Amours irlandaises - Maryse Viannet - E-Book

Amours irlandaises E-Book

Maryse Viannet

0,0
9,99 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Maryse Viannet se rend une nouvelle fois en Irlande. Elle loge chez l’habitant et sillonne le pays en auto-stop, à pied, ou par le bus. Un soir, dans une auberge, elle tombe sous le charme d’un jeune homme nommé Bobby, mi-aventurier, mi-bohème, qui pourrait aisément évoquer la figure du jeune Rimbaud. Il lui propose de devenir son chauffeur d’un temps et de l’accompagner dans ses pérégrinations, à bord de sa vieille voiture, surmontée d’un kayak.


Ils sillonnent ensemble les paysages verts et bleus de l’Irlande, parlent de littérature et d’histoire… Le récit de cette rencontre amoureuse se trouve serti de légendes celtiques, de rimes, de bouts d’histoire nationale et de descriptions de paysage, qui ajoutent au texte une dimension onirique et musicale. Avec toujours ce refrain en tête : « Amour irlandais » … Rien ne laisse pourtant deviner le dénouement rude et grave de ce récit : de retour en France, après de longs mois de silence incompréhensibles, un coup de téléphone, un soir, explique tout.


La postface de la chercheuse Marie-Violaine Louvet offre un éclairage saisissant sur ce qui peut unir les peuples colonisés. Amour irlandais.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

I CASTLETOWNBERE1

Où allait nous mener toute cette histoire, je n’en avais pas la moindre idée.

Je t’avais rencontré sur une péninsule atlantique entremêlant le long des haies les fuchsias pourpres, le chèvrefeuille et les montbretias orange. Basaltique ou granitique ? Une ignorance de plus sur cette histoire née dans des roches à la géologie complexe !

Tu n’as jamais cessé de me surprendre.

Quand je tentais de dénuder les fils de tes décisions, je perdais, je me perdais à chaque fois, tu avais déjà enclenché la vitesse suivante, tu m’avais déjà menée là où mon imagination débordante n’atterrit pas. Tu agissais sans arrogance, gentiment même. Mon intuition ne m’était d’aucune utilité pour deviner ce qui allait se passer. Dans les détails, comme dans les grandes lignes.

La phrase que tu répétais le plus souvent : « Mais je ne suis pas sûr de… », me fit répliquer du tac au tac : « Oui, tu sais que tu ne sais pas ! » Agissais-tu sur des coups de tête ? Tu m’avais confié que tu te sentais perdu. Tu errais d’un littoral à l’autre, d’une ville, d’un village à l’autre, presque chaque jour dans un lieu différent.

Mais errais-tu vraiment ? Tu cherchais quelque chose. Est-ce qu’on peut dire que tu avais un but, un projet ? Un désir fort en tout cas. Aux dimensions du géant légendaire Finn Mac Cool2.

C’est donc un sacré coup du sort de t’avoir rencontré, Bobby Mac Cool, comme je t’ai vite appelé affectueusement. Puisque moi aussi je bougeais. Comme une voyageuse. Ravie de revoir ton île, adorée seize ans auparavant.

Tu continues de me surprendre, homme rêvé, mais la surprise est devenue âpre, âpre comme la tempête qui orchestre les vents accablants ! Où es-tu ? Dans quel guêpier t’es-tu fourré ? Sans nouvelles de toi depuis des lunes, j’arrose mes jours arides d’une encre nerveuse en écrivant notre histoire, ton histoire. J’ignore si ces mots trouveront un estuaire ou un sentier libérateur. Et la nuit, la nuit… comme les apprentis-poètes à l’école de bardes au Moyen Âge, je compose mon texte dans l’obscurité. Seras-tu bientôt là pour le lire ? Seras-tu là pour le louer ou le blâmer, à l’instar du file, ce voyant, maître de la poésie orale et chantée qui donne le thème à écrire, plonge dans le noir ses élèves allongés et, le lendemain, déclame leurs vers frais en public ? Tu n’as pas cette prétention, c’est sûr. However Bobby Mac Cool, please, reappear ! Reviens vite !

Conduite de Rathmore House près de Baltimore par le vieux Sean O’Driscoll, qui me donne en guise d’adieu une accolade attendrie à l’arrêt de bus à Skibbereen, transportée dans un autocar jusqu’à Bandon où je traverse à pied le pont qui franchit la rivière pour me relier à un deuxième autocar, je suis descendue dans cette auberge.

