Caprices d'un bibliophile - Octave Uzanne - E-Book

Caprices d'un bibliophile E-Book

Octave Uzanne

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Extrait : "Il est des jours où l'on se pend à Londres, dit-on, sans savoir pourquoi. Ce soir-là, j'étais rentré terriblement agacé, les nerfs tendus comme les cordes d'un violon, la mine morose, l'allure courbée dans un accablement intense. Il me bruinait au coeur tant la sombre tristesse m'envahissait, et je logeais dans ma cervelle tous les diables noirs de la mélancolie."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.

LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants :

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EAN : 9782335091922

©Ligaran 2015

Préface

Au lecteur

Sunt bona, sunt quædam mediocria, sunt plura mala ;

Qui legis hæc, aliter non fit, Avite Liber.

MARTIAL.

À cette époque archi-philosophique, disait un misanthrope du dernier siècle, un auteur ne rougit pas de se brûler, dans sa préface, tout l’encens dont le public seul est comptable. – Certains écrivains, nous devons l’avouer, se sont un peu trop montrés les ridicules thuriféraires de leurs œuvrespersonnelles ; mais il faut ajouter, pour être juste, que, lorsqu’on plaide pro domo suâ, il est difficile, par modestie, de ne pas faire parade d’une certaine dose de vanité.

Une préface est à un ouvrage, non seulement ce que l’affiche est à une comédie, c’est aussi le plastron, le rempart, le Palladium du livre ; c’est par elle, le plus souvent, que sont parés les terribles coups de boutoir de la Critique c’est derrière elle que l’Auteur se réfugie, après y avoir déposé comme sauvegarde, ses propres aveux, ses craintes, ses pudeurs, ses délicatesses ; après s’y être laissé voir sous le jour le plus propice, dans un laisser-aller bon enfant ou dans la joie orgueilleuse de l’œuvre accomplie. – Lorsqu’un lecteur tient son ouvrage, et qu’armé de toute sa sévérité, il se prépare à entamer le premier chapitre, le pauvre Auteur, tremblant, presque défaillant dans la pensée d’être ainsi pris au dépourvu, n’a-t-il pas le droit de lui crier : « Un instant… de grâce, écoutez-moi ! Deux mots, rien que deux simples mots, je vous en prie ! et je me livre à vous ! » La préface, c’est le salut au lecteur, et trop souvent, hélas ! ce terrible salut des Gladiateurs à Cæsar, le Morituri te salutant.

Il existe, en Littérature comme en Art, deux façons de procréer bien distinctes : l’une, lente et réfléchie, réclame le travail et impose quelquefois la paresse, cette bonne couveuse, comme la nommait Montaigne ; l’autre, fantaisiste, toute de primesaut, jaillit subitement de l’inspiration oude l’éréthisme des sensations éprouvées. – La première méthode donne pour résultat des œuvres mûries, soignées, polies, coordonnées et bien léchées : celles-ci sont filles légitimes de l’étude et de l’application ; la seconde manière produit des opuscules, souvent vifs et colorés, quelquefois ingénieux, hardis, ayant le débraillé, la belle humeur des enfants de Bohême : ceux-là sont bâtards du caprice, du paradoxe ou de la frivolité.

C’est de cette génération spontanée que sont issues ces Boutades de Bibliophile ; elles ont été mises au jour dans les innocents badinages d’une plume qui s’essaye et se repose ; elles ne possèdent pas la pondération, la gravité, le solide, le fini des choses ciselées à froid ou faites méthodiquement et à temps voulu ; elles ont la valeur de croquis sans prétentions ou pour mieux dire de Pochades bibliographiques, rien de plus.

