Ce qui n’arrive qu’aux autres - Julia Clabau - E-Book

Ce qui n’arrive qu’aux autres E-Book

Julia Clabau

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Beschreibung

Julia, 25 ans, traverse une gamme d'émotions liées à sa vie de femme. De son enfance innocente à son adolescence rebelle, de sa gratitude envers sa mère à l'amour passionné, elle explore aussi le rôle de belle-mère et les difficultés de la grossesse, jusqu'à la douleur d'une fausse couche. Elle examine en profondeur la maternité, le deuil et sa place dans une famille recomposée.


À PROPOS DE L'AUTRICE 


Très tôt, l’écriture devient, pour Julia Clabau, le moyen de mettre des mots sur ses ressentis. Le présent ouvrage marque un tournant décisif dans sa vie de femme, car il voit le jour lorsqu’elle entend battre le cœur de son bébé dans son ventre pour la première fois.

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Julia Clabau

Ce qui n’arrive qu’aux autres

© Lys Bleu Éditions – Julia Clabau

ISBN : 979-10-377-9723-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

1

De grands néons blancs défilent au-dessus de ma tête, avant de finalement s’arrêter net. De temps à autre, un courant d’air me laisse deviner le nombre de virages que l’on prend dans ce grand labyrinthe hospitalier. De brefs « Salut ! » sont lancés à la volée de temps à autre. On embarque dans l’ascenseur, qui n’est autre qu’un miroir géant de tous côtés. J’ai donc l’occasion de constater que je n’ai vraiment pas à rougir de mon chignon fait en vitesse avant de quitter la chambre – un peu coiffé décoiffé digne d’un post d’instagrammeuse : « hello, mes soleils ! je viens de me lever, passez tous une jolie journée pleine de self love et profitez du moment présent » mais loin d’être mon genre –, mais aussi et surtout que j’ai de petits yeux vitreux et un visage bien pâle.

Pâle n’est en général pas un adjectif très distinctif me concernant. Disons que ça ne me change pas beaucoup de d’habitude. J’ai passé tous mes étés à entendre de polis « Oh ! T’as pris de belles couleurs ! » ou encore « Ah si, je t’assure, t’as bonne mine ! » pendant que mon frangin revenait complètement caramel de la moindre randonnée au soleil. Alors, c’est vrai que quand il s’agit de dire si je suis malade ou non, mon teint est rarement un élément à prendre en compte. Pourtant, aujourd’hui, je comprends le sens de cet adjectif. Je suis livide. Il aurait été bon de dormir un peu plus ces derniers jours, mais tout s’est passé si vite. C’est bien plus rassurant de fonctionner en automatique et de ne pas se demander trop régulièrement si on a bonne mine. Je me renfrogne en me disant que de toute façon, la lumière n’est pas flatteuse.

Le brancardier qui me faisait parcourir les couloirs jusqu’ici s’arrête ensuite devant une lourde porte coupe-feu et passe son bip à ma droite. La porte se débloque automatiquement et une lumière bien plus vive m’éblouit sans crier gare.

J’étais faussement fascinée par mon vernis à ongles jusqu’ici. À défaut de temps et probablement aussi de matériel, l’infirmière m’a demandé avant que je monte, si je pouvais moi-même gratter le vernis rouge fraîchement posé sur mon index gauche. J’ai été autorisée à garder le reste. Alors depuis que j’ai quitté la chambre, je gratte. J’ai comme un vieux déjà-vu de collège, à mesure que le vernis s’en va. Je revois ma mère m’observer à table et me dire : « Quand même, tu pourrais prendre le temps d’enlever cette horreur. La moitié de ton vernis est partie. Ça fait pas très soigné ! » et je me rends enfin compte à quel point elle avait raison. Et plus rien d’autre ne compte que de gratter le reste du rouge sur mon index, sans en laisser une miette.

Deux femmes en blouses vertes se penchent alors au-dessus de ma tête en souriant. L’une d’elles me dit doucement « Bonjour, madame, je suis Amélie. Je suis sage-femme et avec ma collègue infirmière Laure on va rester avec vous toute la durée de l’opération. De toute façon, ça ne prendra qu’une dizaine de minutes, mais vous ne serez pas seule. On est juste là. » Puis Laure me guide pour que je passe du lit à ce que je comprends être la table d’opération. Leurs voix sont douces, et leurs yeux pleins de compassion et d’encouragement.

