Créatures insaisissables - Collectif - E-Book

Créatures insaisissables E-Book

Collectif

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Beschreibung

Tremblez, riez, rêvez, surprenez-vous...

Certains les ont vues, d’autres entendues. Parfois elles laissent des traces. Toujours elles nous échappent. Vous en avez peut-être croisées sans le savoir. Ceux qui vouent leur vie à les traquer rentrent bredouilles.
Qui sont ces Créatures insaisissables ? Animaux rusés ? Parfois presque humains ? Purs fantasmes ?
Laissez-vous embarquer dans ces aventures aux univers très variés à la poursuite de créatures étonnantes, extraordinaires, mythiques.

Vibrez à la lecture de ces fictions... Mais s'agit-il vraiment de fictions ?

EXTRAIT
Je suis terré dans le noir, recroquevillé entre le buffet et le mur. Seul un fin rai de lumière où scintillent des poussières folles se faufile par le cadre mal ajusté de la porte d’entrée. La chaleur est accablante. L’air me brûle les poumons, malgré tous mes efforts pour retenir mon souffle. Le soleil tape au-dehors, faisant de ma cabane une étuve. Mais pour rien au monde je n’ouvrirai cette porte... plutôt crever !
De nouveau des coups sur le battant en bois... « Il » veut entrer. C’est la fin ! Voilà que je délire, à présent. J’entends crier mon nom. Impossible ! « Il » ne parle pas. Il ne peut pas parler ! Ça se saurait. J’appuie mes deux mains sur les oreilles, il faut que cela cesse, mes nerfs sont à bout. Dans un fracas qu’une tonne de cotons dans les oreilles ne pourrait masquer, le jour se rue dans ma demeure, saturant simultanément la vue et l’ouïe. « Il » a fracassé ma porte, je suis à sa merci.

AUTEURS PRÉSENTS DANS LE LIVRE

• Thierry Cloës
• Manon Lemaire
• Jean Roche
• Leslie Carré
• Odysseus-70
• Virginie Cailleau
• Stephane Desroche
• Jean-Luc Coudray
• Tepthida Hay

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Préface

Il y a un peu plus de deux ans, débattant sur quelques forums de l’image de la cryptozoologie (étude des animaux cachés) auprès du grand public, j’ai petit à petit forgé l’idée de ce projet de recueil de nouvelles.

La cryptozoologie est cette branche de la zoologie qui étudie les animaux non répertoriés par les autorités scientifiques, mais dont on soupçonne l’existence au travers de preuves indirectes et de témoignages. Il y a bien sûr les « superstars », j’ai nommé le bigfoot (ou sasquatch), le yéti et le monstre du Loch Ness, mais de nombreuses autres créatures insaisissables, souvent méconnues hors du cercle des initiés, méritent aussi notre intérêt.

Le mot « cryptozoologie » est déjà par lui-même bien mystérieux auprès d’une très grande majorité de personnes. Et parmi « ceux qui savent », bon nombre vous adresseront un sourire condescendant montrant tout le sérieux qu’ils accordent à cette discipline. Pour leur défense, la cryptozoologie se débat souvent entre le folklore, les ambitions touristiques de certaines régions, les blagues de petits farceurs et autres artifices qui compliquent les investigations, sans oublier les particularités psychologiques de certains individus n’hésitant pas à faire de faux témoignages de bonne ou mauvaise foi (tout un débat que nous n’aborderons pas ici).

Pourtant, chaque année qui passe révèle l’existence de nouvelles espèces jusque-là inconnues, faisant un pied de nez permanent aux esprits fermés qui imaginent qu’en ce 21e siècle, plus rien ne reste à découvrir sur notre planète.

Améliorer l’image de la cryptozoologie passe par deux axes majeurs :

— Rassurer le public quant au sérieux de la démarche. Le site www.cryptozoologie.eu, lié au présent livre, relaiera chaque fois qu’il en aura l’occasion les publications cryptozoologiques pertinentes qui oeuvrent à la reconnaissance officielle de cette science.

