2,99 €
Né à Genève le 17 novembre 1828, Franck Coulin a surtout marqué le public évangélique francophone avec ces Conférences sur le Fils de l'homme, dans lesquelles il faisait ressortir la parfaite humanité et la parfaite divinité de Jésus-Christ, à une époque où la critique s'efforçait d'en abaisser la personne. Après avoir beaucoup voyagé, il devint en 1853 pasteur à Genthod, paroisse située sur le lac de sa ville natale ; il y demeura jusqu'en 1895. Parallèlement il enseignait l'homilétique à la faculté libre de théologie de Genève. Cette numérisation ThéoTeX reproduit l'édition de 1867.
Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:
Seitenzahl: 241
Veröffentlichungsjahr: 2023
Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322484416
Auteur Franck Coulin. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.ThéoTEX
site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]Je suis tout ce qui est, tout ce qui a été, tout ce qui sera. Aucun mortel n'a jamais pu lever mon voile. — C'est l'inscription que l'antique Egypte avait gravée sur le fronton d'un de ses temples les plus fameux pour désigner la divinité. Elle témoigne à la fois de cet universel soupir qui porte toutes les créatures à la recherche du Dieu inconnu, et du silence mystérieux qui répond à l'intelligence de l'homme, livrée à ses propres forces dans cette inévitable recherche. — Qu'est-il donc en lui-même, ont demandé tour à tour tous les peuples de la terre, qu'est-il donc en lui-même, ce Tout-Puissant invisible, dont les cieux racontent la gloire, qui remplit tout de sa présence, qui fait de l'univers son temple, et de l'âme humaine son autel ; de qui tout procède, à qui tout revient, qui est, qui a été, qui sera ? — Il s'affirme, s'impose, se fait bâtir en tout lieu des sanctuaires, mais sa face est mystère, et aucun mortel n'a jamais pu lever son voile.
Mes frères, il a paru il y a dix-huit siècles un mortel qui affirme l'avoir à jamais levé, ce voile, que dis-je ? et qui déclare offrir dans sa personne même, aux regards de ceux qui le contemplent, l'image du Dieu invisible. — Un fils de l'homme a osé dire un jour à ses semblables : Nul ne connaît le Père que moi, et ajouter : Celui qui me connaît connaît aussi le Père. C'est la prétention unique dans l'histoire et assurément épouvantable, si elle n'est fondée en vérité, de Jésus de Nazareth. Il l'a exprimée sans réticence et dans toute son énormité devant quelques disciples d'abord, puis devant le peuple, puis devant les puissances, puis devant le monde. Il l'a maintenue sans fléchir, à travers toutes les péripéties, d'une vie terminée par le dernier supplice ; et, en quittant cette terre, il l'a laissée comme article de foi unique et définitif, au genre humain haletant à la poursuite du vrai Dieu : Celui qui croit au Fils a la vie éternelle !
Il est vrai que cette prétention en rappelle et en suppose une autre plus extraordinaire encore. Il était, dit-il, il était lui-même au commencement avec Dieu, dans le sein de Dieu, comme un fils unique de Dieu, et n'est devenu homme que précisément dans le but d'écarter tout voile de devant le regard des hommes, en leur découvrant la face de Dieu : La Parole était au commencement, la Parole était avec Dieu et cette Parole était Dieu. En elle était la vie, et cette vie était la lumière des hommes. La Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous pleine de grâce et de vérité, et nous avons vu sa gloire telle qu'est celle du Fils unique venu du Père. Ainsi s'exprime un des historiens de sa vie, le confident le plus intime de sa pensée et de ses enseignements.
Une étude complète sur la personne de Jésus-Christ, supposerait peut-être avant toutes choses, l'établissement de cette préexistence, et la preuve de ce caractère surnaturel et divin. Mon but n'est pas d'en aborder la démonstration, cependant. Je tiens le point pour établi, est-il besoin de le dire ? et ne fais aucun mystère de ma conviction. Mais je veux me placer avec vous sur le terrain de ceux qui ne la partagent pas, et je me propose de vous entretenir dans ces conférences de Jésus homme, fils de l'homme. Je vais à sa rencontre sur le grand chemin de l'histoire. Je prends son nom tel que je le trouve inscrit dans les fastes du genre humain, sur l'arbre généalogique de notre commune famille. S'il a par devers lui une parenté plus noble, tant mieux ! l'éclat en rejaillira sur nous. Je n'en serre pas sa main avec un moins libre abandon, en lui disant : mon frère !
