Au temple des portes - Lucida Pétrel - E-Book

Au temple des portes E-Book

Lucida Pétrel

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Beschreibung

Une suspension dans le temps, un pacte entre vous et moi, et deux inconnus peu étrangers qui s'apprennent. Opale et Isaac se posent tout d'abord une question : que peut bien signifier "faire l'amour" ?

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Seitenzahl: 58

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Sommaire

Vous êtes vraiment très beau. Le saviez vous

Qu’est-ce que la tendresse

C’est que l’on peut se sentir si seul, parfois

Préfères-tu être un arbre, ou voudrais-tu former une forêt

Elle aurait aimé mourir plus tôt, mourir plus jeune

Manuscrits

Pauvre Bertha Mason

Manuscrits

La sorcière du temple

I. Vous êtes vraiment très beau. Le saviez vous

Il entrait toujours sobrement, partout où il allait. Sans trop de bruit, avec une légère touche de charisme. Rien d’éclatant. Les meilleures choses sont aussi les plus secrètes.

Il entra de cette même façon, tandis qu’elle attendait presque sagement dans un des fauteuils du bar. Elle avait choisi un endroit à peine à l’écart. Il fallait un peu d’intimité, mais pas trop. Un peu d’audace, mais aussi de la finesse. Pourtant, lorsqu’il la rejoignit et lui proposa de s’enfoncer dans l’arrière-salle, elle accepta d’un signe de tête, sans réfléchir.

Isaac. Il s’appelait Isaac. Et Isaac s’était changé, lui aussi. Il portait sa chemise ouverte sur un tee-shirt blanc uni. Son pantalon sombre était maintenu par une ceinture de la même couleur. Isaac l’observait, tout comme elle le faisait.

Ils s’assirent dans un recoin. Seule une autre personne avait eu l’idée de s’isoler et elle gardait la tête baissée sur son livre. Isaac sourit imperceptiblement.

Elle n’avait toujours pas prononcé un seul mot. Celle qu’il était venu rencontrer. Elle n’avait toujours pas prononcé le moindre mot. C’était bien ce mutisme, qui l’avait piqué. Non pas le cœur, mais plus haut. Dans un espace imprécis, situé au sommet de la poitrine, sous la gorge. Elle travaillait à la librairie qu’il fréquentait le plus, il la voyait presque chaque semaine. Elle avait longtemps scanné les codes-barres sans le regarder, lui adressant un bonjour fané. Puis, après plusieurs semaines, il lui était arrivé de lever les yeux. Chaque fois, la même sensation de piqûre, mais plus bas.

Ce fut étonnamment elle qui engagea un semblant de conversation, pour la première fois. Parce qu’elle avait été piquée, elle aussi. Pas en même temps, pas à la même vitesse. Cela avait été progressif. L’aiguille s’était d’abord posée contre sa peau, chatouilleuse. À chaque rencontre, sa pointe avait un peu plus avancé. Cela n’avait pas été douloureux, ni envoûtant. Mais aussitôt l’objet inséré sous la surface, la sensation lui était montée jusqu’à la tête. Alors elle avait voulu savoir quel était son livre à lui, et s’il pouvait lui plaire, à elle.

— Je ne me souviens pas de votre prénom, lui avait-il dit ce matin même.

— Je ne vous l’ai pas dit.

Il le lui avait alors demandé, curieux. Ses lèvres rouges s’étaient à peine élancées vers lui : la première lettre s’était révélée être une porte sans poignée, une voyelle à moitié fermée – longue, certes, mais qui n’en laissait pas voir assez. Une courte explosion avait surgi parmi la délicatesse, suivie d’une seconde voyelle, ouverte et candide, cette fois, qui s’était laissé envelopper par un dernier et langoureux mouvement de langue.

Opale. Elle s’appelait Opale.

Isaac avait frémi.

Et il frémit encore dans ce lieu obscur du bar, admirant le col légèrement montant qui enfermait le cou d’Opale. Ses doigts frétillaient de sentir sa peau, ses muscles, d’en découvrir la forme et la résistance en serrant cette partie de son corps, à peine trop fort. Elle portait les cheveux en chignon sur le sommet de sa nuque, quelques mèches sur les joues, et elle le détaillait, la tête basse.

