Bernadette - Isabelle Stock - E-Book

Bernadette E-Book

Isabelle Stock

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Beschreibung

Bernadette Soubirous a 14 ans lorsqu’elle voit la Vierge Marie lui apparaître dix-huit fois au fond d’une grotte : aussitôt, les passions se déchaînent à Lourdes ! Bernadette est-elle une menteuse ? Qui est cette dame qu’elle prétend voir ? Il faut la faire taire ! Mais Bernadette tient bon et le répète inlassablement : « Je ne suis pas chargée de vous le faire croire. Je suis chargée de vous le dire ».


À PROPOS DE L'AUTEURE

Mère de famille et enseignante, Isabelle Stock est l’auteur de la série à succès Les filles du Koala. Elle signe ici son premier volume dans la collection Témoins de l’Invisible.

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Isabelle Stock

Bernadette

Conception couverture : © Christophe Roger

Illustration couverture : © Ixène

Relecture : Le Champ rond

Composition : Soft Office (38)

© Éditions Emmanuel, 2023

89, boulevard Auguste-Blanqui – 75013 Paris

www.editions-emmanuel.com

ISBN : 978-2-38433-071-3

Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, modifiée par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011.

Dépôt légal : 1er trimestre 2023

Le secret de Lourdes, c’est Bernadette.

René Laurentin

Heureux êtes-vous de découvrir l’une des saintes les plus cachées de l’histoire de l’Église.

Régis-Marie de La Teyssonnière

Au pied des Pyrénées

Bartrès, janvier 1858

— Répète, Bernadette ! s’exclama Marie Laguës d’un ton où l’exaspération se mêlait au dépit. Je confesse à Dieu tout-puissant…

— Je confesse… balbutia la jeune fille. Je confesse…

— À Dieu tout-puissant ! s’impatienta la nourrice. Je confesse à Dieu tout-puissant ! Mais enfin, Bernadette, ne peux-tu pas faire un effort ? Tu n’as qu’à le dire après moi ! Ce n’est pourtant pas si compliqué ! Tu es vraiment trop bête !

— C’est en français, murmura-t-elle. C’est trop difficile en français. Je ne comprends que le patois.

— Je sais bien, rétorqua Marie Laguës, mais le catéchisme, c’est en français. Tu es bien obligée pour la communion. Allez, fais un effort !

— C’est trop dur…

La nourrice poussa un soupir navré. Elle ne savait plus que faire. Aucun mot, aucune prière, aucune leçon ne semblaient s’imprimer dans la tête de cette pauvre enfant. La nourrice ne ménageait pourtant ni son temps ni ses efforts pour lui apprendre le catéchisme !

— Tu ne sauras donc jamais rien ? s’exclama-t-elle, dépitée. Comment pourras-tu faire un jour ta première communion ? Reste à garder les moutons, cela vaut mieux !

La jeune fille, la gorge serrée, la regardait les yeux pleins de larmes. Le regard très brun et velouté, les pommettes rondes, on lui aurait plus volontiers donné 11 ou 12 ans que les 14 qu’elle avait tout juste.

Bernadette était pourtant d’un naturel gai et malicieux. Elle était chez sa nourrice depuis plusieurs mois, dans le petit village de Bartrès, et avait à cœur de faire son travail du mieux qu’elle le pouvait. Chargée de garder les brebis sur la prairie, elle aimait sentir l’odeur d’herbe humide et l’air froid de l’hiver, profiter du silence paisible ou des jappements joyeux de Pigou, fidèle compagnon de ses moments de solitude.

Dès l’aube, elle grimpait sur les terres de pacage, veillant sur le petit troupeau et particulièrement sur les agneaux qui faisaient fondre de tendresse et de joie son cœur généreux. Elle avait plaisir à construire de petits autels en bois et cailloux, à faire de jolis bouquets ou à réciter son chapelet, prière de ceux qui n’en connaissent pas d’autre. Les journées s’égrenaient, douces et monotones, et Bernadette songeait souvent avec nostalgie à sa famille tant aimée, restée dans sa ville de Lourdes.

