Chiara Luce - Franz Coriasco - E-Book

Chiara Luce E-Book

Franz Coriasco

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Beschreibung

Découvrez la biographie émouvante d'une jeune femme exemplaire.

L’histoire de la jeune italienne Chiara Luce Badano (1971-1990) est simple et extraordinaire à la fois. Elle a connu l’enfance et l’adolescence d’une fille unique très attendue et très aimée, dans un bourg de province. Milieu modeste, famille catholique accueillante, nombreux amis, élève studieuse pas toujours habituée au succès, sports tous azimuts... À 9 ans, elle fait une rencontre fondamentale pour le reste de sa vie avec le Mouvement des Focolari. Généreuse, elle se lance avec enthousiasme pour aimer ses camarades de classe et tous ceux qu’elle côtoie, décidée à vivre à fond l’Évangile qui l’a fascinée.

À 17 ans, un cancer des os est diagnostiqué. Malgré la souffrance, elle reste toujours tournée vers les autres et sa joie est contagieuse. « Si tu le veux, Jésus, je le veux aussi » , aimait-elle répéter. Elle meurt à la veille de ses 19 ans. Son rayonnement est immédiat, tant et si bien qu’à peine 10 ans après sa mort en 1990 son procès de béatification est engagé. En décembre 2009, la publication par Benoît XVI du décret reconnaissant un miracle attribué à Chiara Luce la fait passer de « vénérable » à « bienheureuse ».

Le récit d'une vie lumineuse marquée par la foi et la spiritualité.

EXTRAIT

La sainteté est une affaire mystérieuse, qui échappe et fascine comme rien d’autre.

L’histoire se corse pour ceux qui – et tel est mon cas – ne savent pas ou ne veulent pas croire que, de ce côté du Ciel ou de l’autre, il existe un Dieu capable de tout faire coller.

Bon. Au cours de ma vie, un étrange coup du destin m’a fait croiser pas mal de saints ou de gens soupçonnés de l’être.

Je les ai rencontrés personnellement, bien entendu. Je ne fais pas référence seulement à ces foules de bienheureux que, comme tout le monde, j’ai eu la chance de croiser et reconnaître, tout en sachant qu’ils n’atterriraient jamais sur un calendrier. Non, je dis de vrais saints, avec leur brave cortège de postulateurs, de causes arrivées à la dernière ligne droite, d’aficionados très dévoués. En commençant par ma catéchiste (la future bienheureuse Maria Orsola) et en poursuivant avec deux des plus chers amis de ma jeunesse, Carlo Grisolia et Alberto Michelotti, dont les causes de béatification sont en cours. Il faut même ajouter deux papes (Paul VI et Jean-Paul II) ainsi que des champions de la foi de l’envergure de Chiara Lubich, Igino Giordani et Mère Teresa. Du beau monde, sans doute, avec qui j’ai eu la chance d’avoir des relations personnelles, insuffisantes toutefois pour devenir la personne meilleure que j’aspirerais à être ou pour m’arracher à cet agnosticisme qui me colle à la peau depuis des décennies. Si bien que je ne saurais même pas dire si de telles fréquentations épisodiques ont eu une trame, un but, un sens ou si elles furent le fruit d’une pure coïncidence.

Sans parler de Chiara Badano.

Chiara Luce Badano.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

C’est un livre excellent, une histoire passionnante racontée de façon légère, simple et captivante. Chiara Luce est une personne à découvrir. - Adelmo

À PROPOS DE L'AUTEUR

L’auteur de ce livre, Franz Coriasco, a une double particularité : il est le frère de la meilleure amie de Chiara Luce, Chicca, aujourd’hui mère de famille, et il a perdu la foi. Auteur-compositeur, critique musical (spécialiste de rock), écrivain, il est aussi animateur de radio et télévision (RAI 1). Devenu agnostique à la fin des années 80, après un fort engagement chrétien, Franz Coriasco, en bon journaliste d’investigation, a lu tous les documents concernant la cause de béatification de Chiara Luce. À cela s’ajoute sa connaissance personnelle de l’enfant et de la jeune fille de l’époque, fortement enrichie par les confidences de sa sœur. Une approche originale d’une nouvelle sainte très moderne.

