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Isabelle Gardel, commissaire d’une élégance glaciale, se trouve entraînée dans une enquête terrifiante aux ramifications internationales, reliant Suisse, France et Québec. Des fragments de corps mutilés et une substance inconnue, capable d’étouffer les pulsions humaines, représentent une menace d’une ampleur inédite pour l’humanité. Sous le regard opaque de Christiansen et l’emprise d’un amour ténébreux pour Nadal, elle s’attaque à une conspiration macabre, menée par le diabolique Maus Akab. Entre les étendues indomptées du Québec, Gardel plonge dans une course effrénée, où chaque indice la rapproche d’une vérité et d’un péril imminent.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Pour
Luciano Cavallini, l’écrit est comme le théâtre ; le décor placé, la contexture des phrases doit s’y apparenter, selon l’époque. Inspiré par les écrivains naturalistes et humanistes comme Émile Zola et Victor Hugo ou encore par Honoré de Balzac et Gustave Flaubert, il préfère cette écriture classique où les phrases sont conjuguées à l’ancienne et les sentiments, exprimés longuement.
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Seitenzahl: 615
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Luciano Cavallini
Anaphrodisia
Tome III
Roman
© Lys Bleu Éditions – Luciano Cavallini
ISBN : 979-10-422-5999-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Geneviève Beaucage,
Le chant des signes.
– 1983, Carnets de nuit, les éditions Saint-Germain-des-Prés, Paris ;
– 1984, Le cancer d’Aphrodite, les éditions Saint-Germain-des-Prés, Paris ;
– 2003, Encre d’échine, les éditions Indigo-Montangero, Suisse ;
– 2009, Le lys de verre, les éditions Persée, Paris & Cogolin ;
– 2014, L’affaire Jéricho, les éditions du Panthéon, Paris ;
– 2017, Montreux fantastique et mystérieuse, les éditions Cabédita Slatkine et MyMontreux ch ;
– 2019, Bleu muet, Le Lys Bleu Éditions ;
– 2022, La couleur des larmes, Le Lys Bleu Éditions ;
– 2022, Retour à villimpenta, les éditions Maï ;
– 2023, La colère des cendres, Le Lys Bleu Éditions.
Résumé du roman policier « Anaphrodisia »
Le commissaire Isabelle Gardel, d’une beauté troublante et d’une intelligence fulgurante, mène une enquête complexe à travers la Suisse, la France et le Québec. Exaspérée par la lenteur de ses collègues québécois, Gardel, au caractère acerbe et impatient, doit résoudre une affaire de morceaux de cadavres dispersés et d’une mystérieuse substance inhibant les désirs et la libido.
Aux côtés de Gardel se trouve Christiansen, un personnage énigmatique et apatride, attiré par son charme. Germain Nadal, inspecteur français, est amoureux d’elle depuis plus de vingt ans, mais il est incapable de consommer sa passion. Frustrée par des années de conformisme, Gardel doit surmonter ses propres démons pour démêler une conspiration mondiale orchestrée par le sinistre Maus Akab.
En traversant les paysages majestueux du Québec, Gardel découvre une nature contrastant avec les horreurs de l’enquête. Entre les criminels et des groupes mystérieux, elle mène une course contre la montre pour sauver l’humanité, tout en luttant contre elle-même.
« Toute ressemblance avec des personnages, des faits existants ou ayant existé, ne serait que pure coïncidence.
Même si parfois les éléments sont pétris de curieux hasards. »
Terrasse Duffrin sous la neige
Instants de peines et solitude pour Gardel. De peines dues aux labourages intenses dans lesquels son âme subissait les changements que nous connaissons tous. Juste avant de parvenir dans le grand hall du Clarendon – ils avaient fini par lui accorder de grosses faveurs financières – elle passa un temps incommensurable devant le miroir de la salle de bain, à ne pas être assurée de ses traits de khôl ni de son teint, alors qu’elle n’en avait nul besoin. Qu’aurait-il bien fallu enjoliver chez elle ? Le poudrier ou le bâton de rouge à lèvres, éventuellement. Ou alors encore ses deux charmantes petites hosties nacrées nidifiant sur ses tempes ? Non, le khôl, quand elle l’applique, c’est pour le plaisir des yeux qui la regardent. On pense surtout qu’elle avait la crainte d’apercevoir les cils furtifs d’une apparition aux coins des yeux. Mais, ce matin de blancheur, où seuls, par la fenêtre, on aurait pu apercevoir éclore les bleuets de son regard, cette matinée semblait vouloir demeurer sereine. Une trêve s’installait graduellement, nous étions proches de Noël, quelques jours seulement la séparaient de cet instant crucial. Pour la première fois de sa vie, elle se retrouvait toute seule, ailleurs, loin de chez elle, éloignée de ses habitudes. Desjardins lui offrit l’hospitalité, mais elle la déclina, préférant plutôt se retirer en solitaire au « Clarendon. » Il lui fallait bon nombre de promenades solitaires, pour parvenir à trier tout ce qu’il lui advint depuis le début de cette enquête. C’était difficile, car quelques impressions d’elle-même se dédoublaient, une espèce de spectre froissé, cherchant à émerger d’une vieille chrysalide plutôt chagrine. Cette fois-ci, personne ne serait là pour l’observer, saisir des malfaçons ou ses instants de grâces paroxystiques. Point de croqueurs, dessinateurs ou peintres, pour lui dérober ne serait-ce qu’une once de peau, que l’on ne verrait de toute façon pas se décliner sur l’épiderme enneigé.
Point de « missing time » non plus et pas question de s’accrocher au présent afin d’être sûr de ne pas dévier ailleurs. La belle s’installait tout au fond de son intimité avec le seul désir de se trouver désirable et sans contrainte aucune.
Les flocons carillonnaient tout autour de la silhouette, créant des giboulées, l’effaçant parfois de moitié. Ils ne demeuraient que les contours du corps, toujours émaciés, toujours scintillants, nous la rappelant sans cesse à sa pure incarnation.
En ces cas-là, Gardel devenait d’une éclatante finesse, elle n’avait plus rien à voir avec l’entité que nous lui connaissions. Il semblait que cet oblong réceptacle de feutre blanc, ne s’était pas empli d’une âme qui lui eut plu d’avoir à sa convenance. Une dichotomie opérait à son insu, un troisième personnage la concernant, son intellect dur et appréciateur, souvent façonnier. Une bataille s’engageait entre ce dernier et cette essence, entre la contemplation et l’aisance matérielle, la peur de manquer, d’être abandonnée par la vie même et de l’amour en particulier. Finir toute seule, sans la chaleur d’un corps contre soi, ou la douce sensation d’un accotement, lors d’un film qui pourrait devenir parlant, et dont elle se réclamait la productrice.
Parfois grande, parfois menue, ne laissant jamais indifférente, ils se passaient d’étranges relations entre ces êtres multiples et l’entourage immédiat. Ainsi, dans le silence feutré des semelles croustillantes sur l’étendue neigeuse, on l’admirait en train d’escalader les gaffes et ruelles de Québec en petite fille légèrement voûtée sur elle-même, pour l’instant d’après, la voir ressurgir plus haut, en femme d’affaires, sèche et impitoyable, projetant vers l’avant son nez inquisiteur, on pourrait même dire son museau fureteur. Elle décochait son cellulaire comme un poignard, avant de le coller hermétiquement contre l’oreille. Au cas où quelqu’un aurait eu le malheur de percevoir une bribe de conversation. Toute action prenait une importance capitale et pour un peu, attelé à ses pas, on aurait tout accompli pour la voir survivre dans une existence mate et chagrine. « C’est plat. » Une force tranquille, si l’on en jugeait la corolle des mains demeurant toujours détendues, comme si les objets qu’elle appréhendait ne pesaient plus rien ou ne participaient plus du tout aux lois de la physique telle que nous les connaissons.
En admirant ses empreintes dans la neige, on voyait bien qu’elle existait pour elle-même, mais quelqu’un l’ignorant complètement, quelques secondes avant de la croiser, les apercevrait-elle encore, lorsqu’elles s’aligneront vers leur destinée ?
