Aussi sombre est la nuit - Fanny Vanesse - E-Book

Aussi sombre est la nuit E-Book

Fanny Vanesse

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Beschreibung

« J’ai quatorze ans. Je savoure ma première nuit dehors, sans abri. Je suis cette enfant blessée mais libre, libre depuis peu, quelques poignées d’heures à vue de nez, depuis quelques respirations sûrement et très certainement depuis quelques battements de cœur. Un cœur déchiré mais qui bat fort et vite. Je suis celle qui a claqué la porte à l’insupportable, l’intolérable. L’amputée d’une enfance cotonneuse, moelleuse. Épuisée mais déterminée. Comme enivrée d’espérance, shootée à la confiance, dopée à l’insouciance. Ma liberté n’a pas de prix. » Cet authentique récit présente à la fois une énigme et sa résolution. Témoignage d’une enfance dévastée, il est aussi un éloge de l’amour et de la vie. Renaître à soi.


À PROPOS DE L'AUTRICE


Femme debout, Fanny Vanesse est devenue psychothérapeute et thérapeute de couple par vocation. Ce premier roman naît à la suite d’un vif désir de déterrer sa voix, au nom des victimes de maltraitances quelles qu’elles soient, mais aussi pour donner sens au travail psychologique que chacun peut être amené à vivre.

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Fanny Vanesse

Aussi sombre est la nuit

© Lys Bleu Éditions – Fanny Vanesse

ISBN :979-10-422-2596-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À la petite fille que j’étais…

Le souvenir est une forme de rencontre.

L’oubli est une forme de liberté.

Khalil Gibran

Préface

Pour chaque enfant qui naît, une histoire commence.

Elle reste à écrire, même si nous en connaissons déjà tous la fin.

Mais si l’issue en est connue, cette aventure entre la naissance et la mort a tout d’une belle et grande histoire, car elle saura nous surprendre. Dès le premier instant de vie, le champ des possibles s’offre à chacun d’entre nous ou, parfois, s’impose. N’en déplaise à notre foi en l’humain, tous les chemins ne se valent pas. Certains seront plus escarpés, plus pénibles, plus douloureux que d’autres. La souffrance d’un enfant est révoltante en ce qu’elle n’est pas justifiée, nous disait Camus. Dans le livre de Fanny, vous reconnaîtrez de la souffrance. Cette souffrance révoltante, injustifiée.

Celle d’une enfant.

Mais ne vous méprenez pas. Ce n’est pas le propos de son récit, car Fanny a bien trop de pudeur pour raconter sa souffrance. Elle attire notre attention sur quelque chose de plus perfide : un enfant ne sait pas qu’il souffre. Il ne se débat pas. Ne cherche pas à s’extraire de ce qu’il subit, car pour lui il n’y a pas d’autre réalité. Ce qu’il vit, c’est « la » vie. Souffrir, c’est être en pleine tempête. C’est une succession d’instants, de décisions rapides, toutes dictées par l’instinct. L’urgence et la nécessité se substituent au bien et au mal.

À l’enfant qui souffre, c’est l’adulte qu’il deviendra qui répondra. Il répondra quand, soudain, se remémorant ses premières années, il ressentira cette souffrance. Comprendre et intégrer que l’on a souffert, c’est être assis devant un paysage dévasté, son propre paysage, son propre passé, avec ce même sentiment d’injustice qu’évoquait Camus. Et c’est là que le tumulte s’installe et que le réel chemin commence. Celui de la résilience.

Comment reconnaître assurément le beau sans avoir côtoyé la laideur ? Comment ressentir pleinement le bonheur si l’on n’a pas souffert ? Comment être debout et être pleinement conscient que l’on est debout si l’on n’a jamais été au sol, persuadé qu’on ne se relèvera jamais ?

Face à l’univers des possibles qui s’impose à l’enfant qui naît, l’adulte qu’il sera devenu répondra par l’univers de choix qu’il décidera de faire. Chacun aura un prix.

Fanny a fait un choix : celui de se relever et d’être une femme debout.

