Colette Baudoche - Maurice Barrès - E-Book

Colette Baudoche E-Book

Maurice Barrès

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Colette Baudoche, sous-titré histoire d'une jeune fille de Metz, est un roman de Maurice Barrès paru en 1909. L'intrigue se déroule en Lorraine après la guerre franco-allemande de 1870, et raconte la relation qui se noue lentement entre une jeune femme française et un professeur allemand.

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Colette Baudoche

Colette BaudocheHISTOIRE D’UNE JEUNE FILLE DE METZPage de copyright

Colette Baudoche

 Maurice Barrès

HISTOIRE D’UNE JEUNE FILLE DE METZ

Il n’y a pas de ville qui se fasse mieux aimer que Metz. Un Messin français à qui l’on rappelle sa cathédrale, l’Esplanade, les rues étroites aux noms familiers, la Moselle au pied des remparts et les villages disséminés sur les collines, s’attendrit. Et pourtant ces gens de Metz sont de vieux civilisés, modérés, nuancés, jaloux de cacher leur puissance d’enthousiasme. Un passant ne s’explique pas cette émotion en faveur d’une ville de guerre, où il n’a vu qu’une belle cathédrale et des vestiges du dix-huitième siècle, auprès d’une rivière agréable. Mais il faut comprendre que Metz ne vise pas à plaire aux sens ; elle séduit d’une manière plus profonde : c’est une ville pour l’âme, pour la vieille âme française, militaire et rurale.

Les statues de Fabert et de Ney, que sont venues rejoindre celles de Guillaume le Ier et, de Frédéric-Charles, étaient entourées du prestige qu’on accorde aux pierres tutélaires. On se montrait les héros des grandes guerres sur les places où les officiers allemands exercent aujourd’hui leurs recrues. Les édifices civils gardent encore la marque des ingénieurs de notre armée ; c’est partout droiture et simplicité, netteté des frontons sculptés, aspect rectiligne de l’ensemble. D’un bord â l’autre de la place Royale, le palais de justice s’accorde fraternellement avec la caserne du génie ; les maisons bourgeoises, elles-mêmes, se rangent â l’alignement, et, sous les arcades de la place Saint-Louis, on croit sentir une discipline. Cet esprit s’étend sur la douce vallée mosellane. Depuis l’Esplanade, on devine sous un ciel nuageux douze villages vignerons, baignés ou mirés dans la Moselle, et qui nous caressent, comme elle, par la douceur mouillée de leurs noms : Sey, qui donne le premier de nos vins ; Rozérieulles, où chaque maison possède sa vigne ; Woippy, le pays des fraises ; Lorry, que ses mirabelles enrichissent ; tous chargés d’arbres à fruits qui semblent les abriter et les aimer. Mais les collines où ils s’étagent ont leurs têtes aplanies : c’est qu’elles sont devenues les forts de Plappeville, de Saint-Quentin, de Saint-Blaise et de Sommy.

Les Messins d’avant la guerre, tous soldats ou parents de soldats, vivaient en rapports journaliers avec la région agricole. Les rentiers y avaient leurs fermes, les marchands leurs acheteurs, et la plus modeste famille rêvait d’une maison de campagne où, chaque automne, on irait surveiller la vendange. Tout cela composait une atmosphère très propre â la conservation du vieux type français. Qui n’a pas connu, médité cette ville, ignore peut-être la valeur d’une civilisation formée dans les mœurs de l’agriculture et de la guerre. Les Lorrains émigrés ne regrettent pas simplement des paysages, des habitudes, une société dispersée, ils croient avoir laissé derrière eux quelque chose de leur santé morale.

Jamais je ne passe le seuil de cette ville désaffectée sans qu’elle me ramène au sentiment de nos destinées interrompues. Metz est l’endroit où l’on mesure le mieux la dépression de notre force. Ici l’on s’est fatigué pour une gloire, une patrie et une civilisation qui toutes trois gisent par terre. Seul un cercle de femmes les protège encore. Instinctivement, je me dirige vers l’île Chambières, et vais m’asseoir auprès du monument que les Dames de Metz ont dressé à la mémoire des soldats qu’elles avaient soignés. C’est une de nos pierres sacrées, un autel et un refuge, le dernier de nos menhirs.

