quoi ça ? On est au primaire ou quoi ?

— Dans la vraie vie, on ne peut pas tous jouer les petits soldats aussi bien que toi, tu sais.

Je pressai la touche d’appel avant que Trey ne puisse cracher de nouveau dans le haut-parleur.

— Trey, que se passe-t-il de votre côté ? Vous avez repéré un suspect ?

Trey, bénéficiaire de la faveur en question et propriétaire de L’Amant Furtif, était chargé de surveiller la porte arrière. C’était la stratégie sur laquelle nous nous étions mis d’accord. Trey vivait dans la débauche et, même enfermé dans sa vieille Toyota Camry à l’autre bout de la rue, il trouverait certainement un moyen d’accoster les clients sortant de son propre établissement. Je l’avais mis avec Mike, tandis que je m’étais associé avec son partenaire du moment ; un minet blond platine qu’on surnommait Rocket pour une raison qui m’échappait encore. J’avais pensé la séparation des deux amants une idée brillante. Après vingt minutes de commentaires lascifs sur l’arrière-train et l’entrejambe d’hommes en tout genre, Mike avait menacé de m’arracher les testicules si je n’intervenais pas.

Nous avions échangé nos places. Trey était allé se placer à l’arrière dans sa propre voiture et Mike avait sauté dans la mienne, de peur que Trey ne trouve autre chose à faire de sa bouche que de s’étendre en paroles dans l’allée sombre qui bordait la boutique.

Malheureusement pour nous, ayant changé de point de vue, Trey avait déjà fait face à trois situations, comprenant le signalement horrifié d’un opossum fouillant les poubelles qu’il partageait avec le vendeur de tacos d’à côté.

— Dis-moi si je me trompe, m’interrompit Mike en pinçant mon flanc, mais il semblerait que quelqu’un vienne juste de sortir de la boutique de l’obscène et se fasse la malle avec les affaires de ton client.

Je ne m’étais jamais laissé aller à jouer avec une quelconque poupée et je posai un regard ahuri sur l’étrange ballon qui passa la tête par l’ouverture étroite dans le mur extérieur de L’Amant Furtif. Il fut pris de convulsions, puis plongea brusquement et remonta en captant l’air. Les membres libérés de la brunette gonflable se déroulèrent et elle tourbillonna un moment avant de flotter vers le sol.

Une version blonde fit son apparition. Son corps en vinyle rose brillant resta momentanément en vol avant qu’une faible brise ne vienne la déposer à côté de sa sœur. Même dans les ténèbres, ses cheveux jaune maïs texturé luisaient et sa grande bouche étonnée était parfaitement perceptible.

Ce qui suivit fut d’autant plus surprenant. Les poupées laissèrent place à ce que je devinais être la pointe d’une Converse rouge en taille 41.

— Le beau salaud devait s’être caché à l’intérieur.

C’était impressionnant. L’homme, maigre comme un clou qu’il était, parvint à se contorsionner suffisamment pour se faufiler par la bouche d’aération. Elle ne devait pas faire plus de soixante centimètres, et pourtant, il rampa vers la liberté comme s’il était fait de gélatine. Malgré un atterrissage incertain sur une pile de boîtes entassées dans la ruelle qui séparait L’Amant Furtif et l’atelier, il reprit pied et retrouva son équilibre. Mike et moi étions sortis du véhicule avant même que la pointe des chaussures du pillard ait touché le bitume.

C’est à ce moment-là que les coups de feu commencèrent à retentir.

Un coup vif par l’arrière et je me retrouvai à avaler du gravier huileux à même le sol. Le poids lourd qu’était Mike m’écrasa et ce qui me restait d’air dans les poumons fut évacué, me laissant haletant. J’étais plus qu’un peu insulté qu’il m’ait poussé à terre et qu’il m’ait couvert de son corps. Je n’avais pas besoin que mon grand frère me protège de cette manière. Et de toute façon, il était bien plus petit et fin que moi, donc, pour un bouclier humain, il avait quelques lacunes.

— Bouge tes fesses de là.

Je le repoussai. Le talkie-walkie dans ma poche braillait les hurlements de Trey. Hurlant à son attention, je fus sur mes pieds dès que Mike me libéra de son poids et pris la direction de l’arrière de la boutique.

— Suis-le. Je m’occupe de Trey, criai-je en direction de Mike.

S’être plaqué au sol devait l’avoir rendu sourd, car il courut après moi aussi rapidement que ses petites jambes trapues pouvaient le porter. Je recrachai du gravier et les égratignures sur mes mains commencèrent à brûler. Je n’étais pas d’humeur compatissante.

Je le fus d’autant moins lorsqu’en tournant au coin du bâtiment, je retrouvai Trey assis près d’une poubelle verte qui avait vu de meilleurs jours, pantalon et caleçon aux chevilles. Trey se tourna légèrement pour nous apercevoir et ce que je pouvais deviner d’un fessier maigre et osseux n’était pas très attrayant. Je ne comprenais vraiment pas ce que Bobby pouvait trouver à ce maigrichon au nez crochu. Le minet, qui s’avérait également être le cousin de Trey, semblait davantage son style.

Rocket, l’homme en question, se tenait pile entre Trey et la voiture, remuant nerveusement à proximité des restes d’un phare brisé. Depuis qu’ils avaient disparu à l’arrière de la boutique, on pouvait noter la disparition de son T-shirt et ses lèvres curieusement gonflées. Il était encore plus mince que Trey, presque squelettique et blanc comme un linge. J’en arrivais à pouvoir estimer chaque os saillant de sa colonne vertébrale et j’étais presque inquiet de le voir basculer au poids des anneaux qu’il avait aux mamelons. Dans sa main, il serrait religieusement une brique.