Elle parvint contre le bastingage impeccablement lustré de la terrasse et les petits kiosques, habituellement éclos en parasols, se retrouvaient entourés d’une toile immaculée, créant, pour certains couples, une bulle à claire-voie, hors du temps. Gardel n’en avait pas besoin, elle ne devait plus s’enfermer dans l’instant fugace et le saisir au vol, bien qu’en sachant que cela ne se passerait jamais comme elle l’entendait.
Elle se faufila dans la structure emplie de lames cristallines, s’étant congelée depuis la bordure circonvoisine du toit.
Seule et prenant soin de refermer l’entrée précautionneusement, une autre clarté escalada son corps, une levée de flammes froides, des espèces d’aubes liquides mouillaient son faciès, en fit ressurgir les finesses du modelé, les contours du corps.
Le cou, bien axé sous le pavillon, semblait une colonne d’albâtre soutenant le ciel tendu au-dessus de sa grâce. Un extrême qui, si elle s’était déchirée, aurait ébloui la ville de Québec de soudaines lunaisons diurnes. Dès qu’elle se mouvait, même pour redresser une mèche rebelle cherchant à cajoler ses joues, il se formait des tas d’embruns taquins, jouant de sa silhouette comme l’écume d’un lac avec les galets. Ses mains fines et délicates, paraissaient des chandeliers d’albâtre, dont les doigts, plus ténus encore, devinrent des cierges blancs, d’où l’on pouvait observer des halos coronariens se figer en hauteur, ensuite délicatement tout autour de sa détrempe.
Elle n’eut, une fois de plus, aucune idée de ce qu’elle diffusait. D’ailleurs, on n’était jamais certain de savoir si c’était un peu de chair, qui s’en allait ainsi dans l’atmosphère, ou au contraire, l’atmosphère elle-même se moulant contre le corps. En tous les cas, cela paraissait être des ondées bienveillantes, voulant, on le comprend aisément, l’enlacer avec ardeur.
Il paraissait y avoir deux moussons contraires, cherchant à la dévêtir d’un surplus de poids. Une bataille de chenaux, entre ce corps natif des névés, qui voudrait retourner à l’essence du flocon qui le vit naître, scintillant de vie polaire, et l’autre, l’âme, qui, craignant pour sa survie, s’immergeait dans les matrices du matériel et de l’abondance, de la richesse et des extases qui pourraient en découler. Cependant, lorsqu’on y regardait de près, en soulevant discrètement la jupe de ce tipi improvisé, on ne voyait plus que l’ardeur de la toile, devenue l’abat-jour de son corps.
Elle demeura longuement ainsi à l’écart du monde et d’autres personnes, dont elle ne voyait que les ombrages glisser sur l’habitacle. Comment le savait-elle ? Il serait évident que personne ne viendrait la déranger en ces instants et, sentiment particulier, elle se sentait presque protégée par « Les Quarante », car elle ne pouvait les ignorer ni imaginer que peut-être, ils seraient bien capables d’apparaître subrepticement en ces instants furtifs. Ce qui fit beaucoup qu’elle ne les craignit plus, c’est parce que finalement, elle se rangeait au côté d’eux, bien involontairement d’ailleurs. En filant droit, non par obéissance, mais par simple logique, ils n’avaient donc plus aucune raison de sévir.
Ces minutes bénies sur la terrasse Duffrin, n’appartiendraient qu’à elle, qu’à ses bilans spirituels. Elle ignorait comment ménager la voie bancaire de la voie vitale, celle où l’on est censé s’engager par la petite porte menant vers les nues principielles de toute existence confondue, aux opposés de la voie large menant aux perditions multiples et fragmentant les âmes en mille morceaux. Ces spectres ne sont pas que des principes conscients, reflétant l’image populaire réductrice d’une vague forme recouverte de draps. C’est bien plus que cela. C’est le fameux Cloud dont on a parlé, la supraconscience qui n’est ni le corps, ni l’esprit, ni l’intelligence repliée dans la chair. On ne reviendra pas sur le cerveau ni sur sa lucidité, cela a déjà été longuement débattu. Mais, on retourne avec ravissement sur Gardel, transie dans cet instant de vacuité et semblant si grande, parce que peut-être trop d’hommes sont à genoux pour l’observer, avec quelques désirs peut être autre que ceux auxquels on vous autorise à concevoir.
Tout cela pour prouver que notre immersion incarnée entre le corps d’une structure en toile ne peut pas échapper aux mécanismes de cette existence. Seul le libre arbitre sera le glaive, ou les faiblesses, l’éponge qui tout efface. Uniquement en surface. Parce qu’un jour, tout le monde ira à la tannerie pour sa peau et comme disait Albert Camus : « Un véritable homme, c’est un homme qui se retient. »
En sortant de l’abri, elle eut un soubresaut craintif. Une silhouette d’un noir profond s’approchait d’elle à grands pas. Mais, ce n’était qu’un ramoneur, en service sur les toits du Champlain. Il n’empêche, allez savoir pourquoi, il la frôla à peine du pan de sa veste. Instinctivement, Gardel se ressaisit, peur d’avoir été salie par la suie, mais heureusement, il n’en fut rien.
Cependant, sans qu’il ne s’en aperçût encore, ce fut le ramoneur qui fut maculé d’un menu point blanc sur sa veste.
Il n’y avait rien, pas d’Akab
Plus les jours passaient, plus il demeurait introuvable, et au Gstaad Palace, on ne savait depuis quand il avait quitté les lieux, ni à la réception, ni dans le petit aérodrome privé pour Dame Helvétie. Comme ce pourri ramenait une blinde à la station, tout en occasionnant de gros bénéfices à la Pharma, autrement dit à la Confédération, personne ne leva le petit doigt afin d’entraver les méfaits ayant contribué à sa notoriété.
Non, le monsieur s’évanouit dans les airs. Il aurait juste spécifié qu’il allait se payer un paquet de cigarettes, alors que tout le monde savait qu’il ne fumait pas, ni ne consommait d’alcool, encore moins de viande. Il avait le crime de ses vertus, ce qu’il ne l’empêchait pas de suinter un coriace after Shave qui empestait tous les couloirs de sa modeste auberge. Mais, ce dernier savait bien ce qu’il complotait, non sans un certain surjeu devenant parfois grotesque. Ainsi, lorsqu’il devait partir pour affaires, comme il aimait à le préciser, il n’était plus question de quoi que ce soit comme cosmétique ou autres odeurs pouvant trahir son territoire.
On ne parvenait cependant rien à lui reprocher, aucune preuve n’étayait la vie de ce dandy malfaisant, qui n’avait même pas sa tronche pour lui. Quand on naît d’ordures, on hérite des pourritures. Ce que désiraient les hommes de Froissard, se butait aux surveillances internes dans la station, d’habitudes quotidiennes paraissant sans intérêt, comme divers achats dans les épiceries, les tea rooms, en réalité, la mode et les vêtements, tout ce que réalise d’ennuyeux un occupant normal d’une station remplie aux as, et parfois les deux.
Comme on ne savait même pas s’il avait des fiers-à-bras à disposition, on ne fit qu’éplucher chaque soir tous les mouvements de voyageurs, en triant les billets émis, les abonnements, les cartes journalières, etc. Idem avec les hôtels. Comment savoir à quoi ressemblaient ses hommes, et, en avaient-ils d’ailleurs ?
Davos ne venait jamais sur les lèvres, mais bien plusieurs fois St. Moritz. On ne pouvait cependant exclure aucune hypothèse, concernant les implications du sinistre personnage dans la pharma. En revanche, il saurait bien se cacher derrière le côté accidentel de cette affaire, dont les effets secondaires ne pouvaient se prévoir. Bien que cela soit fort fâcheux, on devait fabriquer ce sérum empêchant, à la source, la réplication de tous les antigènes dangereux, y compris le virus de la grippe. Ces anaphrodisies ne sont qu’accidentelles. Personne ne se trouvait impliqué dans un quelconque complot consistant à réduire drastiquement la population mondiale, ce n’était qu’un horrible accident, que « l’Helvète » déplorait grandement. Point de malfrats non plus se planquant dans ces petites stations neutres et gentillettes. On n’y venait pour le ski l’hiver et en tant que tels, c’était réaliser qu’à cet unique dessein, continuer à chlinguer le synthétique en sueurs, l’haleine âcre des bennes et des crémaillères, souvent empestant l’éthanol et les bactéries de vieilles chaussettes chalets diffusant des caquelons à fondue.
