Commettre l'irréparable - Mickaël Campisano - E-Book

Commettre l'irréparable E-Book

Mickaël Campisano

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Beschreibung

L'auteur de ce livre tiré d'une histoire vraie relate avec force et émotion le parcours sinueux d'un accro aux paris sportifs, coincé dans un corps de gendre idéal. Pétri de culpabilité, le personnage principal s'enfonce de plus en plus dans son addiction sans jamais trouver la main qu'il cherche pour s'en sortir jusqu'à commettre l'irréparable.

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Seitenzahl: 387

Veröffentlichungsjahr: 2023

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SCOMMETTERE L’IRREPARABILE1

1 Scommettere signifie “parier” en italien, combiné avec “commettre” en français

SOMMAIRE

Prologue

Chapitre 1 : Ce départ

Chapitre 2 : Cette maladie

Chapitre 3 : Ces années lycée

Chapitre 4 : L’après-lycée

Chapitre 5 : Cet entretien d’embauche

Chapitre 6 : Ces débuts

Chapitre 7 : Seul aux commandes

Chapitre 8 : Ces changements

Chapitre 9 : Cette première erreur

Chapitre 10 : Et après ?

Chapitre 11 : Cette relation particulière

Chapitre 12 : Cette journée lambda

Chapitre 13 : De pire en pire

Chapitre 14 : Cette recherche de main tendue

Chapitre 15 : Un secret, plus vraiment

Chapitre 16 : Cet ultime recours

Chapitre 17 : Ce suivi

Chapitre 18 : On prend le même et on recommence

Chapitre 19 : Cette rencontre

Chapitre 20 : Ce nouveau palier

Chapitre 21 : Cette nouvelle discussion

Chapitre 22 : Cette attente

Chapitre 23 : Ce ressenti

Chapitre 24 : Ce procès

Chapitre 25 : Cette surprise

Chapitre 26 : Et maintenant ?

Prologue

Moi c’est Lorenzo, (je pense que mon prénom vous fait d’emblée penser au drapeau tricolore vert blanc et rouge non ?) j’ai la trentaine aujourd’hui. Je suis né dans le Nord de la France. Mes parents sont tous deux nés en Italie, venus en France dès leur plus jeune âge, suivant leurs parents respectifs, également italiens.

Pour resituer le contexte, laissez-moi vous résumer l’histoire de l’émigration italienne en France (rapidement parce que clairement, en cours d’histoire j’étais assez mauvais). La première vague remonte à la fin du XIXème siècle. L’Italie était peuplée de plus de soixante-dix pour cent d’agriculteurs à cette période, la plupart ne bénéficiant que de petites parcelles et ne pouvant vivre de leur production. Une grande crise économique a déclenché les premiers départs massifs d’italiens vers l’étranger, ceux-ci fuyant la misère et les épidémies comme la malaria par exemple. En parallèle, les mines et industries des pays européens déjà industrialisés comme la France, la Belgique, l’Allemagne ou encore la Suisse manquaient de main-d’œuvre. Entre 1876 et 1900, on dénombrait déjà plus de deux cent vingt mille départs annuels d’italiens.

Cette première vague ne concerne pas vraiment mon histoire personnelle mais surtout celle de mes parents et grands-parents. Mes grands-parents, aussi bien du côté maternel que paternel, ont quitté l’Italie à la fin des années 1960. Ils font donc partie de la dernière grande vague de migration italienne entre les années 1946 et 1960, période de l'après-guerre. Entre le chômage dans l’industrie et les terres agricoles confisquées en faveur des grands propriétaires par l'État fasciste, la main-d'œuvre italienne restait inactive, il y avait peu ou pas du tout de travail. C’est dans ce contexte que l'État italien a essayé de « vendre » ses jeunes aux plus offrants. Et il y avait plusieurs amateurs comme les pays d’Europe de l’Ouest et l’Argentine. L’idée était toute simple : des travailleurs contre du charbon ! Un accord est trouvé avec la Belgique en juin 1946 qui prévoyait l’envoi de cinquante mille travailleurs contre trois millions de tonnes de charbon par an, soit l’équivalent de soixante kilos par homme. Pourquoi sont-ils partis ? D’un côté, l’Italie récemment vaincue et en pleine crise économique voulait se débarrasser de ses ouvriers extrémistes et de l’autre la Belgique qui attirait des immigrés peu exigeants et indésirables dans leur pays, pour travailler dans les Charbonnages, lesquels n’intéressaient plus la jeunesse belge. La France en a fait de même, proposant 150 kilos de charbon par homme. Ce sont donc des milliers d’italiens venant du sud du pays (Sardaigne, Sicile, Calabre, Pouilles) qui sont arrivés dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, s’engageant dans la « bataille du charbon » pour remplacer les nombreux Polonais, partis reconstruire la nouvelle Pologne dévastée. En dehors du bassin minier, d’autres italiens arrivèrent dans l’agglomération lilloise pour le textile, dans la Vallée de la Sambre pour la sidérurgie et dans le Dunkerquois pour les chantiers navals.

Mon père est né à Catanzaro, en Calabre. Il est arrivé dans le Nord de la France dès son plus jeune âge, en 1957, avec sa mère. Celle-ci était venue rejoindre son mari, arrivé un an plus tôt à la recherche d’un avenir meilleur pour sa famille et fuyant la misère italienne. Ce mot « misère », je me permets de le citer tel quel parce que je ne compte pas le nombre de fois où j’ai entendu mes grands-parents maternels dire ce mot. Avec leur propre langage qui combinait quelques mots français et italiens, c’était surtout la « miseria ». Aujourd’hui encore, quand je demande à mes parents si d’après eux leurs parents respectifs étaient tristes de quitter l’Italie, ils me répondent sans hésitation que non. Eux aussi me disent qu’ils sont venus en France parce que c’était la misère en Italie. Cependant cela n’a pas empêché mon père de passer quelques années de son enfance dans un baraquement en bois de la fosse minière du Nord de la France, avant que ses conditions de vie ne soient plus dignes.