Et d’un coup, c’est trop. Les néons, la blouse, la culotte filet, moi bordée dans ce lit d’hôpital puis finalement les pieds installés dans de froids étriers, Vincent qui m’attend dans la chambre quelques étages plus bas. Tout se brouille. Je n’arrive plus à maintenir les vannes fermées. Les larmes se mettent à couler chaudement le long de mes joues sans que je ne puisse rien y changer.

Le fil des événements se refait à toute vitesse dans ma tête : le test, l’émerveillement, les débuts, les questions, les premiers symptômes, ce qu’on pensait être nos dernières vacances à deux, ce moment où on s’est fait griller comme des bleus par sa famille, l’annonce à mes parents, le sourire de mon frère quand il a compris, la réaction des filles quand elles ont su qu’elles auraient un frère ou une sœur, mais aussi la première échographie qui serait finalement la seule, l’attente, le cœur brisé, les questions, les cauchemars, les rapports médicaux, les urgences gynéco.

J’étais enfin enceinte. J’étais enceinte et c’était magique, ça m’arrivait à moi. Deux autres copines étaient aussi enceintes, ce qui rendait l’expérience d’autant plus excitante. J’en avais rien à foutre des nausées, des dégoûts alimentaires, de ma fatigue constante, de m’endormir sur le siège passager à chaque feu rouge ou de ne plus rentrer dans mes shorts. C’était le plus bel été possible.

J’allais avoir un bébé avec l’homme de ma vie. J’allais compléter la fratrie de mes deux incroyables belles-filles. J’allais créer un être humain, lui apprendre des trucs, lui faire découvrir mes expériences et le·la préparer pour qu’il ou elle un jour fasse des choix sur sa propre vie et soit heureux·se. J’étais prête, j’avais pas peur, enfin pas plus que nécessaire. J’étais informée, en amoureux on avait discuté grossesse, accouchement, congés parentaux, prénoms, éducation, équilibre de la fratrie recomposée, sans jamais trouver de désaccords majeurs. Tout était beau, tout était parfait. J’attendais ce bébé et puis tout a basculé sans prévenir. Aujourd’hui, je suis inconsolable.

Mon masque me serre le visage, mais il est obligatoire jusqu’à ce que je l’échange pour le masque de l’anesthésiste. J’en avais presque oublié l’existence depuis que le port n’en est plus obligatoire dans les espaces publics. J’essaie tant bien que mal de renifler – plus ou moins élégamment – et je m’excuse auprès de ces femmes qui, après tout, n’ont pas demandé à subir ma morve.

Elles me répondent aussitôt que je n’ai pas à être désolée, que c’est normal, que ce n’est pas facile. L’une d’elles – je ne sais plus laquelle – me glisse des mouchoirs sous mon drap, pour que je puisse me moucher et sécher mes larmes. Je la remercie d’un mouvement de tête. L’autre se contente de poser sa main sur mon bras et de le frotter jusqu’à ce que les sanglots cessent. Ce geste simple restera plus tard l’une des plus belles images de douceur que je garderai de mon passage à l’hôpital.

La grande porte coupe-feu s’ouvre à nouveau, laissant passer un courant d’air frais dans la pièce. Une autre femme en blouse arrive et se présente comme l’ont fait ses collègues au-dessus de ma tête. C’est Marie, l’anesthésiste qui va m’endormir aujourd’hui. À sa voix et son assurance, je la devine légèrement plus âgée que la sage-femme et l’infirmière déjà dans la salle.

Tout en me posant une nouvelle fois les questions auxquelles j’ai répondu plusieurs fois – j’imagine que c’est une simple vérification – concernant mon nom, mon prénom, si c’est une première grossesse, mon groupe sanguin, mes allergies, Marie me prend la main et me demande de serrer fort le poing. Bonne élève, je serre de toutes mes forces et ne relâche pas avant qu’elle me le dise. J’ai fait une réaction à la codéine, une seule fois. J’avais seize ans et venais de me faire opérer des dents de sagesse. Quoi qu’il en soit, cette information n’inquiète pas Marie plus que ça. Elle me dit que c’est bien de le signaler mais que ça n’aura pas trop d’impact aujourd’hui.