Descendue, c’est le mot : en bas de la pente, la route prend fin et meurt dans l’océan.

Pour marcher, pas de sentier côtier, il faut soit remonter l’étroite route sinuant entre les chaos rocheux, soit cheminer à marée basse. Ici, la beauté naturelle dévaste à flots : les souvenirs croassent dans la gueule des mouettes qui foutent le camp à l’horizon ; le passé, s’il ne trépasse pas contre une falaise, s’effiloche sous les dents du vent ; l’avenir, comme le soleil du matin, est masqué par la brume. Alors on peut tenter de dire adieu à ses plans étriqués, à sa mièvrerie pour ne pas être métamorphosé en algue spongieuse. Ou en mollusque dégorgeant bière et whiskey !

Dans le deuxième autocar, comme le précédent sans touriste, un homme intarissable parle fougueusement avec le chauffeur. Au terminus, à Castletownbere, voudrait-il bien appeler un taxi pour moi ? Car au téléphone je me cabosse aux accents costauds !

Pêcheur depuis ses quatorze ans, ouvrier-bâtisseur, loin de l’Irlande entourbée dans le chômage, Marteen a cherché un emploi au Danemark, a cherché un emploi en Suède et en Norvège, a cherché en Allemagne et en France, s’hébergeant sous la tente pendant six mois. De retour parmi les huit cents âmes de son port d’origine, la désillusion a clôturé son odyssée. Philosophe, ce vaillant ajoute qu’il n’a pas d’enfant à nourrir… Le chauffeur de taxi a partagé l’enfance de Marteen et me montre, tout en roulant, sa maison natale.

À mon arrivée dans l’auberge, un homme à la barbe brune étale doucement des papiers sur un des trois canapés de la pièce commune. Posée contre un mur, comme une apparition : une guitare ! Offerte à tous, dit-il quand je lui demande. Ses mécaniques et ses cordes usées vibrent d’un son peu légendaire ; je savoure pourtant ma trouvaille. Les feuilles de Michael, au sang écossais-irlandais-français, sont des partitions de guitariste débutant apportées d’Édimbourg ; sa guitare est dans sa voiture.

Je joue un morceau. Une femme et sa fille de seize ans, ravies, chantent avec moi, m’inclinent à la mélodie, à l’accord partagé. Comment imaginer à une kyrielle de virages de là – les seuls à toujours prendre au sérieux dans cette romance –, comment imaginer un pub bondé après ces lacets amorcés par Michael le soir même jusqu’à Allihies : huit musiciens-musiciennes attablés en simple cercle, avec les mélodieux fiddles3, tin-whistles4, accordéons, et guitare, et le bodhran5 plus la mandoline et le banjo que le chanteur alterne brillamment ?

Le lendemain, mon trajet du jour suivant me préoccupe. Le taxi pour Glengarriff, à quarante kilomètres de là, anémierait ma bourse. Je cherche une voiture qui partirait tôt. Rien. Peut-on me déposer en haut de la côte pour du stop ? Du stop hasardeux à travers montagnes et falaises.

Keelin m’emmènera à la cime de la route. L’affaire sera coton : Keelin est la dernière à émerger du tréfonds d’imposants ronflements, les allées et venues ne la décrochent pas de l’oreiller, même son réveil ne fait pas le poids ! Je suis malgré tout rassurée sur mon départ quand j’entre dans la pièce commune en fin d’après-midi. Un homme debout, mobile, en chemise blanche, mange une soupe. Je sors mes dernières provisions en le saluant, épluche un concombre. La France est son pays préféré, visité quatre fois : sentiers de Compostelle depuis Saint-Jean-de-Luz, vélo vers Nantes, randonnées sur la côte méditerranéenne, éblouissement dans les Alpes… Il ne parle pas français, il raconte sans chercher à m’épater, je crois.

Il me conduira à Glengarriff.

J’en suis si étonnée, car il devra faire l’aller-retour, qu’il me montre son passeport ! Je vais droit à la date de naissance.

Dans la pièce peu éclairée en début de soirée, je te donnais une petite quarantaine, tu en as trente depuis le 22 avril. Décalage à mettre sur le compte de tes excès et surtout de mes yeux avides. Avides de composer le tableau à ma guise ! Malgré ta silhouette enviable, ton visage parfaitement dessiné au grand front, ta jolie bouche, ton maintien étonnant pour quelqu’un rejetant les conventions, tu n’es pas un séducteur. Un homme inquiet plutôt. Gros fumeur. En questionnement. Lisant beaucoup. Venant d’acheter un kayak parce qu’on n’en loue pas, ce qui selon toi serait mieux pour débuter.

