Contes moraux, ou Les hommes comme il y en a peu - Louis-Sébastien Mercier - E-Book

Contes moraux, ou Les hommes comme il y en a peu E-Book

Louis Sebastien Mercier

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Beschreibung

Louis-Sébastien Mercier's 'Contes moraux, ou Les hommes comme il y en a peu' is a collection of moral tales that delve into the intricacies of human nature and societal behavior. Written in the late 18th century, the book exemplifies the Enlightenment era with its focus on reason, moral values, and social criticism. Mercier's literary style is marked by its satirical tone and keen observation of human foibles, making the stories both entertaining and thought-provoking. The book's social commentary sheds light on the flaws and virtues of individuals in a rapidly changing society, making it a valuable piece of literature for understanding the cultural context of the time. Mercier's ability to blend moral lessons with engaging storytelling sets 'Contes moraux' apart as a timeless work of moral philosophy. Readers interested in exploring the complexities of human nature and the moral dilemmas of society will find this book a captivating and enlightening read.

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Louis-Sébastien Mercier

Contes moraux, ou Les hommes comme il y en a peu

 
EAN 8596547429951
DigiCat, 2022 Contact: [email protected]

Table des matières

A MADAME M**.
PREFACE.
ERRATA
SOPHIE, CONTE MORAL .
ROSE, CONTE MORAL.
RENSI, ANECDOTE JAPONOISE. CONTE MORAL.

CONTES

MORAUX

,

OU

LES HOMMES

COMME IL Y EN A PEU

A PARIS,

Chez PANKOUKE.

1768.

A MADAMEM**.

Table des matières

CEque je vous-présente est bien au-dessous de ce que vous méritez. Les belles actions de la vertu n’étonneront pas votre ame puisqu’elle y est accoutumée; votre cœur sensible n’apprendra pas à sentir, il s’émeut aisément à la vue de l’insortune; votre esprit vif&pénétrant jugera avec rigueur ce que le mien aura produit avec négligence, aussi je ne crois pas avoir trouvé les moyens de vous plaire en vous offrant ces bagatelles; mais Si vous les regardez comme une preuve de mon estime, vous aurez surement deviné mon but.

PREFACE.

Table des matières

J’Etois à la campagne occupé d’idées profondes&sérieuses que tout me portoit à égayer; car je le sens fort bien, l’homme n’est pas fait pour refléchir toujours, je ne fais pas même si l’habitude de la réflexion est un état naturel; aussi, quoiqu’embarrassé dans une fuite d’études fatiguantes&qui me plaisent, j’ai toujours pensé qu’une belle action faisoit plus d’honneur au genre humain que la solution du problême le plus compliqué, qu’une feule larme que fait couler le sentiment, est plus délicieuse que le plaisir que peut produire une démonstration métaphysique,&que les mouvemens enchanteurs d’un cœur tendre, sont bien au-dessus des distractions pénibles d’une science orgueilleuse. C’est pourquoi, tout en jouant avec les mondes sur mon bureau, j’ai trouvé le plus grand des plaisirs à peindre des bons cœurs; cette occupation m’a servi de délassement &ce délassement me faisoit trouver le bonheur.

Qu’on ne soit donc pas surpris si tous les Etres que j’ai essayé de peindre sont vertueux, le seul nom de la vertu m’enthousiasme, comme le seul nom du vice me fait rougir; d’ailleurs retire à la campagne depuis quelque temps, j’y suis environné par des personnes qui pensent comme moi,&qui sont ainsi toujours présentes à ma mémoire. Si le Peintre prend ses couleurs sur sa palete, le Moraliste ne peut peindre que les hommes qu’il voit,&comme tous ceux que j’ai eu sous mes yeux sont généreux&sensibles, sages&religieux, éclairés&modestes, j’ai été obligé de tracer les effets sublimes du désintéressement, les charmes de la sensibilité, les avantages de la vertu, le prix de la Religion&les plaisirs de la modestie; les hommes m’ont fourni ces caractères intéressans de bonté sans foiblesse,&d’assabilité sans dissimulations. Les femmes m’ont appris qu’elles pouvoient unir la raison&l’esprit sans les ternir par trop d’amour propre,&avoir de la politesse sans blesser la vérité. J’ai vû entr’elles la beauté sans prétention, les graces sans artifice,&le génie sans hauteur; je l’ai peinte, on doit m’en savoir gré.