Tout le monde semble s’affairer autour de moi. L’interne de gynécologie n’est pas arrivée, elle est retenue sur une urgence à ce qu’indique une infirmière. Un médecin passe dans le bloc sans tellement me calculer, et s’agace du retard de son interne qui n’est visiblement pas là où elle devrait être. Pendant ce temps-là, je ne vois pas ce qu’il se passe mais j’entends tout un tas de matériel être – sûrement – sorti d’emballages, je devine les divers déplacements de toutes ces femmes en blouses autour de moi.

Amélie me demande en souriant si mon compagnon m’attend en bas, je hoche la tête en pensant à Vincent tout seul dans cette chambre d’hôpital. Il n’a rien dans le corps lui, pour autant cet embryon aurait pu devenir autant son bébé que le mien, s’il n’avait pas décidé d’arrêter de se développer au bout de six semaines. Ma réponse semble plaire à la sage-femme parce qu’elle sourit en répondant doucement : « C’est bien qu’il soit là, vous allez vite pouvoir le retrouver. Ce sera vite fini, vous verrez. » Je ne sais pas comment il fait pour être aussi fort ces jours-ci. Depuis qu’on est sortis du cabinet de la sage-femme la semaine dernière, il a été d’un soutien sans faille, toujours disponible pour moi, et je crois qu’il a pris un paquet de notre chagrin à nous deux sur ses épaules. Entre nous, on a un truc. On s’est toujours dit que si l’un de nous deux en avait trop dans le sac, on avait qu’à en mettre un peu dans le sac de l’autre. Pour pas être tout seul à tout porter. S’il n’avait pas été là pour m’aider depuis l’échographie, je crois que j’aurais été capable d’abandonner le sac au bord de la route.

Marie doit voir que mes larmes reprennent de plus belle, parce qu’elle s’intéresse tout d’un coup très fort à ce que je fais dans la vie et à mes dernières vacances. Gagner du temps sans céder au drame et sans insister sur le douloureux, c’est habile de sa part et je lui en suis reconnaissante. J’apprends à Marie que je suis prof d’anglais. Que je débute dans le métier puisque je suis tout juste titularisée. Que pour ça, je suis titulaire mais remplaçante en Vendée, pouvant être appelée à aller travailler à plusieurs heures de chez moi chaque jour, et ce, malgré ma vie familiale. Que c’est comme ça mais que ça aurait pu être bien pire.

Elle s’indigne de mes conditions de travail, me demande des conseils pour les devoirs de ses enfants, et – probablement en lien avec le bruit de quelqu’un arrivant au pas de course dans le couloir – continue en me demandant si je suis partie cet été. Je lui parle du Pays de Galles, un road trip prévu pendant des mois avec mon amoureux. La discussion prend une autre tournure quand elle me dit qu’elle va avoir besoin de moi. Qu’il faut que je pense très fort à un moment chouette de ce voyage, dans un pub peut-être, et que quand je me réveillerai ce sera fini. Du moins, j’aurai fait le plus gros.

L’interne se présente à moi mais j’ai déjà le masque à oxygène sur le visage et j’ai progressivement l’impression de tomber dans un tapis de coton. Je sens que la sage-femme et l’infirmière ont fini de s’affairer dans la pièce et sont désormais de retour auprès de moi. Les silhouettes se distinguent vaguement autour de la table d’opération. Bientôt, je ne vois plus que les couleurs des blouses, tantôt vertes, bleues, blanches. On m’encourage à inspirer puis expirer fort dans le masque pendant que l’anesthésiste me pique. On me félicite plusieurs fois : « Oui ! C’est bien, voilà, vous faites du super boulot. C’est super, allez, on continue encore un peu ! » Apparemment, je fais du bon boulot. C’est l’anesthésiste qui l’a dit. Je sens une vague d’émotion déferler en moi. Toutes ces femmes si bienveillantes autour de la table froide d’opération me font cadeau d’une telle puissance à ce moment-là, que je ne saurais leur exprimer ma reconnaissance, tant elle est grande. Je me sens tomber mais je suis en confiance totale.