Ma mère est, quant à elle, née à Pietranico, commune de la province de Pescara dans la région des Abruzzes. Seulement deux petites années d’écart la séparent de mon père. Elle est aussi arrivée en France dès son plus jeune âge. Elle avait quatre ans quand elle est arrivée, mais son parcours est assez différent de celui de mon père. C’est d’abord dans un petit village de la Creuse que son parcours commence. Son père y a été ouvrier agricole durant deux bonnes années avant de rejoindre le Nord de la France pour travailler lui aussi dans les mines. Ils logeront dans les Camus. Pourquoi nomme-t-on ces habitations des Camus ? C’était tout simplement le nom de l’ingénieur qui avait mis au point ce procédé, afin d’accélérer le processus de construction. Le principe est simple : utiliser des panneaux de béton préfabriqués en usine et les assembler sur le chantier directement à l’aide de grues : en quinze jours à peine des logements sortaient de terre.

Alors comment mes parents se sont rencontrés ? Mon père se rendait à une formation à mobylette dans un petit village voisin avec un ami, cet ami en question avait une sœur … ma mère. Et c’est comme ça que mon père me dit qu’il a dragué ma mère. Ils se sont mariés six ans après, en 1977, l’année de naissance de mon frère aîné (oui nous sommes trois, j’ai donc deux frères).

Ce passé, appartenant à mes grands-parents et aussi à mes parents, n'a pas été sans conséquences : mes deux grands-pères ayant connu le dur labeur au fond des mines ont, tous deux, été atteints de silicose, la maladie des mineurs si vous préférez. Logée au niveau des poumons, elle est causée par l’inhalation de poussières de silice cristalline, telles que le quartz par exemple. Le traitement de la maladie ? Il n’y en a aucun, si ce n’est conseiller aux mineurs de ne surtout pas fumer et de stopper l’exposition à la poussière de silice. Pour Pépé, c’est comme ça qu’on appelait mon grand-père maternel, la silicose a été reconnue à 40 %. Pour Nonno, mon grand-père paternel2, la silicose n’a jamais été reconnue.

J’ai pu connaître mes grands-parents et j’ai conscience de la chance que j’ai eue. Nonno nous a quittés en premier, il y a plusieurs années déjà. Je garde tellement de souvenirs de lui. Je me souviens de cet homme, qui aimait danser sur ses musiques calabraises, toujours de bonne humeur à la maison quand presque chaque dimanche toute la famille passait faire un petit coucou ; quand nous jouions avec mes cousins au bout de sa rue, sur le terrain de pétanque et qu’il revenait de sa petite promenade, toujours avec sa canne et son beau chapeau, il avait toujours un petit geste ou quelque chose à nous dire pour nous faire sourire. Quand j’y repense aujourd’hui, je me dis qu’il était sûrement fier d’avoir construit cette jolie famille et c’est pour ça qu’il était heureux, à chaque fois qu’il voyait l’un de nous. Dans le village, on l’appelait « capitaine », il avait un profond respect pour chaque personne qu’il croisait et les autres personnes l’aimaient également. Tout le monde connaissait mon grand-père, combien de fois m’a-t-on dit plus jeune « ha t’es le petit-fils du capitaine ! » ou alors « je connais bien ton grand-père tiot ». Il adorait tuer le temps avec ses amis polonais et italiens en se rendant à la baraque comme on dit, ce lieu où tu trouves un terrain de pétanque, une buvette et de la bonne humeur. Et la particularité dans le village, et c’est encore le cas aujourd’hui, c’est qu’il y a la baraque des Polonais et la baraque des Italiens. Attention, le principe ce n’est pas « les polonais à la baraque des polonais et les italiens à la baraque des italiens ». Non, c’est ouvert à toute origine et croyance, d’ailleurs Nonno passait plus de temps chez les Polonais à l’époque, pour vous dire.

Mémé et Pépé nous ont quittés plus récemment. Jamais je n’aurais pensé que Mémé serait partie avant Pépé et pourtant c’est comme ça que ça s’est passé. Quand j’étais jeune, j’adorais embêter ma grand-mère, la faire rire, elle disait toujours « c’est pas possible » tellement je faisais le pitre quand on y allait. Mais ça, c’étaient les dimanches où Pépé était parti se promener. Parce que quand Pépé était là, je ne sais pas pourquoi, c’était plus sérieux et plus calme. Peut-être que mon grand-père m’impressionnait et que j’en avais peur, en tout cas je ne faisais pas le malin. Pourtant, il aimait aussi me faire rire, en nous faisant des grimaces venues de l’espace, mais il y avait une différence entre les visites chez Mémé et Pépé et les visites chez Nonna3et Nonno. Il y avait toujours la télévision avec les habituelles séries du dimanche, posée sur le meuble ancien contenant des photographies d’un peu tout le monde et quelques bibelots. Mais attention la télévision était neuve, c’était un écran plat puisque malheureusement l’ancienne télévision avait rendu l’âme. Le café fait à la cafetière italienne bien sûr, je n’ai d’ailleurs jamais bu depuis un café aussi fort que celui fait par Mémé. Si on ne voulait pas de café, il y avait une bière au pire, dans la caissette située toujours au même endroit, dans la pièce servant de petit stock. Et si on ne voulait pas de bière non plus, il y avait une bouteille de jus d’orange. La quantité restante étant au même niveau que le dimanche précédent si on en avait bu puisque Mémé et Pépé ne buvaient pas de jus d’orange. Je sentais donc cette sorte de froideur quand nous leur rendions visite. Pépé parlait peu et Mémé de même, nous étions là avec ma mère à partager la fameuse série diffusée à la télévision. Ça a toujours été comme ça et c’était peut-être leur manière à eux de se dire qu’ils s’aimaient, même sans se le dire ?