Freddy, le vendeur du magasin, lui faisait face, l’air surpris de nous voir arriver. Sa bouche était grande ouverte, mimant les orifices des poupées gonflables. Au contraste de Rocket, il n’était pas armé d’une brique. Il pointait un magnifique 357 sur Trey.

Je marquai un arrêt et Mike me fonça dedans. Freddy sursauta, émit un hurlement et la bête qu’il tenait en main partit au quart de tour.

On pouvait observer chez les gens plusieurs sortes de réactions lorsqu’un coup de feu retentissait. Certains se mettaient à crier. D’autres plongeaient pour se mettre à l’abri. Pour ma part, je répétai les mouvements de mon frère. J’attrapai Rocket et le couvris de mon corps pour le protéger.

Cette fois, mon frère choisit de lever le bras, lequel se terminait par un magnifique Glock, et de cibler l’employé au visage arrondi et boutonneux.

Rocket couina et tenta de se dégager de mon étreinte. L’odeur nauséabonde de marijuana bon marché et de transpiration lui collait à la peau aussi fortement qu’il serrait sa brique de compagnie. Ses gesticulations prirent l’allure de convulsions et il se mit à agiter les bras, m’écorchant la joue au passage. Il avait fallu que ce soit la main portant la brique. Des étoiles dansèrent devant mes yeux, et je me retournai. Si Rocket était visé, peut-être qu’il pourrait dévier la balle avec cette brique, telle Wonder Woman.

— Lâche ça.

On aurait pu croire que c’était Mike qui avait un passé de flic, au lieu de moi. Sa voix était modérée. Il devait s’être entraîné devant un miroir.

Freddie en perdit sa prise sur l’arme. Elle s’écrasa sur le béton dans un cliquetis et je tiquai, m’attendant à ce qu’un coup parte. J’époussetai mon jean des gravats et des cailloux.

— À quoi te sert un flingue pareil ?

Je m’en allai ramasser l’arme. Elle était lourde et la poudre qui s’en échappait avait une fragrance poussiéreuse. Trey se déplia de sa position fœtale à même le sol. Son derrière blanc comme neige disparut de mon champ de vision lorsqu’il se redressa et il m’adressa un sourire embarrassé, conscient de la désapprobation que m’inspirait sa nudité.

— Remonte-moi ce pantalon, Trey.

C’est à ce moment-ci que je remarquai la bouteille en verre qui lui pendait à l’entrejambe.

— Il est bloqué, marmonna Rocket, grattant son bras famélique au niveau d’une piqûre de moustique. Il se l’est coincé.

— Merci pour ça. J’avais remarqué, Rocket.

Je fis signe à Freddy de garder ses distances et il recula aussitôt, les yeux cloués sur mon grand frère. Le contenant s’avéra être une bouteille de thé glacé dotée d’un goulot plus large que ne l’aurait été celui d’un soda. Le membre impressionnant de Trey était fermement logé dans le long col.

— Voilà qui explique ce que Bobby a bien pu lui trouver.

— Sérieusement.

Mike cracha à terre.

— Je vais voir si j’arrive à retrouver le maigrelet et ses poulettes emplastifiées. Je te laisse t’occuper de cette merde.

— Cet enfoiré avait un pistolet, baragouina Freddy, une fois Mike parti. Il était prêt à tirer ! Il avait un putain de flingue.

— Pour être tout à fait franc, il n’était pas le seul, lui rappelai-je en désignant l’arme que j’avais récupérée.

Je poussai Rocket pour passer et approchai Trey, baissant les yeux vers son entrejambe embouteillé.

— Trey, qu’est-ce que tu as fichu ?

— J’avais besoin de pisser.

Trey haussa les épaules, refluant un mélange d’herbe, de transpiration et, en bonus spécial, de sexe.

— Freddy a fermé boutique et nous a rejoints pour en fumer une. Et j’ai eu envie de me vider, c’est tout.

— Il y a des toilettes à l’intérieur, fis-je remarquer. Dans ton propre établissement. Celui dont tu es le propriétaire ?

— Je n’y avais pas pensé, admit-il. J’avais une bouteille vide qui traînait, Rocket m’a déconcentré et je me suis retrouvé coincé. Freddy a essayé de la faire sauter, mais il a raté.

— Il aurait pu te la perforer, imbécile.

Je détournai les yeux du tableau que dépeignait Trey, assis cul nu à même le bitume crasseux, n’ayant pas l’air d’être pressé de remonter son pantalon. Considérant que nous nous trouvions à l’arrière d’une boutique qui vendait du lubrifiant et des godemichets, j’aurais évité de laisser mes fesses nues toucher le sol ; Trey n’avait pas l’air trop inquiet.

— Il comptait la briser contre une poubelle, mais Freddy pensait que ce serait une mauvaise idée, marmonna Rocket. On a voulu essayer de la tirer, en premier.

La langue de Rocket ne cessait de s’accrocher dans le piercing qu’il avait au niveau de la lèvre inférieure et sa peau commençait à montrer des marques d’irritation. Je me demandai si j’avais un jour été aussi jeune et idiot. À voir Trey, jambes écartées, le membre enclavé dans un sarcophage de verre, je doutais que cela puisse avoir été possible.

— Et la brique dans l’histoire ?

J’avais presque peur de demander.

— Quelle autre bonne idée vous est venue à l’esprit ?

— Oh, ça.

Rocket baissa les yeux vers la brique, surpris de la trouver toujours enserrée entre ses doigts.

— Trey voulait que je m’en serve avant que Freddy propose de tirer.

Pour un drogué aussi nerveux et maigrichon que lui, Rocket savait sacrément bien visé. La brique s’envola dans un geste précis, atteignant proprement sa cible : pile dans l’entrejambe encapsulé de Trey.