— Élargir l’audience en rendant le sujet bien plus visible. À l’évidence, toucher un plus large public ne se fera pas au moyen de rapports scientifiques répétitifs et ennuyeux, mais plutôt d’une manière plus contemporaine et ludique. Et quoi de plus agréable que de se laisser embarquer dans une aventure à la rencontre de créatures mystérieuses, criantes de vérité… au point d’être peut-être bien réelles ?

C’est la mission du recueil que vous tenez entre les mains : vous prendre par la main à la rencontre des derniers mystères zoologiques, dans des récits à suspense, ou poétiques, de vrais polars, ou d’aventures, mais toujours dans un souci de cohérence avec la réalité.

Certains lecteurs voudront en savoir plus sur ces créatures appelées cryptides, sur les thèmes abordés ou sur la démarche de ces chercheurs, funambules en équilibre dangereux sur le fil rouge de la science officielle.

Pour en savoir plus, il suffit de scanner avec un smartphone ou une tablette les liens QR Codes imprimés à la fin de chaque récit. Les fictions se prolongent vers des dossiers d’information complémentaire sur le web, facilitant les investigations et ouvrant de nouveaux horizons au lecteur pour prolonger son plaisir de lecture.

Plaisir de lecture, c’est tout ce que vous souhaitent les auteurs de ce premier opus.

Thierry Cloës, directeur de la collection Hibouc

Gotcha !

Thierry Cloës

Prologue

Je suis terré dans le noir, recroquevillé entre le buffet et le mur. Seul un fin rai de lumière où scintillent des poussières folles se faufile par le cadre mal ajusté de la porte d’entrée. La chaleur est accablante. L’air me brûle les poumons, malgré tous mes efforts pour retenir mon souffle. Le soleil tape au-dehors, faisant de ma cabane une étuve. Mais pour rien au monde je n’ouvrirai cette porte… plutôt crever !

De nouveau des coups sur le battant en bois… « Il » veut entrer. C’est la fin !

Voilà que je délire, à présent. J’entends crier mon nom. Impossible ! « Il » ne parle pas. Il ne peut pas parler ! Ça se saurait. J’appuie mes deux mains sur les oreilles, il faut que cela cesse, mes nerfs sont à bout.

Dans un fracas qu’une tonne de cotons dans les oreilles ne pourrait masquer, le jour se rue dans ma demeure, saturant simultanément la vue et l’ouïe. « Il » a fracassé ma porte, je suis à sa merci.

La tête entre les mains, blottie entre mes genoux serrés, les yeux fermés, et pourtant tous sens aux aguets, j’attends le coup fatal.

Mais c’est une voix humaine qui frappe mes tympans au travers de mes paumes.

— Jack. Qu’est-ce que tu fous, nom d’un chien ? Pourquoi ne réponds-tu pas ?

Je lève enfin les yeux, mais totalement aveuglé par la luminosité soudaine, c’est au timbre familier de leurs voix que j’identifie les deux visiteurs qui échangent de brefs propos à mon sujet : Le shérif et son adjoint. Ma dernière heure n’a donc pas encore sonné.

Une demi-heure de palabres. Ils m’ont filé une serviette humide pour me rafraîchir, m’ont servi deux cafés. L’adjoint Rick a même partagé son casse-croûte avec moi. Ils sont gentils, ils me rassurent, mais ils sont bien là pour me faire des ennuis. Des ennuis que je considère comme du pain bénit s’ils me sortent d’ici sain et sauf.

Andrew, le shérif me scrute depuis 5 minutes, ses yeux rivés dans les miens, un pied sur une chaise, les deux pouces posés sur sa ceinture. Il veut des réponses.

— Alors, Jack ? Tu te remets ? On peut y aller ? Tu sais pourquoi nous sommes là, je suppose ?

— Peut-être ! Je ne sais pas.

Ce sont là mes premiers mots depuis deux jours.

— Il va falloir tout nous expliquer en détail, Jack. Tu es dans de sales draps. Comment as-tu pu faire ça ?

Je pousse un long soupir, preuve que je respire encore. Tout raconter, oui, c’est la seule issue. Je préfère mille fois être condamné par la justice implacable des hommes, plutôt que de subir cette malédiction indescriptible.

— D’accord, Sherif. Je vous raconte tout depuis le début. Mais accrochez-vous, c’est un véritable film… d’horreur.

