Anaphrodisia - Tome 2 - Luciano Cavallini - E-Book

Anaphrodisia - Tome 2 E-Book

Luciano Cavallini

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Beschreibung

Isabelle Gardel, commissaire d’une élégance glaciale, se trouve entraînée dans une enquête terrifiante aux ramifications internationales, reliant Suisse, France et Québec. Des fragments de corps mutilés et une substance inconnue, capable d’étouffer les pulsions humaines, représentent une menace d’une ampleur inédite pour l’humanité. Sous le regard opaque de Christiansen et l’emprise d’un amour ténébreux pour Nadal, elle s’attaque à une conspiration macabre, menée par le diabolique Maus Akab. Entre les étendues indomptées du Québec, Gardel plonge dans une course effrénée, où chaque indice la rapproche d’une vérité et d’un péril imminent.

À PROPOS DE L'AUTEU

Pour Luciano Cavallini, l’écrit est comme le théâtre ; le décor placé, la contexture des phrases doit s’y apparenter, selon l’époque. Inspiré par les écrivains naturalistes et humanistes comme Émile Zola et Victor Hugo ou encore par Honoré de Balzac et Gustave Flaubert, il préfère cette écriture classique où les phrases sont conjuguées à l’ancienne et les sentiments, exprimés longuement.

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Seitenzahl: 331

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Luciano Cavallini

Anaphrodisia

Tome II

Roman

© Lys Bleu Éditions – Luciano Cavallini

ISBN : 979-10-422-5997-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Geneviève Beaucage,

Le chant des signes.

Du même auteur

– 1983, Carnets de nuit, les éditions Saint-Germain-des-Prés, Paris ;

– 1984, Le cancer d’Aphrodite, les éditions Saint-Germain-des-Prés, Paris ;

– 2003, Encre d’échine, les éditions Indigo-Montangero, Suisse ;

– 2009, Le lys de verre, les éditions Persée, Paris & Cogolin ;

– 2014, L’affaire Jéricho, les éditions du Panthéon, Paris ;

– 2017, Montreux fantastique et mystérieuse, les éditions Cabédita Slatkine et MyMontreux ch ;

– 2019, Bleu muet, Le Lys Bleu Éditions ;

– 2022, La couleur des larmes, Le Lys Bleu Éditions ;

– 2022, Retour à villimpenta, les éditions Maï ;

– 2023, La colère des cendres, Le Lys Bleu Éditions.

Synopsis

Résumé du roman policier « Anaphrodisia »

Le commissaire Isabelle Gardel, d’une beauté troublante et d’une intelligence fulgurante, mène une enquête complexe à travers la Suisse, la France et le Québec. Exaspérée par la lenteur de ses collègues québécois, Gardel, au caractère acerbe et impatient, doit résoudre une affaire de morceaux de cadavres dispersés et d’une mystérieuse substance inhibant les désirs et la libido.

Aux côtés de Gardel se trouve Christiansen, un personnage énigmatique et apatride, attiré par son charme. Germain Nadal, inspecteur français, est amoureux d’elle depuis plus de vingt ans, mais il est incapable de consommer sa passion. Frustrée par des années de conformisme, Gardel doit surmonter ses propres démons pour démêler une conspiration mondiale orchestrée par le sinistre Maus Akab.

En traversant les paysages majestueux du Québec, Gardel découvre une nature contrastant avec les horreurs de l’enquête. Entre les criminels et des groupes mystérieux, elle mène une course contre la montre pour sauver l’humanité, tout en luttant contre elle-même.

« Toute ressemblance avec des personnages, des faits existants ou ayant existé, ne serait que pure coïncidence.

Même si parfois les éléments sont pétris de curieux hasards. »

Un

Gardel, tous les endroits où tu t’es assise au Québec ont gardé les housses de ton souvenir, de ta présence. Je les vois sur les photos que j’ai prises de toi à ton insu. Oui, pardonne-moi, mais ton absence est trop lourde. Je voulais aussi voir la précieuse silhouette évoluer naturellement dans l’air ambiant, sans que tu prennes tout le temps cette pose surfaite au sourire consommé, même s’il demeure le plus radieux de tous. Mais, là, je ne peux pas revenir, encore moins rentrer en urgence, car l’affaire du sang, en Suisse, se complique et commence de puer de plus en plus fort. Ce sera complexe. Ce sera sûrement très long parce que ça atteint les hautes sphères du côté Davos et Gstaad. Les de Sandres ne furent que des faire-valoir ayant terminé en mégots déchiquetés. En attendant, vogue, vis, aime, fais ce que tu veux, soigne-toi, prends soin de ta santé, mais de grâce, ne lâche jamais le petit brin de la fibre blanche de ton âme, que je sens devenir de plus en plus ténue. Repose-toi, Gardel, de grâce, sois prudente ! Je ne bougerai pas jusqu’à la fin de l’enquête, rivé par le sens et la conscience de vérité. Maintenant, laisse tomber ton orgueil et demande une protection rapprochée au Service, car je crains fort que l’expérience du CHUM ne soit qu’un simple avertissement, un cran au-dessus, de celui de la balle de peinture que tu avais reçue sur le dos, dans la cour de Sûreté du Québec. Méfie-toi de Côté, ce n’est pas normal qu’il ait disparu ainsi alors que tu l’avais vu bel et bien assommé au sol. N’oublie rien Gardel, rien de toutes nos enquêtes, de nos binômes. Ne t’oublie pas toi-même. Là, je suis comme avec toi, sous un amas de feuilles mortes flambant ton nom, également, avec un signet de livre qui aurait par toi été colorié et marquant toujours le même chapitre, le même numéro de page, celui de ton nom et de ta date de naissance. Toi et tes divins poignets blancs, dont les traits, hachurés sur le papier, se convulsent sensuellement le long de tes mains, de tes avant-bras, répliquant les filins de la mine, sur la finesse de tes nerfs contractiles et qui céderaient enfin en Vénus sculptées de la Renaissance, ce que jamais elles n’auraient pu obtenir sans l’original ouvrage.