Il étoit important de faire mon histoire, afin d’indiquer les raisons qui m’ont déterminé, contre l’usage, à n’employer que des sujets également vertueux. Car je savois bien que l’intérêt en devoit être moindre; mais aussi il me semble que pour les cœurs sensibles le plaisir en doit être plus vif, l’ame est gênée par les succès des vicieux; d’ailleurs la vertu n’est-elle pas assez touchante par elle-même pour qu’on la laisse seule conduire l’action? Il m’en eût couté de peindre des monstres, &je n’aurois pas voulu éprouver les déchirements de l’unique&de l’immortel Richardson lorsqu’il ourdissoit la trame scélerate de l’abominable Lovelace avec la même main qui avoit su former les traits de l’angélique Clarisse.

Il est cependant vrai que je cours risque d’avoir calomnié la vertu en ne la peignant pas dans tout son éclat. Malheur à moi, car je l’aime avec transport. Si je vous déplais donc dans mes tableaux, pardonnez-moi en faveur de mes intentions; mais si je puis plaire à quelques-uns, je ne mérite rien de leur part. C’est à la vertu que je dois tout.

ERRATA

Table des matières

Fautes qui sont des contre sens, j’ai négligé celles d’ortographe.

Page4. ligne12. gens lisez genes — 17. voyez lisez croyez

19. ligne3. nous lisez vous

27. ligne23. vient lisez vint

46. ligne5. il chercha de lisez il chercha les moyens de

71. ligne6.&qui lisez&qu’il

75. ligne26. évite lisez irrite

76. ligne12. le lisez se

78. ligne16. ses lisez les

116. ligne6. me le lisez me les

130. ligne27. rencontra lisez trouva

160. ligne3. elle fis lisez elle le fit

197. ligne4.&les rend lisez&qui les rené

220. ligne14. leurs amours lisez leur amour

225. ligne2. tous lisez vous

SOPHIE,CONTE MORAL.

Table des matières

ORVAL habita pendant longtems une grande ville, où il eut des amis distingués sans avoir une fortune brillante: il étoit honnête homme, il n’est pas surprenant qu’il fût pauvre: il étoit vrai, ses connoissances ne devoient pas être nombreuses: il avoit un cœur tendre&généreux; mais ce présent du Ciel lui seroit devenu inutile, s’il n’avoit pas eu le bonheur de trouver une femme qui mérita toute sa tendresse,&une fille qui fut l’enfant de son cœur par ses qualités&ses vertus.

La mort enleva bientôt à Dorval son épouse, &le laissa seul chargé de l’éducation de Sophie; il sut son précepteur, son pere&son ami; quel précepteur! Dorval connoissoit les hommes; quel pere! Il en aimoit tous les devoirs; quel ami! il avoit été malheureux. Il forma le cœur de sa fille en exerçant sa sensibilité; il lui montra qu’une grande partie du bonheur qu’on pouvoit espérer, étoit placée dans le bonheur des autres; il lui apprit ainsi le grand art de plaire, en respectant toujours la vérité&la vertu; il l’accoutuma de bonne heure a la physionomie de l’infortune; il lui donna cette philosophie de l’ame qui la rend ferme sans la roidir, qui l’éléve sans l’enfler, qui maitrise les passions sans les anéantir,&qui conservant au sentiment toute son énergie ne laisse d’autres portes ouvertes à l’affliction, que celles que peuvent offrir un cœur sensible&une ame raisonnable. Dorval ne se contenta pas d’avoir donné à Sophie une éducation extraordinaire; il joignit de plus à ces traits mâles d’une vertu solide, le coloris enchanteur d’un esprit orné: il la familiarisa de bonne heure avec l’histoire, qui ne lui montra les crimes du monde, que pour apprendre à les redouter,&qui ne lui fit saisir quelques traits des vertus qui y nagent épars, qu’afin qu’elle se les rendit propres&leur accordat un degré d’estime d’autant plus grand, qu’ils avoient été plus généralement utiles. Son ame fut encore remuée par les charmes séducteurs de la poésie; faite pour sentir, elle s’épanouït en s’y livrant; & son cœur en devint meilleur, parce qu’il devint plus sensible. Il est certain qu’un homme dont le cœur s’émeut aisément, est incapable de bassesse, ou de méchanceté.

