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Cristina Funes-Noppen, de par sa famille et sa profession, a rencontré maints personnages célèbres. Elle nous raconte ses impressions et de nombreuses anecdotes, souvent cocasses et des plus inattendues. Dans ses chroniques impertinentes, 130 personnalités sont passées au crible et nous apparaissent sous des aspects nouveaux. Sans langue de bois, elle nous partage ses vues et ses analyses pointues sur des questions politiques, tout en décrivant certaines caractéristiques et traditions de diverses cultures allochtones. Des pages d’histoire contemporaine sont ainsi contées, souvent avec humour et toujours de façon originale et clairvoyante.
Un livre qui se caractérise par une liberté d’esprit, un ton parfois mordant, exotique et cosmopolite. Un livre instructif, politiquement incorrect… mais si juste ! Un livre à ne pas manquer et à garder précieusement par celles et ceux qui s’intéressent à la diplomatie et aux affaires de ce monde.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Cristina Funes-Noppen est fille d’ambassadeur et d’un peintre surréaliste. Elle fut à son tour ambassadeur en de nombreux pays (Zambie, Kenya, Inde, Thaïlande, Maroc, Autriche et Argentine), toujours couvrant de larges juridictions, et représentante permanente auprès des Nations Unies et de diverses organisations internationales. Elle exerça également les fonctions de directeur-coordonnateur des Nations Unies, des droits de l’homme et du désarmement, ainsi que celles de commissaire spécial de la Coopération au développement. Ses connaissances ethnographiques enrichissent ses oeuvres. Après avoir suivi les traces de son père, elle suit maintenant celles de sa mère. Elle peint et expose depuis plusieurs années.
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Seitenzahl: 447
Veröffentlichungsjahr: 2021
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Des hommes, des femmes et des bêtes, tome 1, Éditions Persée, 2011
Des hommes, des femmes et des bêtes, tome 2, Éditions Persée, 2012
Amours interdits du temps passé, Éditions Artcadia, 2015
Bien vivre : remèdes naturels, astuces et recettes du monde entier, Éditions Persée, 2016
Un théâtre d’ombres et autres nouvelles, coll. « La Traversée du Miroir », Éditions Persée, 2018
Hélène son T-shirt vert pomme, Éditions Persée, 2019
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Collection : TémoignagesCouverture : Le Dalaï-Lama et l’auteur dans la résidence belge à Delhi en 1993.Conception graphique : Karine DorcéanSuivi éditorial : Juliette Favre
Les photographies utilisées dans ce livre, anciennes et à la qualité variable, appartiennent à l’auteur.
ISBN : 978-2-931008-69-0
Tous droits strictement réservés. Toute reproduction d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie, microfilm ou support numérique ou digital, sans l’accord préalable et écrit de l’éditeur, est strictement interdite.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.
En tant que fille de diplomate, devenue diplomate à mon tour, j’ai rencontré tout au long de ma vie et de ma carrière nombre d’hommes et de femmes célèbres, relevant pour la plupart du monde politique, mais pas uniquement. Certaines rencontres furent brèves et protocolaires, d’autres évoluèrent en des relations de travail occasionnelles ou régulières, d’autres encore en de vraies amitiés. Ces femmes et ces hommes, même lorsque ces rencontres furent fugaces, me laissèrent des impressions, certes superficielles ; mais si l’on s’en tient à la sagesse populaire, ce sont souvent les premières impressions qui comptent. Quant aux personnalités que j’ai fréquentées de façon plus ou moins régulière, mon vécu et mes anecdotes laisseront probablement paraître des aspects de leurs caractères moins connus.
Je relate ici par ordre alphabétique ces rencontres : des impressions et/ou anecdotes concernant plusieurs personnalités toutes nationalités confondues. L’ordre chronologique n’est dès lors pas respecté, ce qui donne lieu à quelques répétitions quant aux fonctions que j’exerçais lors de ces rencontres. Pour éviter d’autres répétitions, j’ai souvent narré, dans un même chapitre, des anecdotes portant sur plusieurs personnalités, du moins lorsque les circonstances m’ont permis de les associer. Il en va ainsi entre autres pour Andreotti et Cossiga ; pour le prince Charles, Lady Di, Bunker Roy et Henri grand-duc de Luxembourg ; ou encore pour Mujica, Chavez, Correa et Morales ; ainsi que pour bien d’autres.
J’ai publié en 2011 le premier et en 2012 le deuxième tome de mes mémoires : Des hommes, des femmes et des bêtes. Une vingtaine d’anecdotes ont déjà été relatées dans ces précédents ouvrages, mais je les ai reprises dans ces chroniques impertinentes qui portent sur cent trente personnalités, car je présente ces rencontres sous un autre angle et ai ajouté quelques réflexions quant au caractère de ces personnages, ainsi que des analyses politiques se rapportant au contexte dans lequel ces derniers se mouvaient ou se meuvent encore. Je tenais à rédiger ces chroniques les plus « inclusives » possibles, du moins sur base de mon expérience.
Certains de mes commentaires ou analyses iront certainement à l’encontre des opinions généralement diffuses, et vont, qui sait, surprendre ou même choquer… à chacun son vécu et ses vérités !
Je n’ai jamais tenu de journal ni même pris de notes. J’ai la chance d’avoir en général une excellente mémoire, sauf pour les dates. Je n’exclus pas qu’il puisse y avoir quelques imprécisions quant aux années indiquées.
Peu de temps après avoir terminé mon manuscrit en février 2020 survint la pandémie de Covid qui impacta nos vies et engendra de sérieux retards dans divers domaines, y inclus dans l’édition. Entre-temps certains de mes personnages sont morts et/ou des évènements d’actualité politique m’ont contrainte à apporter des ajouts et corrections. Les dernières corrections datent de début novembre 2020.
Ahmed Abdallah fut président des Comores de 1978 à 1989.
J’arrivai à Nairobi, la capitale du Kenya, en janvier 1988 en tant qu’« ambassadeur de Sa Majesté le roi des Belges1». Du Kenya, je couvrais une large juridiction, dont les Comores. Mi-1988, je me rendis à Moroni pour présenter mes Lettres de créance au président Abdallah. Notre consul honoraire sur place m’accompagna lors de cette cérémonie.
Pour l’occasion, je m’étais habillée sobrement mais élégamment. J’avais couvert partie de mes longs cheveux blonds d’un petit chapeau orné d’une voilette, couvre-chef que j’avais déjà porté en 1985, à la satisfaction du Protocole au Malawi.
Le président, un petit vieux qui me parut assez antipathique, à la barbe longue et blanche, lança un regard visiblement désapprobateur à mon chapeau… bizarre, pensais-je. Par la suite, il évita de me regarder tout au long de notre entretien, il n’adressa principalement la parole qu’au consul.