II

 

 

— TU AS de la compagnie, déclara Mike lorsque nous nous arrêtâmes devant le vieil immeuble que j’avais restauré de mes mains après la fusillade.

Un mot si simple – fusillade – pour décrire l’implosion de ma vie tout entière.

Le temps de faire le chemin jusqu’au bâtiment imposant de style Craftsman qui renfermait tant mon logement que ma société, McGinnis Investigations, le ciel avait pris une nuance de bleu crépusculaire. J’avais fait d’une partie du rez-de-chaussée mon bureau et du reste, mon foyer. La flore était quelque peu absente de la façade en raison d’un engin explosif avec lequel la fille d’un ancien client avait expérimenté. Une allée moulée dans le ciment longeant la bâtisse menait à la porte d’entrée et au double abri plein air sous lequel je garai le Rover. Je devinai juste à côté la Ford Explorer chromée de Jae, à cause de laquelle Mike avait dû ranger sa Porsche trapue le long du trottoir.

Une longue voiture noire mangeait une bonne partie du reste de la bordure. On pouvait également noter les accessoires premium d’usage en la présence de deux hommes carrés aux traits coréens et d’apparence robuste engoncés dans un costume noir. Le véhicule était garé de manière à avoir une ligne de vision directe sur l’allée et ma porte d’entrée. D’après mon expérience, ces types-là n’avaient que deux vocations : jouer les chauffeurs et la protection rapprochée. Ceux-là répondaient à un homme de Séoul inébranlable lié de manière assez ambiguë à l’ambassade coréenne. L’homme d’affaires avait fort peu à faire de me rendre visite, donc ils ne pouvaient être là que pour une seule raison : la protection de son amante.

Scarlet.

J’avais rencontré Scarlet des années auparavant en travaillant sur une affaire connectée au Dorthi Ki Seu, un club réservé à la gent masculine s’adressant à la communauté asiatique et au public coréen plus particulièrement. Elle interprétait de la variété, ondulant sur la scène au son de titres classiques suaves. Elle était grande pour une Philippine, son corps longiligne apparaissant destiné aux robes pourpres et aux lichées de whisky. Sa beauté était intemporelle ; des traits sublimes, des lèvres pulpeuses et une peau de la couleur du lait, avec une pointe de café pour rendre les choses plus intéressantes. Scarlet était sans aucun doute la plus belle femme qu’il m’avait été donné de rencontrer.

Et elle n’était pas née femme.

J’avais probablement déjà croisé l’un ou l’autre des gardes qui faisaient du surplace. Malheureusement, ils semblaient tous avoir été engagés non pas seulement pour leur précision de tir et la portée de leurs coups, mais également pour leur manque d’expression. Il m’était difficile de les différencier. C’était d’autant plus complexe de jour lorsqu’ils portaient des lunettes de soleil. L’idée m’avait tourmenté jusqu’à ce que Mike admette qu’il n’y parvenait pas davantage, et il avait bien plus affaire à eux que moi.

— Eh.

Mike marqua une pause avant de descendre du Rover.

— Tu comptes t’amener avec Jae au dîner avec les parents ?

— Je ne lui en ai pas encore parlé.

J’étais exténué et mon ventre se tordait de tout le café bon marché que j’avais ingéré ces dernières heures.

— Ce n’est pas comme si papa voulait me voir, Mike. Ça fait des années que nous ne nous sommes plus adressé un mot.

Mon père et Barbara, la femme à laquelle il s’était remarié après le décès de ma mère, avaient reporté leur intention de visite après que je m’étais fait tirer dessus par Grace, la barge qui servait de cousine à Jae. De leur part, ce n’était pas vraiment pour que je prenne le temps de guérir avant qu’ils viennent m’importuner. Mais plutôt parce que Barbara s’était déchiré les ligaments de la cheville et ne pouvait plus voyager pendant un long mois. Je l’appelais « maman », autrefois. C’était avant qu’elle reste parfaitement silencieuse pendant que mon père me traitait de tapette et qu’elle ne bouge pas d’un pouce lorsqu’il m’avait fichu dehors.

— Cole.

Mike serait un bon père, quand le temps serait venu. Il avait dompté le parler policier et maintenant, il me sortait sa voix de papa qui a atteint sa limite.

— Tasha aimerait que tu sois là. Mad aussi.

Une chose était sûre avec mon frère : il était toujours prêt à sortir l’artillerie lourde en mentionnant notre demi-sœur et sa femme, deux personnes que je m’écœurerai à décevoir. Je n’avais jamais rencontré mes deux autres sœurs. C’était la toute première invitation à les rencontrer que je recevais.

Soupirant, je reposai ma tête contre le volant.

— C’est bon, je viens et j’en parlerai à Jae. Mais dis à Mad-la-Démone de ne pas trop compter sur sa présence. Il a déjà tellement d’ennuis avec sa propre famille à gérer. Je doute qu’il veuille se retrouver face aux miens.

— C’est pour bientôt, n’oublie pas.

Mike sortit sur un claquement de porte et je l’imitai, saluant les deux hommes au passage. Sans surprise, ils n’y répondirent pas même d’un hochement de tête ou d’un sourire.

— On s’appelle.

Je restai planté sous le soleil levant, tandis que mon frère rentrait dans son bolide de course pour rejoindre son petit coin de banlieue. Le voisinage commençait tout juste à se réveiller. Les lumières du café au coin de la rue étaient déjà allumées et une silhouette se mouvait derrière le comptoir, remplissant les présentoirs pour le rush matinal. D’autres bâtisses vieillottes survivaient tant bien que mal à proximité, la plupart transformées en boutiques ou reconverties en grappes d’appartements minuscules. Une fausse blonde me dépassa au pas de course, sa poitrine rebondissant à chaque secousse. Concentrés comme ils l’étaient sur la façade de mon immeuble, les deux Coréens ne lui prêtèrent pas la moindre attention.

