Cacophonie mentale - Patrick Lagneau - E-Book

Cacophonie mentale E-Book

Lagneau Patrick

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"Une petite fille est en danger. Ce mardi 16 mai à 16h30 à la sortie de son école, un homme va l'attendre. Environ 1,65m, veste à carreaux, une quarantaine d'années. La petite est la fille de ses voisins qui, exceptionnellement, ne pourront venir l'attendre ce soir et l'homme le sait. Elle doit avoir des cheveux blonds ondulés qui tombent sur ses épaules et un physique précoce pour une élève apparemment en cours moyen deuxième année. Son corps annonce déjà la femme qu'elle sera plus tard. C'est ce qui incite l'homme à l'aborder. L'école se situe rue Severo." Le lieutenant de police Thomas Chesnais, intrigué par ce SMS anonyme reçu sur son portable, se rend sur place au lieu et à l'heure indiqués sans avertir ses supérieurs. Fabulation ou réalité ? Un roman policier mené à cent à l'heure où le pouvoir mental perturbe la logique traditionnelle des investigations d'enquêtes.

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À Lindsay,

Sommaire

1. Chapitre

2. Chapitre

3. Chapitre

4. Chapitre

5. Chapitre

6. Chapitre

7. Chapitre

8. Chapitre

9. Chapitre

10. Chapitre

11. Chapitre

12. Chapitre

13. Chapitre

14. Chapitre

15. Chapitre

16. Chapitre

17. Chapitre

18. Chapitre

19. Chapitre

20. Chapitre

21. Chapitre

22. Chapitre

23. Chapitre

24. Chapitre

25. Chapitre

26. Chapitre

27. Chapitre

Épilogue.

1.

Paris - XIVe

Thomas Chesnais, lieutenant de police, a un sentiment étrange. Un goût amer dans la bouche. Il tente de déglutir. En vain.

Comment lui, rompu aux coups les plus tordus, peut-il se retrouver là, à planquer sur un banc devant une école primaire en plein Paris ?

Il a la réponse, bien sûr. Quelle aberration ! Tout a commencé par ce SMS anonyme reçu quarante minutes plus tôt. Il allume son smartphone et relit pour la énième fois le message :

Une petite fille est en danger. Ce mardi 16 mai à 16 h 30 à la sortie de son école, un homme va l’attendre. Environ 1,65m, veste à carreaux, une quarantaine d’années. La petite est la fille de ses voisins qui, exceptionnellement, ne pourront venir l’attendre ce soir et l’homme le sait. Il semblerait qu’elle ait des cheveux blonds ondulés qui tombent sur ses épaules et un physique précoce pour une élève apparemment en cours moyen deuxième année. Son corps annonce déjà la femme qu’elle sera plus tard. C’est ce qui incite l’homme à l’aborder. L’école se situe rue Severo.

Thomas a eu le temps de vérifier. La rue Severo est dans le XIVe arrondissement et il n’y a qu’une seule école primaire dans cette rue. N’ayant pas trouvé de place libre, il a garé son Audi dans la rue Georges-Saché à proximité de la jonction avec la rue Severo qui forme un petit triangle de verdure. Au milieu, un banc sur lequel il est assis. Il n’a parlé du SMS à personne au bureau. Vincent et Olivier, ses collègues également lieutenants de police, se seraient foutus de lui d’accorder un tel crédit à un message anonyme. Qui peut prévenir la police avec autant de détails ? Quelqu’un qui connaît l’homme qui s’apprête à aborder la petite ? Il n’a pas dû s’en vanter. Quelqu’un de sa famille qui a des soupçons ? Il n’aurait pas écrit « l’homme » dans son message. Alors ?

Il a l’impression d’être dans le gaz. Pourquoi être venu seul ? Il admet dans son for intérieur que c’est par orgueil. Juste pour prouver à Giraud, le patron de son commissariat, qu’il est capable de gérer une affaire en solo, quelles que soient les circonstances. Marquer des points et faire avancer sa carrière.

Mais là, il commence à douter sérieusement. Personne ne peut prévoir un tel acte. À moins que... Et s’il s’agit de l’homme lui-même qui a envoyé le message anonyme ? Un suicidaire ? Un frimeur ? Un cinglé ? Ou alors une blague pour se foutre de la police ? Et lui, Thomas Chesnais serait tombé dans le panneau ? Voilà sans doute la raison principale pour laquelle il n’a averti ni ses collègues ni le commissaire. Inutile d’être la risée de tous... Il pourra toujours les appeler si besoin.