À part cela, point de drogue ni mafia, aucun cartel quelconque lié au crime organisé. Le calme plat. Akab ne s’était plus du tout divulgué à Gstaad, aussi Duffeault estima qu’il serait bon de contacter urgemment la police de Davos et de St. Moritz, au cas où la lugubre silhouette y serait apparue. Un peu plus on l’aurait juste pris pour un homme de paille, s’il n’avait cette réputation d’être un flambeur.
La tension montait parmi les infiltrés, qui devaient vraiment composer avec leurs rôles et se fondre dans la profession qu’ils étaient censés exercer le plus naturellement possible. Mais, cela ne fit pas, ni une, ni deux qu’il y eut de nombreuses prises de têtes avec les chefaillons et le personnel subordonné. On était flic et pas autre chose, aussi finit-on par penser que ce ne serait plus une bonne idée de continuer trop longuement à jouer cette mauvaise farce, sinon se faire repérer inutilement. Puis certains des hommes de la Sûreté commençaient à en avoir marre d’être aux caisses Migros et Coop, ou de laver les verres dans les bars et restaurants. Akab ne serait jamais venu déposer son fromage M. Budget sur le tapis roulant, mais plutôt se tapir en roulant loin de Gstaad. Si c’est cela, au moins l’avait-on copieusement emmerdé !
Cependant, à la poste, un matin très tôt, un certain Dorff Inschulz s’était présenté au guichet pour retirer un colis à l’attention du Gstaad Palace. À l’intérieur, il ne devait certainement pas avoir grand-chose d’autre que des bêtises communes pour Noël, ce qu’indiquèrent effectivement bien les rayons X. Ce ne fut qu’un paquet bleu avec de la graine de curieux, qui veut mieux ?
Curieux ? Pourtant… Sous les chocolats, un voluptueux peignoir et des chandails à gogo, on trouva une petite caméra à placer sur un ordinateur dans le but de réaliser des visioconférences. Anodin, mais à retenir, cette fois-ci pour l’hôtel du Parc. Ni une ni deux Duffeault et Nadal s’y rendirent en toute discrétion.
— Qui donc était-ce Dorff Inschulz et combien de temps allait-il rester ? Quelle chambre occupait-il ? Quelles habitudes ? Quand donc était-il arrivé ? En même temps que le paquet, c’est bien, par car postal alors ? Non ? Avec les lettres et les colis ? Ah bon ? Quelle profession exerçait-il ? Diamantaire ? C’est un gag ! Ah, pour Swarovski, du cristallin, quoi ?
Comme ils ont dû le constater, on devait faire les demandes et les réponses, car là-haut, ils avaient tous l’air d’être à 0,2 de tension. Bon. Personne ne devait rien dire, on le filerait dans la journée du lendemain. Puis, on le coincerait quelque part à la bonne franquette, pas trop rude, pas trop doux, à la vaudoise. On l’emmènerait dans ce tea-room aux requins d’aquarium, puis on le cuisinerait à petit feu, pas trop loin des chiottes et du vestiaire du personnel, au cas où ça tournerait au vilain. Il s’agirait vraiment une fois pour toutes de poser la main sur ces raclures qui ont pourtant déjà été plusieurs fois assignées à comparaître au Parlement Européen, mais comme son nom l’indique, ça parle, mais ça agit peu.
Akab, lui, il s’en foutait, passant à la télévision dans un beau complet bleu, parfois avec ou sans sa sirène blondasse qui avait encore l’air d’être plus dégueulasse que lui. Il devait bien rire dans son coin, alors que son jeu de cache-cache utilisait le denier public pour l’attraper.
Le problème est que parmi toutes ces péripéties, on ne ressassait que la haine à ressentiments et que ça n’avançait pas d’un poil. Le bonhomme possédait tellement de bras et de jambes lui servant de larbins qu’il pouvait s’effacer à son bon vouloir, et que pour le serrer, il faudrait encore se lever bien plus tôt qu’un boulanger. Puis c’est à se demander aussi s’il serait capable de fabriquer des répliques, comme il trempe dans toutes les grandes stations européennes en compagnie de ces bons amis, médecins, biologistes et pharmaciens. Amis, c’est vite dit, tant que le cancrelat leur rapporte quelque chose. Cependant, le jour où on le fera capoter, il faudra, comme avec le maxiprocès de la mafia, trouver le moyen de placer ces renégats de l’humanité, les uns contre les autres. Oui, c’est ça. Trouver un Bruchetta pour les vendre, tous autant qu’ils sont ! Si on a eu Toto Riina, on aura Akab.
Est-il permis de rêver ? On ne croit plus que dans la police suisse, il y ait des personnes de la trempe d’un Dalla Chiesa, Falcone ou Borsellino, sauf la grande Carla del Ponte.
Soit, Gstaad, Davos et St. Moritz ne sont pas encore Catania, Palermo et Corleone. Mais, entre ces petites rues mignonnes et bien proprettes, vous ne croyez pas que les petits nains se transforment en trolls et que Blanche-Neige ait adopté le chat noir de sa belle-mère ? Puis, entre l’ébène et la blancheur, il y a les fameuses gouttes de sang tombant sur la neige, en y invoquant des lèvres, des lèvres aussi rouges que la fille dont on voudrait donner le jour… bien gorgées d’adrénochrome. Les prémorsures du quotidien. L’éveil des vampires.
— Putain, lança Nadal tout un coup au grand air ! Je crois que je viens de tout saisir d’un coup !
— Quoi ? Quoi fit Duffeault tout penaud depuis plusieurs minutes ?
— Écoute, tu sais, moi, ces stations qui font un peu contes de fées niaiseux, c’est pas trop mon truc, mais grâce à ça je crois avoir trouvé le moyen de confondre Akab. Tu verras, c’est fou ! On redescend quand chez toi ?
— Après-demain puis on fait le point à la « Girafe ».
— OK, parfait ! D’ici là, je pense avoir du nouveau, je dois juste étayer mon hypothèse.
— Ah bon ? Parce que tu étayes, maintenant ?
— Oui, parfaitement ! La mine des petits nains et tu sais quoi ? Devine qui vient de me donner la réponse et balayer toute confusion d’un revers de traîne ?
— Un revers de traîne ? Quelle traîne ?
— Blanche-Neige !
On approchait de la période de Noël, il était donc temps de tasser les grands salops dans un cabanon de jardin.
Pour la première fois depuis qu’il était arrivé à Montreux, Nadal se retrouvait seul chez Duffeault, et Froissard déjeunait chez des amis qui possédaient une agence de publicité dont il avait été jadis le patron. Nadal n’était pas le seul à avoir eu une triple vie. Il n’y a que Duffeault demeurant à tout jamais mono besogneux. Il ne fallait pas trop lui fourrer les jantes sur trop de routes en même temps.
La seule solution qu’il lui restait, en ces jours néfastes pour la solitude, serait de « renouer » avec son chemin contraire. Ce qui ne serait pas trop difficile, le nœud étant déjà fait, il suffirait de tirer un peu sur les lacets pour en renforcer l’attache. Mais, cette dernière laissait sous-entendre qu’elle avait un « conjoint » un nom propre issu de la grande bourgeoisie qu’elle n’avait jamais eu en bouche auparavant, vocable tout aussi laid que « mon mari » ou « mon époux ». Ça sentait déjà la literie fatiguée, l’andropause précoce, la prostate et la ménopause. Que des « pauses » dont on se passerait bien quand on vit passionné pour tout ce qui est autrement plus goûteux.