Quand Mémé nous a quittés, j’ai découvert le vrai visage de mon grand-père et combien elle comptait pour lui. Il était dévasté et même les semaines et les mois passant, il ne s’en remettait pas. Ils ont dû vivre tellement de choses ensemble, relever tant de défis, partager tant de tristesses et de joies … Ils étaient attachés l’un à l’autre, pourtant mes visites habituelles du dimanche, quand les deux étaient présents, ne me montraient rien de tout cela. Cela prouve à quel point on peut pleurer et regretter une personne quand elle nous quitte, sans qu’on s’en rende forcément compte de son vivant.

Pépé nous a quittés quelques mois plus tard. Il a essayé de se battre et de survivre sans sa bien-aimée, mais il n’était plus le même. Il se laissait aller si on peut dire, je n’avais plus le droit à ses fameuses grimaces, il n’avait plus la tête à ça, il attendait son heure pour rejoindre son épouse.

Aujourd’hui, Nonna est toujours là et au moment précis où j’écris, je me rends compte que je ne vais pas lui rendre visite assez souvent. Ce n’est pas bien, j’en ai conscience. Peut-être qu’au fond de moi, je veux éviter d’avoir à répondre à des questions, qu’on me demande si le travail ça va, ou de croiser une tante qui me poserait la question. Peut-être que j’essaie de fuir toute demande qui pourrait être liée à mon environnement professionnel actuel, qui a été au néant le plus complet durant un laps de temps, avant de reprendre du poil de la bête, dans quelque chose de différent.

2 Nonno signifie grand-père en italien

3 Nonna signifie grand-mère en italien

Chapitre 1 – Ce départ

Il fait beau, la petite fête foraine, habituelle à cette période, est installée sur la place de la commune. Il est trop tôt, elle est encore fermée, les deux ou trois manèges ont donc leurs rideaux baissés. C’est calme.

J’ai l’habitude de voir ces quelques manèges présents, tous les ans et depuis plusieurs années maintenant, je sais qu’ils seront là. Pour beaucoup de familles, c’est le plaisir de pouvoir venir, un peu après quinze heures, avec les enfants, de leur faire découvrir les petites voitures qui tournent, de voir les sourires des petits essayant d’attraper le « pompon » pour obtenir un tour gratuit. Pour quelques adolescents, c’est aussi le plaisir de se défouler dans les auto-tamponneuses.

En revanche, pour les petites boutiques, la banque, le supermarché à proximité, en quelque sorte pour les personnes ayant pour habitude de stationner sur la place afin de se rendre au travail, c’est moins drôle car il n’y a plus de places de stationnement disponibles. Le matin en arrivant, c’est la lutte acharnée pour mettre son véhicule en lieu sûr et avoir l’esprit tranquille durant la journée de travail. Mais on s’y fait, on ne râle pas, ou si c’est le cas ça ne dure jamais bien longtemps. On se dit qu’il faut bien que les enfants et les adolescents puissent découvrir et profiter de la « ducasse » comme on dit chez nous. Et par ailleurs, il faut bien que les forains puissent faire leur beurre.

En cette belle journée du mois de juin, comme je l’ai fait à plusieurs reprises pendant plusieurs années, pour être un peu plus précis durant sept ans, je vais rejoindre mon véhicule. Cette fois-ci il est tôt, généralement quand je quitte les lieux, il est dix-sept heures trente, voire dix-sept heures si c’est le vendredi, et parfois plus tard, si la journée est un peu plus chargée que prévu.

Habituellement, c’est moi qui ferme la porte en dernier, généralement tout sourire et tout joyeux, encore plus si c’est la dernière journée avant le week-end. Je salue mes collègues, si certains partent en même temps que moi, on peut même rester deux ou trois minutes à rire sur un fait de la journée, ou à parler des choses prévues le week-end, même si, bien sûr, on prend toujours le temps durant la pause-café, la pause cigarette ou même la pause déjeuner, de parler de différents sujets. En somme, comme toute personne ou tout au moins comme la plupart des gens le font dans leur environnement professionnel.

Mais cette fois-ci, ce n’est pas moi qui ai refermé la porte. Et comme je l’expliquais précédemment, il est tôt, encore dans la matinée. Je dirais de mémoire qu’il devait être onze heures, c’était un vendredi d’ailleurs, jour que j’appréciais particulièrement car c’est le dernier de la semaine. Seulement là, je ne me sentais pas joyeux du tout, je n’avais pas la tête à mon week-end. Je pensais plutôt à ce qui était en train de se produire, je me demandais où j’allais aller, maintenant.

Je n’ai pas refermé la porte puisque c’est mon employeur qui l’a fait pour moi. Je ne sais pas pourquoi mais je sens qu’en me lisant, vous savez déjà qu’il ne l’a pas refermée en me souhaitant un bon week-end ni même en me disant « à lundi » avec le sourire. Non, rien de tout cela. Avant de fermer la porte et de me laisser partir, il m’a demandé de lui rendre ma clé. Il avait oublié de le faire, durant notre rapide entretien, quelques minutes plus tôt. J’avais les bras assez chargés, ma petite sacoche contenant mes papiers personnels, mon portefeuille et mes cigarettes entre autres, et ma grande sacoche, que je laissais habituellement au « boulot » et que je ne prenais que pour me rendre à des réunions ou des formations. Cette fois-ci ma grande sacoche contenait mes quelques effets personnels : une calculatrice, une trousse, une pochette, un bloc-notes et un plan comptable général. (Oui bon, ça vous plante un peu le décor et vous donne direct ma profession mais à un moment donné, il faut bien que j’avance dans cette histoire et vous explique le pourquoi du comment, non ?). Étant assez chargé, j’ai posé ce qui m’encombrait par terre pour enlever la clé qui me permettait d’accéder à mon lieu de travail de mon trousseau. Je lui ai remis, il m’a remercié poliment et a refermé la porte. C’est la dernière fois que j’ai vu son visage, enfin non pas vraiment mais j’y reviendrai plus tard. Ce regard trahissait une telle … déception.