Alors que nous ne songions même pas à les réunir en volume, le livre s’est trouvé fait. – Au jeune Bibliographe, est venu tendre la main un jeune Éditeur plein de foi dans ses entreprises ; bien plus, un Artiste du plus grand talent dont nous ne saurions nous montrer trop fier de revendiquer l’amitié, a dessiné et gravé, pour nos Caprices, un frontispice spirituel, délicat, exquis de composition et d’habileté de faire, si coquet d’ensemble et de détails que Gravelot ou Eisen s’en seraient disputé la signature. Ajoutons à cela la bienveillance marquée que les Bibliophiles ontdaigné nous accorder jusqu’à ce jour, et l’on conviendra qu’avec de tels éléments de succès, il nous faudrait être bien peu téméraire, pour ne pas embarquer sur ce frêle esquif juste ce qu’il faut d’espérance pour ne pas le faire chavirer, en songeant que les livres ont leur destin, et que la bonne devise, pour tout ouvrage que l’on abandonne à la merci de l’opinion publique, est : Vogue la galère !

Paris, 15 février 1878.

Une vente de livres à l’hôtel Drouot

Ma bibliothèque aux enchères.

Les amères douleurs, les regrets, la mort se peignent dans mes songes.

J.-J. ROUSSEAU.

I

Il est des jours où l’on se pend à Londres, dit-on, sans savoir pourquoi. Ce soir-là j’étais rentré terriblement agacé, les nerfs tendus comme les cordes d’un violon, la mine morose, l’allure courbée, dans un accablement intense. Il me bruinait au cœur tant la sombre tristesse m’envahissait, et je logeais dans ma cervelle tous les diables noirs de la mélancolie. J’étais bourru, aigre, hargneux, misanthrope ; une sorte de fièvre maligne ravageait tout mon être et j’eus payé bien cher l’occasion de pleurer. Il ne me souvient pas, cependant, d’avoir rencontré le plus petit créancier, ni lu le moindre discours académique, rien d’anormal n’avait voilé mon front d’un crêpe de deuil, rien !… Je m’étais uniquement promené une partie du jour dans les différentes salles de l’hôtel des ventes ; je m’étais promené, tenant en laisse la meute affamée des désirs les plus ardents.

Ô poètes et artistes, amants passionnés du beau, vous qui dansez sur la corde roide d’un budget fictif et qui jonglez avec les boules d’or de vos caprices, vous qui ne songez qu’à moelleusement capitonner l’existence selon votre guise, vous tous, compétiteurs de luxe, il vous sera aisé de me comprendre : – savez-vous rien de plus digne d’engendrer le spleen nébuleux que la vue de superbes collections d’objets d’art dispersés à votre nez, à votre barbe, par le sort railleur des enchères.

Vous êtes là, haletants ; au banquet de la vente, infortunés convives, vos lèvres s’entrouvrent pour surenchérir, vos mains se tendent vers le bibelot désiré, votre imagination en tapisse déjà le coin le plus nu de votre appartement ; dans le supplice de la convoitise, votre pouls bat plus fort, votre sang brûle, votre poitrine est oppressée, mais la déesse raison, cette froide bégueule, vous chuchote à l’oreille des réalités frappées à la glace. – Ceci tue cela, et, tandis que le commissaire-priseur détaille, de son verbe haut, des beautés que vous n’admirez que trop, votre bourse, triste thermomètre de vos ressources, accuse dans la poche sa maigre rotondité.

C’est pour avoir éprouvé ces Tantalesques émotions que le ciel de mon âme s’était assombri ; les morsures aiguës des désirs avaient fourbu mes sens… Je rentrai, remorquant ma fatigue au logis.

II

Le nid que l’on se crée, le chez-soi étoffé avec amour, le coin marqué au sceau de sa fantaisie, l’intérieur, en un mot, où la banalité du dehors ne saurait avoir accès, le Home, est et sera toujours une fraîche oasis, ou nous aimons à nous reposer des tracas de la foule. Les plus grandes tristesses s’y calment, le moral s’y retrempe dans le laisser-aller du bien-être, l’individualité y puise une nouvelle énergie.