Abdallah se montra d’une politesse assez froide et hautaine, il eut néanmoins l’amabilité de mettre son hélicoptère personnel à ma disposition, pour que je puisse le lendemain me rendre sur l’île d’Anjouan où le gouverneur allait organiser un dîner en mon honneur. Cet hélicoptère était un cadeau du gouvernement français.
Abdallah, en comparaison au gouverneur, parut soudainement être un individu chaleureux et extroverti. En effet, ledit gouverneur avait trouvé bon, afin d’éviter de se trouver assis à table à mes côtés, de laisser une chaise libre entre nous deux. Il m’ignora totalement et complètement tout au long de ce dîner et n’échangea que quelques mots avec le consul. Inutile de préciser que les Comores ne me laissèrent pas un souvenir des plus agréables.
Je dus néanmoins y retourner peu de temps après cette première visite, car Abdallah était avant tout un homme d’affaires et pas vraiment du genre scrupuleux. Il menait ses affaires de concert avec Bob Denard, un mercenaire à la solde de l’Afrique du Sud et de la France. Denard, spécialiste des coups d’État – on se souviendra entre autres de son rôle au Katanga –, était entouré à Moroni par une quarantaine de ses miliciens et aidait le président Abdallah à se maintenir au pouvoir.
Denard s’avéra fort utile pour Pretoria, siège du gouvernement de l’Afrique du Sud, car il garantissait, via les Comores, une plaque tournante qui rendait possible le détournement des sanctions imposées par la communauté internationale au régime de l’apartheid, régime qui, à l’époque, était encore en vigueur dans ce pays.
Pour ne rien gâcher, Denard, fort habile et peu vertueux homme d’affaires, cumula aux Comores une petite fortune personnelle.
La plupart des contrats étaient attribués soit à des compagnies françaises, soit sud-africaines, commissions juteuses à l’appui pour lui et pour le président, c’est du moins ce qui se racontait.
La Commission européenne et l’État belge avaient accordé un financement et un crédit d’État aux Comores pour faire effectuer une étude de marché, étude qui devait aboutir à l’attribution subséquente d’un contrat pour des travaux d’utilité publique. Contrevenant aux règles régissant ces financements, ainsi qu’aux règles d’attribution des contrats publics, Abdallah avait accordé cet important marché à une société française qui pourtant était la plus-disante, c’est-à-dire la plus onéreuse. Il se faisait que c’était une compagnie belge qui était la moins-disante.
Mes autorités me mandèrent donc à Moroni pour rappeler les règles en vigueur et en exiger l’application.
Cette fois-ci, tout en étant toujours vêtue sobrement, je n’avais plus caché mes cheveux. Bien que notre conversation ne dût pas particulièrement plaire au président, il se montra fort chaleureux… trop ! Il ne cessa de me fixer, il aimait de toute évidence les longs cheveux blonds et son regard devint franchement insistant.
La discussion terminée et ayant obtenu gain de cause, je me levai pour remercier et pour prendre congé. Le président salua d’abord le consul et l’accompagna jusqu’au seuil de la porte. Le consul sortit et s’en alla m’attendre au bas des escaliers. Le président s’avança alors vers moi, prit mes mains dans les siennes, se mit sur la pointe des pieds et, me tirant vers lui, essaya de m’embrasser sur les lèvres.
Inutile de préciser que je n’appréciai pas cette familiarité totalement déplacée. Je l’écartai, retirai mes mains de son emprise et me dirigeai résolument vers la sortie. L’ayant repoussé avec une certaine vigueur, le président trébucha, puis reprit son équilibre, haletant et accélérant le pas, il se dirigea lui aussi vers la porte et cria : « Restez, restez. » Je répondis par un très courtois « Au revoir, monsieur le Président, merci de m’avoir accordé une audience » et sortis dare-dare sur le palier.
Au bas du grand escalier, attendaient non seulement notre consul mais également une délégation de la Banque mondiale. Je commençai à descendre les marches. Le président sur le palier m’enjoignait de vive voix de revenir sur mes pas. La scène devait être assez hilarante.
Je ne revis jamais ce président.
Abdallah avait essayé en 1989 de se distancier de Bob Denard, cela je suppose suite à des désaccords sur des questions d’argent, ou sur injonction du gouvernement français qui devait commencer à se sentir gêné par certains agissements de ce mercenaire. Denard assassina le président Abdallah après lui avoir coupé tous les doigts de la main droite.
Ce n’était pas la première fois qu’Abdallah avait tenté de s’éloigner de Denard. Pendant presque deux ans, profitant d’une brève absence de ce mercenaire occupé ailleurs en Afrique, Abdallah avait fait appel aux services d’un autre mercenaire, cette fois-ci un Belge, un Liégeois pour être précise, un certain Frank. Ce dernier fut menacé de mort par son prédécesseur, lequel entre-temps avait décidé, toujours secondé par sa milice, de venir reprendre sa « place » à Moroni. Frank préféra garder la vie sauve et quitta, sans trop se faire prier, précipitamment le pays.
La famille du président déposa plainte à l’encontre de Denard, l’accusant de cet assassinat. Ce dernier eut droit à un début de procès en France ; mais subséquemment à des menaces et à d’autres morts inexpliquées aux Comores, la famille préféra retirer sa plainte et Bob Denard ne fut pas inculpé de ce meurtre.
Par la suite, il fut néanmoins inculpé en France lors d’un autre procès, mais qui n’avait rien à voir avec ses activités dans l’archipel. En tout cas, aux Comores, personne, absolument personne n’a de doutes quant à sa culpabilité dans le meurtre d’Abdallah : il fut bien l’auteur de cette exécution… parmi d’autres !
Je revins encore aux Comores, Abdallah n’était plus là. Je devais m’entretenir avec le ministre de la Santé. Un ami français du consul nous avait invités sur son yacht, ministre inclus. Le ministre se servit d’un zakouski et notre hôte le prévint qu’il s’agissait de viande de porc, interdite par la religion musulmane, or les habitants des Comores sont tous musulmans. Il l’invita dès lors à se servir d’autres victuailles. Le ministre avala néanmoins ce zakouski de viande porcine et ce faisant déclara : « Porc, je te baptise veau ! » Voilà un Comorien bien sympathique et spirituel, ce qui me réconcilia un tout petit peu avec ce pays.
1. Titre fort pompeux certes, mais c’est notre « appellation officielle ».
Adenda, dont je ne me souviens plus du prénom, fut le responsable des services de sécurité du président Mobutu tout au long des années soixante-dix, ainsi qu’au début des années quatre-vingt. Remercié, il fut nommé ambassadeur du Zaïre en Zambie.
Lorsqu’en 1985 je rencontrai Adenda à Lusaka, il venait d’y être nommé depuis quelques mois. De toute évidence, il avait été écarté de sa mission stratégique auprès de Mobutu, écarté avec élégance certes, mais écarté quand même. Être ambassadeur du Zaïre en Zambie, pays limitrophe, avait son importance, mais moindre que les fonctions qu’il avait occupées auparavant.