Acte I - L’auberge

Je terminais calmement mon dimanche au pub du bourg, une bière à la main, mon journal plié en quatre de l’autre, seul à ma table, comme toujours. Je n’aime plus beaucoup les conversations avec les autres… Parler avec eux, ça finit toujours mal et mes phalanges souffrent rien que d’y songer.

J’avais bien remarqué l’arrivée de cette belle blonde pulpeuse en tailleur chic et son garde du corps roulant des mécaniques. Elle posait des tas de questions au bar, au milieu de tous ces tarés qui s’imaginaient peut-être avoir la moindre chance de l’intéresser. Une fille pareille, ça évolue dans les hautes sphères de Wall Street… Ça jure dans notre décor miteux de bouseux sauvages. Je ne voyais franchement pas ce qu’elle foutait là et de quoi elle pouvait bien parler, mais mon sang n’a fait qu’un tour lorsqu’elle s’est retournée et a rivé ses yeux sur moi.

J’ai beau n’avoir peur de rien, du haut de mon mètre 95, cent-trente kilos de muscles, je me suis soudain senti tout petit.

L’un de mes anciens compagnons de beuverie a lâché tout haut :

— Oui ! C’est lui, là-bas. Il en a vu un de près… Enfin, c’est ce qu’il dit ! Hahaha !

La fin de sa phrase s’étrangla dans un rire gras, repris en coeur par toute l’assemblée de chemises à carreaux.

Bien entendu, je savais à quoi il faisait allusion, la cause de toutes nos embrouilles, nos bastons homériques et nos nuits au poste à cuver notre cuite en comptant nos ecchymoses. Mais ça, c’était de l’histoire ancienne, et cela faisait un bail que je n’embrayais plus sur ces provocations, ce qui m’avait progressivement conduit vers cette solitude silencieuse. J’étais toujours là, parmi eux, mais dans mon coin, faisant presque partie des meubles.

Et il était hors de question de changer de stratégie… J’étais résolu au silence. Sauf que… certaines rondeurs émousseraient les angles des principes les plus carrés. Et ces rondeurs se tenaient fermement devant moi, à portée de main.

Elle était plantée là, de l’autre côté de ma table, exhibant ce ventre incroyablement plat, absence de relief qui contrastait étonnamment avec… ces fameuses rondeurs précitées.

Mal à l’aise, je feignis l’indifférence en lui lâchant :

— Ma pt’ite dame, vous n’avez pas plus votre place à ma table qu’en ce bar mal famé grouillant d’ours mal léchés. Vous avez dû vachement vous perdre pour vous trouver ici.

— Est-ce vrai ? Vous avez vu la bête ? me répondit-elle comme si je n’avais pas pipé un mot.

Je me renfrognai… Comment échapper à cette malédiction ?

— Moi, je n’ai rien vu du tout. Dites-vous que je suis aveugle.

— Aveugle ? Vraimeeent ? dit-elle d’un ton langoureux en prenant appui des deux mains sur la table. Ainsi penchée en avant, ses rondeurs firent mine de s’évader de leur carcan.

— Que… qu’est-ce que vous me voulez, à la fin ? balbutiai-je plus que je ne l’aurais souhaité.

— Je suis journaliste au National Geographic, réponditelle en s’asseyant face à moi, un large sourire aux lèvres.

— Ah ? fis-je bêtement.

— Je veux faire un reportage sur le bigfoot et on dit qu’il y en aurait dans le coin. On dit même que vous seriez l’un des incroyables chanceux qui l’auraient vu plusieurs fois. Est-ce vrai ?

— On raconte beaucoup de choses, ma ptite dame. Mais c’est que des histoires pour les touristes, vous savez. Y a absolument rien de ça par ici. On vous a mal renseigné.

— Oh ! C’est dommage ! lâcha-t-elle avant d’ajouter : je vous aurais bien demandé de m’accompagner en forêt pour traquer la bête et avoir le scoop du siècle. Mais bon, tant pis !

— Vous voulez dire… vous et moi, dans la forêt ? J’étais bouche bée.

— Oui, vous et moi… enfin, avec Tom aussi, bien sûr.