On partait immédiatement vers les étals de vente au bromure, des cous fichés dans un collet plutôt que celles plus sensuelles d’étoles saupoudrées sur des grâces malheureusement disparates. Dès qu’on réduit l’amour à un programme d’ordinateur, on est sûr d’avoir trouvé la meilleure des solutions concernant la stérilisation des souris et du clavier par la même occasion, qui ne produirait certainement pas du Beethoven.
Le mot ménage, fait fuir, vous voyez immédiatement un cortège d’aspirateurs et de balayettes à gogo, se dresser sur votre chemin, avec caquetages de mémères et de papis fourguant les valises des vacances dans le coffre, sous les hurlements des enfants et autres caprices d’ados insupportables. Que de la joie en perspective, une vie épanouie, pleine de charme et d’éclat, tel le fameux presbytère de Gaston Leroux. Ça devient une espèce de contrat létal qui va osciller entre les rouleaux de papier toilette à changer, les ordures à descendre, et les tracasseries de chipies frustrées en buanderies. Très peu pour moi, se dit Nadal, il faudrait trouver le juste milieu entre James Bond, Tom Cruise, Indiana Jones et Charles Ingals. Ceci, bien entendu, avant d’entendre constamment parler des dents qui poussent, des couches à changer et de problèmes scolaires produits par une engeance représentant l’essence des précédents.
Tout pour plaire, une prise d’otages constante marquée par le rythme des lessives, machine sur machine, sonnantes à tambour battant.
Quant à Gardel…
Patiente un peu. On va s’y remettre à table, la belle.
Gardel, on disait… Voilà : évanescente dans la vie de tous les jours, une lettre blanche au sceau scellé, scellé au rouge, un blanc-seing.
Quant à Duffeault, il est allé trouver sa famille pour le repas natal, et la plupart des gens dits conventionnels prennent cette période pour un calvaire. Duffeault y compris, surtout lui, on dira. Mais, ça n’avait jamais eu le courage de durcir à l’air libre, il n’avait jamais vraiment séché depuis sa naissance. Il ne le souhaitait pas d’ailleurs. Il possédait une mère abusive ne se gênant pas de lui taper sur les doigts devant tout le monde, malgré son âge avancé. Pas de ceci, pas de cela, du puritanisme en concert et notamment pas de femme choisie qui ne plaise d’abord à maman. C’est maman qui épouserait sa fiancée, pas lui. Ce qui évidemment fit fuir les prétendantes, qui maintenant ne prétendaient plus rien du tout.
Les courses, inviter les beaux-parents, oncles, tantes et cousines, beaux-frères, belles-sœurs, chacun arrivant avec des étrennes ou pas, avec des fiertés familiales concernant l’arrivisme du petit dernier ou du cadet qui traîne les pieds, pour résumer avec de la grosse boue sur le soc ! Une fête remplie de guirlandes et chandelles autour de laquelle ce quotidien soporifique serait même capable d’effacer l’étoile des trois rois mages. Ou celle qui clignote au sommet du sapin. Ils buteraient sur les marchés du temple, sur ces monceaux de marchandises impudiques, jetées à la face d’une fête remplacée par le père Noël Coca-Cola, Auchan, Migros, Coop, Costco, IGA, SAQ, etc. Peut-être assisterons-nous aussi, grâce aux Mages et aux chameaux, à ce numéro saisissant de leurs passages à travers le chas d’une aiguille ?
On aura droit à la tante Yvonne refluant du bassinet, qui se plaindra de son arthrose et d’insuffisance cardiaque, de l’oncle Henri et de sa goutte, dans le verre et sur les hallux, de la prostate du beau-père et de belle maman en pleines vapeurs mensuelles, ainsi que de ses migraines chroniques continuant d’empoisonner sa vie et celle de l’entourage.
Il ne manquera plus que le cholestérol, cette fameuse graisse précurseuse des aldostérones, donc des corticostéroïdes censés donner un coup de jus à l’existence, mais non. Plus de jus. Encore moins de sève.
Rien, les amis. Cela ne fera que confire la graisse domestique autour du corps et du cerveau, et le monde ainsi malade, recommencera l’année avec une seconde dose, avachi et déformé de toutes parts par le saindoux du conformisme.
C’est ainsi qu’on brosse les fêtes de fin d’année, pleine d’obligations et de contraintes, et combien de fois n’entendons-nous pas autour de nous, cette phrase désabusée résumant tout : « Enfin, on arrive à la dernière ligne droite ! » Oui, parce qu’il reste encore le trente et un, pour s’y remettre. Là, ce n’était que la répétition générale.
Et, ça, braves gens, c’est quand tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais attendez ; pour un peu que vous ayez de la smala à l’étranger, vous serez bon pour vous parfaire en patience de bouclages de valises et de queues dans les aéroports, en ne pensant qu’à une seule et unique chose alors que vous n’êtes pas encore parti : « La fin des festivités. » Puis tu te feras engueuler parce que tu braques la valise trop brusquement, en sachant très bien qu’il y a des choses fragiles à l’intérieur. « Franchement, à croire que tu fais exprès ! » Il faut bien trouver un exutoire pour contrer l’ennui du passage aux rayons X, après que tu as dû enlever ceinture, veste et laptop, et qu’il ne restera pas assez de temps pour le Duty Free Shop. Plutôt durty, on dira, et tout sauf free, l’échoppe.
Tu seras bon pour serrer le poing dans les poches devant les petites pointes à ras de pâquerettes, lancées par des proches que tu ne vois habituellement qu’aux enterrements.
Il va falloir supporter la somnolence des digestions, le coup de mou en bordure de table, le coup de grâce au pousse-café, le cul sous la chaise et l’estomac sur les talons. Une fois tout cela établi, et si tout va bien, à condition qu’il fasse beau soleil sur ta ruelle, il y aura la promenade de l’après-midi, ou un film assez costaud, sur Netflix, permettant à toute cette engeance de vivre des émotions fortes par procuration. Le dernier Denzel Washington, par exemple, serait le bienvenu, mais même là, ça n’empêchera personne de somnoler en éructant la voix pâteuse : « C’est la fatigue de cette fin d’année, c’est vrai, on nous presse comme des citrons ! »
La fatigue à bon dos, surtout devant « l’Égaliseur ». Avait-on encore besoin de ratisser une existence déjà particulièrement plate ?
Non, non, c’est pas fini ! Ne partez pas ! On reste jusqu’au bout !
Vient ensuite l’exposition du matériel d’opulence, mine de rien. Tas de tôles dans le garage, avec les outils, la blouse bleue et le crayon derrière l’oreille. Les descendants du Père Castor ou de St Maclou, se payant monts et merveilles, retapant l’hacienda, les dallages et les fuites de la piscine, parce que toute leur existence, ils se seront levés le matin en chiant, jusqu’au soir du dernier pipi, afin de pouvoir s’offrir toutes ces enclumes existentielles. Ils se sentent forts et armés d’une réussite à toute épreuve, parce qu’ils sont devenus directeurs de ceci ou cela, de DRH, de recouvrements, de fondés de pouvoir, de chef du contentieux, de rayons de la station-service, du cousin de la vache à l’oncle.
Le pire, c’est que chacun son tour, entre le dessert et le café, va vous « achaler » avec son roman d’ascensions promotionnelles. Vous ne pourrez pas y échapper, parce que sur le lit des parents, il n’y a pas la place pour tirer un clopet. Il y aura soit les manteaux et les vestes des invités qui y seront déjà étendus, ou quelques sales morveux grincheux qui ne voudront pas faire la sieste, pendant que « les grandes personnes doivent débattre de choses importantes qui ne sont aucunement intéressantes pour les enfants. » Si au moins c’était du cul, mais non ! Ce sont des histoires d’écus, de dividendes, de parts de marchés, de la santé des entreprises respectables, ou pas, de tiers provisionnels, de troisièmes piliers, de seconds mâts, de sardines à planter dans la Canadienne. C’est là que tu sors toute ta munition de clous pour cogner du front.