Du banc où il est assis, il voit l’école juste en face de lui. Il détaille la façade, les fenêtres du rez-de-chaussée protégées par des grilles, les drapeaux français et européen pendus à des hampes fixées au mur, juste entre l’inscription « ÉCOLE DE FILLES » et « ÉCOLE MATERNELLE ».

Les parents des enfants commencent à arriver. Thomas regarde sa montre... 16 h 25. Dans cinq minutes, la sortie des élèves. Il étudie les hommes en attente devant l’école... Aucun ne porte de veste à carreaux...

C’est à cet instant précis que la porte de l’école s’ouvre et que jaillissent les enfants. Certains vont directement vers leur mère ou leur père, sans doute. D’autres s’éloignent seuls. Thomas les étudie tous, quand soudain, il repère une fille aux cheveux blonds qui tombent sur ses épaules. Elle s’éloigne vers la rue Hippolyte Maindron sur le trottoir le long duquel sont garées des voitures.

Thomas a quitté son banc d’observation, traversé la rue Severo et rejoint le même trottoir que la petite, maintenant à une soixantaine de mètres devant lui. Il la regarde s’éloigner, de plus en plus persuadé que le message anonyme était bidon. Il enrage intérieurement de s’être fait avoir comme un bleu, mais se félicite de n’avoir rien dit au sujet du SMS anonyme qui...

La portière du côté passager d’un des véhicules s’ouvre au passage de la petite... Elle se baisse... Regarde à l’intérieur... Semble reconnaître la personne avec qui elle discute... Elle a une hésitation puis monte à l’intérieur en refermant la portière derrière elle... Le conducteur de la voiture démarre... C’est un Berlingo jaune moutarde... Sans doute sa mère... ou son...

Une phrase du message anonyme lui saute d’un seul coup à l’esprit... La petite est la fille de ses voisins qui, exceptionnellement, ne pourront venir l’attendre ce soir et l’homme le sait...

Le Berlingo déboîte et s’éloigne au bout de la rue Severo, puis tourne à gauche dans la rue Hippolyte Maindron où il disparaît.

D’instinct, Thomas court jusqu’à sa voiture, s’installe au volant et démarre sur les chapeaux de roues. Quand il s’engage dans la rue Hippolyte Maindron, il sait que c’est foutu. Le Berlingo a disparu.

Il doit agir.

Vite.

Lancer un appel général ? Trop tard. Voire risqué... On ne sait jamais, il peut encore se tromper.

Une seule solution. Le message dit que l’homme est un voisin...

La rue Severo étant en sens unique, il gare son Audi à cheval sur le trottoir, laisse son badge de police sur le tableau de bord, coupe le moteur, saisit les clefs, bondit hors du véhicule qu’il verrouille, court jusqu’à l’école dans laquelle il entre en trombes et se précipite sur la première enseignante qu’il voit.

—Police ! lance-t-il en présentant son insigne. Dans quelle classe est la petite fille blonde aux cheveux longs qui est sortie il y a quelques minutes ?

—B... blonde ? bégaie l’institutrice impressionnée. La... laquelle ? Il y en a plusieurs dans l’école...

Thomas se rend bien compte qu’il va avoir du mal à être plus précis. Quand soudain, il se souvient d’une autre phrase du message anonyme...

—La petite en question a un physique précoce...

—Que se passe-t-il ? intervient une autre enseignante attirée par les éclats de voix du policier. Je suis madame Leroy, la directrice...

—Excusez-moi, Madame, réplique Thomas en brandissant à nouveau son insigne, mais je suis très pressé. Je pense que l’une de vos élèves est en danger...

—En danger ? Comment ça ?

—Je n’ai pas le temps de vous expliquer, mais j’ai absolument besoin de savoir où elle habite... Elle est blonde aux cheveux longs, précoce physiquement...

— Je pense qu’il doit s’agir de Mélissa, hasarde la première enseignante... Elle repartait seule chez elle ce soir, car ses parents...

—Oui, c’est cela, confirme Thomas. Quel est son nom de famille ? Et son adresse, s’il vous plaît ?