L’homme, un grand gaillard, souriant et toujours impeccablement habillé, avait aussi un sens de l’humour assez poussé. Il se sentait profondément belge. Certes, la Belgique a été fort critiquée pour la façon dont elle avait gouverné ses colonies, mais force est de constater que la plupart des Congolais étaient sincèrement attachés à ce qu’ils considéraient souvent encore comme leur mère patrie.
Depuis le « règne » du président Kabila père, l’attachement des dirigeants congolais à leur ancienne colonie semble s’être fortement dissipé, mais en 1985 nous étions encore au temps de Mobutu, et nos liens à l’époque étaient restés fort étroits.
Adenda, peu après mon arrivée en Zambie, avait demandé de pouvoir me rendre une visite de courtoisie, et cela avant même que je n’aie effectué la mienne, ce qui protocolairement eût été le bon usage diplomatique. Comme j’étais le nouvel ambassadeur de Belgique, il considérait de son devoir de venir me présenter rapidement ses hommages !
Je suis arrivée à Lusaka en mai 1985. J’avais en fait été nommée à l’été 1984, lorsque je n’avais que 38 ans, mais je m’étais attardée à Genève pour participer à la Commission des droits de l’homme où mon lobby s’était avéré utile et nécessaire pour faire élire le professeur Bossuyt au Sous-Comité des droits de l’homme.
Cette arrivée postposée fit le bonheur de notre candidat, mais entraîna quelques sérieux désagréments au niveau de l’intendance de la résidence1 à Lusaka.
La Zambie était mon premier poste en tant qu’ambassadeur, en 1985 j’avais donc un an de plus, 39 ans, mais en paraissait allègrement 25. La Zambie était l’un des pays de la ligne du front, l’ANC (African National Congress) y avait installé son siège, les armes circulaient abondamment et librement, inutile de préciser que les attaques à main armée étaient monnaie courante. L’ambassadeur du Portugal, pour n’en citer qu’un seul, avait été victime, à huit reprises, de tentatives de cambriolage ; chaque fois les voleurs avaient fait sauter la porte d’entrée de sa résidence avec de la dynamite.
Unique femme diplomate à Lusaka et de surcroît paraissant presque une gamine, tous mes collègues paniquèrent pour ma sécurité. Du coup, le consul de Grèce fit installer à ses frais une alarme sur le toit de ma résidence et cinq ambassadeurs me firent chacun cadeau d’un chien… au total cinq bergers allemands qui rapidement, au vu de leurs instincts procréateurs, se multiplièrent. La résidence belge fut attaquée uniquement par une centaine de rats qui s’étaient installés dans les mansardes, la résidence étant restée inhabitée pendant neuf mois, pour les raisons susmentionnées. Cette présence massive de rats présenta de sérieux problèmes pendant plusieurs semaines, d’autant plus que peu après mon installation, nombre de ces rôdeurs décidèrent d’explorer les lieux et quittèrent les mansardes au bénéfice de la cuisine et des salons !…
Quelques mois s’écoulèrent et grâce à ce cadeau initial de cinq chiens, je disposais dans le jardin d’une meute de dix-sept bergers allemands. Aucun voleur ne tenta tout au long de mon séjour de pénétrer dans la résidence belge.
Adenda se présenta chez moi lorsque mes gardiens à quatre pattes n’étaient encore que cinq. Dès qu’il les aperçut, il blêmit, s’immobilisa et me supplia de les faire enfermer… Par contre, mes rats ne semblèrent pas le déranger outre mesure… chacun ses phobies !
Au vu de ses responsabilités antérieures, il ne devait certainement pas être un enfant de chœur. Il avait probablement sur la conscience pas mal d’actes et actions peu reluisants. Cette panique en présence de cinq bergers allemands me parut assez étonnante de la part d’un grand gaillard comme lui. Je fis néanmoins enfermer ces pauvres chiens et il reprit de l’aplomb.
Je rencontrai à maintes reprises mon collègue zaïrois. Ses enfants étudiaient en Belgique et il avait décidé de les rejoindre et de s’installer définitivement à Bruxelles avec toute sa famille, dès que son poste à Lusaka arriverait à terme. Il ne manquait jamais d’exprimer son attachement à « notre » pays.
Il regrettait par contre que la Belgique n’appuyât pas des dirigeants congolais vraiment à même de pacifier, d’unifier et de développer le Congo. D’après lui, nous aurions dû et pu trouver la perle rare : un homme politique qui aurait joui du soutien inconditionnel tant de l’armée que de l’Église. De toute évidence, nous ne l’avons pas encore trouvée, et les Congolais non plus ! À moins que Tshisekedi, maintenant qu’il est devenu président, succédant ainsi à Kabila fils, ne réussisse à gagner les faveurs de ces deux institutions, mais cela me paraît loin d’être évident.
1. En langage diplomatique, « la résidence » est l’habitation mise à disposition de l’ambassadeur et « la chancellerie » ou « l’ambassade » sont les bureaux.
Giulio Andreotti fut une personnalité incontournable de la politique italienne. Il exerça les fonctions de Premier ministre de façon presque ininterrompue de 1972 à 1979, puis de 1989 à 1992. Dirigeant historique de la D.C. (parti démocrate-chrétien), dès la fin des années quarante divers portefeuilles, dont ceux de l’Intérieur, des Affaires étrangères, de la Défense, de l’Industrie, du Budget, de l’Environnement, de la Science, des Finances, et bien d’autres, lui furent confiés. Andreotti, sénateur à vie, fut accusé d’avoir des liens avec la mafia et d’avoir fait assassiner un journaliste qui allait publier des informations compromettantes à son sujet.
En 1989, j’étais ambassadeur au Kenya lorsque le président Cossiga et son Premier ministre Andreotti effectuèrent une visite officielle dans ce pays où la communauté italienne est importante. Mon collègue italien organisa une réception en leur honneur et j’y fus conviée.
Cossiga à ce jour a été le plus jeune président que connut l’Italie. Lui aussi était un membre de la D.C., tout en étant cousin germain du marquis Berlinguer, secrétaire général du Parti communiste italien. Tous deux appartenaient à de vieilles familles aristocratiques de Sardaigne, et Cossiga, tout comme Berlinguer, assistaient évidemment à la messe tous les dimanches… communisme à l’italienne.
Andreotti était accompagné de son épouse. Elle me parut l’image parfaite de l’Italienne d’un certain âge, de bonne famille, tout acquise à son mari, à ses quatre enfants et à ses petits-enfants, ainsi évidemment qu’à l’Église. Le chignon sévère, élégante mais sans aucune frivolité vestimentaire, elle regardait en silence son mari, avec une certaine dose de vénération.
Je les rencontrai tous les trois lors de cette réception. Comme je parle italien et que la famille de ma grand-mère était bien connue des familles Cossiga et Berlinguer, la conversation s’engagea de façon personnelle et chaleureuse. Cossiga était un homme du monde, charmant, ancienne école, délicieusement bien élevé.