Petit à petit, le monde ralentit, les bruits semblent de plus en plus lointains. Mes paupières sont lourdes, et finissent par se fermer toutes seules. Le noir se fait. Ma part est faite.

2

La rando a été rude, il fait une chaleur intenable en France cet été. Rien que pour l’hygiène et aussi histoire de récupérer un peu de confort, on s’est finalement permis de repérer un endroit pour ne pas dormir à l’arrache ce soir. Je fais mon test de grossesse dans les toilettes d’un camping alpin, au sortir d’une douche réparatrice. On vient de bivouaquer en amoureux quelques jours dans une vallée qui est le point de départ de plusieurs randos. On y a croisé bon nombre de marcheurs de partout dans le monde, ce qui nous a quelque peu dépaysés après ces deux ans de pandémie mondiale et d’entre-soi.

Malgré les nombreux randonneurs et l’agitation sur le lieu de bivouac autorisé, on était seuls au monde pendant trois jours et deux nuits. Le quotidien rythmé par les départs de rando, le fromage de chèvre du coin et la bière alpine du retour de balade en fin de journée, les rinçages rapides dans le torrent et le plat au réchaud le soir avant de se lover dans le van et de profiter de la vue impressionnante sur cette vallée jusqu’au coucher du soleil. Après l’année qu’on a passée, tant professionnellement que personnellement, être juste tous les deux et complètement coupés du monde était exactement ce dont on avait besoin pour commencer l’été. Comme une vraie pause dans le temps pour se permettre de souffler. Pas besoin de se soucier des cours à préparer pour la semaine qui arrive, de savoir si les filles ont des jeans secs, s’il faut refaire une machine, ou des courses. Rien à ranger, à nettoyer. Pas d’intendance, pas d’obligation, pas d’interaction sociale réellement nécessaire. Les vacances en van nous laissent vivre dans le minimum d’espace dont on a réellement besoin pour se retrouver et être libres de notre quotidien. Et dormir collés n’a jamais été un problème, disons-le. C’est une vraie bulle à nous.

Pour ça on a tous les deux énormément de chance de faire le même métier. Travailler dans l’enseignement est ce qui nous a permis de nous rencontrer. Notre passion commune pour l’enseignement de l’anglais nous a donné l’occasion de nous trouver de plus en plus de points communs et de créer un lien tout particulier. Maintenant qu’on vit ensemble, ça nous permet de nous aider mutuellement à préparer nos cours, voire de les construire ou réévaluer ensemble régulièrement. Au-delà du simple fait de comprendre ce que l’autre vit quotidiennement, c’est ce qui fait que l’on aura toujours exactement les mêmes congés, au jour près. Et je dois dire que l’idée d’avoir tout ce temps ensemble vaut bien toutes les difficultés de ce métier.

Ma poitrine habituellement légère commence à se faire lourde depuis un moment, et en plus d’être radicalement dégoûtée du café, je développe progressivement un odorat digne de celui d’un lévrier. Alors au bout de cinq jours de retard de règles, on s’autorise finalement à aller acheter ce fameux test urinaire dans un supermarché du coin. Au sortir des courses, on grimpe dans le van avec un sac au contenu improbable : des chips, du jus de fruits, de la brioche, des Haribo… et un test de grossesse.

Dans un grand mélange d’excitation et de stress, on reprend la route vers le camping pour réserver notre emplacement de cette nuit. Je ne sais plus où j’ai eu l’info mais je sais de source sûre qu’il est préférable d’effectuer un test de grossesse le matin pour avoir plus de chances que le résultat soit bien visible et ne pas avoir un faux négatif. On est en plein milieu de la journée, je ne sais vraiment pas comment on va tenir l’attente jusqu’à demain matin.