—Mélissa Pagliero... Je n’ai pas son adresse en tête...

—Venez avec moi, dit la directrice, je vais regarder dans mon ordinateur, il est allumé, j’étais en train d’entrer des informations...

Il la suit jusqu’à un bureau devant lequel elle s’assied pour ouvrir le fichier de l’ensemble des élèves inscrits. Dans une fenêtre située en haut de l’écran, elle tape « Pagliero » et aussitôt apparaît le portrait de Mélissa et sa fiche de renseignements.

—Voilà, dit la directrice, elle habite au 4 passage de Gergovie...

—C’est loin d’ici ?

—Une petite dizaine de minutes à pied. Mais en voiture, il faut cinq minutes. Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

—Pour l’instant rien. J’espère. Merci, Madame. Excusez-moi, je dois y aller...

***

Après avoir entré l’adresse dans son GPS, il démarre et enfile la rue Hippolyte Maindron...

... Bon Dieu, pourvu que je me trompe...

... tourne à droite dans la rue Olivier Noyer...

... c’est peut-être un ami au volant de la voiture, ou quelqu’un de la famille...

... encore à droite sur la rue Didot...

... ou vraiment le voisin, ce qui expliquerait pourquoi elle est montée dans la voiture...

... rue Pernety sur la gauche...

... ou je me fais du cinéma... Merde, mais qui m’a envoyé ce putain de message anonyme ?...

... rue Raymond Losserand... feu rouge...

... bordel, je pourrai mettre mon gyro, mais la sirène risque de l’alerter... Mais qu’est-ce que je raconte, moi, merde, je perds vraiment la boule...

... feu vert... toujours la rue Pernety... carrefour de la rue Raymond Losserand...

... yes ! Feu vert !... Encore cent mètres d’après le GPS...

... dernière à droite... Rue de Gergovie en sens unique... Passage sous un pont de la SNCF... C’est alors qu’il ne l’a pas encore franchi que Thomas aperçoit juste après le pont, sur la droite, le Berlingo qui entre par une porte unique dans le garage d’un immeuble. Quand il passe à son niveau, la porte automatique se referme. Il prend la première à droite... C’est le passage de Gergovie... Il roule encore quelques mètres et se gare le long des immeubles, sous un panneau « Interdiction de stationner » avec le dessin explicite d’un véhicule de la fourrière qui embarque une voiture. Il place à nouveau son badge de police sur le tableau de bord et sort de l’Audi. Il se dirige vers l’entrée de l’immeuble et constate qu’il s’agit bien du n°4. Une grille en interdit l’accès à quiconque ne connaît pas le code. Au même moment, une femme quitte l’immeuble en tirant un chariot de courses pliable. La grille s’ouvre. Elle passe devant lui.

—Bonjour, Madame ! Excusez-moi, Monsieur Pagliero habite bien ici ? Je dois le rencontrer...

La femme le dévisage, mais il doit avoir une bonne tête, car elle lui sourit.

—Oui, oui, au cinquième. Mais je crois qu’ils sont absents...

—Bon, merci. Alors, je vais laisser un mot dans sa boîte aux lettres. Merci, Madame, ajoute Thomas sans demander son reste en pénétrant sous le passage abrité qui conduit vers l’immeuble.

Dubitative, la femme le regarde en haussant les épaules et s’éloigne en direction de son épicerie habituelle.

Thomas lit rapidement les noms inscrits sur les boîtes aux lettres et a bien confirmation que la famille Pagliero habite ici. Alors qu’il se dirige vers l’ascenseur, il remarque une porte unique au bout du couloir avec un panneau « GARAGE ». Juste vérifier...

Il appuie sur le bouton d’appel de l’ascenseur... La porte s’ouvre... la cabine est là... Il entre, jette un coup d’œil sur le tableau et sans hésiter, appuie sur le bouton « Sous-sol »... La porte se referme... L’ascenseur descend d’un étage... Instinctivement, il glisse une main sous son blouson sur la crosse de son revolver, prêt à dégainer... La porte glisse dans un bruit feutré... Il avance d’un pas à l’extérieur, sur ses gardes... Observe autour de lui... Les néons sont allumés au plafond... Il est bien dans le garage... Il aperçoit l’avant de quelques voitures garées en marche arrière entre les piliers dans des espaces réservés... Il fait quelques pas... Les néons s’éteignent...