***

Nichée au pied des Pyrénées, la petite ville de son enfance résonnait du bruit des sabots des habitants et des pas des chevaux ou des mulets sur les pavés. Le château fort et la vieille église Saint-Pierre semblaient veiller sur les quatre mille paroissiens que comptait la bourgade. À Lourdes, la vie se déroulait au rythme des marchés du jeudi, du passage de la diligence et des discussions animées au Café français où se retrouvaient tous les notables de la ville.

Les parents de Bernadette, François Soubirous et Louise Castérot, s’y étaient mariés en 1843. Malgré l’insistance de sa future belle-mère, François n’avait pas voulu épouser la fille aînée, Bernarde, mais sa jeune sœur, Louise. Tant pis s’il avait déjà 34 ans et elle, 17 ! Tant pis si Bernarde était plus organisée et meilleure ménagère ! C’était Louise et personne d’autre, et le jeune couple rêvait de bonheur paisible et de jours heureux.

Une première fille était née, un an jour pour jour après leur mariage, le 7 janvier 1844. Elle avait reçu le prénom de Bernarde-Marie, rapidement devenu Bernadette. Des sept frères et sœur nés jusqu’alors, trois seulement avaient survécu : Marie-Antoinette – surnommée Toinette – en 1846, Jean-Marie en 1851 et le petit Justin, en 1856.

Au moulin de Boly où vivait la famille, les naissances étaient une bénédiction et les premières années de Bernadette furent heureuses et gaies. Il y eut bien ce jour terrible où Louise, la poitrine brûlée par une bougie, dut se résoudre à placer Bernadette quelques mois en nourrice, ou l’accident de François qui le priva définitivement de son œil gauche. Mais la vie se poursuivait, rythmée par le claquement des vannes, le bruit des meules, le rire des enfants et les conversations des adultes.

Le cœur de Bernadette se serra en songeant aux jours heureux. À Boly, son père était un meunier réputé, le travail ne manquait pas et les clients affluaient. Et François, homme de cœur, ne pouvait se résoudre à faire payer la farine aux pauvres et aux malheureux.

— Comment veux-tu que je les laisse repartir le ventre vide ? répétait-il à sa femme. Tous ces miséreux me connaissent et viennent me trouver. Que puis-je faire ? Je ne peux tout de même pas les chasser…

Louise acquiesçait. Elle comprenait et aimait son mari, accueillant elle aussi à sa table les amis et les voyageurs.

Mais le manque d’argent et les mauvais payeurs avaient rapidement eu raison de la générosité des époux Soubirous et la famille, incapable de régler les loyers, avait dû quitter le chaleureux moulin. Après plusieurs déménagements, ils avaient finalement entassé dans une carriole les maigres affaires qu’ils possédaient encore : une table et deux chaises, deux lits, une petite armoire, une malle, des petits escabeaux en bois, un peu de linge et une douzaine d’assiettes rouges… À bout de forces et d’arguments, la famille avait été hébergée par un cousin au rez-de-chaussée d’une ancienne prison de Lourdes, dans une toute petite chambre à l’unique fenêtre, communément appelée par les habitants de la ville « le cachot ».

On était en janvier. La neige tombait sur Bartrès et les brebis étaient désormais confinées à la bergerie. Le temps semblait de plus en plus long à Bernadette qui s’occupait du ménage, du raccommodage et espérait chaque jour davantage vivre auprès de sa famille. Elle décida, un dimanche, de parcourir les quatre kilomètres qui la séparaient de Lourdes et de supplier ses parents de la laisser revenir.

Du pain et de l’amour

Lourdes, janvier 1858

— Bernadette ! s’écria Justin en sautant sur les genoux de la jeune fille. Raconte encore les moutons…

La jeune fille sourit. Depuis trois jours qu’elle était rentrée à Lourdes, son petit frère ne se lassait pas de l’entendre parler de Bartrès. Elle ouvrit les bras pour accueillir l’enfant qui se cala confortablement contre elle. Peut-être finirait-il par s’endormir en rêvant des agneaux et de leurs cabrioles…

— Raconte les moutons ! répéta Justin, trépignant d’impatience.