— Bonne nuit, tout le monde.

Ils m’ignorèrent, me suivant des yeux jusqu’à la porte.

— Essayez de ne pas prendre feu sous les rayons du soleil.

La porte était fermée à double tour. S’isoler du monde extérieur était une des petites habitudes de Jae. Enfonçant ma clé dans la serrure, je fis basculer le battant et entrai chez moi pour aussitôt me faire agresser par les hurlements d’un petit diablotin noir me jaugeant du haut des escaliers. Dans le genre demi-portion d’à peine deux kilos en fourrure et en crocs, même Pearl Harbor lui envierait l’ampleur de ses vocalisations. Jae n’aurait même pas besoin de fermer la porte pour éloigner les intrus. Les miaulements du chat faisaient largement le travail.

— Salut, le monstre.

Neko s’enfuit, me dédaignant sans réserve, et traça une fusée de l’obscur encline aux ravages et à la destruction des chambres de l’étage.

Une grosse partie du rez-de-chaussée était lambrissée de boiseries en merisier sur des murs crème en plâtre. J’avais décapé les panneaux, poncé et teinté l’ensemble. Elle n’avait pas beaucoup d’opportunités de saccage par là, si ce n’est pour les occasionnelles tentations que représentaient les immenses et moelleux sofas éparpillés dans tout le salon qui prenait presque tout le rez-de-chaussée.

À l’étage, c’était une autre histoire.

J’avais tapissé la plus petite chambre d’un damassé de soie que le chat s’amusait à arracher des murs. Je lui avais acheté un énorme grattoir doté d’une telle infinité d’accès et d’étages qu’il pouvait accueillir une bonne partie des chats errants du quartier. Le papier peint avait souffert jusqu’à ce que Jae décide de lui poser ce qu’il appelait des protège-griffes. Ça marchait comme un charme. Plus de griffoir à l’improviste et un joli contraste contre son épaisse fourrure ébène. Mais il fallait dire qu’elle était d’une humeur de cochon depuis.

À présent que ma furie au pelage noir et aux griffes dorées me collait aux baskets quatre jours sur sept, dès lors que Jae passait la nuit ici, j’étais terrifié qu’elle remplace la tapisserie par mes testicules lors de mon sommeil.

— Bonjour à toi, hyung.

Le responsable des portes closes et des chats démoniaques débarqua dans le hall depuis le salon et mon cœur manqua un battement. Je ne pouvais le lui reprocher. Mon cerveau venait tout juste de prendre congé et les mots m’échappaient.

Mon entrejambe, lui, savait exactement ce qu’il voulait et était aussi furieux que la chatte de Jae que nous ayons de la compagnie.

Je n’avais jamais fantasmé sur quelqu’un comme Kim Jae-Min et ne m’étais certainement pas attendu à vouloir quelqu’un comme lui. Il était superbe et énigmatique ; un homme Coréen dont la sexualité était bridée par une famille traditionaliste. Il n’aurait pas dû retenir mon attention. Je ne m’étais jamais retourné sur aucun type asiatique. Je n’aurais jamais pensé me retrouver à partager mon lit avec l’un d’entre eux, ni même à m’engager dans une autre relation après la mort de Rick. Mais une fois tombé sur lui, il n’y avait plus rien… ni personne que je désirais davantage.

Jae était une créature sensuelle aux hanches basses, de taille plus modeste que moi, mais dotée de longues jambes élancées dont je ne me lassais pas. Il avait une bouche charnue faite pour être embrassée et ses yeux bruns foncés étaient difficiles à jauger derrière la barrière de sa frange, mais je savais d’expérience qu’ils se pailletaient de touches ambre dès que le soleil les illuminait. Il se fichait de sa manière de s’habiller, préférant les jeans élimés taille basse ou les pantalons de survêtement en coton qui glissaient sur ses hanches fines. Il était pieds nus dès lors qu’il posait un orteil dans la maison et ceux-ci portaient les marques des jeux infernaux de son chat. Jae avait une préférence pour les T-shirts, les miens lorsqu’il restait dormir, et les débardeurs qui dévoilaient les muscles de ses bras. Il avait de sacrés bras. Très bien ajustés à de larges épaules qu’il avait renforcées à forcer de transporter tout son équipement de photographie sur lui.

Je désespérais que nous ayons tant de soucis. J’avais du mal à me remettre de la mort de mon amant et il se débattait avec une culture prônant l’exclusion de toute personne homosexuelle en faisant lui-même partie de cette communauté. Je doutais qu’il ait conscience de sa beauté ou de l’attention qu’il happait dès qu’il entrait dans une pièce. Je désespérais qu’il ne puisse m’appartenir.

J’avais encore des progrès à faire, de ce côté.

— Nuna est là.

Son baiser fut superficiel, tout juste un effleurement de nos lèvres, mais cela suffit à achever de court-circuiter mon cerveau.

Je n’entendis rien de ce qu’il raconta. Pas lorsqu’il glissa ses bras autour de ma taille et que son corps se moula au mien. Mes mains se faufilèrent plus bas et accrochèrent la rondeur de ses fesses, mes paumes se gorgeant de ses formes. La présence de visiteurs dans le salon rendait les assises inaccessibles et se rendre à l’étage n’était pas une meilleure idée. Elle nous entendrait monter et s’interrogerait sur nos raisons de l’avoir laissée seule en bas. La buanderie me faisait de l’œil. Je pouvais déjà imaginer Jae en équilibre sur la machine à laver, le caleçon suffisamment descendu pour que je puisse écarter ses cuisses et me loger dans sa chaleur.