Andreotti avait une personnalité bien plus marquée, il avait un petit air de haut prélat sournois. Il se tenait courbé, ses yeux pétillaient et observaient. Rien ne devait lui échapper. Son humour était mordant et incisif. C’était une joie de parler avec lui et surtout de l’écouter.
Les autres invités dans la file derrière moi, qui attendaient d’être présentés au président et au Premier ministre, commencèrent à trouver l’attente longue. Notre conversation dura probablement une bonne dizaine de minutes, l’impatience dans la file devint palpable. Je décidai donc à regret de quitter ces hôtes de marque et me mêlai aux personnes qui se trouvaient déjà dans le jardin.
Je garde un souvenir très vif de cette brève rencontre. Je les avais trouvés tous deux fort sympathiques. Le Premier ministre faisait preuve d’une vivacité d’esprit hors du commun. Étant donné que madame Andreotti était restée silencieuse, difficile de s’en faire une opinion objective.
En Italie, Andreotti fut l’homme politique qui exerça probablement le plus de pouvoir et le plus longtemps. Lorsqu’il fut accusé par un mafieux d’avoir fait assassiner un journaliste, il écopa d’abord de 24 ans de prison, mais en appel il fut acquitté. On ne saura évidemment jamais s’il eut vraiment des rapports avec la mafia ni s’il avait ce meurtre sur la conscience.
Personnellement et me basant uniquement sur mon instinct et ma connaissance de l’Italie, et cela vaut ce que cela vaut, je pense qu’il a probablement eu des contacts avec la mafia dans des régions où, à l’époque, il était impossible de gagner des élections sans leur bon vouloir. Andreotti était un homme de pouvoir et devait probablement être prêt à quelques concessions pour le garder. Par contre, je l’imagine mal faire exécuter qui que ce soit.
Il y a un mot en italien difficile à traduire en français : furbacchione. En italien furbo signifie en français fourbe ou malin. « Fourbe » a une connotation négative, « malin » n’est pas assez fort ; un furbacchione est un fourbe très habile mais qui reste sympathique et qui a même un côté gentil. Andreotti était à mes yeux la personnification parfaite du furbacchione. Il avait plusieurs flèches à son arc et aurait certainement trouvé une façon plus élégante et moins criminelle de faire taire ce journaliste, s’il est vrai, car il reste à prouver que ce journaliste disposait réellement de pièces compromettantes à son encontre.
Par contre, la mafia s’était certainement attendue à recevoir quelques faveurs en échange de son soutien tacite lors des élections, faveurs qu’Andreotti n’accorda pas ou n’accorda que partiellement, d’où la vengeance et les accusations formulées par un chef de la mafia qui avait été capturé… et qui était passé aux « aveux » !
Le prince Andrew, duc de York, est un des frères du prince Charles.
Je ne l’ai pas rencontré mais je me suis trouvée près de lui lors d’une cérémonie officielle lorsqu’il vint en 1999 ( ?) en Thaïlande, invité par le roi Bhumibol. Je ne me souviens plus de quelle célébration il s’agissait, mais nous avions eu droit à un défilé et à d’autres réjouissances. Andrew était assis dans la loge royale avec le roi et d’autres membres de la famille de Rama IX, moi j’étais assisse avec les autres ambassadeurs et j’avais une vue directe sur cette loge. Arriva un pigeon qui se posa à quelques centimètres des pieds du prince et je vis Andrew donner, avec vigueur, un coup de pied à ce pauvre volatile qui pourtant ne lui avait rien fait.
Inutile de préciser que mon opinion sur ce personnage s’en ressentit fortement !
Mohammed Yasser Arafat, alias Abou Ammar, fut président de l’OLP de 1969 jusqu’à sa mort (empoisonné ?) en 2004. Il fut récipiendaire du prix Nobel pour la paix en 1994, prix qu’il partagea avec Shimon Peres et Yitzhak Rabin suite à la signature des accords d’Oslo.
Je rencontrai le président Arafat en 2002 à Ramallah, lorsque j’étais Commissaire spécial de la Coopération au Développement. J’accompagnais le secrétaire d’État à la Coopération. La délégation devait compter, si je me souviens bien, neuf personnes entre représentants politiques, membres du Cabinet du secrétaire d’État et fonctionnaires de ma Direction générale de la Coopération au Développement.
À l’époque, nous financions les salaires d’un grand nombre de fonctionnaires et de dirigeants de l’OLP, ainsi que l’électrification de villages. Électrification qui n’avait toujours pas vu le jour, malgré les montants substantiels qui avaient été versés régulièrement et annuellement depuis pas mal de temps déjà.
En 1975, j’avais rencontré et voyais souvent Ibrahim Souss, un excellent pianiste, observateur de l’OLP auprès de l’UNESCO. Il était marié à la sœur de la future épouse d’Arafat. Ibrahim devint donc par la suite un des beaux-frères du président de l’OLP. Bien des années plus tard, il quitta l’OLP et devint fonctionnaire international basé à Genève. Ayant perdu de vue Ibrahim depuis que j’avais quitté mon poste à Paris, où je me trouvais en tant que numéro deux, jeune attaché de la Représentation permanente auprès de l’UNESCO, je n’étais pas au courant, lorsque je rencontrai Arafat en 2002, de cette évolution dans la carrière d’Ibrahim. J’avais également rencontré en 1995 l’épouse d’Arafat, la très blonde et catholique belle-sœur d’Ibrahim. J’étais à l’époque directeur-coordonnateur des Nations Unies, droits de l’homme et désarmement. En tant que telle, j’avais co-organisé et co-présidé avec deux autres dames, Anne-Marie Lizin présidente du Sénat et Simone Susskind une activiste des droits de l’homme, une conférence internationale : « Give peace a chance, the women of the Balkans speak out ». Suha Arafat y avait été invitée afin d’apporter son témoignage sur son expérience dans les projets « People to People », projets qui visaient à mettre en contact et à faire œuvrer ensemble Palestiniens et Israéliens, dans le but de promouvoir la paix.
Le président Arafat avec l’auteur, à qui il vient d’offrir une veste brodée, et le secrétaire d’État à la Coopération, à Ramallah en 2002.
Nous voilà donc maintenant en 2002 et nous étions à Jérusalem. Nous devions rencontrer Arafat à Ramallah à 17 heures. De Jérusalem, il y avait deux routes pour s’y rendre. Une sans contrôles militaires, beaucoup plus longue et réputée risquée au niveau de la sécurité car y actaient souvent des francs-tireurs palestiniens, une autre plus courte, mais avec un contrôle militaire israélien qui engendrait pour les véhicules de terribles embouteillages et des attentes sans fin. Le secrétaire d’État prit avec ses collaborateurs directs la voiture blindée de notre consul général et emprunta la route la plus longue. Il me laissa avec les autres membres de la délégation avec un véhicule tout-terrain non blindé qui appartenait également au consulat.