... Merde !

Dans l’obscurité ambiante, il ne bouge pas... Écoute... Rien... Pas un bruit... Il se retourne et repère un témoin d’interrupteur derrière lui, près de la porte d’ascenseur refermée... Il appuie sur le bouton... les néons s’allument... Il avance prudemment le long des emplacements réservés aux voitures... Certains sont occupés, d’autres libres... Le sous-sol est en L... il parvient à l’angle... regarde le nouvel espace et là, son cœur bondit dans sa poitrine : il aperçoit le capot du Berlingo... Il sort son revolver, et l’arme au poing, avance prudemment vers le véhicule... Cinq mètres... Quatre... Trois... Deux... Il se positionne en braquant le véhicule... Vide ! Il tourne autour du véhicule, bras tendus devant lui, l’arme pointée en direction de chacun de ses regards. Personne.

Rapidement, il se repasse mentalement le film des dernières minutes qui viennent de s’écouler. Le Berlingo qui rentre au garage... Son entrée dans le passage de Gergovie, sa descente de voiture, son échange avec la dame de l’immeuble, son entrée dans l’ascenseur, sa...

Soudain, il se souvient de la porte au fond du couloir avec le panneau garage.

... bon sang, ils ont dû passer par l’escalier ! Mais oui, bien sûr, ils sont montés à son appartement par les escaliers... Attends ! Si les sentiments qui ont guidé son acte sont liés à une pulsion sexuelle, il doit tout faire pour que personne ne le remarque avec la petite... sauf s’ils ont déjà été vus ensemble...

À cet instant, Thomas se dit qu’il est en plein délire. Le voisin en question a sans doute été mandaté par les parents de la petite pour aller la chercher à l’école...

... mais non, l’institutrice a bien dit qu’elle devait rentrer seule ce soir... ils doivent déjà être chacun chez eux... mais alors, le message anonyme ?... Une blague ? Quelqu’un de son entourage qui lui en veut ? Une vengeance ?

Là, il est quasiment certain de s’être fait balader et se félicite encore une fois d’avoir gardé tout cela pour lui. Il imagine les sarcasmes de ses collègues devant une telle aberration s’ils en avaient eu vent. Il range son revolver dans le holster sous son blouson, se dirige vers l’ascenseur pour tourner la page sur ce scénario débile. En repérant la porte à quelques mètres, il décide de remonter au rez-de-chaussée par l’escalier... Juste par instinct... Comme ça, pour verrouiller définitivement cette histoire.

À un mètre de la porte, les néons s’éteignent. Il se dirige en aveugle à la recherche de la poignée qu’il avait aperçue, quand soudain, dans l’obscurité, il se fige.

Un cri lointain.

Comme étouffé.

Une plainte.

Tout en dégainant à nouveau son arme, il cherche de tout côté l’interrupteur.

Là.

Deux mètres derrière lui.

Alors qu’il s’apprête à appuyer dessus, il aperçoit un rai de lumière à une dizaine de mètres sous une autre porte qu’il n’avait pas vue quand le garage était éclairé.

Nouvelle plainte étouffée.

À cet instant, il est persuadé qu’elle vient de quelque part là-bas.

Le cœur battant et sur ses gardes, revolver au poing, il avance jusqu’à la porte qu’il tire lentement vers lui...

Il cesse son geste quand elle commence à grincer...

Il écoute...

Toujours la plainte étouffée

Il ouvre la porte et se glisse sans bruit dans un nouveau long couloir éclairé par des plafonniers ovales à grille tous les trois mètres. De part et d’autre, de nouvelles portes. Pour Thomas, aucun doute, ce sont des caves. Une dizaine.

Et toujours cette plainte étouffée.

Il doit agir.

Vite.

S’approcher.

En faisant le moins de bruit possible avec ses semelles en cuir sur le ciment brut du sous-sol.

Devant chaque porte, il marque une pause.

Il entend le chuchotement d’une voix d’homme, plus loin, mais ne saisit pas les paroles.

Il s’en rapproche.

À un moment, il sait que derrière la porte qu’il vient d’atteindre, il se passe quelque chose. Il cesse de respirer.

Colle son oreille à la porte.

Des mots.