Ne croyez pas que je sois embarrassé par le point de vue spécial auquel je m'arrête. Au contraire ; car si la doctrine chrétienne sur la personne de Jésus-Christ est fondée, remarquez bien qu'elle implique deux choses, à mon avis, d'une égale évidence. La première, c'est sa réelle, sincère et explicite humanité. La seconde, c'est que cette humanité elle-même doit être marquée d'un tel sceau, qu'il demeure impossible de ne pas remonter plus haut pour l'expliquer. Le titre même qu'il s'est donné, et que nous avons inscrit sur notre drapeau, parce qu'il l'affectionnait entre tous, ce titre de Fils de l'homme, s'il ne désigne pas un homme, n'est qu'un titre de mensonge ; et s'il désigne un homme que rien ne recommande à l'exclusive attention de tous les autres, un vain titre de fatuité. Le Fils de l'homme, c'est celui qui est unique entre les hommes, quoique réellement et fondamentalement homme.
Je prends donc pour point de départ cette parfaite humanité de Jésus-Christ, et en en relevant le caractère exceptionnel, mon but serait de vous conduire à la conclusion que proclame l'Évangile : Dieu lui-même est en Christ réconciliant le monde avec soi.
Voici du reste la marche que nous suivrons :
Commençant par une appréciation générale du personnage historique dont je propose l'étude à vos méditations, nous caractériserons, l'homme, son plan, sa méthode. — Ce sera le sujet de cette première conférence.
Elle nous amènera, si elle est bien conçue, à réclamer la perfection morale de celui qui se présente sur le théâtre du monde, avec un programme tel que celui de Jésus de Nazareth. — Nous verrons dans un deuxième discours s'il a satisfait à cette condition.
Dans un monde où régnent le péché et la souffrance, la sainteté parfaite ne saurait se soutenir elle-même en regard du péché, qu'à la condition de porter dans toute sa rigueur, le poids absolu de la souffrance. C'est dans la souffrance et par la souffrance qu'elle reçoit, tout ensemble, et rend son suprême témoignage. — L'immolation du Saint et du Juste, sa libre descente dans l'enfer de la douleur, de la mort et de la malédiction, sera notre troisième sujet d'entretien.
L'histoire du Fils de l'homme arrive ici à son point culminant d'intérêt. Une lutte d'un caractère absolu s'est engagée, une question palpitante se pose : A qui restera la victoire ? — A la puissance du péché par le triomphe de la mort, ou à la puissance de la vie par le triomphe de la victime sainte ? — Question de fait, qui nous obligera d'envisager en face l'événement capital de l'histoire évangélique : La Résurrection de Jésus-Christ. — C'est la clef de voûte de tout notre édifice. Je vous le dis d'avance.
Enfin dans un dernier discours, du caractère même du Fils de l'homme, et de sa manifestation triomphante au sein de l'humanité ; en d'autres termes, de tout le travail de son âme, tel qu'il se sera déroulé devant nos yeux, nous verrons sortir les titres, disons mieux, le fait d'une royauté réelle qui, établissant son siège dans les consciences elles-mêmes et dans les âmes, jugera le monde dans l'éternité, après avoir assemblé l'Église dans le temps.
Jésus de Nazareth, le Saint et le Juste, l'Homme de douleur, le Ressuscité, le Roi ; c'est un drame où tout s'enchaîne par un lien nécessaire, et dont le dénouement n'est rien moins que celui des destinées de l'humanité selon le plan de Dieu, qui a donné son fils unique au monde, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. Certes, un tel sujet se recommande lui-même, vous en conviendrez, aussi bien par sa grandeur que par son actualité. Je l'aborde en tremblant, effrayé pour ces solides fondements de notre foi, du compromettant contact de mon infirmité. Mais je l'aborde avec joie cependant : Parler de toi, rien que de toi, directement de toi, ô Jésus, ô mon maître bien aimé, et suivant le chemin que tu as toi-même choisi, manifester ta gloire sous le manteau de tes humiliations, n'est-ce pas de quoi faire tressaillir un cœur qui te chérit, et auquel tu fais tant de bien ?