Ouf ! avec quel nonchaloir on se laisse tomber dans le grand fauteuil qui tend les bras, et que, la tête renversée, dans un délassement alangui, il est doux, après une journée de fatigue, de promener un œil mi-fermé sur tout le fouillis domestique qui nous environne. Tous les objets, ces élus du goût, semblent devenir plus chatoyants pour le retour du maître, ils lui sourient, et dans le langage mystérieux des choses, ils paraissent le saluer joyeusement à son arrivée.

Ce fut avec un bonheur mêlé de reconnaissance, que je contemplai ce soir-là mes richesses, meubles anciens, statuettes, potiches, tableaux et gravures, tous ces jolis riens amassés avec patience ; ma Bibliothèque se dressait fièrement, comme orgueilleuse de son noble faix, et la vue de mes livres me rasséréna.

Ils étaient là, tous alignés, dans une magistrale mitoyenneté, splendides comme à une revue ; les reliures à petits fers brillaient, semblables à de beaux uniformes, les volumes brochés supportaient modestement leur primitif vêtement et le vieux veau brun distillait dans l’air ce vétuste parfum qui enivre si délicieusement les amoureux du Bouquin.

Je regardai avec joie mes chers livres, anthologie de ma passion ; je me surpris à détailler leurs charmes, à compulser leur beauté, à analyser leurs perfections ; je les caressai de l’œil, je les eus volontiers embrassés, et mes sensations vaniteuses de Bibliophile vibrèrent avec intensité.

« Bouquins adorés, ô mes amis, vrais consolateurs de celui qui vous possède, que de jouissances vous versez dans nos cœurs et que barbare est celui qui vous méprise ! vous êtes toute la sagesse, la vie, le cerveau, la quintessence des siècles passés ; bouquins adorés, ô mes amis, je vous vénère à l’égal des Dieux ! »

Le somniférant Morphée me paraissait cette nuit-là, occupé à secouer ses pavots sur d’autres paupières que les miennes, je résolus d’attendre patiemment les loisirs de cette déité inconstante et, prenant sur un rayon, une plaquette, petit in-12, reliée en maroquin blanc avec coins, je fus me coucher pour lire dans le grand silence de minuit.

Je ne tardai pas néanmoins, peu à peu, à m’endormir profondément et un essaim de songes tortionnaires vint papillonner dans mon alcôve.

III

Je flânais en rêvant, ou je rêvais en flânant, au milieu de ce grand mouvement, de ce perpétuel va-et-vient dont l’hôtel Drouot est le spectacle à l’époque des belles ventes – c’était une cohue : D’adorables petites femmes mises avec une grâce exquise, des messieurs très décorés, financiers, peintres, hommes de lettres, des marchands et marchandes à la toilette, des commissionnaires, que sais-je ! – Je m’arrêtai, en premier lieu à la salle n° 2 : On y vendait des tapisseries des Gobelins, des meubles Renaissance, des bronzes, des faïences italiennes et japonaises, des émaux, des statues, tout un bric-à-brac étonné de se trouver réuni.

Arméde son maillet d’ivoire à manche d’ébène, lorgnon sur l’œil, la face rouge, rasée de frais, plus impétueux que jamais, Maître Oudard pontifiait. – Je m’approchai.

« Nous allons vendre, disait l’expert, deux colonnes Doriques avec tores et chapiteaux en Brocatelle, l’une est en brèche de Sicile, l’autre en porphyre rouge de Suède… Remarquez, je vous prie, la beauté de ces deux pièces, c’est une occasion unique.

Voyons, Messieurs, reprenait. Me Oudard, deux superbes colonnes Doriques des plus curieuses, combien dit-on ?… Il y a marchand à… tant, Personne ne couvre l’enchère ? c’est pour rien, Messieurs ;… une fois, deux fois, vu, personne ne dit mot ? Examinez ces deux pièces, je vous prie ;… une fois, deux fois, vu, non ;… pas par vous à gauche, c’est donné, Messieurs, vu, non, on renonce… Adjugé. »

Les garçons emportaient, un mouvement se faisait dans l’auditoire, puis l’expert avec calme mettait un nouvel objet en vente, et la voix de Me Oudard reprenait de plus belle : « une fois, deux fois, vu,… non, faites passer,… vu, personne ne dit mot… vu,… non, on renonce ;… » pour accentuer, d’un coup de maillet sec, l’irrémédiable : Adjugé.

