Pandémies et catastrophes naturelles telles que reflétées dans l'enseignement de l'Histoire - Collectif - E-Book

Pandémies et catastrophes naturelles telles que reflétées dans l'enseignement de l'Histoire E-Book

Collectif

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Beschreibung

Covid-19, série dévastatrice de tremblements de terre en Türkiye et en Syrie... Dans quelle mesure les jeunes sont-ils préparés à comprendre de tels événements catastrophiques et leur impact sur les sociétés ? Le premier rapport thématique de l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe (OHTE) étudie la place des pandémies et des catastrophes naturelles dans les programmes scolaires en fonction des différents cycles d’enseignement. La mission de l’observatoire est de fournir un panorama précis de l’état de l’enseignement de l’histoire en Europe. Dans les États membres de l’observatoire, cette mission est réalisée par la publication de rapports OHTE sur l’état de l’enseignement de l’histoire en Europe ainsi que par le biais de rapports thématiques qui explorent des domaines d’intérêt particuliers et leur prise en compte dans les cours d’histoire. La vision de l’observatoire est résumée par sa devise : « Enseigner l’histoire, ancrer la démocratie ». En pratique, cela signifie qu’il vise à promouvoir un enseignement de l’histoire de qualité afin d’améliorer la compréhension de la culture démocratique chez les jeunes. L’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe est un accord partiel élargi du Conseil de l’Europe.

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PANDÉMIES ET

CATASTROPHES NATURELLES

TELLES QUE REFLÉTÉES

DANS L’ENSEIGNEMENT

DE L’HISTOIRE

 

 

RAPPORT THÉMATIQUE

DE L’OBSERVATOIRE

DE L’ENSEIGNEMENT

DE L’HISTOIRE

EN EUROPE

 

 

Sommaire

 

Cliquez ici pour consulter la table des matières complète, ou allez directement sur l’option « Table des matières » de votre lecteur numérique.

Chapitre 1Introduction

Le 11 mars 2020, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé a déclaré la covid-19 pandémie mondiale (OMS, 2020). Les suites données à cette déclaration au plan international ont montré à quel point le monde était mal préparé à un tel événement. Deux ans après, la pandémie de covid-19 demeure un traumatisme à l’échelle internationale. La multiplication par dix des catastrophes naturelles survenues dans le monde depuis les années 1960 pourrait faire l’objet d’un constat analogue. Comme il est indiqué dans l’édition 2020 du Registre des menaces écologiques (Ecological Threat Register), la probabilité de nouvelles menaces écologiques a augmenté de façon exponentielle ces dernières années (Institut pour l’économie et la paix, 2020). Ce n’est pas la première fois que les sociétés sont confrontées à de tels risques. L’étude de l’histoire des pandémies et des catastrophes naturelles du passé permet de mieux comprendre comment les traverser, reconstruire et se rétablir. Étant donné la prévisibilité de la survenue de nouvelles pandémies et catastrophes naturelles à l’avenir, il est capital d’apporter aux élèves les connaissances, la compréhension et la résilience nécessaires pour surmonter l’adversité, afin de leur permettre d’interpréter en citoyens le monde dans lequel ils vivent et de réfléchir de manière constructive à l’avenir de la planète. À cet effet, la discipline historique peut jouer un rôle important. Cependant, à ce jour, on ne sait guère comment ces sujets sont représentés dans les programmes scolaires des États et encore moins comment ils sont enseignés à l’heure actuelle dans les salles de classe. Le présent rapport a pour objectif d’offrir un aperçu du traitement des pandémies et des catastrophes naturelles dans les programmes scolaires nationaux actuels et des pédagogies utilisées pour les enseigner dans les salles de classe des 16 États membres de l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe.