— Cole-ah, tu m’écoutes ? dit Jae en assenant une pichenette sur le bout de mon nez.

Il n’y avait rien de plus affectif que ses petits « -ah » en fin de nom ; en contraste, la pichenette piquait tout de même. Il retira ses bras de ma taille et me repoussa doucement. Je le laissai reculer à regret, me convainquant intérieurement que j’étais bien trop exténué pour une tournée sur la machine à laver de toute manière.

— Je disais que nuna était là.

— Je sais. J’ai vu la mafia du kimchi dehors, répondis-je, tendant le cou pour mordre le sien tendrement avant qu’il ne puisse m’échapper complètement.

Il se laissa aller à mes avances, et je mordillai brièvement la peau avant de le laisser tranquille.

— Comment va-t-elle ?

— Elle voudrait avoir une discussion avec toi. Il y a quelqu’un qu’elle veut que tu rencontres. Ce serait pour un job, chuchota Jae.

Ses pommettes s’empourprèrent, un baume rosé colorant sa peau, et il frotta l’endroit où je devinais encore les marques de mes dents.

— Qu’est-ce qui t’a pris si longtemps ?

— J’ai dû rester le temps qu’un docteur s’occupe de retirer les morceaux de verre de l’entrejambe de quelqu’un. (Je haussai les épaules.) Il y a du café que je puisse réchauffer au micro-ondes ? Je vais en avoir besoin si je dois encore tenir le coup un moment.

— Je ne te suffis plus pour ça ?

Son sourire fut bref, un rictus séducteur qui appuya mon envie de l’entraîner dans la buanderie.

— Jae, me convaincre d’avoir une discussion dans le salon est facile, murmurai-je, pressant une main sur sa nuque pour l’entraîner dans un autre baiser. Ta personne entière m’inspire à gravir les escaliers pour voir si nous pouvons causer assez de raffut pour avoir les flics sur le dos.

— Aish.

Le raclement guttural fit vibrer sa gorge.

— Il en reste. Je t’en ramène une tasse et de quoi grignoter. Va voir nuna. Elle pourra enfin rentrer et nous pourrons… dormir un peu.

 

 

EXCEPTÉ L’ESPACE de travail à l’avant, mes plus gros efforts avaient été déployés lors des travaux du salon. L’énorme cheminée m’avait mis des bâtons dans les roues à chaque nouvelle avancée et il m’avait bien fallu deux semaines pour me débarrasser de la peinture et des cendres.

S’étaient dévoilés un manteau de cheminée élégamment sculpté et un espace pour accrocher mon écran plat. Des bibliothèques en pagailles étaient rangées le long du mur et sous les fenêtres. J’avais fait de mon mieux pour dénicher des meubles assortis aux lignes épurées de la cheminée, mais ayant été privé du gène du goût propre aux personnes de mon orientation sexuelle, je m’étais résigné en achetant de longs et larges canapés rembourrés et un coffre massif dont je me servais comme table basse. Il était suffisamment imposant pour héberger une famille peu nombreuse, s’ils parvenaient à rester accroupis.

Jae l’avait déclaré hors d’atteinte pour tout acte charnel. Nous mangions dessus aussi souvent que possible, je ne pouvais le lui reprocher.

Même si ça ne me plaisait pas, parfois la raison l’emportait vraiment.

— Bonjour, mon chou, ronronna Scarlet en se levant pour venir déposer un baiser sur ma joue.

Malgré la nuit qu’elle avait passé à m’attendre, elle était toujours dans une forme épique, la peau lumineuse derrière une chemise blanche débraillée de coupe masculine. Ses jambes sublimes étaient enfermées dans un legging noir étroit et, ayant laissé ses sandales à l’entrée, on pouvait voir ses petits pieds nus. Exception faite d’un simple anneau doré porté à sa main gauche et d’une bague en or et en jade sur l’index de la main opposée, ses doigts étaient dépourvus du moindre ornement. Son amant lui avait fait cadeau du premier. Le jade était de ma part. Elle avait été présente pour Jae lors des moments les plus durs de sa vie. Je serais tout aussi bien monté lui décrocher la lune si j’avais pu.

— Quel plaisir, nuna.

À ce stade, je me permettais d’utiliser les mêmes titres honorifiques que Jae avec elle : un mot familier utilisé par un jeune homme à l’égard d’une femme plus âgée duquel il est proche. Ça représentait beaucoup pour Scarlet qu’il l’appelle ainsi. La première fois que je m’y étais osé, ses larmes avaient menacé de ruiner son maquillage et elle m’avait flanqué une gifle sur le bras pour l’avoir titillée sur le sujet.

— Tu aurais dû me passer un coup de fil. Je serais revenu plus vite à la maison.

Un jeune Coréen de la même tranche d’âge que Jae-Min était assis à côté d’elle. Il se leva en me voyant entrer et s’inclina légèrement. Ses cheveux noirs étaient rasés court sur les côtés et tout juste moins sur le dessus. Je le dépassais d’une tête, mais les muscles de ses bras roulèrent visiblement lorsqu’il me tendit la main. Un léger bronzage lui assombrissait le teint et ses paumes étaient sèches et abîmées par le travail manuel. Nous nous serrâmes la main, tandis que Scarlet s’occupait de nous présenter.

— Cole, voici Park Shin-Cho. Le fils d’un ami et le neveu de mon hyung. Shin-Cho-ah, je te présente Cole McGinnis, l’homme dont je te parlais qui pourra sans doute t’aider.

Nous renouvelèrent l’action du serrage de main, puis elle se glissa dans le confort des larges canapés en repliant ses jambes. Tendant le bras, elle attrapa un mug de thé fumant sur la table et l’encercla pour en siroter une gorgée.