Confus.

Et là il entend à nouveau la plainte étouffée.

La petite...

La petite est là...

Il imagine que l’homme lui a mis une main sur la bouche.

Thomas perçoit trois mots.

... de gigoter... aimer ça... voir...

Un regard sur la porte.

Elle s’ouvre vers l’intérieur.

Ne pas tourner la poignée.

En plus, elle doit être fermée à clef.

Créer l’effet de surprise.

Son cœur bat à cent à l’heure.

Pas la trouille, non.

Juste la tension de l’instant.

Et de ce qui va se jouer dans quelques secondes.

Il se recule, bras tendu l’arme pointée vers la porte.

De toutes ses forces, il lance son pied au niveau de la serrure.

La porte explose, béante.

—Lâche-la !

D’un seul regard, Thomas appréhende la scène.

L’homme est là.

Avec sa veste à carreaux.

Il a sa main gauche sur la bouche de la fille aux longs cheveux blonds, le dos collé contre lui. Sa main droite est posée à plat sur sa poitrine.

En une fraction de seconde, elle disparaît et réapparaît aussitôt avec un revolver dont il appuie le canon contre la tempe de la fille.

—Tu fais un pas et je la descends !

Thomas est surpris par la rapidité avec laquelle l’homme a réagi. Il plonge son regard dans les yeux de la fillette. Ils sont écarquillés et des larmes coulent sur ses joues.

—Du calme, du calme !

—Casse-toi !

—OK ! OK ! Laisse partir la fille et on s’en va...

—Barre-toi, j’te dis !

Bien sûr, l’homme a peur.

Ne pas le provoquer.

Gagner du temps.

Tout se passe ensuite très vite.

Profitant d’un relâchement de pression de son agresseur, la fille plante violemment ses dents dans sa main sans la lâcher.

L’homme hurle de douleur et tente de se libérer. Sentant moins de prise sur son corps, la fille lui donne un violent coup de talon dans le tibia.

Sous la double douleur, l’homme plié en deux relâche la pression sur la fille qui tombe sur le sol.

Par réflexe, Thomas ouvre le feu sur l’homme. Touché à la cuisse, il tombe à genoux. La fille en profite pour se relever et courir vers Thomas qui, de ce fait, ne peut plus braquer l’homme étendu en face de lui.

Au moment où il s’apprête à écarter la fille qui se précipite vers lui, un coup de feu retentit dans la cave.

Pour Thomas horrifié, la scène se passe au ralenti. La fillette blonde écarquille les yeux, la bouche grande ouverte et s’effondre dans ses bras.

Il voit l’homme au sol. Son bras qui tient le revolver se lève lentement vers eux.

Plus rapide, Thomas tire plusieurs coups de feu dans sa direction.

Thomas ne sait pas encore que l’image de la scène le hantera longtemps.

La petite est morte dans ses bras.

L’homme gît dans une mare de sang

2.

IGPN1 - Paris

— Bonjour. Je suis le Commissaire Yves Mazel. Vous n’avez pas eu l’opportunité de consigner votre démarche dans un procès-verbal. Mes hommes m’ont donc remis votre déposition et j’aimerais vous la relire avant que vous la signiez...

« Après avoir entendu des cris étouffés dans le sous-sol d’un immeuble situé au 4 rue de Gergovie dans le XIVe, j’ai repéré la cave d’où ils provenaient. En collant mon oreille contre la porte, j’ai tout de suite compris qu’une petite fille était en danger. L’arme au poing, j’ai défoncé la porte d’un coup de pied, puis j’ai braqué un homme d’une quarantaine d’années qui collait sa main gauche sur la bouche d’une petite fille affolée d’environ dix ans, et l’autre sur sa poitrine. Je lui ai demandé de la libérer. Au lieu d’obtempérer, il a passé sa main droite derrière la petite et, en une fraction de seconde, il avait un revolver braqué sur moi. C’est à cet instant que la petite lui a mordu la main gauche. Sous la douleur, il a été contraint d’ôter sa main et elle en a profité pour lui donner un coup de talon dans le tibia. Là, il l’a relâchée et elle est tombée, ce qui m’a permis de tirer une balle dans la cuisse de l’homme. C’est à cet instant que la petite s’est relevée et s’est jetée vers moi, masquant l’homme au sol. Au moment où j’allais la récupérer, l’homme a tiré un coup de feu dans notre direction et la petite s’est effondrée dans mes bras. Instinctivement, j’ai tiré deux fois sur l’homme à terre. Dans les secondes qui ont suivi, j’ai pris conscience qu’ils étaient morts tous les deux. »

— C’est conforme à ce que vous leur avez rapporté, Lieutenant ?