Ferme tes beaux yeux à la nuit et laisse des massifs de roses blanches les éclairer de l’intérieur.

Les roses blanches de Gardel… Ici, en Suisse, elles ne valaient pas plus que la drachme au pays des rêves.

Nadal, Duffeault et Froissard se retrouvaient tous trois dans le Montreux-Oberland-Bernois, classé le plus luxueux train du monde, par « Life Magazine ». J’ajouterais aussi, en conditionnel bien sûr, la plus belle ligne d’Europe. Laissons le monde dans lequel il est, hors de Suisse, comme le pensait Nadal. Un magnifique pays de paix et de prospérité, accueillant tout et toute la planète, qui dure et dure encore grâce à tous les pourris venant fomenter leurs coups d’État et sanitaires du côté du jet d’eau de Genève. Ce puissant monument à eau de Selz géante, symbole des vaches grasses et bien hydratées.

Nadal semblait l’apprécier, évidemment tout semblait moins sordide que les courses poursuites à Paris et banlieue, où l’on risquait à chaque fois de crever la gueule ouverte devant une pompe à essence de Pantin, ciao. Il arrive un âge où l’on commence à en avoir assez de jouer la plante verte en faction, courser la racaille entre Asnières, Vitry-sur-Seine, Bois-Colombes, ou le neuf-un en général. Ici, Nadal se retrouvait accueilli dans un super sept-huit, tout un Versailles aux blasons quotidiennement astiqués et redorés sur mesure.

Pourtant… Froissard s’était mal levé, Duffeault mal lavé et Nadal pas du tout. Il devait être attentif à ne pas réveiller son collègue, car d’après lui, la fameuse avenue des alpes tant prisée par le chef… paraissait déjà suffisamment bruyante sans en rajouter par-dessus les chiottes qui chuintent ou les robinets qui gouttent. Pour le reste, après Square Vermenouze et les ombres épaisses de Passage des Postes s’abouchant sur la rue Mouffetard, il n’y avait pas à en faire tout un fromage, de l’avenue des Alpes, trop ombragée et toujours crue. On voit que les deux flics n’avaient jamais connu le bonheur des maisons humides, voire insalubres du quartier Monge.

— Il attend quoi pour partir, « de chien », ce traîneau !

— Toujours aussi pressé, patron ! Vous devriez lâcher le pied de temps à autre !

— Whouais… Va bien !

— Eh bien voilà, reprit Nadal, pour détendre l’atmosphère, on s’ébranle !

— Tant qu’on s’en branle pas, hein patron, reprit Duffeault, la bouche pâteuse ?

Froissard ne daigna pas répondre. Ni daigna, ni dédaigna.

— J’ignore pourquoi l’onanisme est toujours l’expression la plus courante qui vient aux lèvres des gens, reprit Nadal ?

— Le cul a toujours plissé la face, disait mon grand-père, rétorqua Duffeault.

— Bon, va bien, vous deux ! On ferait mieux de mettre au point ce que l’on va exactement raconter, là-haut. Ainsi, le bonhomme, je vous le dis, c’est une grosse nuque qui fait la pluie et le beau temps de l’intelligentsia de Gstaad et Davos. Style, j’arrose tout le monde et ensuite, je fais ce que je veux. On doit le retrouver dans le grand hall du Gstaad Palace.

— Parce qu’en plus ces pourris, ça va dans de beaux endroits, reprit Nadal.

— Beaux endroits, beaux endroits, c’est vite dit ! Ce n’est pas si beau que ça, c’est surfait en peignoirs blancs, avec collagène, Biotox et élastine. Les bonnes femmes que tu croises sentent la cire de chapelle ardente. Pis, reprit l’inspecteur Suisse, je me suis toujours méfié de ces paysages bucoliques où le « mignon rassurant » cherche par tous les moyens à prendre le dessus. Vous adorez ça, vous, les Français, les Américains et Canadiens. Ça vous fait triper, penser à Heidi, comme nous, on pense aux filles du docteur March ou Laura Ingals quand on va côté Concorde ou Walnutgrove. Mais, ce n’est pas ça du tout ! D’abord, ce sont les Anglais du début du dix-neuvième siècle, qui, trouvant les chalets noirs et lugubres, exigèrent qu’ils soient ornementés de géranium et autres babioles de jardins. Que cela cache-t-il ? Tout simplement le genre de pourris vers lequel on doit se déplacer.

— C’est bon, reprit Froissard, ça va Duffeault ? T’as fini tes Litanies ? Tu nous l’as répété mille fois que tu détestais les chalets à géraniums et petits nains ! C’est bon, on a compris !

— Oui peut-être. Mais, Nadal, c’est la première fois qu’il l’entend !

— Et pas la dernière, malheureusement.