Nous n’avions donc pas d’autre choix que de prendre le chemin qui passait obligatoirement par le contrôle militaire. Après une très longue attente, accusant déjà du retard, nous n’eûmes d’autre option que de sortir de notre voiture, la laissant aux bons soins du chauffeur, et de traverser le contrôle à pied. Ce faisant, nous nous sommes en fait trouvés en pleins tirs croisés entre Palestiniens qui jetaient de grosses pierres sur les soldats israéliens et ces soldats qui ripostaient par des tirs ! Heureusement, nous n’avons pas été blessés et, arrivés de l’autre côté, nous montâmes à la hâte dans un taxi qui nous conduisit jusqu’au quartier général de l’OLP, où nous arrivâmes allègrement avec plus de vingt minutes de retard.
Nous fûmes immédiatement introduits dans une salle de conférence où se trouvait déjà « en discussion » Arafat, entouré de tous ses ministres et du secrétaire d’État avec ses collaborateurs. Le terme « en discussion » ne correspondait pas aux faits, il régnait un lourd silence dans cette salle. En sus du silence, on y respirait quelque chose d’étrange et de toute évidence toxique. Nous, les Belges, commençâmes tous à tousser à tel point que nous dûmes changer de salle. Nos toux se calmèrent, mais toujours pas de discussion, à peine quelques mots insignifiants échangés de temps en temps.
Pour rompre la glace et lancer la conversation, je pris la parole et parlai à Arafat de mon amitié pour Ibrahim et de ma rencontre avec sa femme. Il m’écouta, mais ne pipa mot. Vexée, je ne pris plus la parole.
Arafat foudroya du regard un de ses ministres, Erekat, le plus téméraire, qui essaya lui aussi, à son tour, de lancer une conversation. Ce dernier reçut le message et se tut.
Un quart d’heure s’écoula qui parut une éternité, avec à peine une quinzaine de mots balbutiés de part et d’autre. Arafat mit fin à l’audience en demandant à un de ses ministres d’aller chercher des cadeaux. Le secrétaire d’État reçut une crèche de Noël d’un kitch abominable et moi une veste brodée fort jolie, qu’Arafat me fit essayer afin de vérifier que ce fût la bonne taille.
Nous remerciâmes et nous nous apprêtions à quitter cette salle. Le président s’exclama : « Restez, je vous prie. » Du coup, le secrétaire d’État s’arrêta, revint sur ses pas, ravi à la perspective que finalement il allait avoir une discussion en tête-à-tête avec Arafat. Ce dernier précisa à son adresse : « Non pas vous, madame. » Piqué au vif, il resta quand même à mes côtés et le consul général resta lui aussi. Nous eûmes un échange d’amabilités et de généralités tant sur nos programmes de coopération que sur la coopération européenne en général.
Arafat m’accompagna devant la porte de l’ascenseur où le restant de la délégation attendait en compagnie de deux ministres. De façon galante, il me fit le baise-main. Dans l’ascenseur, un ministre m’informa de la défection d’Ibrahim Souss, en me précisant qu’il était considéré désormais comme un traître à la cause palestinienne et, ajouta-t-il, quant à la femme d’Arafat, la belle-sœur d’Ibrahim, elle avait de facto quitté son mari. Ils vivaient séparés déjà depuis pas mal de temps. Elle avait pris résidence à Paris et avait gardé leur fille auprès d’elle, ce qui avait engendré pas mal de tensions avec son mari… et voilà donc l’explication du silence du président !
En tout cas, pensais-je, ce n’est pas étonnant qu’Ibrahim ait quitté l’OLP. Il était érudit, intelligent et honnête. Quant à sa belle-sœur, elle n’avait pas grand-chose en commun avec son mari. Elle catholique, lui musulman ; elle francophone, lui arabophone ; elle appartenant à une famille d’intellectuels franco-tunisiens, lui fils d’un important commerçant palestinien et surtout une énorme différence d’âge… 36 ans !
À l’extérieur du quartier général de l’OLP, je demandai au secrétaire d’État pourquoi diable il n’avait pas posé de questions à Arafat. Sa réponse me laissa un tant soit peu « stupéfaite ». Il me répondit que le président de l’OLP avait la réputation d’être un grand bavard. Il avait donc attendu que ce dernier se lançât dans une conversation à bâtons rompus… entre ma gaffe, le cerveau alambiqué du secrétaire d’État et les sentiments peu amènes que de toute évidence Arafat portait audit secrétaire d’État… Cette audience s’avéra « mémorable » !
Le président Arafat me parut mielleux, galant avec les dames, laid comme un pou et extrêmement autoritaire envers ses ministres. Ancien terroriste, il avait renoncé à la violence pour faire avancer la cause des Palestiniens.
Personnellement, j’ai des sentiments mitigés et contradictoires sur le problème palestinien. Jésus-Christ était rabbin et enfant de Judée… « Palestine » fut le nom attribué par les Romains à la Judée. La Palestine à la base était juive. Après des siècles de persécutions, nombre de Juifs avaient déjà exprimé, depuis bien longtemps, le souhait de revenir vivre sur leurs terres. L’horreur de la solution finale promue par le nazisme et par Hitler exacerba la volonté des membres du mouvement sioniste de vouloir absolument récupérer la Palestine et disposer pour le peuple juif de son propre État dans des frontières sécurisées. Par l’adoption aux Nations Unies de la résolution 181, ce rêve, vieux de presque 2000 ans, devint réalité et l’État d’Israël naquit sur sa terre natale. On peut également comprendre le ressentiment des Palestiniens du vingtième siècle, qui se virent ainsi « privés » de certains de leurs droits et de ce qu’ils considéraient comme leurs territoires.
La seule solution viable et équitable consisterait, me semble-t-il, en la création en sus d’Israël d’un État palestinien, mais chaque fois que l’on s’était approché d’un accord et d’une solution, et même subséquemment à la signature d’un accord, comme ce fut le cas pour les accords d’Oslo, survint un blocage principalement du côté palestinien. Pourquoi !? Dès sa création, l’État d’Israël fut attaqué par les armées de pays voisins, et ce à plusieurs reprises. Israël gagna toutes ces guerres et étendit en conséquence son territoire.
À la fin de la Première Guerre mondiale, la Prusse qui avait perdu la guerre dut céder des villes et des régions entières. C’est ainsi entre autres qu’Eupen et Malmedy furent annexés à la Belgique et l’Alsace rendue à la France. Certes, ces annexions furent établies par le traité de Versailles, signé par vaincus et vainqueurs, il y a là une différence avec la situation d’Israël ; n’empêche qu’il ne viendrait à l’esprit de qui que ce soit d’exiger de la Belgique ou de la France de restituer ces territoires à l’Allemagne, pays devenu entre-temps ami et allié.