Samuel Sutra

— Raus ! Fous l’camp sale clébard ! je vais te montrer qui est le chef. Tu vas te soumettre à moi, c’est moi qui commande ! vocifère mon père, la gorge gagnée par ce rude accent allemand qui s’intensifie chaque fois que la colère l’envahit.

Il empoigne à deux mains le chien encore bébé et le fracasse à terre. Tchin hurle de douleur. À sa tentative d’échapper à son bourreau – affront impardonnable – mon père lui balance de violents coups de pied dans l’estomac.

— Arrête, je t’en supplie arrête ! implore ma mère.

Choquée, elle tombe à genoux, tremblante près du chiot, les mains tendues vers le pauvre animal à l’agonie.

Un dernier coup de pied dans les parties génitales de Tchin pour signaler la fin des hostilités et asseoir son pouvoir de maître, puis mon père s’en va, comme si rien ne s’était passé.

En une fraction de seconde, tout devient silencieux.

Effondrée, éprouvée par la violence et l’humiliation infligée à Tchin, ma mère à son chevet s’incline, l’enveloppe de ses bras et, dans un relâchement, laisse couler ses larmes et ses baisers recouvrir son pelage noir.

Elle pose ses mains sur son ventre. Elle me sent. Elle me parle en sanglotant.

Je suis là, lovée dans le ventre de ma mère depuis sept mois. Je viens de faire la première et dernière rencontre in utero avec mon père.

Il ne manifestera pas le désir de me parler, ni même de poser sa main sur le ventre arrondi de sa femme pour sentir bouger son enfant.

À ses yeux, je ne suis rien pour l’instant.

Plus tard, je lui serai utile.

Chapitre 1

Le terreau

Lui, un Allemand de treize ans son aîné, avec sa belle danseuse brune aux yeux d’émeraude.

Il parle difficilement le français. Elle ne parle que cette langue – quand elle ose s’exprimer.

Il est sportif, élancé, une allure assurée et déterminée. Une gueule « à la Paul Newman », plutôt bel homme dans son style nordique. Son pouvoir de séduction, il le connaît parfaitement. Chasser, rabattre, consommer, c’est son jeu favori.

Sa danseuse, c’est l’élégance. Elle est d’abord éblouissante parce qu’on ne voit que sa vénusté. Elle ignore tout de son charme. Son univers est tout autre. Elle ne connaît rien de la vie sinon l’obéissance. Elle a déjà tellement souffert, enfermée dans la prison de ses effrois.

Elle a dix-sept ans quand il lui offre un ticket pour une vie de famille, un mariage, des enfants. N’importe quoi, pourvu qu’elle s’échappe de ce caveau psychique, comme un rat perdu dans ses méandres. Ce ticket, c’est sa chance.

À l’instar d’une captive dévouée à son maître, elle le suit partout. Et partout, ça commence sur ses terres natales à lui : l’Allemagne. Sans emploi, elle se familiarise avec la langue du pays, et développe également son anglais auprès du voisinage et d’une amie qui travaille en crèche.

C’est sans lui qu’elle s’intègre. Il est bien trop occupé à briller en société. Il sait néanmoins lui accorder quelques gestes d’attention, un bras autour de ses épaules, de sa taille ou une main sur ses fesses, exclusivement sous le regard d’autres hommes – aucun intérêt sinon.

Son métier d’ingénieur l’appelle sur des pipelines de différents horizons. C’est ainsi qu’ils habiteront dans les quatre coins du monde. Le Mexique, la Floride, la Californie, l’Europe. Elle est à ses côtés, sage et docile, comme il aime. Elle s’adapte. Elle est sa chose, l’objet de sa revalorisation.

Il prépare son terreau familial, silencieusement, sournoisement, habilement. Il sait laisser maturer, laisser fermenter son engrais bien spécial – celui de l’emprise.

Quand il aura donné sa semence à sa belle, quand il fera d’elle une mère, alors elle lui sera redevable à vie. C’est le prix à payer.