Là, le grand dadais se planta à côté d’elle. Un vrai géant qui n’était plus du tout insignifiant, et elle était devenue soudain moins séduisante à mes yeux.

— Y a rien à voir ici. Vous vous trompez.

Là, comme une tornade qu’on n’attendait pas, les copains se sont mis à brailler.

— Mais qu’est-ce que tu racontes ? Ça fait des années que tu nous casses les pieds avec tes histoires, que tu cherches des traces, des empreintes, que tu hantes les bois avec ton appareil photo que t’as jamais été fichu d’utiliser et maintenant tu joues au con ?

— C’est faux ! Je sais utiliser mon appareil photo !

— Ah ouais ? Comme avec tes super clichés de bigfoot tout noirs parce que t’avais oublié d’enlever le cache ?

Je ne répondis rien… De toute façon, mes mots se seraient noyés dans le concert assourdissant de leurs rires. Je regrettais amèrement d’avoir répondu. J’aurais dû garder le silence, comme je m’y étais habitué, mais j’étais trop concentré à river mes yeux dans les siens si perçants, pour éviter, un peu plus bas, ce balcon affolant dont elle savait si bien jouer. J’étais sur une mauvaise pente.

— Je voudrais vous y voir ! Vous croyez que vous auriez pensé au cache devant ce spectacle… Je fermai les yeux pour faire appel à ma mémoire… et surtout ne pas me laisser distraire par un autre spectacle.

— Il devait bien faire dans les 2 mètres cinquante.

Elle planta son regard dans mes yeux à peine rouverts.

— Il n’existe pas, mais mesure 2,5 mètres ? fit-elle, ironique.

— 2,5 à 3,5 mètres m’dame, fit John en se tenant les bretelles. Des bestiaux encore plus grands que nous, y paraît.

— La ferme, John ! dis-je.

— Et paraît même qu’y puent la charogne à 10 mètres et même plus, ajouta Henry accoudé au bar.

— La ferme, Henry !

— Et qu’y sont pas méchants, hein ! Y sont timides et veulent nous éviter, nous les humains, parce que pour eux, c’est nous les bêtes ! S’esclaffa Jim

—La ferme, Jim !

— Même qu’y paraît qu’ils veulent pas nous voir pasqu’on n’est pas encore assez sage pour eux. Enfin, c’est eux qui l’ont dit à Jack…

Je vis rouge, c’en était trop !

— LA FERME ! Merde ! Cessez vos âneries, vous ne dites que des conneries. Jamais un bigfoot ne m’a rien dit. Vous délirez. Un bigfoot ça ne parle pas, c’est incapable de parler, y a jamais personne qui a prétendu qu’un bigfoot ait dit quelque chose.

C’est parce que des enfoirés comme vous racontent n’importe quoi sur eux que personne ne prend les vrais témoignages au sérieux… de votre faute si on me prend pour un fou.

— Te fâche pas, Jack. C’est pas la peine, tu vas te faire du tort. Me dit John pour me calmer.

— Mouais… Merci de t’en préoccuper, dis-je en soupirant.

— C’est rien ! Tout le monde sait que t’es cinglé depuis que tu prétends avoir vu le sasquatch. T’y peux rien.

— Mais je ne prétends pas ! Je l’ai vu ! Il existe, bordel de merde ! Il est aussi vrai que toi et moi.

— Nous, on veut bien te croire, mais quand même, t’as jamais été fichu de nous ramener une preuve, Jack. Pas la moindre preuve.

— Vous croyez que c’est facile de prendre une photo valable ? Nom d’un chien, vous pouvez faire le guet pendant des mois sans rien voir. Puis un jour il passe devant vous et là, vous devez réagir en quelques secondes. Prendre l’appareil, l’allumer, quand les piles ne sont pas mortes, enlever le cache, viser, faire la mise au point et canarder… Ben la plupart du temps, quand l’image est nette, vous n’avez que la végétation car, lui, ça fait longtemps qu’il s’est barré en ricanant.

En plus, ces foutus appareils mettent des plombes entre votre clic et le cliché. Changez vos réglages pour que ça aille plus vite et vous obtenez une image floue, pixellisée, d’un bout de pied ressemblant à un rocher que personne n’identifiera.