— À moins que tu ne veuilles te servir de ton nom américain ?

— Jason ?

Shin-Cho avait un peu la même intonation que Jae lorsqu’il était épuisé, son anglais s’arrondissant sur les bords et s’adoucissant dans un accent moins compréhensible.

— Je ne m’en suis plus servi depuis des lustres, pas comme Shin-Ji… David, je veux dire. Je doute d’être capable d’y répondre.

— Shin-Cho me convient, à moins que vous ne préfériez Jason.

Un parfum délicieux s’échappait de la cuisine et mon estomac rempli de Twinkie gargouilla son mécontentement. Mes manières se rappelant à moi, je demandais expressément :

— Avez-vous mangé ?

— Musang nous a régalés un peu plus tôt.

Elle se pencha vers l’avant et tapota le canapé, m’enjoignant à m’asseoir.

— Mange, toi. Tu n’es pas une exception aux petits soins qu’il prodigue.

— Je suis presque sûr qu’il commence à s’en lasser, ris-je, quand intérieurement, je me demandais quelle serait sa limite ; mais je supportais bien son chat après tout, ça devait bien valoir quelque chose.

— On ne peut pas dire que prendre soin de toi est très difficile, rétorqua Jae, sa voix enrouée par un manque de sommeil.

Un plateau lourd de mets et d’une théière en main, il ignora mes efforts pour le lui soustraire en se plaçant hors de ma portée.

— Tu te contentes de t’attirer des ennuis, de manger et de dormir.

— C’est loin d’être tout ce que j’entreprends, dis-je en repensant à la machine à laver.

Mon clin d’œil lui fit échapper un son railleur et Scarlet éclata de rire. J’en oubliais presque Shin-Cho, dont le visage avait tourné au pourpre d’embarras. Je marmonnai mes excuses, mais il les écarta d’un timide sourire tordu.

— Je pense que cela rentrait justement dans la catégorie « s’attirer des ennuis », Cole-ah.

Scarlet murmura ses remerciements lorsque Jae remplit leurs tasses de thé.

Il s’installa à proximité, au bout du sofa, près de Scarlet. Ses genoux flirtaient avec les miens et nous échangeâmes un sourire. Il se pencha pour venir attraper un petit assortiment de banchan et le placer devant moi. Les divers carrés blancs proposaient une sélection de marinades et de légumes, dont mon préféré : du radis blanc finement tranché et des carottes assaisonnées au vinaigre de riz. Je devinai également un kimchi à l’air extra piquant avec ses poivrons rouges. Les larmes me montaient aux yeux rien qu’à le regarder.

Je le mangerais, mais c’était bien parce que Jae l’avait mis sous mon nez. Je le regretterais d’ici quelques heures, mais je l’avalerais.

Un grand verre de café glacé et un petit récipient débordant d’un mélange de riz blanc et violet accompagnaient le banchan et Jae vint déposer un bol de soupe couvert devant moi.

— Qu’est-ce que c’est ? Ça sent divinement bon.

Et je mâchai mes mots. Une fragrance épicée et carnée s’en dégageait, avec cette touche d’onctuosité que j’avais appris à associer au dubu, le tofu soyeux coréen.

— Sundubu chigae.

Jae attrapa une portion de kimchi du bout de ses baguettes et l’engloutit avant de me rendre les couverts.

— Ça me dit quelque chose, marmonnai-je en tentant de traduire.

Je m’apprêtai à soulever le couvercle lorsque je marquai une pause pour poser une question cruciale.

— Une petite minute, j’espère que je ne vais pas encore me retrouver à manger des globes oculaires, si ?

Ma vie avait porté sa part de changements depuis que je m’étais mis avec Jae. L’un d’entre eux était l’apparition occasionnelle d’yeux dans mes plats, généralement provenant des têtes de poissons ou de crevettes entières encore non décortiquées. Je n’étais pas du genre délicat et les tentacules ne me faisaient pas peur, mais se faire juger par ma propre soupe n’était pas dans ma liste de choses acceptables.

— Pas cette fois, promit Jae dans un petit sourire. Pas de cuisses non plus.

— Dieu soit loué.

Je l’embrassai sur la joue et découvris le plat, me repaissant du riche arôme qui s’éleva de la soupe.

Manger devant tout ce monde me mettait mal à l’aise, mais ils m’assurèrent qu’il n’y avait pas de quoi. Je trempai une cuillère de riz dans la soupe, collectai un peu du jaune de l’œuf que Jae avait cassé dans le chigae encore chaud avant de rapporter les plats, et gorger le reste de sa contenance épaisse. Une grosse crevette passa la tête hors de la soupe, son corps rosâtre démuni de carapaces, d’yeux et de pattes. Ils se divertirent entre eux pendant que je me rassasiais, parlant du temps comme il en convenait avant de s’attaquer à la raison de la présence de Scarlet. Le banchan disparut rapidement avec l’aide de Jae et alors que je m’attaquais au dernier morceau de chou, je portai mes baguettes jusqu’à sa bouche pour le lui laisser.

Il inclina la tête pour le déloger des baguettes, ses yeux brillant d’un petit quelque chose qui m’échappait. Elle brûlait en leur sein dès lors que j’osais lui offrir de la nourriture, et bien que nous ayons tous deux conscience de sa présence électrisante, nous n’y avions pas encore touché.

Je devais me rappeler de répéter mon geste plus souvent.

Le temps que Scarlet en arrive finalement à la raison de sa visite, le chigae s’était complètement évaporée. Jae nous prépara un café vietnamien bien noir filtré avec un nuage de lait condensé et passa de chapardeur de banchan à testeur de biscuits damiers.

— Shin-Cho et moi souhaiterions t’engager, Cole-ah.