Bernadette soupira. Il était si facile de faire oublier au bambin le froid et l’humidité de la minuscule pièce où vivait la famille, la puanteur tenace de la toute petite cour et le peu de pain qu’il y aurait ce soir pour le souper. Elle repoussa tendrement une mèche de cheveux sur le front de son petit frère. La jeune fille prenait son rôle d’aînée très au sérieux. Douce, calme et attachante, elle n’en était pas moins dotée d’un caractère bien trempé et se dévouait sans hésiter à sa famille et ses trois frères et sœur qu’elle aimait plus que tout.

La nuit tombait. Elle posa Justin sur le lit et attrapa un pot de terre sur l’étagère de la pièce. Vide. Sans farine de maïs, pas de bouillie pour le dîner. Bernadette se pencha sur la marmite suspendue dans la cheminée et souleva le couvercle. Elle décida d’ajouter un peu d’eau dans le reste de soupe de la veille et de la réchauffer. Il faudrait s’en contenter. Sa mère rapporterait peut-être un morceau de pain noir à partager. La jeune fille soupira en pensant à ses parents. Elle aurait tant voulu les aider et les soulager davantage, eux qui travaillaient sans cesse et ne ménageaient pas leur peine.

La porte s’ouvrit soudain à toute volée et Toinette se précipita dans la pièce.

— Toinette ! gronda Bernadette. Où étais-tu passée ? Tu dois m’aider ! Et je n’aime pas que tu rentres si tard !

— Et moi je n’aime pas que tu me commandes ! protesta la cadette en fronçant furieusement les sourcils.

— Il faut que tu m’aides, répéta Bernadette d’un ton ferme. Nos parents travaillent dur et ils comptent sur nous. Tu es assez grande pour le comprendre.

Toinette haussa les épaules. Elle aimait s’amuser et n’appréciait pas les reproches ou les ordres un peu vifs de sa sœur aînée.

— Tu ne demandes pas à Jean-Marie ou à Justin, bougonna-t-elle. Pourquoi moi ?

— Ils font leur part, répliqua Bernadette. Et ils sont petits. Tu ne voudrais quand même pas qu’ils travaillent autant que nous ? Maman fait des lessives, et Papa tous les petits travaux qu’il peut trouver. Arrête de discuter et va ramasser quelque chose pour ranimer les braises !

Toinette leva les yeux au ciel en soupirant. Qu’il était pénible d’avoir une sœur si sérieuse et si raisonnable ! Elle fit demi-tour et ressortit brusquement, fouillant des yeux le sol et les alentours à la recherche de brindilles ou de déchets à brûler.

Louise Soubirous arriva vingt minutes plus tard et se laissa tomber, harassée, sur une des deux chaises de la pièce. Celle qui avait été une jeune fille blonde aux yeux bleus, pétillante et gaie, avait laissé place à une femme fatiguée, amaigrie et soucieuse. La misère était grande. Il fallait se procurer le pain quotidien, nourrir les bouches affamées, travailler sans relâche et sans plaintes malgré la malchance ou les coups du sort.

François Soubirous poussa à son tour la porte du cachot et entra d’un pas lourd et traînant. Il aperçut sa fille aînée et un sourire éclaira aussitôt ses traits tirés. Il s’était rendu presque chaque jour à Bartrès pour y voir son enfant et ne cachait pas sa joie que la famille soit réunie. Une bouffée d’amour le submergea.

— Ma Bernadette… murmura-t-il. Je suis tellement heureux de te voir ici…

La jeune fille leva les yeux vers son père.

— Moi aussi, répondit-elle avec un doux sourire.

— Mais quand même… souffla-t-il en voyant la jeune fille penchée sur la marmite, je ne peux pas m’empêcher de penser que tu étais mieux au grand air. As-tu vraiment bien fait de quitter Bartrès ?

— Oui ! assura sa fille. Vous me manquiez trop. Et ici, monsieur le curé a promis de me prendre au catéchisme.