Le portable de Froissard s’activa. C’était l’heure de l’essaim de guêpes, avide d’insuline. Un coup de dard dans le bide et cela remonta dare-dare. Le diabète acquis. Cette calamité. Néanmoins Froissard, depuis l’enfance, se trouva confronté à la haute confiserie. Ça se comprend. Quand on a des confiseurs dans la famille, on a de l’insuline au dessert. Tout le monde ne peut pas se payer des vacances sur les îlots de Langerhans !

Le MOB traversa des vignobles magnifiques, où le bleuté du lac et l’azur des cieux semblaient s’échanger leurs adresses. Entre l’émeraude et le lapis-lazuli, il y aurait eu le choix d’offrir ces joyaux à Gardel, dont le ciel, bleu ses yeux, arrachait quelques larmes au regard sec et fané de Nadal.

Gardel demeurait partout et en tout. Un corps enfoui dans un château fort.

— Tu penses à ta collègue, fit Duffeault promptement ?

— Oui. Hélas. Tout le temps.

— Y en a qui sont vides, qui n’ont rien dans la vie qu’une routine grise et monotone. Toi, tu as au moins une idylle, une personne à aimer, à qui penser.

— Ça me fait une belle jambe ! C’est comme voler dans un simulateur de vol.

— Faut pas voir tout en noir comme ça voyons, ou alors tourner c’te page, de bleu !

— Tourner la page, Froissard ? Quand elle s’envoie en l’air avec un commandant de bord ?

— Lâche prise Nadal, au lieu de rester crispé sur le manche.

— Tu fais partie de Skyline Duffeault ?

— Non, mais peut-être bien de Swiss Control.

Le MOB continuait de sinuer délicatement entre le Pays d’Enhaut. Si vertes les prairies, si crémeuses les montagnes et les vaches, tels des petits plots de bois, en stabulation ou couchés, regardant s’égrainer le rosaire des glaces panoramiques, baignées de cieux statiques et de pâturages mouvants.

— Quand je pense que j’étais au cœur de Montréal, il y a encore une semaine. C’est tellement surréaliste !

Froissard, Nadal et Duffeault se payèrent un copieux petit déjeuner au wagon-restaurant, surpris tous les trois, de ne pas encore avoir encore rencontré Agatha Christie ou David Niven entre leurs décombres habituels de miettes.

Un plan précis de questions devrait être posées au magnat de Gstaad. Annotées et en plus, c’est le comble, devant d’abord être validées par le principal intéressé. Maintenant, la police devait s’abaisser devant la racaille en costard. Ainsi va la planète.

La gare de Gstaad parut devant les fenêtres du train, une heure et cinq minutes plus tard.

Gstaad. Sa rue proprette, les maisons sculptées aux médailles cocardières, la pierre et le bois bien astiqué, les tea-rooms ripolinés à l’excès et les pièces en vitrines, alignées comme des sous neufs dans un tiroir-caisse. Les bistrots guindés aux sommeliers amidonnés, l’odeur prenante des Guerlain et Gucci ou la crème Clinique revitalisant les vieux cuirs plusieurs fois revenus des tanneries. Quelques autres fourrures endormies sur les dossiers de chaises et les poudriers multiples remplis à ras bord de substances douteuses. Les épaisses paupières des bien-pensants, closes sur les débauches et la haute criminalité, permettant, à elles seules, d’entretenir le village ou de le remettre au goût touristique du jour.

Voici comment parvint, en fin d’escale, notre trio infernal, au pied du Gstaad Palace, arborant une architecture oscillant entre le château de Cendrillon et Neuschwanstein.

Nadal eut une pensée fort émue pour Gardel, qui là-bas dormait profondément, à cause du décalage horaire, sur ses nues de roses blanches. Cet amour éperdu ou cet amour est perdu, et dont il ne reste que ce que les sentiments dictent, jour après jour, sans repos ni accalmie aucune.

Ainsi va l’enquête sans requête.

Le cœur à l’ouvrage sans l’ouvrage au cœur.

Ô Tenebrae !

Deux

Vaste et lugubre bâtisse que ce Gstaad Palace. On y verrait bien tous les illuminés des Bildenberg y siéger en royautés intouchables, gorgés d’immunité diplomatique. Cette espèce de clique franc-maçonne indistincte savait parfaitement bien comment se protéger des regards indiscrets.

Froissard devenait un vieux routier, parfois grincheux, souvent bourru, mais il avait un cœur d’or bien caché sous sa vieille couche cornée d’alligator. Même lui, à ce moment-là, en pénétrant entre la pierre sombre et voûtée de l’austère bâtisse, ne se sentait pas plus à l’aise que ça. Ce qui n’avait rien à voir avec le clown de Stephen king, qui, à côté du personnage que l’on allait aborder, ne ressemblerait plus qu’à un Auguste de Medrano distribuant des sucettes aux enfants. D’abord, pour les appâter, connaissant le personnage, quant à la suite, remontons à Baal et Moloch pour y saisir toute l’horreur prédominante.

Celui que tous nommaient en frémissant Maus Akab, suintait le mal à l’état pur. Il n’avait pas la face plus avenante qu’un Hitler ou Staline. Ce n’est pas qu’il était diabolique, puisqu’il personnifiait à lui seul le Bouc lui-même. Les musulmans diraient qu’il est bourré de djinns, mais cela n’existait pas le concernant. On ne peut être possédé de soi-même. Il faudrait donc vraiment se la jouer serré, ne laisser aucun vide entre les pensées de peur qu’elles ne soient immédiatement ravagées par ses « légions ».

