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Le sermon peut porter sur un thème, tandis que l'homélie est plus spécialement un commentaire d'un court passage biblique. Les homélies de Franck Coulin, pasteur suisse de renom, ont conservé dans notre siècle toute leur pertinence et toute leur fraîcheur. Cette numérisation ThéoTeX en rassemble vingt-quatre, prêchées au long de son ministère.
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Seitenzahl: 784
Veröffentlichungsjahr: 2023
Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322484409
Auteur Franck Coulin. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.ThéoTEX
site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]Voilà toute une biographie — bien courte, pour une si longue vie ! Mais je ne sache pas qu'il s'en puisse imaginer une plus belle que celle-là. Elle se résume en un seul mot, mais ce seul mot élève le patriarche au-dessus de tout ce qui l'entoure, et nous présente en ces temps reculés sa figure monumentale comme un premier grand et pur modèle à imiter : Hénoch marcha avec Dieu.
Ce qui donne un relief particulier à la figure de cet homme de Dieu, c'est qu'elle se détache sur le fond le plus sombre. — Comme une épidémie qui jamais ne sévit plus violemment qu'au moment de sa première invasion et durant ce qu'on pourrait appeler sa période aiguë, le mal semblait avoir tout envahi sur la terre, et à aucune autre époque de son histoire, peut-être, l'humanité ne descendit plus bas dans la corruption des mœurs et dans l'oubli de Dieu, que durant ces jours ténébreux qui ont peu à peu embrasé la colère de l'Eternel et amené la catastrophe du déluge.
La Bible, toujours si sobre dans son inépuisable abondance, ne nous donne que bien peu de détails sur cette première décadence de la race humaine, mais ces détails font tableau et laissent dans l'esprit une ineffaçable et lugubre impression. C'est, après le meurtre d'Abel, ce premier fruit sanglant de la première désobéissance, le triomphe des méchants, l'accroissement et le règne de la postérité corrompue de Caïn ; — ce sont les crimes de Lémech, le premier tyran polygame, le premier qui ait érigé la vengeance en système et le meurtre en principe ; — c'est la séduction des fils de Dieu, ou des descendants de Seth, par les filles des hommes, ou les femmes de la famille de Caïn, qui entraîna l'humanité entière dans un même courant d'impureté et de perdition ; — c'est le débordement d'une civilisation effrénée, c'est l'âme étouffée sous la vie de la chair, c'est la noble créature faite à l'image de Dieu, abrutie et entièrement à terre, c'est ce monstrueux avènement de la matière, signe infaillible d'une société qui s'effondre ; — c'est le désordre, enfin, arrivé à un tel degré d'intensité et d'universalité, que l'Eternel, dit Moïse, voyant que la malice des hommes était très grande sur la terre, et que toute l'imagination des pensées de leur cœur n'était que mal en tout temps, se repentit d'avoir fait l'homme sur la terre, et dit : J'exterminerai de dessus la terre les hommes que j'ai créés.
Sur ce fond obscur, à peine la Bible trouve-t-elle à nous citer les noms d'une lignée d'hommes fidèles et pieux : Seth, Enos, Kénan, Mahalaléel, Jéred, Hénoch, Méthuséla, Lémec et Noé, qui brillent, on peut bien le dire, comme des flambeaux au milieu de la génération incrédule et perverse. Quelque pénible que soit le sentiment qu'on éprouve à voir dès les premiers jours la Parole du Seigneur si pleinement vérifiée : il y en a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus ; la foi reçoit néanmoins un puissant encouragement à reconnaître qu'il y a toujours eu du moins le petit nombre d'élus, et que même dans les temps les plus sombres, Dieu n'a jamais complètement abandonné l'humanité à ses voies de perdition ; — toujours, la cité de Dieu, le petit troupeau à côté, ou plutôt au milieu de la cité du monde, de la multitude se ruant aux abîmes par la voie large et le chemin spacieux ; toujours quelques étincelles couvant encore sous la cendre et prêtes à se ranimer au premier souffle vivifiant de l'Esprit d'En Haut.
Au temps du déluge, c'est Noé seul et sa famille ; — après la dispersion de Babel, c'est Abraham seul et sa famille ; — puis c'est le peuple de Dieu, et dans ce peuple même, suivant les époques, c'est Josué et sa famille, ce sont les sept mille qui n'ont pas fléchi les genoux devant Bahal ; c'est Siméon et ceux qui, comme lui, attendaient la délivrance d'Israël ; — plus tard ce sont les douze, ce sont les péagers qui se convertissaient à leur parole, ces enfants de la sagesse dont parle le Sauveur (Luc 7.35) ; c'est l'Eglise naissante ; — plus tard encore ce sont ces faibles lueurs qui ne cessèrent de briller au firmament pendant la nuit du moyen âge, comme un reflet tardif des premiers jours, à la fois, et comme l'aurore bénie de la bienheureuse Réformation.
Avant le déluge, Dieu a eu de même son peuple,… hélas ! ou plutôt sa famille, ses témoins, ses deux ou trois, entre lesquels se distingue par la pureté du témoignage qui lui est rendu, l'homme de Dieu dont l'histoire va faire le sujet de notre entretien. — Tout le temps qu'Hénoch vécut, fut 365 ans. Hénoch marcha avec Dieu, puis il ne parut plus, parce que Dieu le prit. — Je vois là trois choses : la durée de la vie de Hénoch, le caractère de sa vie, la fin de sa vie. Trois sujets de réflexion.
Tout le temps qu'Hénoch vécut, fut 365 ans. — Cette simple parole par laquelle le Saint Esprit résume la durée des jours du patriarche, ne nous arrive-t-elle pas des profondeurs silencieuses où se perd son histoire, avec un retentissement solennel ? La vie humaine, contemplée dans cet éloignement, justifie à la lettre les images les plus hardies que la poésie ait inventées pour en figurer l'insaisissable brièveté. C'est bien ici : une fleur qui s'est épanouie dans le désert pour tomber flétrie avant le soir, un éclair qui a brillé dans la nuit, une vague qui a élevé sa tête au-dessus de l'Océan, une vapeur, un songe !… Hénoch vécut… Il vécut longtemps sans doute, plus longtemps qu'aucun de nous ne peut espérer de vivre, quatre fois au moins le temps de ceux qui, de nos jours, arrivent au plus grand âge. Et néanmoins cette longue vie eut un terme, et ce terme la rendit aussi courte que les vies les plus courtes. Au lieu de 365 ans, mettez 65 ans, mettez bien moins encore, l'impression reste la même. La valeur du chiffre disparaît entre ces deux termes qui seuls contiennent tout le sens et toute la morale de l'histoire : Hénoch vécut… puis il ne parut plus !