François soupira. Malgré ses 14 ans, sa fille ne savait pas lire. Comme aucun d’eux dans la famille. Et sans savoir lire, comment apprendre le catéchisme ? Il n’ignorait pas que Bernadette était impatiente de préparer sa première communion. Depuis un bon moment, en effet, sa fille aînée rêvait de rejoindre les Enfants de Marie. L’association, fondée en 1837 par les Filles de la Charité, rassemblait régulièrement des adolescentes et des femmes de la paroisse, et Bernadette savait qu’il fallait avoir fait sa communion pour intégrer le petit groupe.

Mais il y avait tellement à faire à la maison… Trop à faire pour aller à l’école et de toute façon, la santé fragile de Bernadette préoccupait ses parents bien davantage. Elle ne grandissait pas beaucoup et mesurait tout juste un mètre quarante. Le choléra qu’elle avait contracté à 10 ans l’avait affaiblie et l’asthme qui la tenaillait depuis quelques années la réveillait souvent la nuit. Assise sur le lit, cherchant son souffle dans l’air humide et vicié du logement insalubre, la jeune fille finissait épuisée et suffocante au petit matin. Alors, à quoi bon savoir lire ? Ou même aller au catéchisme ? L’important n’était-il pas de prier chaque jour ensemble, d’avoir une famille soudée où la tendresse et l’affection ne manquaient jamais ? Les parents se couchaient souvent le ventre vide et honteux de leur misère, mais leur amour demeurait plus fort que tout.

François gardait les yeux rivés sur sa fille. Il était temps de penser à elle. Son aînée était restée trop longtemps à l’écart, privée d’école pour s’occuper des plus jeunes, éloignée à Bartrès pour épargner sa santé ou laisser à ses frères et sœur davantage de pain sur la table. Passait encore de ne pas savoir lire ou de ne pas parler français, mais elle devait pouvoir faire sa première communion.

— Tu iras à l’école, trancha-t-il tout à coup, et au catéchisme.

Bernadette leva vers son père un regard plein de bonheur. Une joie intense l’envahissait et elle ne pouvait se départir d’un sourire rayonnant.

— Les Sœurs de Nevers ont une classe gratuite pour les pauvres et les indigents, déclara Louise. L’abbé Pomian y fait le catéchisme. Bernadette ira avec Toinette.

Le souper fut avalé rapidement. François mangeait le moins possible, mais il y avait trop peu sur la table. Les maigres portions ne rassasiaient pas l’appétit féroce des plus jeunes qui lorgnaient avec envie le pain de froment de leur grande sœur.

— Jean-Marie ! protesta Louise. C’est la part de Bernadette ! Laisse-la !

La jeune fille regarda sa mère avec un sourire d’excuse et offrit un peu de son pain à l’enfant dont les yeux brillaient.

— Juste un petit morceau… murmura-t-elle.

Jean-Marie tendit aussitôt la main et engloutit le pain en une fraction de seconde.

— Pourquoi est-ce que Bernadette est toujours la seule à avoir du pain blanc ? ronchonna Toinette en fronçant les sourcils. Ce n’est pas juste !

— Ta sœur ne supporte pas la farine de maïs, rétorqua son père. Tu le sais. Ça lui donne mal au ventre.

Toinette soupira, jalouse malgré elle des attentions parentales pour l’aînée.

— Déjà qu’elle porte des bas alors que nous sommes pieds nus dans nos sabots… bougonna-t-elle. Moi aussi, j’ai faim !

Louise fronça les sourcils.

— Tais-toi ! ordonna-t-elle à sa fille cadette. Tu sais très bien que ta sœur doit porter des bas à cause de son asthme.

Bernadette attendit que sa mère ait le dos tourné et poussa discrètement Toinette du coude. Mais la petite fille, encore contrariée, haussa les épaules.

— Tiens… chuchota Bernadette en lui glissant un morceau de son pain dans la main. Je n’ai plus faim du tout. Dépêche-toi de le manger avant que nous commencions la prière.

Avez-vous vu ?