Vous vous associerez à nos efforts, mes frères, vous nous soutiendrez de cette attention sérieuse, sympathique, qui nous a été d'un si puissant secours dans une précédente occasion, et dont nous conserverons toute notre vie un si reconnaissant souvenir. Mais par dessus tout, ensemble nous demanderons, et pour vous et pour nous, l'assistance de cet Esprit dont le Fils de l'homme disait à ses disciples : C'est lui qui me glorifiera, parce qu'il prendra de ce qui est à moi et vous le communiquera.
J'ai dit qu'il s'agissait d'un drame : je devrais peut-être commencer par vous en retracer la scène. Il faudrait pour cela vous peindre tour à tour l'antique cité de Bethléem sur les collines de Juda, son hôtellerie, son étable ; puis la bourgade de Nazareth, gracieusement étalée sur les pentes d'une verte vallée, avec ses demeures orientales, et au milieu d'elles la maison du charpentier Joseph ; puis les bords du lac de Tibériade, ses villes, ses villages ; puis Jérusalem, la ville sainte.
Sur ce théâtre vénérable, consacré déjà par tant d'émouvants souvenirs et prêt à en recevoir de bien plus émouvants encore, commence une vie de tout point semblable à toutes les vies qui commencent. Un petit enfant vient au monde, il est enveloppé de langes, et fait entendre ces premiers vagissements, par lesquels l'homme publie en naissant, sa misère et son infirmité. L'enfant grandit, il a une mère qui repasse en son cœur cette histoire tant de fois répétée, et cependant toujours nouvelle pour le cœur des mères, du premier sourire, du premier pas, du premier mot, de la première question, de ces premières lueurs qui annoncent l'aurore de la connaissance et le lever de la réflexion dans le ciel de l'âme.
Ne vous figurez point, cependant, un autre prodige que le prodige de toute enfance en son développement. Apprenez que celui auquel on donna dès sa naissance, ce beau nom de Jésus qui signifie Sauveur, était soumis à ses parents et leur complaisait en toutes choses. N'hésitez pas à vous le représenter sur les genoux de Marie, recevant les premières nouvelles du Dieu d'Abraham, et de l'histoire d'Israël, ou dans l'atelier de Joseph, s'essayant à manier les outils de sa profession. Il perdit vraisemblablement ce dernier de bonne heure, car dans les premiers jours de son ministère, lorsqu'il vint prêcher dans sa patrie, on disait de lui : N'est-ce pas là ce charpentier fils de Marie ? « comme celui, dit Bossuet, qu'on avait vu, pour ainsi parler, tenir la boutique, soutenir par son travail une mère veuve, et entretenir le petit commerce d'un métier qui les faisait subsister tous les deux. »
Nous aimons à recueillir les détails caractéristiques de l'enfance des grands hommes, pour y surprendre le premier éveil de leur supériorité et les premiers gages de leur gloire à venir. S'il nous en a été conservé si peu, et de si peu saillants sur l'enfance de Jésus, ne serait-ce pas qu'elle se prêtait moins que toute autre à ce genre d'illustration, et qu'elle s'effaçait en quelque sorte, à force d'être naturelle ? Quoiqu'il en soit, il faut bien que nous respections l'obscurité où s'ensevelissent les premières années de celui qui devait éclairer le monde, à partir du jour où il quitta sa retraite pour se manifester au monde. Une seule chose demeure évidente, c'est que cette enfance et cette jeunesse furent d'une entière et transparente pureté, sans quoi, la suite serait absolument inexplicable. Toute blessure faite à l'âme laisse une trace, une cicatrice, que vous chercheriez en vain dans l'âme de celui qui a pu dire avec une si ferme conscience : Le Prince de ce monde n'a rien en moi ! — Il croissait en sagesse, en stature et en grâce devant Dieu et devant les hommes. Voilà tout.