Thomas Chesnais, à la lecture du drame qu’il a vécu, n’a que la force d’acquiescer de la tête. Tout est allé si vite en une semaine... Arrivée des forces de police dans le sous-sol... Des pompiers... Les corps embarqués sur civières... L’enterrement de Mélissa.... Puis lui en garde à vue... Enquête judiciaire de l’IGPN à la demande du Procureur de la République...

Le Commissaire Mazel lui tend un stylo et sa déposition.

— Tenez, je vous prie de signer en bas, s’il vous plaît...

Thomas Chesnais s’exécute. Les deux officiers à qui il a fait sa déposition rejoignent le Commissaire Mazel, et tous les trois s’assoient face à lui, de l’autre côté de la table.

— Nous n’avons aucun doute sur ce que vous avez vécu, lance le Commissaire, et nous compatissons. Sincèrement. Mais nous aimerions avoir quelques éclaircissements, si vous permettez...

— Je vous en prie, murmure Thomas Chesnais.

L’un des deux officiers prend la parole.

— Lieutenant Chesnais, nous aimerions savoir comment vous avez compris que la petite était en danger, je veux dire, avant que vous la retrouviez dans cette cave au 4 rue de Gergovie ?

Thomas Chesnais, depuis le début de l’enquête, sait qu’il ne parlera pas du SMS qui a tout déclenché. Mais il doit être sur ses gardes. Être plausible et cohérent. Réfléchir vite avant de répondre.

— Je vous l’ai dit. Je me promenais sur un trottoir de la rue Severo. Devant moi, à une cinquantaine de mètres, marchait une fillette. Seule. Soudain, à son passage, la portière côté passager d’un véhicule garé le long du trottoir s’est ouverte. La fillette s’est penchée, a échangé avec le conducteur et après une hésitation elle est montée dans la voiture, un Berlingo, qui a démarré aussitôt.

— Et comment avez-vous fait pour les suivre ?

— Je vous l’ai dit, j’ai rejoint mon Audi qui était à deux pas.

— Quelle heure était-il ?

Prudence !

— 16 h 35, il me semble.

— Le fait qu'une petite fille monte dans une voiture à la sortie de l’école semblerait banal à n’importe qui. Pourquoi, vous, avez-vous pris cette initiative ?

Merde, il a dû flairer quelque chose, lui...

— Je vous l’ai dit. Elle est montée après avoir hésité. Je me suis dit que ce n’était sûrement pas quelqu’un de sa famille.

— Lieutenant Chesnais, dans un premier temps, votre Audi était garée dans la rue George-Saché en face du restaurant « La Grande Ourse ». Le propriétaire vous a vu courir et démarrer sur les chapeaux de roue. Entre le moment où le Berlingo a démarré, que vous rejoigniez votre Audi rue Georges-Saché et vous lanciez à sa poursuite, il s’est écoulé approximativement environ trente secondes. Vu la circulation à cette heure de la journée, vous avez eu de la chance de pouvoir le repérer pour le suivre, non ?

Il commence à me taper sur les nerfs, celui-là...

— Oui, c’est vrai j’ai eu de la chance.

Le second officier enchaîne.

— Encore un point, Lieutenant, pourquoi ne nous dites-vous pas que vous êtes retourné à l’école...

— Je...

Merde, il sait !

— Oui, Lieutenant Chesnais, vous êtes allé demander à la directrice, Sandrine Leroy, l’adresse de cette petite fille.

— Mais... enfin, je ne connaissais même pas son nom...

— Vous avez raison. C’est la directrice qui vous l’a donné après que vous lui avez décrit la fillette. Mais ce que vous vouliez savoir, c’était l’adresse où elle habitait. Je me trompe ?

Rester calme et logique...

— Bien sûr ! C’était le meilleur moyen pour retrouver le Berlingo...

— Donc vous saviez que le conducteur du Berlingo la ramenait chez elle, alors ?