Le test reste dans la boîte à gants encore plusieurs heures, le temps d’un pique-nique improvisé au bord de l’Isère, d’une courte randonnée en forêt pour se changer les idées, et d’un rangement sommaire du van. Une fois vidés de toute énergie, nous voilà de retour au camping, garés à l’emplacement indiqué par la gérante. La perspective de la douche qui arrive dans les minutes qui suivent est absolument réjouissante, même si le contexte de camping ne nous permet pas de la prendre ensemble.

J’ai toujours les seins aussi gonflés et sensibles, je suis épuisée, et mon corps entier me fait mal. À ce stade, je ne suis plus si sûre de mettre tout ça uniquement sur le compte de la rando éprouvante. En préparant mes affaires pour rejoindre les douches du camping, je glisse instinctivement le test de grossesse dans la trousse de toilette. Je me dis qu’au moins il sera prêt pour quand je le ferai.

La petite boîte blanche me fait quand même drôlement de l’œil en arrivant aux toilettes. On n’a pas choisi de test digital sophistiqué qui indiquerait carrément les semaines de grossesse supposées, ne voyant aucun intérêt à mettre des dizaines d’euros pour un simple test urinaire. A la place on a pris l’un de ceux qui sont tous simples, sur lesquels il est prévu de voir s’afficher une barre s’il est négatif, deux s’il est positif. La base quoi.

La dernière fois que j’ai fait un test de grossesse, c’était il y a plusieurs mois. Mes règles n’arrivant pas, j’ai cru bon de vérifier si je n’étais pas enceinte, sans trop y croire. Cette fois-ci est bien différente. Je le sens. Mon corps est différent. Mes émotions jouent au yoyo depuis le début des vacances. Plus le temps passe, plus je comprends ces femmes qui, dans de nombreux livres de grossesse, comparent leurs seins à des cartes routières, plutôt précises d’ailleurs. Oui, il se peut que j’aie déjà lu quelques livres de grossesse, j’avoue, et alors ?

Après tout, il y en a plein qui ne font pas leur test le matin et pour autant elles ont des résultats positifs. Si je le fais maintenant, il y a quand même beaucoup de chances que j’aie déjà un résultat révélateur. Je tente de relativiser et il est possible qu’inconsciemment je sois aussi en train de me convaincre que ce serait bien de le faire maintenant. Si ce n’est pas positif, je n’aurai qu’à attendre quelques jours de voir si mes règles arrivent. Si dans deux ou trois jours elles ne sont pas là, je referai un test. Rien n’est perdu.

J’étais si déçue la première fois que j’ai fait un test de grossesse négatif que cette fois je n’ose pas m’emballer. Il est même essentiel que je me préserve du moindre faux espoir, parce que je ne connais que trop bien cette frustration qu’on peut avoir en voyant la petite barre violette solitaire s’afficher doucement.

Non, quoi qu’il arrive, je serai lucide. Si ce test n’est pas positif, ça ne voudra pas dire qu’il ne le sera jamais. Si je ne suis pas enceinte pour l’instant, ce n’est pas grave. Je vais passer de superbes vacances en amoureux et en famille malgré tout. On va vivre tout un tas de choses, en profiter autant qu’on sait le faire, et découvrir autant d’endroits qu’il nous sera possible de le faire. C’est décidé, ne pas être enceinte ne gâchera pas mes vacances. Je refuse de laisser ce test m’affecter à ce point.

Ce serait trop beau s’il était positif maintenant. Je viens de valider mon stage après une année pourrie et un burn-out internalisé qui m’a coûté jusqu’à ma capacité à ovuler pendant quelques mois. Mon corps avait décidé que la charge était trop importante et qu’il lui fallait conserver ses capacités primaires pour fonctionner : manger, boire, dormir, communiquer, et aller au travail. Ça fait des mois qu’on parle de faire un bébé mais qu’on n’y arrive pas parce que mon corps reprend tout juste ses fonctions de reproduction. Si c’était maintenant, pendant notre première semaine de vacances de l’année à deux, que l’on se rendait compte qu’on avait réussi à concevoir ce mini-nous dont on rêve, ce serait vraiment magique. L’idée même de passer la quasi-totalité de mon premier trimestre en vacances avec mon amoureux donne bien plus de valeur à cet été déjà incroyable.