J’avais eu pour habitude, durant toutes ces années, de voir quelqu’un de fier, de bonne humeur, à l’écoute, concentré, faire rire la galerie. A mes yeux, c’était sa force principale : être professionnel et savoir rire quand il le fallait, assez souvent pour que l’employé se sente comme chez lui. Mais ce regard-là, dont je me souviendrai à tout jamais, était un regard que je n’avais encore jamais vu.

Je suis alors retourné à mon véhicule, que j’avais stationné sur le parking du supermarché situé juste à côté de la place, ce matin-là. Je suis monté dans mon véhicule, côté conducteur, et je suis resté là, assis, pendant quelques minutes, le regard vide ; fixant les sapins situés juste devant moi, j’ai attendu. Je pensais à plusieurs choses à la fois et en même temps à rien, j’étais perdu et je savais que ce qui m’attendait serait vraiment très compliqué à gérer. Je me suis décidé à prendre la route et là je me suis demandé « je vais où ? » Il y avait deux destinations possibles si je voulais me réfugier quelque part : soit chez mes parents où je vivais encore officiellement à ce moment-là, soit chez ma petite amie dont j’avais un double des clés. Ni une ni deux, j’ai choisi l’appartement de ma petite amie, au travail à ce moment-là. Sur le temps du trajet, j’ai craqué et je me suis mis à pleurer, réalisant petit à petit ce qui se passait réellement.

La durée du trajet était assez longue depuis mon lieu, ou plutôt mon ancien lieu de travail. Trente bonnes minutes plus tard, je me suis garé devant l’immeuble de ma petite amie et je suis rentré à l’appartement. Une fois encore, je suis resté assis là dans le fauteuil, sans bouger, durant trois bonnes heures, sans télévision, sans un bruit. Je réfléchissais à comment expliquer la situation à ma petite amie, à ma famille. J’avais pris les devants en lui envoyant un message, lui expliquant ce qu’il en était et comment s’était passé l’entretien avec mon patron plus tôt. Elle savait qu’un échange était prévu avec lui, puisque je l’avais informée du problème quelques jours plus tôt. Elle est rentrée en milieu d’après-midi et on a parlé. Honnêtement, je pensais qu’elle me laisserait tomber et mettrait fin à notre relation. Clairement, dans ma tête, je me disais que ce serait bien mérité et tout à fait logique. Mais ce n’est pas comme cela que ça s’est passé. On a pleuré tous les deux et on a longuement parlé de toute cette histoire, elle était bien là, pour me soutenir coûte que coûte, j’ai pris conscience que son amour était bien réel et fort, ce jour-là. En dehors de toute cette histoire, il fallait que je trouve quoi dire à mes parents, étant donné que je restais dormir là le soir même, chose inhabituelle le vendredi. En général, je dormais à l’appartement le samedi et le dimanche mais très rarement le vendredi soir.

Ça peut paraître étrange, un homme d’une trentaine d'années qui n’a toujours pas son indépendance et ne vit pas avec sa petite amie, mais croyez-moi vous allez vite comprendre pourquoi j’étais dans cette situation. J’ai décidé de faire un aller-retour chez mes parents en fin de journée pour aller chercher des vêtements pour le week-end, j’ai fait assez vite et ne me suis pas attardé à la maison. Je n’ai bien sûr parlé de rien de ce qui s’était passé le matin même et n’ai rien laissé paraître, comme si tout était normal. Après avoir pris mes affaires, je suis reparti en disant à mon père que je passais le week-end chez Marion – ma petite amie – et j’ai conclu par « à lundi p’pa ».

En parlant de ne rien laisser paraître, ça me fait penser aux messages échangés avec ma collègue Clémence, après mon départ ce matin-là. Quasiment tous mes collègues m’ont vu partir et ont compris qu’il se passait quelque chose d’anormal. Je revois ma descente des escaliers avec ma collègue Murielle, fidèle à son poste à l’accueil, son bureau étant situé juste au bas de l’escalier. Elle avait le combiné du téléphone à l’oreille, très certainement en discussion avec un client et a glissé un regard vers moi. Ce regard laissait paraître une grande incompréhension, alors j’ai vite regardé ailleurs.

En bas de l’escalier, j’ai également aperçu Clémence et Mary, avec leurs tasses de café dans le couloir menant à la petite cuisine. Elles étaient importantes ces pauses café et cigarette, que je partageais la plupart du temps avec Clémence. Je ne sais pas pour vous, mais dans un tel environnement de travail, où on vous laisse assez de liberté, où on ne regarde pas à la minute le travail effectué et où vous vous sentez bien, ma motivation est telle que le travail est fait et est bien fait. J’ai toujours apprécié ce point de vue de mon employeur sur la manière de diriger son entreprise. Je n’ai pas pris le temps de regarder leur visage une dernière fois. D’ailleurs Steffen - mon patron - m'avait gentiment demandé si je souhaitais saluer mes collègues, je lui avais répondu plutôt sèchement que non. Je ne me voyais clairement pas aller voir chacun d’entre eux et leur dire « au revoir, ravi d’avoir travaillé avec vous » ou quelque chose de ce genre-là. Je suis donc parti comme une petite souris mais qu’on avait eu le temps de voir partir, vous savez comme la petite souris que vous voyez passer d’un bout à l’autre dans le jardin, vous avez eu le temps de la voir, mais elle est passée à une telle vitesse que même en l’ayant vu vous n’avez pas eu le temps d’apercevoir le moindre détail la concernant. Vous avez juste vu une souris, et bien là c’était pareil.