Historique et contexte du rapport

L’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe (OHTE) est un accord partiel élargi du Conseil de l’Europe comprenant 16 États membres et 2 États observateurs1. Il a été établi en novembre 2020 à l’initiative du Gouvernement français, au titre des priorités formulées durant sa présidence du Conseil de l’Europe (Conseil de l’Europe, 2020). La mission de l’observatoire est de promouvoir une éducation de qualité afin de renforcer la culture démocratique dans ses États membres. Il assure cette mission par le biais de la publication de rapports et d’une plateforme de coopération regroupant diverses parties prenantes dans le domaine de l’enseignement de l’histoire. Cette dernière est à l’heure actuelle mise en œuvre par le Laboratoire transnational pour la coopération et l’enseignement de l’histoire (HISTOLAB), un projet du Conseil de l’Europe (Service de l’éducation) et de l’Union européenne (Direction générale de l’éducation, de la jeunesse, du sport et de la culture de la Commission européenne). Pour réaliser son objectif, qui est de fournir un panorama précis de l’état de l’enseignement de l’histoire dans ses États membres basé sur des données et des faits fiables relatifs à la façon dont l’histoire est enseignée, l’OHTE commande des rapports réguliers et des rapports thématiques. Les rapports réguliers visent à fournir un instantané de la façon dont l’histoire est enseignée sous des angles divers. Au fil du temps, la série de rapports réguliers vise à créer un aperçu transversal de l’état de l’enseignement de l’histoire en Europe et de son évolution. Les rapports thématiques, dont le premier est le présent rapport « Pandémies et catastrophes naturelles telles que reflétées dans l’enseignement de l’histoire », portent sur l’étude approfondie de questions et de thèmes particuliers.

L’OHTE est constitué d’un comité de direction composé d’un représentant de chaque État membre. Il définit et adopte les programmes annuels et à moyen terme, y compris le choix des sujets des rapports thématiques, supervise leur mise en œuvre et la gestion des ressources de l’observatoire. Le comité de direction a également déterminé le sujet du rapport thématique et les représentants ont coordonné les réponses à l’enquête dans le cadre du processus de collecte des données ; toutefois, le comité n’a eu aucune influence sur le contenu final du rapport. Outre son comité de direction, l’OHTE comprend un conseil scientifique consultatif (CSC) composé de 11 personnalités reconnues dans le domaine de l’enseignement de l’histoire. Le CSC garantit la qualité scientifique des travaux de l’observatoire. Il est consulté sur le programme de ce dernier et assiste le comité de direction en émettant des avis sur toute autre question concernant les activités de l’observatoire. La troisième composante de l’OHTE est le secrétariat de l’observatoire. Dirigé par une directrice exécutive, sous la responsabilité de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe, il assure le fonctionnement quotidien de l’observatoire et le soutien organisationnel aux travaux des organes statutaires. Pour la production des rapports, l’OHTE convoque des groupes d’experts qui travaillent sous la responsabilité et la supervision du conseil scientifique consultatif.

Le présent rapport thématique, consacré aux pandémies et aux catastrophes naturelles telles qu’elles sont reflétées dans l’enseignement de l’histoire, a été rédigé par un groupe d’experts composé à la fois de spécialistes dans le domaine de l’enseignement de l’histoire invités à titre individuel, qui sont pour partie également membres du conseil scientifique consultatif de l’OHTE, ainsi que d’experts affiliés au consortium du Réseau de recherches international pour les enseignants d’histoire (HEIRNET)2. L’objectif général du présent rapport thématique est de fournir des données empiriques sur l’enseignement de l’histoire des pandémies et des catastrophes naturelles dans les 16 États membres de l’OHTE. Ce sujet revêt une importance particulière dans le contexte de la pandémie de covid-19 et de la menace accrue que représentent les catastrophes naturelles pour tous les pays et leurs populations.

Pandémies : une perspective historique

L’actuelle pandémie mondiale de covid-19 qui a débuté en 2019, causée par le coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-CoV-2), n’est que la dernière d’une succession de pandémies qui ont affecté le monde depuis la préhistoire. On définit une pandémie comme une « épidémie se déclarant dans le monde entier, ou sur une zone très étendue, franchissant les frontières internationales et affectant habituellement un grand nombre de personnes » (Last et al., 2001). Les pandémies sévissent lorsqu’un nouveau virus se répand facilement au sein d’une population qui n’y est que peu ou pas immunisée. Elles sont causées par de nouveaux agents pathogènes qui se propagent rapidement parmi les populations hôtes humaines, contaminant un grand nombre d’individus dans le monde (Kelly, 2011).