Jeudi 11 février 1858

Louise jeta un coup d’œil sur le foyer de la cheminée. L’air glacial de ce matin de février pénétrait le petit logis et le brouillard dense assombrissait la pièce. L’humidité la prenait à la gorge. Il fallait ranimer les braises, et vite. Elle s’approcha de l’âtre et poussa un soupir dépité.

— Il n’y a plus de bois, s’exclama-t-elle.

— Et celui qu’on a ramassé hier ? s’étonna Toinette.

— Je l’ai échangé contre du pain, répondit-elle.

— Nous irons au bois, s’écria tout à coup une voix décidée. Ne vous inquiétez pas !

Jeanne Abadie entrait tout juste dans la petite pièce. Venue, comme d’habitude, tenir compagnie à son amie Toinette, la jeune fille ne manquait pas d’aplomb. Elle connaissait la misère des Soubirous et nota d’un œil rapide les enfants jouant dans un coin, la lassitude de la mère, et le père encore couché, usé par le travail des jours précédents.

— Nous irons, nous autres ! répéta-t-elle. Toinette, viens avec moi !

— Il faut un panier pour les os, suggéra Bernadette.

Louise ne fut pas dupe. Elle savait que les filles cherchaient souvent des os pour les vendre aux chiffonniers, mais elle avait bien compris que, ce matin, Bernadette saisissait l’occasion d’accompagner Jeanne et Toinette. Elle jeta encore un regard par la fenêtre. Le brouillard et la bruine l’inquiétaient plus que tout.

— Pas toi, Bernadette ! protesta-t-elle. Il fait trop froid et tu as fait une grosse crise cette nuit !

— Je sortais bien à Bartrès ! rétorqua celle-ci.

Louise observa son aînée et soupira intérieurement. Bernadette affichait cet air décidé qu’elle lui connaissait bien et semblait résolue à suivre les deux autres. D’un geste résigné, Louise attrapa un vêtement blanc en épaisse laine des Pyrénées et le posa sur la tête de la jeune fille.

— Mets ton capulet, alors ! déclara-t-elle. Il te protégera de la bise. Et promets-moi de ne pas être imprudente !

Les trois filles se retrouvèrent dehors en quelques minutes. Le froid vif les saisit aussitôt et elles se mirent à la tâche sans tarder.

— Il n’y a plus rien ici, remarqua Jeanne très vite. Tout juste quelques os à ramasser, d’autres sont passés avant nous.

— Il faut aller vers le Gave, annonça Toinette. On est trop près de Lourdes.

Courbant la tête, bravant le vent et l’air humide, le petit groupe descendit vaillamment et gagna le Vieux-Pont. En bas, il y aurait peut-être du bois. Assez pour en vendre, acheter de la farine et confectionner des galettes. Mardi gras approchait et un peu de douceur ne se refusait pas.

— Bonjour la Pigoune ! s’exclama Toinette en reconnaissant une silhouette familière agenouillée au bord de l’eau.

— Bonjour ! répondit la vieille femme. Où allez-vous par ce mauvais temps ?

— Nous cherchons du bois, expliqua Jeanne. Mais on ne trouve rien.

— Allez donc du côté de Massabielle ! conseilla la Pigoune.

Les filles se regardèrent. Massabielle ? La grotte aux cochons ? Sale et obscur, l’endroit n’avait pas très bonne réputation et passait même pour dangereux ou mal fréquenté. Mais, après tout, pourquoi pas ? Il y aurait peut-être des branchages. Assez pour des galettes, en tout cas !

— Par là ! annonça Jeanne. Je sais y aller !

— Maman ne serait pas contente, hésita Toinette.

— Il faudrait voir s’il y a du bois, rétorqua Jeanne.

Jeanne et Toinette s’engagèrent aussitôt sur le chemin. Le froid ne faiblissait pas et les filles marchaient d’un bon pas. Bernadette les suivait aussi vite qu’elle pouvait, mais l’effort l’essoufflait rapidement. Parvenues à l’endroit où le canal rejoignait le Gave, Toinette et Jeanne observèrent les lieux et poussèrent un soupir de satisfaction. Juste en face d’elles, à une dizaine de mètres, un rocher surplombait une grotte qu’elles n’avaient jamais vue. Et sous la voûte, des branchages !