Il fut de notoriété publique, que cette « horde » trempait parmi les scandales financiers les plus notoires, avec ramifications dans tous les domaines s’y référant : l’humanitaire, la pharmaceutique, à plus de quatre-vingt-cinq pour cent, le pétrole, toutes les énergies fossiles, les grandes banques mondiales parmi les plus puissantes, voire certaines compagnies d’aviation cargo. Le fiel de ce vil personnage pouvait même se retrouver dans la crème vanille de l’une de vos pâtisseries préférées. Qui se voyait assis en face ou à côté de ce lézard ressentait un malaise inexplicable, mais immédiat. Il devenait clair, dès à présent, qu’il fallait bien se mettre en tête qu’on ne luttait pas contre la chair et le sang, mais contre des démons.

Ceux qui n’y croient pas, il serait peut-être temps de sortir d’ici au plus vite, ce serait même vivement conseillé.

Le décor ambiant n’était pas campé afin de rassurer le visiteur. Bien que tout croula sous le luxe et la débauche de froufrous répertoriés comme étant le must de ce qui pouvait achalander le marché de la Jet-Set, on ressentait immédiatement une sourde angoisse vous contraindre la poitrine. Rien ne semblait bon entre ces périmètres, et derrière les inflorescences artificielles de fleurs fumigènes, suintant les huiles essentielles, on ne pouvait que flairer bien cachée, une sourde odeur de charogne se disséminant entre les angles disparates des pièces.

Il y eut trois sbires qui firent pénétrer les policiers dans le premier vestibule, contigu du SPA, où marinaient déjà quelques médiocres salades trafiquées, persuadées d’être canon. Dieu merci, le fric ne rachetait pas tout. On passait du lac des cygnes à la mare à thons. Suite de quoi un deuxième serf continua le parcours jusqu’au seuil du salon, dont se réverbéraient les baies d’un jour concassé, lui-même corrompu pars ces intérieurs tous enclins à se transformer en marais putrides.

Le troisième valet, plus austère que les deux autres, qui déjà donnait l’impression d’être coincés de la prostate, se la joua en Garde Fribourgeois du Vatican, produit de la même crémerie, soyons sans illusion aucune.

Au bout des sommités saturées de sucre glace, tout le monde continuait sa vie comme si de rien n’était, dans un ennui profond de conformisme figé. Dès le crépuscule venu, ça ne manquait jamais, on se voyait envahi par ces épouvantables rentrées de skis emplissant les bennes embuées de personnages rougeauds et brayant en combinaisons synthétiques qui puent. Ça en remettait une couche le soir, pour un peu qu’ils laissent traîner ces oripeaux près du caquelon à fondue ou du gril à raclette. Ce qui ne manquait pas d’arriver, avec toutes ces ambiances de stations d’altitudes à chalets encombrés de matos inutiles et de bric-à-brac entassés jusque sur les galeries. On les voyait tous au travers des fenêtres, rustiques, vautrés, qui piochaient dans de lourdes victuailles indigestes, largement arrosées et donnant aux regards de chacun, l’allure de bovidés vagotoniques. C’est justement ce qui arrangeait les genres de raclures qu’il fallait rencontrer ; pendant que le peuple se divertissait et qu’il digérait, en plus, vautrés au-devant les sous-couches des médias et cacahuètes, ceux des Palaces, des stations huppées et des institutions privées en profiteraient pour remettre à fond les gaz à l’arrière de tout ce bon petit peuple, rassasié jusqu’aux lendemains.

Qui déchanteront

Parce que vous autres, vous ressemblez à sœur Anne, qui jamais ne voyait rien venir.

Le troisième sbire ne dit pas un mot, mais s’effaça sur le côté, dévoilant, de dos, assis dans un profond fauteuil, un homme trapu, légèrement bedonnant et chauve. On ne voyait dépasser du dossier que sa grosse nuque et son albinos alopécie.

— Asseyez-vous derrière moi et je vous prie d’écouter. Uniquement écouter. Pas plus. Ça suffira amplement.

Je parlerai. Inutile de vous présenter, je sais déjà qui vous êtes et connais donc l’ensemble de vos pedigrees. On perdra ainsi moins de temps, car le mien est des plus précieux.

Bien que menaçant, le personnage donnait parfois l’impression de jouer un rôle, qu’il maîtrisait à la perfection et justement, un peu trop, selon le goût des policiers.

Je suis au courant de vos recherches. Je vous le dis d’avance ; ça ne donnera rien pour l’ensemble de votre enquête, mais ça satisfera peut-être une miette de votre curiosité. Les gens ne sont pas obligés de tout savoir. De toute façon, ils ne comprendraient pas. C’est d’ailleurs conçu pour qu’ils ne voient jamais clair. En effet, tout est si intelligemment conçu, entremêlé par tout et son contraire, afin d’induire la confusion, que personne ne s’y retrouvera jamais, ou alors, aux mauvais endroits. À commencer par mon identité.

Savourez donc le privilège de pouvoir jeter un coup d’œil à travers la fente se présentant à vous. Fissure occasionnée qu’à votre simple intention, j’insiste sur le mot « simple ». Vous verrez, certes. Un vague reflet, l’illusion d’une vérité ou alors qui sait, d’un vrai mensonge. Je suis frère de Dédale, dompteur de Minotaures. Mais assez parlé. Prospecter donc, que je me détende un peu. J’ai besoin de rire. Quelque peu, sans abuser.