Or la communauté internationale, à l’exception des États-Unis, exige d’Israël de revenir à ses frontières de 1967, c’est-à-dire aux frontières d’avant la guerre des Six Jours, guerre préventive lancée par Israël suite aux mouvements de troupes égyptiennes dans le Sinaï et suite au blocus du détroit de Tiran décrété par Nasser. On peut, là aussi, comprendre que nombre d’Israéliens n’entendent pas rendre ces territoires définis « territoires occupés ». Ces sentiments et la politique des colonies n’arrangent pas la situation, ni du reste les ressentiments et la méfiance réciproques.
Ceci dit, les réfugiés palestiniens vivent dans des conditions misérables et je crains qu’ils ne continuent à vivre ainsi encore longtemps.
L’establishment palestinien et la classe moyenne ont quitté depuis bien des années la Palestine et vivent à l’étranger, dans des pays limitrophes d’Israël, mais aussi aux États-Unis et en France, où ces Palestiniens occupent souvent d’excellentes positions. Sont restés les laissés pour compte, auxquels se sont ajoutés de nombreux Bédouins, comptabilisés en tant que Palestiniens, dans les territoires administrés par les autorités palestiniennes et dans les camps de réfugiés.
Les millions et millions (le correspondant de nos jours de douze fois le plan Marshall ?) que la communauté internationale a versés et continue à verser pour ces réfugiés auraient dû être plus que suffisants pour donner à ces Palestiniens et assimilés un niveau de vie convenable. Comment a été dépensé cet argent ? Achat d’armes, construction de tunnels, selon certaines rumeurs comptes en banque bien fournis de nombre de dirigeants de l’OLP, du Hamas, d’El Fatah et financement de séjours d’un certain nombre de Palestiniens au Pakistan pour y suivre un entraînement au djihad.
De surcroît, la misère de ces Palestiniens a et continue à faire « l’affaire » d’un certain nombre de pays arabo-musulmans, cette misère nourrit une cause commune utile à ces dirigeants. Dans ces pays, nombre de conflits latents sont restés ainsi éludés en braquant artificiellement et efficacement l’attention des populations sur la question palestinienne et la souffrance de leurs frères musulmans. Dans un passé pas si lointain que cela, lorsque des Palestiniens résidaient nombreux au Koweït et en Jordanie, leurs « frères » musulmans se comportèrent pourtant de façon bien plus critiquable envers eux que ne le font actuellement les Israéliens.
Cette cause commune a servi en tant que soupape, une diversion. Les populations au Moyen-Orient sont de plus en plus critiques de leurs propres gouvernements, la cause palestinienne de par la solidarité au sein de l’oumma s’avère donc nécessaire pour tenter de garder une certaine unité, un lien idéologique et politique entre ces divers pays et surtout pour retarder d’éventuelles révoltes populaires à l’encontre de gouvernements non démocratiques et, paraît-il, terriblement corrompus. Le mécontentement et la rage de ces populations ayant pu ainsi être canalisés « ailleurs ».
Je l’ai déjà mentionné, mais il me semble utile de le souligner, chaque fois qu’un début de solution, un espoir de paix, fut à portée de main, du côté palestinien sous influence de pays et/ou de mouvements arabo-musulmans, survinrent en dernière minute un changement d’attitude et de position, de nouvelles exigences avancées, impossibles à réaliser.
En août 2020, puis en septembre 2020, furent signés par Israël les accords d’Abraham, respectivement avec les Émirats arabes unis et Bahreïn. On peut penser ce que l’on veut du président Trump qui les a initiés et soutenus par des déclarations tripartites, mais il faut admettre que ces accords représentent une avancée remarquable pour la paix au Moyen-Orient. Certes, les Palestiniens les ont décriés, mais probablement ces accords vont-ils enclencher un processus qui finira peut-être par résoudre le conflit israélo-palestinien… Subsistent néanmoins les tensions sunnites-chiites, autre élément qui envenime la situation.
Quoi qu’il en soit, je ne fus pas étonnée lorsque des rumeurs sur les circonstances de la mort d’Arafat commencèrent à circuler. Il est loin d’être évident de se prononcer sur qui fut le commanditaire de cet « éventuel » empoisonnement : un de ses ministres, le Hezbollah, le Hamas, le Mossad ou personne ? Aucune piste ne devrait être écartée. Un certain ressentiment à l’encontre d’Arafat dans ses propres rangs et auprès d’un certain nombre de dirigeants palestiniens me parut néanmoins palpable, je captai lors de notre présence à Ramallah certains regards de membres de son entourage, regards qui en disaient long.
ATT s’appelle Amadou Toumani Touré mais est mondialement connu uniquement sous ses initiales. Il était colonel dans l’armée du Mali, lorsqu’en 1991 il prit le pouvoir grâce à un coup d’État. Exactement une année après avoir ourdi ce coup, il fit organiser des élections libres, auxquelles il ne se présenta pas. Konaré fut élu président en 1992. Ce dernier promut ATT au rang de général. Le général ATT, après avoir quitté l’armée, se présenta en 2002 en tant que candidat à des élections parfaitement libres et démocratiques. Il fut élu à deux reprises président du Mali. Fonctions qu’il exerça de façon ininterrompue de 2002 à 2012. En 2012, à trois semaines de la tenue de nouvelles élections auxquelles ATT ne s’était pas porté candidat, un militaire de bas rang prit d’assaut la présidence et obligea le président à s’enfuir. Il démissionna et partit vivre en exil au Sénégal.
Les évènements qui suivirent la chute de Kadhafi en Libye avaient déjà engendré une forte détérioration de la situation dans le nord du Mali, mais ce coup d’État et l’exil d’ATT portèrent, j’en suis certaine, un coup fatal au pays.
Le président ATT avec l’auteur, à Bamako en décembre 2011.
Je rencontrai pour la première fois ATT début 2003. J’étais à l’époque ambassadeur au Maroc avec une large juridiction qui couvrait entre autres le Mali.
Dès mon arrivée à Rabat, je fus fort occupée par toute une série de visites officielles. Le Protocole à Bamako m’avait communiqué une date pour la présentation de mes Lettres de créance au Mali et avec notre consul Anne-France Jamart, qui avait été tout aussi occupée que moi, nous partîmes à la va-vite. Ce ne fut qu’en arrivant dans cette ville qu’Anne-France donna un coup d’œil aux Lettres qu’elle avait emportées avec elle, et petite catastrophe… le service du Protocole à Bruxelles avait fait signer mes Lettres par le roi Albert II, mais en se trompant de président. Elles étaient adressées au président Konaré et non pas au président Touré !