Cette réflexion ne s'applique point seulement, ni même particulièrement à la vie d'Hénoch. Elle retentit avec une force vraiment saisissante dans le chapitre entier d'où est tiré mon texte. On dirait que, dans la même fraction des Ecritures où le Saint Esprit nous rapporte les exemples de longévité les plus extraordinaires qui aient existé, il ait voulu nous faire toucher au doigt par ces exemples mêmes, la vanité et le néant de notre vie terrestre. — Au verset 5, nous lisons : Tout le temps qu'Adam vécut fut 930 ans, puis il mourut ! — Au verset 8 : Tout le temps donc que Seth vécut fut 912 ans, puis il mourut ! — Au verset 11 : Tout le temps donc qu'Enos vécut fut 905 ans, puis il mourut ! — Au verset 14 : Tout le temps donc que Kénan vécut fut 910 ans, puis il mourut. — Au verset 20 : Tout le temps donc que Jéred vécut fut 962 ans, puis il mourut ! — Au verset 27 : Tout le temps donc que Méthuséla vécut fut 969 ans, puis il mourut ! — Au verset 31 : Tout le temps donc que Lémec vécut fut 777 ans, puis il mourut !
On dirait en lisant cette page, parcourir un de ces caveaux funèbres où sont déposés les restes d'hommes qui ont rempli le monde de leur renom pendant leur vie. L'imagination se transporte alors à ce qu'on peut appeler le temps de leur vanité ; elle évoque rapidement quelques-uns des souvenirs les plus saillants de leur existence passée. — Celui-ci fut un monarque puissant et glorieux devant lequel le monde tremblait : Il a fait des conquêtes, il a bâti des palais, il a amassé des trésors, il a déployé toutes les pompes du pouvoir et de la richesse. — Celui-là était un homme de génie, dont les œuvres ont obtenu ce qu'on se plaît à nommer ici-bas l'immortalité, et qui a savouré à satiété de son vivant cette fumée qu'on appelle la gloire ! — Ci repose ce qui fut une femme célèbre en son temps par les grâces de sa personne et les charmes de son esprit. Elle a fait les délices de la société pendant sa vie, et s'est vue, comme on le dit avec trop de justesse, idolâtrée de tout ce qui l'entourait. — Un peu plus loin, un homme riche qui avait des biens en abondance pour longtemps, qui se traitait magnifiquement et délicatement, à qui tout le monde portait envie… Hélas ! et de tout cela, que reste-t-il ? Une poignée de poussière, qui dort immobile depuis des siècles dans le silence et la nuit d'un cercueil, une inscription gravée sur le marbre, plus durable que ce qu'elle rappelle, et que le temps néanmoins finira bien par effacer à son tour.
Ainsi de ces hommes qui ont vécu près d'un millier d'années, qui ont assisté à des séries d'événements, comme celles qui se sont succédé depuis Charlemagne jusqu'à nos jours, qui ont peut-être eux aussi rempli le monde du bruit de leur nom pendant de longues suites d'années, pendant des siècles même. Nous les croyons ici comme tombés les uns à côté des autres dans un silence d'oubli qui serait absolu, sans cette parole qui vient clore, comme un refrain, l'histoire de chacun : Puis il mourut ! — « Quelque belle qu'ait été la comédie en tout le reste, dit Pascal, le dernier acte est toujours sanglant. On jette finalement de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais ! »
Joseph est vendu par ses frères à des marchands ismaélites, qui le revendent au grand-officier de Pharaon. Après une série d'épreuves les plus touchantes et les plus dramatiques, il devient le favori du roi d'Egypte qui lui remet son pouvoir entre les mains. Le puissant gouverneur reconnaît ses frères dans les voyageurs harassés qui viennent de bien loin lui demander en tremblant du pain pour eux et leur famille. Il se fait reconnaître d'eux. Il les appelle auprès de lui. Il se jette dans les bras de son père. Il le présente à Pharaon, qui veut recevoir la bénédiction du vieillard. Nous suivons avec la plus palpitante émotion toutes les péripéties de ce drame touchant. Nous vivons, nous pleurons avec ses acteurs en en lisant le récit. Nous tournons la page, et voici ! tout vient se résumer en ce court verset qui clôt une époque et en ouvre une nouvelle : Or, Joseph mourut, et ses frères aussi, et toute cette génération-là !
Tout cela ne renferme-t-il pas une bien simple, mais bien saisissante instruction ? — Tout cela ne nous rappelle-t-il pas que la chose du monde la plus évidente, mais la plus généralement oubliée, c'est que toute chair est comme l'herbe, que notre vie est un souffle qui s'éteint, un rêve dont on ne se souvient plus au matin. — Je ne me rappelle plus quel homme de Dieu, devenu plus tard célèbre par sa foi et par ses œuvres, fut rendu sérieux et amené à l'Evangile par la lecture accidentelle du chapitre sur lequel j'ai attiré votre attention. Il connaissait fort bien la vérité ; il avait entendu tous les appels qu'un homme peut entendre. Il savait, apparemment, ce que nous savons tous, c'est que nous sommes tous mortels, et que nous pouvons à l'heure que nous nous y attendons le moins, être appelés à comparaître devant Dieu ; mais l'attention de son âme n'avait pas encore été éveillée, lorsqu'en voyant revenir cette même parole comme une chute monotone au terme de chacune de ces vies si longues : Puis il mourut ! il fut saisi de cette pensée que bientôt à son tour on en dirait autant de lui ; de là, à la question : Que faut-il faire pour être sauvé ? il n'y a qu'un pas. Et qui s'est une fois posé cette question avec le sérieux qu'elle suppose, en a déjà presque par cela seul trouvé la réponse dans la foi en ce seul Nom donné aux hommes, qui ne se laisse jamais chercher en vain de ceux qu'il cherche lui-même le premier pour les amener au salut.
Mes amis, cette considération n'aura-t-elle pas sur nous un effet tout semblable ? — Cette considération de la brièveté de cette vie, que l'époque de l'année où nous sommes encore nous fait sentir si vivement d'accord avec mon texte, ne nous amènera-t-elle pas à nous demander aussi quelle sera notre fin. — Vous avez déjà remarqué cette exception qui est faite pour Hénoch à la commune formule. Il n'est pas dit de lui comme des autres : Puis il mourut ! Mais bien : Puis il ne parut plus, parce que Dieu le prit. — Et ces mots ont naturellement dirigé vos pensées vers une entrée paisible et triomphante, au terme de cette courte vie, dans la vie éternelle et bienheureuse de ceux qui meurent au Seigneur.
Ici se place une seconde instruction. Pour que notre fin soit comme celle du patriarche une fin bénie, une fin en Dieu, il faut que notre vie ait été comme la sienne une vie fidèle, une vie avec Dieu : Hénoch marcha avec Dieu !
Malgré ce que nous disions tout à l'heure, et quoiqu'elle ait eu un terme ; comparée à d'autres, comparée aux nôtres surtout, la vie d'Hénoch sur la terre fut longue néanmoins. Le temps qu'Hénoch vécut, fut 365 ans ! — Représentez-vous un homme qui serait né avant la Réformation, en même temps que Luther ou Calvin, et qui serait encore aujourd'hui dans la force de l'âge : de combien d'événements n'aurait-il pas été le témoin et l'acteur ? — Que de choses n'aurait-il pas vues et accomplies ? — Ainsi du patriarche de mon texte : que de choses ne vit-il pas et ne fit-il pas pendant le cours de ces trois siècles et demi qu'il lui fut donné de passer sur la terre ?