Akab possédait une voix métallique, sans nuances, s’il avait été un robot d’intelligence artificielle, on n’en aurait pas vu la moindre différence. Son crâne lisse comme du marbre suintait une espèce de cosmétique le rendant pareil à un préservatif retourné sur un gland. Excusé du peu, mais aucune autre image ne saurait mieux correspondre à ce personnage, réputé aussi pour maltraiter les hôtesses d’accueil dans les aéroports, en leur distribuant des : « Vous savez qui je suis ? »

— Légions, car vous êtes plusieurs.

Ça démangeait. Alors, grattons encore plus. Curons le chancre.

— Quel est le but d’une telle machination ? De briguer les sens des populations, de trafiquer leur ADN ?

— J’en ris ! Quelles preuves avez-vous de ce que vous avancez ?

Œillades à Froissard et Duffeault.

— Je vous vois comploter. Il y a une caméra me permettant de suivre vos faits et gestes.

Duffeault n’y tint plus.

— Vous osez parler de complot ? Savez-vous d’où vient ce mot ? De la conférence du lac de Wannsée, proche de Berlin. Quand Reinhard Heydrich convoqua toutes ses ordures dans le but d’établir le plan, puis la marche à suivre concernant « La solution finale. » Alors, vous êtes bon pour parler de complot, vous qui y êtes fourré jusqu’au cou !

— Nous allons arrêter ici cet entretien. Je n’ai que faire de ces garnements ne sachant tenir leurs nerfs.

Toujours statisme le plus total du crâne. Rien ne débordait. Telle une de ces boules de marbre au sommet des colonnes ceinturant les portiques cossus de maisons patriciennes.

— Va bien, fit Froissard entre deux alarmes diabète. On pourrait venir avec un mandat, pour vous appréhender, même en ayant actuellement encore aucune preuve contre vous.

Autant tenter le tout pour le tout, se disait Froissard.

— Je ne suis ni appréhendant, ni transportable, pour la simple et bonne raison que nous sommes tous de la même arche. Autrement dit, que ce soit la justice, la police, les organismes humanitaires ou encore ceux de la santé publique, tous sont les phalanges de ma main. Vous devez donc comprendre qu’en ces cas-là, la main que je suis ne peut être amputée de ses propres doigts.

— Comme vous l’avez large, un jour, on vous arrachera le bras entier, reprit Nadal, à la Parisienne. Personne n’est au-dessus des lois !

— Pas des nôtres. En revanche, vous qui précédez les inférieures, vous y êtes assujetti. Désolé. Un mot de ma part et vous n’êtes plus rien !

— Menace sur un agent dans l’exercice de ses fonctions. Vous connaissez ?

— Ici, y compris pour ma part, il n’est pas d’agent, ni fonction ni menace. Il n’y a rien et vous n’êtes même pas venu. Vous ne m’avez jamais vu. Vous n’existez tout simplement pas.

— Si seulement ! Vous croyez qu’on va laisser tous ces morts partout sans réagir ? Sans intervenir ?

— Quels morts ? Parlez-vous d’effets secondaires pouvant même survenir avec une aspirine ? On ne peut rien prouver. Nous ne sommes pas responsables des allergies personnelles des populations. On retirera le produit du lot, comme on l’a fait en France avec la viande de cheval composant certaines lasagnes, ainsi qu’avec le scandale du sang contaminé. L’affaire Elf, l’affaire Boulin et Beregovoy, le Rainbow Warrior, vous en avez déjà entendu parler, non ? Eh bien ? Avez-vous une fois remarqué qu’une information ait abouti, parmi toutes ces prétendues enquêtes ? Non. Beaucoup s’y sont essoufflés, d’autres ont pris le grand bain dans la Seine. Et ? Quoi ? Le monde a-t-il changé pour autant ? Je vous le demande ? Constatez-vous une amélioration particulière dans la vie des moyens et petits salariés ? De l’accès aux soins ? Croyez-vous qu’avec plus de monde sur cette planète, les choses iraient encore en s’améliorant ?

Des effets secondaires, de simples effets… Ces personnes qui perdent le goût à la vie, à tous désirs, qu’ils soient sexuels ou autres, pensez-vous qu’ils auront envie de vivre encore longtemps de cette manière-là ? C’est juste la faute à personne, les lots arrivent par cartons entiers, on prend les fioles, on pompe, on injecte. C’est pas plus compliqué que cela. Ce n’est ni prémédité ni innocent, c’est seulement neutre. On ignorera toujours qui détiendra les vraies balles dans le magasin.

— La roulette russe, lâcha Froissard, engorgé de n’avoir qu’écouté sans locution.

— Quelle roulette russe ? Pas sans arme. Il n’y a rien. Personne ne sait ce qu’il a injecté. Beaucoup ne doivent même pas s’apercevoir qu’ils ont usé d’un venin létal.

— Qui vous gravite autour ? En principe, les grands squales ont tous leurs poissons-pilotes qui viennent saisir au vol ou à la nage… Les lambeaux dégueulasses restant collés dans la mâchoire de leurs gros prédateurs.