Je proposai au Protocole malien de rentrer à Rabat, faire refaire des Lettres adéquates par le Protocole à Bruxelles et revenir en temps voulu, lorsque tout aurait été remis en ordre. Le Protocole malien consulta le ministre des Affaires étrangères, à qui je devais également remettre la copie de ces Lettres peu orthodoxes. À son tour, il consulta le président et ce dernier fit savoir qu’il entendait me recevoir quoi qu’il en fût. Je remis donc ces Lettres si peu diplomatiques à ATT. Après une courte cérémonie, il m’invita à échanger quelques mots. Je lui présentai évidemment mes excuses pour cette confusion et le remerciai d’avoir néanmoins accepté de me recevoir. Il me répondit avec grande élégance : « Qui suis-je pour ne pas accepter des Lettres adressées à mon prédécesseur pour qui j’éprouve une grande estime et amitié. En tant qu’officier, je ne puis certainement pas refuser de recevoir une dame. » La classe, pensais-je, la grande classe et je ne m’étais pas trompée.
Je revis assez souvent le président et cette première impression se confirma amplement. Un homme plein de qualités, d’une amabilité à toute épreuve, intelligent, habile, honnête, patient et un démocrate convaincu.
Il avait réussi malgré les tensions et les velléités d’indépendance des Touareg à garder son pays uni. AQMI, la branche maghrébine d’Al-Qaïda, était présente dans la frange nord du Mali, là aussi, il avait réussi à en limiter l’influence.
Les autres ethnies du pays vivaient en bonne entente, grâce à la pratique du « cousinage », pratique que j’explicite dans le deuxième tome de mon livre Des hommes, des femmes et des bêtes. Certes, il y avait des problèmes et même de sérieux problèmes au Mali, mais le pays était néanmoins en train de se développer.
Déjà sous le président Konaré des programmes avaient été lancés pour convaincre les Touareg de remettre leurs armes. Celles-ci étaient brûlées sporadiquement dans de grands feux de joie à Tombouctou. En échange, des pays occidentaux finançaient des projets de développement en faveur des villages qui s’étaient défaits de ces armes.
Je fus invitée en 2001 à une de ces cérémonies à Tombouctou. J’étais à l’époque commissaire spécial de la Coopération.
Je rencontrai en cette occasion un chef touareg très bavard, qui me parla des traditions des hommes bleus et de leurs esclaves : les Bellas, mais, précisa-t-il, les Bellas sont bien traités par leurs maîtres, contrairement aux esclaves d’autres ethnies. Il me présenta à quelques esclaves qui lui appartenaient. C’est eux qui forgent les croix touareg traditionnelles si jolies.
La femme de ce chef était née au Tafilalet dans le sud-est marocain, une Nouaji assimilée aux Touareg. Elle était femme d’affaires et fort indépendante, tint-il à préciser. Il me raconta sa vie de quasi-nomade, passant régulièrement du nord du Mali au Niger et au sud-est du Maroc. Il se montra des plus affables, cachant toujours sa bouche lorsqu’il me parlait, car me la montrer n’eut pas été courtois. On retrouve cette caractéristique culturelle en tant que marque de politesse, entre autres, au Laos !
C’est à Tombouctou que je fis la connaissance du président Konaré. Il m’avait laissé lui aussi une excellente impression, intelligent, ouvert, aimable, beau parleur et compétent. Maintenant que j’avais fait la connaissance également d’ATT, j’en vins à la conclusion qu’ils étaient faits de la même trempe. ATT poursuivit évidemment ces programmes de récupération des armes.
Le président ATT avait fait établir une commission pour lutter contre la corruption, commission financée et dirigée par la coopération canadienne : gage d’indépendance et de fiabilité.
Kadhafi, encouragé par ATT, avait effectué de nombreux investissements au Mali, principalement dans le secteur de l’hôtellerie et dans de grandes fermes agricoles, sans imposer de contrepartie : pas de « prix » ni religieux ni politique. Le président libyen avait récupéré et intégré nombre de Touareg dans sa propre armée, ce qui n’était pas pour déplaire à ATT, qui voyait ainsi ces Touareg occupés « ailleurs ».
Le président du Mali avait également tout fait pour diminuer dans son pays l’influence de l’Arabie saoudite et il maintenait d’excellentes relations avec l’Occident. Il mena, fort habilement pendant dix ans, ce jeu d’équilibriste.
Il garda des contacts avec tous les mouvements touareg, y compris les indépendantistes, ainsi que sporadiquement avec AQMI. Homme prudent, il s’était assuré d’autre part une présence militaire constante des États-Unis dans le nord-est du Mali pour former des soldats maliens à des missions antiterroristes.
Ses détracteurs lui reprochèrent ces contacts tous azimuts, mais c’était sa façon à lui de contrôler des éléments et groupements dangereux pour la stabilité de son pays.
Grâce du reste à ses contacts, il avait réussi à faire libérer à plusieurs reprises des otages occidentaux.
Je le rencontrai très souvent et continuai à le voir même après avoir pris ma retraite en février 2011. La dernière fois que je le vis, ce fut en décembre 2011. Je m’étais rendue au Mali avec trois amis, nous entendions remonter en pinasse le fleuve Niger jusqu’à Tombouctou. Le président nous reçut en audience pendant une bonne heure. Kadhafi avait été éliminé physiquement suite à la malheureuse et irréfléchie intervention de la France, entraînant également d’autres puissances occidentales dans cette aventure, qui s’avéra totalement irresponsable. L’armée libyenne était en débâcle, les Touareg, anciens alliés de Kadhafi, durent s’enfuir et revinrent s’installer dans le nord du Mali, en emportant avec eux énormément d’armes, dont de l’armement lourd.
La frange entre la Libye et le Mali s’étendant de l’Algérie au Soudan devint encore plus dangereuse qu’auparavant : un no man’s land où tous les trafics étaient possibles, ce qui du reste est encore le cas de nos jours.
ATT prononça lors de cette audience une phrase qui s’avéra prophétique : « Le printemps de la Libye risque de signifier l’hiver du Mali. »
L’élimination de Kadhafi laissa, entre autres, libre champ à l’Arabie saoudite pour mieux s’implanter au Mali, car de nombreux investissements libyens s’étaient maintenant retrouvés abandonnés. La présence de l’Arabie saoudite signifia un endoctrinement à un islam sunnite wahhabite. Leurs imams distribuèrent (et, j’en suis certaine, continuent à distribuer) des primes pour chaque conversion et pour chaque nouvelle naissance dans les familles nouvellement converties à l’islam, ce qui ne manqua pas d’attirer de nombreux « enthousiastes ». C’est ainsi que quasiment tous les Peuls sont devenus musulmans et fondamentalistes.
Pour éviter que ces Touareg armés jusqu’aux dents, revenus de Libye et dont un certain nombre souhaitaient obtenir l’indépendance du Mali, ne se lancent dans une guerre civile, ATT leur accorda maints privilèges, dont des financements pour frais d’installation dans leurs villages et une intégration immédiate et inconditionnelle dans les rangs de l’armée nationale malienne, si tel était leur souhait. Cette politique permit à ATT de garder le pays uni et d’éviter une guerre civile, mais engendra pas mal de mécontentement auprès d’autres ethnies qui ne bénéficièrent pas des mêmes largesses, ainsi qu’auprès de certains soldats et sous-officiers dans l’armée qui se voyaient ainsi retardés dans leurs possibilités de promotion. Ce qui pourrait expliquer, mais non justifier, le coup d’État de mars 2012.