Au fond, le Jésus que nous connaissons, n'est guère que le Jésus des trois années de son ministère public, et cependant, on l'a souvent remarqué, s'il y a dans l'histoire une figure vivante et familière, c'est celle-là. Les biographies évangéliques n'embrassent qu'un très court espace de temps, dans un très petit nombre de pages. Mais elles ont un mérite, emprunté, sans doute, au héros lui-même : celui d'une merveilleuse et insurpassable sincérité. Je ne dirai pas seulement qu'elles portent le cachet d'un témoignage oculaire ; mais bien, qu'en les lisant, on se croit presque soi-même un témoin oculaire, tant celui dont elles nous retracent l'histoire à dix-huit siècles de distance, se présente et se meut naturellement devant nos yeux. Vous allez avec lui de lieu en lieu ; vous vous mêlez à la foule qui l'entoure ; vous suivez ses pas avec les disciples ; vous subissez l'ascendant de son autorité morale sans exemple ; vous êtes touchés de ses bienfaits, illuminés de sa parole ; il vous transporte et vous retient sans effort dans la région du sublime : vous ne pouvez échapper à cette conviction que jamais homme ne s'est élevé plus haut que cet homme ; mais en même temps, vous êtes saisis de cette impression, que jamais homme n'a été plus étranger à tout caractère d'emprunt, et n'est demeuré plus spontanément jusqu'au bout, ce qu'il était en lui-même et dans les données primitives de son individualité. Volontairement ou involontairement, tous les hommes posent plus ou moins : lui, nullement. Et si j'osais hasarder cette expression, pour faire comprendre ici toute ma pensée, je dirais que c'est l'homme le plus primesautier qui ait jamais vécu. Socrate est un philosophe ; César, un homme de guerre ; Jésus… est Jésus de Nazareth. Il n'y a rien de plus à en dire.
Je ne sache pas qu'on ait jamais entrepris de démontrer que tel personnage de l'histoire, Socrate, César par exemple, appartenait bien authentiquement à la famille humaine ; mais à supposer qu'on eût à faire cette démonstration d'un genre nouveau, comment s'y prendrait-on ? J'imagine que l'on chercherait sous des traits spéciaux du caractère et de la destinée par lesquels le héros se distingue du reste de l'humanité, les traits communs par lesquels il se confond avec elle. On dirait de César : Quoique homme de guerre, ambitieux, grand politique, cependant par les pensées de son esprit, les sentiments de son cœur et les expériences de sa vie, il rentre comme un simple mortel dans le fond commun de l'humaine nature.
Que dirons-nous de Jésus ? Vous chercheriez en vain à le sortir de sa catégorie, à le dépouiller de son costume, à le distinguer d'abord pour le confronter ensuite. Vous chercheriez en vain ici l'homme sous le héros, en un mot ; car ici, le héros c'est l'homme lui-même.
Or, tel qu'il nous apparaît dans l'extrême simplicité de son personnage, que lui manque-t-il des expériences essentielles de la vie humaine ? — Il a un corps, faut-il le dire ? tel que le nôtre, un corps qui mange, qui boit, qui dort, qui se fatigue, qui souffre, qui défaille, qui meurt. — Il a un cœur, faut-il le dire aussi ? un cœur qui aime, qui vibre tour à tour à toutes nos affections, à celles de la famille, à celles de l'amitié, à celles de la patrie, à celles de l'humanité par dessus tout. — Il a une âme qui s'émeut, qui frémit, qui craint, qui espère, qui s'enflamme, qui s'indigne, qui connaît aussi bien les tressaillements de la joie que les agonies de la tristesse. — Il est fils, il est citoyen, il a été charpentier, il demeure pauvre… mais surtout, il est homme, et l'est avec tant de vérité que tout homme, de tout temps et de tout pays, reconnaît aussitôt en lui un frère. De fait, nous nous sentons tous plus rapprochés de lui que duquel que ce soit des hommes de l'histoire, qui seront