On verra les cous rougeauds se congestionner sous l’effet des spiritueux, tels des goitres boursouflant dangereusement les cols de chemises, la belle chemise des fêtes en laquelle on se retrouve cravaté aussi, sans ne plus pouvoir respirer en haut et surtout péter en bas. Personne n’aime ça, mais tout le monde se l’impose, alors que l’ennui profond de l’après-midi annonçant quatre heures embourbe les wagonnets.
Puis, dans l’équipe, il y a celui qui a commencé la médecine, pour ensuite s’essayer à l’art dramatique, puis finalement poursuivre dans la police. Un instable. On ne comprend pas trop. Trois choses qui n’ont rien à voir ensemble.
On le confondait comme un rejeton de tomate, et aussi parce qu’il n’avait pas une vie rangée comme les autres, avec un salaire honorable, au moins quelqu’un qui gagnerait suffisamment et surtout grandement responsable de sa famille.
Non, ça vivait à vau-l’eau, avec des horaires instables, en plus, quand on était flic, on ne savait jamais si on allait rentrer le soir, c’est bien connu. Puis, « c’est quand même pas très équilibrant au niveau sentimental, cette vie de patachon ! » Comment une femme pourrait-elle supporter ça, faire des gamins qui risqueraient de ne jamais connaître leur père, franchement ! Surtout que les femmes maintenant, c’est plus comme avant, c’est émancipé et si ça va pas, on fout le camp vite fait ! Les couples, ça tient plus ! Les noces d’or, c’est de l’histoire ancienne.
Tous ces propos se tenaient bien entendu en huis clos, « faut pas dire » … Cependant, certaines allusions revenaient sur le tapis, c’était plus fort qu’eux, ils ne pouvaient pas s’en empêcher. Il fallait se taper toute cette normalité accablante, ces frustrations en liens de serviettes et couverts argentés sortis pour l’occasion. Les belles assiettes de l’aïeule, avec la nappe brodée et les petits tapis en points de croix, ouvragés sous chaque verre, dont le grossier cristal « Arcopal » se la jouait bohème avec des airs de Swarovski, ce qui ne sortait évidemment pas du même opéra.
On mangeait donc sur la dentelle, en se conduisant comme des bulldozers, en massacrant des quintaux d’animaux innocents, souvent des bébés, juste pour satisfaire son estomac, ses putains d’entrailles ! « Moi, se disait Nadal, à ce monde-là, je leur mettrai directement des poubelles de tables comme assiettes et comme verres, des rince-doigts. Il y en a bien qui la buvait, pensant que l’eau citronnée passait bien avec la volaille. Volaille qu’il fallait cuire à double ou à triple, car tout le monde voulait ses cuisses, ses ailes, son blanc, sa poitrine, afin d’avoir assez pour contenter tout le monde, parce qu’il fallait quand même bien le reconnaître, le lapin, ça ne faisait pas très Noël ! Ça, c’est sûr, au cas où on ne l’aurait pas remarqué !
Cerise sur le gâteau, devant toute cette fratrie abrutie de sucre et graisses saturées : c’est lorsque vous annonciez que vous ne buviez ni alcool et que vous ne mangez pas plus de viande non plus. Ah ouiche ! Tabarnak ! Ça, c’était le pompon ! Jusqu’au bout, ça ne filait pas comme les autres, y a qu’à voir avec les filles, ça tient jamais ! »
La fille, ça tient jamais ? Normal, contrairement à vous autres, on ne met pas du ciment sur le cœur !
On continue ? Après, il y aurait le beauf, qui viendra jouer le père Noël, à 23 heures pétantes, comme toutes les années. Il ne fallait surtout pas changer les habitudes d’une seconde. Il apportait la bûche, lui et personne d’autre. Puis la fille ou la belle fille, c’était la plus maligne. Elle s’arrangeait toujours pour acheter le moins cher possible, elle savait parfaitement comment établir son plan de marche à ce sujet. La fille possédait le plus gros portefeuille de la famille. Il servait uniquement à procurer fierté et orgueil au patriarche. On pardonnait à tous ceux qui avaient contribué à sauver l’honneur du clan, en embrassant un bon métier, imposé souvent de force et farci de chantage affectif. Une prise d’otage que subissent nos contemporains, et qui, au détriment de leur essence, passion ou vocation, ne choisiront que le « faire plaisir à la famille », plutôt que : « qu’est-ce qui me conviendrait le mieux pour mon développement personnel ? » Pire que la mauvaise bouffe, qui en principe va avec, voici comment, progressivement, les futurs cancers nidifient leurs projets.
C’est par cette mort lente et fainéantise du système nerveux central que nos contemporains finissent abrutis sous des tranquillisants et autres neuroleptiques qui font la joie de l’industrie pharmaceutique. Ces industries ne sont pas là pour soigner, mais pour vider les bourses de la communauté, c’est-à-dire les surenchères des primes d’assurances maladie. Ce n’est plus de la Sécurité sociale, mais une manière mafieuse de procéder à la levée du pizzo, perscrire mais ne pas guérir.
Les asiles sont remplis de gens aux bonnes intentions, de Noël vécu avec au-dessus des paupières, la barre ennuyeuse du Valium ou du Stilnox.
Nadal ouvrait pile sur les façades austères de l’avenue des alpes.
Peut-être recevrait-il un appel de Gardel ? Elle devait le renseigner concernant le déroulement de son enquête, et lui retransmettre ses réflexions au sujet des frères Grimm…
Ces Noëls de biscuits et d’enfance simple, quand alors, on ne recevait qu’une orange plantée de clous de girofle avec une bougie en cire d’abeille et que c’était la fête ainsi… Entre farine et pains d’épices, chocolat, quand on le pouvait et que tout le monde avait les yeux qui pétillaient et le cœur nu. Sobre.
Les Noëls d’antan, avec minette et son nœud rouge, tournant autour d’un reste de pot-au-feu, ayant longuement mijoté le temps d’une messe.
Ah oui, au fait, Noël, il paraîtrait que ça fêterait la naissance du Christ sous le sapin. Mais, ça, on ne le sait plus, depuis que les enfants ont cessé de fabriquer des Joseph et des Marie en pâte à modeler.
Noël est arrivé, laissons-les s’engrosser, les affaires courantes sont plus importantes et croustillantes pour la Presse…
Repartons sur Québec, plus particulièrement au Clarendon et voyons à quels points toutes ces exactions sont liées à l’anatomie et physiologie humaine et que celui qui la connaît bien, saura de quoi il en retournera. Pléonasme ? Oui, dans la vie courante. Pas spécifiquement dans cette filature.
Le buste, découvert à Mansfield, dénudé de tous ses téguments, fut celui d’une femme atteinte d’un cancer de la peau, si l’on en juge par cette dernière retrouvée tel un manteau abandonné près d’une décharge à quelques mètres plus loin au fond d’une gaffe obscure. Tissus mouchetés par des mélanomes pas très beaux à voir, de toute façon quels débiles en auraient constitué son impair, à part Ed. Gain ?
— Anatomie reliée : Épiderme, derme, hypoderme, endoderme et les trois stratus.
On continue les festivités ? La femme, retrouvée à cheval sur le manège de Québec, totalement évidée de son sang, décéda d’une leucémie foudroyante, du moins il faudrait l’espérer, quand on en saisit les analyses terrifiantes, comparées à celles d’une leucémie plus conventionnelle.
— Anatomie comparée, Anatomie structurelle du système squelettique, des énarthroses : Articulation en selle, permettant un mouvement d’opposition. Exemple : le pouce vers l’auriculaire.
On ne sait comment des choses pareilles peuvent survenir, que de ne plus posséder aucune plaquette digne de ce nom puis en plus, comme si cela ne suffisait pas, de subir toutes ces attaques massives de leucocytes, contre son propre système sanguin, attaques tellement agressives qu’elles vous tueraient un bœuf d’une seule et unique goutte de transfusion, comme avec la nicotine. Des éléments défigurés. Étrangement, on attirait l’attention sur le sang. Une déviance peut-être, tels la lycanthropie ou le vampirisme ?