Ces deux colonnes Doriques ne m’étaient pas inconnues, et afin de me rendre compte de leurs provenances, je demandai les catalogues du jour au distributeur qui passait.

Mais, hélas ! Il ne s’agissait plus de colonnes Doriques, sur l’un des catalogues que je venais de réclamer, Horresco referens ! Je lus les lignes suivantes imprimées en rouge et noir sur la couverture bleu tendre d’un assez copieux in-8° :

 

« CATALOGUE DES LIVRES ANCIENS ET MODERNES, rares et curieux. – Belles-lettres, Histoire, Beaux-Arts et Théâtre. – La plupart ornés de belles reliures et de cartonnages fantaisistes. Provenant de la Bibliothèque de M… »

 

Ici mes Nom, Prénoms et Qualités s’étalaient scandaleusement. – Le Mané, Thécel, Pharès ne dut pas étinceler aussi lumineux aux yeux de Balthazar que les détails imprimés que je venais de lire ne brillèrent aux miens ; je crus devenir fou, un frisson glacial parcourut tout mon corps. Je réunis ce qu’il me restait de forces pour ne pas m’évanouir, et, blême, défait, dans un état impossible à décrire, je m’élançai vers la salle n° 6 où la vente devait avoir lieu.

IV

La salle n° 6 était magistralement pleine. Impossible de me frayer un passage par la porte du vestibule. Je me rendis au magasin également encombré et là, avec grandes peines, je parvins, à gravir sur un tabouret d’où : je découvris un affreux spectacle.

Me Maurice Delestre occupait la chaire, correct et élégant comme un jeune sportman ; à sa droite, derrière une table surchargée de livres, la tête maigre et à lunettes de M. L. surgissait. Des garçons emmagasinaient brutalement des livres que je ne pus voir, mais que je reconnus aux palpitations de mon cœur… Et d’ailleurs pourquoi douter ? N’avais-je pas là devant moi, horrible ! horrible ! horrible ! mes trois corps de bibliothèques à colonnes torses que les draperies vertes de la salle rendaient encore plus belles ?

Les rayons étaient déjà clairsemés, je cherchai des yeux mes trésors des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles,… disparus ! Une sueur froide inondait mon front, mes jambes faiblissaient ; je voulus crier, appeler, faire rendre gorge aux acquéreurs et assassiner dans la même haine MM. L… et Maurice Delestre, complices de cette noire trahison ! Hélas ! mes jambes étaient fixées au tabouret et ma voix paraissait s’être à jamais figée dans mon gosier ; il me fallut demeurer spectateur de pierre avec une âme de feu, et me résoudre à voir et à entendre sans proférer un son.

J’examinai la salle.

Au premier rang toute la haute librairie patentée était assise, coudes sur tables, crayon aux dents, catalogue ouvert. Je reconnus les yeux ardents du jeune Éd. R…, la silhouette de Faune de M…, et le visage rabelaisien de son associé F… ; puis, plus loin, dans la pénombre, le profil railleur de C…, la désinvolture de Le F… et la haute taille de V…, ainsi que les figures bien connues de D…, de St-D…, de R…, de B…, de H…, et autres. – Toute la fine fleur des bouquinistes parisiens.

Au second plan, ô torture ! hissés sur des chaises, mes amis au grand complet, joyeux, pimpants, se frottant les mains et inspectant mon catalogue avec des petits sourires entendus. J’étouffais.

L’inquisiteur… je veux dire le filet de voix aigre, grêle et perçant de M. L… rompit ce silence.