pour nous des Grecs, des Romains, des anciens, des modernes, avant d'être des hommes. — « Je suis homme, et rien de ce qui « est humain ne me demeure étranger, » a dit le poète latin. Je ne connais qu'une figure au-dessous de laquelle on puisse inscrire cette parole avec une entière vérité : c'est la figure de Jésus de Nazareth. Mais je pressens, depuis un moment, une réclamation qui s'élève dans votre esprit. Il y a une expérience, allez-vous dire, qu'il n'a pas faite. Il y a un signe qu'il n'a pas reçu et dont le défaut suffit, pour l'isoler absolument au sein de l'humanité. Nous avons beau chercher, nous ne retrouvons pas en lui… — Quoi ? — Le péché. — Le péché ! ah ! je n'en disconviens pas, voilà bien un trait de famille que nous portons tous. Prenez l'homme dans le passé, dans le présent, à tous les degrés de civilisation, sous toutes les latitudes, prenez-le chez les plus nobles représentants de son espèce, comme chez les plus dégradés ; partout, partout, vous rencontrez l'empreinte ineffaçable de la tache originelle. Chacun reçoit sa part du lamentable héritage que les générations humaines se transmettent à travers les siècles. Quiconque ouvre les yeux à la lumière de la vie, arrive doté à l'avance de cette richesse de malheur. Nul n'échappe à son lot de misère ou d'infamie. Jésus y est étranger, cela est vrai. Vous ne le reconnaîtrez pas à ce signe.
Mais quoi ? Est-ce donc là le signe auquel l'homme reconnaît dans l'homme son semblable ? Est-ce donc là une de ces données constitutives sans lesquelles il cesse d'être ce que son Créateur l'a fait ? — Dites alors que mieux un homme suit la loi de son développement, plus il doit avec le reste développer infailliblement le germe de tous les vices. Dites que plus un homme s'avilit et se dégrade, plus il devient vraiment homme ! — Quelqu'un a-t-il jamais prétendu que les difformités physiques fussent un des signes de la race, et qu'il manquât quelque chose à un homme s'il n'était ni manchot ni boiteux ? Et ne voyez-vous pas que les difformités morales nous éloignent de notre origine au même titre, mais bien plus encore que les difformités physiques ? Le langage en fait foi, mes frères, quand la qualification la plus indulgente qu'il applique à nos passions et à nos vices, est de les nommer des défauts, c'est-à-dire des déficits. Ce sont, à tout le moins, les disgrâces, les impotences de l'âme. Or, l'âme humaine, même dégradée, a d'autres traits où se reconnaître, grâce à Dieu, que ses laideurs et ses infirmités.
Quand la société des hommes serait réduite à une troupe d'invalides dans un hôpital, refuserait-elle de reconnaître un frère, dans le visiteur bien portant qui viendrait bander ses plaies ? Non, non, mes frères, si Jésus nous apparaît exempt des maux qui nous rongent, cherchons un meilleur signe de son humaine fraternité avec ceux qu'il vient chercher et sauver. Voici :
C'est par les beaux côtés qu'il nous a ressemblé.
Ce signe, je vous le montrerai, mes frères, (et serions-nous tombés assez bas, pour en méconnaître la légitime évidence ?) ce signe, c'est cette noble et sainte liberté d'une âme, qui, ne connaissant d'autre loi que la volonté parfaite du Dieu souverainement et éternellement bon, poursuit son œuvre ici-bas, dans la route que Dieu lui trace, et par un naturel ascendant, s'assujettit toutes choses sans s'assujettir à aucune.
Indépendant de la chair, il domine les parties inférieures de son être, et ne se laisse jamais dominer par elles ; il a, comme nous, le service d'un corps, jamais, comme nous, il n'en devient l'esclave ; il se fatigue jusqu'à la souffrance, jamais jusqu'au découragement ; il aime avec une tendresse que nul n'a surpassée, mais qui jamais ne soulève, dans le ciel transparent de son âme, le plus imperceptible nuage de sensualité.