Scarlet trempa un sablé dans son thé et en grignota la partie humidifiée.

— Cela concerne son père. Il a été porté disparu en 94, lorsque Shin-Cho n’était encore qu’un enfant… Nous voudrions que tu l’aides à le retrouver.

— Ou du moins, à savoir ce qu’il lui est arrivé, ajouta Shin-Cho. Il est essentiel que je découvre la vérité sur sa disparition, surtout aujourd’hui.

— C’est une vieille histoire. Pourquoi la faire remonter maintenant ?

J’exécutai un grand écart mental pour deviner l’âge de Shin-Cho et rajoutai quelques années pour faire bonne mesure.

— Vous deviez avoir quoi ? Huit, neuf ans ?

— Dix, me corrigea-t-il.

Shin-Cho lança un regard interrogateur à Scarlet et une conversation silencieuse se déroula entre eux, les yeux dans les yeux. Elle hocha la tête, le poussant à poursuivre.

— Ne retiens pas tes mots devant lui, Shin-ah. Tu peux tout lui dire.

— Mon frère, David, va se marier très bientôt.

Il se mordit la lèvre, luttant visiblement contre quelque chose.

— Les dernières semaines ont été particulièrement pénibles. Je me réjouis pour lui, bien sûr. Nous la connaissons depuis des années… c’est une femme charmante. Gentille.

Je sirotai mon café.

— Quel rapport avec votre père ?

— Avec elle, aucun, répondit Shin-Cho en agitant la main. Helena est loin d’être le problème. Son père, par contre… J’ai appris qu’aux alentours de la disparition, mon père et lui avaient une aventure.

Je déposai le mug sur la table.

— OK, si je comprends bien, votre frère compte épouser la fille de l’amant de votre père ?

Shin-Cho et Scarlet acquiescèrent d’un même mouvement.

— Et vous ne pensez pas qu’il serait plus que temps de sortir de votre cercle parental pour jeter un œil au monde extérieur ?

— Ils n’en savaient rien. Les fils de Dae-Hoon n’ont jamais su la vérité sur leur père, expliqua Scarlet d’une voix plus douce. Hyung, l’oncle de Shin-Cho lui-même, ne leur en a jamais parlé. Ce n’est pas le genre de conversations qui s’invite autour d’une table.

— Cela n’explique toujours pas pourquoi maintenant.

Répondre à une telle question me paraissait plutôt simple, mais d’après l’aspect agité de Shin-Cho, je devinai me méprendre sur la difficulté de la tâche.

— Je ne sais pas bien où s’arrête votre connaissance de notre système.

Shin-Cho jeta un regard en direction de Jae, qui lui répondit d’un haussement d’épaules. Ç’aurait aussi bien pu vouloir dire Je dois encore lui rappeler d’enlever ses chaussures à l’entrée que C’est une cause perdue, sois concis.

— Tout homme originaire de Corée du Sud doit faire son service militaire avant d’atteindre la trentaine. J’ai eu… J’ai été radié pour…

— Tout va bien, Shin-Cho.

Elle attrapa sa main dans la sienne.

— Mon supérieur m’a découvert en compagnie d’un autre homme dans les douches.

Son visage se ferma et il ravala ses émotions pour rassembler le courage de prononcer les bons mots.

— En coréen, on appelle ça dongseongae… être attiré par son propre sexe. Quand c’était le junwi, notre officier, qui nous le hurlait, le mot en devenait écœurant. Ce n’était pas ce qu’il pensait. C’était la seule fois… nous étions…

Sa bouche s’ourla dans une courbe marquée par la honte et l’ego meurtri. Il détourna le regard pour dissimuler les larmes perlant dans ses yeux, et nous prétendîmes ne rien remarquer, lui laissant le temps de reprendre pied. Scarlet en profita pour combler le silence.

— Hyung a fait rapatrier Shin-Cho lorsque nous avons appris qu’il avait quitté l’armée. Leur famille l’a très mal pris. Leur grand-père l’a même accusé d’être un moins que rien, comme son père avant lui. C’est à ce moment-là qu’il a appris pour Dae-Hoon.

Changeant de position, elle reprit :

— Dae-Hoon était mon meilleur ami. Nous nous sommes rencontrés en Corée. Il était déjà marié, à l’époque, mais il était plus malheureux que jamais. Je suis tombée sous le charme de hyung et nous cherchions par tous les moyens une manière d’être ensemble. Nous avons décidé de venir ici. Dae-Hoon nous a emboîté le pas quelques semaines plus tard.

— Nous n’étions pas arrivés depuis longtemps, intervint Shin-Cho. Huit mois ? Peut-être un peu plus ?

— Environ un an, précisa Scarlet. Puis Dae-Hoon a disparu sans laisser de traces et Ryeowon a ramené les garçons au pays. Je ne les voyais pas souvent. Hyung leur rendait visite, mais vous savez comment c’est…

Certes. Son amant était marié avec des enfants, une vie complètement séparée, dont Scarlet ne faisait pas partie. Cela semblait fonctionner pour eux. Et s’ils avaient des problèmes, Scarlet ne le montrait pas.

— Ma mère s’est remariée. Elle était horrifiée à l’idée que nous soyons… exposés aux perversions de notre oncle. C’est comme ça qu’en parle ma partie de la famille, lorsque sa femme est ailleurs.

Shin-Cho eut la bonne grâce de lutter contre l’embarras.

— Je n’étais pas au courant pour… nuna. Je pensais qu’elle… qu’il… Je n’étais au courant de rien. J’ai toujours pensé que mon oncle avait une aventure avec une autre femme.

— Ouais, fis-je, lui laissant le bénéfice du doute. Et dans le genre, nuna est carrément sexy.