C’est ainsi que Dorval remplissoit la tache que la nature impose a tous les peres; mais il eut bien des obstacles à surmonter pour réussir dans ses desseins; sa sœur qui vivoit avec lui étoit Une femme du monde, qui ne comprenant point la bonté de ses vues devoit nécessairement les traverser,&qui chérissant assez sa niéce pour lui taire gouter les seuls plaisirs qu’elle estimoit, ne vouloit aussi lui inspirer que ses goûts; elle desaprouvoit sans cesse l’éducation qu’on donnoit à Sophie; elle se plaignoit que l’on prit un si grand soin d’une ame qu’on ne pouvoit pas voir; qu’on cherchât a rendre sensible le cœur, qu’on ne cherchoit plus qu’à tromper; elle étoit désolée qu’on ne tournât pas toutes ses attentions vers l’extérieur, qui assuroit tous les talens, qui donnoit toutes les qualités, qui défioit l’esprit &le sçavoir. Il saut qu’une femme plaise dans le monde, disoit-elle, elle n’est faite que pour cela: c’est le seul moyen par lequel elle peut être utile aux autres&agréable à elle-même; mais comment y plairoit-elle, si elle ne prend pas ces façons? L’étourderie y joue le role de l’esprit; la bagatelle celui de la raison&le persiflage tient lieu de bon sens. Sans être vicieux, ce n’est pas si mal de montrer qu’on pourroit l’être;&pour ce qui regarde les autres, il ne faut s’en occuper que comme des chimères qui peuvent affecter désagréablement le cœur. Je vous assure, mon frère, que quand on veut penser sérieusement à soi, à ses ajustemens, a ses plaisirs,&ce n’est pas être ridicule, on n’a point de tems de reste... D’ailleurs on trouve toujours assez de liaison; les amis sont des gens dont on se passe facilement; ils exigent des égards&cela incommode. Dorval l’écoutoit avec peine, mais il répondoit toujours avec autant de solidité que de douceur. Ma chère sœur, vous ne connoissez pas ce monde que vous peignez si bien à quelques égards; vous le voyez trop leger pour estimer justement la conduite des autres; mais ses médisances sont pour l’ordinaire aussi exactes que cruelles&quoiqu’on se moque au dehors de l’éducation que je donne à ma fille, soyez sure qu’on m’approuve en particulier; vous me blâmez, parce que je cultive par les sciences son esprit qui s’y trouve propre; prenez garde qu’il n’est pas question de cette science froide qui glace l’ame, mais de celle qui forme l’esprit&le jugement; je serois bien fâché que ma fille fût sçavante; mais je veux qu’elle soit heureuse. Que deviendroit-elle, si elle n’avoit pas du courage&de la vertu? Si elle se marie, elle aura un homme de mérite pour époux, qui aura jugé sou esprit, admiré son caractère, apprécie ses connoissances,& connu son cœur. Quelles richesses pour le sage, que la sagesse&la vertu! les agrémens d’une femme bien élevée seront toujours la dot qu’il souhaitera. D’un autre côté, si elle ne se marie pas, elle ne restera point abandonnée; elle méritera de bonnes connoissances, elle aura des amis dignes de son. attachement,&elle ne craindra point le chagrin.

Sophie en sentant toute la bisarerie de sa Tante, conserva pour elle tout le respect que son âge exigeoit; elle eut cependant assez de discernement, pour connoitre que la raison& la vérité parloient par la bouche de son père; &elle se trouva assez de sagesse pour n’écouter que ses avis&ne profiter que de ses leçons. Il étoit fort étonnant de voir Sophie dans l’âge le plus tendre ne juger jamais d’après l’authorité, rappeller tout à un examen judicieux, écarter sans cesse ce faux éclat qui pare l’Illusion, n’être point séduite par ce qui affecte les sens,&ne donner son estime qu’après avoir trouvé des objets qui la méritoient; mais son cœur s’ouvroit dès que son Père vouloit l’instruire,&elle retenoit toujours fortement ce qu’elle n’avoit jamais écouté qu’avec plaisir; ce qui fit sans doute sur elle la plus grande impression, c’est qu’elle apprit à aimer la vertu en la voyant pratiquer,&qu’elle souhaita de ressembler à Dorval par son bonheur comme par sa vertu.

Dorval retiré avec sa famille à la campagne, y menoit une vie douce&agréable; son uniformité n’ôtoit rien à ses agrémens; ce qui est véritablement aimable ne peut manquer de l’être toujours; d’ailleurs quels charmes plus puissants pour un Père, que les plaisirs qu’il trouve dans un enfant qui répond à ses vœux! quelle joye plus vive que celle que peut inspirer à un enfant l’amour toujours nouveau d’un pére aimable&aimé! Sophie&Dorval éprouvèrent toutes ces délices,&leur solitude sut toujours égayée par le spectacle de leur sentiment. C’est une preuve de vertu&de raison que d’aimer ainsi la vie domestique. Il faut avoir l’ame bien riche, pour ne pas y trouver l’ennui,&s’être formé un cœur bien sensible pour voir toujours avec intérêt les mêmes personnes&s’amuser toujours avec les mêmes objets.