— Et encore, ça, c’est quand t’as pas oublié d’enlever le bouchon…

Je fulminais… Ils se foutaient vraiment de moi.

— La prochaine fois, t’as intérêt à le flinguer ! Avec un bon vieux fusil, pas de mise au point, pas d’allumage ! Dis Henry, provocateur.

— Non, avec un fusil, c’est lui que tu allumes, répondit un Jim hilare.

Je soupirais, désespéré.

— Vous savez bien que l’état a voté une loi interdisant de tirer sur un bigfoot. Nom de Dieu, ça doit quand même vous faire réfléchir ça, non ?

— Réfléchir à quoi ? hasarda Henry

— Mais bon sang, si les politiciens perdent leur temps à voter une loi pour protéger les bigfoot, c’est quand même bien qu’ils considèrent son existence, non ?

Un grand silence suivit, brisé par le barman enjoué

— Ben moi, quand j’achète un ticket du grand sweepstake, je prie le ciel de me donner le numéro gagnant. Pourtant, j’crois pas une seconde en Dieu !

— Vous m’effrayez par votre connerie, les gars. En tout cas, il est hors de question de tirer sur un bigfoot, c’est un crime.

— Ouais, ben il est aussi hors de question pour toi d’avoir un jour une preuve alors ! se moqua Jim.

Une voix haute et suave interrompit le débat

— Ce serait dommage, quand même. Très dommage même. Parce que le groupe national Geographic qui m’emploie offre 500.000$ à celui qui apporterait une preuve irréfutable de la présence de bigfoot dans la région.

— 500.000 $ ? siffla ensemble la bande de trappeurs-bûcherons.

— Oui. Mais pour une vraie preuve. Un bigfoot vivant… ou une dépouille.

— Il vous faut un spécimen ? Mort ou vif ? dit Henry d’une voix chevrotante.

— Oui. Mort ou vif ! Mais identifiable. Ce serait mieux vivant, bien sûr. Ou à défaut, une bonne photo, mais vu la qualité des photographes du coin… Dit-elle en m’adressant un clin d’oeil vexant.

Piqué au vif, je rétorquai :

— Vous offrez 500.000 $ pour commettre un crime ?

— Un crime ? Non… Bien sûr que non… Évidemment. Mais bonne chance pour vos photos, alors. Je vous laisse ma carte. Je vais encore traîner dans le coin quelques jours. Appelez-moi si vous avez quelque chose. Une photo… pas trop floue si possible… une empreinte, une touffe de poil… une peau entière… Ou… Plus ! Enfin, ne vous inquiétez pas. Ce n’est pas nous qui vous dénoncerions… hein ? Évidemment.

Voilà, elle avait injecté son venin. Après sa sortie du pub, un silence a plombé l’ambiance. Plus personne ne disait un mot… Mais tous se regardaient du coin de l’oeil. Suspicieux… Méfiants… La bande de copains devenait soudain une horde de rivaux, prêts à tuer un être qui n’avait aucune existence à leurs yeux 5 minutes plus tôt.

J’en avais trop entendu. Il fallait que je quitte cet endroit au plus vite. M’extraire de cette ambiance pesante. Et puis, j’avais à faire. Je comptais justement partir le lendemain en repérage avec mon appareil photo. Et peut-être un fusil !

Interlude 1

Le shérif Andrew me regarde sans dire un mot pendant des secondes qui me paraissent des siècles. Il se repasse mentalement le film que je viens de lui narrer. Puis il pousse un long soupir.

— OK, Jack. Je ne vois pas trop le rapport entre tout cela et notre affaire. Essaierais-tu de m’embrouiller ? Je sais que les moqueries des autres peuvent pousser à faire n’importe quoi, mais là… C’est un crime, Jack. Comment as-tu pu ?

— Je vais vous expliquer… laissez-moi boire une gorgée… Je reprends. Je suis donc parti en forêt pour… faire mon job.

— Oui ! Pour braconner. Inutile de nier.