Vincent prendra sa douche juste après moi, il m’attend dehors, et en profite, je crois, pour passer quelques appels maintenant que l’on a du réseau. Il ne sait pas que je suis là dans les toilettes à arracher l’ouverture facile de la boîte. J’ai craqué. D’ailleurs, je crois qu’il ne sait même pas que je l’ai prise avec moi en partant.

Les toilettes et douches des femmes sont vides. Après la douche, je m’enferme dans la cabine du fond et je fais le test. Machinalement, j’essaie de le poser bien à plat au sol le temps de me rhabiller. Le résultat est censé prendre plusieurs minutes avant de s’afficher, alors toujours dans le but de ne pas me faire de faux espoirs, je tente d’attendre un peu avant de regarder. Je commence à ranger nerveusement l’intégralité de ma trousse de toilette sans grand objectif, mais mon regard s’égare et s’arrête net sur le petit bâton blanc.

Mais non. Je ne suis pas bien sûre de voir ce que je vois, pourtant c’est très distinct. Impossible de se tromper, le cadran affiche deux petites barres roses en train d’apparaître de plus en plus foncées. Il n’y a absolument aucun doute cette fois-ci, ce n’est pas une fabulation ni un fantasme, c’est bien réel. Je suis enceinte.

Mon monde bascule. Je nous vois dans le parc tout sourire face à la poussette, je nous vois l’annoncer à nos parents, aux filles, présenter notre bébé aux copains avec fierté. Je nous vois envoyer des faire-parts, donner le biberon, chanter des berceuses, lui apprendre à marcher. Tous ces flashs que je n’ose pas imaginer mais qui me font tant rêver, depuis que l’on a décidé de faire un bébé tous les deux, défilent enfin plus nettement dans ma tête. Ça y est, dans neuf mois, il y aura un·e tout·e petit·e avec nous. On sera trois, puis on sera cinq. Ce sera le bazar, ce sera peut-être dur, et pourtant si équilibré. La dernière pièce du puzzle de notre famille arrivera bientôt pour compléter cette fratrie et ce noyau dont on est si fiers.

Je voudrais crier mais aucun son ne sort. De toute façon ce n’est vraiment pas l’endroit. Je ne m’étais jamais vraiment posé la question de comment je réagirais une fois ce test positif obtenu. La vérité c’est qu’on s’attend à être remplie d’émotions d’un coup (qu’elles soient positives ou négatives), comme les filles dans les films ou sur les réseaux sociaux. Là ce n’est pas tellement le cas. Je ne sais pas ce que je pense, je sais que c’est une excellente nouvelle que j’attends depuis un moment mais je suis complètement sonnée et incapable de l’intégrer pour le moment.

Puis, je pense à Vincent, pour qui rien de tout ça n’est encore concret. Il est juste dehors à attendre que je lui redonne la trousse de toilette pour pouvoir prendre sa douche à son tour. Dans l’ignorance de ce qui vient de se passer dans ces toilettes. Comment est-ce qu’il va réagir ? Et surtout, comment est-ce que je lui dis ? Aucune phrase formulée dans ma tête ne me convient. Toutes les façons de le dire me paraissent bidon et cucul.

Sur Insta, sur TikTok, les nanas trouvent toujours des idées originales (et parfois clichées) pour annoncer leur grossesse à leur amoureux/se. C’est souvent une annonce filmée, pendant laquelle le zoom se fait sur le visage de la personne, dans l’attente d’une réaction la plus émue possible. Je n’ai jamais trop compris le délire de poster ça sur les réseaux. À mon sens, découvrir une grossesse est magique mais c’est un moment privé que tu partages entre futurs parents. Plus tard, tu l’annonces à tes proches.

En tous cas dans l’instant, je me vois moi-même mal attendre que Vincent fonde en larmes en le fixant avec mon téléphone. Rien de naturel là-dedans. Pour autant, je n’ai aucune idée de ce que je vais dire. C’est l’impro totale. Ce qui est sûr c’est que j’ai hâte de me retrouver dans ses bras et de partager l’info d’une façon ou d’une autre. On va être parents ensemble.