Il connut les joies de l'enfance, l'exubérance de la jeunesse, les graves intérêts de l'âge mûr. Il vit naître et mourir des milliers de ses semblables, des familles se former, des familles se dissoudre, des villes se fonder, des Etats s'élever, d'autres s'écrouler. Il fut contemporain de découvertes et d'inventions qui changeaient autour de lui la face des choses et les conditions de l'humanité. Il apprit à connaître les sciences et les arts de son temps. Il cultiva les facultés que Dieu lui avait données. Il se maria, il eut des fils et des filles. Il les vit grandir et devenir chefs de familles à leur tour. Il s'occupa de l'éducation de tous ses enfants, de la direction de sa maison, de celle peut-être des affaires publiques de son pays. Il chercha à exercer une influence sur ses contemporains. Il fut prophète de l'Eternel et prédicateur de la vérité. Il composa des livres, nous l'apprenons par l'Ecriture elle-même : En un mot, qui aurait voulu nous faire connaître toutes les actions d'Hénoch, en aurait eu une très longue histoire à nous raconter. — Mais de tout ce qu'il fit, la Bible ne nous a conservé qu'un souvenir : Il marcha avec Dieu ! Ce fut là le but constant, le caractère dominant, l'unité de sa vie entière. Ah ! mes frères, quelque longue ou quelque courte, quelque prospère ou quelque déchirée d'épreuves que soit la vie d'un homme, heureux, heureux celui de qui, au terme de sa carrière, il n'y aura finalement qu'une chose à dire : C'est qu'il marcha avec Dieu !
Image saisissante dans sa simplicité, et qui grave dans l'esprit, sous une forme ineffaçable, la règle même de toute vraie fidélité : Marcher avec Dieu ! — Ici-bas, que sommes-nous, en effet ? — Des voyageurs ! — Du berceau à la tombe, une route nous est tracée, plus ou moins courte, plus ou moins aisée, n'importe ! et, pendant tout le temps que nous passons sur la terre, nous marchons ! — En vain chercherions-nous à nous arrêter ; en vain chercherions-nous à nous faire illusion momentanément, en détournant nos regards de l'avenir pour les attacher obstinément au présent, malgré nous la main du temps nous pousse et nous fait avancer.
Aujourd'hui nous marchons joyeusement, l'âme soulevée, respirant à pleine poitrine, comme le voyageur qui se lève frais et dispos pour reprendre sa route au commencement d'une radieuse journée. Demain, nous irons mornes, abattus, découragés, sous un ciel sombre et menaçant, traînant la vie comme un intolérable fardeau. — Par moment, nous voyons clairement notre but, nous avançons le regard tendu en avant, le cœur porté par l'espérance ; plus souvent, hélas ! nous allons à l'aventure, menés, traînés, sans savoir où ni comment ; semblables au voyageur qui croise les bras et s'endort dans le fond de sa voiture, jusqu'à ce qu'un choc (mortel peut-être) le réveille. — Nous marchons ! nous tous ici, quelles que soient les apparences, nous sommes en voyage !
Et, dans ce voyage, nous ne sommes pas seuls. Nous nous choisissons notre compagnie. Le plus grand nombre, hélas ! ne songe qu'à voyager avec le plus grand nombre, avec tout le monde et comme tout le monde. C'est bien le plus simple et le plus aisé… mais est-ce le plus sûr ? — On n'a pas alors tant à lutter ; on n'a qu'à suivre le courant qui vous porte et le cœur qui vous mène. Et combien, combien dont il n'y a autre chose à dire, sinon qu'ils marchent avec leur siècle, avec leur pays, avec la multitude qui les entoure ! Malheureusement, Celui qui s'appelle le chemin nous crie : Ne suivez pas la multitude, car la voie large et le chemin spacieux mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui y marchent.
Hénoch, lui, le premier, nous montre une autre voie à tenir, et une autre société à choisir dans ce voyage de la vie ; au lieu de marcher avec le grand flot de la multitude, il marcha avec Dieu. Qu'est-ce à dire ?
Chacun s'applique à connaître la société avec laquelle il s'embarque. Meilleure la connaissance faite au départ, meilleures les chances de faire bon voyage ensemble. L'homme qui fait son plan de marcher avec le monde, s'étudie à bien connaître son terrain. Un instinct prudent lui dit d'ouvrir les yeux, d'observer l'allure des habiles afin de les imiter et de se conformer avec eux au siècle présent. — L'homme qui entreprend de marcher avec Dieu, au contraire, commence, avant toutes choses, par s'efforcer d'apprendre à connaître Dieu. Il le cherche d'abord comme en tâtonnant, s'élevant avec effort du visible à l'invisible, et prêtant une oreille attentive à toutes les voies qui nous instruisent de sa part. — Placé au milieu de cette création admirable qui nous montre, comme à l'œil, les perfections invisibles, la puissance éternelle et la divinité de son auteur, il écoute les cieux qui racontent la gloire du Dieu fort, il admire la sagesse de Celui qui a ordonné les saisons ; il se prosterne devant l'infinie bonté qui donne aux oiseaux de l'air leur pâture et pourvoit aux nécessités du moindre insecte. — Reconnaissant dans sa conscience une voix qui lui parle d'En Haut, il en écoute les instructions et reçoit le témoignage que Dieu se rend à Lui-même dans nos cœurs. — S'il a surtout le privilège de posséder entre ses mains une Parole de Dieu, une révélation écrite, il la lit, l'étudie, la sonde attentivement, en fait ses délices de tous les jours, comme un fils isolé dans un pays lointain en agirait avec les lettres de son père. Il en vient ainsi peu à peu à pénétrer dans l'intimité du Seigneur, à le connaître comme il en est connu, à vivre avec Lui dans le doux commerce d'un ami avec son ami.
L'homme qui marche avec le monde, suit la multitude et se laisse aveuglément diriger par elle. Les maximes régnantes, les usages du jour, la coutume, la mode, sont les gens de son conseil, la loi de sa conduite, et le monde n'étant qu'une sorte de prudent compromis entre les égoïsmes de chacun de ceux qui le composent ; dans la mesure où il ne froisse pas les intérêts d'autrui d'une manière qui pourrait devenir nuisible aux siens, ce sont ses intérêts et ses jouissances qu'il recherche avant tout. — L'homme qui marche avec Dieu a une loi et n'en connaît pas d'autre : c'est la volonté de son Dieu. S'il lui arrive de s'en écarter, ce n'est jamais que pour y rentrer bien vite par le retour humiliant et salutaire de la repentance. Il veille sur lui-même pour se mettre en garde contre toute influence qui risquerait de l'entraîner dans des sentiers perdus. Sa nourriture, l'aliment de son âme, est de faire l'œuvre de son Père qui est au ciel. Il n'est ainsi jamais seul, et dans ses entretiens avec Celui qui le conduit ici-bas, il répéterait volontiers comme le psalmiste : O Dieu ! je suis voyageur en la terre, ne cache point de moi tes commandements, tes témoignages sont tous mes plaisirs et les gens de mon conseil. Ta parole est une lampe à mes pieds, une lumière dans mon sentier. J'ai conclu que ma portion était de garder ta parole.