Dans le voisinage de la campagne de Dorval, il y avoit un jeune homme, qui ayant perdu depuis peu son père, étoit venu se mettre en possession d’une Terre considérable qu’il lui avoit laissée. Clairville livré à sa douleur sortoit rarement; mais la renommée l’avoit déja fait connoitre à Dorval. Les paysans qui dépendoient de ce nouveau Seigneur, chantoient ses louanges, admiroient sa douceur, exaltoient son humanité; l’un disoit, il est notre Pére, car ayant été ruiné par le malheur des temps, bien loin d’éxiger ce que je lui devois de droit, il m’a aidé pour soutenir ma famille; un autre le bénissait pour les secours qu’il avoit procurés à une mère tendre, dont l’enfant avoit été menacé par la mort; tous parloient de lui avec enthousiasme; ils ne le louoient pas, mais ils peignoient leurs sentiments.

Dorval fut charmé de savoir que le genre humain eût un ami de plus. Sophie en entendant le récit de la générosité de Clairville, félicita son Père d’avoir acquis un tel voisin. Dorval lui-même enchanté chercha à connoitre cet homme qu’il cherissoit déjà sans l’avoir vu: il alla donc lui faire une visite; ce ne fiat pas pour regarder la figure de ses traits ou écouter le son de sa voix, mais pour lui offrir ses services, pour consoler son cœur&pour rendre à la société un Etre qui étoit si bien fait pour elle. Clairville jugea d’abord Dorval: comme la Vertu est toujours simple, il ne faut qu’un coup d’œil pour la pénétrer; ils se plurent réciproquement; ils le feliciterent de se connoitre,&se promirent des plaisirs en se promettant de se voir.

Dorval alla plusieurs fois chez Clairville, avant que Clairville pût aller voir Dorval; un rhume violent le retenoit chez lui, mais ils commencérent à le traiter en vieux amis, de la bonne amitié hait les cérémonies. Dorval revenant un loir charmé de son nouveau voisin. en parla avec chaleur à Sophie. L’amitié est pleine de feu, je ne dis pas qu’elle soit enthousiaste, mais quand le cœur sent il peint avec force&ses couleurs sont toujours vives. Ma fille, as-tu connu, lui dit-il, un homme simple dans ses mœurs&naturel dans ses actions; ayant l’esprit orné de ccnnoissances utiles. &le cœur ouvert au sentiment; riche sans vanité, noble sans orgueil, savant sans mépris, poli sans affectation, doux sans foiblesse, complaisent par principe,&humain par sensibilité? Tel est Clairville, Sophie; il a surpris mon sœur, il a mérité d’être mon ami, il honore à mes yeux l’espéce humaine; je le vois avec délices, parce que je ne le vois jamais qu’environné de ses vertus. Sophie aussi sensible que son Pére aux charmes de l’honnêteté, l’écoutoit avec ce transport qu’excite dans l’ame la peinture de ce qui est véritablement beau: je le connoitrai sans doute, dit-elle,&s’il n’avoit pas été incommodé, sûrement il seroit venu nous voir. Mais qui est-il? quels sont ses emplois? quels sont ses talents?–Ma fille, il est tout, car il est vertueux; noble par sa naissance, il est encore plus noble par les titres glorieux que son cœur lui donne sur celui des infortunés; issu d’une famille illustre, il compte parmi ses ancêtres beaucoup de personnages qui se sont rendus célébres en faisant servir la supériorité de leurs talents à ensanglanter la Terre; mais il semble qu’il vent fermer les playes qu’ils ont faites au genre humain en répandant le bonheur sur tout ce qui l’environne. Il ne veut aucun emploi, quoiqu’il soit peut-être digne de plusieurs; mais il craint de ne pas les remplir comme il le souhaiteroit; l’idée de voir la félicité de plusieurs dépendre de lui-même est pour lui une idée atterrante; il ambitionne l’amitié de tous,&il voit que les emplois l’enlévent: il est content de son état, il cherche feu, lement à perfectionner son ame par l’étude, à fortifier son esprit par la méditation,&à rendre son cœur meilleur en faisant ses efforts pour le rendre plus sensible. Mais tu le connoitras mieux encore par la scène qu’il m’a donnée aujourd’hui; je l’ai trouvé appuyé sur sa table, le visage rouge, l’ame fatiguée, des larmes coulant de ses yeux; je saborde avec surprise, il me reçoit avec émotion; mon ami, me dit-il en me serrant la main, j’avois un ami tendrement aimé,&cet ami vient de m’abandonner; une démarche injuste parce qu’elle est intéressée m’en a convaincu; je devois le soupçonner depuis long-temps, mais le soupçon ne peut entrer dans le cœur d’un honnête homme; il est bien malheureux: si jamais il se rapelle mon attachement&celui qu’il me portoit, il sentira combien il est cruel de déchirer un cœur qui nous aime,&de donner la mort à l’amitié; son ame aura des remords, son cœur fera la proye des regrets,& sa vie fera livrée à l’infortune, je l’aime encore. O douce amitié! charme de la vie, ton nom seul amuse mes pensées; tes plaisirs.... je les goûterai sûrement avec vous, Dorval, nous ferons liés pour jamais. Nous le dimes ensemble,&son cœur soulagé par cette idée qui le flattoit fut plus tranquille. Il ajouta, je ne vous promets rien, Dorval, je vous promets tout en vous donnant mon cœur, mais à mon tour je ne vous demande rien, vous pouvez disposer de votre attachement. Il s’arrête; je vole dans ses bras; je ne lui donnois pas mon amitié, il l’avoit prise.