— Physiologie comparée : le sang et les éléments figurés.
La main, retrouvée près de Saint-Sauveur, semblait atteinte d’une maladie auto-immune, la polyarthrite rhumatoïde, ou d’une arthrose arthritique exacerbée, provenant d’une acidose excessive de l’organisme. Étant donné la constitution des parties distales des métacarpophalangiens démontrant une construction et une destruction massive du périoste, ou une anarchie structurelle totale et déséquilibrée entre les ostéoblastes et les ostéoclastes, on ne pouvait qu’affirmer que cette dernière ne se trouvait pas par hasard en cet endroit pour faire la manche.
— Physiopathologie comparée : les maladies auto-immunes et rhumatologies comparées.
La tête, baignant au fond d’une chaudière à sirop d’érable dans la cabane à sucre de Saint-Sylvestre, ne se trouvait pas mieux lotie, mais avec quelque élément croustillant en sus : une tumeur maligne du cerveau avec ce que l’on peut rencontrer de plus grave, une septicémie du liquide cérébro-spinal. On se demande aussi pourquoi ces tissus mortifères ont tout à coup eu la subite envie de devenir autonomes par rapport au reste du corps, de vouloir s’affirmer en tant qu’entités indépendantes. Si c’est pour échapper à ce fascisme physiologique dit de « loi du tout ou rien », ça pourrait encore se comprendre. Cependant, au détriment de l’individu auxquels ils se rapportent. Le mystère entre asservissement pour la survie des parenchymes et liberté organique demeure entier. La femme en question se nommait Antoinette-Marie Capette, ça ne s’invente pas. Seule identité reconnue.
— Physiopathologie comparée : l’encéphale et le système nerveux central.
La jambe égarée à Morin Eights ne serait pas allée très loin avec une gangrène gazeuse passablement avancée. Oui, c’est dégueu, on doit bien se l’avouer, désolé, mais pour les besoins de cette enquête laborieuse qui n’en finit pas de cahoter, il n’y a pas d’autre choix que de réunir la moindre pièce à conviction pouvant étayer au mieux l’avancée judiciaire.
— Physiopathologie comparée : Diabète, insuffisance néphrétique et infectiologie comparée des maladies tropicales.
Suite : La prise de tête en tenaille dans un cadre de porte, semblait tenter d’exprimer, en vain, le jus d’une hydrocéphalie grandissante, un défaut des appareils ventriculaires cérébraux sécrétant en surnombre le liquide cérébro-spinal devant sans aucun doute, exercer une pression non négligeable sur le chou. Le fait de coincer la tête de cette manière entre le chambranle et la partie articulés de la porte ne fut pas une brillante idée : ça marche avec un agrume ou la guillotine, mais pas avec un montant de porte.
— Anatomie comparée des énarthroses : Articulations en charnières.
On a également pour terminer, un fémur avec la tête arrondie, bien nettoyé, aussi lisse qu’une flûte à bec. On n’a pas découvert la suite, à savoir les crêtes iliaques avec leurs articulations respectables cotyloïdo-acétabulaires. Comme les os paraissaient blanchis à la perfection et plus du tout rouges comme ceux des animaux en boucherie, tout laissait donc supposer que ces derniers avaient été soigneusement bouillis. Pourquoi ? Allez savoir… Par esthétisme peut-être ?
— Anatomie comparée : les énarthroses du système squelettique axial, articulations multiaxiales à grandes congruences et bras de levier.
Quant au cœur, celui d’un cochon, il est encore plus difficile d’avancer des suppositions sur les ressemblances et ascendances que cela pourrait produire sur d’autres analogies comparatives, surtout psychologiques pour l’instant. Mais, assurément, il doit y avoir un lien avec le comportement de certains humains et leurs tempéraments : Cœur gros, haut-le-cœur, cœur à l’ouvrage, mal au cœur, cœur brisé, cœur d’artichaut, sans cœur, etc.
— Physiologie comparée : le système cardiovasculaire, la circulation systémique, l’angiologie.
On tournerait en rond. Mais, au moins, les fichiers ont été mis au clair et à jour. Chaque personne possédait son identité biométrique grâce à ce fameux sérum antidote, ainsi que son pedigree d’analogie anatomique et physiologique. Ce sont donc toutes des victimes atteintes de maladies incurables et désirantes, par voies testamentaires, de céder leur corps à la médecine, soit dans le but d’aider la recherche, soit de sauver une vie en cédant un de leurs organes vitaux pour des greffes d’urgence, victimes qui se retrouvaient en pleines représentations à la vue et au sus de toute la population.
Maintenant, il ne restait plus qu’à trouver le malade qui après « traitement » avait eu la macabre idée de monter cette mise en scène grandiloquente. Le plus difficile fut de gérer l’émotionnel, puis une fois ceci achevé, agir pour que les restes soient placés dans un cercueil ordinaire, convenablement scellé, on s’entend, afin qu’ils soient mis en réserve avec respect et dignité. On fit vraiment en sorte de composer tel un enterrement normal. Par exemple, on se serait mal vu disposer la tête dans un carton à chapeau !
Curieusement, ces personnes disparues pratiquaient toutes des professions à hautes responsabilités, spécialement dans le secteur de la finance, les assurances, les recouvrements, les banques, les fonds d’investissements, prospections, immobilier, presse, agroalimentaire, pharmacie, médecine, etc. Pas une qui ne fut sans le sou ou à la rue. Autres parallèles non négligeables aussi, les propriétés qu’elles possédaient : ce n’était de loin pas de la petite cabane. Ça tournait autour de l’immense villa cossue près de Laval, avec bassin olympique et SPA, jardins ou parcs de plusieurs hectares, souvent munis d’un golf et d’un court de tennis adjacent. Ainsi, vous pensez bien qu’avec de tels puissants et surtout si l’un d’entre eux possédait d’excellentes relations avec le Journal de Montréal, la traînée de poudre ne mettait pas longtemps à exploser en pleine gueule des politiques, provoquant un raffut médiatique rarement atteint depuis l’affaire du Japonais cannibale ou de l’assassinat du parrain Rizzuto.
Ce fut un rapport long et concis que possédait Gardel entre ses mains. Cependant, autres faits étranges concernant ces mutilés : toutes ces personnes s’adonnaient à un hédonisme pathologique. Tout ce qui tombait entre leurs dents devenait cautions à jouissances immédiates, et rien ne prouvait qu’elles ne se connurent pas entre elles et même, allons encore plus loin, qu’elles conclurent des affaires peut-être pas toutes glorieuses ou légalement irréprochables.
Maintenant que Gardel possédait enfin les noms et les adresses de chacun, elle pourrait rencontrer les proches ou les amis, afin de savoir et comprendre de quoi fut composée la vie courante de ces personnes. Une fois que les portraits seraient brossés le mieux possible, presque comme de l’archéologie, et que l’on aurait un historique précis les concernant tous, on pourrait finalement recomposer une personnalité concrète concernant leurs styles de vie, leurs occupations et surtout la raison qui fit qu’elles aient dû subir une telle brutalité contre leurs dépouilles.
Laissons passer Noël, se dit Gardel, vautrée dans l’un des fauteuils du Clarendon. Puis le 27 on repartira sur les chapeaux de roues. Parce que dans une semaine, pas un jour de plus, il faudrait absolument que soient bouclés tous les renseignements nécessaires afin que l’enquête aboutisse au plus vite et qu’éclate la vérité.
Puis, il y avait cet étrange message de Nadal, concernant les Frères Grimm. Où donc voulait-il en venir, avec sa Blanche-Neige ? Ce matin, elle avait reçu un message assez froid de sa part lui disant juste que la neige et le charbon pourraient lui donner des indices intéressants. Ainsi que ces mystérieux hommes en noir, ces « Hat mens », enfin son folklore d’opérettes qu’elle ne semblait pas particulièrement apprécier. Tout ceci, insistait-il, se retrouvait relié aux contes et légendes, et qu’il ne fallait en aucun cas perdre de vue l’aspect irrationnel et fantastique de cette affaire, voire le côté paranormal.