L'homme qui marche avec le monde, cherche à plaire au monde ; le sourire du grand nombre est sa récompense. Il ne porte pas ses désirs au delà. Son ambition est de se faire aimer et considérer ici-bas. — L'homme qui marche avec Dieu, sans mépriser l'opinion de ses semblables, subordonne leur approbation à celle de son Dieu. Plaire à Dieu devient le but et le bonheur de sa vie ; lui déplaire en est le malheur et la malédiction. Il ne conçoit pas de témoignage plus désirable que celui rendu à Hénoch : Il a obtenu le témoignage d'avoir été agréable à Dieu. La question intérieure qu'il se pose devant chaque action de sa vie, n'est pas : qu'en dira-t-on ? mais : qu'en pensera mon Dieu ? et s'il faut que le monde pense mal de ce que Dieu approuve, il n'hésite pas à accepter l'opprobre et le mépris du monde pour s'assurer l'approbation de Celui qu'il a choisi pour son juge et son conseil. Si même il est appelé à souffrir pour la justice, il s'estime bienheureux. Il s'efforce de sanctifier le Seigneur dans son cœur et d'avoir une bonne conscience, afin que ceux qui blâment sa conduite, s'il s'en trouve, soient confus.
L'homme qui marche avec le monde, enfin, regarde au monde. C'est sur lui qu'il s'oriente, et son point de vue ne s'élève pas plus haut. Il a toujours l'idée du monde dans l'esprit. Il cherche les sociétés du monde, les joies du monde, les succès du monde, la gloire du monde. Il se propose toujours le monde devant lui. L'homme qui marche avec Dieu, bien au contraire, a toujours le regard élevé vers Dieu et la pensée de Dieu dans le cœur. — Comme David, au psaume 16. il répète sans cesse en lui-même : Garde-moi, ô Dieu fort, car je me suis retiré vers toi… Les angoisses de ceux qui courent après un autre seront multipliées… Mais l'Eternel est la part de mon héritage. Je bénirai l'Eternel, qui me donne conseil… Je me suis toujours proposé l'Eternel devant moi, et, puisqu'il est à ma droite, je ne serai point ébranlé. — C'est à l'Eternel qu'il regarde chaque matin pour lui rendre grâce du repos de la nuit, et former avec lui le plan de sa journée ; à l'Eternel, que chaque soir il rend compte de son administration. — C'est à l'Eternel qu'il regarde dans la prospérité, pour le bénir : Mon âme, bénis l'Eternel et n'oublie pas un de ses bienfaits. — C'est à l'Eternel qu'il regarde à l'heure du danger comme aux montagnes d'où lui viendra le secours ; à l'Eternel dans l'épreuve, comme au souverain donateur de toute grâce excellente et de toute vraie consolation. — C'est à l'Eternel qu'il regarde à chacune de ces époques solennelles, comme celle d'un renouvellement d'année, qui nous appellent à considérer à la fois, en vue de l'éternité, le passé et l'avenir de notre pèlerinage dans le temps. — Il se demande comment il a marché avec l'Eternel, il implore le pardon de ses nombreuses transgressions, forme de nouvelles résolutions pour l'avenir, enfin réclame sans cesse à son aide le secours de Celui qui lui dit sans cesse : Ne crains point, car je suis avec toi !… Vous le sentez : au fond, la grande différence, la différence essentielle et fondamentale entre l'homme qui marche avec le monde et l'homme qui marche avec Dieu, c'est que l'un croit, l'autre ne croit pas. — Si la réalité du Dieu vivant s'affaiblit dans mon âme, si par suite de ma négligence, de mon imprudence ou de mon aveuglement, je laisse glacer en moi cette image que Dieu y avait empreinte au commencement, et qu'il ne cesse de remettre en lumière par le constant travail de sa Providence et de sa grâce ; dans la même mesure exactement, l'empire des choses visibles grandit, il devient dominant, exclusif, et dans le désert de la vie, il ne me reste plus qu'une société à laquelle je ne suis plus maître d'échapper, celle de la multitude aveugle qui m'enveloppe, m'étourdit et m'entraîne. Il faut marcher avec elle, avec elle il faut borner son horizon, avec elle il faut planter ses tentes ici-bas, avec elle se laisser conduire comme le cœur vous mène et selon le regard de ses yeux, avec elle tourner dans le cercle de plus en plus étroit du présent, avec elle en venir jusqu'à dire :
C'est la foi seule qui nous rend visible Celui qui est invisible, qui le fait devenir une personne et nous permet de marcher avec lui ; aussi la conduite d'Hénoch n'est-elle par l'auteur de l'épître aux Hébreux rapportée qu'à la foi : C'est par la foi, dit-il, qu'Hénoch fut enlevé ; car, avant qu'il fût enlevé, il a obtenu le témoignage d'avoir été agréable à Dieu. Or, il est impossible de lui être agréable sans la foi, car il faut que celui qui vient à Dieu croie que Dieu est, qu'il est le rémunérateur de ceux qui le cherchent.
Il faut toujours en revenir là, c'est la foi qui est la condition de toute vie fidèle, de toute vie avec Dieu : L'œuvre que Dieu demande de nous, c'est que nous croyions. Et qui dit foi dit renoncement, lutte, effort, chemin d'abord étroit et difficile ; mais qui dit foi, aussi, dit espérance, immortalité ; vie avec Dieu, fin en Dieu ! Hénoch marcha avec Dieu, puis il ne parut plus parce que Dieu le prit…
Il ne parut plus parce que Dieu le prit. — En comparant ce passage avec celui de l'épître aux Hébreux, il ne peut rester aucun doute qu'il s'agisse ici d'une dispensation miraculeuse et extraordinaire. Par la foi, est-il écrit, Hénoch fut enlevé pour ne point passer par la mort, et il ne fut point trouvé parce que Dieu l'avait enlevé. — Dieu a permis que dans chacune des grandes périodes de l'histoire de l'humanité, un homme fût de la sorte miraculeusement enlevé au ciel. Avant le déluge, Hénoch ; sous l'économie de la loi, Elie ; au commencement de l'économie évangélique, enfin, Jésus-Christ lui-même, les prémices de ceux qui sont morts, afin que, dans tous les temps, il y eût pour l'humanité, comme une démonstration visible et palpable de l'immortalité et de la vie éternelle.
Du reste, ces grands événements, ces trois ascensions, si l'on peut ainsi dire, dont la dernière est le souverain couronnement des révélations de Dieu, ne font que laisser transparaître à nos yeux le sublime privilège de la foi, car, ainsi que le dit l'apôtre, la foi est une vive représentation des choses qu'on espère, une démonstration de celles qu'on ne voit point encore ; après avoir soutenu le fidèle marchant avec Dieu dans les combats de la vie, c'est elle qui, à l'heure du triomphe, ouvre devant ses pas la porte du ciel, c'est elle qui lui découvre le terme glorieux de ce sentier que la Bible compare magnifiquement à la lumière qui va grandissant dans son éclat, jusqu'à ce que le jour soit arrivé à sa perfection.