Il me fit alors l’histoire de sa vie, ce fut celle du sentiment; il me dit, que l’amour qui avoit égayé ses premiéres années, avoit toujours été la source de les chagrins,&que si ses premiers soupirs avoient été formés par son bonheur, il ne soupiroit depuis long-tems que pour l’infortune; qu’il avoit été balotté par deux passions qui avoient tour à tour fait germer le plaisir dans son ame&jette le trouble dans son cœur,&qu’il pouvoit encore douter si un cœur sensible étoit un présent de la Nature, ou le supplice de ceux qui le possédent. Voila, ma fille, le portrait de Clairville, avec l’abrégé des événemens de sa vie; je le respecte, je l’estime; mais je n’ai point de termes pour t’exprimer combien je l’aime.

Sophie écoutoit son pére avec la plus grande attention&le plus vif intérêt; elle admira Clairville avec lui, elle accorda à ce jeune homme toute son estime, elle y joignit toute ton amitié; mais elle le plaignit seule des chagrins qu’il avoit éprouvés. La vertu&la tendresse, disoit-elle, sont donc des titres bien minces pour plaire dans le monde, je n’y plairai pas surement, car je n’ai point d’autres titres à y apporter; mais dussai-je être malheureuse, je veux les conserver,&je trouverai ma consolation dans l’estime du plus petit nombre, qui vaut bien mieux que les acclamations bruyantes de la soule, toujours injuste parce qu’elle est aveugle,&toujours méprisable parce qu’elle est trompeuse.

Enfin au bout de quelques jours Clairville put venir voir Dorval; il le trouva occupé par une conversation utile; c’étoit l’ordinaire, il étoit souvent avec Sophie&c’étoit toujours pour l’instruire en l’amusant; après les civilités accoutumées, qui ne furent cependant point dictées par l’habitude, mais rendues intéressantes par le sentiment, Clairville les pria de vouloir lui permettre de partager leurs plaisirs en se joignant à leur discours,&de croire qu’il étoit moins venu pour les gêner par un fade cérémonial que pour profiter de leur compagnie, puisqu’il cherchoit d’autant plus ce qui pouvoit leur plaire, que cela paroissoit être davantage dans son gout. Ils eurent donc une conversation raisonnable qui ne fut point troublée par la fureur du jeu, par le sel caustique d’une basse médisance, par les froides plaisanteries des petits maitres,&par le sot persiflage des ignorants. Clairville enchanté de Dorval ne le fut pas moins de Sophie; il pensa bien qu’elle devoit avoir un mérite peu commun, car les enfants sont toujours ce qu’on veut qu’ils soient; il sentoit d’ailleurs qu’une personne élevée par Dorval devoit lui ressembler; mais il n’avoit pu prévoir, quelle étoit la figure de Sophie, combien la vertu qui rend tout aimable, le devient davantage quand elle anime une femme charmante, combien les grâces d’un esprit cultivé&les attraits d’un cœur sensible aquiérent de force, quand on les voit au travers d’une figure intéressante. Voici le portrait qu’il en fit lui-même dans une Lettre qu’il écrivit à un de ses amis, peu de temps avant de quitter sa terre,&après avoir eu le bonheur de voir Sophie fréquemment.