— Je prends ça pour un compliment, dongsaeng, nous rassura-t-elle.

Jae ricana derrière sa tasse de café et renonça à faire l’innocent lorsqu’elle le morigéna.

— Donc, votre famille a appris pour votre préférence et les choses se sont empêtrées à partir de là, récapitulai-je en hochant la tête. Je connais le sentiment. Désolé que ça vous soit arrivé.

— C’est la raison pour laquelle je me suis retrouvé à Los Angeles. La famille Seong… ma famille maternelle… est conservatrice au possible. Il n’y a pas de place pour quelqu’un comme moi chez eux.

Il pinça ses lèvres.

— Mon oncle a promis de m’aider. Nuna et lui ont été…

— Ces dernières semaines ont été particulièrement rudes, Cole-ah, expliqua Scarlet. Cette histoire a rouvert de vieilles plaies… ravivées d’anciennes querelles.

— Ils me pensent comme ça à cause de ce que mon père a fait. Un de mes oncles m’a même demandé s’il s’était permis de me toucher, cracha Shin-Cho. Dire ce genre de choses et oser penser que je suis la disgrâce de la famille ? Je pensais que mon père était mort dans un accident de la route. Ils nous jettent des mensonges à la pelle dès qu’ils veulent dissimuler ce qui ne leur plaît pas. J’ai besoin de savoir ce qui lui est arrivé. J’ai besoin qu’au moins une chose dans ma vie fasse sens, surtout avec ma famille qui…

— David est là pour toi, lui rappela Scarlet. Ton frère ne te lâchera pas.

— Celui qui va épouser la gamine de l’amant de son père.

J’avais encore du mal à m’y retrouver dans cette affaire.

La tête me tournait. J’avais dû mal à lire l’expression sur le visage de Jae. Il s’était refermé quelques minutes plus tôt, ses traits prenant une allure placide que j’avais du mal à pénétrer. Ce que Shin-Cho décrivait était son pire cauchemar. La douleur que l’homme exprimait dans sa voix était déjà difficile à supporter pour moi. J’avais du mal à imaginer dans quel état je serais si je devais être témoin des mêmes événements, de la même détresse avec Jae. Ça pourrait bien m’achever, et pour de bon cette fois. Nous achever tous les deux.

— David me dit qu’il s’en fiche. Il me soutient pour qui je suis, mais le reste de ma famille refuse même de m’adresser un mot, soupira Shin-Cho. Le mariage de mon frère se tient samedi prochain. Ma mère est déjà arrivée à Los Angeles, mais refusera d’y assister si je suis présent. J’ai proposé à David de me retirer pour qu’elle puisse participer, mais il ne veut rien entendre. C’est son choix à elle, d’après lui.

— Comment souhaitez-vous que je m’y prenne ?

Il fallait que quelqu’un nous fasse reprendre le fil de la conversation.

— Je veux que vous découvriez ce qui est arrivé à mon père. J’ai besoin de savoir, déclara Shin-Cho. Nuna était avec lui lorsque cela s’est produit. Après ça, personne ne sait ce qu’il est advenu de lui.

— Je doute que nous parvenions à le retrouver en vie, Cole-ah, m’avertit Scarlet. Et c’est sans doute Kwon Sang-Min qui l’a tué.

III

 

 

— NUNA, LA réprimanda affectueusement Jae.

Elle renifla. On ne pouvait pas exprimer son dédain mieux qu’une Philippine trans au bout du rouleau.

— On ne peut pas savoir ça. On ne peut pas en être sûr.

— Si elle l’accuse, c’est parce qu’elle a une dent contre lui, ajouta Shin-Cho. Et pour être honnête, je ne l’apprécie pas non plus. Il a toujours un air bizarre en présence de mon frère. Et maintenant que j’en sais plus sur sa relation avec mon père, je l’aime encore moins.

— Je vois. Dites-moi…

Je m’armai de mon arsenal de diplomatie. C’était loin d’être la première fois que je me retrouvais assis devant une personne cherchant des réponses à ses questions. Le truc, c’est qu’on veut rarement apprendre la vérité. On prie pour que rien n’en ressorte. Trop souvent, les réponses trouvées ne sont pas celles que l’on peut accepter. Je ne savais pas très bien où Shin-Cho se plaçait sur cette échelle.

— Que pensez-vous qu’il va se passer si je découvre quelque chose ? Que cherchez-vous à faire ?

— J’aimerais surtout essayer de comprendre mon père, juste un peu plus ? Je ne sais pas trop, admit-il. Savoir que personne, à part nuna et mon oncle, n’a jamais essayé de le retrouver me ronge de l’intérieur. Il représentait un problème qui s’est de lui-même effacé, et ça leur est complètement égal. Je ne peux pas vivre avec ça sur le cœur. Pas en sachant qu’il est passé par la même phase que moi. Ça me tuerait, Cole-sshi. J’ai besoin de savoir.

— Nuna n’a qu’à expliquer ce dont elle se souvient des événements.

Je me tournai vers Scarlet.

— Je ne peux rien promettre. Ça fait un sacré bout de temps.

— Le tout, c’est d’essayer.

Scarlet hocha brièvement la tête, les yeux cloués sur ses mains jointes.

— Tu vas te mêler aux affaires de certains hommes particulièrement puissants, hyung compris. Tu dois me promettre de rester prudent, trésor.

— La prudence est mon deuxième nom, la rassurai-je.

— Je pensais que c’était Kenjiro, moqua Jae. Ça signifie « un deuxième fils trop curieux pour son propre bien ».

J’ignorai Jae et déterrai un bloc-notes et un stylo de la pile d’affaires que j’avais laissé traîner sur la table basse.

— Commençons par ce qui s’est passé.