Merde ! Ça sent le roussi, là... Qu’est-ce que je lui dis ?...

—Je vais vous dire, Lieutenant Chesnais, je crois que vous nous cachez quelque chose...

— Mais... non, je vous assure...

— Tout ce qui s’est passé après, dans la cave, aurait sans doute pu être évité, Lieutenant, poursuit le Commissaire. Votre déposition repose sur des faits que personne ne peut nier. Vous avez été d’une sincérité absolue. Mais avant, nous pensons que vous avez eu connaissance d’informations dont nous aimerions connaître l’origine. Parce que si, effectivement, vous saviez que la petite risquait sa vie, et nous pensons que vous le saviez, vous auriez dû demander une intervention. Mais vous ne l’avez pas fait. Pourquoi avoir agi seul ?

— Je... je ne sais pas. Peut-être la perception de l’urgence... la sensation que la petite était vraiment en danger...

Les trois officiers se lancent un coup d’œil. Aucun des trois ne semble convaincu.

— Bon, on fait une pause, annonce le commissaire Mazel. Profitez-en pour réfléchir sérieusement ! dit-il d’un ton sec à Thomas.

***

Dans le bureau de Mazel, les trois officiers, un gobelet de café à la main, tirent les conclusions de ce premier entretien.

— Bon, faisons le point ! Que sait-on de l’homme qu’il a abattu ?

— Il s’appelait, Giuseppe Gardini. Il habitait au 4 rue de Gergovie, au cinquième étage, même adresse que la famille Pagliero, et sur le même palier.

— Qu’a donné l’entretien avec la famille ?

— Les parents le connaissaient, sans plus, bonjour, bonsoir. Ce jour-là, ils étaient partis pour l’après-midi à l’enterrement d’un oncle de madame Pagliero à Saint-Chéron. Ils n’ont pas souhaité emmener leur fille avec eux, pour ne pas la traumatiser. Ils savaient qu’ils ne seraient pas de retour pour récupérer leur fille après l’école. Ils avaient averti son institutrice la veille. Lorsqu’ils se sont séparés dans le couloir de sortie de leur immeuble, Madame Pagliero a répété une dernière fois à sa fille d’être vigilante et de bien respecter les feux pour traverser les carrefours en rentrant. Elle s’est souvenue qu’à ce moment-là Gardini relevait son courrier dans sa boîte aux lettres à quelques mètres d’eux.

— C’est donc là qu’il aurait compris qu’elle rentrerait seule de l’école ?

— Je suppose.

— La petite le connaissait ?

— Ses parents pensent que oui. De vue, en tant que voisin, comme eux.

— Dans ce cas, elle a effectivement pu avoir une hésitation avant de monter dans sa voiture...

— Sans doute. Mais pourquoi Chesnais était-il là et pourquoi s’être focalisé sur elle, et l’avoir suivie ?

— Il sait forcément quelque chose qu’il ne nous dit pas...

— C’est ce que je pense aussi.

— On doit le savoir. On y retourne...

***

Les officiers prennent place à nouveau face à Thomas Chesnais et tous les trois le fixent droit dans les yeux.

— Lieutenant Chesnais, après votre déposition et nos échanges, nous sommes vraiment persuadés que vous nous cachez une information. Et à notre avis, elle est capitale. Sinon, vous ne seriez pas intervenu comme vous l’avez fait. Pour avoir interrogé les parents de Mélissa Pagliero, nous savons qu’elle connaissait son agresseur, de son nom Giuseppe Gardini, en tant que voisin de palier. Sans plus. Il a appris par hasard qu’elle rentrerait seule de l’école. Donc, comme vous nous l’avez affirmé, la petite a effectivement pu avoir une hésitation avant de monter dans sa voiture. Après avoir obtenu son nom et son adresse auprès de la directrice, vous en avez pris la direction. Tout ce qui s’est passé ensuite dans la cave démontre que Gardini avait prémédité son coup. Mais nous n’avons qu’une seule question à vous poser, Lieutenant. Pourquoi étiez-vous présent à cet endroit à la sortie de l’école et vous être focalisé justement sur cette gamine ? Je pense qu’à ce stade, il est étrange de votre part d’occulter cette phase de l’enquête. Et si vous souhaitez poursuivre votre carrière dans la police, nous pensons qu’il serait plus sage de coopérer. Alors Lieutenant, je vous pose une dernière fois la question : comment avez-vous su que Gardini allait agresser la petite Mélissa ?