— Il faut passer ! s’exclama Jeanne en jetant ses sabots de l’autre côté du canal. Ce n’est pas profond !

En quelques secondes, la jeune fille avait traversé.

— Elle est gelée ! s’écria-t-elle, les larmes aux yeux, en frottant vigoureusement ses pieds dans sa jupe pour les réchauffer.

— Plus que gelée ! pleurnichait Toinette qui l’avait rejointe et frictionnait tout aussi furieusement ses pieds rougis.

Bernadette venait d’arriver au bord du canal et observait le cours d’eau, indécise. Elle avait bien en tête les recommandations de sa mère et ne voulait faire aucune imprudence. Si elle prenait froid en traversant l’eau glaciale, ses parents seraient sans nul doute aussi mécontents que déçus. La jeune fille ne pouvait faire fi des sacrifices que tous consentaient pour elle. En aucun cas elle ne serait ingrate ou désobéissante.

— Aidez-moi à jeter des pierres dans l’eau pour que je passe, s’écria-t-elle.

— Je peux te porter sur mon dos, proposa généreusement Toinette.

— Tu es trop petite ! protesta Bernadette. Toi, Jeanne ! Porte-moi !

Jeanne secoua la tête, exaspérée. Que d’histoires pour un peu d’eau froide ! Bernadette n’avait qu’à faire comme tout le monde. Il y avait du bois à ramasser et pas de temps à perdre. Jeanne haussa les épaules et rétorqua :

— Passe comme nous !

Bernadette regarda les deux filles s’éloigner. Il n’était pas question de les laisser s’occuper du bois sans les aider. Elle n’avait pas le choix : elle allait traverser. Tant pis pour l’eau froide !

Elle s’assit sur une pierre et retirait son premier bas lorsque le bruissement d’un coup de vent se fit entendre. Surprise, elle tourna la tête vers les peupliers plantés derrière elle. Les grands arbres ne bougeaient pas. L’air était calme, rien ne remuait.

La jeune fille se pencha donc sur son deuxième bas, mais le bruit insolite résonna à nouveau à son oreille. Interloquée, elle leva la tête et regarda devant elle. À droite, au-dessus de la grotte, une petite niche était creusée dans la roche. Et en bas de cette niche, de longues ronces se balançaient silencieusement. Il sembla alors à Bernadette qu’une lumière douce brillait dans la cavité sombre. La jeune fille se figea. Dans cette lumière, elle venait d’apercevoir la silhouette d’une dame ravissante, toute vêtue de blanc. Elle semblait très jeune, 15 ans tout au plus, et observait Bernadette d’un sourire rayonnant.

Quelle était cette illusion ? La jeune fille se frotta énergiquement les paupières et cligna plusieurs fois des yeux, cherchant à revenir à une réalité rassurante. Mais rien à faire. L’apparition était toujours là, souriante, rayonnante. Comme fascinée par l’étrange reflet, Bernadette ne pouvait en détacher son regard.

Instinctivement, elle plongea la main dans sa poche et saisit son chapelet. Elle leva machinalement le bras pour faire son signe de croix, mais il retomba, incapable d’aller jusqu’à son front. Saisie de peur, Bernadette se mit à trembler. Que lui arrivait-il ? Malgré tous ses efforts et ses tentatives, son bras restait comme paralysé et il lui était impossible de le lever. Elle vit la dame porter la main à son front dans un grand signe de croix lent et gracieux. Bernadette essaya de l’imiter. Elle leva alors le bras sans difficulté et fit à son tour un grand signe de croix. La peur disparut, une joie intense l’envahit et elle s’agenouilla. Sans quitter l’apparition des yeux, elle commença à réciter :

Je vous salue, Marie, pleine de grâce,

Le Seigneur est avec vous

Vous êtes bénie entre toutes les femmes,

Et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni.

Sainte Marie, Mère de Dieu,

Priez pour nous pauvres pécheurs,

Maintenant et à l’heure de notre mort.