Quiconque a marché avec Dieu, a vu son voyage aboutir en Dieu à la paix, à la gloire, à l'éternel rafraîchissement. — Ainsi, les patriarches, Abraham l'ami de Dieu, lsaac, Jacob, tous ceux-là ont marché avec Dieu, faisant profession d'être étrangers et voyageurs sur la terre. Aussi, nous est-il dit qu'ils attendaient la cité qui a des fondements, dont Dieu est l'architecte et le fondateur. Voyant de loin les promesses, ils les ont crues et saluées, ils ont montré clairement qu'ils tendaient vers une autre patrie que celle de la terre, vers une patrie meilleure, c'est-à-dire la céleste. — Ainsi, David, l'homme selon le cœur de Dieu, a marché avec Dieu : Je me suis toujours proposé l'Eternel devant moi, disait-il ; aussi pouvait-il ajouter immédiatement après : C'est pourquoi mon cœur s'est réjoui et ma langue s'est égayée ; aussi ma chair habitera avec assurance, car tu n'abandonneras pas mon âme dans le sépulcre et tu ne permettras pas que ton bien-aimé sente la corruption : tu me feras connaître le chemin de la vie ; ta face est un rassasiement de joie. Il y a des plaisirs à ta droite pour jamais. — Ainsi, tous les fidèles de l'ancienne alliance, enfin, Moïse, Job, les prophètes, ne nous apparaissent-ils pas comme une nuée de témoins passant, les uns après les autres, de la scène des choses visibles dans celle des choses invisibles, pour aller peupler à l'avance, dans la communion du Dieu vivant, les demeures où nous sommes attendus.
Mais que ces réalités de l'arrivée sont devenues plus réelles encore depuis que, après eux, le chef et le consommateur de la foi nous a mis en évidence la vie et l'immortalité par sa résurrection d'entre les morts ! — C'est bien aujourd'hui, aujourd'hui que nous savons nos péchés expiés et nos transgressions pardonnées, l'abîme de la condamnation fermé, l'ennemi vaincu, la mort anéantie par le sacrifice d'une sainte victime qui a fait notre paix avec Dieu notre père ; — c'est bien aujourd'hui, aujourd'hui que nous pouvons suivre les traces, ici-bas et là-haut, de Celui dont les anges annonçaient l'avènement par ces suaves cantiques : Paix sur la terre, bienveillance envers les hommes ! et dont ils célèbrent maintenant la victoire par ces triomphants alléluia : A celui qui est assis sur le trône et à l'agneau qui a été immolé soient honneur, louange, force, empire et magnificence au siècle des siècles ; — c'est bien aujourd'hui, aujourd'hui que nous savons le siège du jugement éternel occupé, non plus par un juge offensé et menaçant, mais par un Roi de gloire, par un Prince de la paix, par un Maître doux et humble de cœur, par Celui même qui nous disait jadis et nous dit encore éternellement : Venez à moi, vous qui êtes fatigués et chargés, je vous soulagerai, vous trouverez le repos de vos âmes ; — c'est bien aujourd'hui, aujourd'hui que nous avons un avocat auprès du Père, savoir Jésus-Christ le juste, un souverain sacrificateur, qui peut compatir à toutes nos infirmités, ayant été éprouvé, ainsi que nous, en toutes choses, excepté le péché, un ami semblable à nous, un précurseur, un frère, qui est entré le premier dans les cieux pour nous assurer des places et nous les préparer : c'est bien aujourd'hui que nous pouvons voir le ciel ouvert et nous approcher sans crainte du moment où il nous faudra, à notre tour, descendre dans la vallée de l'ombre de la mort, pour atteindre au delà les régions de la lumière et de la vie. Aussi, qui dira comment meurt un chrétien, un homme qui a marché avec Dieu sur les pas de Jésus-Christ, et qui attend le moment où son Sauveur viendra le prendre à lui selon sa promesse : Je vous prendrai à moi afin que où je suis vous y soyez aussi ?
Hénoch marcha avec Dieu, puis il ne parut plus, parce que Dieu le prit. — Miracle ! criions-nous tout à l'heure, exception glorieuse, privilège ineffable ! Mais ce miracle, cette exception, ce privilège, je les vois se renouveler désormais tous les jours. Que voulez-vous dire de plus, que pouvez-vous dire de moins, d'un chrétien qui nous quitte sur les ailes de sa foi, sinon qu'il ne paraît plus parce que Dieu le prend ? Et je ne parle pas même ici de ces morts extraordinaires que Dieu permet quelquefois pour éclairer extraordinairement son Eglise dans les temps extraordinaires, je parle des morts toutes simples, sans éclat, obscures même, des morts de tous les jours et telles qu'un pasteur en peut rencontrer à chaque pas pour la consolation de son ministère.
Que de fois, ô mon Dieu, que de fois déjà ne m'as-tu pas donné de contempler ce spectacle si propre à raffermir le cœur et à éclairer la voie de ceux qui veulent marcher avec Toi !… Tantôt chez un jeune homme, tantôt chez un vieillard, chez un homme dans la force de l'âge, chez une jeune fille, un enfant riche ou pauvre, n'importe ! — ceux qui ont le plus à quitter ne sont pas toujours ceux qui paraissent quitter le plus, — que de fois ne m'a-t-il pas été donné de contempler Hénoch disparaissant à mes yeux parce que Dieu le prit !