Le temps d’une escale en France dans les Yvelines, elle donne naissance à Frank. Typé allemand, avec ses cheveux blonds et ses grands yeux bleus, il fait la fierté de son père d’autant plus qu’il est le premier garçon de la lignée. Normalement il aurait dû s’appeler Georges, ou plutôt « Guéorgheu » si on le prononce à l’allemande. C’est le prénom réservé à tous les premiers nés garçons de cette famille. Famille dont je m’accommoderai difficilement du nom de par le poids d’un passé nazi.

Heureusement pour Frank, il échappe à ce rituel. Sa mère négocie un prénom à consonances moins dures, moins gutturales, au prix de son corps. Elle a l’habitude. Elle ne connaît que ça, cette monnaie d’échange qui lui offre le plus de chances de voir ses requêtes acceptées.

Frank est beau, le parfait poupon qu’on peut voir poser dans les magazines. Celui sur qui tous les passants s’arrêtent et celui qu’ils admirent. Il ne gigote pas, ne pleure pas, ne réclame rien. Sage, si sage, aussi sage que beau. Le petit prince de Saint Exupéry !

Deux ans plus tard, un nouveau pipeline. Direction le Royaume-Uni.

C’est bercée par de la musique classique écoutée en boucle que ma mère me porte durant toute sa grossesse. Enceinte, elle se sent alors « être en vie » au travers de ce petit humain qui grandit en elle. L’unique échappatoire de son quotidien c’est ce « nous », elle et moi dans cette bulle des quatre saisons de Vivaldi.

Je vois le jour en octobre, dans les Lowlands de l’Écosse, un petit village appelé Paisley. Je m’appelle Fleur, un prénom choisi par ma mère.

— Tu sais Rolf, j’aimerais allaiter Fleur, je peux le faire sans problème. Le médecin a dit que j’avais juste à faire un peu attention à mon alimentation, aborde timidement ma mère.

— Tu donnes le biberon au bébé, c’est comme ça. Pas d’histoire, ordonne-t-il sèchement.

« Pas d’histoire »… Exécution.

La monnaie d’échange sexuelle ne marche pas à tous les coups. À la fin, c’est lui qui a le dernier mot.

À cinq ans, j’interroge ma mère :

— Dis maman, pourquoi Frank il a des problèmes ?

— Des problèmes… oui… tu as raison, ma chérie, il a des problèmes, ton frère.

— Pourquoi il a des problèmes alors ?

Ma mère s’accroupit pour aligner son regard au mien. Elle prend mes petites mains dans les siennes et, de toute sa douceur, m’explique :

— Tu sais, les médecins disent que ton frère a des problèmes parce qu’il est un peu trop sage.

— Et pourquoi c’est un problème, hein maman ?

— Parce que normalement, il devrait réagir différemment… Tu vois ?

— Comment ça ? Ça veut dire quoi ?

— Eh bien, toi ma bibiche, c’était l’inverse, tu pleurais beaucoup jusqu’à tes un an, mais beaucoup ! Tes cris déchiraient mon cœur de maman, je te serrais fort contre moi, je ne savais plus comment t’apaiser tellement tu pleurais. J’étais inquiète car j’étais habituée au calme de ton frère, tu comprends ? Alors, avec Frank, je t’ai emmenée chez le docteur pour trouver une solution. Et c’est là que le médecin m’a dit que c’était Frank qui avait un problème, et pas toi, comme je pensais.

Si j’étais pas née, alors Frank, il s’rait normal. C’est d’ma faute si on a vu ses problèmes. C’est à cause de moi tout ça.

Je garderai cette idée honteuse enfouie en moi comme un secret inavouable pendant de longues années. Je me laisserai façonner au travers de cette croyance, coupable d’avoir volé la normalité à mon frère par ma naissance. Je grandirai dans cette prison psychique dans laquelle j’ai pris perpétuité, m’accusant ad nauseam d’avoir dérobé à mon frère sa conformité.

À partir de cet instant, deux lignes directrices m’obsèdent : sauver mon frère et ne pas paraître plus intelligente que lui.

Mais peut-on, sinon effacer un handicap, au moins le gommer ?

Je m’y obstinerai pendant de longues années.

Chapitre 2

Mowgli