Bien qu’elles n’aient été identifiées comme telles qu’à l’époque moderne, les pandémies ont eu un impact significatif sur les récits historiques des humains depuis le début de l’histoire humaine connue. Elles ont mis en danger la vie humaine et entraîné des bouleversements sociaux, rappelant chaque fois aux sociétés la fragilité de l’existence humaine et les limites du savoir humain. Elles ont entraîné des conséquences durables sur la démographie des populations, les économies et les structures sociales, et les générations futures ont tiré divers enseignements de leur mémoire historique. À cet égard, les pandémies ont constitué des épisodes formateurs dans l’histoire de l’humanité et ont fréquemment annoncé d’importants changements qui eurent lieu dans leur sillage. Selon Venkatesan et al. (2022 : 1) : « Elles ont offert autant d’occasions de repenser, reconfigurer et renégocier nos conceptions de l’individu, du collectif, du social, du privé et du public, ainsi que celles de la santé, de la maladie, de l’hygiène et de la sécurité. » Occasionnellement, et de plus en plus fréquemment au cours de la période moderne, les pandémies ont fourni des enseignements sur le corps humain, ont été à l’origine de progrès scientifiques dans le domaine médical et ont suscité l’élaboration de politiques de santé publique.

La première archive historiquement documentée d’une épidémie est le récit que Thucydide consacre à la peste d’Athènes (430 avant notre ère, deuxième et troisième vagues en 429 et 427-426 av. J.-C.). L’historien décrit l’apparition de la maladie pendant la guerre du Péloponnèse et fournit des informations essentielles sur les mesures prises par les médecins et la propagation de la maladie dans la population. Sa chronique est tout particulièrement significative car il vivait à Athènes à l’époque de l’épidémie et contracta lui-même la maladie, de sorte que son témoignage revêt une importance considérable pour la description de la symptomatologie de la peste. Il écrit : « Je me contenterai d’en décrire les caractères et les symptômes capables de faire diagnostiquer [la peste] au cas où elle se reproduirait. Voilà ce que je me propose, en homme qui a été lui-même atteint et qui a vu souffrir d’autres personnes. » (Thucydide, 431 av. J.-C. : 2.48.3). L’extrait cité manifeste l’intention de documenter cet événement historique afin que les informations soient utiles lors des épidémies futures.

Le témoignage de Thucydide donne également un aperçu des répercussions de la peste sur l’ordre social athénien (Thucydide, 431 av. J.-C. : 2.52.4). Il relate les effets dévastateurs de la maladie et son impact significatif sur l’issue de la guerre qui opposait Athènes et Sparte. L’épidémie, dont les origines pathogènes restent incertaines, a provoqué la mort de nombreux soldats et marins athéniens, y compris de Périclès, le dirigeant d’Athènes. Les bouleversements qui s’ensuivirent déstabilisèrent davantage la société athénienne, les citoyens ne respectant plus la primauté du droit et ne craignant plus les conséquences de l’abandon de la vénération des dieux qui leur apportaient un soutien religieux. Nombre des questions abordées par le présent rapport thématique (notamment, comment l’histoire des épidémies et des pandémies passées peut servir à l’avenir, dans quelle mesure la survenance de tels événements peut avoir un impact significatif sur les sociétés, affectant même dans certains cas le déroulement et, sans doute, l’issue des guerres, etc.) sont déjà préfigurées dans ce premier texte historique consacré au sujet. Les recherches visant à prévenir l’une des épidémies endémiques les plus meurtrières dans l’Europe du XVIIIe siècle, la variole, ont abouti à la mise au point par Edward Jenner du premier vaccin efficace au monde, sur la base du virus de la variole bovine, apparentée mais beaucoup moins nocif (Riedel, 2005). Fait intéressant à relever, et analogue à maints égards à la réaction de franges de la population face à la vaccination contre la pandémie de covid-19, une mobilisation de masse et des violences collectives eurent lieu en Angleterre contre la campagne de vaccination, premier exemple historique de mise en œuvre d’un programme de vaccination de portée nationale, qui aboutirent à la fondation d’une ligue nationale antivaccination (King, 2020). Cependant, grâce à son efficacité, ce vaccin a permis l’éradication définitive de la variole en 1980, « le premier et toujours l’unique exemple d’éradication intentionnelle d’une maladie humaine » (Snowden, 2019 : 89).

Les solutions mises en œuvre pour répondre aux précédentes pandémies historiques ont inspiré les mesures prises au niveau mondial pour faire face à la pandémie de covid-19, et les compréhensions sociétales des pandémies ont été façonnées, dans une certaine mesure, par la mémoire collective et les récits d’événements passés.