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Franz Coriasco

Chiara Luce

18 ans d’une vie lumineuse

Traduit de l’italien par

Emmanuel Iezzoni et Jean-Paul Teyssier

Récit

Nouvelle Cité

Franz Coriasco, Dai tetti in giù, Chiara Luce Badano raccontata “dal basso”, © 2010 Città Nuova Editrice, Via Pieve Torina 55, 00156 Roma (Italie).

Les notes de bas de page ont été ajoutées par les traducteurs et l’éditeur pour la publication en langue française.

Composition : Pauline Wallet

Couverture : Thomas Vivant

Illustrations de couverture :

p. 1, portraits de Chiara Luce enfant, adolescente et à la fin de sa vie

© Nouvelle Cité 2010, pour l’édition papier

© Nouvelle Cité 2015 pour l’édition électronique

Domaine d’Arny – 91680 Bruyères-le-Châtel

ISBN édition papier : 9782853136266

ISBN édition numérique : 978-2-85313-984-7

Sommaire

Prémisses et promesses

Ô mon pays campé sur la colline

Une histoire d’amour

C’est en apprenant que l’on apprend

Un train le long de la mer

Une fille de son temps

Chiara & Chiara

Les sons d’un clavier

Hôtesse de l’air ou pédiatre ?

Le crash

Vingt-cinq minutes

Un pas après l’autre

« Mes jambes folles »

La robe de mariée

elle et nous

Choses vues d’en bas

Chiara, l’obscurité et moi

Postface

Dans la même collection

Fin

À Teresa et Ruggero pour nous avoir donné Chiara.

Et à Chicca, pour m’avoir convaincu d’écrire ce livre.

Prémisses et promesses

La sainteté est une affaire mystérieuse, qui échappe et fascine comme rien d’autre.

L’histoire se corse pour ceux qui – et tel est mon cas – ne savent pas ou ne veulent pas croire que, de ce côté du Ciel ou de l’autre, il existe un Dieu capable de tout faire coller.

Bon. Au cours de ma vie, un étrange coup du destin m’a fait croiser pas mal de saints ou de gens soupçonnés de l’être.

Je les ai rencontrés personnellement, bien entendu. Je ne fais pas référence seulement à ces foules de bienheureux que, comme tout le monde, j’ai eu la chance de croiser et reconnaître, tout en sachant qu’ils n’atterriraient jamais sur un calendrier. Non, je dis de vrais saints, avec leur brave cortège de postulateurs, de causes arrivées à la dernière ligne droite, d’aficionados très dévoués. En commençant par ma catéchiste (la future bienheureuse Maria Orsola) et en poursuivant avec deux des plus chers amis de ma jeunesse, Carlo Grisolia et Alberto Michelotti, dont les causes de béatification sont en cours. Il faut même ajouter deux papes (Paul VI et Jean-Paul II) ainsi que des champions de la foi de l’envergure de Chiara Lubich, Igino Giordani et Mère Teresa. Du beau monde, sans doute, avec qui j’ai eu la chance d’avoir des relations personnelles, insuffisantes toutefois pour devenir la personne meilleure que j’aspirerais à être ou pour m’arracher à cet agnosticisme qui me colle à la peau depuis des décennies. Si bien que je ne saurais même pas dire si de telles fréquentations épisodiques ont eu une trame, un but, un sens ou si elles furent le fruit d’une pure coïncidence.

Sans parler de Chiara Badano.

Chiara Luce Badano.

La meilleure amie de ma sœur Chicca.

Contrairement aux très honorables personnages mentionnés plus haut, Chiaretta 1 je l’ai vue grandir, passer de la petite fille à la jeune femme, de l’enfant pleine de rêves à la malade en phase terminale, de la personne apparemment ordinaire au témoin extraordinaire de sa Foi. C’est peut-être pour cela que sa pensée a continué, même après sa mort, à m’accompagner dans les innombrables enchevêtrements de ma vie et à toujours resurgir des creux les plus profonds de mon intimité.