— Bref, je poursuis…

Acte II - La forêt

J’avais pris mon paquetage de secours, toujours prêt pour partir en sauvetage. Quand on vit comme moi, le plus souvent en forêt, on est toujours paré contre les imprévus. Je me suis dirigé vers la zone où j’avais aperçu mon objectif quelques mois plus tôt.

Sans sombrer dans la parano, du moins l’espérais-je, je jetais des coups d’oeil fréquents par dessus mon épaule, pour m’assurer que personne ne me suivait. Je prenais de nombreux détours, me planquais régulièrement, silencieux observant le chemin parcouru pour m’assurer que rien n’y bougeait. Je posais les pieds sur toute surface qui ne marquerait pas mon empreinte et dès que je traversais des zones au sol meuble, je marchais à reculon, balayant mes traces à l’aide d’une branche trouvée sur place.

Je retrouvai finalement la clairière où j’avais aperçu jadis la source de tous mes problèmes. Comment pouvais-je espérer que se reproduise cette incroyable rencontre ? D’une part, il était peu probable que cela se reproduise pour qui que ce soit. Autant sauter d’un avion au hasard dans l’océan en espérant tomber à cheval sur un calmar géant. Aucune chance. D’autre part, même s’il était encore dans le coin, il était assez malin pour déjouer tous mes trucs destinés à le coincer. Chaque rencontre était une surprise. Lorsqu’on le traque, on ne le trouve pas, ce qui me fait dire qu’il est vraiment le seul à décider des rares rencontres.

La saison était très chaude, et les soirées, lourdes et denses. J’étais perturbé et ne pouvais trouver le sommeil profond. J’en étais ravi, voulant rester aux aguets pour ne rien rater.

Je n’avais pas dérogé à mes rituels habituels. J’avais parsemé le pourtour de mon campement de branchettes sèches dont le craquement me révélerait tout mouvement dans le périmètre. Faire un feu était exclu si l’on voulait se fondre dans la nature. J’avais checké et rechecké mon appareil photo, batteries pleines, carte mémoire vide en espérant que ce soit l’inverse au retour. Fusil chargé. Munitions de réserve dans la poche gauche et dans la droite, la lampe torche à Leds surpuissantes, consommation réduite pour un vrai projecteur. Caché sous une toile tendue recouverte de broussailles, je fermai les yeux en espérant l’appeler de mes rêves. Certains fêlés imaginent qu’il a des pouvoirs parapsychiques, qu’il peut lire dans les pensées, voire vous hypnotiser. Ridicule ! Mais à tout hasard, je me concentrai dans un appel silencieux. Il n’y avait de toute façon sur place aucun témoin de cette tentative idiote.

La fatigue me prit en traître, je fis une microsieste, une vingtaine de minutes, juste ce qu’il fallait pour récupérer 80 % de tonus sans sombrer dans un sommeil profond. Une giclée d’adrénaline née d’un réveil en sursaut et je passai instantanément en mode alerte.

Une branche avait craqué !

Silencieux, je scrutai en direction du bruit. Sans doute un petit mammifère trop curieux. Mais je n’arrivai pas à le localiser dans ce brouhaha silencieux… la légère brise dans les branches, le clapotis joyeux du ruisseau faisant son lit quelques mètres plus loin, le froissement feutré mais trop présent des feuilles mortes sous mon corps, le bourdonnement des insectes agités, tour à tour proies ou chasseurs. Ces sons, qui d’habitude mettent mon âme en phase avec la nature, m’agaçaient à présent. Surtout rythmés par ce battement sourd et rapide… les pulsations dans mes tympans de mon coeur affolé par la tension.

Une ombre se déplaçait à une dizaine de mètres de moi dans les buissons. Un bras immense et velu écarta une branche et un visage simiesque, glabre à la peau noire observait presque dans ma direction. J’étais bien caché, que pouvait-il chercher ? Je suivis des yeux une ligne droite partant des siens et mon sang ne fit qu’un tour en apercevant mon sac à dos qui traînait négligemment au sol à quelques pas de ma position.

Je me criai dessus mentalement : « Mais quelle andouille je fais, nom de Dieu ! Ce n’est pas possible d’être aussi nul ! » J’avais envie de bondir en hurlant et de me gifler copieusement, mais cela n’aurait pas arrangé mes affaires. Inutile d’en rajouter. D’ailleurs, cet artefact humain incongru dans cet environnement avait le mérite d’attirer son attention. Cela me permettrait peut-être une approche discrète par le flanc.