Tout autour de ce haut lieu, le flot germain monte sans cesse et menace de tout submerger. Au nombre de vingt-quatre mille (sans compter la garnison), les immigrés dominent électoralement les vingt mille indigènes. Sous l’effort de cette inondation, l’édifice français va-t-il être emporté ? Le voyageur qui arrive aujourd’hui â Metz distingue, dès l’abord, ce que vaudrait cette ville reconstruite â l’allemande et selon les besoins du vainqueur. La gare neuve où l’on débarque affiche la ferme volonté de créer un style de l’empire, le style colossâl, comme ils disent en s’attardant sur la dernière syllabe. Elle nous étonne par son style roman et par un clocher, qu’a dessiné, dit-on, Guillaume II, mais rien ne s’élance, tout est retenu, accroupi, tassé sous un couvercle d’un prodigieux vert-épinard. On y salue une ambition digne d’une cathédrale, et ce n’est qu’une tourte, un immense pâté de viande. La prétention et le manque de goût apparaissent mieux encore dans les détails. N’a-t-on pas imaginé de rappeler dans chacun des motifs ornementaux la destination de l’édifice ! En artistes véridiques, nous autres, loyaux Germains, pour amuser nos sérieuses populations, qui viennent prendre un billet de chemin de fer, nous leur présenterons dans nos chapiteaux des têtes de soldats casquées de pointes, des figures d’employés aux moustaches stylisées, des locomotives, des douaniers examinant le sac d’un voyageur, enfin un vieux monsieur, en chapeau haut de forme, qui pleure de quitter son petit-fils… Cette série de platitudes, produit d’une conception philosophique, vous n’en doutez pas, pourrait tant bien que mal se soutenir à coups de raisonnements, mais nul homme de goût ne les excusera, s’il a vue leur morne moralité.

Au sortir de la gare, on tombe dans un quartier tout neuf, où des centaines de maisons chaotiques nous allèchent d’abord par leur couleur café au lait, chocolat ou thé, révélant chez les architectes germains une prédilection pour les aspects comestibles. Je n’y vois nulle large, franche et belle avenue qui nous mène à la ville, mais une même folie des grandeurs déchaîne d’énormes caravansérails et des villas bourgeoises, encombrées de sculptures économiques et tapageuses. En voici aux façades boisées et bariolées à l’alsacienne, que flanquent des tourelles trop pointues pour qu’on y pénètre. En voilà de tendance Louis XVI, mais bâties en pierre rouge, ornées de vases en fonte et couronnées de mansardes en fer-blanc. Ici du gothique d’Augsbourg, là quelques échantillons de ce roman qui semble toujours exciter mystérieusement la sensibilité prussienne. Enfin mille lutins, elfes et gnomes, courbés sous d’invisibles fardeaux.

Je ne ressens aucune émotion de force devant ces façades à pierres non équarries, qui ne sont qu’un mince placage sur briques. Et je n’éprouve pas davantage un joyeux sentiment de fantaisie à voir un maçon tirer de son sac, au hasard, un assortiment infini de motifs architecturaux. Ces constructeurs possèdent une érudition étendue, et, par exemple, un Français voit bien qu’ils ont copié à Versailles d’excellents morceaux, de très bons œils-de-bœuf, des pilastres, des obélisques ; mais ces motifs, juxtaposés au petit bonheur, ne sont pas aux justes proportions, ni exécutés avec les matériaux convenables. Tout ce quartier neuf, qui vise à la puissance et à la richesse, n’est que mensonge, désordre et pauvreté de génie. C’est proprement inconcevable, sinon comme le délire d’élèves surmenés ou la farce injurieuse de rapins qui bafouent leurs maîtres. On croit voir, figées en saindoux, les folies d’étudiants architectes à la taverne d’Auerbach.

Dans un coin de cet immense cauchemar, en contre-bas, sous un pourrissoir de vieux paniers et de seaux bosselés, n’est-ce pas l’ancienne porte Saint-Tiébaud ? Ah ! qu’ils la démolissent, qu’ils lui donnent le coup de grâce, à cette martyre !

On reprend pied, on respire, sitôt franchie la ligne des anciens remparts. Je ne dis pas que ces maisons petites, très usagées, avec leurs volets commodes et parfois des balcons en fer forgé, soient belles, mais elles ne font pas rire d’elles. De simples gens ont construit ces demeures à leur image, et voulant vivre paisiblement une vie messine, ils n’ont pas eu souci de chercher des modèles dans tous les siècles et par tous les climats. Voyez, au pied de l’Esplanade, comme les honnêtes bâtiments de l’ancienne poudrerie, recouverts de grands arbres et baignés par la Moselle, sont harmonieux, aimables. Tant de mesure et de repos semble pauvre aux esthéticiens allemands. Ce pays était épuré, décanté, je voudrais dire spiritualisé ; ils le troublent, le surchargent, l’encombrent, ils y versent une lie. Le faîte des maisons demeure encore français, mais peu à peu le rez-de-chaussée, les magasins se germanisent. A tout instant, on voit racler une façade, la jeter bas, puis appliquer sur la pauvre bâtisse éventrée une armature de fer, avec de grandes glaces où, le soir, des lampes électriques inonderont d’aveuglantes clartés des montagnes de cigares. L’ennui teuton commence à posséder Metz. Et pis que l’ennui, cette odeur avilissante de buffet, de bière aigrie, de laine mouillée et de pipe refroidie.