Pourtant, je ne l’ai pas bien connue de son vivant. Un peu par ricochet, comme cela arrive souvent avec les meilleures amies de nos sœurs. Mais, de cette position marginale et insignifiante, j’ai beaucoup vu et entendu. Peut-être bien plus que ne le permettaient nos rencontres épisodiques et les croisements hasardeux ou forcés de nos existences respectives : si différentes d’ailleurs par l’âge, le milieu culturel, les goûts et le tempérament.

Le témoin absolument décalé d’une histoire franchement extraordinaire : voilà ce que j’ai été. Comme un quelconque centurion sur le Calvaire, un brancardier à Waterloo ou le concierge des Tours jumelles. Mais une histoire qui m’a marqué ; de la même façon qu’elle a marqué les nombreuses personnes qui n’ont connu Chiaretta qu’après. Une histoire que je veux essayer de retracer dans le bouquin que je me prépare à écrire avec le soutien fondamental de ma sœur et des parents de Chiara (que j’aime énormément depuis plus de vingt ans). Avant tout pour vérifier si, par hasard, entre-temps quelque chose a pu m’échapper. Quelque chose d’important qui la concerne, ou qui me concerne… Surtout, j’aimerais bien faire les choses, en essayant, dans la mesure du possible, de fuir les pièges et les idées reçues qui caractérisent toute enquête rétrospective. Je chercherai jusque dans les recoins, surtout les moins fréquentés par les hagiographies classiques, en fouinant même là où l’éclat de la sainteté efface aussi bien les détails que les contours.

J’avoue aussi nourrir l’espoir de trouver en Chiara Luce un bon nombre de défauts. Non par goût de la contradiction iconoclaste, mais parce que je ne crois qu’à une des deux possibilités suivantes : ou bien, un saint sans défaut n’est pas si saint que ça, ou bien, en dépit de ce qui m’a toujours été raconté, la sainteté n’est pas une affaire pour tout le monde.

En ce moment, si je repense à Chiara Luce telle que je l’ai connue, il n’y a que deux choses que je sais ou pressens. Primo : on ne naît pas déjà saint car la sainteté, en plus d’être un choix, est un métier que l’on apprend au fur et à mesure. Deuzio : une histoire de sainteté n’a pas de fin heureuse, parce qu’il s’agit d’une histoire qui ne finit pas.

Ceci dit, cher lecteur, suis-moi. Si tu en as envie…

(1) Chiaretta est le diminutif du prénom Chiara. Il exprime une marque d’affection toute particulière.

Ô mon pays campé sur la colline

Sassello. C’est un de ces villages ordinaires qui somnolent depuis des siècles sur les hauteurs surplombant la mer ligurienne. Une variété d’hybrides dont on ne saurait dire s’ils sont les enfants d’une colline en proie à des envies de grandeur ou d’une montagne trop timide. Terre de frontière entre le couchant et le levant 2, là où les Alpes s’adoucissent jusqu’aux Apennins. Un endroit pour passionnés de gîtes ruraux paisibles, VTT, ornithologie et autres agréments. L’arrière-pays ligurien est plein de lieux de cette espèce.

La première fois que j’ai entendu ce nom (par Chiara elle-même, j’imagine), je crois avoir tout de suite pensé par assonance au Brescello de don Camillo. Un de ces lieux à la fois délicieux et étouffants, parfaits pour y situer une histoire de province, remplie de valeurs limpides et antinomiques comme les aimait bien Guareschi 3, ou, inversement, pour en dévoiler les contradictions extrêmes mais bien cachées sous la tranquillité laborieuse et l’hypocrisie typique d’un provincialisme bien de chez nous.

C’est là que Chiara Badano est née. Elle aimait Sassello de tout son cœur : parce que c’était sa terre, où habitaient ses gens. Chiara aimait tout de Sassello, les recoins les plus enfouis, les paysages environnants, les personnes. Elle disait que quand il neigeait on aurait dit une petite Suisse. Je crois que si Chiara n’avait pas grandi à Sassello nous n’aurions pas eu une Chiara Luce.

La route monte de la mer d’Albissola jusqu’à cette petite vallée où s’alternent rétrécissements et élargissements. C’est un peu comme la vie de la petite Chiara. Je n’y songe que maintenant, alors que je reviens à Sassello dans un but bien précis.