— Tous ? Vous pour commencer ! Vous croyez que c’est votre gouvernement démocratique qui dirige le pays ? Laissez-moi rire ! quelle naïveté ! Ce sont des fantoches. Ceux qui dirigent ne sont pas en Suisse. Ils sont sur les îles, au Qatar, en Italie du Sud, dans leurs somptueuses villas. Ils ont des noms anodins et s’adonnent à une vie saine et normale, avec femmes, enfants, tout ce qu’il faut pour paraître une famille tout ce qu’il y a de plus conventionnelle et conformiste. Ça ne fait jamais de vagues. Ça ne boit pas, ça ne fume pas. Ça finance des orphelinats, des hôpitaux, des Hôtels cinq étoiles, partout dans le monde, depuis Dubaï ou New York. C’est partout en même temps et nulle part ailleurs. De la gélatine qui ne prend forme que dans le récipient dans lequel ils se laissent couler un instant, quasi invisibles et qu’ils choisissent eux-mêmes. C’est du blob. De l’eau. Transparent, sans goût, inodore, sans limites, filant entre les doigts, s’évaporant sur place. De la vapeur. C’est nous et rien. Vous, moi, et plus personne. C’est le trottoir d’en face, la foule d’un resto, les voitures sur la chaussée. Il n’y a aucun visage auquel se raccrocher ou se rattacher. Aucune topologie physique ni des signes particuliers. Même la mort n’est pas aussi anodine. Vous êtes à des lieues de comprendre ce monde parallèle qui vous chevauche et qui parfois s’intrique entre le vôtre. Aveuglés par vos petites habitudes et distractions primaires. Pendant ce temps-là, le grandiose piétine votre échine.

— Ne vous occupez pas de méchants, je les brûlerai comme des brindilles après la moisson. « Je les ferai couler, tous ces bateaux de plaisance » ! coupa Duffeault.

— Ce n’est pas contre la chair et le sang que nous luttons, mais contre des démons, reprit Nadal en proie à la plus vive agressivité, alors que Froissard semblait béatement sourire en sourdine.

— Nous vous savons complices de toute cette machination, c’est déjà ça, fit le commissaire, pataud.

— Vous aussi, chaque fois que vous achetez un anti-inflammatoire. Caisse commune.

— Vous ne connaissez rien de ce qu’il peut survenir, reprit sans ménagement Nadal. Vous ne maîtrisez pas tout, ni nous non plus, par ce qui vient d’En Haut.

— Le Haut d’une personne peut être le bas du quidam précédent. Que savez-vous de ce qui s’unit au médian ? Où ce dernier est-il situé ? Vous gigotez dans le cube que d’autres peuvent retourner ou secouer en tous sens, selon leur bonne volonté !

— On va clore là, fit Froissard. Votre visage, quel est-il ? Sauf votre boule à zéro dont on ne sait ce qu’elle contient ?

— Quels étaient vos visages, à vous tous, avant la naissance de vos parents ?

— Ceux de la paix et de la sérénité.

— Que du blabla Inspecteur Nadal ! Le sans forme nous régit et vous voulez tout le temps tout figer ! Avant, c’est le néant, après, c’est le néant. Alors ? Pourquoi se donner autant de mourons, entre deux ?

— On reviendra, fit Froissard. Pour le grand jour !

— Vous êtes en train de vous gourer sur toute la ligne. Vous vous imaginez sur un bon vieux champ de bataille, avec des soldats de chair et d’os, qui vont se battre pour vous jusqu’aux derniers. Erreur fatale ! C’est une guerre ouverte et spirituelle qui se déroule ici. Pas une bataille physique. Essayez donc d’arrêter un courant d’air avec les doigts.

— On vous foutra un jour sous vide, Akab ! Entre les limbes de la matière noire. Rien n’est plus haut que notre Seigneur !

Que lui prenait-il à Froissard ? Maintenant, on allait passer pour des évangélistes niaiseux !

Les trois sbires reparurent alors qu’en même temps, le crâne givré de celui s’intitulant « Akab » s’enfonça dans le fauteuil avant d’être englouti intégralement avec la suite du corps, comme s’il passait au travers d’une trappe. Nadal ne put s’empêcher de crier à la cantonade :

— L’ignoble larron retourne à la maison, par la seule voie qu’il connaisse vraiment : la géhenne.

Trois

Le retour fut une espèce d’assommée certaine

On regardait ce paysage de contes de fées saupoudré de neige, ces petites maisons semblant en pains d’épices, vous savez, style Hänsel et Gretel. Des biscômes, en forme d’enfants tous bruns et bien cuits qui en fait, remontent à la tradition ancestrale de la Haute-Antiquité, concernant leurs sacrifices et la symbolique de l’ogre. Succinctement, la consommation pédoanthropomorphique de l’innocence offerte en holocauste aux dieux sataniques et sanguinaires, Baal et Moloch. (Ce dernier que l’on retrouve pile à l’entrée de Wall Street.) Mais ça, Monsieur et Madame tous l’ignorent et trouvent ces petits biscômes des plus charmants, suspendus aux sapins de Noël et rappelant aussi les pendaisons de ces derniers aux arbres, toujours en raison d’offrandes aux divinités païennes. Les épices n’ont rien à voir là-dedans, ou alors dans les cas d’anthropophagies radicales, que l’on retrouvait chez les Scandinaves, les Aztèques incas, la civilisation sumérienne, égyptienne, celles du continent Mu, chez les Romains, Pompéi, lupanars à ciel ouvert dont ils étaient si friands, certainement les Atlantes, Sodome et Gomorrhe, ainsi que le pédosatanisme métastasant la haute finance, Hollywood, industrie commençant Dieu merci d’être dénoncée par tout un réseau de cinéastes et journalistes non corrompus.