Il devait avoir perdu la tête, le bougre. Mais non. Pas suffisamment pour que Christiansen lui revienne à l’esprit, ni ses terreurs nocturnes. Par conséquent, le vieil inspecteur ne radotait pas autant qu’elle voulait bien le croire et surtout s’en persuader. Elle en fit même l’expérience immédiate, ce qui fut qu’une fois de plus, cela arrivait à bon escient pour lui claquer sa superbe dans la face.
Avait-elle changé au point qu’on lui ficherait enfin la paix de ce côté-ci ? On en doute, car devant elle, lorsqu’elle redressa l’inflorescence de son visage, un homme, toujours terriblement sombre et tenant par la main une petite fille aux yeux extatiques, la fixait, sans rien dire, debout et totalement figé. Cette dernière poussa un petit cri aigre que l’on entendit parvenir jusqu’à la réception. Ces deux-là n’étaient pas sur place il y avait deux secondes. D’où surgissaient-ils ? Une voix caverneuse s’éleva, d’on ne savait quelle profondeur : « Faites bien attention avec qui vous placez votre confiance, Madame Gardel. On vous avertira jusqu’à trois fois de suite, passé ces délais, il sera trop tard pour tout le monde et bien plus pour vous-même. »
L’un des réceptionnistes du « Clarendon », après avoir entendu le cri, vint sur le champ voir de quoi il en retournait.
— Ce n’est rien, là. J’ai juste été surprise par un grand homme et sa petite fille qui se trouvaient juste devant moi et que je n’avais pas entendus venir. C’est tout. Je… Je suis particulièrement fatiguée et nerveuse ces derniers temps, comme vous avez pu le constater maintes fois, là… Mais, vous devez les avoir aperçus, non ? Ils viennent de sortir.
— Nous n’avons vu personne qui correspond à votre description, Madame. Sinon, on les aurait d’abord vus entrer, c’est impossible qu’ils nous échappent du point de vue où nous nous trouvons. De plus, on pourra visionner les caméras de surveillance dès ce soir. On verra bien alors si quelqu’un vous a vraiment approché. Ça va être correct ?
— Je sais pas, là. Vous doutez de moi ? Le type était hyper grand avec un chapeau haut de forme, j’ai pensé qu’il appartenait au folklore costumé du marché de Noël. La petite fille aussi, elle était habillée en robe grise, sombre. Elle n’avait pas l’air joyeuse non plus.
— Écoutez… Madame, on va se renseigner. Non, on ne doute pas de vous, évidemment. Voudriez-vous un remontant ?
— Non, mais… Ça commence à bien faire ces visiteurs en noir !
— On va surveiller…
— Oui, comme ceux qui montent dans ma chambre, c’est infernal !
— Le service d’étage ne nous a jamais rien signalé de suspect à ce sujet.
— Mademoiselle, pas Madame !
Silence général.
— Profitez de l’endroit, maintenant.
L’endroit. Oui. « Le Clarendon. » Dans toute sa magnificence natale, de feux et lumières, dans le grand hall.
Alors… D’où provient tant de noir ?
À quels mystères le Clarendon est-il rattaché, en pâle écho à ceux du Frontenac ?
Évidemment, le soir, « pâles échos » ne laissèrent aucune trace sur les caméras de veilles.
Cash, trash, clash, crash
Depuis un « boutte ». Qu’ils n’avaient plus communiqué. Il devenait tanné de sa froideur, de ses silences consacrés par elle seule, aux grammes près sur un plateau, et l’unique moyen de pouvoir éliminer une telle relation toxique serait d’être muté en Martinique, là, sur le champ.
Il n’y a pas à dire, ça allait presque mieux, dès son arrivée à Montreux, après avoir été entouré de tous ces anges bienfaiteurs, en comptant les hôtesses d’embarquements, les hôtesses de l’air, ainsi que ces magnifiques anges qui se mirent à trois pour s’occuper de lui, depuis Montréal à Paris Charles de Gaulle.
Alors qu’il appréhendait tellement ces terribles instants, depuis plusieurs jours avant la date butoir du départ, puis se concrétisant par ce dernier après-midi passé sans intimité aucune à chercher des vis sur internet et d’être enseveli sous le fardeau du domestique, jusqu’au largage du polochon sur le trottoir, Dieu merci, il se passa ensuite ces fameux miracles enclins de bontés aimantes, à peine franchi le hall d’entrée de l’aéroport Paul Elliot Trudeau.
Il ne pouvait cesser de ressentir encore, même après trois mois, ces magnifiques fragrances de parfums cassis-fraise se dispensant de ces deux jeunes filles aux cheveux blonds étincelants, qui ne cessèrent de lui remonter la couverture, pensant qu’il avait froid, et de cette femme médecin, ferme et empathique, mais demeurant catégorique quant aux réponses que lui rendait Nadal, concernant le but du voyage au Québec :
— Coupez immédiatement tous contacts. Ce sera dur, mais vous verrez bien ce qu’il se passera. C’est le seul moyen de vous en sortir. Pour l’instant, c’est tout frais, ça vient d’être fait. Donnez juste du temps au temps. Vous verrez, tout se passera très bien. Je ne sens pas de l’amour dans ce que vous décrivez, mais simplement une addiction malsaine et toxique.
Puis, de remettre son casque sur les oreilles en regardant le cygne noir. Mes deux autres compagnes me souriaient d’une haleine comblée de bubble gum aux petits fruits. D’un côté, j’avais la force tranquille des sciences médicales, et de l’autre, la fraîcheur des sous-bois sous une couverture de mousse. Il faisait bon d’occuper le fauteuil central.
Il faudrait pourtant bien communiquer pour cette enquête. Toutes ces fractions, morcellements, diffractions devaient être amenées en bout de route. Ensuite, on verrait venir. Un voyage plus loin, ailleurs, rester avec son chat à regarder d’autres sites pour félins, style « Top Miaou ». Il valait encore mieux sentir le peignoir et la boule à mites que de subir le suaire mortuaire humide et froid, constamment jeté sur vos épaules. La beauté glaçante de Gardel, nivéenne, aux halos d’acier de pétrole, cette espèce de vitrail de cathédrale, trompait son monde, ces êtres comme elle, émergent des abysses profonds et secrets, prêts à naufrager le premier navire qui passe à leur portée. Style Marilyn Monroe, la mortifère sirène de Hollywood, qui Dieu merci avait son pendant scintillant de grâces et de beauté : Audrey Hepburn.
On devrait oublier tout cela, mais comment abandonner le rebord du lit, sur lequel on se cognait le ventre même en n’étant pas loin d’elle ? On ne savourait que les embruns écrus de sa chambre, filtrant à l’arrière des persiennes, la traversée des cieux, sur le pont Victoria, enjambant, on ne savait jamais quelles rives, ni pour aller à quelque endroit que ce fut. Une pénitence en génuflexion, à remonter l’oratoire du Mont-Royal, ou encore s’égarer dans les rues de briques rouges de Saint-Lambert.
Manquer le train à vapeur de l’Halloween, sous la pluie et les giboulées, dont l’une des grosses locomotives noires se découpant en contre-jour, ressemblait à une scène toute droite sortie d’un vieux film de Buster Keaton. Oublier les maltraitances, les impatiences crasses devant les avocats qu’il fallait trier des moins mûrs aux plus mûrs avant de les emporter, la hargne auprès d’une canette de thons, les réflexions sur un serveur qu’elle aurait bien vu top-modèle et sur lequel elle salivait dru en attendant sa pizza, ou l’autre, passant sur le trottoir, à cheveux longs et hygiène douteuse, lunettes rondes, style John Lennon et paraissant, je cite : « faire un peu Woodstock », puis encore, les lamentations répétées devant cet écureuil écrasé sur la chaussée, son agacement, lorsque Nadal lui donnait l’impression de claudiquer à ses côtés, finalement, la visite d’une boutique provençale, mélangeant tout et n’importe quoi sur un faux teint violacé de lavande, au cas où l’on aurait eu le sentiment de rejoindre Uzès.