Catastrophes naturelles : une perspective historique

Prasad et Francescutti (2017 : 215) définissent les catastrophes naturelles comme « les conséquences insurmontables d’un risque naturel ». Les catastrophes naturelles sont des événements fréquents et mondiaux, qui peuvent être des tremblements de terre, des éruptions volcaniques et des tsunamis, mais aussi des récoltes déficitaires, des famines, des sécheresses et des inondations. Historiquement, elles entraînèrent des conséquences dévastatrices pour l’humanité, paralysant les économies, détruisant les récoltes et provoquant le déplacement de millions de personnes. Les catastrophes naturelles font peser une menace continue et l’accroissement de la population mondiale, le changement climatique ainsi que la prolongation de l’instabilité économique ne font qu’augmenter la vulnérabilité de l’humanité face à ces dangers (Prasad et Francescutti, 2017).

Si les locutions « risques naturels » et « catastrophes naturelles » sont souvent utilisées de manière interchangeable, il n’en demeure pas moins possible d’énoncer des caractéristiques les différenciant nettement. Un risque naturel désigne tout phénomène, événement physique ou comportement humain (inondation, ouragan, sécheresse, épidémie, accident nucléaire, etc.) potentiellement susceptible de porter atteinte aux humains, de détruire des biens, de perturber l’ordre social ou d’entraîner une dégradation de l’environnement. En revanche, une catastrophe naturelle est « la conséquence potentielle d’un risque naturel, lorsqu’une collectivité ou une population est incapable de gérer les effets du risque compte tenu des ressources dont elle dispose » (Prasad et Francescutti, 2017 : 216). Bien qu’ils soient distincts les uns des autres, la figure 1.1 illustre la relation existant entre les risques naturels et les catastrophes naturelles. Un risque peut se produire indépendamment de l’action de l’homme ; toutefois, la probabilité de la survenue d’une catastrophe naturelle est élevée quand les capacités d’une collectivité sont dépassées. Depuis les années 1990, les gouvernements du monde entier sont conscients de l’aggravation rapide des menaces que font peser les pandémies et les catastrophes naturelles sur l’avenir écologique, économique et social de l’humanité. Si les pandémies et les catastrophes naturelles sont des phénomènes distincts, ils sont tous deux universellement reconnus comme représentant autant de défis majeurs pour l’avenir de l’humanité.

Figure 1.1

 

– 

La relation entre les risques naturels et les catastrophes naturelles

Les catastrophes naturelles historiques ont laissé une forte empreinte dans les mémoires collectives nationales. Ces dernières évoquent principalement des événements d’ampleur nationale, tels que des tremblements de terre, des éruptions volcaniques, des glissements de terrain, des inondations, des sécheresses, des famines, des feux de brousse et des tempêtes. En Grèce, les conséquences de l’éruption volcanique de Santorin, qui sonna probablement le glas de la civilisation minoenne dans les années 1640 avant notre ère, sont enchâssées dans le canon historique national. Au Portugal, le tremblement de terre de Lisbonne en 1755 est profondément inscrit dans la conscience nationale et la mémoire collective, tout autant que la Grande Famine de 1845-1852 en Irlande. Au niveau européen, l’éruption du Vésuve, qui entraîna la destruction de Pompéi, est un événement commun des mémoires européennes. Ces sujets peuvent jouer en tant que tels un rôle considérable dans la conscience historique collective et contribuer à façonner le récit historique archétypal d’un pays ainsi que le sentiment d’identité nationale, les expériences partagées faisant office, en quelque sorte, de ciment social.