Certains quartiers pourtant demeurent intacts : Mazelle, le Haut de Sainte-Croix et les quais où l’on retrouve les aspects éternels de Metz. Les paysans viennent toujours porter aux vieux moulins le blé de la Seille et du Pays-Haut. Les femmes en bonnet gaufré conduisent leurs charrettes pleines de beurre, d’œufs et de volailles. L’hôtel de la Ville de Lyon regorge encore, le samedi, de campagnards venus au marché des petits cochons, sur le parvis de la cathédrale ; et l’auberge de la Côte de Delme reste le rendez-vous des amateurs, quand les maquignons présentent, sur la place Mazelle, les gros chevaux de labour, un tortillon de paille tressé dans la queue.

Suis-je dupe d’une illusion, d’une rêverie de mon cœur prévenu ? Dans le réseau de ces rues étroites, où les vieux noms sur les boutiques me donnent du plaisir, je crois sentir la simplicité des anciennes mœurs polies et ces vertus d’humilité, de dignité, qui, chez nos pères, s’accordaient. J’y goûte la froideur salubre des disciplines de jadis, mêlées d’humour et si différentes de la contrainte prussienne. Un attendrissement nous gagne dans ces vieilles parties de Metz, où dominent aujourd’hui les femmes et les enfants. Elles avivent notre don de spiritualité. Elles nous ramènent vers la France, et la France, là-bas, c’est le synonyme le plus fréquent de l’idéal. Ceux qui lui demeurent fidèles mettent un sentiment au-dessus de leurs intérêts positifs. Si quelques-uns la renient, c’est qu’ils sont asservis par des raisons utilitaires et qu’ils sacrifient la part de la vie morale.

Un jour que je me prêtais à ces influences du vieux Metz, le long de la Moselle, et que je suivais le quai Félix-Maréchal, je vis venir, le nez en l’air et cherchant, semblait-il, un logement à louer, un grand et vigoureux jeune Allemand. L’Allemand classique, coiffé d’un feutre verdâtre, et vêtu ou plutôt matelassé d’une redingote universitaire. C’est l’uniforme de l’immense armée des envahisseurs pacifiques, qui s’est mise en marche derrière les vainqueurs et qui défile depuis trente-cinq ans.

Personne ne le regardait. Il n’éveillait ni l’instinct comique, ni l’hostilité. Il paraissait vraiment banal : un Prussien de plus arrivait, une goutte d’eau dans ce déluge.

Autour de lui, c’était la rivière glissante, ses tilleuls, l’île aux grands arbres que l’on appelle du nom charmant de Jardin d’Amour, la rumeur des moulins et les jeux des petits polissons : tout le vieux Metz d’avant la guerre, où rien ne fait défaut que nos uniformes. Il me rappela d’une certaine manière (avec moins de rayonnement, faut-il le dire ?) ce mémorable portrait, à la fois ridicule et beau, que l’on voit au musée de Francfort, du jeune Goethe étendu dans la campagne romaine et pareil à un jeune éléphant. Oui, ce nouveau venu, c’était un puissant garçon, mais informe. Et tandis qu’il se balançait, indécis, sous l’écriteau d’un appartement garni, je me pris à penser que j’avais devant moi un phénomène.

Ce qui fournit la matière de tant de livres importants sur l’histoire, sur les races, sur les destinées de la France et de l’Allemagne, était là vivant sous mes yeux. Le hasard qui m’avait permis d’assister au débarquement de ce jeune Prussien a continué de me favoriser. J’ai pu connaître l’emploi de son temps au cours de sa première année messine. C’est tout un petit roman, plein de sens, qui éclaire d’un jour net et froid l’état des choses franco-allemandes en Lorraine. Il nous a semblé, en le rapportant, que nous relevions le point après un grand naufrage.

Bernardin de Saint-Pierre admire que le célèbre Poussin, quand il peignit le Déluge, se soit borné à faire voir une famille qui lutte contre la catastrophe. Pas n’est besoin de grandes machines. A ceux qui liront le drame sans gloire dont une heureuse fortune m’a fait le confident, je crois que je rendrai sensible la position pathétique de la France, battue par la vague allemande sur les fonds de Lorraine. Mais il faut qu’on me laisse traiter chaque scène amplement, sereinement, sans hâte, d’autant qu’on ne gagnerait rien à passer au tableau suivant : je ne prépare aucune surprise et ne fais pas appel aux amateurs d’aventures. A défaut d’un sentiment profond de la beauté idéale, je voudrais mettre ici un sérieux sans sécheresse, une clairvoyance calme, animée de confiance dans la vie, sinon dans la France.