Indépendant des hommes, il domine la société de ses semblables, tout en la servant avec le plus absolu dévouement. Il est le meilleur citoyen d'un peuple, sans en partager jamais, ni les préjugés, ni les passions ; il est de tous les maîtres le plus doux et le plus humble de cœur, sans se laisser jamais, ni retenir ni ébranler, par des disciples, les plus impressionnables de tous les hommes ; il traverse les ovations les plus enthousiastes, sans qu'un cheveu de sa tête frémisse sous le vent de la popularité ; il rencontre la conjuration des adversaires les plus acharnés, sans faire jamais la plus imperceptible concession à la lâcheté ou à la peur, même au plus fort de la tempête.
Indépendant de la nature, enfin, autant que l'esprit est indépendant de la matière, il domine la création, il exerce sur elle un empire qui nous étonne, qui nous frappe d'admiration, et qui, s'il atteste manifestement à tout esprit sincère, l'intervention éclatante du Dieu invisible qui lui rend témoignage, n'en atteste pas moins, aux yeux de tout esprit recueilli, la puissance royale que l'homme avait reçue au commencement, et dont il a perdu dans sa chute, ou le secret, ou la mesure.
Simple et vrai, humble et grand, sans apprêt comme sans effort, l'âme remplie de Dieu, il est chez lui dans l'univers de Dieu, enfin, comme un enfant dans la demeure de son père. Or, essayez maintenant de plonger votre regard dans la pensée de Dieu à l'heure où il se dit à lui-même : Faisons l'homme à notre image, puis reportez-le sur Jésus-Christ, et je vous défie de retenir ce cri : Voilà l'homme !
J'ai annoncé que je vous parlerais en second lieu, aujourd'hui, du plan du Fils de l'homme !
Toute vie d'homme ici-bas, répond à un tableau intérieur que l'âme contemple en elle-même. C'est ce qu'elle voit au dedans, qui détermine le spectacle changeant qui se défoule au dehors. — Dès le jour où nous commençons à prendre conscience de notre existence, nous entrevoyons en nous-même une image, idéale apparition du drame de l'avenir. Ce n'est d'abord qu'une esquisse indécise et fuyante, mais qui s'empare peu à peu de notre attention, nous captive, nous invite à la compléter, jusqu'à ce que toutes nos facultés soient au travail, comme pour fixer sur une toile invisible, cette primitive donnée qu'une main inconnue semble n'avoir jetée là que pour éveiller notre activité. L'ordonnance se modifie, le dessin se complique, les couleurs changent, le point de départ devient souvent méconnaissable : n'importe ! à chaque moment de l'existence, chacun a quelque chose qu'il contemple au dedans de lui. Ce quelque chose, c'est le plan de notre vie, que nous dessinons d'une main, tandis que nous l'exécutons de l'autre. — Voulez-vous savoir ce qu'est un homme ? Demandez-vous ce qu'il regarde en lui-même.
Nous sommes en 1782, je vous conduis à l'école militaire de Brienne et je vous montre là un enfant passionné pour l'étude, mais qui ne rêve qu'aux moyens d'appliquer à l'art de la guerre, les connaissances qu'il puise dans les livres. Les jeux où il entraîne ses condisciples, et où il excelle au milieu d'eux, ne sont que sièges et combats simulés : Que contemple cet enfant ? — Vingt ans plus tard, l'enfant est un homme, il a pris Toulon, fait les campagnes d'Italie et l'expédition d'Egypte. En uniforme de général, il se promène rêveur et pensif dans les allées d'un parc, aux portes de la capitale de la France, qui déjà lui appartient : Que contemple le futur empereur ? — Vingt ans plus tard, enfin, expirant sur un rocher de l'Océan, après de longues et dures années de captivité, ce même homme, à l'instant de rendre l'esprit, n'interrompt le silence léthargique où il est plongé que pour prononcer ces deux mots : Tête de l'armée ! Que contemple l'illustre mourant ? — Si vous pouviez voir se dérouler devant vos yeux, la série des tableaux intérieurs qui ont successivement captivé l'attention de son esprit, vous connaîtriez mieux le grand Napoléon, que par le récit détaillé des merveilles de son histoire.