Période natale approchant, il est bon de réaliser une injection de rappel, la bonne, cette fois-ci.

Il est essentiel de se remémorer aussi que toutes ces civilisations dites avancées, furent englouties ou disparurent de manière terriblement violente, soit par causes naturelles, volcans, déluges, ou forcées, par diverses invasions barbares qui n’eurent juste qu’à piétiner sans difficulté, des fruits déjà pourris de l’intérieur.

Froissard demeurait pensif, voire dépité, Duffeault ne pipait pas mot et se sentait misérable, quant à Nadal, il avait envie de tout arrêter et de courir au chevet d’Isabelle Gardel qui était aux prises avec les mêmes pourritures, puisque maintenant, on le savait, que le lien entre le sang et les débris de cadavres québécois n’étaient plus une utopie.

Gstaad. On avait hâte de quitter ce petit village propret à poudre de riz consommée et vitrines béantes sur les bagatelles du vide intersidéral.

Une ravissante maquette transposée sur un tas de fumiers, avec le petit train Märklin qui louvoie longtemps entre un pont décoratif et le carton-pâte du Cendrillon Palace. C’est dans une odeur de cosmétiques peu voluptueux que nos trois compères regagnèrent la Riviera Suisse Romande, entourés de « visagères » plastifiées, fortement embaumées et surtout peu avenantes.

Il faudrait adopter un stratagème rapide, afin de coffrer tous ces salopards. Cependant, on savait que ce ne serait de loin pas facile et de près, encore plus irréalisable.

Près de Montreux, la vue saisissante du bassin lémanique, mouillant entièrement la serre panoramique du MOB, les rasséréna pour le mieux, le bien étant bien loin par-dessus les nuages. Qui penserait un seul instant que la région du Doyen Bridel pouvait recéler autant d’infections sous-cutanées ?

Qui ?

Pourtant, Monsieur le Maire, il suffit d’ouvrir les yeux sur toutes les autres Riviera du monde. Là où dore le soleil, exhalent les agrumes, se laissent flatter les plages sinueuses par les mers bleu turquoise, là se trouvent les vices de la chair, les bourses corrompues et les sexes enduits de liqueurs madérisées, à force de tremper leurs nombres et leurs genres indéterminés en des sujets auxquels ils se rapportent plus. Même Sodome n’y pensa pas, néanmoins elle disposait de cent vingt jours pour y pourvoir…

En cassation

C’est tout ce que ça méritait.

Voyons maintenant quel serait le plan de marche de nos trois mousquetaires, en reprenant l’enquête depuis les Bosquets de Julie avec les Sandres et de Paris, Bir-Hakeim, Grenelle.

Voyons ou tâchons de voir, sans tache.

— Ben bon. Voilà. Ce que nous allons faire. C’est simple, mâchonna Froissard en se touillant le crâne. Nous allons organiser une saisie sur toutes ces injections se trouvant encore en réserve dans les pharmacies, puis à grande échelle, directement dans la production. Il faudra voir pour être totalement soutenu par la « FEDPOL » et chez vous Nadal, avec la Scientifique. Nous allons aussi trouver une tierce personne capable d’analyser le produit à fond et surtout de découvrir comment il est possible de trafiquer les réplications d’ARN en brouillant la cartographie du génome humain. Puisqu’on sait désormais que les victimes qui ont absorbé ce cocktail, non seulement ont perdu tous désirs de vivre, mais en plus voient leurs codes génétiques s’effacer ou brouiller… Dis donc, y fait un froid de canard, dans ton capharnaüm, Duduf !

Ça y est… L’avenue des Alpes… Etc. Il ne pouvait pas s’en empêcher.

— Pis ça empeste cette boulangerie ! Moi, j’avais des parents dans la branche, mais ça puait pas autant.

— C’est bon patron. La suite ?

— Moi, j’aime bien ce côté pittoresque. C’est aussi lumineux que chez moi, square Vermenouze. Quasi la même architecture, typique du vingtième. Je m’y intéresse de près. Celle-ci est de style « Chalet Suisse », « National Nord Européen ». Pour être précis.

— C’est pas un chalet, de bleu !

— C’est à cause de la coiffe de sommité, qui fait penser au faîte d’un chalet.

— Eh ben, je préfère mon solarium tout simple, que cette espèce de chose alambiquée, peut-être classée monument historique, mais suintant salement l’humidité !

— Patron, la suite, fit Duffeault en tentant de raviser son trait de crayon lui servant occasionnellement de moustache.

— Whouais, va bien. On y arrive Tutchu ! Vous m’avez coupé le fil ! Ah… voilà : je sais par mon ami pharmacien de l’avenue du Casino qu’il existe une substance qui se nommerait le « DAB », capable d’agir de la sorte sur la mitose et la méiose. Vous voyez le bordel ?

— Non, je ne vois rien, fit Nadal. Mais, si vous le dites… Je verrai quand je tiendrai ces malfrats en laisse !

— Va bon. Pour ça, nous devons comprendre comment ça marche, reprit Froissard en train de sortir rageusement ses essaims de guêpes.

— Et surtout trouver la fabrique, rétorqua Nadal. Ensuite, retransmettre les infos à Gardel, là-bas.

— Laisse là poiroter gamin. Tu verras, ça lui viendra dans la face sans que tu aies besoin de lever le petit doigt.

— On a du pain sur la planche !

— Tu parles d’une miche, s’il y a des milliers de rondelles à trancher !