Je me préparai à ramper en sa direction et m’arrêtai juste à temps pour penser :

— « Pas de panique, où tu vas, là ? Tu ne prendrais pas ton appareil photo, crétin ? »

Je saisis l’appareil. Garder mon sang-froid ! Réfléchir ! Ne pas faire de gaffes comme les autres fois. Anticiper, tout prévoir. D’abord, enlever le cache. OK.

Il est lent ? Je vais déjà l’allumer.

« Dong ! »

« Putain de merde ! Pourquoi ces débiloscopes doivent-ils toujours faire un bruit bizarre quand on les allume ? »

Du coin de l’oeil immobile, je constatai qu’il n’avait rien entendu. Ouf, me dis-je en admettant que le débile, c’était moi qui n’avais pas pensé à régler ce reflex pour le rendre silencieux en toute circonstance.

« Check-list : Appareil allumé ! Cache enlevé ! Flash chargé et paré ! Zoom ??? Oui, quel zoom au fait ? Moyen, champ large, je devrai aller vite et viser au jugé, impossible à cadrer en champ trop rapproché. Pour contrer le temps de mise au point, j’essaierai de viser, de caresser le bouton pour forcer l’autofocus, et dès qu’il tourne la tête vers moi, le clic devrait se déclencher très vite. Ensuite ? Ensuite, je canarderai au jugé, sans m’arrêter, en mode rafale… Il devrait bien y en avoir une ou deux de valables au minimum. »

Après m’être convaincu de la bonne stratégie à adopter, je remerciai le ciel que mon visiteur ne se soit pas déjà barré. Je rampai doucement, pendant ce qui me parut un siècle, en contournant son champ de vision supposé (qu’en savais-je, en fait ?), mais quelque chose me chiffonnait. J’avais dû commettre une erreur et cette sensation étrange ne faisait que s’amplifier. Je produisais autant de bruit qu’une moissonneuse batteuse et lui ne bronchait pas. D’habitude si farouches, celui-ci semblait attendre. Je me sentis soudain en danger… Ce genre de terreur sournoise qui vous grimpe le long de l’échine comme une langue de feu. Mon fusil ! J’avais oublié de prendre mon fusil ! Nul sur toute la ligne !

Lisait-il vraiment dans les pensées ? À l’évocation du mot « fusil », il tourna la tête dans ma direction. Stressé, j’ai machinalement amorcé un demi-tour, mais les branchettes que j’avais moi-même placées pour baliser mon camp craquèrent sous mon poids. Mon satané détour !

Il me vit, se dressa de sa haute stature et poussa un hurlement qui me glaça le sang. Aucune gorge humaine ne pouvait émettre un tel son profond, grave, caverneux, faisant vibrer jusqu’aux arbres environnants. Comme je lus dans ses yeux plus de surprise que d’agressivité, je tentai le tout pour le tout. Je me levai d’un bond, brandis l’appareil prêt à enclencher, mais fus stoppé net par un nouveau « dong ! » suivit de la rentrée inopinée du zoom 24x ! Et meeeeerde ! Lassé de m’attendre, mon super reflex haut de gamme venait de décider de s’éteindre afin de garder les batteries pleines… mais la mémoire vide aussi ! Je vouai la technologie humaine aux gémonies en rallumant rageusement cette boîte récalcitrante. Un nouveau « Dong ! » impertinent fit monter ma fureur d’un cran supplémentaire. Bigman en eut sans doute assez de mon cinéma, poussa un nouveau cri et tourna les talons, ce qui acheva de me vexer. Voilà que je ne pourrai immortaliser que son dos, dans le meilleur des cas.

Je courus vers lui, plein de rage et, alors qu’il s’enfonçait dans les buissons, tentai ma chance. Mon doigt crispé sur le déclencheur, j’attendis une seconde… puis deux… trois… ziiiii-zzzoooo ziii-zoooo. Mouvements sans fin du zoom, autofocus incapable de se fixer à cause du feuillage disposé sur une plage de distances trop étendue… Je baissai les bras… ziiiii- Clic ! Un flash venait d’illuminer mes pieds et mon « 47 fillette », immortalisé pour la postérité, prouverait à jamais mon incompétence en photographie.