Que me contenait le premier message de Clémence ? Il disait ou plutôt me demandait « Qu’est-ce que tu m’as fait ? » Je lui ai alors répondu par un roman, expliquant bien la situation, mais si je vous détaille le contenu de ma réponse, il n’y a plus aucun intérêt à poursuivre mon histoire. Elle a répondu à mon message en me disant « Je m’en veux car je n’ai rien vu venir, encore ce matin tu ne laissais rien transparaître, pourquoi tu ne m’en as pas parlé, je pensais que depuis que tu avais parlé à Steffen, ça allait … Tout le monde est anéanti, on ne réalise pas ce qui arrive.» Ce jour-là, j’ai reçu un message de trois autres collègues également. Le deuxième message était de Mary, me disant : « Coucou, nous avons appris la mauvaise nouvelle … Nous sommes (les filles) sous le choc et très tristes. Je ne sais pas quoi te dire et comment t’aider. Je voulais juste t’envoyer un message pour te soutenir malgré tout. »

J’étais un peu surpris de recevoir ce message de Mary, c’est une personne très gentille mais je n’étais pas aussi proche d’elle que je l’étais de Clémence par exemple, elle a son caractère à elle et j’ai le mien donc je pense que d’une certaine manière je voulais éviter de possibles accrochages d’un point de vue professionnel. D’ailleurs d’un point de vue vie privée, c’était bien la seule à ne quasi rien savoir. Je ne disais pas à Mary ce que je disais à Clémence, Murielle ou Simon par exemple. Mais en dehors de ça, on s’entendait très bien, les pauses déjeuner étaient généralement prises ensemble dans le petit réfectoire de l’entreprise et on pouvait discuter de tout ou presque. J’ai répondu à son message en étant assez bref : « Merci pour ton message Mary. Demande à Clémence de te montrer le message que je lui ai envoyé, ça résume un peu le truc. Ne soyez pas triste pour moi … on ne peut plus rien pour moi depuis longtemps. » Elle a bien sûr répondu à nouveau à mon message mais si vous le permettez, je reviendrai là-dessus plus tard.

J’ai également reçu un message de Murielle me disant tout simplement : « Que dire Lorenzo » accompagné de trois émoticônes de personnage en pleurs, message auquel je n’ai pas répondu. Un autre message provenait de mon collègue Simon, qui est entre autres le bras droit de Steffen, et dont j’étais assez proche, comme c’était le cas pour chacun de mes collègues d’ailleurs. Il y avait vraiment un côté familial entre nous. Son message me disait : « Lorenzo, cette situation me rend triste mais je suis également très en colère. Je ne sais pas vraiment quoi vous dire… » Je ne vous expose pas la fin du message, qui en dirait une fois de plus un peu trop à ce stade de mon récit. Je n’ai jamais répondu à ce message non plus, je pense que dans toute cette histoire, Simon est celui à qui j’en veux le plus, bien qu’on puisse se demander si j’ai le droit d’en vouloir à qui que ce soit. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, oui, je lui en veux et vous allez comprendre pourquoi, ou du moins si vous ne le comprenez pas, vous allez savoir pourquoi moi, dans ma tête, je lui en veux.

Pour ce qui est de Steffen, mon patron, vingt-quatre heures se sont écoulées avant que je prenne la peine de lui écrire un message, lui disant tout ce que j’avais sur le cœur. Je ne m’attendais pas à une réponse de sa part, très honnêtement, et je n’en ai pas eu.

Chapitre 2 – Cette maladie

Si je devais parler de mon enfance, ce qui est assez étonnant, c’est que j’ai peu de souvenirs de moi étant tout petit. Je ne sais pas pourquoi mais dans une journée lambda où vous êtes amené à parler d’enfance avec une autre personne, vous voyez tout de suite que cette personne a plusieurs souvenirs. Moi, j’ai l’impression de devoir réfléchir énormément pour que ça me revienne. Là comme ça, j’ai un souvenir qui me vient, de moi jouant tout simplement sur une petite voiture électrique tout seul dans la petite allée du jardin de la maison de mes parents.

Les autres souvenirs qui me viennent sont plus récents, je suis un peu plus grand, avec mes frères par exemple. Ils aimaient bien m’embêter comme je suis le plus petit. Je me souviens de ce jour où l’on mangeait des pâtes et que mon plus vieux frère avait caché un peu de sauce piquante où je ne sais quoi d’autre, mais quelque chose de piquant sous mes pâtes. J'ai pleuré, mais je me souviens surtout que mon assiette avait fini sur lui et que c’était lui, au final, le piégeur piégé. Je me souviens aussi du nombre de fois où nous faisions les fous dans les fauteuils du salon et qu’il était l’heure de manger, mon père nous appelait à chaque fois plusieurs fois pour nous dire de venir manger mais aucun de nous trois ne bougeait. On se levait direct quand on voyait qu’il venait au niveau de la porte de la cuisine, qu’il s’appuyait sur le mur et qu’il nous disait « bon vous venez manger ! ».