Le village est dominé par le mont Beigua d’où naît le torrent Sansobbia qui a creusé la vallée. Il se situe à un peu moins de 400 mètres d’altitude et il a environ 1 800 habitants répartis en à peu près 900 familles, et bien plus en été. Il est jumelé avec une petite ville espagnole appelée Alquerías del Niño Perdido et il a le même saint patron que Turin, ma ville : saint Jean-Baptiste que l’on fête le 24 juin. L’ISTAT 4 informe qu’en 2005 le revenu moyen par habitant se situait autour de 18 000 euros par an. Une petite ville ni riche ni pauvre, exactement comme la famille Badano. À propos : à Sassello, la moitié des gens s’appellent Badano. Et les Badano, les parents de Chiara, habitent, comme par hasard, dans la rue Badano à proximité d’un lieu-dit appelé Badani…

Cette fois-ci, j’y reviens pour enquêter et, en bon reporter, j’essaye de faire attention à tout ce qui m’entoure. L’automne est déjà bien avancé et il n’y a pas grand monde dans les rues. L’habitation des Badano est une petite maison sans prétention qui a été restaurée petit à petit avec beaucoup de soin et peu d’argent. Son portail est en bois et il a été réalisé avec des branches de châtaignier entrecroisées. Il se ferme simplement avec une branchette : chez les Badano n’importe qui peut entrer, depuis toujours. Pas loin, il y a aussi une chapelle votive dédiée à l’enfant Jésus de Prague : c’est le grand-père maternel de Chiara qui l’a construite il y a plusieurs décennies, fidèle à un vœu qu’il fit après la guérison miraculeuse de son père.

Teresa et Ruggero nous accueillent, ma sœur et moi, avec l’affection éclatante qu’ils nous témoignent depuis toujours. C’est Teresa qui « éclate » car l’affection de Ruggero est moins effervescente et se compose de mille sous-entendus. Chicca affirme que Chiara ressemble plutôt à son père côté caractère.

Il y a aussi mon beau-frère que j’ai chargé de prendre quelques photos de la maison, histoire de remettre les événements dans le contexte. Voilà, donc, la boîte aux lettres en forme de maison réalisée par Ruggero, la crémaillère électrique pour acheminer le bois jusqu’à l’âtre de la cheminée au deuxième étage. Ensuite, l’escalier à l’intérieur menant à l’appartement sous les combles qui ressemble à un chalet de montagne avec des lambris de bois sur les murs. Et, finalement, la chambre de Chiara, restée exactement comme elle était le jour où elle a déménagé définitivement, le 7 octobre 1990. Quand j’y pense : c’est la même année que j’ai perdu la foi, si toutefois je l’ai jamais eue…

Je ne veux pas expliquer à Teresa et Ruggero ce que j’entends faire : pas spécialement pour leur cacher le projet (car je suis plus que certain qu’ils en seront très heureux), mais plutôt pour leur épargner préoccupations, anxiétés ou freins de toutes sortes. Nous allons déjeuner ensemble au bistrot à deux pas de chez eux. Il est bondé, bien que ce soit jour férié : des gens simples, des ouvriers, quelques camionneurs de passage. On voit bien que les Badano y sont comme chez eux. Nous nous régalons avec une polenta aux champignons du terroir et nous commençons à parler d’« elle », de nous, ainsi que de Sassello. Je découvre alors que les habitants de cette bourgade, en réalité, préfèrent à leur patron la très sainte Trinité (à laquelle est consacrée l’église qui a été la paroisse de Chiara). J’ai aussi la confirmation que les concitoyens des Badano sont des gens habitués à ne pas se mêler des affaires d’autrui et qui aiment, avant tout, la tranquillité modeste de leur village. C’est peut-être pour cela que l’histoire de Chiara, avec la popularité sans cesse croissante qui en a résulté, ne les a pas vraiment enthousiasmés. Au contraire, il y en a qui ont été gênés par ce va-et-vient continu d’étrangers et par l’intérêt grandissant autour des Badano. En bon Piémontais, je ne peux que comprendre ces gens : si cela ne tenait qu’à nous, on aurait aboli même le registre d’état civil. Sassello est une terre de champignons et de macarons : en d’autres mots, une terre de délices cachés et de douceurs légèrement amères. « De Chiara – beaucoup nous disent – nous avons un beau souvenir, pourquoi remuer le passé ? » En tout cas, les Badano en ont pris acte sans trop de regret ni d’amertume. « De toute façon, il s’agit de gens généreux, soulignent Teresa et Ruggero. Des gens authentiques depuis toujours, prêts à s’aider les uns les autres, mais aussi à faire la fête quand l’occasion se présente. Même si, à vrai dire, ces caractéristiques se sont un peu perdues. »