Coup de sonnette Messenger sur le cellulaire de Nadal. « Miss You » en insomnies laissait des messages anxiogènes. Elle tournait dans son hôpital, de patiente guérie, en limière aguerrie. Elle venait de coincer le fameux légiste à blouse blanche fatiguée et débraillée sur la bedaine.

Elle l’embarquait au poste tel un trophée de chasse. Un redoutable prédateur sanguinaire et sans empathie, dont il faudrait soutirer toutes les informations concernant les personnes auxquelles il servait de charcutier.

Il était midi trente à Montréal, dix-huit heures trente à Montreux.

Logique, lucide, à peine remise, sentiments au panier, elle ne demanda rien d’autre.

Elle avait « challengé » et performé grave avec son type, ça suffisait ainsi. On ne parlerait ni d’ennui, ni d’un manque d’action quelconque. Avec Gardel, on avait l’impression de vivre chez les stups, dont les émotions aussi rentraient dans les substances prohibées qu’il fallait combattre puis à tout prix anéantir.

Ainsi fut-il réalisé.

L’enquête, après avoir rampé, commençait enfin par apprendre à marcher. On attendait autrement l’envol qu’avec Air Canada.

Seule ombre au tableau : Gatien Côté demeurait toujours introuvable.

On verrait ce que révélerait ce gros loukoum en blanc cassé.

Et, ce que l’on devrait organiser en Suisse, pour mettre à jamais Maus Akab hors d’état de nuire.

Quatre

Usée comme les eaux

D’un bord à l’autre de l’Atlantique, on composait avec des crapules intouchables. Des Tribuns qui s’amusaient avec leurs petits tritons dans leurs splendides villas avec piscine, plus green à gogo. On était à Anzio, chez Néron ou Tibère, dans un réseau de pédophiles notoires terminant leurs nuits avec des écailles de spermes coagulés sur les lunules d’ongles.

Usée, Isabelle Gardel, on pouvait l’affirmer. Peut-être aussi corrompue, indirectement, comme serait oxydé le fer par la rouille. Il suffisait de toucher une mauvaise orange, pour que tout le panier en soit contaminé. On peut aussi trouver des plats pourris contenant des fruits frais. Ce qui est encore pire, lorsque toute une institution semblait correspondre à cet état de fait.

Elle se traînait entre les enceintes de cet hôpital, juste avant d’emmener l’homme en blouse blanche au poste central. Pour l’instant, elle lui avait menotté les boudins derrière le dos, ce qui leur laissait peu de places pour battre le pouls.

Il fallait qu’elle redescende vers la morgue. Quelque chose ne fonctionnait pas comme elle le désirait.

Progressivement, elle empruntait des couloirs lugubres tirés aux cordeaux. Diffusant de hauts plafonds, les pâleurs givrées des néons glaçaient le sol sur lequel ils se réverbéraient. Ainsi, le boyau tout entier, jusqu’au fin fond obscur d’un tournant à angle droit, paraissait saturé de verglas.

Ça chlinguait sec, l’alcool à profusion, l’iode, parfois le chlore et le formol, on paraissait déjà congelé, rien qu’à faufiler ses pas dans ces congères électriques et gazeuses.

Elle ralentissait. Prenait son ombre projetée pour des fantassins malveillants, se déformant sur le crâne, prolongeant une silhouette difforme qui ne saurait être la sienne.

L’imagination… Elle s’ébroua. Mais, rien n’y fit, il en fut même rajouté, comme pour ceux qui en ont déjà trop. En effet, elle eut l’impression de peiner à avancer, comme si toutes ces vapeurs mêlées ensemble finissaient par l’abrutir.

Enfin. Elle parut au bout du corridor, et lorsqu’elle s’immergea en cette noirceur que seules des veilleuses dissipaient timidement, elle sentit, sous elle, que le sol s’inclinait de plus en plus ostensiblement, afin de former une rampe permettant aux chariots de se croiser librement. Ils y en avaient plusieurs sur le côté, béant lugubrement de couvertures entachées par on ne savait trop quelles liqueurs perverties, ou d’autres ne laissant paraître qu’un matelas verdâtre et encore nu. Elle poursuivit ainsi dans un laps de temps qui lui parut interminable. Il le fut. Il allait même se vautrer.

Elle perdait confiance et sa logique dysfonctionnait. Si Nadal possédait l’instinct, personnellement, elle composait munie d’une logique froide et calculée, comme ses sentiments, ses besoins, ses obligations. Elle programmait sa vie comme un vol long-courrier, passant plus de temps à terre à planifier ses NOTAM, qu’à « user d’abondances et de délices dans les cieux ». C’est une image, bien sûr, quoique recouverte de gros stratus. Quand on projette ses événements, qui n’ont rien à voir avec l’avenir, le temps et la durée, vous chercherez vous-mêmes, le fait d’y plancher sans cesse, l’année est écoulée. Vous restez alors collé comme la miette de pain dans un milieu humide, vous ne gagnez rien de plus.

Le couloir continuait de tournoyer, se changeant en chemin de ronde. Après l’équerre, le compas. Puis cette porte haute et étroite, vous fixant de ses deux hublots noirs et menaçants. Il fallait la franchir. Elle sentit les sinuosités de son corps se contracter telle l’huître sous le citron. Son cou se tordre, comme lorsqu’elle énuquait la tête des truites, convulsant ensuite longuement de la gueule et des ouïes.