Je crois maintenant, du moins je me le demande en retournant les questions comme les cartes d’une partie mémorable, que tu as d’autres priorités que les femmes. Les conquêtes, ce n’est pas ton truc. Au tout début, tu me glisses pourtant : « Je n’ai pas de petite amie. » Pour déplorer ta solitude ? Pour ouvrir une porte ?

– Tu as les yeux fatigués.

Je découvre tes yeux bleus quand nous sortons pour que tu fumes. Ni le regard du faucon après une mue ni celui du tiercelet après trois mues ne sont plus clairs, dit la légende celtique. Il fait frisquet sur le parking de l’auberge mais tu snobes ta veste. Ta chemise blanche à col mao embellit le mordoré de ta peau ; ton tatouage fin sur le bras, ton bracelet tressé de noir et blanc aussi. Je suis aux anges avec toi.

Soudain, tu plonges sous une voiture, les genoux sur le gravier. Que se passe-t-il ? Tu t’approches d’un jeune chat ; c’est le noir et blanc venu se caresser à moi plusieurs fois. Tu te relèves, tu reviens vers moi assise sur une pierre, tenant dans tes mains ce que je prends pour une souris. Quel œil, Bobby Mac Cool ! Tu as vu que le félin maladroit s’apprêtait à dévorer un oiseau ! Immobile, faible, secoué, une partie de son plumage a disparu sous les griffes. L’oiseau échoue au premier chapitre de notre rencontre, entre la vie et la mort. Attendrie, je regarde tes mains le réchauffant, le protégeant.

– Je peux le prendre ?

Tu effectues un lent transfert délicat, touchant, vers mes mains qui n’osent plus remuer. Merveilles de la vie ! Le duvet jaune sur la minuscule tête, merveilleux homme inconnu, déjà proche ; je fonds sous les plumes tièdes sauvées par tes mains déjà désirées, je fonds au contact de ce tout petit cœur battant sous mes doigts fervents, je fonds encore maintenant en repensant à notre scène fondatrice…

Une fillette et sa mère s’approchent. Je propose à l’enfant :

– Tu veux le prendre ? Tu as les yeux rouges, tu as pleuré ?

– Elle est très fatiguée par notre longue journée au grand air. C’est mieux pour l’oiseau qu’on ne le bouge pas.

– Oui, c’est mieux, ajoutes-tu doucement.

Elles repartent, ne séjournant pas dans notre péninsule de Beara.

Avec une innocence parfaite, le chat revient à côté de moi, gracieux, adorable. Tu resserres d’un seul geste, d’une seule main, le col de ta chemise en frissonnant imperceptiblement, alors que j’ai froid sous mes trois épaisseurs : le « vrai garçon » mangé par mes yeux est un héros irlandais qui a bravé la froidure ! Robert, Roibhilin en gaélique, signifie « illustre ».

Ô surprise ! l’oiseau s’envole vers un frêne et disparaît.

– C’est grâce à toi, dis-tu.

– Grâce à toi, d’abord, Robert.

Nous rentrons. J’attrape la guitare, attisée par une joyeuse envie de jouer. Tu t’assieds sur le canapé en face du mien. Tu écoutes la longue introduction de Wish you were here6 ; spontanément, tu chantes avec moi le premier couplet.

Mais tu t’arrêtes.

– Tu chantes bien, Robert. Continue, chante avec moi.

Tu prétextes une mauvaise voix, je n’obtiens pas une note de plus ! Chanter ensemble te fait peur ? Chanter ensemble, comme Aengus et Caer, les amoureux dans la mythologie irlandaise.