Je me vois encore auprès de lui, au chevet de son lit, sa main dans la mienne. J'avais été témoin de ses luttes, de ses combats, — car les plus fidèles peuvent avoir des luttes et des combats avant de rompre les dernières amarres qui nous retiennent à la terre. Mais la victoire avait été remportée, et le chemin, en se resserrant, n'avait laissé de place que pour les deux qui marchaient encore ensemble : Dieu et son enfant. Il était là, le corps affaibli, mais l'âme vivante, et nous savions que le moment était proche. Il en bénissait Dieu et répétait dans ses prières entrecoupées : Seigneur, Seigneur Jésus, mon bon Sauveur, viens bientôt ! Ses adieux étaient faits, il ne disait plus qu'au revoir ! Nous nous sentions sur le seuil de l'éternité, je croyais y être comme lui, et j'y étais bien aussi,… car le seuil de l'éternité, voyez-vous, c'est quelque chose qui est là-dedans. — Pour ménager sa faiblesse et éviter de le faire parler, je lui répétais entre des intervalles de silence quelques-unes des paroles de la vie éternelle : — Il n'y a plus de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ… Béni soit Dieu qui nous a bénis de toutes les bénédictions spirituelles dans les lieux célestes, et nous a régénérés par une espérance vive d'obtenir l'héritage qui ne peut ni se souiller ni se flétrir… Je suis assuré que rien ne peut nous séparer de l'amour qui nous a été témoigné en Jésus-Christ… Heureux ceux qui meurent au Seigneur, oui ! dit l'Esprit, car ils se reposent de leurs travaux et leurs œuvres les suivent…. Dieu qui est riche en miséricorde, par son grand amour nous a vivifiés ensemble avec Christ, par la grâce duquel vous êtes sauvés, et nous a ressuscités ensemble et fait asseoir avec lui à sa droite dans les lieux célestes en Jésus-Christ… D'autres fois nous priions. Il ajoutait quelques mots, souvent un simple amen. Ainsi les heures passaient, ces heures qui représentent des années. — Vous est-il arrivé de vous séparer d'un ami à l'entrée d'un chemin où vous ne devez pas le suivre ? Vous vous retournez pour le voir à mesure qu'il s'éloigne, vous échangez encore quelques paroles,… puis vous ne vous entendez plus,… puis un tournant de la route vous dérobe l'un à l'autre. — Je le voyais ainsi s'en aller. Mais il n'était pas seul. Quelqu'un venait au-devant de lui, se montrant de plus en plus clairement, lui disant des choses que je n'entendais pas, mais dont le reflet illuminait sa figure attentive. — Il avançait, cependant, il avançait rapidement sur la route. Qu'il me semblait déjà loin par moments ! Sa voix n'arrivait plus à mes oreilles, ses yeux me cherchaient encore sans plus paraître me voir. Mais je le voyais bien, moi, je le voyais tout entier dans le lointain d'un serrement de main, d'un frémissement de lèvres, d'un éclat du regard… Au seul nom de Jésus il tressaillait… Enfin il s'éloigna davantage encore, puis je ne vis plus qu'une ombre, puis il ne parut plus… — Mort ! — Non ! vous dis-je. — Il ne parut plus parce que Dieu le prit ! — Je l'ai vu et j'en rends témoignage !
Mon Dieu, que je meure de la mort du juste et que ma fin soit semblable à la sienne ! Mon Dieu, puisse ma vie tout entière et celle de chacun de ceux qui m'écoutent se résumer en ces deux mots : Il marcha avec Dieu, puis il ne parut plus, parce que Dieu le prit. Amen.
On a coutume de dire que le chemin de la perdition est un sentier semé de fleurs, aisé, riant, facile, conduisant aux abîmes par une pente douce et insensible, au lieu que le chemin du salut est une route dure, montante, malaisée, faite pour rebuter dès les premiers pas. — Il ne faudrait pas abuser de l'image. Elle a son côté vrai, sans doute, mais elle a aussi son revers qu'il est peut-être utile de mettre une fois en lumière. Si nous rencontrons des obstacles à faire le bien, nous en rencontrons aussi à faire le mal, grâce à Dieu ! et il n'est point toujours si facile ni si doux de se perdre, qu'une certaine morale suspecte voudrait bien le donner à penser. Nous n'y parvenons qu'en triomphant des difficultés souvent énormes que la grâce d'En Haut nous oppose et par lesquelles elle s'efforce, depuis le premier jour jusqu'au dernier, de nous retenir et de nous barrer la route, sans pourtant jamais, il est vrai, nous contraindre. — Ne dites pas tant que le mal est plus fort que vous. Je dis, moi, qu'il faut souvent un bien triste courage et une bien déplorable énergie pour surmonter tout ce que la bonté de Dieu dispose pour nous en détourner. Nous en avons un remarquable exemple dans l'histoire que je viens de vous relire et dont vous connaissez la fin.
Les Israélites, dans leur voyage vers la terre de Canaan, victorieux de toutes les tribus qu'ils avaient rencontrées sur leur chemin, s'avançaient en conquérants vers les campagnes de Moab. On ignorait, dans ce dernier pays, l'ordre que Dieu avait donné de l'épargner : Ne traitez point les Moabites en ennemis et n'entrez point en guerre avec eux. — Les Moabites effrayés de la rapidité des conquêtes d'Israël, justifièrent ces paroles du cantique de Moïse : La frayeur et le tremblement s'empareront des hommes forts de Moab. — L'historien sacré met dans la bouche de leur roi ces paroles timorées : Cette multitude broutera ce qui est autour de nous, comme le bœuf broute l'herbe des champs. — C'est alors qu'il se décida à implorer le secours de Balaam, fils de Béhor.
Ce Balaam était un personnage extraordinaire, faisant métier de divination, empruntant même des secrets aux arts magiques, et pourtant connaissant l'Eternel et ayant avec lui d'intimes communications. Il habitait la Mésopotamie, le pays d'où était jadis sorti Abraham, et où bien des traces de la connaissance du vrai Dieu s'étaient, sans doute, conservées. — Du reste, ne jugeons pas de ces temps reculés d'après les nôtres. Malgré l'épaisse couche de superstitions, qui commençait à couvrir, la terre, en effet, une sorte de crépuscule régnait encore en bien des lieux, et le rayonnement des antiques croyances éclairait encore, çà et là, quelques âmes privilégiées. Job et ses amis habitaient l'Arabie ; Jéthro et ses descendants, le pays de Madian. Pourquoi ne se serait-il pas trouvé à l'orient de ces diverses contrées, dans les plaines de la Mésopotamie, un adorateur, une sorte de voyant ou de prophète de l'Eternel ?
Quoi qu'il en soit, la renommée dont jouissait Balaam engagea Balak, roi des Moabites, à l'appeler pour lui faire prononcer des imprécations contre Israël. Il pensa que s'il pouvait tourner contre ce peuple le Dieu qui l'avait jusqu'alors protégé, il pourrait être assuré de la victoire. — Viens donc maintenant, je te prie, maudis-moi ce peuple, lui fit-il dire, car il est plus puissant que moi ; peut-être que je serai le plus fort et que nous le battrons, et que nous le chasserons du pays, car je sais que celui que tu béniras sera béni, et que celui que tu maudiras sera maudit !
Afin de l'inviter d'une manière conforme à la dignité de son caractère, il lui fit une députation des principaux seigneurs de sa cour et de ceux de la cour du roi de Madian, dont le pays était également menacé. Ces députés, suivant les antiques coutumes de l'Orient, ne devaient l'aborder qu'avec les mains pleines de présents calculés sur l'importance de son personnage et du service qu'on attendait de lui.
Balaam reçut cette députation avec les sentiments qu'on peut se représenter, singulièrement flatté dans son amour-propre, à la fois, et intérieurement enivré dans sa cupidité. Un fort penchant, sans nul doute, le portait à faire ce qui lui était demandé. Quelle occasion unique, peut-être ! — Partir, c'était faire sa cour à deux princes puissants, se ménager leur faveur, leur reconnaissance même ; c'était aller au-devant des honneurs et des richesses, c'était assurer sa fortune, enfin, comme on dirait aujourd'hui. Voilà, certes, un grand attrait. — Mais, d'autre part, un rude combat devait se livrer au dedans de lui, et il ne pouvait céder sans faire violence aux plus claires, aux plus évidentes, aux plus saintes répugnances de son âme. Au fond, il le sentait bien, c'est à travers Dieu lui-même qu'il fallait passer pour aller avec les députés de Moab.