Thomas se sent désemparé. De la position de flic reconnu, il sait qu’il est passé dans la peau de témoin capital. Voire de suspect.

Suspecté ? Mais de quoi ? D’avoir voulu sauver la petite ? Je n’ai fait que mon devoir.... C’est sûr, ça devient compliqué de faire l’impasse sur le SMS... Si je n’y avais pas accordé de crédit, la petite serait encore en vie... Ou pas... De toute façon, ces trois-là ne vont pas lâcher l’affaire... Tant pis ! L’enquête prendra forcément une autre direction...

— Alors Lieutenant ? Pourquoi avez-vous pris la décision de les suivre ?

Thomas regarde le commissaire droit dans les yeux. Inspire profondément.

— Est-ce que vous me permettez de prendre mon téléphone ? J’aimerais vous montrer quelque chose.

Mazel acquiesce d’un signe de tête. Thomas sort son portable de la poche intérieure de sa veste, l’allume, entre le code de déverrouillage, tape plusieurs fois sur l’écran, puis, ayant obtenu ce qu’il recherchait, tend son appareil.

— Voilà, Commissaire, tout a commencé par ce SMS !...

***

Le lendemain, l’affaire est classée pour l’IGPN. Aucune charge n’est retenue contre Thomas qui rejoint le commissariat de police dont il dépend. Alors qu’il échange avec ses collègues sur le drame qu’il a vécu, un policier l’interrompt pour l’informer qu’il est convoqué par le patron. Thomas emprunte le couloir qui conduit au bureau du commissaire Giraud et il sait que ça ne va pas être une partie de plaisir. Parvenu devant la porte, il prend son inspiration. Frappe.

— Entrez !

Thomas tourne la poignée et pousse la porte.

Nous y voilà !

— Bonjour, Commissaire !

— Bonjour, Lieutenant ! Asseyez-vous !

Ses deux coéquipiers, les lieutenants Vincent Muller et Olivier Fontaine, sont assis dans deux des trois fauteuils devant le bureau. Thomas leur serre la main et s’installe dans celui qui est libre. Aussitôt, le commissaire Giraud prend la parole.

— Après lecture du rapport de l’IGPN, je dois vous dire qu’il est regrettable que vous n’ayez pas sollicité une intervention de nos services. La stratégie d’approche aurait été différente, plus réfléchie, mieux préparée et la petite serait peut-être encore en vie. Pourquoi avoir agi seul ?

Thomas sait que sa réponse doit être franche. Tout repose sur le SMS qu’il a reçu.

— Je suppose que j’ai craint d’être ridicule de débarquer avec ce message anonyme sur mon téléphone et d’y croire. Je reconnais que c’est idiot. Je ne pensais pas que tout cela se terminerait par un drame.

— L’IGPN a classé le dossier. C’est une bonne chose pour vous. Mais maintenant, avec les lieutenants Muller et Fontaine, vous allez enquêter sur Gardini pour en dresser un portrait le plus précis possible. Il n’avait pas de casier, on a vérifié. Alors je veux tout savoir sur lui, sur son entourage, sa famille, ses fréquentations. S’il exerçait un métier, je veux connaître l’endroit où il travaillait et vous interrogerez son employeur ! Ah oui, et puis aussi une piste importante à ne pas négliger, essayez de retrouver le site par lequel est passé la personne qui vous a envoyé ce SMS. Nous devons absolument l’identifier.

Fontaine lève la main.

— Oui, Lieutenant ?

— Excusez-moi, Commissaire, ça peut paraître étrange, mais si par hasard c’était Gardini lui-même qui avait envoyé le SMS ?

— Je n’y crois pas trop, mais tâchez de savoir dans votre enquête auprès de sa famille ou ses amis s’il avait des tendances suicidaires. Quoi qu’il en soit, vous avez carte blanche. Nous sommes lundi, je vous propose que vous me remettiez vos rapports vendredi soir. J’en prendrai connaissance pendant le week-end et nous nous retrouverons lundi prochain à 9 h 00 pour faire le point. Allez, au boulot !

1 Inspection Générale de la Police Nationale