En effet, depuis l’époque de Chiara, beaucoup de choses ont changé, et vite, comme des effets collatéraux d’un bien-être accru. « Aujourd’hui, à Sassello, nous avons six usines de macarons ! » confirme Teresa qui, lorsqu’elle était jeune, a travaillé dans l’une d’entre elles.

Je continue à poser mes questions, après le déjeuner, dans la salle à manger très accueillante des Badano : on cause tranquillement comme bien d’autres fois, même si cette fois-ci, je sais que ce sera à moi de conduire la conversation dans une direction bien précise, sans me contenter du plaisir d’être ensemble. Donc, dès que je le peux, je les oblige à me parler de leur histoire à eux deux, car tous ceux qui ont connu Chiara savent combien elle était liée à ses parents et à quel point ils l’ont marquée. Naturellement, Teresa déborde comme un fleuve en crue alors que Ruggero, il faut lui arracher les mots avec des tenailles : pour lui, rien que dialoguer relève d’une entreprise titanesque.

À la fin, la nuit est bien avancée, mais avant de reprendre la route, je décide avec ma sœur d’aller au cimetière. Comme ça, juste pour « lui » dire que je suis passé et que je « travaille » pour elle. Si, par hasard, elle avait quelque chose à me suggérer…

Le portail est entrouvert, mais on n’y voit rien et je manque de me fracasser sur une tombe. La petite chapelle des Badano, à droite au fond, est grande ouverte (Chiara aurait préféré être ensevelie en plein air pour que tout le monde puisse lui rendre visite). Elle déborde de fleurs, de lettres et de souvenirs anonymes accrochés un peu partout. Comme toujours. Deux veilleuses irradient une lueur faible mais qui n’a rien d’effrayant.

Pourtant je n’arrive pas à sortir un mot, ni à formuler la moindre pensée…

D’ailleurs, « elle » non plus ne me paraît pas particulièrement en humeur de confidences. Mais on dit, – ou mieux, l’on me dit – que les saints ont leurs temps et leurs méthodes. « Il faudra t’y faire », semble me suggérer Chicca, en dégainant ce petit sourire joyeux typique de qui se moque gentiment de toi. Elle est convaincue que dans l’idée qu’elle a eue de me faire écrire ce livre, il y a aussi la patte de la petite Chiara. Je les imagine déjà en train de causer, comme quand Chicca habitait chez moi à Turin et que Chiara était restée en Ligurie : leurs coups de fil s’éternisaient. Mais cette fois-ci, il y a un point positif : je n’aurai aucun souci à me faire pour les factures de téléphone.

Du moins, c’est ce que j’aimerais qu’il se passe en cet instant précis : même si je ne ressens que le silence d’un cimetière de village plongé dans la nuit et le poids du plus important des Mystères des humains. Un mystère qui semble s’exhaler de chaque niche funéraire, tournant en ridicule une fois de plus toutes mes anxiétés et mes vulgaires agacements.

(2) Il s’agit de la partie ouest et de la partie est de la Ligurie (région de Gênes).

(3) Giovanni Guareschi, l’auteur des livres sur don Camillo.

(4) L’ISTAT en Italie correspond à l’INSEE en France.