Il est impossible, en effet, qu'il ignorât l'histoire du peuple d'Israël assez complètement pour méconnaître qu'on ne lui demandait rien moins que de maudire ceux que l'Eternel avait bénis. Quoi ! manquerait-il de lumières sur les intentions de Dieu à l'égard de ce peuple ? — N'est-ce pas Dieu lui-même qui l'avait récemment affranchi du joug de ses oppresseurs ? N'est-ce pas Dieu lui-même qui l'avait délivré à main forte et à bras étendu ? lui avait fait franchir la mer Rouge par un miracle inouï dans l'histoire et avait englouti dans les flots l'armée entière de ses adversaires ? — N'est-ce pas Dieu lui-même qui l'avait miraculeusement nourri, miraculeusement abreuvé, miraculeusement porté de prodige en prodige, pendant tout le cours de son long voyage au désert ? — N'est-ce pas Dieu lui-même qui lui avait donné un chef et un conducteur inspiré dans la personne de ce Moïse, le plus noble, le plus pur, le plus dévoué, le plus grand et, à tout prendre, le plus vénéré de tous les conducteurs de peuples ? — N'est-ce pas l'Eternel lui-même, par-dessus tout, qui, de ce peuple d'esclaves faisant un peuple de conquérants, avait frappé d'épouvante et rendu stupides comme la pierre toutes les nations du chemin par lequel il devait passer ? — N'est-ce pas l'Eternel lui-même, enfin, qui, en tant de manières et en tant d'occasions, l'avait proclamé son peuple, son plus précieux joyau d'entre les peuples ? — Et voilà le peuple dont on lui dit : Viens me le maudire !
Il ne peut ! — Il y a là, devant lui, un obstacle, moral, il est vrai, mais un de ces obstacles qui équivalent à une impossibilité. Suivre tout droit les députés de Moab, serait se lancer dans une voie d'impiété tellement flagrante, qu'autant vaudrait, de but en blanc, commencer par maudire l'Eternel lui-même. Donc, que faire ? — Refuser net, en déclarant ses motifs ? — Sans doute ! mais alors, adieu richesses ! adieu ce bruit d'honneur, de gloire, de fortune, qui de loin lui tourne la tête ! — L'appât est derrière, séduisant, étourdissant. L'obstacle est devant, clair comme le jour, droit comme un mur, absolu comme Dieu lui-même… — Que faire encore une fois ? — Je ne sais pas s'il existe des obstacles matériels qu'on ne puisse absolument pas tourner, mais, à coup sûr, il n'en existe pas de pareils dans l'ordre moral. Voyez un peu ce que fait Balaam ! Il se décide à consulter l'Eternel. — Demeurez ici cette nuit, dit-il aux députés, je vous rendrai réponse demain, selon que l'Eternel m'aura parlé. — Ce qui signifiait : Je voudrais aller avec vous, mais je ne l'ose pas, parce que j'ai la conviction très nette que je ne le dois pas. Toutefois, mon désir en est si grand, que je veux encore demander à l'Eternel la permission de faire ce qui lui déplaît. Aller maudire le peuple que Dieu bénit, c'est là, sans doute, une chose impossible ; mais renoncer à ma convoitise est chose plus impossible encore. Je vais donc tenter d'obtenir de Dieu… quoi, au fond ? — qu'il me permette de m'aveugler, de voir blanc ce qui est noir et noir ce qui est blanc !
En général, je le reconnais, on ne prie pas dans ces cas-là. Prier n'est qu'un raffinement de plus, pour lequel a été écrite cette parole des proverbes : — La prière de celui qui détourne son oreille pour ne point obéir à la loi, est en exécration à l'Eternel !
Néanmoins, vous voyez clairement ici le premier obstacle que nous rencontrons sur la mauvaise voie. Nous y débutons toujours par agir contre la conviction où nous sommes. Dieu a pourvu à ce qu'il y eût en nous un fond de lumière suffisant pour guider sûrement nos premiers pas, si seulement nous voulons être sincères et droits vis-à-vis de nous-mêmes. Je sais combien cette lumière est prompte à s'obscurcir, je sais combien vite, sous l'influence d'une passion qui nous fascine, nous pouvons perdre cette vue nette de l'évidence morale. Néanmoins, je ne crains pas d'en appeler à vos souvenirs et à vos expériences : il y a un moment à l'entrée de toute mauvaise voie où ce cri s'élève en nous avec toute la simplicité, toute la grandeur et toute la force d'un cri de Dieu lui-même : Tu dois, tu ne dois pas ! A la base de toutes les sciences, il y a ce qu'on appelle un axiome, un premier rayon d'évidence descendu du ciel, un point fixe sur lequel on pose le pied sans hésiter, et duquel on part sans regarder derrière soi. Deux et deux font quatre, dit le mathématicien, et, par cette porte, il entre en maître, sûr de lui-même, dans le champ des calculs les plus audacieux et des démonstrations les plus compliquées. — Voudrait-il, par hasard, essayer de corrompre sa science : il faudrait qu'il commençât par s'attaquer à ce diamant. Les plus audacieux, que je sache, ne l'ont pas encore tenté ! A la base de la grande science de la vie, Dieu a aussi placé un axiome. — Dites ce que vous voudrez de la déchéance produite par la chute, l'homme cesserait d'être l'homme, le jour où il cesserait de voir en ses actions le bien ou le mal, chemin du ciel, chemin d'enfer. Dites ce que vous voudrez des ténèbres morales que les générations humaines se transmettent les unes aux autres, le mal cesserait d'être le mal, le bien cesserait d'être le bien, le jour où le mal cesserait d'être ce qui ne doit pas se faire, et le bien ce qui se doit faire, selon la conviction intime où l'on est.
Faire ce qu'on ne doit pas faire ! Voilà qui ne semble ni bien nouveau, ni bien difficile ; voilà qui est en réalité, la chose la plus énorme, le renversement le plus monstrueux qui se puisse imaginer. Dire que deux et deux font cinq, n'est rien à côté de cela. Faire ce qui ne se doit pas faire, en effet, ce n'est pas seulement se mettre en contradiction avec une évidence qui se rit de vous, c'est se mettre en contradiction avec une évidence qui de plus vous condamne, vous poursuit, fait retentir mille menaces à vos oreilles, vous jette l'âme dans un trouble inexprimable, s'attache à vous, enfin, comme un aiguillon enflammé. Et cela est si vrai, les pressentiments vengeurs de la conscience sont un obstacle si formidable, qu'on n'ose presque jamais l'aborder en face. On baisse les yeux ou on les ferme, on se détourne, on fait comme Balaam, on attend, on s'aveugle, on espère qu'avec le temps, le blanc deviendra noir, et le non deviendra oui…
Hélas ! et l'on n'espère pas en vain. Au moment où l'on commet une mauvaise action, elle a cessé presque d'être mauvaise à vos yeux. Mais quelle victoire à remporter sur soi-même et sur Dieu pour en venir là ! Retournons à Balaam. Nous allons le voir aux prises avec un nouvel obstacle plus fort que le premier, si fort, même, si net, qu'il paraîtra de nouveau momentanément arrêté : — La volonté de Dieu non plus intérieurement pressentie, mais ouvertement exprimée et clairement entendue.