L’enseignement des pandémies et des catastrophes naturelles

Malgré les hécatombes et les dévastations qu’elles ont provoquées dans les sociétés, les pandémies et les catastrophes naturelles sont des événements auxquels l’enseignement de l’histoire accorde peu d’attention. Cela s’explique par le fait que l’enseignement de cette discipline se focalisait traditionnellement presque exclusivement sur l’histoire politique et nationale, et était axé sur l’édification et la transmission d’un récit national positif conçu pour inculquer aux individus un sentiment de loyauté envers leur pays et renforcer les notions d’appartenance au groupe et d’identité (Carretero et Bermudez, 2012 ; Cârstocea, 2022). Une importance primordiale étant accordée aux événements politiques ayant eu lieu au sein de la nation, des faits comme les pandémies et les catastrophes naturelles n’ont par conséquent pas bénéficié de la même attention. On observe dans l’enseignement universitaire de l’histoire un manque d’attention à ces sujets analogue, l’étude des pandémies et des catastrophes naturelles ayant été jusqu’à récemment considérée comme une matière relevant d’un enseignement spécialisé et n’appartenant pas au cursus général. Les événements militaires tels que la première guerre mondiale ont, jusqu’à présent, prévalu sur des événements comme la grippe espagnole, même si le nombre de morts provoqués par cette dernière est comparable et peut-être même supérieur à celui de la Grande Guerre (Milne, 2018). Bien que les pandémies et les catastrophes naturelles aient eu un impact significatif sur les sociétés au fil du temps, l’étude de ces événements est souvent confinée à des sous-disciplines spécialisées ou examinée plus en détail dans des volets de l’histoire économique, sociale, culturelle, orale et environnementale qui, jusqu’à récemment, ont tous été pareillement sous-représentés dans de nombreux programmes scolaires. La pandémie de covid-19 a remis en cause le supposé rôle accessoire des épidémies et des catastrophes naturelles dans l’enseignement universitaire et scolaire de l’histoire, et a ouvert la voie à un nouveau questionnement sur les expériences vécues lors de tels événements et les leçons qu’elles peuvent nous enseigner. Alors que le monde continue de faire face aux dévastations et aux incertitudes provoquées par la pandémie de covid-19 et à la menace accrue de catastrophes naturelles, des éducateurs envisagent déjà les moyens d’intégrer dans leur enseignement la connaissance historique de ces questions.

Toutefois, de nombreuses difficultés accompagnent l’enseignement de ces sujets. L’une des plus importantes concerne les compétences, l’orientation et la connaissance du contenu pédagogique des enseignants eux-mêmes (Ní Cassaithe et Chapman, 2020). Une autre est celle de l’espace disponible dans le programme d’études pour y inclure ces sujets et l’autonomie relative accordée aux enseignants pour mettre en œuvre le programme d’histoire. Une autre encore est liée à l’aspect affectif inhérent au traitement de sujets sensibles évoquant des pertes de vies humaines en très grand nombre. Sans parler de la difficulté supplémentaire qui est de savoir comment enseigner sur le plan pratique ces sujets en classe.

Le rapport thématique

L’enseignement de l’histoire peut jouer un rôle important en apportant aux élèves une vue d’ensemble sur les pandémies et les catastrophes naturelles, passées et présentes, fournissant ainsi un puissant instrument d’exploration et de débat de ces sujets dans les classes d’Europe. En participant à un travail d’enquête historique sur des événements passés, les élèves prennent connaissance de précédents historiques aux pandémies et catastrophes naturelles contemporaines et les évaluent, découvrant ainsi des moyens de se relier à un passé dont l’écho résonne dans le monde d’aujourd’hui. Il n’existe à l’heure actuelle aucune donnée disponible sur la prise en compte de ces sujets dans les programmes d’enseignement des pays européens. De même, il n’existe aucune information sur la fréquence à laquelle ils sont enseignés ni de données relatives aux méthodes pédagogiques utilisées par les enseignants dans les classes européennes. Le présent rapport thématique fournit des renseignements inédits sur l’étendue de l’intégration des sujets relatifs aux pandémies et aux catastrophes naturelles aux programmes d’enseignement officiels, sur les sujets et les thèmes effectivement enseignés en salle de classe, ainsi que sur les pédagogies et ressources utilisées pour les enseigner dans les 16 États membres de l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe. Le rapport identifie en outre les pratiques en matière d’enseignement de l’histoire des pandémies et des catastrophes naturelles dans chaque État membre.