Or, mes frères, je voudrais savoir ce qu'a contemplé le Fils de l'homme. — Un trait de son enfance, nous le montre déjà sous l'empire d'une préoccupation, qui commence à grandir, exclusive et absorbante, au dedans de lui. Ses parents l'ont conduit à Jérusalem ; il a assisté à la grande solennité de la Pâque ; il a vu la foule assemblée autour des parvis du temple ; il a visité la ville qui tue les prophètes ; il a entendu la voix des docteurs ; il s'est oublié dans ses pensées ; quand on lui demande la raison d'un retard qui paraît inexplicable : Ne faut-il pas, répond-il, que je sois occupé aux affaires de mon Père ? — Dans la suite, quand le travail de son œuvre le ramène à Nazareth auprès des compagnons de son enfance ; pour leur découvrir le caractère qu'il s'attribue à lui-même, il déroule au milieu d'eux le livre d'Esaïe, et leur lit ces paroles : L'Esprit du Seigneur est sur moi. Il m'a envoyé pour annoncer l'Evangile aux pauvres, pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour publier la liberté aux captifs et le recouvrement de la vue aux aveugles, et publier l'an de la bienveillance du Seigneur. — Maintes fois, au milieu des foules assemblées pour l'entendre, ou dans l'intimité de ses disciples, il prononce des paroles d'une simplicité sublime et d'une insondable profondeur, qui découvrent pour ainsi dire, le fond limpide de son âme. Il veut fonder le royaume de Dieu. Son désir est que tous soient unis en lui, comme lui-même est un avec le Père.Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. A quelles vues du dedans, à quelles perspectives de l'âme, répondent ces témoignages de sa bouche ? Qu'est-ce donc qu'il contemple dans le secret sanctuaire de sa pensée ?
Je me place en face de quelques-unes des scènes de sa vie. Je m'arrête à le considérer assis au bord du puits de Jacob, attendant ses disciples, qui ont été jusqu'à la ville voisine ; il est là, seul et pensif, le regard fixé sur les campagnes déjà blanches pour la moisson. — Je le vois entouré d'une multitude qui lui amène ses malades, ses affligés, ses enfants ; il s'arrête, se tait, lit dans les regards, interroge l'expression des physionomies ; en même temps son cœur se serre, sa poitrine se soulève et ses disciples nous le peignent ému de compassion. — Arrivé au terme de sa carrière terrestre, cloué sur la croix, plongé dans les solennelles pensées de son œuvre qui s'achève, revenant sur le passé, prenant possession de l'avenir, il se prend à dire : Tout est accompli ! — Qu'est-ce donc dans ces divers moments, et dans tant d'autres que vous y pourriez joindre (car aucune vie ne présente une semblable unité de préoccupation), qu'est-ce donc qu'il contemple ?
Mais ce n'est pas assez d'interroger sa vie pour connaître sa pensée. Après tout, cette vie est si simple, elle fait si peu de bruit, elle jette si peu d'éclat extérieur, qu'on peut n'être pas frappé des proportions inouïes de la préoccupation qui la remplit. Nous n'avons pas ici les mesures ordinaires. Les hommes qui marquent dans l'histoire, se révèlent par l'éloquence de leurs discours, par la profondeur de leurs écrits, par le tumulte des agitations politiques ou sociales, à la tête desquelles ils se placent. Il faut voir chez eux le tableau dans son cadre, et ce cadre s'étend à peine au-delà des limites de leur milieu contemporain. — Ce qui caractérise le Fils de l'homme, au contraire, c'est que sa vie, si simple, paraît renfermer une pensée de plus en plus vaste et de plus en plus profonde, à mesure que les siècles s'écoulent et que l'humanité s'avance dans le chemin de ses destinées. Que de merveilles déjà ses contemporains n'eussent jamais soupçonnées, et dont nous sommes contraints de dire aujourd'hui : Elles étaient dans ses vues ! Et que de merveilles, sans doute, nous n'entrevoyons pas même, dont nos arrière-descendants diront : Il les avait aussi prévues ! L'histoire du monde, depuis dix-huit siècles, n'est que la transcription à peine commencée de ce qu'il voyait en lui-même. Et ce qu'il voyait en lui-même ne sera pleinement manifesté, qu'après que l'histoire du monde aura parcouru, jusqu'à la dernière, toutes les phases de son déroulement. Mais, ce que nous ne pouvons pas voir, essayons du moins de l'entrevoir.