Il y a en revanche un souvenir que j’ai toujours en tête : c’est une salle d’attente avec un aquarium. Je suis avec ma mère, on est assis et on attend notre tour, comme tous les trois mois. On est à l’hôpital, la salle d’attente a cette odeur de neuf, on remarque tout de suite que l’établissement a été construit récemment. On le remarque aux sièges impeccables, à la couleur des murs dont on devine la fraîcheur de la peinture, aux belles portes de chaque bureau médical qui paraissent neuves. Du moins si elles ne le sont pas, on se rend compte que ça n’a rien d’ancien. Ce fameux grand aquarium, fixé sur un beau meuble en bois, respire le neuf. Jamais auparavant, je n’avais vu d’aquarium dans une salle d’attente. Celle de l’ancien hôpital où j’allais avant était beaucoup plus triste, moins colorée, les sièges montraient à eux seuls l’ancienneté des lieux, tout comme les portes ou même tout simplement les clenches des portes. Je pense que le fait de parler d’hôpital et de cycle répétitif tous les trois mois vous inquiète ?

Mais non, il n’y a pas lieu de s’inquiéter, je n’ai pas de maladie grave et mes jours ne sont pas comptés. J’avais juste ce rendez-vous habituel avec ma mère tous les trois mois à l’hôpital étant petit, pour contrôler si tout allait bien, je vais vous expliquer. Je ne sais même pas combien nous sommes en France ni dans le monde à être concerné par ce souci de santé. J’ai d’ailleurs demandé récemment au médecin qui me suit actuellement (oui, je suis encore suivi pour ça, c’est saoulant un peu, mais bon tout va bien) s’il y avait possibilité de rencontrer un autre patient « comme moi » et il m’avait expliqué que ce serait faisable si le service de l’hôpital mettait en place une journée entre différents patients pour pouvoir échanger sur le sujet. A ce jour, je n’ai toujours pas de nouvelles bien entendu et je n’en aurais jamais d’ailleurs je le sais. Je ne vais certainement pas reposer la question… Idéalement, j’aurais voulu que le docteur me donne les coordonnées d’un patient du même âge et même sexe que moi, pour que nous échangions entre nous, mais en dehors de l’hôpital. J’aimerais juste voir si je retrouve des traits de caractère chez cette personne ou je ne sais quoi d’autre de semblable à mon quotidien. Mais il faut croire que ce n’est pas faisable. En langage scientifique, (et là accrochez-vous bien) je souffre de déficits corticotrope, thyréotrope et somatotrope congénitaux, associés à une section de la tige pituitaire et à une ectopie de la posthypophyse. Alors qu’est-ce que cela signifie ? Franchement dans les grandes lignes, c’est une très bonne question et la réponse dont je dispose se résume à pas grand-chose.

Pour moi et avec des mots simples, cette maladie a été détectée dès ma naissance. Quand je demande à ma mère, elle me dit que ça a été détecté assez vite. En tout cas, il y avait un problème car ma naissance ne s’est pas passée comme prévu. Plusieurs semaines se sont écoulées sans qu’elle puisse vraiment me voir, parce que j’ai attiré pas mal l’attention des médecins sur moi. Honnêtement, j’aimerais vraiment avoir plus de détails, des images claires du déroulement de ma naissance mais je n’en ai pas trop. Je sais que ce problème de tige pituitaire est situé au niveau du cerveau.

Tout cela a eu pour conséquence des piqûres d’hormones de croissance dès mes deux ans et encore à ce jour. Il me semble aussi avoir compris que cela pouvait jouer essentiellement sur ma croissance - je n’aurais pas grandi normalement sans les injections d’hormones de croissance - sur ma concentration, sur ma fatigue de manière générale et que concrètement les injections quotidiennes me permettent d’être quelqu’un de « normal » (enfin si on considère qu’il y a une sorte de normalité dans le monde ?). Voilà comment je résume la chose. Après bien évidemment, en allant effectuer une recherche sur internet on a plus de réponses, mais on a aussi tellement plus d’inquiétudes.

On lit de tout, sur cette fabuleuse création qu’est internet. J’ai déjà effectué plusieurs recherches par mots-clés mais ça part dans tous les sens et ça te propose même des combinaisons entre deux ou trois maladies, comme ça si tu avais peur et que tu avais déjà des interrogations, une fois que tu as fini de lire ça, tu as encore plus d’interrogations et tu ne sais même plus le nom de ta maladie. A chaque fois que je commence à ouvrir la page internet et que je tape un mot-clé, ça finit toujours de la même manière, je repère deux ou trois liens dont les sources me paraissent crédibles, après avoir lu trente secondes la page choisie, j’ai déjà mal au crâne tant les mots employés sont scientifiques, et les dénominations se ressemblent sans forcément me concerner. Au fil des secondes, je n'ai tout à coup plus envie de savoir. Le déni de ma maladie ne me permet pas de l’expliquer vraiment, quand on me demande ce que j’ai précisément, j’explique au minimum et peut être que ça me permet de vivre plus sereinement.

Il y a quand même du positif dans mon traitement quotidien (si si, je vous assure). Le fait de devoir faire des piqûres d’hormones de croissance tous les soirs ça a du bon ! Je me souviens qu’un soir d’été de mon adolescence, nous étions invités avec mes parents et dans la soirée ma mère m’avait dit « on retourne à la maison faire ta piqûre. » Eh bien, figurez-vous que cela m’a permis de m’auto-sauver la vie et de ne pas me faire démolir par mes parents. Dans la journée, avant de partir, j’avais décidé d’ouvrir le robinet extérieur en cachette afin que la piscine que nous venions d’installer soit remplie plus rapidement. Sauf que j’ai un peu oublié de refermer le robinet avant de partir. Le temps de faire ma piqûre, j’ai eu comme un flash me disant : « la piscine ! ». Croyez-moi ou non, je suis allé dehors discrètement refermer le robinet et vu le niveau de l’eau, j’étais à une heure maximum d’une grande catastrophe pour le jardin de mon père, aussi bien pour la pelouse que pour tout le potager ou même la terrasse.