En route sur notre pinasse, nous étions arrivés à Mopti, lorsque le président me fit savoir qu’il eût été prudent de ne pas continuer notre voyage jusqu’à Tombouctou. En effet, des Occidentaux venaient d’être pris en otages et le gouverneur de la ville avait fait évacuer tous les étrangers pour des raisons de sécurité.
Ce n’était pas la première prise d’otages. De temps en temps, dans le nord du Mali, des guides s’emparaient d’étrangers pour les « vendre » à AQMI, basée à la frontière avec l’Algérie. AQMI les gardait quelque temps et ne les relâchait qu’après négociations et payement de rançons substantielles. C’était une des façons pour ce mouvement terroriste de se financer et pour certains guides véreux d’arrondir leurs fins de mois.
Après la chute d’ATT, la situation empira, plus rien ne retint ces groupements indépendantistes touareg et un certain nombre d’entre eux s’allièrent à AQMI, convaincus d’accroître ainsi leurs chances de faire aboutir leur cause. Mal leur en prit, ces fous d’Allah saccagèrent Tombouctou et ses trésors millénaires et imposèrent un style de vie aux Touareg qui ne correspondait ni à leurs traditions ni à leur culture.
La France envoya immédiatement des troupes à la demande de Dioncounda Traoré, président par intérim, cette demande fut renouvelée par le nouveau président IBK (Ibrahim Boubacar Keïta) dès qu’il prit les rênes du pays. Le sous-officier, l’abruti total qui avait pris le pouvoir grâce à son coup d’État, avait fini par se démettre suite à des pressions régionales et internationales. Dans cet intervalle, D. Traoré tenta, sans grand succès, de mi-avril 2012 à septembre 2013, de gouverner le Mali. En septembre 2013, IBK fut élu président.
Les Nations Unies, saisies de la situation, envoyèrent également des forces armées (la MINUSMA) dans le but de pacifier cette région, à ce jour sans succès. Entre-temps, la toute grande majorité des Touareg tint à se défaire de ses liens avec AQMI, mais trop tard… le mal avait déjà été fait. Des éléments d’AQMI sont maintenant bien implantés dans le pays et actifs non seulement dans la zone frontalière avec l’Algérie mais également dans tout le Nord, et ce jusqu’au centre du Mali.
Peut-être, qui sait, la situation se serait également dégradée de la sorte, même sans le coup d’État qui força ATT à quitter le pouvoir, mais peut-être pas. Les mois de flottement politique que connut le pays, entre le départ d’ATT le 21 mars 2012 et l’élection d’IBK en septembre 2013, laissèrent la voie libre aux indépendantistes, à l’influence néfaste de l’Arabie saoudite et à celle d’AQMI.
J’avais rencontré IBK en 2005 lorsqu’il était président du Parlement, il ne m’avait pas fait grande impression. J’ai des doutes, me basant sur des rumeurs qui circulent au Mali, quant à sa probité. Il me parut vaniteux, aimait trop les honneurs et le luxe pour être un honnête homme, du moins me sembla-t-il. De surcroît, à ce jour, il n’a pas encore prouvé être vraiment à la hauteur des défis de sa tâche. Je me trompe peut-être, en tout cas, et c’est bien triste, le Mali va très mal. Les fondamentalistes, financés par des Saoudiens, ont réussi à rallier un certain nombre de Maliens à leur cause, dont certes les Peuls en leur majorité, mais aussi de nombreux individus appartenant à d’autres ethnies. Des tueries entre Peuls et Dogons surviennent de façon intermittente. La zone d’insécurité s’est donc étendue, on ne peut même plus se rendre à Mopti. Pauvre Mali !
En novembre 2020, le président ATT malade est décédé à l’âge de 72 ans, un grand et honnête homme a quitté ce monde dans un silence « assourdissant » de nos dirigeants politiques et des médias occidentaux. ATT fut un allié précieux de nos pays, instaura puis préserva la démocratie et la paix au Mali. Nous avons manqué de la plus élémentaire élégance en passant sa mort sous silence !
Hastings Banda fut d’abord Premier ministre pendant deux ans du Nyassaland, pays qui à l’époque était une colonie anglaise. Lorsque le Nyassaland obtint l’indépendance en 1966, ce pays se constitua en république et fut rebaptisé Malawi. Banda en fut nommé président et le resta jusqu’en 1994.
Mon premier poste en tant qu’ambassadeur fut la Zambie avec une juridiction qui couvrait entre autres le Malawi. Une date fut fixée pour la présentation des Lettres, ce devait être, si je me souviens bien, juin ou juillet 1985. Le Protocole de ce pays avait beaucoup insisté pour que je m’habille en noir, en long, avec des gants et que je mette un chapeau. C’est à cette occasion que j’empruntai pour la première fois le petit couvre-chef de ma mère muni d’une voilette, chapeau qui par la suite eut l’art de déplaire au président des Comores, mais qui rencontra l’approbation du chef du protocole du Malawi. C’est ainsi accoutrée que j’attendis dans le lobby de mon hôtel que la voiture officielle escortée par des motards vienne me chercher à 8 heures du matin pour me conduire à State House. Inutile de préciser que je ne passai pas inaperçue dans ce lobby !
Le président Banda lors de son unique quasi-sourire au moment de la présentation des Lettres par l’auteur, à Blantyre en 1985.
J’arrivai donc à la State House de Blantyre. Cette ville est la capitale économique du Malawi. Banda préférait Blantyre à la capitale politique : Lilongwe. C’était dans cette ville qu’il résidait la plupart du temps.
Je fus introduite auprès de Son Excellence, ce petit homme avait un chasse-mouches à la main qu’il agitait sans cesse. Banda affichait un air des plus renfrognés. Tous ses collaborateurs se déplaçaient sur les genoux en sa présence. Pas un sourire, sauf lors d’un bref moment d’égarement, au moment de la remise en ses mains de mes Lettres, pas un mot aimable, l’air courroucé : il me donna l’impression d’être un vieillard hystérique et despotique.
Lorsque finalement il m’adressa la parole, ce fut en latin, histoire de faire étalage de son érudition. Lui, ainsi qu’Houphouët, furent les deux premiers Africains à obtenir en Occident un diplôme en médecine. Banda avait étudié en Europe et aux États-Unis et était bardé de plusieurs autres diplômes en sus de celui de médecine. Il ramena également de Grande-Bretagne une épouse anglaise, dont il divorça peu de temps après son retour au Nyassaland. Ses études dans des pays occidentaux ne lui firent certainement pas oublier les traditions ancestrales des chefs coutumiers africains, traditions en usage lors des siècles « pré-ère coloniale ».