Les thèmes abordés dans le rapport

L’enseignement de l’histoire des pandémies et des catastrophes naturelles est un domaine qui n’a été jusqu’à présent que rarement traité par la recherche sur l’enseignement de l’histoire. Or il s’agit d’un sujet dont le caractère crucial se confirme de jour en jour et qui mérite une attention particulière, compte tenu notamment de l’augmentation du nombre d’occurrences des catastrophes naturelles et de la probabilité de futures pandémies. Il est impératif que soient proposées aux élèves de véritables occasions de prendre connaissance de précédents historiques et des mesures adoptées pour faire face à ces événements passés, afin de les préparer à affronter ceux à venir. L’objectif visé par le présent rapport est que ses conclusions puissent à l’avenir être mises en œuvre tant par les éducateurs que par les élèves lors de l’adaptation et de l’élaboration des programmes d’enseignement de l’histoire et du développement des aptitudes à la réflexion critique. L’enseignement des pandémies et des catastrophes naturelles devrait permettre de comprendre comment ces sujets ont contribué à la formation de nos sociétés jusqu’à ce jour, et comment nous pourrions mieux nous préparer à leurs futures et probables occurrences. Compte tenu de ces considérations, ce premier rapport thématique proposé par l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe met l’accent sur les pandémies et les catastrophes naturelles telles que reflétées dans l’enseignement de l’histoire, au regard des préoccupations exposées ci-dessous.

La prise en compte des pandémies et des catastrophes naturelles dans les programmes d’histoire

Le présent rapport thématique étudie la place des pandémies et des catastrophes naturelles dans les programmes scolaires en fonction des différents cycles d’enseignement. Il s’intéresse principalement aux programmes d’histoire des États membres de l’OHTE, mais identifie également d’autres disciplines du programme scolaire dans lesquelles ces sujets sont susceptibles d’être étudiés en classe. Il envisage la place attribuée à ce contenu dans les programmes scolaires respectifs et la marge de manœuvre dont disposent les enseignants pour traiter de ces sujets. Il aborde également les méthodes d’enseignement, les ressources utilisées, les acquis d’apprentissage attendus et l’adoption ou non d’approches favorisant la multiperspectivité au niveau du programme scolaire. Le rapport identifie en outre les acquis d’apprentissage spécifiques associés à l’enseignement de l’histoire des pandémies et des catastrophes naturelles dans les programmes d’enseignement de l’histoire et d’autres disciplines.

Les décisions pédagogiques des enseignants en matière d’enseignement de l’histoire des pandémies et des catastrophes naturelles

Le rapport thématique se penche également sur les principales pédagogies (telles que l’apprentissage actif, les méthodes fondées sur l’enquête, les projets de recherche, la pratique orale, le travail reposant sur les manuels scolaires et le travail interdisciplinaire) mises en œuvre dans les classes pour évoquer les pandémies et les catastrophes naturelles.

En outre, le rapport examine l’impact du niveau d’autonomie accordé aux enseignants sur la ou les manières dont ils abordent la préparation et l’enseignement de ces sujets. Les opinions des enseignants sur l’objectif de l’enseignement des pandémies et des catastrophes naturelles sont également discutées et la mesure dans laquelle les enseignants défient les discours dominants et s’engagent dans des interprétations alternatives est explorée.

La stigmatisation de boucs émissaires

Historiquement, les pandémies et les catastrophes naturelles ont souvent été accompagnées de tentatives de stigmatisation de boucs émissaires ou d’accusation de victimes expiatoires livrées à la vindicte populaire, qui portait fréquemment sur les minorités religieuses, culturelles ou ethniques et/ou sur des groupes considérés comme « marginaux ». Au XIVe siècle, à l’époque où l’épidémie de peste bubonique (« peste noire ») balayait l’Europe, les juifs furent accusés de propager la maladie, d’empoisonner les puits et de vouloir contaminer la population. Ces accusations furent suivies de violentes agressions et ont mené à l’extermination de communautés juives entières (Cohn Jr., 2007). Plus proches de nous, les épidémies de choléra du XIXe siècle ont été souvent imputées aux juifs et aux Roms3, associées à leur mode de vie de migrants ou prétendument itinérant (Markel, 1997 ; Crowe, 2000). En outre, le choléra était considéré comme une maladie « orientale », sévissant principalement dans les régions frontalières impériales de l’est et du sud-est de l’Europe. La grande pandémie grippale des années 1918-1920, encore appelée « grippe espagnole », offre à cet égard un intéressant parallèle historique. Elle doit son épithète « espagnole », non à une supposée origine espagnole, mais au fait que l’Espagne, pays neutre durant le premier conflit mondial et n’appliquant donc aucune censure de temps de guerre, fut le premier pays à déclarer publiquement la maladie (Milne, 2018). Plus récemment, la flambée des cas de covid-19 a précipité sur internet et les médias sociaux l’expression de sentiments racistes, antiasiatiques et antichinois. Elle s’est également traduite par une recrudescence de théories du complot antisémites (Estrin, 2020), d’associations islamophobes suite à la propagation du virus (Slater et Masih, 2020) et de discours et crimes de haine visant les communautés roms à travers l’Europe (Cârstocea, 2020).