Une histoire d’amour

Je crois que Teresa et Ruggero sont la preuve vivante que les mariages qui marchent trouvent leur force dans la complémentarité plutôt que dans les affinités. J’ai déjà montré quelques traits de leurs caractères, mais leur histoire d’amour mérite d’être résumée. Teresa m’a confié que Chiara aimait toujours beaucoup se la faire raconter, en gratifiant régulièrement l’histoire de leurs fiançailles de commentaires malicieux et d’une foule de questions. Autres temps, autres mœurs, qu’elle-même aurait pourtant cherché à reproduire si seulement le destin lui en avait accordé la possibilité. C’est sûr. Chiaretta, à bien des égards, semblait se sentir « responsable » de ces deux-là. Elle œuvrait de mille manières pour qu’ils trouvent des espaces et des occasions pour se redécouvrir en couple d’amoureux et pas seulement comme de bons parents. Même pendant sa maladie, elle les obligea souvent à se concéder deux jours de vacances, ou à trouver le temps pour une promenade ou à se créer l’espace pour un tête-à-tête en amoureux. Elle est déjà pratiquement clouée au lit, le jour de la Saint-Valentin 1990, quand elle réserve elle-même en leur nom dans un petit restaurant des environs : « Ce soir, regardez-vous dans les yeux et ne rentrez pas avant minuit ! » les exhorte-t-elle avant de les envoyer faire la fête. « Rappelle-toi, maman, qu’avant moi il y avait papa ! » ajoute-t-elle d’un ton à la fois doux et péremptoire qu’elle utilisait chaque fois qu’elle se sentait dans le vrai.

Petite fille, Chiara s’imaginait déjà en femme mariée et mère de plein d’enfants. À bien des égards, elle en avait toutes les caractéristiques. En outre, elle avait une idée bien à elle de la famille. Cela est confirmé par « le style » avec lequel elle imagina le déroulement de son propre enterrement. Même ma sœur, qui l’a connue mille fois mieux et plus profondément que moi, pense ainsi encore aujourd’hui.

Mais, revenons à notre couple. Ruggero, l’aîné de trois frères, appartient à une famille plutôt aisée et d’une foi tiède. Une famille qui s’est enrichie en transportant le charbon depuis le port de Savone jusque dans de nombreuses régions de l’Italie. En revanche, Teresa est la fille d’une famille de paysans, très religieuse et, comme toutes les jeunes filles de son rang, elle n’a qu’un rêve : se caser. Pour une famille de huit enfants, je suppose que cela tenait du devoir. Juste pour compliquer la situation, quand Teresa n’a que six ans, un incendie détruit complètement la maison où habite sa famille et pendant quelque temps, les Caviglia réussissent à survivre seulement grâce à la solidarité généreuse des habitants du village.

Dans un trou comme Sassello, où tout le monde se connaît, ils commencent à se rencontrer dès la petite section. Ils ont pratiquement le même âge, mais la différence de statut social ne permet pas qu’ils se fréquentent plus que cela, au moins jusqu’à la majorité. Ils sont différents même dans leurs passions respectives. Ruggero aime jouer à la pétanque et aller à la chasse. Teresa aime chanter (elle avait pris des cours de chant lyrique à Gênes). Ruggero a versé toutes les larmes de son corps le jour où la grande équipe de foot du Torino (l’un des deux clubs de la ville) s’est écrasée sur la colline de Superga. Teresa est moins romantique et bien plus pragmatique. Ruggero a pu faire des études, du moins jusqu’à ce qu’une maladie l’en empêche. Par contre Teresa a dû se trouver un emploi très rapidement pour faire vivre sa famille.

En tout cas, Ruggero a toujours aimé Teresa. Même si elle ne l’a pas du tout remarqué, car notre bonhomme n’a jamais été quelqu’un qui attire l’attention. Probablement, elle lui plaît parce qu’en elle il voit tout ce qu’il ne sera jamais. Plus le temps passe, plus cette attirance se fortifie et s’enracine. Mais il est très timide et, en plus, il sait qu’elle sort avec un autre et que, par-dessus le marché, elle fréquente un autre cercle d’amis. En outre, Ruggero ne sait pas danser alors que Teresa semble n’avoir que ce divertissement, en plus du chant bien entendu.