« N° 160, clama-t-il. Nous allons mettre en vente les Romantiques dont la collection est surtout remarquable ! »

« N° 160. Théophile Gautier. LA COMÉDIE DE LA MORT, Paris, Desessart, 1838, in-8, broché. Édition originale. »

« Il y a plusieurs états de la vignette de Louis Boulanger gravée par Lacoste. Exemplaire en admirable état, la reliure est de fantaisie. Les plats en cuirs japonais à ramages, les gardes sont ornées d’étranges dessins représentant une Danse Macabre. – Je demande 150 francs . »

Quelques libraires esquissèrent une hilarité Homérique, mais tout le clan sérieux tendit les bras. Les prunelles tombèrent en arrêt, on entendit des « on demande à voir » de tous côtés, et un grand bourdonnement parcourut l’assistance.

On demande 150 francs, répéta Me Maurice Delestre. – Il y a marchand dit résolument un de mes amis les plus intimes, – 160 lança ÉD. R…, – 180 fit M…, – 200 reprit l’ami intime… – Ce fut un ouragan d’enchères, au milieu desquelles, ô surprise ! je crus remarquer la voix délicate et timide d’une femme.

V

Cette petite voix féminine était langoureuse et frémissante ; par une filiation mystérieuse, elle semblait comprendre mon martyre et mon impuissance ; c’était comme un écho de moi-même qui résonnait dans la salle, et, sans le mutisme épouvantable dont j’étais frappé, je n’aurais pas, à ma propre vente, mieux conduit les enchères.

Elle était fière et vibrante jusque dans sa timidité, cette chère petite voix féminine, aussi je la bénissais en dépit de ma douleur et de ma rage, et tous mes plus galants désirs se portaient vers le coin d’ombre d’où elle me paraissait sortir. – À 350 francs ; LA COMÉDIE DE LA MORT fut adjugée à cette folle enchérisseuse.

J’attendais qu’on lançât le nom de ma sympathique inconnue ;… qui cela pouvait-il bien être ?… J’étais sur des charbons ardents et ma curiosité n’avait plus de bornes. Hélas ! aucun nom ne fut prononcé et le crieur fit silencieusement passer au commissaire-priseur une carte, une simple carte,… un bristol rosé du plus doux effet. Je me pris à bâtir les suppositions les moins fondées, tout en scrutant du regard les personnes assises ou debout ; mais, soit que ma vue fût troublée, soit que, dissimulée habilement dans la foule, la dame ne tînt pas à être découverte, il me fut impossible d’entrevoir le plus mignon profil fuyant, pas un bout de dentelle, une main gantée, une plume de chapeau, une mèche de cheveux blonds ou bruns, rien,… absolument rien ; je ne vis que la houle mugissante des spectateurs, attentifs et prêts à dévorer mes Romantiques.

Le monotone, agaçant et peu viril organe de M. L… reprenait la nomenclature du catalogue.

VI

Il serait trop long de peindre la furia des enchères. Jamais, de mémoire de libraire, on n’avait vu bataille si acharnée. Me Maurice Delestre s’était levé, l’œil mobile, la voix saccadée, droit comme un général au feu. Le crieur paraissait exténué, tant l’animation était grande, et, sous les verres convexes de ses lunettes, les yeux de l’expert marquaient un suprême ahurissement. Le marteau d’ivoire voltigeait dans l’air et ne pouvait s’abattre, c’est à peine si l’on entendait le bruit des salles voisines et, sur leurs chaises hissés, mes amis se regardaient effarés.

Dans cette mêlée de voix mâles, la petite voix de femme se faisait entendre, sonore comme un clairon qui rallie, elle était devenue plus altière et possédait des intonations hardies et chaudes. Brave petite voix féminine ! elle menait ma vente tambour battant, elle montait crânement à l’assaut par des surenchères de dix, quinze et vingt francs. Vrai Dieu ! je l’adorais, j’avais presque oublié que j’assistais au plus affreux des désastres, mais,… pourquoi ne pouvais-je la découvrir ?

Tous mes Romantiques s’élevèrent à des prix inouïs, et tous, chose singulière, furent adjugés à la suave petite voix. Pas un des Gautier