Comme elle voulait tout et immédiatement, il y avait de plus en plus de décalages entre la forme sanctifiée et pure de son corps, avec cette essence qui l’habitait, imprégnant la découpe d’acide acétique. Bientôt, ça transparaîtrait sur la peau, il sembla que cela commença même par ronger les arêtes des poignets. Érosion endogène des haines familiales ou cellulaires.
Mais tout ceci, ce fut bien avant que surviennent toutes ses aventures que vous avez pu suivre, depuis la vieille gare « Windsor » jusqu’au « Clarendon ». Peut-être s’était-elle transformée après avoir eu plusieurs rendez-vous galants avec ses fantômes, puis aussi aux contacts non négligeables de François Desjardins, le légiste, sans oublier les quelques apparitions furtives de Christiansen.
Si l’eau coule sous les ponts, c’est parce que les fleuves ne sont pas à sec. Plutôt en crues. Mais, si taris sont les lits, en quoi ruisselle le corps des os ? Avec leurs travées ressemblant étrangement à de vieux lits asséchés de rivières ?
Nadal s’installa donc dans la vieille cuisine de Duffeault, au carrelage d’époque, avec les hautes portes vitrées dont les chambranles s’effaçaient à fleur de cordeaux du plafond. Le reste gisait à l’envers, se renversant sous la pénombre. Il n’y avait plus qu’à attendre que sonnât Skype. Eh, oui. Elle quittait toujours en emportant le combiné, dont elle gardait tout pouvoir…
Cash, trash, clash, crash.
Sonnerie
L’image. Sans rien. Un cadre avec des dessins au stylo-feutre.
Elle vint ensuite. La fourchette en bouche, les avant-bras en manches de sweat-shirt. Le fameux bordeaux tout velouté qui avait l’âge d’avoir été complètement élimé sur les pupitres d’écoles et d’unis. Visiblement, les lycéennes ne partent jamais en retraites.
— Salut. Ça fait un boutte.
— Ça vient pas de moi.
— Ben là…
— Tu as l’air crevée.
— Plus que cela.
Nadal retrouvait un parchemin tendu à craquer sur un cadre de bois sec.
— Je sais ce que tu as vécu, reprit-il.
— Non. Tu sais rien. Personne peut savoir. Comme j’ai de la job encore, j’ai pas beaucoup de temps pour me chialer dessus, et excuse-moi de te manger dans’face.
Comme tous les prédateurs, se dit Nadal. C’est pas nouveau.
— Tu sais ce qu’il est arrivé ici, au Québec ? Oui ? On avance avec Desjardins.
— Oui, je sais. J’ai reçu ses rapports. Il m’a aussi plus ou moins dit aussi pour tes… Rencontres.
— Ouin…
— Puis pour Christiansen, du nouveau ?
— On s’en calisses-tu ? J’ai pas le temps de gosser sur les détails, parle-moi direct de toi, plutôt.
— Moi ? Rien de plus que tu ne saches déjà. On traque Akab.
— Vous auriez pas un peu les yeux dans la graisse de beans ? C’est dont ben long c’taffaire là !
— Isa, t’es vraiment devenue à fond Québécoise, depuis Savigny-sur-Orge.
— J’ai jamais été française, je le jasais, c’est tout.
— Arrête ! T’étais bien franchouillarde avec ton accent pointu, du temps de nos enquêtes à Paris !
— Pis ? Paris, c’était avant. Parle-moi d’Akab plutôt, au lieu de m’achaler avec le reste.
Elle coupait court.
— Tu veux que je te dise ? On l’aura jamais. On arrêtera un moment la machine, mais pas celui qui la commande, il est bien trop fort et trop influent. Il a des légions à ses bottes.
— Arrête de gosser avec des affaires de même ! Des légions ? Tu go et fight ! On doit aller jusqu’au boutte, c’est comme ça qu’on fait nous autres, par icitte !
— On ne peut pas faire plus que ce qu’on a déjà mis en place avec nos taupes !
— Vos taupes ? C’est pas des taupes qui faut mettre, mais des fauves partout, oui ! J’ai comme le goût de sentir que vous restez ben tassés sur vos steaks !
— Ben, puisque t’es si maline, viens donc t’occuper du gril !
— Je suis pas maline, mais maligne.
— Oui, je le sais que trop ! Je voulais juste rester correct.
— Ça me suffit d’être fine et de toujours passer par les autres là ! Marre de se faire fourrer aussi par toutes ces faces de passages ! Tu verras qu’avec Desjardins, on aura bouclé la job avant ta gang !
— Desjardins… C’est ton nouveau chum ? C’est lui ce fameux « conjoint » invisible ? Depuis quand et qui t’a appris ce nouveau qualificatif de bourgeoise soporifique ?
— Ben là, mes amants ! Je suis pas une pute tabarnak ! Je change pas tout le temps et pour une fois qu’il me semble avoir trouvé chaussure à mon pied… J’ai assez gossé et perdu de temps comme ça, depuis toutes ces années !
— Chaussure à ton pied ? Ouais… Ce n’est pas très sympa ce que tu dis là, car tu ne vas que la piétiner à longueur de journée, ta belle godasse !
— Tu devrais plutôt être content pour moi, que je sois enfin heureuse !
— Heureuse ? Vraiment ? Tu te le persuades, parce que pour toi, tu penses que c’est le dernier moment de ton existence, qu’après plus jamais rien ne sera possible, tu raisonnes en tuberculeuse. Tu programmes ta vie comme un enregistrement d’émissions TV, un tableau de service, des horaires sur fichiers Excel, des prévisions météo. Alors, pardonne-moi de ne pas y croire, mais ma vie, je ne la vois pas inscrite entre les marges d’un ravissant agenda scolaire, qui ne fait que décrire toutes les merdes d’une existence chiante, soporifique et sans fin. T’es flic ? Tu dois savoir que c’est la seule et unique prison, où même pour bonnes conduites, tu ne pourras pas être libéré plus vite. Ta vie ressemble à ça, à des lois et pratiques scolaires, qui puent la vierge sale, couvant d’innommables déviances sous sa jupette à carreaux et sa chemise de serge. Si on en revenait à l’enquête, mochetés pour mochetés, allons-y ! Je crois qu’après ces choses… Ce serait mieux que je ne te revoie plus du tout.
— Tu sais que tu me dois encore 430 francs, depuis ton départ de Montréal ? Faudra bien qu’on se reparle pour que je puisse te donner mes codes bancaires en oral. Comme ton mail est tout le temps piraté, je prends pas de risque. Tu l’as toujours, ou t’as déjà tout dépensé ?
— Non, mais tu me prends pour qui Isa ! Tu ne sais rien de mon rapport avec le fric ! Puis c’était un cadeau. Tu sais bien que reprendre c’est voler. Contrairement à toi, je n’ai pas besoin de quoi que ce soit issu de cette vie monochrome, et les occupations quotidiennes de mes contemporains m’indiffèrent, voire m’importunent à un point dont tu n’as même pas idée ! Ainsi, sans vouloir ni me frustrer en quoi que ce soit ni convoiter d’autres lubies vénielles, non, je ne dépense rien, et oui, je l’ai toujours tout entier, ton maudit cash !
Silence.
— On devrait plutôt passer du bon temps, Isabelle, au lieu de se chicaner ainsi. Comme c’est que c’était avant, quand on s’est rencontrés. Pff. Moche de vie. On s’égare. Tu vas être toute mêlée. À part ça… Tu as reçu les antidotes et j’ai vu que vous aviez pu mettre une identité sur vos morceaux. C’est bien, bel ouvrage. Bravo ! C’est quand même grâce à ce courageux pharmacien rencontré à Gstaad que vous avez pu avancer d’un bon coup de pied dans la fourmilière, avec Desjardins ! Comme quoi le steak sur lequel tu disais que nous étions tassés n’a pas eu le temps de se transformer en tartare sous le cul des guerriers !
— Ben, j’ai pas goût à comprendre des trucs embrouillés, là !