Non mais trêve de plaisanterie, c’est une anecdote qui me revient comme ça mais ce n’était vraiment pas évident de faire les injections tous les soirs. Il faut savoir que les piqûres se stockent au réfrigérateur et qu’on ne peut pas mettre ça dans un sac et partir une semaine tranquillement. Je ne compte pas le nombre de voyages que je n’ai pas faits étant adolescent. Le pire c’est qu’une solution était sûrement possible pour transporter mes piqûres et pouvoir partir, comme par exemple au voyage d’une semaine au ski, organisé par le collège. Mais en fait, de moi-même je ne demandais même pas à mes parents l’autorisation d’y aller parce que je n’avais pas envie de me prendre la tête avec ça. Je vous rassure, aujourd’hui je voyage sans m’en préoccuper, j’ai pris l’avion plusieurs fois en prenant mes ordonnances avec moi en cabine et mon stylo d’injection ainsi que les flacons d’hormones de croissance dans une pochette réfrigérée.

Ça restera toujours une contrainte de penser à faire ces injections tous les soirs. Certains soirs, il m’arrive d’oublier et ce à plusieurs reprises mais bien évidemment j’essaie d’éviter les oublis. Au niveau du traitement, je prends également du Levothyrox et de l’hydrocortisone tous les matins, dosé en fonction des contrôles effectués. Ces contrôles étaient auparavant effectués tous les trimestres, dorénavant et depuis ma majorité, c’est deux fois par an, donc tous les six mois. Ce qui m’embête avec ce contrôle, c’est que le médecin pose toujours les mêmes questions, et peu importe ma réponse, ça ne change rien.

Au quotidien, j’ai une fatigue habituelle, une flemme internationale, en d’autres termes c’est dur de me motiver à quoi que ce soit ; parfois j’ai du mal à me concentrer, je dirais que ma mémoire est bonne mais peut-être pas sur le long terme. J’ai des difficultés à trouver le sommeil normalement le soir, j’aime jouer au football et pourtant même en pratiquant depuis tout petit, j’ai toujours cette masse grasse au niveau du ventre et au niveau pectoral, d’où le sentiment d’être différent des autres. Pourquoi lors de ce contrôle semestriel lorsqu’on me demande si je me sens fatigué et que je réponds : « oui j’ai du mal à dormir tôt, je peux dormir énormément, avoir beaucoup de mal à me réveiller, je me sens fatigué et peu motivé », la réaction du docteur est telle qu’on dirait que j’ai répondu : « tout va bien docteur » ? Tout est forcément lié, non ?

Dans mes brèves recherches sur les mots-clés de ma maladie et notamment le Levothyrox, mon ami internet m’indique que cela a pour impact de l’asthénie, de la fatigue, de l’insomnie, de la dépression et des douleurs musculaires. Concrètement, je me reconnais à 80% dans le personnage décrit dans ces résultats. Oui parce que désolé, mais pour moi le fait d’avoir du mal à se motiver et de se sentir fatigué, donc ne pas bouger les trois quarts de son temps libre, c’est un peu comme faire une dépression, non ? Rester enfermé et préférer passer du temps sur son smartphone plutôt que de profiter des gens qu’on aime, ça ne peut pas également être perçu comme de la dépression ? Moi je pense que oui. Alors pourquoi mes réponses lors de ces contrôles n’ont aucune conséquence ni même aucun changement sur mon quotidien ?

J’ai toujours considéré cet élément comme un manque d’intérêt pour les gens. Ce que je veux dire c’est que chacun consulte un spécialiste, ça peut être un ophtalmologiste pour la vue, un kinésithérapeute suite à un accident, un psychothérapeute pour un problème de couple ou d’addictions, ou tout bonnement un médecin généraliste pour une grippe, et au final sur toutes ces personnes effectuant très certainement leur métier avec professionnalisme, je ne remets pas ça en cause, combien s’intéressent ou ont réellement le temps de s’intéresser à deux cent pourcent à chaque patient ? Très peu et j’ai pu vérifier ma conviction dans plusieurs domaines. Les gens aujourd’hui travaillent pour vivre, ils choisissent un métier qu’ils aiment pour la plupart, par passion, par conviction ou par talent, mais ils ne disposent ni de conditions, ni de ressources suffisantes pour effectuer à fond leur job.

Si je reviens au cas de mes contrôles semestriels, et je ne prendrais que ceux-là pour exemple, généralement j’arrive au rendez-vous, je patiente une bonne demi-heure. Le patient précédent sort, le médecin prend dix minutes maximum seul, pendant lesquelles il fait très certainement un bilan de l’échange qu’il vient d’effectuer et vient me chercher. Je rentre dans le petit cabinet de l’hôpital, il a sorti mon dossier sur la table, ouvert à la page des quelques notes prises six mois auparavant.

Il prend une nouvelle page et commence à me poser inlassablement les mêmes questions que six mois auparavant, dans le même ordre la plupart du temps, je donne les mêmes réponses. Fait incroyable et qui m’a agréablement surpris, la dernière fois, il s’est un peu plus intéressé à ma personne et à ma vie privée en me demandant des nouvelles sur un fait que je lui avais exposé six mois plus tôt. On échange une minute sur le sujet, puis j’enlève mes chaussures pour la pesée. Il prend ma tension et prépare mes ordonnances me permettant d’obtenir l’hormone de croissance et tout le reste en pharmacie. Il me demande à combien j’étais en dosage la dernière fois, me prescrit tout ça et prépare un document pour que je puisse faire une prise de sang à l’hôpital, comme d’habitude, et puis on se dit à dans six mois. Je repars et il prend son patient suivant dix minutes après. Durant ce rendez-vous, autant dire qu’il est assez difficile de sentir un réel intérêt vis-à-vis de ma maladie ou plutôt de l’impact de la maladie sur moi. Je n’en veux pas vraiment au docteur qui fait avec les moyens du bord et avec le temps qui lui est donné, c’est juste un problème bien trop récurrent dans notre société actuelle. Les résultats de la prise de sang diront que je conserve la même posologie pour mon traitement. C’est le cas depuis plusieurs années, pourtant je ne suis pas au top de ma motivation et me sens toujours fatigué.