Nous l'avons vu renvoyer au lendemain les députés de Balak, afin de se ménager une chance de les suivre en consultant l'Eternel pendant la nuit…. Etrange aveuglement ! n'est-ce pas ? — Mais quelles ne sont pas les contradictions où s'embarrasse une âme qui a entrepris une lutte avec Dieu pour se perdre. L'Eternel, du reste, épargna à Balaam l'embarras de lui exprimer sa requête, en prenant lui-même les devants : — Qui sont, lui dit-il, ces hommes que tu as chez toi ? Balaam répondit à Dieu : Balak, fils de Tsippor, roi de Moab, a envoyé vers moi en disant : Voici un peuple qui est sorti d'Egypte et qui a couvert le dessus de la terre. Viens donc maintenant. Maudis-le moi : peut-être que je pourrai le combattre et que je le chasserai. Et Dieu dit à Balaam : Tu n'iras point avec eux et tu ne maudiras point ce peuple, car il est béni. — Voilà un ordre précis, devant lequel aucune hésitation n'est possible. Balaam n'est pas encore un impie. Ce n'est pas encore un homme qui se moque des commandements de l'Eternel, et qui soit de trempe à lui répondre : — J'irai quand même tu me dis : Ne vas point ! Je maudirai quand même tu me dis que tu as déjà béni ! — Dès le lendemain matin donc, il se leva et fut dire aux seigneurs qui avaient été envoyés par Balak : Retournez dans votre pays, car l'Eternel a refusé de me laisser aller avec vous… — Il leur donna cette réponse néanmoins de telle façon qu'il ne leur ôta pas toute espérance.
En tout cas, d'après le récit qui lui fut fait de l'entrevue, Balak comprit qu'il ne devait pas encore se tenir pour entièrement battu. Il ne put lui échapper qu'il avait fait impression sur l'esprit du prophète, et qu'une nouvelle ambassade, plus honorable et apportant de plus riches présents et de plus grandes promesses, aurait encore chance de réussir. — Il envoya donc des seigneurs en plus grand nombre et plus honorables que les premiers, qui étant venus à Balaam lui dirent : Ainsi a dit Balak, fils de Tsippor : Je te prie, que rien ne t'empêche de venir vers moi, car certainement, je te récompenserai beaucoup, et je te ferai tout ce que tu me diras. — Balaam leur fait une réponse très belle en apparence : — Quand Balak me donnerait son palais plein d'or et d'argent, je ne pourrais point transgresser le commandement de l'Eternel, mon Dieu, pour faire aucune chose petite, ni grande ! — Mais qu'une parole ne nous fasse point illusion. Des mots coûtent peu, et sont aisés à prononcer. Que pense le cœur ? — Voilà l'important.
Or, pourquoi, après cette noble parole, Balaam ne congédie-t-il pas les députés de Balak ? Comment peut-il concevoir une ombre d'hésitation ? Quand Balak me donnerait son palais plein d'or et d'argent, je ne pourrais point transgresser le commandement de l'Eternel, mon Dieu ! — Mais ne le connaît-il pas ce commandement de l'Eternel, son Dieu ? Dieu ne s'est-il pas expliqué, et n'a-t-il pas dit ouvertement : Tu n'iras point avec ces gens-là, et tu ne maudiras point ce peuple, car il est béni ! — Oui, mais la cupidité et la bassesse ont aussi parlé et elles lui ont dit : Tu ne peux laisser aller ainsi ces gens-là. Considère que c'est un roi qui te presse avec de telles instances. Au moins consulte encore une fois l'Eternel. Peut-être prendra-t-il en considération les motifs qui te sollicitent à partir… Regarde ce qu'on t'apporte ! Vois ce qu'on te promet ! Comment laisser échapper un si riche butin ?
L'entendez-vous déclarant… à regret, qu'il ne pourra rien faire que ce que l'Eternel lui permettra ? — Le voyez-vous, dans le même moment, au fond de son cœur, maudissant le frein qui le retient, et se mettant l'esprit à la torture, pour trouver un moyen de s'en dégager. — Le voyez-vous, lié sur place, il est vrai, par un invisible pouvoir, mais se faisant en lui-même d'irrésistibles tableaux de tous les honneurs qui l'attendent à la cour de Balak, de l'empressement dont il y sera l'objet de la part de ce qu'il y a de plus considérable dans le royaume, des richesses qu'il en rapportera,… qui sait ? peut-être des voluptés qui lui seront offertes et auxquelles il sait bien qu'il ne résistera point ? Le voyez-vous, caressant dans son imagination la perspective d'un avenir de gloire, d'abondance, d'enivrement : toutes ses convoitises satisfaites…, un océan de bonheur ! Le malheureux ! Il est au supplice de Tantale. N'est-ce pas cruauté de l'arrêter plus longtemps ? Si Dieu voulait seulement !… Il retient les députés de Balak : — Demeurez maintenant ici cette nuit, et je saurai ce que l'Eternel aura de plus à me dire : — Et Dieu vint la nuit à Balaam et lui dit : Puisque ces hommes sont venus t'appeler, lève-toi et t'en vas avec eux. Mais quoiqu'il en soit, tu ne feras que ce que je te dirai. — Ah ! enfin !.. Il a fini par obtenir ce que son cœur désirait. Ce n'est pas précisément le cas de rappeler la parole du Psalmiste : — Attends-toi à l'Eternel, et il t'accordera le désir de ton cœur ! Mais l'homme est doué de ce pouvoir surnaturel de tourner contre lui, même la volonté de Dieu. Cette volonté, toute puissante qu'elle soit, s'arrête dès qu'il s'agit de contraindre la nôtre. Elle se prononce, elle s'affirme, elle pèse de tout son poids sur le ressort de notre conscience. Mais il vient toujours un moment où elle cède et où les portes s'ouvrent devant la libre voie de la perdition. — Ce que Dieu veut de nous, ce n'est pas un esclavage, c'est un consentement véritable, une réelle adhésion, une obéissance du cœur. – Mon enfant, nous dit-il à propos de chaque commandement de détail, comme à propos de sa loi prise dans l'ensemble, mon enfant, donne-moi ton cœur ! — Et si le cœur absolument se refuse, Dieu, qui ne saurait en aucun cas être dupe, ne nous retient plus : Va nous dit-il, va donc comme ton cœur te mène, mais sache que pour toutes ces choses tu seras appelé en jugement.
Quelle barrière, quand on y réfléchit : Un commandement exprès de l'Eternel ! — Je ne suis pas un impie. Je crois en un Dieu parfaitement sage et bon, dont la puissance infinie s'exerce avec une précision mathématique d'un bout à l'autre de cet univers, que dis-je ? même en dehors de cet univers, si l'on peut s'exprimer ainsi.