Il convient donc d’accorder une attention particulière aux phénomènes d’« altérisation » qui naissent dans le contexte des pandémies et des catastrophes naturelles, et aux conséquences extrêmement destructrices qu’ils peuvent entraîner pour des groupes minoritaires. Cependant, comme le souligne l’historien des pandémies Samuel K. Cohn Jr. (2018), ces cas de stigmatisation de boucs émissaires, de discriminations et de violences perpétrées à l’encontre de groupes minoritaires doivent être mis en balance avec le redoublement des manifestations de compassion et de solidarité qui ont souvent accompagné les épidémies, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Le rapport thématique évalue l’attention accordée à ces processus d’« altérisation » dans l’étude de pandémies et de catastrophes naturelles historiques dans les États membres de l’OHTE.

Approches multiperspectives

Depuis sa création en 1949, le Conseil de l’Europe a reconnu le rôle essentiel que joue l’histoire en facilitant une mobilisation significative et une réflexion historique sur le passé. Plus spécifiquement, le Conseil de l’Europe a constaté la valeur de l’apport que l’histoire peut offrir aux jeunes, en ce qui concerne non seulement leur propre patrimoine historique et culturel, mais également celui d’autres peuples et cultures (Conseil de l’Europe, 2021). Une approche ainsi multiperspective de l’enseignement de l’histoire auprès des élèves sert « à développer l’ouverture d’esprit, la tolérance et l’esprit critique et à instaurer une compréhension et une confiance mutuelles entre les peuples de l’Europe » (Comité des Ministres, 1996). Stradling (2003 : 14) définit la multiperspectivité en ces termes : « Une façon de voir et une prédisposition à envisager les événements, les personnages, les évolutions, les cultures et les sociétés historiques sous des angles différents, en s’inspirant de procédés et de méthodes essentiels aux sciences historiques. »

Pour les enseignants d’histoire qui réfléchissent à la manière de l’aborder avec leurs élèves, la pandémie de covid-19 soulève des questions spécifiques de nature multiperspective. Alors même que la pandémie a toujours cours, l’on se demande déjà quel sera à l’avenir le souvenir historique de ce moment. Quels récits et perspectives seront partagés, et lesquels devraient l’être ? Quelles leçons peut-on tirer des épidémies et des crises sanitaires passées, et comment conviendrait-il d’utiliser ces leçons dans le domaine de l’éducation ? Le présent rapport thématique examine les approches adoptées par les enseignants pour prendre en compte la multiplicité des perspectives dans l’enseignement de l’histoire des pandémies et des catastrophes naturelles, et vérifie si la multiplicité des arguments, si les perspectives ou les interprétations différentes d’un événement historique sont sciemment incluses dans la planification et l’enseignement des enseignants.

Résumé des principales conclusions

Le rapport thématique repose principalement sur les données recueillies au moyen de deux enquêtes. Les autorités éducatives de chacun des 16 États membres de l’OHTE ont répondu à la première enquête, les enseignants d’histoire en activité dans les États membres à la seconde. L’enquête réalisée auprès des autorités éducatives (EAÉ) fournit des informations de référence officielles sur les programmes d’histoire de chaque État membre, en mentionnant plus particulièrement la prise en compte des pandémies et des catastrophes naturelles dans le contenu, les buts, les objectifs et les manuels scolaires. L’enquête réalisée auprès des enseignants et des éducateurs (EEÉ), à laquelle ont répondu des enseignants de tous niveaux dans les États membres, complète les données officielles fournies par les pouvoirs publics par des informations sur l’enseignement de l’histoire des pandémies et des catastrophes naturelles au niveau des classes, afin d’en obtenir un instantané complet dans une perspective historique4. Au total, 918 enseignants ont répondu à l’enquête ; 178 réponses n’étaient pas valides et l’analyse de l’enquête EEÉ est donc basée sur 740 réponses valides.