C’est l’histoire d’Aengus qui reçoit la visite d’une jeune fille troublante. La splendide créature joue de la harpe et disparaît ; le beau jeune homme se réveille, envahi par son chant, envoûté par son charme. Des nuits durant, Aengus la voit, Aengus l’entend et la désire dans ses rêves hantés. L’amour pour cette femme grandit à mesure qu’il rêve d’elle. Il rêve d’elle dans les ténèbres. Le divin Aengus finit par trouver et son nom et son père, mais le père de Caer lui refuse l’union avec sa fille, née dans la tribu de la déesse Dana, plus puissante que la sienne, affirme le barbon. Aengus, pourtant fils du dieu-druide, le Dagda, et de la déesse des eaux, transpercé par l’impossible amour ne se nourrit plus et tombe malade. Les médecins ne comprennent pas son mal. Alors un sage, un initié, est appelé au chevet de l’infortuné. Celui qui voit l’âme des choses se penche vers le malheureux et lui murmure :

– Tu chutes dans un état lamentable. Tu aimes d’amour une absente.

Aengus part en quête de la femme désirée. Il la cherche partout avec une patience légendaire pendant trois ans. Amour irlandais. Les rois de la tribu de Dana lui envoient une aide : au bord d’un lac, l’amoureux retrouve la belle qui alterne l’apparence humaine et l’apparence d’un cygne. Ils chantent ensemble et dorment sur une rive sous la forme de deux cygnes. Depuis, Aengus est toujours accompagné d’oiseaux. Ses baisers se transforment en oiseaux sifflant des chants d’amour. Sa musique attire à lui tous ceux qui entendent ce dieu de l’amour. À cet instant, l’avertissement passionné « Prends gaaaarde à toi » a percuté Bobby qui cesse de chanter avec la Française…

Tu as sauvé l’oiseau, j’en ai pris soin, il nous a quittés, poursuivant sa verticalité. Nous sommes restés en bas, nos corps du moins car mes pensées battaient de l’aile vers la cime du désir ; et toi… je ne saurai jamais où tu étais. Ton altitude m’a attirée, en français on dirait que tu es « perché » ! Ta beauté vient de la terre aussi, notre si jolie terre, douce à pétrir, solide pour le repos, inébranlable quand coulent les larmes ou bondissent les rires.

Deux femmes entrent se réchauffer un dîner, elles nous proposent de les rejoindre. Je reste sur mes cordes, tu quittes le canapé, tu manges à nouveau, vous parlez avec animation. Je joue spontanément, n’étant plus écoutée.

– Bonne nuit, faites de beaux rêves.

Je monte au dortoir des femmes, comportant huit lits. Sous ma couette fleurie, je gamberge sur les yeux que roulait Keelin face à tes propos. Que disais-tu donc qui interloquait à ce point ta compatriote ?

1. Sur la péninsule de Beara, dans le comté de Cork. (N.d. A.)

2. Guerrier de la mythologie celtique irlandaise, à qui sont attribuées de nombreuses particularités géographiques. Pour ne pas se mouiller les pieds ou pour aller combattre le géant Bennandoner, il aurait construit la Chaussée des Géants (cette formation volcanique remarquable située au nord de l’Irlande) comme un escalier de pierre conduisant en Écosse. Goethe, Walter Scott ou James Joyce ont été influencés par ce mythe. (N.d. É.)

3. Violon au sens de la musique populaire ou traditionnelle, le joueur est un violoneux, et non un violoniste. (N.d. A.)

4. Flûte droite à six trous proche du flageolet et de la flûte à bec, appelée flûte irlandaise au Québec. (N.d. A.)

5. Du gaélique bodhar qui signifie « sourd ». Tambour en peau de chèvre tendue sur un cadre de hêtre, joué avec un bâtonnet ou pas. (N.d. A.)

6. Célèbre chanson des Pink Floyd, tiré de l’album du même nom sorti en 1975, écrite en hommage à Syd Barrett et que l’on peut traduire par : « Je voudrais que tu sois ici. » (N.d. A.)

II GLENGARRIFF

Debout depuis longtemps, je tournicote de-ci, contemple dans l’herbe humide le ciel, interroge les nuages, vibrionne de-là, sonde les vagues sombres, étreinte par l’imperturbable draperie de brumes blanches. Je file au parking, poussée par le vent du doute : la voiture surmontée d’un kayak est-elle encore là ? Le héros s’est peut-être volatilisé dans la nuit. A-t-il changé d’avis au lever du jour ? S’est-il rendu compte que griller du carburant pour une inconnue est absurde ?

Je monte la pente qui mène de la maison au parking sans croiser âme qui vive. Je vois la pierre de la veille où j’étais assise, le frêne où l’oiseau a disparu et un kayak sur le toit d’une auto.

Tu te roules une cigarette quand j’arrive dans la cuisine. Café noir, tabac, c’est tout.