Mais Ruggero est un dur. Il a les idées claires et, surtout, il sait ce qu’il faut faire : attendre. Et il attend, pendant des mois et des mois. Jusqu’au jour où il apprend par une certaine Mirella que le quidam s’est mis de côté. Donc, à la première occasion, il invite Teresa au cinéma : un film avec Abbott et Costello, qui nous montre bien les risques que notre Roméo aime prendre. « Il était beau garçon et de bonne famille, se souvient Teresa aujourd’hui. Mais, je pensais encore à l’autre… » En tout cas, il essaye de lui passer le bras autour du cou, profitant du fait que la salle est plongée dans le noir. Il lui faut beaucoup de temps et quand, enfin, il réussit à l’effleurer, Teresa sourit et pense : « Il était temps ! » Même Ruggero sourit et pense : « Bon, au moins elle n’a pas bronché… » Donc, il faut attendre : d’autres sorties intermédiaires et presque toujours avec du monde autour. Des rendez-vous et des promenades quasi sans un mot. Des regards qui osent à peine se croiser. Des gestes imperceptibles. Jusqu’au jour où Ruggero accompagne Teresa au bus et, avant qu’elle n’y monte, il lui remet timidement un paquet : à l’intérieur, il y a une montre en or. Ils se regardent sans rien dire. Mais c’est un regard interminable, interrompu seulement par l’insensibilité glaciale d’un chauffeur en retard : « On peut y aller maintenant ? »

Chaque fois, Chiara prenait grand plaisir à se faire raconter cette histoire. Elle riait de la dialectique qui avait régi l’évolution de cette love story. Elle aimait les rythmes et les modalités qui l’avaient transformée d’aventure sentimentale en union indissoluble de deux cœurs. « Tu ne manquais pas d’air, maman ! Pourquoi l’as-tu tenu si longtemps sur des charbons ardents ? Et toi, papa, t’étais vraiment pas doué ! » Elle se moquait d’eux chaque fois qu’ils abordaient ce sujet.

Teresa et Ruggero se marient le 16 octobre 1960. Mais pendant les premières années, leur mariage est tout sauf simple, surtout pour Teresa : « Je crois que ma belle-mère, ne me connaissant pas encore très bien, me considérait plus comme une domestique que comme une belle-fille, se souvient-elle avec un brin d’amertume dans la voix. Pour elle, j’étais, peut-être, la fille pauvre qui avait eu la grande chance d’épouser son fils. »

« C’était moi qui me trompais, réagit penaud Ruggero. Je n’ai pas su m’imposer et j’ai laissé la situation se détériorer. » Des années s’écoulent douloureuses pour tous les deux. Teresa souffre de cette situation anormale de statu quo dans le cercle familial que des diktats domestiques à la fois inopportuns et pénibles ne faisaient qu’alourdir ; et le chagrin de Teresa rend Ruggero de plus en plus maussade. D’autant plus que tous les deux souffrent de cet enfant qui tarde à venir, faisant monter encore plus la tension entre eux. Pour Ruggero en particulier c’est une véritable tragédie, tellement aiguë qu’il décide – lui qui jusqu’alors n’a jamais brillé par sa foi – de se rendre au sanctuaire des Rocche, près d’Ovada, pour implorer la Vierge.

Que je sache, les prières des tièdes et des hésitants marchent bien mieux que celles des aficionados. Surtout si – comme dans le cas de Ruggero – elles deviennent l’occasion d’un réel renouveau de vie. Bref, au bout de moins d’un mois, après onze ans d’attente, Teresa tombe enceinte.

Naturellement, tout change.

À cette occasion, ils quittent définitivement la maison de Savone pour revenir à Sassello. À l’époque, Teresa avait déjà 37 ans et Ruggero, anxieux et tatillon par nature, commence à l’entourer de mille attentions pour lui éviter toute sorte de risques. Il lui arrive même de la porter dans ses bras pour monter les escaliers. Je crois que quiconque, conscient d’avoir été « miraculé », aurait fait de même.

Chiara naît le 29 octobre 1971 après une grossesse assez difficile et un accouchement franchement compliqué. Pour les parents c’est une joie immense, et tout de suite aussi, étant donné les conditions de la naissance, il leur vient le soupçon que cette petite créature, plutôt qu’un don de Dieu, soit un bien qui Lui appartient, et qui leur est généreusement confié dans une sorte de placement terrestre.