Les observations suivantes constituent les principales conclusions du rapport thématique sur les pandémies et les catastrophes naturelles telles que reflétées dans l’enseignement de l’histoire :

Malgré quelques exemples positifs allant dans le sens contraire, dans le cadre de la scolarité publique obligatoire, c’est-à-dire en moyenne entre 6 à 16 ans, le traitement des pandémies et des catastrophes naturelles dans les programmes officiels d’histoire des États membres de l’OHTE est réduit à la portion congrue, voire parfois inexistant. Les programmes scolaires n’accordent à ces sujets qu’un rôle périphérique, reflétant la persistance d’une attention portée prioritairement à l’histoire politique et à l’histoire nationale.

Les pandémies et les catastrophes naturelles sont plus abondamment traitées dans d’autres disciplines du programme scolaire, mais cela se traduit par une prise en compte minime, voire inexistante, de la dimension historique (contexte, perspectives et connaissances et réflexion historiques). Les pandémies et les catastrophes naturelles sont à l’heure actuelle enseignées principalement en géographie, mais aussi dans les disciplines suivantes : instruction civique et morale, éducation à la citoyenneté, sciences et technologie, sciences de la vie et de la Terre, biologie, langue et littérature, arts et lettres classiques. La prise en compte d’une dimension historique dans l’enseignement de ces sujets dans le cadre d’autres disciplines est rarement prescrite dans les programmes scolaires officiels.

L’enseignement des pandémies et des catastrophes naturelles a fréquemment pour cadre des matières intégrées qui incorporent l’histoire aux côtés d’autres disciplines. Cette situation présente à la fois des avantages et des inconvénients : ce qui peut être considéré comme une perte sur le plan de la rigueur de la science historique (recours aux sources primaires, méthodes d’enquête spécifiques à la profession d’historien) pourrait être un gain si l’on souligne le lien existant entre les pandémies et les catastrophes naturelles historiques et les défis actuels.

Nombre d’écoles publiques et de professeurs d’histoire disposent aux niveaux de l’établissement scolaire et de la classe d’une autonomie considérable pour aborder de manière créative, innovante et attentive les défis mondiaux contemporains et l’importance qu’ils représentent pour les élèves d’aujourd’hui.

En dépit du fait qu’il n’est accordé que relativement peu d’attention à ces sujets dans les programmes scolaires officiels, plus de 75 % des enseignants déclarent qu’ils abordent effectivement les pandémies et les catastrophes naturelles dans leur enseignement aux niveaux primaire et postprimaire. Sur la base des résultats de l’enquête réalisée auprès des enseignants et des éducateurs (EEÉ), au niveau primaire, les enseignants sont davantage susceptibles d’aborder les catastrophes naturelles plutôt que les pandémies.

Les enseignants des 16 États membres de l’OHTE estiment indispensable que soit enseignée à leurs élèves la dimension historique des pandémies et des catastrophes naturelles, et souhaitent que ces sujets soient mieux représentés dans les programmes officiels d’histoire et d’autres disciplines, ce qui refléterait leur importance et leur signification au regard de différents groupes de citoyens dans différents pays.

En matière d’enseignement des pandémies et des catastrophes naturelles historiques, les enseignants semblent s’éloigner de la primauté de l’enseignement fondé sur les manuels pour privilégier une palette d’approches pédagogiques constructivistes et centrées sur l’élève, en particulier l’enquête historique. Pour enseigner ces sujets, il n’est recouru qu’avec parcimonie dans les salles de classe aux formes plus traditionnelles d’enseignement de l’histoire, par exemple les pédagogies dirigées par l’enseignant, axées sur la transmission d’informations historiques factuelles et centrées sur l’utilisation d’un manuel.

Les technologies numériques (lorsqu’elles sont disponibles) et les activités constructivistes telles que le travail et les enquêtes de groupe sont de plus en plus utilisées dans l’enseignement de l’histoire des pandémies et des catastrophes naturelles. Si les avantages potentiels des médias numériques sont reconnus tant par les pouvoirs publics que par les enseignants, il en va de même des écueils associés à la prolifération d’informations peu fiables, d’où la nécessité d’assurer un équilibre critique dans l’utilisation de ces technologies en classe d’histoire.