Isaac affichait le contraste de sa personne sur son visage. Son nez en trompette attendrissait ses traits presque épais ; ses grands yeux invitaient à la discussion. Tout le reste s’étudiait dans ses mouvements. Il se déplaçait avec assurance, dans un mélange époustouflant de tendresse et de puissance. Opale sourit. La façon dont il saisissait la poignée de la porte pour entrer dans la librairie. Sa manière de faire glisser un livre entre deux autres sur l’étagère, puis de le laisser tomber dans le vide une fraction de seconde avant de l’empoigner avec résolution. Il faisait du bruit lorsqu’il tournait les pages. Il n’en fit pas lorsqu’il reposa son verre de bière sur la table du bar, devant elle.

Il maniait les objets et évoluait dans son environnement avec une extrême conscience, mais il déplaçait les énergies et les matières spontanément. Comment l’aurait-il manipulée ? Comment la prendrait-il, s’il le pouvait ?

Ferait-il preuve de cette chaleureuse ardeur ? Et elle, pensait-il de son côté, conserverait-elle cette fausse hésitation dans le regard, cet éclat intelligent de questionnement ?

— Je déteste la chantilly, dit-il subitement, sans que ça n’ait aucun sens. C’est trop sucré.

Devait-il y en avoir un ?

— J’aime beaucoup. (Opale but une gorgée.) J’aime beaucoup, oui, parce que c’est délicat mais consistant. Compact. Mais doux sur la langue.

— Je n’aime pas Hemingway, je préfère Hugo. Je déteste Austen, Zola vaut bien mieux.

Opale essuya le coin de ses lèvres. Isaac souriait.

— Hemingway recherche l’honnêteté, Hugo enveloppe tout de grandiose. Austen dévoile les vérités, Zola les inspecte. Je les aime tous parce qu’ils ne sont pas comparables mais complémentaires. Voilà, ce qu’est la littérature. La réunion d’éléments dont les similitudes, tout comme les différences, composent une histoire.

— Certains mots ne peuvent pas être lus séparément, vous avez raison. Certaines choses doivent s’apprécier ensemble.

Elle n’ajusta pas son col serré, elle ne toucha pas la monture de ses lunettes, lorsqu’elle formula subitement :

— Je ne fais que l’amour.

Isaac releva les yeux sur son visage ovale. Il frôla en pensée et du bout des lèvres les contours de sa mâchoire, la chair de ses pommettes.

— Qu’est-ce que ça signifie ?

— Que je recherche avant tout une expérience d’amour pendant le sexe. Je ne baise pas et je refuse que l’on me baise, Isaac.

L’homme fut électrisé par le nouveau charisme qui enveloppait son interlocutrice. Sa chemise aux manches bouffantes, lacée à ses poignets, l’absence de décolleté, son pantalon fermement ceinturé au-dessus des hanches. Cela lui sauta aux yeux : trop de choses vivaient en elle, tellement de matière à explorer pour qu’un accoutrement si étriqué puisse la contenir toute la soirée.

— Et qu’entendez-vous par « baiser » ?

— Vous a-t-on déjà fait l’amour ? Avez-vous déjà procuré une émotion d’amour ?

Un court silence. Elle précisa :

— Avez-vous déjà pratiqué le sexe sans consommer et sans l’être ?

Isaac partageait honnêtement le sérieux de la jeune femme. Elle lui paraissait maintenant plus âgée, plus mûre, comme si sa monture couleur écaille et son chemisier à volants n’étaient pas ce qui la vieillissait le plus. Opale partageait quant à elle ce sentiment, mais l’inspectait depuis le tout début. Elle l’avait senti dès la première approche d’Isaac et elle avait eu le temps d’en identifier la cause : l’homme était habité tout entier par l’habilité de son esprit, à tel point qu’elle en était devenue physique. Isaac était sage. Elle l’était aussi. Ils étaient profonds.