Là, tout s’est passé très vite. bigfoot s’est retourné et, malgré la distance, j’ai cru lire la moquerie dans ses prunelles. Je me sentais lamentable et mes pensées filaient à toute allure. J’entendais le pub exploser du rire d’une foule se moquant de mon art pictural, j’imaginais les clins d’oeil moqueurs de la pulpeuse aguicheuse du National Geographic et des billets de banque prenant leur envol, pliés en une sorte de ptérodactyles verts…

Rires, moqueries, sentiment d’échec cuisant, de nullité bien réelle. Et peut-être la dernière chance de ma vie de ramener une preuve.

Des mots cinglèrent : « Mort ou vif ! »

Je jetai rageusement cet appareil inutile au loin, d’un bond prodigieux me lançai vers mon abri où j’agrippai mon fusil gros gibier au vol et je repris au pas de course le chemin inverse. J’avais l’impression d’être animé d’une force surhumaine, la rage ultime, sans doute. Était-ce par surprise de mon revirement soudain, Mister bigfoot se relevait en grognant. Il semblait avoir trébuché, ce qui faisait de lui le plus maladroit représentant de sa race. Comme moi ! Nous étions faits l’un pour l’autre.

Sans hésiter, je levai le canon de mon arme dans sa direction. Il poussa un grognement plaintif, la terreur se lisant sous ses sourcils proéminents. Une petite voix me disait « ne fais pas ça, c’est un crime, tu vas le regretter toute ta vie, arrête ! » Mais je ne pouvais plus reculer.

Un léger mouvement du doigt… un bruit retentissant déchira le silence. Un choc dans l’épaule, dû au recul du gros calibre. Le sentiment de partager un peu la douleur de ma proie. La montagne de muscles poilus chavira et s’effondra en arrière sur le sol.

Je ne pus m’empêcher de hurler : « Gotcha ! » (I’ve got you : je t’ai eu)

Et le silence s’installa… un silence total. Même le vent, même les oiseaux, les insectes, le ruisseau se turent. La mort avait parlé. Et surtout, mes oreilles devaient se remettre de la détonation. La nature m’observait. Je me sentais épié.

Je suis resté plusieurs minutes hébété. Ma colère était tombée en une fraction de seconde. Des remords commençaient à me ronger. Ce n’était qu’un début. Je retardais l’instant, pressentant la plus grosse connerie de ma vie… Il y aurait avant et après cet instant. Je me rendais compte que j’avais commis un crime. Tuer une espèce protégée, si rare, à la fois si proche et si différente de nous. Il fallait aller voir. Et c’est seulement là que le cauchemar allait débuter.

Je mis dix ans à m’approcher de la bête… de mon crime. Le temps n’existait plus. Je passai au travers des buissons au feuillage anti-autofocus. Par prudence, je commençai par secouer la dépouille de la pointe de mon fusil. Plus rien ne bougeait. J’étais tenaillé entre l’excitation d’être le premier au monde à ramener un corps de bigfoot et la culpabilité d’avoir commis un crime.

D’ailleurs, si je déclarais ma découverte, ne risquais-je pas de gros ennuis ? J’aurais dû y réfléchir plus tôt. À moins que…

Pourquoi cette peur panique ? Des boules de feu montaient et descendaient le long de ma colonne vertébrale. La nuque en flamme, la bouche sèche, les yeux fiévreux, je savais instinctivement que ça ne collait pas. Des mots voltigeaient dans mes pensées chaotiques : « comportement anormal… pas farouche… lent… pataud… sourd… maladroit… »

Et puis, cette tache de lumière à la base du cou. Le reflet du soleil sur une pièce brillante. Comme un zombie, je tâtai l’objet du bout de mon arme que je glissai par-dessous. L’objet se souleva, emportant avec lui une chaînette qui leva une partie du pelage, laissant apparaître de la peau… glabre… blanche… Ma vue se brouilla de larmes à mesure que se révélait mon calvaire.