Chapitre 3 – Ces années lycée

Quand je suis arrivé au lycée, je n’étais pas le genre d’étudiant modèle, à fond dans les études. Mes années au collège et même ma seconde avaient été assez moyennes, je m'intéressais très peu aux cours, je faisais le strict minimum pour ne pas redoubler. J’étais du genre à avoir dix ou onze de moyenne. Ça m’a quand même permis de faire une seconde en cursus général, durant laquelle, bien qu’elle soit toujours « moyenne », j’avais d’assez bons résultats en mathématiques. En fin d’année scolaire, ma professeure de mathématiques m’a parlé plusieurs fois de mon choix d’orientation en première et me conseillait de partir en scientifique, qu’il allait falloir persévérer et travailler dur, mais que concrètement j’étais capable de réussir. Mon choix personnel était loin d’être fait, je n’avais aucune idée sur le métier que je souhaitais exercer plus tard. Si vous me demandiez, comme on le demande souvent, quel métier je voulais faire étant petit, très franchement je n’en avais aucun de réaliste. J’ai toujours rêvé d’être footballeur professionnel, certainement par passion pour ce sport et aussi connaissant les revenus des joueurs de football qui ont réussi leur carrière. Donc oui, l’orientation en première scientifique était une possibilité mais je ne savais pas vraiment si ce serait mon choix final, d’autant que mes résultats en physique chimie et en science de la vie et de la terre4 étaient très moyens. Je ne m’intéressais absolument pas aux atomes ni au granit et je trouvais les cours en question assez longs et ennuyeux. Je pense que, déjà à partir de là, pensant cela à propos de deux des trois matières essentielles du cursus scientifique, j’aurai dû éliminer l’idée, non ? Ça ne m’a pourtant pas empêché de faire l’erreur de partir en première scientifique. Il faut dire que niveau orientation, je trouve qu’on n’était pas vraiment aidé, c’est vraiment le ressenti que j’ai de mon époque, en termes de scolarité.

C’était cool avec les nouveaux copains rencontrés en première scientifique, mais que c’était long ! Vous n’imaginez pas à quel point. Très tôt en début d’année, je me suis dit « t’as vraiment fait un mauvais choix mec ». Quand je repense aux quatre heures de travaux pratiques en physique chimie ou S.V.T avec la belle blouse blanche taguée partout par les potes, c’était incroyablement long. Les résultats en mathématiques, eux, n’étaient pas mauvais du tout, pourtant j’ai très vite été découragé par cette année qui s’annonçait longue et sans succès. Elle me plaisait vraiment cette matière en fait, même si certains cours pouvaient être ennuyeux, c’était assez rare à côté des deux autres matières précitées.

Dans mes souvenirs, il me semble avoir demandé un changement d’orientation après un mois et demi, en accord avec mon professeur de physique chimie, qui voyait bien que je n’étais pas à ma place du tout, mais il était trop tard. J’ai donc dû terminer cette année scolaire, en ne faisant strictement rien dans mes deux matières adorées mais en continuant tout de même à m’intéresser aux maths. Je n’ai pas attendu la fin de l’année scolaire pour me demander quelle direction prendre dorénavant. Le choix qui me paraissait logique : j’aime bien les chiffres mais je n’aime pas la science, je peux logiquement faire une année en première sciences et technologies de la gestion5 en spécialité comptabilité.

C’est donc ce que j’ai fait, et ça a été LA révélation : finies les notes moyennes, les cours sans intérêt et interminables. J’étais dans mon élément et c’était une jolie promenade de santé. Au début, je pensais que je réussissais parce que je n’avais pas accepté l’échec ni de passer pour un nul en choisissant le mauvais chemin qui m’avait mené à la première scientifique. Mais ce n’était même pas ça, je réussissais tout en donnant le minimum.

C’est lors de cette belle année scolaire que j’ai rencontré une personne qui me ressemble énormément et qui est aujourd’hui encore mon meilleur ami : David. On a plein de passions communes, on a les mêmes traits de caractère, le feeling est passé très vite et nous étions toujours à deux en classe. On aimait bien déconner tout en étant assez sérieux en cours. Le fait d’écouter et d’être attentif durant ces heures me permettait d’apprendre et de retenir le plus important, je révisais brièvement avant les tests et ça se passait très bien. D’ailleurs, David pouvait se moquer de moi quand il voyait que j’étais trop sérieux et trop concentré pour rigoler à une blague. Avec les autres, ils me chambraient toujours en me disant que j’étais un « intello » alors qu’il savait très bien, enfin je pense, que je faisais le strict minimum. Ce qui m’a aidé durant cette année scolaire, c’est également de voir des professeurs vraiment passionnés par ce qu’ils enseignaient. Ils savaient combiner sérieux et petits délires et montraient un intérêt réel pour chaque élève avec une relation de proximité qui motive, forcément.

A proximité du lycée, il y avait un grand centre commercial, le midi on aimait bien y aller quand le temps nous le permettait pour acheter un sandwich et avoir le plaisir de prendre un petit peu l’air, loin du quotidien habituel du lycée. On s’y rendait avec David, et d’autres élèves de notre classe. Je me souviens parfaitement de ces midis où nous prenions un sandwich aux abords des galeries marchandes juste à l’entrée du magasin. On essayait de prendre un sandwich et une boisson à moindre coût. On pouvait facilement avoir l’ensemble sous forme de menu, avec la possibilité du petit dessert en complément qui fait plaisir et on s’en sortait pour quelques euros.